Chapitre 2. La conservation maximale de l’influence acquise (CMIA)

p. 25-35


Texte intégral

1La théorie de la CMIA postule que la Maison-Blanche module sa politique étrangère à l’égard d’un dictateur ami contesté (abandon ou prorogation du soutien diplomatique) pour arriver à conserver un maximum d’influence sur un régime dans lequel elle ne souhaite pas intervenir directement. D’une part, la CMIA peut expliquer la prolongation du soutien américain à un dictateur ami en péril lorsqu’il appert que le dictateur garde toujours le contrôle de son régime, ou encore lorsqu’il semble que la Maison-Blanche sera incapable, advenant la chute de celui-ci, de commuter sa relation amicale avec le ou les nouveaux dirigeants au pouvoir. D’autre part, la CMIA peut aussi expliquer la décision américaine d’abandonner un dictateur ami lorsqu’il perd le contrôle de son régime et que la commutation de la relation amicale avec le ou les nouveaux dirigeants paraît possible pour la Maison-Blanche. En définitive, c’est pour conserver l’influence qu’elle avait sur un État – avant l’apparition d’un soulèvement contre le régime au pouvoir – que la Maison-Blanche en vient à abandonner son dirigeant ou non.

2Le modèle théorique s’articule autour de trois variables interdépendantes. La variable indépendante est la perte de contrôle du dictateur ami sur son régime. La variable intervenante est la possibilité pour Washington de commuter son influence acquise avec le ou les aspirants pressentis pour remplacer au pouvoir le dictateur déchu. Enfin, la variable dépendante est le point de bascule (abandon du soutien américain) à son égard. Trois hypothèses découlent de l’interaction possible des trois variables de la théorie :

H1 : Lorsqu’un dictateur est en mesure de garder le contrôle de son régime et que le statu quo est possible, il n’y a pas de point de bascule puisque les États-Unis vont opter pour un appui renouvelé envers celui-ci.

H2 : Lorsqu’un dictateur perd le contrôle de son régime et que la Maison-Blanche n’a pas la possibilité de commuter son influence avec le ou les nouveaux dirigeants du régime, le point de bascule est reporté et les États-Unis vont opter pour un appui diplomatique jusqu’au-boutiste envers le dictateur déchu.

H3 : Lorsqu’un dictateur perd le contrôle de son régime et que la Maison-Blanche pense être en mesure de conserver une influence sur le régime par une commutation possible de celle-ci avec le ou les nouveaux dirigeants, les États-Unis vont opter pour un abandon diplomatique à son égard.

3Bref, sur le plan théorique, il y a deux hypothèses (H1 et H2) où le point de bascule ne se produit pas (parce qu’il est inutile dans H1, tandis qu’il est reporté dans H2), alors qu’il advient dans H3 (parce qu’il est judicieux en vertu d’une commutation possible de l’influence acquise). Notons aussi que dans les trois hypothèses possibles, c’est toujours la CMIA qui engendre ou non le point de bascule. C’est d’ailleurs cette dualité – expliquant autant l’abandon que la prolongation du soutien – qui confère à la CMIA une souplesse théorique lui permettant de démêler l’apparente ambivalence de la politique étrangère américaine dans ce type de situation.

Les assises théoriques de notre intuition

4D’emblée, dans l’étude des relations internationales, l’argument de la CMIA est une extension théorique des postulats du réalisme défensif. Cette approche a émergé des débats intra-paradigmatiques entre les penseurs de l’école réaliste néoclassique, où une scission claire est apparue dans les années 1990 entre les tenants du réalisme dit offensif et les tenants du réalisme dit défensif, qui ne s’entendaient pas sur les effets de l’anarchie du système international sur le comportement des États. Pour les premiers, la règle du « chacun pour soi » pousse les États vers l’expansionnisme et donc au révisionnisme du système international, alors que pour les seconds, l’anarchie incite les États à vouloir préserver le statu quo par circonspection. La CMIA et l’école du réalisme défensif se rejoignent sur le plan théorique puisqu’elles postulent toutes les deux qu’un gouvernement, dans le cas qui nous occupe Washington, recherchera avant tout la stabilité dans une situation instable. Il appert donc que les fluctuations de la politique étrangère des États-Unis étudiées ici répondent d’abord et avant tout à des impératifs systémiques et régionaux qui, comme les tenants du réalisme défensif l’indiquent, inclinent les États à tenter de préserver l’ordre en place. Car dans un système international concurrentiel où Washington souhaite conserver sa position dominante, l’intérêt national américain est sensible aux gains relatifs d’autres acteurs rivaux1. Enfin, outre les trois règles d’or de Lord Palmerston précédemment citées et la citation du général Charles de Gaulle : « Les hommes peuvent avoir des amis, pas les hommes d’État2 », nous retenons qu’en définitive, pour un décideur politique, la froideur doit l’emporter sur les sentiments lorsqu’il décide d’abandonner ou non un dictateur ami.

5En outre, la CMIA s’inspire directement des recommandations proposées aux décideurs américains par Daniel Pipes et Adam Garfinkle, lesquelles présupposaient, sans le reconnaître comme tel, le concept de la commutation de l’influence acquise :

[Les] États-Unis doivent être certains (ou du moins, raisonnablement sûrs) qu’une solution de rechange souhaitable existe ou peut être développée et qu’elle est ou peut devenir suffisamment forte pour pouvoir éventuellement constituer le prochain gouvernement. […] [Les] États-Unis doivent être sensibles aux intérêts opposés. […] Promouvoir la démocratie n’est jamais le seul intérêt en jeu ; dans certaines circonstances, cela peut ne pas être le plus important3.

6L’année suivante, Pipes et Garfinkle, entourés d’autres chercheurs, offraient d’autres suggestions qui ont retenu notre attention. D’une part, ils rappelaient qu’« en temps normal, l’objectif approprié est de nouer des relations stables avec un pays capable de survivre à un changement de régime. En cas de crise, l’objectif est de préserver les intérêts des États-Unis. Le simple maintien ou l’abandon d’un dictateur n’est pas un objectif approprié4. » D’autre part, dans le même ouvrage, ces auteurs proposaient une marche à suivre envers un dictateur ami détrôné : « Si le tyran déchu se réfugie aux États-Unis, ne le poursuivez pas. […] Ne perdez pas d’intérêt [pour la situation dans le pays] une fois qu’un tyran ami a quitté la scène [politique], car une autre crise pourrait bientôt s’y produire5. » Le principe de précaution que défendaient ces chercheurs permet d’expliquer l’appui jusqu’au-boutiste que fournit parfois la Maison-Blanche à des dictateurs amis déchus. Bien qu’elles n’eussent pas été testées de façon systématique comme nous souhaitons le faire, les observations de ces chercheurs furent précieuses dans l’élaboration de la théorie.

7En terminant, les propos de certains grands acteurs de la politique étrangère américaine s’étant prononcés tout particulièrement sur la question ont aussi participé à l’élaboration de nos prédictions théoriques. En tête de liste, il y a le président John F. Kennedy qui faisait en quelque sorte un compendium de la CMIA en indiquant ses préférences quant aux dénouements possibles en République dominicaine après l’assassinat de Rafael Trujillo en 1961 :

Il existe trois possibilités, par ordre de préférence décroissant : un régime démocratique décent, une continuation du régime de Trujillo ou un régime de type castriste. Nous devrions viser la première option, mais nous ne pouvons vraiment pas renoncer à la seconde tant que nous ne sommes pas certains de pouvoir éviter la troisième6.

8Il y a aussi Richard Teare, un ancien ambassadeur des États-Unis, qui après avoir été souvent confronté à des dictatures amies en péril, tenait des propos qui cadrent en tous points avec notre première hypothèse (H1) :

[C]ela nous ramène au dilemme auquel nous avons été confrontés dans tant de pays au fil des ans. Traitez-vous avec les gens qui sont là ou essayez-vous d’encourager des solutions de rechange ? En général, nous avons traité avec ceux qui étaient là et, en réalité, je dirais que nous n’avons généralement eu que peu de choix [...]. Maintenant, il est vrai que dans certains cas, nous avons été plus à l’aise avec des “ bad guys” comme le shah d’Iran ou Ngo Dinh Diem plutôt qu’avec d’autres personnes moins conservatrices et moins conciliantes. Nous n’aurions pas dû être à l’aise avec Diem ou le Shah ou n’importe qui de ce genre. Mais nous ne pouvons tout simplement pas briser les gouvernements quand nous en avons envie. Nous avons essayé cela au Vietnam après Diem et cela n’a pas très bien fonctionné. C’était une chose de faire sortir un gouvernement, c’en était une autre de le remplacer de manière satisfaisante. Alors ce que nous avons recherché avec Suharto et, comme je l’ai dit lors d’une séance précédente avec Ferdinand Marcos lorsque j’étais en poste au bureau des Philippines, était de les amener à mettre de l’ordre dans leur gouvernance plutôt que de les critiquer publiquement au sujet de ce qu’ils avaient fait ou d’aller courtiser de possibles remplaçants7.

Le postulat de la CMIA

9La théorie de la CMIA part de l’idée qu’au niveau systémique, le jeu d’influence d’États dominants sur des États subordonnés est un jeu à somme nulle : la somme des gains et des pertes égale zéro, car lorsqu’un État dominant perd de son influence sur un régime ou sur un pays, un autre État puissant peut remporter la mise. L’État qui acquiert davantage d’influence le fait toujours au détriment d’un autre. L’influence est donc perçue ici en termes de gains relatifs où la perte des uns devient le gain d’autres concurrents au sein du système. En d’autres mots, pour le maintien de l’intérêt national américain dans le type de crise sur lequel nous nous penchons, la Maison-Blanche doit rationnellement éviter toute forme de perte d’influence ; laquelle, en plus de l’affaiblir, fortifie l’un de ses rivaux. De fait, à l’échelle régionale, une perte d’influence engage à court et parfois à long terme des conséquences graves pour l’intérêt national américain sur les plans militaire, économique et géopolitique. Comme ce fut le cas pour Cuba après 1959 ou pour l’Iran après 1979, rappelons que le renversement d’un dictateur ami implique parfois pour la Maison-Blanche le début d’une relation d’hostilité avec le ou les nouveaux dirigeants. À long terme, au niveau systémique, c’est pour éviter d’être remplacée à la tête de la hiérarchie que la Maison-Blanche jalouse la moindre parcelle d’influence qui est sienne au sein du système international. Par exemple, rappelons qu’à force de se replier sur elle-même durant la première moitié du xxe siècle, la Grande-Bretagne a vu son influence s’effriter graduellement jusqu’au remplacement de la Pax britannica par la Pax americana au tournant de la Seconde Guerre mondiale. En résumé, au sein d’un système où chacune des unités souhaite accaparer la part du lion dans un jeu à somme nulle, c’est la CMIA qui oriente les décisions de Washington quant à la prolongation du soutien à un dictateur ami en péril.

Les dénouements possibles

10Cinq issues sont possibles pour l’intérêt national américain lorsqu’un dictateur ami est confronté à une crise interne, selon qu’il y a (1) changement ou non de gouvernement et (2) persistance ou fin de la cordialité entre les deux États. Pour ce qui est du changement de régime, deux possibilités logiques peuvent résulter de ce type de crises pour la Maison-Blanche : d’un côté, le dictateur ami peut avoir réussi à juguler la révolte, donc l’ancien régime perdure (Ancien Régime = AR) et de l’autre, un nouveau gouvernement arrive au pouvoir après que le dictateur ami l’a perdu (Nouveau Régime = NR). De surcroît, au sortir de la crise, il y a deux possibilités de relations entre les États-Unis et le régime (ancien ou nouveau, selon le cas) : soit le dictateur en poste réussit à conserver le contrôle de son régime et il choisit de faire perdurer la bonne entente (Ancienne Relation Positive = ARP), soit le dictateur est remplacé par un ou plusieurs dirigeants, ce qui peut entraîner le commencement d’une nouvelle relation positive (NRP) ou négative (NRN) entre les deux États. À partir des combinaisons possibles, les dénouements qui se présentent à Washington dans ce type de crise sont les suivants :

A- Ancien Régime / Ancienne Relation Positive (AR/ARP)
B- Ancien Régime / Nouvelle Relation Négative (AR/NRN)
C- Nouveau Régime / Ancienne Relation Positive (NR/ARP)
D- Nouveau Régime / Nouvelle Relation Négative (NR/NRN)
E- Nouveau Régime / Nouvelle Relation Positive (NR/NRP)

A- Ancien Régime / Ancienne Relation Positive (AR/ARP)

11Ce scénario survient lorsqu’une dictature amie arrive à se maintenir en poste malgré un soulèvement interne. Dans celui-ci, le statu quo est possible et l’avènement du point de bascule est inutile puisque l’ami d’hier est encore capable de garder le contrôle de son régime aujourd’hui. Ce scénario est avantageux pour la Maison-Blanche dans la mesure où celle-ci n’est pas forcée de réexaminer ses options à l’égard d’une commutation possible de son influence acquise. Par exemple, en matant la rébellion avec force, Mobutu Sese Seko a conservé l’appui de la Maison-Blanche au début des années 1990. Toutefois, l’appui américain demeure conditionnel à la capacité du dictateur à brider la révolte. Comme ce fut d’ailleurs le cas avec Mobutu, qui a perdu l’appui de l’administration Clinton après une déroute aussi graduelle que manifeste de sa gouverne de 1990 à 1997, un revirement est toujours possible à moyen ou à long terme à l’égard un dictateur ami qui, après s’être montré pugnace face à la vindicte populaire, est forcé d’abdiquer après l’aggravation d’une crise interne.

B- Ancien Régime / Nouvelle Relation Négative (AR/NRN)

12Quoique assez rare, le scénario AR/NRN survient lorsqu’un dictateur – par un faux pas diplomatique ou l’adoption d’un discours ouvertement critique à l’endroit de Washington – rompt lui-même les liens d’amitié avec la Maison-Blanche durant une crise interne. Ne pouvant perdre ce qu’elle ne possède plus, la Maison-Blanche perd son influence à partir du moment où un dictateur ami en péril lui tourne le dos. Dès lors, l’intérêt national américain est de changer le statu quo pour que l’ancien ami dictateur laisse sa place à un ou des successeurs qui, eux, seront peut-être disposés à retisser des liens d’amitié avec Washington. Du fait que notre problématique porte tout particulièrement sur l’influence acquise auprès de dictateurs amis de la Maison-Blanche et les calculs de celle-ci relativement à sa perte éventuelle, notre étude n’a pas porté sur ce type de situation.

13Bien qu’il y ait peu d’exemples de ce type de scénario AR/NRN, on peut néanmoins citer le cas du dictateur libérien Samuel Doe qui, pour son plus grand malheur, critiqua ouvertement la Maison-Blanche en 1990 pour la réduction de l’aide financière que celle-ci lui versait auparavant. Devant l’avancée des forces rebelles dirigées contre lui par Charles Taylor et Prince Johnson la même année, l’administration de George H. W. Bush le regarda placidement choir de la branche qu’il avait lui-même sciée, alors que la reconstruction d’une relation amicale de Washington avec ces nouveaux dirigeants semblait possible à ce stade. En terminant, notons aussi que la situation de type AR/NRN survient rarement dans les faits parce qu’en période de crise, il n’est pas dans l’intérêt du dictateur de récriminer contre la Maison-Blanche au risque de s’exposer, comme ce fut le cas pour Doe en 1990, à une chute rapide et sans filet. Au contraire, lorsqu’ils sont frappés par une crise interne, les dictateurs amis vont généralement être portés à redoubler d’efforts pour ne pas froisser l’administration en poste à Washington.

C- Nouveau Régime / Ancienne Relation Positive (NR/ARP)

14Ce scénario survient lorsqu’un dictateur ami perd le contrôle de son régime et que son ou ses remplaçants étaient des membres du gouvernement précédent. Dans un tel cas, la Maison-Blanche est en mesure de commuter son influence acquise. Ce scénario implique l’avènement du point de bascule puisque la Maison-Blanche conserve son influence acquise en abandonnant l’ancien dictateur et en choisissant de poursuivre la relation avec un ou des dirigeants déjà proches de la Maison-Blanche. Ce scénario est plus susceptible de survenir lorsque la dictature concernée est de type monarchique ou militaire puisque le nouvel homme fort appartient déjà au sérail politique de l’ancien régime avec lequel la Maison-Blanche avait déjà une relation harmonieuse. Cette situation s’est produite lors de l’exil forcé du général Duong Van Minh du Vietnam en 1963 : le pouvoir fut relayé à Nguyen Khánh, un militaire membre du même parti politique. En outre, ce scénario est souhaitable pour la Maison-Blanche puisqu’elle peut facilement commuter sa relation d’autrefois et conserver un maximum d’influence acquise auprès d’un ou de plusieurs acteurs décisionnels déjà familiers.

D- Nouveau Régime / Nouvelle Relation Négative (NR/NRN)

15Ce scénario se concrétise lorsqu’un dictateur ami perd le contrôle de son régime et que la Maison-Blanche est incapable de commuter sa relation harmonieuse d’autrefois avec le ou les nouveaux dirigeants en poste. Dans ce scénario, le point de bascule ne s’avère pas totalement puisqu’il est reporté. Ici, l’impossibilité de la commutation de l’influence force la Maison-Blanche à adopter une attitude jusqu’au-boutiste avec le dictateur déchu. Par exemple, les États-Unis vont aider le dictateur ami à fuir son régime de façon sécuritaire et peuvent même lui offrir l’asile politique. En se contentant de ces « miettes » d’influence, la Maison-Blanche espère sans doute un retournement de situation qui rendrait possible le retour triomphal du dictateur ami à la tête de son régime. Il y a dans ce sens des précédents ; rappelons ainsi qu’après son abdication forcée en 1967 au Cambodge, l’ami de la Maison-Blanche, Lon Nol, est revenu à la tête de l’État en 1970 après un coup d’État épaulé par la CIA contre Sihanouk. Il va sans dire que ce scénario est le pire pour la Maison-Blanche puisque dans celui-ci elle perd son influence acquise qui est dès lors cédée à un État concurrent.

E- Nouveau Régime / Nouvelle Relation Positive (NR/NRP)

16Ce scénario survient lorsqu’un dictateur ami est remplacé pour un ou plusieurs dirigeants qui n’ont aucun lien avec l’ancien régime, mais avec lesquels la Maison-Blanche pense – du moins à leur arrivée – être en mesure de commuter l’ancienne relation harmonieuse et de conserver son influence acquise. Dans ce contexte, on assiste donc à un point de bascule. Si au départ cette situation est souhaitable pour la Maison-Blanche, elle peut cependant être potentiellement instable à court ou à long terme puisque le ou les nouveaux dirigeants peuvent décider de se rapprocher plutôt d’un autre État rival et, ce faisant, le scénario NR/NRP peut se transformer en celui de NR/NRN. La courte lune de miel diplomatique entre Mohamed Morsi – le premier président élu d’Égypte, en 2012 – et l’administration Obama est un cas exemplaire de ce type de conversion relationnelle à court terme où une relation de type NR/NRP tourne au vinaigre pour en devenir une de type NR/NRN. À l’inverse, si la Maison-Blanche est plus chanceuse, le ou les nouveaux dirigeants ayant remplacé un dictateur peuvent aussi devenir des amis précieux pour l’atteinte de l’intérêt national américain. L’arrivée au pouvoir du colonel proaméricain Hugo Banzer Suárez en Bolivie – après les tentatives de nationalisation des ressources pétrolières et minières du président Juan José Torres en 1971 et le coup d’État qui s’ensuivit – constitue un cas de figure de ce type de reconversion relationnelle positive pour la Maison-Blanche.

figure 2.1. Le schéma de la théorie de la CMIA

Notes de bas de page

1Jonathan Paquin, A Stability-Seeking Power : U.S. Foreign Policy and Secessionist Conflicts, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2010, p. 29.

2« Citations célèbres : Charles de Gaulle », Le Parisien, http://citation-celebre.leparisien.fr/citations/23511.

3« [T]he United States must be certain (or at least, reasonnably confident) that a desirable alternative exists or can be developed, and that it is or can be made sufficiently strong to be the probable successor government. […] [T]he United States must be sensitive to competing interests. […] Promoting democracy is never the only interest at stake ; in some circomstances it may not be the most important. » Voir Pipes et Garfinkle, op. cit., p. 512.

4« In normal times, the appropriate goal is to build a stable relationship with a country that can outlast any particular regime. In crises, the goal is to preserve U.S. interests. The mere retention or removal of a dictator is not a suitable goal. » Voir Adam Garfinkle, Kenneth Adelman, Patrick Clawson, Mark Falcoff, Douglas J. Feith et Daniel Pipes, The Devil and Uncle Sam : A User’s Guide to the Friendly Tyrants Dilemma, New Brunswick, N.J., Transaction Publishers, 1992, p. 115.

5« If the ousted tyrant takes refuge in the United States, do not prosecute him. […] Do not lose interest once a Friendly Tyrant has left the scene, for another crisis may soon occur. » Voir ibid., p. 120.

6« There are three possibilities in descending order of preference : a decent democratic regime, a continuation of the Trujillo regime, or a “Castro” regime. We ought to aim at the first, but we really can’t renounce the second until we are sure that we can avoid the third. » Voir Arthur M. Schlesinger Jr., A Thousand Days : John F. Kennedy in the White House, Boston, Houghton Mifflin Company, 1965, p. 769.

7« I think that the establishment recognized the problem and I think it comes back to the dilemma we faced in so many countries over the years. Do you deal with the people who are there or do you try to encourage alternatives ? In general we have dealt with, and in reality I would say we usually have little choice […] Now granted there are cases where we have been more comfortable with bad guys, if you will, the Shah of Iran or Ngo Dinh Diem, or somebody than with other less conservative, less comfortable people. But not that we should have been comfortable with Diem or the Shah or anybody like that. But we simply can’t go around breaking governments when we feel like it. We tried that in Vietnam after Diem and it didn’t work very well. It was one thing to get a government out it was something else again to put in a satisfactory substitute. So our emphasis with Suharto, and as I said in a previous session about Ferdinand Marcos during my time on the Philippine desk, was to try to get them to clean up their act rather than to deplore publicly what they had done or to go around courting alternatives. » Voir « Ambassador Richard W. Teare », entrevue, 31 juillet 1998, Library of Congress, The Association for Diplomatic Studies and Training Foreign Affairs Oral History Project (ADST), 2006, p. 126, https://www.adst.org/OH%20TOCs/Teare,%20Richard%20W.toc.pdf.


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