Chapitre 4. Le zombie, héros culturel de l’ère néobaroque

1 Le texte de Severo Sarduy partait notamment des thèses de l’écrivain Lezama Lima, pour qui « la curiosité baroque » était l’emblème même de « l’expression américaine » (titre du recueil dans lequel il intégra son étude « La curiosidad barroca », en 1957).

2 Parmi les films de cette mouvance présentés l’année même de la publication de l’essai de Calabrese, signalons Creepshow 2 (M. Gornik), Evil Dead 2 (S. Raimi) et The Video Dead (R. Scott).

3 Militaires (axe du pouvoir) et médecins (axe du savoir) deviennent, dans pratiquement tous les récits néozombies, les causes directes de l’invasion. Le néozombie rejoint alors les angoisses d’une « post-humanité » manipulée par les nouveaux pouvoirs médico-disciplinaires qui la configurent. Mais il illustre aussi cette dynamique dégagée par I. Illich : « L’hybris industrielle a brisé le cadre mythique qui fixait des limites à la folie des rêves […]. L’inéluctable choc en retour du progrès matériel, c’est Némésis pour les masses, le monstre matériel né du rêve industriel » (1975 : 204).

4 « Jamais “l’art” ne s’était consacré de cette façon à présenter la propre texture de la violence, violence “hi-fi” faite de scènes insupportables d’os broyés, de jets de sang, cris, décapitations, amputations, castrations […]. On ne peut expliquer cette pornographie de l’atroce à partir d’une nécessité sadique refoulée par nos sociétés thérapeutiques […]. Quand il n’y a plus de code moral à transgresser, reste la fuite en avant, la spirale extrémiste, le raffinement du détail pour le détail, l’hyperréalisme de la violence, sans autre objet que la stupéfaction et les sensations instantanées » (Lipovetsky, 1983 : 205).

5 « Durant les années 1950, le zombie a perdu une partie de ses liens avec le vaudou et les Caraïbes et est devenu un personnage dont le manque de volonté a plutôt représenté les peurs de la guerre froide au sujet de la menace du manque d’individualité que représentait le Communisme » (Pulliam, 2006 : 733, ma traduction).

6 Pour l’étude détaillée de toutes ces questions, je me permets de renvoyer à mon Invasion zombie (2013).

7 « S’il est un trait qui domine la représentation postmoderne, c’est en effet l’instabilité : dans la représentation du monde, dans la relation au savoir, dans la manifestation du pouvoir, dans l’économie narrative […] se dessine ainsi une “société incertaine” qui découvre peu à peu son impossible transparence et accepte sa propre étrangeté […]. D’où l’attraction pour l’anomie, l’irrationel, l’atypique, comme si l’univers des valeurs se déplaçait lui aussi vers des manifestations périphériques […] ; ainsi la représentation de la réalité se fait hétérogène, se complaît dans l’hybride, l’ambivalent, le désordre, le chaos, la contradiction, tout ce qui génère l’incertitude » (Imbert, 2010 : 565-566, ma traduction).

8 « De nombreux monstres du genre de l’horreur sont interstitiels et/ou contradictoires en ce qu’ils sont à la fois vivants et morts : fantômes, zombies, vampires, momies, le monstre Frankenstein, Melmoth the Wanderer, et ainsi de suite » (Carroll, 1990 : 32, ma traduction). « L’incomplétude catégorique est également une caractéristique standard des monstres de l’horreur ; fantômes et zombies viennent souvent sans yeux, sans bras, sans jambes, ou sans peau, ou ils sont dans un état avancé de décomposition. Et, dans la même veine, les parties du corps détachées sont des monstres réparables, des têtes et surtout des mains coupées » (ibid. : 33, ma traduction).

9 « Les zombies avec de grandes masses de flegme balançant de leurs lèvres illustrent l’horrible métonymie. Fusion, fission, agrandissement, massification et horrible métonymie sont les principaux tropes pour présenter les monstres de l’horreur devenue art » (Carroll, 1990 : 52, ma traduction).

10 « En ce qui concerne le film d’horreur, il est intéressant de noter que plusieurs des figures monstrueuses les plus populaires sont “le corps sans âme” (le vampire), le “mort vivant” (le zombie) et le cadavre mangeur (la goule). Le film d’horreur nous présente l’abjection sous une forme fascinante et séduisante » (Creed, 2001 : 70, ma traduction).

11 Symptomatiquement, l’enfant « sort » de ce stade lorsqu’il peut parler, et le zombie, en y retournant, perd l’usage de parole. Autre signe de sa régression psychique, le zombie ne contrôle plus ses fonctions organiques, exhibant un corps ouvert et troué qui est comme un vaste sphincter déréglé (la scatologie jouant, comme l’on sait, un rôle essentiel dans le genre).

12 Un sous-thème symptomatique du zombisme est le « Zombie Momism » dont témoignent Pieces for Mom, Braindead (P. Jackson, 1992) ou Ed and his Dead Mother (J. Wacks, 1993) et qui renvoie à la hantise orale-cannibale de l’ingestion par la Mère monstrueuse, inversée et conjurée dans l’alimentation de la Mère par son fils.

13 D’où le lien indissoluble entre les fictions des masses criminelles et les fictions zombies. « L’esprit civilisé se voit dépouillé vers le sauvage, le primitif, le non consolidé. Tue, mange, répète », explique un des contaminés de Blackgas qui est encore paradoxalement lucide (v. 2 : 24, ma traduction). C’était aussi le thème de The Crazies, film méconnu de Romero (1973) et pratiquement absent des abondantes analyses sur ses zombies, bien qu’il en constitue l’envers symétrique, annonçant le célèbre manifeste de l’hyperviolence romanesque à l’anglaise fait par James Herbert dans The Fog (1975) ou le diptyque cronenbergien de Shivers (1975) et Rabid (1977).

14 « Des fictions de la ligne brisée – c’est l’expression que j’utilise pour rendre compte des fictions cinématographiques et littéraires qui traitent du labyrinthe et de l’oubli qui lui est lié –, il y en a un nombre sans cesse croissant, comme si le labyrinthe permettait de représenter certaines appréhensions face à un monde dont la complexité grandissante finit par inquiéter » (Gervais, 2009).

15 Selon la thèse de Bruckner, « il se pourrait que l’écologie, telle qu’elle se parle, ne vise pas tant à nous préserver de la fin du monde qu’à la précipiter. Elle est à la fois l’agent et le véhicule de notre désir de mort » (2011 : 99). De la généralisation de cette volonté d’en finir, les adolescents millénaristes du documentaire Hoax_Canular de Dominic Gagnon (2013) témoignent admirablement.