Chapitre 7. De retour d’entre les morts (encore) : l’imaginaire de l’espace dans la fiction haïtienne contemporaine

1 Je parle ici de Le zombi du Grand-Pérou, ou La comtesse de Cocagne, de Pierre-Corneille de Blessebois, publié en 1697.

2 Sur l’étymologie de zombie, voir Hans-W. Ackermann et Jeanine Gauthier (1991).

3 Avant même que ce zombie ne soit connu du public américain, l’écrivain Lafcadio Hearne, qui a été un moment le correspondant en Martinique du magazine Harper’s, a livré dans Two Years in the French West Indies (2001), initialement publié en 1890, des considérations sur l’avatar du zombie rencontré dans ses voyages.

4 Revers de la médaille, White Zombie représente des zombies travaillant dans une raffinerie de sucre – une scène évoquant l’Haitian American Sugar Company (HASCO), qui à l’époque possédait une importante raffinerie de sucre à Port-au-Prince.

5 Dans « Chronique d’un faux-amour », la narratrice, une femme de la haute société, est transformée en zombie ; la machination a été ourdie, semble-t-il, par l’oncle de son fiancé, un paysan. Dans le roman de Desquiron, Violaine, qui fait partie de la riche élite à la peau claire de la petite ville de Jérémie, est zombifiée par sa famille qui veut ainsi mettre un terme à sa liaison avec un révolutionnaire socialement inférieur et à la peau foncée. René Depestre allégorise également la perte de sa bien-aimée ville natale, Jacmel, dans le roman Hadriana dans tous mes rêves (1988).

6 Le nègre crucifié semble concerner directement Duvalier. Dans Pays sans chapeau, Emile Jonassaint, président par intérim pour quelques mois en 1994, fait courir le bruit que des hordes de morts-vivants circulent dans Haïti. Recourant à l’intertextualité, Laferrière crée un parallèle entre des récits de fiction récurrents et des récits politiques qui se répètent – après la destitution, en 1986, du fils de François Duvalier, Jean-Claude, le pays a vu les présidents se succéder à un rythme alarmant.

7 Toutes les citations tirées d’ouvrages anglais dans ce chapitre ont été traduites librement.

8 Notons, en 2012, le Cuban Casa de las Americas pour Le sang et la mer ; et en 2004, le prix du livre RFO (Réseau France outre-mer) pour Je sais quand Dieu vient se promener dans mon jardin.

9 Curieux hasard, le site voisin de l’ancienne usine HASCO (Haitian American Sugar Company) a été lié au phénomène du zombie dans le Magic Island de Seabrook : la raffinerie sert de point de comparaison avec les champs de canne à sucre où travaillent les zombies.

10 Cette affinité du zombie avec la campagne, atavisme dû au labeur dans les champs de canne, semble d’autant plus appropriée que le processus de zombification ressemble nettement au développement des plantes : le corps doit être enterré avant que la nouvelle créature n’en ressorte, s’élevant dans un état apparemment végétatif.

11 Signifiant d’abord « espace vide », le terme en est venu à désigner au XVI^e siècle « une terre sans constructions et sans cultures dans une ville », pour finalement être figé (1811) en terrain vague plutôt que terre vaine ou vague. Voir Rey, 1998.

12 Cette interprétation présente un parallèle intéressant avec le concept de non-lieu de Marc Augé (1992). Le terrain vague est un espace interstitiel, sans utilité définie ; de façon semblable, Augé définit les non-lieux comme des espaces transitoires où les individus demeurent anonymes, par opposition au « lieu anthropologique », comme les résidences privées ou les lieux servant aux rencontres publiques, où les individus se définissent par leur relation avec la société.

13 Par exemple, Zora Neale Hurston a écrit en 1938 que le zombie représente la transformation « d’un être éduqué et intelligent en une bête irréfléchie et ignorante » (2009 : 181). Pour Métraux, « [l]e zombi [sic] est une bête de somme que son maître exploite sans merci » (1958 : 250). Le roman fragmenté de Frankétienne représentant une rébellion de zombies, Les affres d’un défi (1979), utilise un lexique relatif à divers animaux afin de souligner leur passivité avant la dézombification.

14 D’autres œuvres présentent des zombies qui retrouvent leur volonté après la dézombification (notamment, de Frankétienne, Hadriana dans tous mes rêves et Les affres d’un défi).

15 Ceci fait écho à la dynamique perceptible dans La piste des sortilèges. Voir Marie-José N’Zengou-Tayo, 1998 : 263.