1Donner naissance à des enfants constitue une étape importante dans la vie de la plupart des hommes et des femmes. Le xx^e siècle a toutefois été le témoin de changements tout à fait radicaux à cet égard : d’un comportement presque prévisible dès que les déterminants biologiques étaient connus, l’arrivée des enfants représente dorénavant le résultat d’un choix délibéré. Cette évolution correspond à la venue de plus de cinq enfants en moyenne pour les générations de femmes québécoises qui ont mis leurs enfants au monde au début du siècle, à moins de deux enfants en moyenne pour celles qui l’ont fait autour de l’an 2000.

2Ce chapitre présente à grands traits cette évolution, d’abord grâce à des indicateurs de court terme, qui permettent d’examiner pour chacune des décennies, l’évolution des taux de fécondité en mesurant l’effet des changements démographiques sur le niveau de ces taux. Les modalités de constitution de la descendance des diverses générations de femmes qui l’ont complétée au cours du xx^e siècle retiendront ensuite l’attention. Cette section sera suivie d’une analyse des pronostics faits par les jeunes des années 1990 pour tenter de cerner l’avenir de cette composante très importante de l’évolution démographique. Les comportements en matière de contraception, caractérisant l’un des plus importants moyens que la société a adoptés pour passer d’un régime de forte fécondité à un régime de faible fécondité feront l’objet d’une courte synthèse. Enfin, nous situerons la fécondité dans le contexte plus global des changements sociaux qui ont marqué le xx^e siècle.

Les fluctuations de la fécondité au cours du xx^e siècle

3Pour illustrer les changements formidables que la fécondité québécoise a subis au cours du xx^e siècle, le taux global de fécondité générale apparaît comme un indicateur intéressant. Il se définit comme le rapport entre le nombre de naissances observées au cours d’une période donnée et la population féminine âgée de 15 à 49 ans au milieu de la période observée, exprimé pour 1000 femmes. Plus raffiné que le taux brut de natalité qui rapporte les naissances à la population totale, plus facile à interpréter que l’indice synthétique de fécondité qui repose sur « l’hypothèse mystérieuse de la cohorte fictive » que seuls les spécialistes comprennent, ce taux a l’avantage de mettre directement en rapport le nombre des naissances avec celui des femmes en âge de procréer. La figure 2.1 montre que ce taux est passé d’environ 160 naissances pour 1000 femmes au tout début du siècle à environ 100 au début de la Seconde Guerre mondiale, remontant à 120 au faîte du baby-boom, pour ensuite s’engager sur une pente descendante et fluctuer entre 40 et 60 pour 1 000 depuis les années 1970. Cette courbe met bien en évidence la forte fécondité qui prévalait au début du siècle, l’effet de la crise économique des années 1930, la reprise qui mène au baby-boom des années 1950, la chute des années 1960, suivie d’une stabilisation à un faible niveau jusqu’en 2001.

4La valeur que prend le taux de fécondité générale dépend directement de l’effet combiné de quatre facteurs démographiques qui varient dans le temps : la composition par âge des femmes de 15 à 49 ans, c’est-à-dire l’importance relative des effectifs des femmes les plus susceptibles de donner naissance à des enfants, soit les femmes de 20 à 30 ans, durant une période donnée à l’intérieur du groupe des femmes en âge de procréer ; la nuptialité, mesurée par la proportion de femmes mariées ; la fécondité des mariages, c’est-à-dire le nombre d’enfants mis au monde par femme mariée de chaque classe d’âge ; et finalement la fécondité hors mariage, soit le nombre d’enfants mis au monde par femme non mariée de chaque classe d’âge. Le taux de fécondité générale se prête donc à une analyse pour mesurer l’importance relative de ces facteurs et établir si leur effet a contribué de façon positive ou négative à son évolution. En 1968, Henripin, dans la monographie Tendances et facteurs de la fécondité au Canada, a effectué cette opération pour la période de 1891 à 1961. Le tableau 2.1 reprend ces résultats et les complète en ajoutant les quatre décennies suivantes.

FIGURE 2.1. Évolution du taux global de fécondité générale, Québec, 1901-2001

5Les données du tableau 2.1 s’interprètent de la façon suivante : l’opération de décomposition consiste à établir la contribution de chaque facteur aux changements du taux pendant la décennie, en maintenant les trois autres facteurs constants ; la somme algébrique de ces variations correspond à la variation totale du taux. Ainsi, pour une période donnée (une colonne du tableau), par exemple 1941-1951, on trouve à la dernière ligne la variation totale du taux de fécondité générale en pourcentage, soit une augmentation de 14,90 % entre 1941 et 1951. Cette augmentation s’est produite grâce à l’effet positif de la composition par âge, une légère augmentation de 1,61 % ; en d’autres mots, si seule la composition par âge des femmes en âge de procréer avait changé entre 1941 et 1951, les autres facteurs restant constants, le taux de fécondité générale aurait augmenté de 1,61 %. Cet effet positif de la composition par âge s’est allié à celui d’une forte augmentation de la proportion des femmes mariées parmi les femmes en âge de procréer, soit 19,45 %, et à celui d’une très légère augmentation de la fécondité hors mariage, 0,46 %. Si l’augmentation totale n’a été que de 14,9 %, c’est que la fécondité des femmes mariées s’est réduite et a entraîné une baisse du taux de fécondité générale de 6,62 %. Cet effet négatif a donc eu pour conséquence de ralentir l’augmentation du taux de fécondité générale.

TABLEAU 2.1. Variation en pourcentage de la fécondité générale, liée aux variations de la distribution par âge, de la nuptialité, de la fécondité des mariages et de la fécondité hors mariage, Québec, 1891-2000

6En examinant au tableau 2.1 les variations globales du taux de fécondité générale (dernière ligne), on voit que durant le xx^e siècle cet indicateur n’a été en croissance que pendant une seule décennie, de 1941 à 1951. Toutes les autres décennies ont été marquées par une baisse dont l’ampleur a fluctué : pendant la première moitié du siècle, c’est de 1921 à 1931 que la baisse a été la plus marquée, soit 25 % ; par contre, après 1951, c’est la décennie des années 1960 qui présente la réduction la plus impressionnante, une baisse de 45 %. Le découpage par décennie adopté pour présenter cette évolution est arbitraire et tient en grande partie à la disponibilité des données nécessaires à la décomposition par facteur. Ce découpage ne permet donc pas d’établir avec précision les points d’inflexion du taux de fécondité générale et gomme sans doute quelque peu l’ampleur de certains changements. Il est toutefois suffisamment détaillé pour dégager les tendances de fond sur une aussi longue période. En bref, le taux de fécondité générale a été en baisse continue pendant le xx^e siècle, à l’exception de la période du baby-boom.

7Cette tendance très soutenue résulte de l’évolution contrastée des quatre facteurs démographiques mentionnés. L’effet de chacun d’entre eux sera examiné à tour de rôle.

Effets de la composition par âge des femmes en âge de procréer

8La composition par âge des femmes en âge de procréer reflète, avec un délai d’environ 20 ans, les fluctuations dans le nombre de naissances qui se sont produites antérieurement. En effet, lorsque le nombre de naissances est en croissance constante, la composition par âge des femmes en âge de procréer reste elle aussi constante, les femmes qui arrivent à l’âge de la reproduction étant toujours plus nombreuses que celles qui arrivent à la fin de la période reproductive. Par contre, lorsque les naissances sont en baisse à un moment donné, cela se répercutera 20 ans plus tard sur l’importance relative qu’auront ces jeunes femmes par rapport à leurs aînées. C’est ainsi que jusqu’aux années 1950, l’effet de l’évolution de la composition par âge (première ligne du tableau 2.1) a été modeste et presque toujours positif, car le nombre de naissances avait été en croissance continue de la fin du xix^e siècle jusqu’à la fin des années 1920. La crise économique a modifié cette tendance, entraînant une réduction des naissances qui se répercute dans les années 1950 par l’entrée dans le groupe des femmes en âge de procréer de générations moins nombreuses que celles qui les ont précédées. À ce moment, l’effet sur le taux de fécondité générale devient négatif et provoque une réduction de 6,65 %. La reprise du nombre des naissances, dès la fin des années 1930, corrige cette tendance et l’effet redevient positif au cours des années 1960, même fortement positif dans les années 1970 qui accueillent les générations nées au cours du baby-boom. La baisse du nombre des naissances depuis 1960 se fait sentir vigoureusement et négativement sur le taux de fécondité générale des deux dernières décennies du xx^e siècle en provoquant une réduction de 9 et 12 % respectivement.

Effets de la nuptialité

9Les effets de la nuptialité sont fortement contrastés au cours des 10 décennies du xx^e siècle. Ce phénomène tient principalement à deux éléments. Le premier reflète la relation étroite qui existe entre le rythme de la formation des mariages et la situation économique ; lorsque la situation économique le permet, les jeunes se marient à un âge déterminé par la culture ambiante, et la proportion que représentent les femmes mariées parmi les femmes en âge de procréer reste relativement stable. Cette proportion se modifiera si les conditions économiques qui favorisent la formation des mariages se transforment. Ainsi, si le chômage augmente et s’installe, on peut s’attendre à ce que les jeunes reportent à plus tard leur projet de mariage ; la proportion des femmes mariées parmi les jeunes femmes en âge de procréer sera donc réduite. Par contre, si le contexte économique devient plus favorable, les jeunes décideront de se marier en plus grand nombre et plus tôt ; en conséquence, la proportion des femmes mariées parmi les jeunes femmes augmentera. Ce sont en général les répercussions de ce lien qui expliquent les effets de la nuptialité sur le taux de fécondité générale jusqu’en 1961. Pour la décennie de 1911-1921, on peut croire à un effet de l’incertitude créée par la Première Guerre mondiale (un effet négatif de 1,61 %), accentuée par la Grande Crise économique amorcée à la fin des années 1920 (un effet négatif de 8,79 %), mais qui s’atténue déjà à la fin des années 1930 par la reprise économique enclenchée par la production militaire liée à la Seconde Guerre mondiale (effet encore négatif, mais plus faible de 2,20 %). Suivent alors deux décennies de grande prospérité économique qui provoqueront des changements majeurs dans la formation des mariages : les jeunes couples se formeront à un âge plus précoce que dans le passé et davantage de mariages seront contractés dans les générations en cause. Ces transformations par le biais de l’augmentation de la proportion des femmes mariées parmi les femmes en âge de procréer affecteront positivement et fortement le taux de fécondité générale : une augmentation de 19,45 % en 1941-1951 et de 9,77 % en 1951-1961.

10C’est à partir des années 1960 que le deuxième élément entre en jeu : il s’agit de l’effet de l’extraordinaire changement de mentalité à l’égard de la liberté sexuelle et des conditions socialement acceptables pour encadrer la vie de couple. Dans les années 1960, les changements sont mineurs : la proportion des femmes mariées ne se réduit que très faiblement, mais avec les années 1970, le recul du mariage légal entraîne une baisse très importante de la proportion des femmes légalement mariées. Son impact sur le taux de fécondité est important (une réduction de 14,59 %) ; ce dernier s’amplifie au cours des années 1980 (-26,98 %) et reste fort après 1990 (-10,00 %). Ces résultats montrent donc clairement que la popularité du mariage légal et la précocité de l’âge au mariage du milieu du siècle représentent la force principale qui a provoqué et soutenu le baby-boom, et que le recul de cette institution accompagné inévitablement d’une hausse de l’âge au moment du mariage, lorsqu’il a lieu, est fortement associé à la baisse et au maintien du faible taux de fécondité générale. De nombreux travaux montrent que l’union libre constitue dorénavant une forme d’union largement acceptée, même comme cadre pour fonder une famille, mais on verra que son effet positif sur la fécondité hors mariage ne compense pas pour l’effet négatif du recul du mariage pour la fécondité totale.

Effets de l’évolution de la fécondité des mariages

11Ce facteur correspond à proprement parler à la fécondité en tant que telle, au moins pendant toute la période où le mariage légal constitue le seul lieu acceptable pour la vie de couple et pour la procréation. Il s’agit de la propension qu’ont les couples mariés à avoir des enfants pendant chacune des décennies. Or, il est remarquable d’observer que cette propension a été en baisse pendant toutes les décennies depuis 1891 jusqu’en 1981. L’intensité de la baisse a fluctué, mais elle ne s’est pas démentie, même pendant la célèbre période du baby-boom. On notera l’importance de la baisse dans les années 1920 (-15,87 %), celle inattendue des années 1940 et 1950 (respectivement -6,62 et -10,82 %). Évidemment, la forte réduction de la fécondité des mariages dans les années 1960 ne surprend pas : -47,17 %. Les années 1980 voient une modeste mais illusoire reprise qui s’atténue légèrement avec les années 1990. Dorénavant les couples mariés ont peu d’enfants.

Effets de la fécondité hors mariage

12Jusqu’aux années 1970, la fécondité hors mariage correspondait à celle des femmes non mariées, soit célibataires, veuves ou divorcées qui vivaient en général sans conjoint ; après 1970, elle inclut la fécondité de ces femmes, même lorsqu’elles vivent en union libre. La décision d’examiner la fécondité hors mariage permet de mettre en lumière l’effet de la progression de l’union libre sur la fécondité. Avant 1970, la contribution de la fécondité hors mariage au taux de fécondité générale était très faible, ce qui faisait que ses fluctuations, elles-mêmes faibles, ne l’infléchissaient pas de façon notable ; la fécondité hors mariage ne l’avait fait augmenter que de moins de 1 % par décennie de 1941 à 1971. Ensuite, on observe une contribution plus importante, modeste d’abord (2,65 %), forte en 1981-1991 (19,83 %), suivie d’un léger recul (-1,55 %) en 1991-2000. Bien sûr, on reconnaîtra là l’effet de la progression de l’union libre comme mode de vie des jeunes couples.

13En définitive, cette décomposition des variations du taux de fécondité générale apporte un éclairage sur l’évolution des phénomènes démographiques qui sous-tendent la venue des enfants au cours d’une période donnée. L’effet des transformations de la composition par âge des femmes en âge de procréer montre à l’évidence l’inertie des phénomènes démographiques et leurs répercussions à long terme sur l’évolution de la population elle-même. Le déficit du nombre d’enfants qui résulte d’une faible fécondité au cours d’une période donnée affecte la dynamique démographique 20 ans plus tard, en réduisant les effectifs qui arrivent à l’âge de procréer et en modifiant le rapport que les classes d’âges avaient entre elles ; par contre, un surplus de naissances agira en sens contraire. En second lieu, le lien entre la reproduction et le mode d’union qui fonde la famille s’est profondément modifié. Il a eu un effet négatif sur l’évolution récente de la fécondité en atténuant la portée de la reprise observée chez les couples mariés, ces derniers étant trop peu nombreux pour équilibrer l’effet de la faible fécondité des couples non mariés. Cette dernière, même en augmentant, n’a pas atteint un niveau suffisant pour réduire les effets négatifs de la composition par âge et de la nuptialité. La figure 2.2 reprend les données du tableau 2.1 en illustrant l’importance relative de la contribution de chaque facteur en neutralisant l’ampleur du changement entre chaque décennie (total = 100). Cette figure est révélatrice du déséquilibre presque permanent entre les facteurs défavorables et les facteurs favorables au maintien du taux de fécondité générale. Tout au long du xx^e siècle, la fécondité des mariages a eu un effet négatif et fort sur la baisse du taux, à l’exception de la période 1981-1991 où sa contribution a été positive, mais à ce moment la fécondité était très faible. La fécondité hors mariage, à l’inverse, a presque toujours joué positivement, mais sa contribution n’a été substantielle qu’en 1981-1991. Enfin, on voit la contribution de la nuptialité (au sens traditionnel du mariage légal), associée aux conditions économiques dans les six premières décennies, qui joue soit négativement, soit positivement, reflétant par la suite le recul du mariage traditionnel et la montée de l’union libre, qui affectent négativement le taux de fécondité générale.

Fécondité et descendance finale

14Les variations conjoncturelles de la fécondité permettent de relier ce phénomène à la dynamique de la population, grâce à l’effet de la composition par âge et par état matrimonial des femmes en âge de procréer. Une autre façon d’étudier la fécondité consiste à mettre l’accent sur le nombre d’enfants que les femmes mettent au monde au cours de leur vie et d’établir leur descendance, sans faire intervenir leur comportement matrimonial. Cette démarche permet alors de montrer l’impact de la fécondité sur la dynamique de la population, en précisant son rôle dans la reproduction ou dans le remplacement des générations. Elle permet de plus d’illustrer de façon concrète ce que représente la fécondité dans la vie des femmes et des hommes qui fondent des familles.

FIGURE 2.2. Influence relative de divers facteurs démographiques sur la variation du taux de fécondité générale, Québec, 1891-2000

Descendance et taux de reproduction

15La figure 2.3 présente la descendance finale des générations de femmes québécoises qui ont complété leur fécondité au cours du xx^e siècle. Il s’agit du nombre moyen d’enfants pour 1 000 femmes de chaque groupe de générations, indépendamment du fait qu’elles se soient mariées ou non. Les femmes nées entre 1881 et 1886 ont eu 20 ans entre 1901 et 1906 ; elles auront donc eu leurs enfants au début du siècle, alors que les générations les plus récentes, celles qui sont nées entre 1961 et 1966 auront 40 ans entre 2001 et 2006 et vraisemblablement auront eu tous leurs enfants avant l’an 2000. Entre ces femmes dont la vie reproductive a assuré la croissance de la population du Québec, le nombre moyen d’enfants varie de plus de 5 en moyenne pour les générations les plus anciennes à 1,6 enfant pour les plus récentes, la fécondité des dernières ne représentant que 30 % de celles des premières. En tenant compte du rapport de masculinité à la naissance qui est en général de 105 garçons pour 100 filles et de la mortalité des diverses générations (Bourbeau et al., 1997), on peut établir le taux net de reproduction qui correspond au nombre moyen de filles qui survivront jusqu’à l’âge moyen à la maternité. Cet indice mesure la capacité des générations à assurer leur remplacement et, éventuellement, le renouvellement de la population. Pour que ce renouvellement se produise, il faut que les générations atteignent un taux net de reproduction d’au moins 1 000 filles survivantes à l’âge moyen à la maternité. Dans cette perspective, on observe que les générations nées à la fin du xix^e siècle ont mis au monde suffisamment d’enfants pour assurer leur remplacement en combattant une forte mortalité, les filles étant deux fois plus nombreuses que les mères. Tout en ayant en moyenne moins d’enfants (3,5 plutôt que 5), les 30 premières générations du xx^e siècle, grâce à des conditions de mortalité qui vont s’améliorer, réussiront quand même à augmenter les effectifs des générations de leurs filles de 30 à 50 %. Les femmes nées au début des années 1940 seront les dernières à assurer leur remplacement, mettant au monde tout juste le nombre nécessaire pour contrer la mortalité déjà fort réduite de l’époque. Depuis les générations nées pendant le baby-boom, la décroissance des effectifs entre les générations s’est bien installée, les effectifs des filles étant de plus de 20 % plus faibles que ceux des mères, entraînant de façon presque inexorable, dans un futur qui n’est pas très lointain, une décroissance de la population.

Le nombre d’enfants mis au monde

16La réduction de la descendance des générations a donc des répercussions sur l’évolution de la population à long terme. Elle présente des ramifications tout aussi importantes pour la vie des hommes et des femmes qui fondent les familles. C’est par le truchement de la distribution des femmes des diverses générations selon le nombre d’enfants que celles-ci ont mis au monde que ces ramifications peuvent être le plus clairement évoquées. La figure 2.4 présente l’évolution de la proportion des femmes des générations de 1881 à 1961 selon le nombre exact d’enfants qu’elles ont eu. L’évolution de l’espace occupé par chacune des tailles de famille fait d’abord apparaître l’extraordinaire transformation de la façon dont ces générations ont modifié, au cours du xx^e siècle, la constitution de leur descendance. La figure peut être analysée en deux parties : les générations de 1881 à 1926 ; ensuite de 1926 et après. Des générations de 1881 à celles de 1926, deux plages se détachent nettement des autres : la proportion des femmes sans enfant qui fluctue de 20 à environ 33 % et celle des femmes qui ont 6 enfants ou plus qui passe graduellement de plus de 40 à environ 20 %. Au début, on observe donc une combinaison de forte infécondité (forte proportion de femmes sans enfant) avec une fécondité élevée très fréquente. Graduellement, ces deux plages se réduisent et occupent sensiblement le même espace ; dans les générations de 1926-1931, la proportion de femmes sans enfant est la même que celles qui en ont 6 ou plus, les grandes familles ayant perdu leur prédominance. Chez les générations les plus anciennes, les autres tailles de famille se répartissaient à peu près également, variant de 6 à 8 % chez les femmes nées avant 1900 ; pour celles qui suivent, commence à se faire sentir l’inexorable progression des familles de 2 et 3 enfants qui regroupent chacune environ 15 % des femmes dans les générations de 1921 à 1926 ; ces deux catégories ont détrôné celles qui ont eu 6 enfants ou plus qui ne comptent plus alors que pour 20 %. La proportion des femmes qui ont eu au moins un enfant a progressé : elle atteint 80 % chez ces dernières générations. Plus de femmes ont des enfants, mais moins de femmes en ont un grand nombre : tout un changement ! Cette évolution correspond au passage d’un nombre moyen d’enfants de plus de 5 à 3,5. Il est pertinent de rappeler ici que ces comportements se sont produits avant 1960, les femmes nées en 1921-1926 ayant eu 30 ans entre 1951-1956.

FIGURE 2.3. Évolution de la descendance finale et du taux net de reproduction des générations québécoises nées de 1881 à 1961

17La deuxième partie, à droite de la figure 2.4, démarre avec les générations nées en 1926-1931 qui atteignent 30 ans en plein baby-boom ; elles seront les premières toutefois à être moins de 20 % à avoir 6 enfants ou plus ; elles se répartissent à peu près également entre toutes les autres tailles de famille. Les générations suivantes poursuivront inexorablement deux tendances déjà amorcées depuis longtemps : la quasi-disparition des familles nombreuses (même les familles de 4 enfants ne résisteront pas) et la montée fulgurante des familles de 2 enfants qui regroupent presque 40 % des femmes des générations les plus récentes. L’image est par ailleurs embrouillée par des revirements de tendances. D’abord, la progression des familles de trois enfants s’est fortement atténuée dès les générations nées entre 1941 et 1946 qui ont maintenu une moyenne d’environ 2 enfants, grâce à une faible infécondité ; ensuite, une augmentation inattendue des familles à enfant unique et finalement, la reprise de l’infécondité qui remonte à presque 25 % chez les femmes nées en 1956-1961 qui n’ont eu en moyenne que 1,6 enfant. On peut résumer ce changement de paysage tout à fait saisissant en faisant ressortir les grands traits suivants : dans le bas de la figure, on remarque l’importance soutenue de l’infécondité (femmes sans enfant) ; dans le haut, on note la résistance acharnée des grandes familles qui occupent longtemps un espace substantiel ; enfin, la poussée irrésistible des familles de petite taille qui, dans les dernières générations, marginalise complètement les familles de 4 enfants ou plus.

FIGURE 2.4. Évolution de l’importance relative du nombre d’enfants mis au monde par chaque groupe de générations québécoises, 1881-1961

18De façon détaillée, on peut décrire le comportement de certaines générations typiques. Parmi celles qui ont eu 20 ans au début du siècle (générations de 1881 à 1886), environ le quart des femmes (mariées ou pas) n’avaient pas d’enfant du tout ; il est difficile d’établir si pour celles qui étaient mariées, il s’agissait d’un choix volontaire ou de l’effet de la stérilité du couple. Environ 20 % avaient des petites familles de 1 à 3 enfants. Les autres, environ 55 %, avaient au moins 4 enfants, la majorité d’entre elles plus de 6. Celles qui ont eu 20 ans vers les années 1930 (générations de 1911 à 1916) sont aussi nombreuses à ne pas avoir d’enfants du tout ; elles seront par contre presque le double (37,4 %) à avoir de petites familles et seulement 35 % à avoir 4 enfants ou plus, dont plus de la moitié en auront quand même 6 ou plus. Ce sont par contre celles qui auront 20 ans au début des années 1960 (générations de 1941 à 1946) qui verront leur tâche maternelle diminuer de la façon la plus spectaculaire ; elles seront cependant très nombreuses à avoir au moins 1 enfant, environ 85 %. Par contre, l’immense majorité n’aura qu’une petite famille de 1 à 3 enfants (70 %) ; ce sont ces générations qui enclencheront la marginalisation des familles de 4 enfants et plus. Celles qui les suivent et qui constitueront leur descendance au cours des dernières décennies du xx^e siècle n’auront que de petites familles et reviendront à l’infécondité plus fréquente du début. Sans entrer dans la question des ressources matérielles nécessaires pour faire vivre des familles nombreuses, on peut d’emblée conclure que la réduction de la fécondité a libéré une quantité d’énergie formidable en laissant à des couples de plus en plus nombreux, aux femmes en particulier, le temps et la liberté de faire autre chose que de nourrir, de vêtir et d’éduquer plusieurs enfants.

La rupture du caractère inexorable de la forte fécondité

19Les changements fort profonds que la figure 2.4 révèle peuvent être repris sous une forme qui éclaire mieux leur signification. La distribution des femmes selon le nombre d’enfants mis au monde se transforme en une série d’indicateurs appelés en démographie « probabilités d’agrandissement des familles ». Ces indicateurs mettent l’accent sur une autre dimension de l’évolution de la fécondité, soit le contexte familial dans lequel la venue des enfants se réalise ; ce contexte laisse pressentir les formidables changements de mentalité qui ont présidé à la réduction de la fécondité et permet de préciser qui sont les femmes qui ont modifié la tendance. « Probabilités d’agrandissement des familles » est une expression peu familière, mais dont la définition est assez simple et se fonde sur l’enchaînement qui existe entre les diverses tailles de familles. Ces probabilités d’agrandissement se définissent de la façon suivante : il s’agit de la proportion des femmes qui, parmi celles qui ont eu au moins un nombre donné d’enfants, ont un enfant de plus. Par exemple, parmi les femmes qui ont eu au moins deux enfants, une certaine proportion seulement aura un troisième enfant ; la probabilité d’agrandissement des familles de deux enfants sera donc le résultat de la division du nombre de femmes qui ont eu au moins trois enfants par celles qui en ont eu au moins deux. L’ensemble de ces proportions d’un rang de naissance à l’autre donne une bonne idée du contexte dans lequel les couples acceptent ou décident d’avoir des enfants. Ainsi, on peut supposer que tant que la proportion des femmes qui ont un nombre supérieur d’enfants à ceux que les couples ont déjà est élevée, il existe pour ces derniers une sorte d’incitation à avoir un enfant de plus. Par contre, lorsque cette proportion est faible, il y aurait une pression sociale qui soutiendrait la volonté ou la décision de ne pas avoir l’enfant de rang suivant. L’évolution des probabilités d’agrandissement des familles au Québec au cours du dernier siècle porte à croire qu’un tel contexte existe. La figure 2.5 présente l’évolution des probabilités d’agrandissement a₀ à a₅, c’est-à-dire la probabilité d’avoir au moins 1, 2, 3, 4, 5 ou 6 enfants, toujours sous la condition d’avoir eu l’enfant précédent ; l’ensemble des femmes des diverses générations servent de base pour établir la probabilité d’avoir au moins 1 enfant (l’indice utilisé dans les symboles a₀, a₁, a₂, etc. correspond au nombre d’enfants du rang inférieur).

FICURE 2.5. Évolution des probabilités d’agrandissement a₀-a₅ des générations québécoises nées de 1881 à 1961

20On remarque d’abord que la probabilité a₀, qui correspond à la probabilité d’avoir au moins un enfant, est plus faible que toutes les autres jusqu’aux générations nées entre 1911 et 1916 ; ensuite, elle augmente pour atteindre un maximum chez les générations de 1946 à 1951, à partir desquelles une nouvelle baisse s’enclenche. Cette évolution correspond au complément à 100 de la proportion des femmes infécondes déjà montrée à la figure 2.4 (plage du bas de la figure). Ces fluctuations s’expliquent en grande partie par les variations de la fréquence du mariage dans les diverses générations. La probabilité d’avoir un deuxième enfant si on en a déjà un (a₁) se situe quant à elle à un niveau systématiquement plus élevé que celle des autres rangs, phénomène qui se maintient même chez les générations les plus récentes qui enregistrent cependant une baisse ; l’évolution de cette probabilité souligne le maintien de l’idée que lorsqu’on a un enfant, il est « normal » d’en avoir un deuxième. Jusqu’aux femmes nées en 1941, parmi 100 femmes qui avaient un premier enfant, plus de 85 femmes en avaient un deuxième. Quand on considère les probabilités des rangs plus élevés, les courbes suivent une tendance très intéressante : pour chaque génération, la probabilité d’avoir un autre enfant (à tout le moins jusqu’au sixième) est presque identique d’un rang à l’autre ; les courbes sont très proches les unes des autres. Ces probabilités baissent graduellement d’une génération à l’autre, mais se maintiennent à des niveaux supérieurs à 70 % jusqu’aux générations de 1911 à 1916. À partir de ces générations, la diminution des probabilités a₃ et suivantes s’accélère, alors que la probabilité d’avoir un troisième enfant a₂ augmente de façon notable pour les générations nées de 1916 à 1931 ; ensuite, elle retrouvera sa pente descendante. Les générations qui ont eu leurs enfants à la fin du siècle ainsi que celles qui sont présentement à constituer leur descendance associent des comportements qui conduisent inévitablement à une très faible fécondité : probabilités d’avoir un premier et un deuxième enfant de moins de 80 % et probabilités d’environ 30 % pour les autres tailles de famille.

21Comme on vient de le voir, la figure 2.5 met l’accent sur l’évolution dans le temps de chaque probabilité d’agrandissement. La figure 2.6 reprend ces probabilités en les regroupant par génération pour mieux mettre en lumière le contexte familial favorable à la décision d’avoir un enfant de plus. Chaque groupe de bâtonnets correspond ici au comportement d’une génération.

FIGURE 2.6. Probabilités d’agrandissement des familles a₀ à a₅ regroupées selon les générations québécoises nées de 1881 à 1961

22Au tout début du siècle, sur 100 femmes qui avaient un enfant d’un rang donné, presque 90 % avaient le suivant. Pour les générations qui suivent, ce pourcentage baisse de façon soutenue, mais très légèrement, ce qui fait que chez les générations nées entre 1921 et 2926, il sera encore d’au moins 70 % ; on remarque qu’il reste au même niveau d’une taille de famille à l’autre au sein de la même génération. Ce contexte aura certainement contribué à maintenir les valeurs favorables à la forte fécondité québécoise.

23Pour les générations suivantes (1926 et après), la hauteur des bâtonnets commence à varier de façon substantielle à l’intérieur de chaque génération. On entre donc dans une phase où les variations dans les probabilités d’agrandissement indiquent que les femmes commencent à mettre de plus en plus clairement en question l’opportunité de mettre au monde un enfant de plus. Avant d’atteindre les conditions du régime de faible fécondité de la fin du siècle, on assistera à des ruptures dans les comportements qui, tout en marginalisant les familles nombreuses, ont contribué à maintenir les descendances finales au-dessus de deux enfants en moyenne pour la vingtaine de générations qui ont participé au baby-boom : les générations de 1926 à 1946. Ces générations ont combiné un accroissement de la probabilité d’avoir un premier enfant, une forte probabilité d’avoir un deuxième enfant, même si la baisse s’était amorcée chez les générations nées en 1936, et une forte décroissance de celle d’en avoir un troisième avec des probabilités des autres rangs déjà affaiblies par les réductions entre les générations antérieures. Le dernier groupe, soit les femmes nées après 1946, s’installe dans le régime de faible fécondité : graduellement, l’infécondité remonte à 25 % et la probabilité d’avoir un deuxième enfant baisse à 75 %. Les autres probabilités se stabilisent à leur faible niveau d’environ 30 %. Évidemment, comme ces probabilités ne s’appliquent que sur le résultat de l’effet de a₀, a₁ et a₂, qui se multiplient l’une l’autre, elles ne pourraient avoir un effet substantiel sur la descendance que si elles étaient très élevées.

24Les figures 2.7a et 2.7b illustrent le rythme d’évolution de chaque probabilité d’agrandissement. Il s’agit du pourcentage de variation entre deux générations. Tous les points qui se situent en dessous de 0 correspondent à des réductions. Globalement, l’image qui se dégage est très claire : seules les probabilités d’avoir un premier et un deuxième enfant ont été en croissance pendant le xx^e siècle (figure 2.7a, courbes a₀ et a₁₀ ; toutes les autres ont systématiquement baissé de façon modérée [moins de 5 % en général], les fortes baisses [de plus de 10 %] qui signalent des ruptures significatives se produisant chez les générations nées dans les années 1930).

FICURE 2.7a. Variations des probabilités d’agrandissement a₀ à a₂ d’un groupe de générations à l’autre, 1881-1961

25Mettant en relation les descendances moyennes présentées à la figure 2.4, les probabilités d’agrandissement de la figure 2.6 et leur rythme d’évolution aux figures 2.7a et 2.7b, on peut se demander pourquoi la descendance moyenne diminue de 20 % entre les générations nées à la fin du xix^e siècle et celle nées dans les premières décennies du xx^e siècle, alors que les probabilités d’agrandissement a₀ à a₅ ne diminuent que de moins de 5 % ou augmentent légèrement ? Ce sont les très grandes familles qui graduellement perdent du terrain de façon irréversible. Les données dont on dispose ne permettent pas de calculer les probabilités d’agrandissement de rang élevé pour toute la période. Cependant, selon les données des recensements de 1941 et 1961, on constate que le pourcentage des femmes qui ont au moins 10 enfants passe de 27 % (femmes nées entre 1876 et 1886) à 23 % (femmes nées entre 1886 et 1896) à 13 % (femmes nées entre 1896 et 1901) à 8 % (femmes nées entre 1906 et 1911) [en incluant au dénominateur les femmes jamais mariées].

FIGURE 2.7b. Variations des probabilités d’agrandissement a₃ à a₅ d’un groupe de générations à l’autre, 1881-1961

26Poursuivant ce rapprochement entre les descendances finales, les probabilités d’agrandissement et leurs fluctuations, on peut en dégager un cadre pour un essai d’interprétation de l’évolution de la fécondité au cours du xx^e siècle. On remarque en particulier les faibles changements relatifs dans les probabilités d’agrandissement jusqu’aux générations nées en 1931. La descendance finale de ces générations ne descendra pas en dessous de 3 enfants en moyenne. Ce sont elles cependant qui ébranleront la forte fécondité du Québec. C’est la phase des changements quasi imperceptibles, occultés en partie par la surfécondité des Québécoises de ces générations par rapport aux autres Canadiennes. Une deuxième phase s’installe avec les descendances de moins de 3 enfants, mais encore suffisamment élevées pour assurer le remplacement des générations ; c’est la phase de la mise en place du régime de la fécondité désirée par les générations nées de 1931 à 1946. Enfin, les générations de 1946 à 1961 entrent dans la phase de la faible fécondité avec la stabilisation de la probabilité d’avoir 3 enfants ou plus à un faible niveau, combinée à des probabilités a₀ et a₁ fragiles et en baisse liées aux transformations des unions conjugales.

27Avant de présenter un essai d’interprétation de ces phases, deux points seront abordés : les aspirations des jeunes de la fin du siècle et la mise en place de la maîtrise de la fécondité.

Avoir des enfants après 1980 : aspirations et réalisations

28Les jeunes, hommes ou femmes, arrivés aux âges reproductifs dans les années 1980 et 1990, baignent alors dans une atmosphère où avoir des enfants veut dire avoir peu d’enfants. Ces femmes et ces hommes sont en fait les enfants nés dans les années 1960 et 1970, issus eux-mêmes d’une majorité de petites familles de 2 ou 3 enfants.

29Par le biais de l’Enquête sociale générale de 1995 (esg 1995), on peut observer le cheminement des hommes et des femmes nés entre 1956 et 1970 (ils ont alors entre 25 et 39 ans) du point de vue de leurs réalisations en matière de fécondité et leur demander quels sont leurs pronostics pour l’avenir. L’enquête permet de mesurer le nombre d’enfants que ces jeunes ont déjà mis au monde et le nombre qu’ils prévoient avoir au cours de leur vie. Contrairement aux données présentées dans les sections précédentes qui ne portaient que sur les femmes, celles de l’esg 1995 couvrent aussi les comportements et les aspirations des jeunes hommes. Des données sur les pronostics des jeunes nés entre 1971 et 1977 (âgés de 18-24 ans) sont également disponibles.

30La figure 2.8 présente la distribution de ces hommes et de ces femmes selon le nombre d’enfants qu’ils prévoient avoir au cours de leur vie. En moyenne, les hommes et les femmes de 1956 à 1970 prévoient avoir 2,1 enfants respectivement. Les souhaits des hommes et des femmes sont donc très semblables. On note d’ailleurs une très faible proportion qui ne prévoit aucun enfant et, à l’opposé, presque 30 % qui en prévoient 3 ou plus. On se rappellera ici que plus de 20 % femmes nées entre 1956 et 1961, les dernières pour lesquelles les descendances sont complètes, sont restées sans enfant, alors que seulement 20 % d’entre elles ont eu 3 enfants ou plus. On constate par ailleurs qu’au moment de l’enquête, les femmes avaient réalisé environ les deux tiers de leurs pronostics, les hommes pas tout à fait la moitié. Il leur reste bien entendu plusieurs années de vie reproductive à parcourir, mais le contexte dans lequel leur vie se déroule n’est pas annonciateur d’un redressement. Certaines recherches montrent que des facteurs lourds sont associés au retard de la réalisation des aspirations en matière de fécondité, en particulier la popularité de l’union libre comme première union, la précarité des unions, phénomènes auxquels se greffent la poursuite d’études avancées et le déroulement de la vie professionnelle (Lapierre-Adamcyk et Juby, 2001). On reviendra sur ces facteurs dans les explications de l’évolution de la fécondité.

31À la figure 2.8, on remarque également les aspirations des jeunes nés entre 1971 et 1977 ; en moyenne, elles correspondent à 2,5 et 2,4 enfants pour les femmes et les hommes respectivement. Grâce à des observations longitudinales, il a été démontré que les aspirations de fécondité tendent à se réduire au fur et à mesure que les jeunes sont confrontés avec la réalité et les responsabilités que représente le fait d’avoir un enfant (Lapierre-Adamcyk, 1981). Cet ajustement des aspirations face aux contraintes réelles est un processus normal ; mais il témoigne en même temps de l’existence de difficultés qui relèvent sans doute en partie de la façon dont la société soutient, ou plutôt ne soutient pas les aspirations familiales des jeunes.

32L’analyse de la fécondité des générations ayant complété leur fécondité au cours du xx^e siècle révèle des tendances lourdes dans la façon dont les femmes constituent leur descendance. Est-il alors vraisemblable que les jeunes actuels réussissent à avoir plus d’enfants que les dernières générations complètes observées ? Si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle avoir 4 enfants est véritablement devenu un fait exceptionnel, les descendances seront à toute fin pratique formées d’enfants de rang un, deux et trois. Dans ces conditions, pour atteindre une moyenne de 2 enfants nécessaire au renouvellement des générations, il faudrait revenir à une très faible infécondité et à des probabilités d’agrandissement a₁ et a₂ du même niveau que celui du début du siècle. Est-ce réaliste ?

FIGURE 2.8. Distribution des générations nées en 1955-1969 et 1970-1977 selon le nombre d’enfants prévus, Québec, esg 1995

La maîtrise de la fécondité

33Parler de « réaliser ses aspirations » en matière de fécondité laisse entendre qu’avoir des enfants résulte d’une décision rationnelle et pleinement assumée. Cela suppose d’abord qu’il existe un désir d’avoir des enfants, que l’on possède les aptitudes physiologiques adéquates et que l’on dispose de moyens contraceptifs pour éviter d’avoir plus d’enfants que ce qui est souhaité.

34L’examen des comportements en matière de fécondité est en lui-même révélateur des transformations des aspirations de fécondité au cours du xx^e siècle, même si on ne possède pas d’informations directes sur le désir d’avoir des enfants qui existait à chaque décennie. Il est clair cependant qu’au début du siècle, il existait toujours au Québec des attitudes extrêmement favorables à une forte fécondité ; ces attitudes étaient soutenues par le contexte familial lui-même et par les institutions dont la religion catholique était le porte-parole le plus influent à cet égard. Même si le célibat était relativement fréquent en comparaison avec la société nord-américaine et le reste du Canada où il l’était moins, il se justifiait souvent par le choix de la vie religieuse et cela n’allait pas à l’encontre de la valeur accordée au mariage. Ce dernier allait de pair avec l’idée d’avoir des enfants, le principal motif du mariage étant la procréation. Mais en dépit de ce contexte, une brèche dans la fécondité naturelle était déjà présente et, d’une génération à l’autre, apparaît une réduction du nombre d’enfants mis au monde ; cette faille s’est sans doute faite lors des dernières décennies du xix^e siècle et, comme on l’a vu, elle se creuse inexorablement au xx^e, se manifestant par un recul graduel de l’importance relative des grandes familles de 10 enfants ou plus et même de 6 enfants ou plus.

35Indéniablement, les couples de l’époque, à tout le moins bon nombre d’entre eux, sont intervenus pour limiter le nombre d’enfants qu’ils auraient. On connaît assez mal la façon dont les couples arrivaient à limiter leurs naissances. D’abord, on peut croire que les femmes restées célibataires avaient peu de rapports sexuels en général ; d’autre part, l’infécondité des femmes mariées était sans doute généralement attribuable à la stérilité de l’un des conjoints. Parmi les femmes qui avaient peu d’enfants (environ 30 % avaient de 1 à 5 enfants), certaines étaient sans doute aussi affectées par des problèmes physiologiques liés à la fertilité ou à la santé ; elles se sont aussi souvent mariées plus tardivement et certaines sont sans doute devenues veuves prématurément. Gauvreau et Gossage (1997) apportent un éclairage fort intéressant sur la question des moyens contraceptifs en combinant une analyse de données qualitatives et quantitatives qui portent sur la période de 1920 à 1960, mais on peut croire que les comportements de cette période se sont amorcés avant même le début des années 1900. Il n’est pas certain qu’il ait existé une volonté claire de limiter le nombre de naissances, mais il apparaît que les couples ont voulu au moins espacer leurs naissances ; il semble qu’il était alors connu que l’allaitement maternel pouvait avoir un tel effet et des données qualitatives indiquent que certaines femmes y auraient recouru dans ce but. D’autre part, le coït interrompu aurait aussi été pratiqué, ce qui exigeait bien sûr la collaboration des maris. Mais en définitive, on peut croire que c’est surtout par l’abstinence périodique (ce qui exigeait aussi et peut-être encore plus la collaboration des maris !) plus ou moins prolongée que les couples ont réduit leur fécondité ; les autres méthodes disponibles à l’époque, comme le préservatif et le diaphragme, n’auraient été que très peu utilisées. Dans ce contexte, il est évident que le degré de communication entre les conjoints au sujet du nombre d’enfants souhaité et souhaitable, et au sujet des moyens d’arriver à réaliser ces désirs ait constitué un élément important du processus de la reproduction.

36D’ailleurs, des données quantitatives rétrospectives existent grâce à l’enquête sur la fécondité des femmes québécoises de 1971, réalisée sous la direction de Jacques Henripin. L’histoire qui s’en dégage montre que 45 % des femmes des générations de 1906 à 1935 qui s’étaient mariées avaient utilisé une méthode contraceptive (Gauvreau et Gossage, 1997). Pour les générations suivantes observées en 1971, ce pourcentage s’élèvera à plus de 75 % (Henripin et al., 1981) et pour celles observées en 1984 et 1995 (MarcilGratton et Lapierre-Adamcyk, 1989 ; Ouellet, 1999), à plus de 80 %. Ces pourcentages illustrent la lente, mais incontournable généralisation du recours à la contraception. Une image plus détaillée des comportements a d’ailleurs été présentée par Nicole Mardi-Gratton dans Les enfants qu’on n’a plus au Québec (Henripin et al., 1981). Regroupant les femmes interrogées en 1971 selon l’époque de leur mariage, elle observe le comportement en matière de contraception à l’intérieur même de la constitution de la famille, en notant si les couples recourent à la contraception entre chacune des naissances et, le cas échéant, quelle méthode ils adoptent. Voici quelques faits saillants de cette analyse :

• En ce qui concerne la progression du recours à la contraception d’une époque à l’autre, le taux d’utilisation passe de 29 % pour les promotions d’avant 1946 à 59 % pour celles de 1946-1960, puis à 77 % pour 1961-1965.
• Parmi les femmes qui déclarent avoir déjà utilisé la contraception pour chaque promotion de mariage, la progression du taux d’utilisation d’un intervalle de naissance à l’autre se dessine ainsi : parmi les femmes mariées avant 1946, dont moins de 30 % disent avoir utilisé une méthode, ce taux passe de 27 % à 61 % de l’intervalle qui précède la première naissance à celui qui suit la quatrième ; par contre, parmi les femmes mariées entre 1966 et 1971, dont 77 % avaient utilisé une méthode contraceptive, 70 % l’ont fait dès leur mariage et 91 % après leur deuxième enfant.
• Parmi les méthodes utilisées, la préférence est accordée à l’abstinence périodique chez les femmes mariées avant 1960 (de 55 % à 65 % selon les intervalles).
• Parmi les utilisatrices mariées après 1960, on note la progression du recours à la pilule anovulante comme méthode préférée à partir de l’arrivée du troisième enfant, même du premier chez celles mariées après 1965.

37Les figures 2.9a et 2.9b reprennent quelques éléments frappants, en opposant les taux d’utilisation lors de l’intervalle protogénésique et de l’intervalle entre le premier et le deuxième enfant, ainsi que les méthodes utilisées pour les mariages d’avant 1946 et ceux de 1966-1971.

38On peut soupçonner qu’il existe une sous-déclaration du recours à la contraception, même si le questionnaire utilisé permettait aux répondantes de reconstruire leur historique de fécondité et de contraception. D’une part, certaines femmes qui pratiquaient une forme ou l’autre d’abstinence ont pu ne pas admettre que cela leur tenait lieu de pratique contraceptive : elles « faisaient attention », mais pratiquaient-elles la contraception ? D’autres, dont le mari pratiquait le retrait, n’ont peut-être pas voulu le dire, la pudeur pouvant encore, au moment de l’enquête, les rendre discrètes. Ce point d’observation de 1971 procure toutefois un éclairage impressionnant sur la façon dont la contraception s’est généralisée au Québec ; même sous-évaluée, elle confirme l’existence d’une volonté de plus en plus répandue d’avoir moins d’enfants, et cela, chez les femmes qui s’étaient mariées avant 1946. On se rappellera qu’aucune génération née au xx^e siècle n’a mis au monde plus de quatre enfants en moyenne et que les probabilités d’agrandissement des familles de quatre enfants et plus ont été en décroissance, sans retour en arrière depuis des décennies. Cela ne pouvait se produire sans une intervention contraceptive soutenue, même si les pratiques étaient souvent inefficaces (Henripin et al., 1981).

39Les jeunes femmes interrogées en 1971 et réinterviewées en 1976 allaient d’ailleurs confirmer de façon éclatante l’accélération du recours à la contraception, non seulement par une pratique presque universelle, mais par l’adoption fréquente de la stérilisation contraceptive, méthode efficace et irréversible (Henripin et al., 1981). Une fois les enfants désirés mis au monde, cette méthode largement accessible, gratuite, sans conséquence nuisible pour la santé, allait vite remplacer la pilule anovulante chez les femmes de plus de 35 ans. Les enquêtes sur la fécondité de 1984 et sur la famille de 1995 allaient démontrer clairement que les tendances détectées en 1976 s’étaient bien ancrées dans les comportements contraceptifs (Marcil-Gratton et LapierreAdamcyk, 1989 ; Marcil-Gratton, 2000).

FIGURE 2.9a. Évolution des pratiques contraceptives selon la promotion de mariage, intervalle entre le mariage et la première naissance, Québec, 1971

40Ouellet (1999), se fondant sur l’Enquête sociale générale de 1995, analyse le recours à la contraception des femmes en âge de procréer à la fin du xx^e siècle. Elle adopte une perspective qui lie le comportement contraceptif au cycle de vie des hommes et des femmes et démontre que leur situation matrimoniale ainsi que l’état d’avancement de la réalisation de leurs désirs d’enfants constituent les facteurs déterminants du recours à la contraception et du choix des méthodes adoptées. Pour simplifier la présentation, seuls quelques indicateurs spécifiques du comportement contraceptif des femmes ont été inclus dans la figure 2.10 ; les hommes adoptent des comportements tout à fait comparables, adaptés à leur situation.

FIGURE 2.9b. Évolution des pratiques contraceptives selon la promotion de mariage, intervalle entre la première et la deuxième naissance, Québec, 1971

41On observe d’abord la croissance de l’utilisation d’un moyen contraceptif avec le déroulement du cycle de vie ; il n’atteint jamais 100 %, car les circonstances particulières des individus les amènent à interrompre le recours à la contraception de façon temporaire. Bien sûr, avant l’âge de 25 ans, les jeunes qui utilisent une méthode recourent sans exception, ou presque, à des méthodes réversibles, mais rapidement par la suite, dès que les enfants souhaités sont nés, les méthodes non réversibles, tout autant la stérilisation masculine que féminine, interviennent. Le pourcentage atteint déjà presque 50 % des utilisatrices de contraception à 25-39 ans ; il est de plus de 80 % chez les femmes de 40 ans et plus, en incluant les stérilisations effectuées pour des motifs médicaux. Enfin, on voit que le recours à la pilule anovulante parmi les femmes qui utilisent une méthode réversible décroît avec l’âge. Cela s’explique sans doute par deux raisons : certaines femmes éprouvent des difficultés physiologiques et ne peuvent prendre la pilule ; par ailleurs, le besoin de se protéger des maladies transmises sexuellement a favorisé le recours aux préservatifs et certaines jugeront alors inutile le recours à la pilule, si leur partenaire utilise déjà une méthode.

FIGURE 2.10. Divers indicateurs d’utilisation de la contraception chez les femmes québécoises en fonction du cycle de vie, Québec, esg 1995

42En somme, les données de 1995 confirment bien que le recours à la contraception fait partie intégrante de la vie des couples stables ou non, et que les choix se font en fonction des différentes étapes du cycle de vie, particulièrement en fonction de la situation conjugale et du désir d’avoir des enfants. Malgré cette intégration des comportements contraceptifs, la maîtrise complète de la fécondité n’est pas encore atteinte, car parler de « maîtrise » de la fécondité suppose que les conceptions se produisent lorsque les couples le souhaitent. Or, d’une part, certains couples ne parviennent pas à concevoir et cela pose tout le problème du traitement de la stérilité. À cet égard, la stérilité acquise lors du recours à la stérilisation contraceptive n’est pas sans présenter un certain nombre de difficultés lorsque la décision est prise prématurément ou sans réflexion approfondie ; le regret existe et, dans certains cas, conduit à des demandes de retour à la fertilité (Marcil-Gratton, 2000). Ces questions complexes ne seront pas abordées ici. D’autre part, des conceptions non souhaitées se produisent ; dans certains cas, elles sont acceptées par les couples et des enfants « plus ou moins » désirés naissent. On sait que ce type de fécondité est devenu moins fréquent. Lorsque la conception n’est vraiment pas souhaitée, l’avortement est souvent envisagé, surtout depuis que la loi canadienne ne le criminalise plus (Desmarais, 1999) et qu’il ne souffre plus de la forte réprobation sociale qui l’a longtemps marqué. Difficile à mesurer jusqu’à tout récemment, le recours à l’avortement fait dorénavant l’objet de statistiques publiées par l’Institut de la statistique du Québec grâce aux données de la Régie de l’assurance maladie du Québec. La figure 2.11 montre les taux d’avortement selon l’âge, pour deux années qui ont presque 25 ans d’écart. Les taux les plus élevés sont ceux des femmes de 20-24 ans, suivis de près de ceux des 25-29 ans et 15-19 ans. La progression a été rapide à tous les âges, mais elle est plus marquée pour les groupes où l’avortement était le plus fréquent : le taux se multiplie par plus de 5 à 15-19 ans et à 20-24 ans. Cette évolution illustre bien le fait que la maîtrise de la fécondité n’est pas encore tout à fait définitive et que les connaissances en matière de contraception ainsi que la volonté d’y recourir de façon soutenue ne sont pas complètement acquises. Il s’agit par ailleurs plus d’une question d’éducation et de santé publique que de démographie.

FIGURE 2.11. Évolution des taux d'avortement selon l’âge, Québec, 1975 et 1999

Réduction de la fécondité : essai d’interprétation

43Dans un texte récent sur les régimes de faible fécondité qui prévalent en Occident, MacDonald (2001) suggère une démarche d’interprétation de la fécondité fort appropriée. Il incite les auteurs à s’éloigner de la recherche d’une théorie globale, qui expliquerait tout une fois pour toutes, pour plutôt s’arrêter à des explications plus limitées, complémentaires les unes des autres, qui peuvent prendre une importance plus ou moins grande suivant les époques, les sociétés et leur état d’avancement social et économique. Par ailleurs, Van de Kaa (1996) présente une brillante synthèse des diverses théories que les démographes ont élaborées au fil des décennies pour expliquer l’évolution de la fécondité dans le cadre des deux transitions démographiques. Selon cet auteur, cinq grandes perspectives permettent d’organiser les réflexions théoriques : les déterminants « proches » de la fécondité ; la rationalité économique ; le changement social ; l’innovation et la diffusion du changement ; les transformations culturelles et institutionnelles. Voici une courte présentation de ces perspectives théoriques qui soutiendront l’essai d’interprétation qui suit.

Fécondité et déterminants proches

44La fécondité est un phénomène qui résulte d’un processus social complexe qui détermine les comportements humains pour assurer la reproduction de la société. Les processus sociaux interviennent à trois niveaux différents qui mènent les couples à avoir des enfants : les conditions qui encadrent les rapports sexuels, les conditions qui permettent la conception, et, finalement, les conditions qui favorisent les naissances. Les travaux de Bongaarts et Potter (1983) identifient quatre facteurs qui synthétisent ces diverses conditions et permettent d’expliquer la majorité des variations de la fécondité. Ces facteurs réduisent la fécondité maximale jusqu’aux divers niveaux observés. Il s’agit de la nuptialité, de l’usage de la contraception, du recours à l’avortement et des périodes d’infécondabilité post-partum, principalement liées à la durée de l’allaitement maternel. Trois des nombreuses conclusions qui se dégagent des travaux ayant fait appel à ces facteurs, semblent particulièrement pertinentes pour le cas du Québec. Ainsi, dans un régime de fécondité naturelle, les variables les plus susceptibles d’influencer le niveau de fécondité sont la nuptialité et l’infertilité attribuable à l’allaitement ; c’était le cas au Québec au milieu du xix^e siècle. Ensuite, le contrôle de la fécondité par la contraception et l’avortement aura d’abord des effets réducteurs sur les taux de fécondité des classes d’âges les plus élevées, donc sur la venue des enfants de rang élevé. Enfin, la substitution des méthodes de contraception traditionnelles par des méthodes plus modernes affecte grandement la fécondité.

Fécondité et rationalité économique

45À la suite des travaux de Becker (1960), de nombreux chercheurs ont tenté de démontrer que les décisions en matière de fécondité répondent à une logique de nature économique. Cela signifierait que le désir (la demande) d’avoir des enfants augmenterait en fonction du revenu, mais que ce désir serait en même temps soumis aux contraintes que représente le coût de l’enfant. En d’autres termes, les couples, en supposant qu’ils disposent de toute l’information nécessaire pour maîtriser leur fécondité, décideraient d’avoir des enfants de la même façon qu’ils décident d’acheter des biens de « consommation durable » ; le principe qui les guide alors consiste à maximiser la satisfaction qu’ils retirent de la consommation de ces biens, compte tenu des ressources dont ils disposent. La rationalité veut que les couples tiennent alors compte non seulement de leur revenu, mais de toutes leurs ressources, et qu’ils prennent en considération le coût que représentent les enfants, incluant le coût direct de les faire vivre et de les éduquer, mais aussi le coût indirect. Ce dernier correspond au manque à gagner qui découle de la nécessité de consacrer du temps aux enfants, temps qui pourrait être consacré à des activités lucratives auxquelles il faut renoncer ; plus lucratives sont ces activités, plus le coût des enfants apparaîtra élevé. D’autre part, les couples doivent évaluer les satisfactions anticipées, non seulement en termes matériels, mais aussi psychologiques, prenant en compte leurs goûts et leurs préférences. Dans ce processus de rationalisation, de nombreux éléments entrent donc en ligne de compte. Deux dimensions apparaissent plus importantes : derrière l’idée du coût indirect des enfants qui résulte du fait que le temps consacré aux enfants n’est pas rétribué, on trouve la complémentarité des rôles des hommes et des femmes dans la production du ménage qui s’est cristallisée dans le monde industriel, les premiers devant assurer la survie économique par leur travail, les dernières étant responsables des enfants et des travaux domestiques. Tant que le manque à gagner créé par le retrait des femmes du marché du travail est minime ou compensé par une structure salariale qui tient compte des responsabilités familiales des hommes, le coût indirect des enfants sera perçu comme faible ; mais dès lors que les mères doivent renoncer à des emplois bien payés, ce coût augmente. La deuxième dimension intéressante porte sur le développement des goûts et des préférences des jeunes couples, qui s’effectuerait surtout pendant le processus d’éducation dans leur famille d’origine ; si les jeunes jugent qu’il leur est difficile d’atteindre un niveau de vie semblable à celui de leurs parents, ils pourraient être amenés à reporter à plus tard leurs projets de fécondité, même à les réduire afin de se procurer des satisfactions dont les enfants les priveraient.

Fécondité et changement social

46Dans cette perspective, divers auteurs affirment que l’interprétation des comportements fondée sur l’existence d’une rationalité économique sous-jacente aux décisions en matière de fécondité doit être encadrée par la prise en compte des conditions sociales, entre autres de la structure de la famille et de ses éventuelles modifications. Même s’il était « rationnel » que la fécondité baisse à un niveau toujours plus bas, ou à l’inverse, qu'elle augmente à des niveaux de plus en plus élevés, les conditions sociales délimiteraient des valeurs minimales et maximales. À titre d’exemple, Caldwell (1982) soutient que la famille traditionnelle, unité de production et de consommation, est favorable à une forte fécondité, car dans ce type de famille, la richesse créée par les enfants appartient aux parents ; pour passer à une faible fécondité, une telle société doit graduellement évoluer vers un type d’organisation sociale où la production économique des parents doit être consacrée aux enfants, sans que la production de ces derniers n’appartienne aux parents. En ce sens, un système de production qui se développe à l’extérieur de la famille favorise une faible fécondité. Cette perspective repose sur la nature des liens intergénérationnels et sur la direction que prennent les échanges entre parents et enfants.

47La valeur que prend l’enfant dans la société constitue aussi une dimension rattachée aux conditions sociales. Lorsque l’enfant ne remplit plus de fonction économique, mais au contraire exige que l’on investisse dans sa formation, la fécondité tend à diminuer. De façon parallèle, lorsque l’environnement social stimule les aspirations personnelles des individus, la décision d’avoir des enfants fait de plus en plus l’objet d’un choix délibéré et fait de moins en moins partie intégrante d’un cheminement tracé d’avance.

48On peut aussi inclure ici la dynamique des relations entre hommes et femmes et de leur rôle respectif dans la société. La redéfinition du rôle des femmes, qui inclut, en plus de celui d’épouse et de mère, celui de productrice participant au marché du travail, modifie la valeur de l’enfant et la replace dans l’éventail des possibilités de contribution à la vie de la société. S’il n’existe pas de redéfinition simultanée de la place des hommes dans la famille, la tension créée par le bris de la complémentarité des rôles traditionnels favorisera une faible fécondité.

Innovation et diffusion du changement

49Cette approche est surtout pertinente pour la question relative aux innovations en matière de méthodes et de pratiques contraceptives et pour cerner quelles sont les conditions qui permettent à l’innovation de pénétrer les sociétés. Les pratiques contraceptives peuvent donc être perçues comme des innovations qui se répandent d’une femme ou d’un couple à l’autre, d’un groupe social ou d’une région à l’autre, selon un processus qui dépend des formes de communications et qui suit un cheminement original dans chaque milieu. On peut supposer que le point de départ du processus dépend de conditions particulières, mais que lorsque la diffusion est relativement bien engagée, elle se poursuivra indépendamment des circonstances qui l’ont provoquée. On s’est par ailleurs interrogé sur l’effet spécifique des pratiques contraceptives novatrices sur l’évolution de la fécondité déjà enclenchée sous l’influence des changements sociétaux plus globaux. Trois situations spécifiques ont été analysées, sans que les conclusions ne soient définitives : le cas du déclin historique de la fécondité en Europe (Watkins, 1986) ; la diffusion des pratiques contraceptives dans les pays en développement contemporains (Bulatao et Lee,1983) et finalement, le cadre de la seconde transition démographique dans les pays développés (Van de Kaa, 1993). Dans ce dernier cas, tout à fait pertinent pour la question de la fécondité québécoise, on peut se demander si l’avènement des méthodes contraceptives très efficaces, comme la pilule anovulante et la stérilisation contraceptive, ont joué un rôle que l’on peut distinguer de celui des profonds changements de mentalités qui ont marqué cette révolution.

Fécondité et changements culturels

50Cette perspective présentée par Lesthaeghe (1988) soutient que la montée de l’individualisme, c’est-à-dire la prise de conscience que les individus peuvent prendre des décisions en fonction de critères personnels plutôt que suivant les objectifs des différentes institutions qui encadrent la vie sociale, constitue le moteur du passage d’un régime de forte fécondité à un régime de faible fécondité. L’affaiblissement des valeurs familiales, religieuses et collectives qui s’est graduellement produit au xx^e siècle serait sous-jacent à la transformation des valeurs entourant la volonté d’avoir des enfants. On prend dorénavant la décision d’avoir ou non un enfant en fonction de la perception que l’on a que cet enfant contribuera à son épanouissement personnel, non plus pour prolonger la lignée ou préserver le patrimoine familial. Ce facteur est également sous-jacent à la transformation du mariage et de la famille elle-même.

51Peut-on s’inspirer de ces diverses perspectives pour proposer une interprétation de l’évolution de la fécondité québécoise au cours du xx^e siècle ? Si la prudence suggérée par MacDonald guide la réflexion, plusieurs de ces explications semblent pertinentes pour éclairer la situation québécoise, sans pour autant pouvoir prétendre répondre à toutes les questions. De nombreux auteurs ont déjà fait appel à ces idées pour comprendre les transformations de la fécondité québécoise et nous ne ferons que les reprendre ici pour jeter un éclairage sur la longue période que représente le xx^e siècle (Henripin, 1989 ; Mathews, 1984 ; Gauvreau, 1994 ; Beaujot, 2000).

52Nous avons déjà parlé des trois phases qui se dégagent des comportements des générations qui ont complété leur descendance au cours du xx^e siècle. Nous les reprendrons ici. Malgré leur délimitation fondée sur les générations qui donne une apparence de précision, elles se chevauchent et leurs contours restent flous, mais elles se démarquent par la nature des forces qui sous-tendent les changements en matière de fécondité : la phase des changements quasi imperceptibles ; la phase de la mise en place du régime de la fécondité désirée ; la phase de l’incertitude.

53Les changements graduels. Cette phase est la plus longue des trois. Elle s’enchaîne directement avec la fin du xix^e siècle où les femmes ont encore plus de 5 enfants en moyenne, et dure jusqu’au moment où elles ont un peu moins de 3 enfants. C’est l’époque du passage de la vie rurale à la vie urbaine, du monde agricole au monde industriel ; c’est aussi l’époque de la généralisation de l’instruction. Les rôles des hommes et des femmes se cristallisent : contrairement au milieu agricole où la production économique se faisait en grande partie grâce au travail combiné et complémentaire des deux époux, le monde urbain consacre la division du travail entre les hommes qui deviennent l’unique gagne-pain par leur travail à l’extérieur du foyer, et les femmes qui demeurent à la maison à s’occuper des tâches domestiques et de l’éducation des enfants. D’autre part, la société est alors marquée par le maintien de l’influence dominante de l’Église catholique et de ses valeurs familiales traditionnelles, caractérisée par sa résistance farouche à toute intervention en matière de contraception. Par contre, sans que le climat global ne change, c’est aussi l’époque de l’apparition timide des idées sur le nombre d’enfants que l’on juge souhaitable, des tentatives plus ou moins réussies d’espacement des naissances, de la diffusion des connaissances plus précises sur le cycle de la fertilité qui renforceront à la fin de la phase la faible efficacité de l’abstinence périodique. Cette phase correspond donc aux changements induits par les grandes transformations structurelles de la société ; on observait déjà à la fin du xix^e siècle des variations de comportements entre les groupes socioéconomiques définis par l’habitat, le niveau d’instruction, la profession. Non seulement l’augmentation des groupes où la fécondité était plus faible s’est-elle produite et a provoqué une baisse de la fécondité moyenne, mais la mise en place de la société urbaine et industrielle a suscité une baisse généralisée de la fécondité : par exemple, les couples des régions rurales se sont mis à avoir moins d’enfants que dans le passé, tout comme les moins instruits ont réduit leur fécondité. Le changement s’étant amorcé dans certains groupes sociaux, il s’est répandu à l’ensemble des couches sociales, même si des contrastes ont continué d’exister. D’un point de vue théorique, on peut supposer que le changement s’est enclenché sous l’effet des transformations liées à la modernisation, telle que la décrivent les partisans de la théorie de la transition démographique. On peut aussi avancer que la diffusion des connaissances, même rudimentaires, en matière de contraception, en dépit de l’opposition de l’Église, a suscité une réflexion sur le nombre d’enfants et a permis d’espacer les naissances et d’éviter celles qui n’étaient pas désirées. Ainsi, la théorie des « déterminants proches » apporte un éclairage sur ces changements quasi imperceptibles ; ils n’auraient pas pu avoir lieu sans intervention contraceptive volontaire. On peut ajouter que la proportion relativement élevée de célibataires ainsi que l’âge plutôt tardif au moment du mariage, deux éléments qui font partie de ces déterminants proches, ont aussi contribué à réduire la fécondité, surtout celle de la fin des années 1920. Les grandes familles dont la persistance a caractérisé le Québec ne sont pas disparues d’elles-mêmes, mais bien par une lente mais inexorable volonté des couples de s’ajuster au monde moderne.

54La rupture irréversible. Cette phase se démarque par la constitution d’une descendance moyenne de 2 enfants, suffisante pour assurer le remplacement des générations. Elle est enclenchée par les femmes nées pendant les années 1930 et consacrée par celles nées au début des années 1940, qui seront les premières à adopter des comportements qui s’éloignent brutalement de ceux des femmes nées cinq ans avant elles. Elles sont en effet les premières à réduire d’au moins 10 pour cent leur probabilité d’avoir un troisième enfant et les enfants de rang supérieur par rapport à celles qui les précèdent. Pourquoi ces générations qui sont arrivées à l’âge de la reproduction en plein baby-boom ont-elles bousculé les tendances de fond ? Parmi les explications théoriques possibles, trois semblent prédominer : le développement graduel de la pensée « économiste » et son intégration dans la façon de penser des individus, la montée du mouvement féministe et la disponibilité des moyens contraceptifs efficaces. Ces femmes bénéficient du contexte de grande prospérité économique qui marque les années 1950 ; elles sont nombreuses à se marier et se marient jeunes, ont rapidement un premier et un deuxième enfant ; elles prennent cependant conscience que le troisième, éventuellement le quatrième, pèsera sur le niveau de vie, qu’il faudra se serrer la ceinture pour faire vivre ces enfants supplémentaires ; elles veulent des enfants qui deviendront instruits ; elles souhaitent que, tout autant leurs filles que leurs garçons, aillent à l’université. La majorité d’entre elles n’ont sans doute pas encore mis dans la balance le « coût » de leur temps, car elles se sont vite retirées du marché du travail au moment de leur mariage ou de l’arrivée de leur premier enfant. Mais ces générations tiennent compte du coût direct de l’enfant. C’est pendant la période où elles sont en pleine vie reproductive que la remise en question du rôle traditionnel des femmes se produit, ce qui constitue un changement socioculturel très profond. Avec la prédominance du mode de vie urbain, la vie des femmes est presque totalement absorbée par le travail domestique et l’éducation des enfants ; si elles travaillent à l’extérieur avant leur mariage, les femmes se retirent du marché du travail, le plus souvent dès leur mariage, toujours au moment de la naissance de leur premier enfant. Ce cheminement a été remis en question par les femmes qui ont provoqué la phase de la rupture et mis en place les conditions du régime de fécondité désirée. D’une part, apparaîtrait timidement chez certaines d’entre elles l’idée qu’il y a des coûts indirects au fait d’avoir des enfants. Il y a donc un prix à payer pour avoir des enfants : exactement le manque à gagner lorsque l’on se retire du marché du travail. C’est la rationalité économique qui s’approfondit et qui s’épanouira lors de la phase suivante, mais c’est aussi et avant tout la volonté des femmes de rééquilibrer leur vie, de se valoriser grâce à leur contribution à la vie sociale et économique, non plus uniquement par le biais de leur rôle d’épouse et de mère. Un autre changement d’ordre culturel s’est aussi produit simultanément, sans que la société ne s’en rende compte immédiatement : c’est l’effritement de l’influence de l’Église catholique dans la vie des couples québécois, même si le discours officiel s’est maintenu dans toute sa rigueur pendant encore longtemps et que la pratique religieuse ne s’est effondrée qu’à la fin des années 1960. Cependant, les générations des années 1930 et 1940 ont cessé de se sentir obligées de suivre les directives de l’Église et ont voulu décider combien d’enfants elles auraient en fonction de leurs aspirations personnelles. En 1971, lors de l’enquête sur la fécondité, ces femmes ont confirmé qu’elles n’avaient aucune intention de suivre les directives de l’Encyclique de Paul VI sur la contraception et l’interdiction de la pilule. Le troisième élément porte d’ailleurs sur la disponibilité de moyens contraceptifs efficaces et la volonté d’y recourir. Si les femmes qui ont contribué à cette rupture n’ont pas été nombreuses à faire usage de contraception avant la naissance de leur premier enfant, elles l’ont fait par la suite et ont adopté la pilule anovulante en proportion relativement élevée après leurs deuxième et troisième enfants, pour ensuite majoritairement mettre un terme à leur vie fertile par le recours à la stérilisation contraceptive, surtout féminine. Elles ont par ce comportement radical signifié leur refus d’avoir plus d’enfants quelles n’en souhaitaient ; plusieurs avaient d’ailleurs en cours de route réduit leurs aspirations. On s’interroge souvent sur le rôle de la contraception comme moteur de la réduction de la fécondité. Bien sûr, les couples recourront à la contraception pour éviter d’avoir des enfants non souhaités. Cela laisse entendre que la contraception ne serait que l’accessoire, le désir étant la force dominante. On peut cependant aussi avancer que la disponibilité de méthodes efficaces, d’utilisation facile et non directement liées au déroulement des rapports sexuels comme la pilule anovulante, a renforcé le désir d’avoir peu d’enfants. Une telle méthode a donné aux couples la possibilité d’envisager le fait d’avoir des enfants comme un véritable choix, donnant ainsi prise à la réflexion sur ce qu’apporte l’enfant comme source de satisfaction et comme source de responsabilités et de contraintes. Complété par la stérilisation contraceptive, de nature irréversible, l’éventail des moyens contraceptifs modernes constitue donc un facteur déterminant, non seulement de la fécondité, mais du désir d’avoir des enfants.

55L’incertitude. C’est la phase du régime de la sous-fécondité dans lequel s’est terminé le xx^e siècle. Les hommes et les femmes qui sont à l’âge de la reproduction ont bien intégré les valeurs qui ont émergé au cours des phases précédentes, entre autres celle selon laquelle mettre des enfants au monde doit résulter d’un choix personnel qui contribue à l’épanouissement des personnes, que l’enfant constitue une responsabilité, qu’il comporte des coûts directs et indirects et que par ailleurs il entre en concurrence avec d’autres biens que l’on voudrait se procurer ou avec d’autres activités auxquelles on voudrait participer. Ils ont aussi intégré l’idée que la sexualité n’est plus obligatoirement rattachée à la vie de couple stable et que cette dernière ne conduit pas nécessairement à la fécondité. Ces divers éléments ont transformé le processus de reproduction autrefois profondément encadré par des normes et des institutions qui laissaient peu de place à la volonté des individus. Le nouveau contexte en est un qui donne toute la place au choix individuel, où les automatismes sont à peu près disparus. Tout ce qui touche la reproduction est en redéfinition : les relations hommes-femmes, les rôles masculins et féminins, l’engagement conjugal, le système de filiation et les liens entre parents et enfants. Et ces transformations se déroulent sur fond de profondes mutations du système économique, lui-même marqué par le relâchement des institutions qui apportaient une certaine stabilité à la vie économique et au déroulement de la vie professionnelle. Comment prendre alors la décision d’avoir des enfants ? Il s’agit d’une des rares décisions qui demandent un engagement à long terme. À peu près toutes les autres dimensions de la vie des hommes et des femmes peuvent, et souvent, doivent être modifiées, réorientées, pour permettre d’augmenter ou de maintenir le bienêtre psychologique et économique, pour ne pas s’empêtrer dans des avenues sans issue et profiter des nouvelles possibilités qui conduisent à la réalisation de leurs aspirations profondes. Faut-il rappeler que ces changements sociaux et culturels s’effectuent en même temps qu’une réorganisation profonde du marché du travail ? Cette refonte crée des conditions d’emploi souvent plus flexibles, mais aussi plus précaires et moins prévisibles. Les cheminements en ligne droite ne semblent plus faire partie de l’horizon des jeunes ; dans ces itinéraires tortueux, la place de l’enfant reste à réinventer.

56Parmi les aspirations profondes qui animent les jeunes, le désir d’avoir un enfant qu’ils expriment est-il suffisamment fort pour pouvoir se réaliser ? Le contexte familial, social et économique offre-t-il le soutien nécessaire pour prendre une décision dont l’aboutissement ne sera favorable que s’il bénéficie de stabilité et de sécurité ? Les tendances lourdes du xx^e siècle débouchent sur un avenir incertain à propos duquel il est difficile d’entrevoir des renversements : le régime de faible fécondité semble solidement ancré désormais.