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Sur la scène du crime

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Michel Porret

Troisième partie. Le corps en preuve

Chapitre 10. Sur le théâtre du suicide

Texte intégral

  • 1 A. Bayet, Le suicide et la morale, Paris 1922 ; reprint, New York, 1975, p. 634.

J’ai cherché en vain dans les Correspondances, les Mémoires, les romans, un récit montrant des gens du peuple face à face avec le suicide1.

  • 2 L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977, p. 553-582.
  • 3 Voir Michael MacDonald et Terence R. Murphy, Sleepless Souls. Suicide in Early Modern England, Oxf (...)
  • 4 Les lois criminelles de France dans leur ordre naturel, op. cit., p. 183.
  • 5 M. J. Seidler, « Kant and the Stoics on Suicide », Journal of the History of Ideas, XLIV, 1983, p. (...)
  • 6 Voir Samuel-Auguste Tissot, Avis au peuple sur sa santé, dans Œuvres complètes, Paris, 1813 (1761) (...)

1La « mort a toujours été un fait social et public », écrit Philippe Ariès en évoquant la manière dont la société contemporaine « dissimule » les rites de la mort et du deuil2. Souvent dissimulée, la « mort volontaire » inquiète les survivants hantés par le geste fatal. Sous l’Ancien Régime, en Europe catholique et réformée, le suicide révèle la détermination d’un individu qui choisit cette mort, soit par goût « philosophique », soit pour fuir la maladie ou la « mélancolie » morbide. Familier en anglais dès 1630, le mot suicide s’impose en français vers 1732. Il remplace « homicide de soi-même » ou crime contre sa propre chair3. Selon le juriste Pierre-François Muyart de Vouglans, le suicide désigne l’« [h]omicide que l’on commet volontairement sur soi-même, soit en se poignardant, s’empoisonnant, s’étranglant, se cassant la tête, se noyant, ou de quelque autre manière4 ». Marquée par la tolérance des « philosophes » (Montesquieu, Voltaire, Helvétius), l’opinion lettrée des Lumières considère le suicide comme une pathologie plutôt qu’un crime. Si la notion de péché liée à la mort volontaire recule, le Dictionnaire de Trévoux la qualifie encore en 1771 comme le « système des lâches ». « Tragédie individuelle » ou « maladie sociale » : vers 1750, le dilemme kantien du « rebelle social5 » ne recoupe pas encore le déterminisme psychiatrique ou sociologique. Drame humain, « contraire à la nature », le suicide aggraverait le régime démographique déprimé selon certains médecins des Lumières6. Dans la société traditionnelle, il donne tout son sens à la « mauvaise mort », que le désespéré choisit par « libre volonté », contre celle de Dieu, pour fuir l’épreuve de la vie chrétienne. Les survivants déplorent le suicide du désespéré (jeune, âgé), car, en « quittant la vie », il « abandonne » les siens qu’il livre à la culpabilité. « Geste fou » brisant la « belle physionomie » humaine selon les proches, le suicide légitime l’intervention judiciaire.

  • 7 Sur la sociologie du suicide à Genève, voir Laurent Haeberli, « Le suicide à Genève au XVIIIe sièc (...)
  • 8 PC 13346, « Suicide ».

2À Genève, le suicide entraîne l’« information d’office » sur ses causes et ses circonstances. Flanqué d’un chirurgien, l’auditeur enquête régulièrement sur la scène de la mort volontaire, dans la haute ville ou dans le faubourg7. Le dimanche 27 juin 1779, après le prêche du matin, le faubourg de Saint-Gervais somnole. Vers quatorze heures, une déflagration sèche alarme les habitants d’un immeuble situé à la place Chevelu8. La détonation provient du « haut de la maison », où se trouve un « cabinet » d’horloger occupé par quatre artisans. Logeant au troisième étage de l’immeuble, Barthelemy Bellami (29 ans), citoyen et ouvrier, déplore le vacarme. Ayant crié « Tout doucement, oh ! », il monte rapidement au quatrième étage, ouvre la porte de l’atelier « plein de fumée » pour y voir le « jeune Aimé Patay (18 ans), renversé, un fusil entre les mains et la tête fracassée ». Vers seize heures, l’auditeur Pierre-André François Naville, accompagné d’un huissier et d’un chirurgien, investit le cabinet. Gênés par la « forte odeur de poudre à canon », les enquêteurs découvrent la scène ordinaire d’un suicide commis par une arme à feu. Au milieu d’une flaque de sang qui « inonde » le plancher, Patay, vêtu de gris et de jaune, siège sur une chaise de paille. À sa gauche, face à l’établi, se trouve le tabouret où repose un fusil, dont la « crosse brisée était à terre ». La « détente » de l’arme est liée par la « petite ficelle » qui a permis à Patay de se tirer une balle dans la face alors qu’il tenait le fusil de sa main gauche. Ayant fracassé sa tête, le projectile a perforé le « petit buffet à tiroirs » accroché à « quatre pieds du sol ». Isolée de la communauté, la scène du suicide révèle la détermination morbide du jeune homme :

Nous avons observé aussi que les cervelles étaient répandues par tout le cabinet, au plancher, aux vitres, sur la porte et jusque dans les endroits les plus éloignés du corps. Ce qui nous a paru venir de la violence d’une charge extraordinaire mise dans le fusil dont l’explosion aura été telle que la crosse et la sous-garde auront été brisées du contre coup.

3Sur les lieux du drame, l’enquête progresse. Le chirurgien assermenté examine le cadavre défiguré pour qualifier le suicide sur le plan médico-légal. Selon l’usage, la dépouille est ensuite menée à l’Hôpital général de Genève. Après avoir recueilli les « déclarations » du voisinage et de l’« aïeul maternel » du suicidé, l’auditeur fouille le cabinet. Il veut établir chaque circonstance du suicide. Blanchisseuse, la veuve Liardet (42 ans), qui loge au premier étage, affirme que Patay l’a visitée vers midi en lui disant « J’ai ici un beau livre », avant de lui demander si elle « avait un pistolet ». Pour éclairer la motivation du suicide, l’auditeur examine le « livre trouvé » sur Patay :

Nous avons vu que c’était un livre traduit de l’allemand intitulé La vie et les souffrances du jeune Werther. Le livre qui contient l’histoire d’un jeune homme qui termine sa vie par un coup de pistolet, après avoir écrit de longues réflexions sur la mort qu’il se prépare.

4Apprenant que Patay fréquentait le « billard du Jeu de Paume », Naville s’y « transporte ». Le propriétaire dit que Patay est venu jouer trois parties avec d’« autres jeunes gens » avant son suicide. Il n’a perdu qu’un florin et n’a « aucune dette de jeu », même s’il lui doit « dix huit sols ». À l’instar du voisinage de Saint-Gervais, les joueurs de billard ignorent aussi les motivations suicidaires de Patay, mais évoquent sa passion des livres. Bouclant le « procès verbal » d’enquête, Naville souligne le mystère du comportement suicidaire : « Ne découvrant ainsi aucun motif apparent qui ait pu porter le dit Patay à s’ôter la vie, si ce n’est quelque malheureuse disposition d’esprit. » Ce fait divers morbide est exemplaire des conduites suicidaires sur lesquelles la justice genevoise enquête durant l’Ancien Régime.

Un crime de « lèse-majesté humaine »

  • 9 Voir Lieven Vandekerckhove, La punition mise à nu. Pénalisation et criminalisation du suicide dans (...)
  • 10 Institutes au droit criminel, op. cit., p. 535.

5Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, à Genève comme ailleurs en Europe, l’« homicide de soi-même » est considéré comme un crime « atroce » contre Dieu et la société9. Selon Pierre-François Muyart de Vouglans, les suicides seront « considérés comme de véritables Crimes, non seulement du côté de la Religion […], mais encore relativement à l’Ordre public suivant lequel tout Citoyen devient par sa naissance comptable de ses jours à son Prince, à sa Patrie et à ses Parents10 ». Femme ou homme, le suicidaire est un paria stigmatisé par l’Église, rejeté par la société et poursuivi par la justice criminelle. Dès l’Ordonnance criminelle de 1670, le suicide est réprimé en France de manière expiatoire et préventive : confiscation des biens, procès du suicidé avec son « procureur », infamie posthume (traînage public et pendaison du cadavre au gibet), privation de la sépulture chrétienne. En 1749, un « Arrêt du Parlement de Paris concernant les procès faits aux cadavres » résume la jurisprudence royale contre ceux qui se tuent pour échapper à la justice humaine :

  • 11 François Serpillon, Code criminel ou Commentaire sur l’Ordonnance de 1670, Lyon, 1767, 2 vol. , II (...)

Ledit Hubert Portier aurait été déclaré dûment atteint et convaincu de s’être homicidé et étranglé soi-même […] dans son cachot, où il était détenu pour crime de vol et d’assassinat prémédité ; pour réparation de quoi [il a été ordonné que son cadavre] serait attaché par l’Exécuteur de la Haute-Justice, derrière une charrette, et traîné sur une claie, la tête en bas, et la face tournée contre terre, par les rues de ladite ville depuis les prisons jusqu’à la place publique, où il serait pendu par les pieds, à une potence […] ; et après y avoir demeuré vingt-quatre heures, jeté à la voirie, ses biens acquis et confisqués11.

  • 12 Dictionnaire abrégé des sciences médicales, Paris, Panckoucke, 1821-1826, 15 vol. , XIV, p. 488.
  • 13 Voir Adolphe Trébuchet, Jurisprudence de la médecine, de la chirurgie et de la pharmacie en France (...)

6Depuis 1770 environ, si la flétrissure du cadavre disparaît, subsiste le jugement de la mémoire du suicidé. Le Code pénal de 1791 décriminalise enfin le suicide. Selon les aliénistes d’alors, il résulte d’une « faiblesse de l’âme qui ne peut plus supporter la douleur physique ou morale12 ». Progressivement médicalisé, le suicide focalise les légistes et les psychiatres qui doivent notamment le distinguer de l’assassinat13.

  • 14 PC 4318 ; voir Julien Bregeault, « Procès contre les cadavres dans l’ancien droit », Nouvelle revu (...)
  • 15 Charles Du Bois-Melly, Des usages et des cimetières à Genève au siècle passé, Genève, 1888.

7À Genève, jusque vers 1730, la répression du suicide vise aussi l’infamie posthume du cadavre : pendaison à la potence, traînage public sur la claie, inhumation aux « lieux ignominieux », derrière les cibles du stand de tir. « Oubliant toute crainte de Dieu, rappelle une sentence de février 1657, elle se serait méchamment et malheureusement abandonnée à se précipiter volontairement dans le Rhône où elle a été noyée, cas et crime méritant grave punition […], condamnant le corps mort de ladite a être traîné par l’exécuteur de la haute-justice sur une claie par la ville, et de là aux patibules [gibet] pour y être enseveli14 ». Depuis 1738, devant l’intolérance croissante pour l’infamie qui ajoute la honte sociale au deuil familial, la justice ne confisque plus les biens du suicidé. En outre, l’infamie post mortem disparaît de la pratique judiciaire. Le dernier cadavre traîné publiquement sur la claie est celui d’une prisonnière qui s’est suicidée en 1732. Pour étouffer le « scandale » du suicide, le Petit Conseil ordonne ensuite l’ensevelissement « sans convoi ni honneur ». À l’aube, parfois sans drap mortuaire, le cadavre est mené au cimetière pour y être enterré « sans bruit », dans un coin discret ou dans celui des condamnés à mort15.

  • 16 PC 6277.
  • 17 PC 8273.

8Le suicide inquiète les magistrats et les pasteurs. À partir de 1680 environ, ils y voient pourtant la « maladie de l’âme » plutôt que la « révolte contre Dieu ». De même qu’en Angleterre, les médecins et les pasteurs genevois évoquent la « mélancolie », l’« absence d’esprit » ou la « frénésie » pour atténuer la responsabilité du suicidaire. En décembre 1713, vaincue par la misère et un « excès de fièvre chaude », une femme (40 ans) se précipite vers minuit du troisième étage de l’« Hôpital des Français » situé au Bourg de Four. Reconstituées par l’auditeur, les motivations morales du suicide légitiment l’enterrement « sans bruit » de la désespérée16. Double coup de feu dans le cœur : la « tentative de suicide » d’un ouvrier indienneur (55 ans) en juillet 1735, ayant du « chagrin » contre sa femme, proviendrait, selon le chirurgien, de son « état de mélancolie [voire] de frénésie ». Le « coup de désespoir » couronne le « chagrin » du désespéré, dont l’« esprit est aliéné depuis plusieurs mois ». Ces circonstances atténuantes permettent le classement du dossier17.

  • 18 PC 4679, 1686 ; PC 8043, 1733 ; PC 8277, 1735.
  • 19 RC, 1759, fol. 5.

9Au long du XVIIIe siècle, quelques procureurs généraux évoquent la « mélancolie » et l’« aliénation », soit les circonstances atténuantes de la furor et dementia pour mitiger la poursuite du suicide18. De cette manière, les experts du désespoir le dépénalisent progressivement. Néanmoins, en 1759, le Petit Conseil débat sur sa prévention : « Comme il a été interjeté que le nombre de ceux qui se donnent volontairement la mort augmente depuis plusieurs années, et qu’il serait [souhaitable] d’arrêter cette fureur, Monsieur le Premier syndic a dit qu’il mettrait la matière sur le tapis19. » En outre, si les pasteurs genevois ne fustigent plus le « péché » mortel du désespéré, ils en dénoncent parfois l’individualisme, qui endeuille la famille et brise les liens sociaux. Le 22 février 1784, culpabilisant son auditoire, un ministre sermonne contre l’« égoïsme » et la haine de soi menant à mépriser sa propre chair :

  • 20 Bibliothèque de Genève, Ms Comp. Past., 806 (Sermons divers XVIIIe siècle), 13, « Sermons sur Éphé (...)

Ne dis pas, je t’en conjure, ne dis pas que ta mort ne fait de mal à personne. N’as-tu donc point de parents auxquels ton âme est liée et que ta perte va plonger dans les larmes et le deuil, fils barbare, père dénaturé, mari insensible, vois les objets de ton attachement, de ta tendresse frappés pour ainsi dire du même coup que tu te seras porté à toi-même, traînant leurs jours dans l’affliction et dans l’amertume, vois les rassemblant tes membres épars, relevant ton cadavre palpitant encore, cherchant à te chauffer […], descendant en quelque sorte dans la tombe en même temps que toi, entends leurs cris, leurs regrets, leur désolation, contemple cette scène d’horreur et de sang dont tu veux les rendre spectateurs, où tu es toi-même le sacrificateur et la victime ; et si tu ne frémis pas à l’idée de verser le poison sur la vie de ceux dont tu devrais faire la félicité, si malgré ces images effrayantes, tu persistes à vouloir briser tous tes liens, tu n’es qu’un malheureux qui ne penses qu’à toi, ton cœur a déjà cessé de vivre, il est déjà mort aux sentiments les plus doux de la nature, aux devoirs les plus sacrés, ton sang peut couler, ce n’est que celui d’un vil égoïste et d’un ingrat20.

  • 21 Cité selon Laurent Haeberli, op. cit., p. 116.

10Parfois, les conduites suicidaires intriguent d’illustres étrangers. Le 27 février 1767, observateur des mœurs de son temps, Voltaire évoque le spleen des Genevois dans une lettre à John Marriott : « On y est plus mélancolique encore qu’en Angleterre, et je crois, toute proportion gardée, qu’il y a plus de suicides à Genève qu’à Londres21. »

Trois cents suicidés

  • 22 Édouard Chapuisat, La municipalité de Genève pendant la domination française. Extraits de ses regi (...)
  • 23 T. R. Murphy, « “Woful Childe of Parents Rage” : Suicide of Children and Adolescents in Early Mode (...)
  • 24 Sur la statistique de l’anomie suicidaire à Genève au XIXe siècle, voir J.-M. Dufour, Étude statis (...)

11De la Réforme à 1798, la courbe officielle du suicide ressort de son traitement judiciaire. De 1542 à 1650, 30 procédures pour suicide sont connues. Entre 1650 et 1800, au moins 300 individus choisissent la mort volontaire (213 hommes, 87 femmes, pour un total de 299 procédures judiciaires, soit respectivement 71 et 29 % des suicidés). Durant la période française de Genève (1798-1814), surtout commis par immersion, les « nombreux suicides suscitèrent [encore] des enquêtes spéciales », ainsi qu’une politique sécularisée d’inhumation discrète pour éviter l’exemplarité morbide22. Si dans l’Angleterre puritaine de l’époque moderne, le suicide fauche la « belle jeunesse23 », à Genève 17 suicidés ont moins de 20 ans (5,7 % de l’échantillon), 69 sont âgés de 21 à 30 ans (23 %), 51 se tuent dans l’âge de la « virilité », soit entre 31 et 40 ans (17 %), et 75 entre 41 et 50 ans (25 %). Du côté des aînés, on dénombre encore 50 suicides commis entre 51 et 60 ans (37 hommes, 13 femmes), 24 entre 61 et 70 ans (15 hommes et 9 femmes) et, finalement, 14 cas pour 13 hommes et 1 femme âgés de plus de 70 ans. Entre 1650 et 1798, ce sont 10 femmes et 28 hommes âgés de 60 à 90 ans qui se tuent par « dégoût de la vie ». Comme partout, les hommes de Genève se suicident trois fois plus que les femmes, alors que celles-ci sont plus jeunes que les mâles lorsqu’elles se tuent (57 % des femmes qui se suppriment le font avant 40 ans contre 43 % chez les hommes). La courbe officielle du suicide en montre l’augmentation constante : 1650-1700, 10 cas connus (1 pour 100 000 habitants) ; 1701-1750, 42 cas connus (3,8/100 000) ; 1751-1798, 248 cas connus pour une population moyenne de 28 000 habitants (18,5/100 000, avec un saut à 26,4/100 000 entre 1791 et 1798). De 1750 à 1798, le taux du suicide à Genève augmente de 18,5 à 26,4 pour 100 000 habitants. Lié à l’émergence de l’individualisme, le taux croissant du suicide atteint à la fin du siècle des Lumières celui du XIXe siècle industriel24. Comme l’avait noté Durkheim, dans le contexte de l’interdiction du rite confessionnel qui amplifie la culpa, le calvinisme aggrave la morbidité suicidaire, mais accentue sa tolérance sociale.

12La forme du suicide est souvent liée au sexe. Femmes et hommes se noient. L’empoisonnement et la « précipitation » — puits, douves, fleuves ou lac — constituent le modèle privilégié du suicide féminin. La pendaison tue 29 hommes et 12 femmes. En outre, depuis 1750, le suicide à l’arme à feu est masculin (114 hommes, 1 femme), à l’instar de celui commis avec une arme blanche (4 hommes, 1 femme). La sociologie des suicidés genevois montre que l’individu privilégié est plus à l’abri de la mort volontaire, bien que les magistrats et les professions libérales restent particulièrement touchés. La surmortalité suicidaire frappe les individus mal intégrés : le nombre des suicides d’étrangers (environ 25 %) est deux fois plus élevé que leur poids social dans la cité.

  • 25 Jur. Pén. H4, 16, fol. 209.
  • 26 Suicides de prisonniers : PC 7890, 1732 (femme) ; PC 13257, 1779 ; PC 15310, 1787 ; PC 17641, 1794

13Depuis toujours, la prison génère le suicide. À la Discipline de Genève, lieu de détention des prévenus durant l’instruction du procès ou des condamnés aux peines correctives, plusieurs suicides sont commis. En décembre 1785, dans le Livre d’écrou pour les Prisons de la République de Genève, le geôlier note qu’il a « trouvé pendu dans son cachot » un jardinier (30 ans), arrêté pour un larcin commis quelques heures avant son incarcération25. Pour prévenir le suicide carcéral, le geôlier confisque notamment les cravates, les jarretières, les ceintures et les objets contondants26.

La missive de la dernière heure

  • 27 Voir Pieter Spierenburg, The Spectacle of Suffering. Executions and the Evolution of Repression: f (...)

14Plus tardivement qu’en Hollande où le suicide se décriminalise vers 1650-166027, à Genève il se dépénalise lentement à partir de 1740. Les magistrats le considèrent alors comme un drame social et humain. Intéressé à la biographie du désespéré pour en comprendre les motivations morbides, l’auditeur recueille comme pièces à conviction les papiers laissés sur la scène du suicide. Réfugié à Genève pour fuir la Terreur, un militaire français (34 ans) se tue le 2 octobre 1793 dans la chambre numéro 23 de l’auberge du Logis de la Couronne. Après dîner, il rédige un « billet d’adieu » à un ami pour formuler ses « dernières volontés », lui recommander les siens et expliquer stoïquement pourquoi il va se tirer une balle dans la tempe :

  • 28 PC 17079, 1793.

Je n’avais que trois partis à prendre, mon Cher Christin, rentrer sous la tyrannie, émigrer ou mourir. Le premier eût été une lâcheté. Le second répugne à mes principes, compromettrait mes parents et mes amis, et ferait le triomphe de mes ennemis. Je m’arrête au troisième et vais rejoindre Caton ; j’ai vu la honte de la France tyrannisée par les plus vils scélérats. Du moins je ne verrai pas les dernières convulsions de son ignominieuse agonie.
Je vous lègue ma mère. S’il me reste un frère, j’espère qu’il ne haïra pas ma mémoire. J’aime mieux laisser à ma sœur 28 000 assignats qui sont dans mon bureau pour le voyage de son mari s’il est obligé de s’éloigner des frontières que de les manger en traînant quelques jours de plus ma funeste existence. J’espère qu’on exécutera mes dernières volontés qui sont entre les mains de mon ami Dumoulin, elles contiennent une déposition de reconnaissance envers la Nanette à qui je recommande de ne point abandonner ma mère et ma bonne tante. Vous êtes mon cher Christin du petit nombre des gens de bien qui m’auraient attaché à la vie dans des temps plus heureux. Je meurs tranquille et content. Je ne me rappelle pas d’avoir sciemment offensé personne. J’ai été étourdi, vaniteux et sot, et je ne crois pas avoir été méchant. Je n’ai jamais haï que les brigands qui déchirent la France. S’il est quelque chose après la mort je tacherai de vous en dire des nouvelles28.

  • 29 Tableau de Paris, Amsterdam [Neuchâtel], 1782-1783 (nouvelle édition corrigée et augmentée), 10 vo (...)
  • 30 Voir Jean-Étienne-Dominique Esquirol, Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, (...)

15À la veille de la Révolution, observateur de la vie parisienne, Louis Sébastien Mercier remarque le même protocole de la « dernière lettre » rédigée sur la scène de la mort volontaire : « Plusieurs suicidés ont adopté la coutume d’écrire préalablement une lettre au lieutenant de police, afin d’éviter toute difficulté après leur décès29. » Fascinant les aliénistes du XIXe siècle qui la soumettent au diagnostic rétrospectif30, la dernière lettre énonce la perception subjective du tædium vitæ. Après 1760, son rituel occupe à Genève une quarantaine de désespérés (21 à 30 ans), plutôt aisés (horloger, artisan, commerçant, militaire). Dépourvus de toute doctrine sur le suicide, ces individus se tuent après avoir rédigé une lettre. Écrite avec détermination, pétrie de foi et d’honneur, elle salue les vivants en motivant le choix morbide. Elle précise parfois l’organisation des funérailles et prolonge le recueillement religieux. Le suicidé y exprime l’amour filial ou marital. Bref billet d’adieu, « traité philosophique », facéties littéraires dédiées à Helvétius : après 1760, l’ultime missive montre l’impact de l’alphabétisation croissante sur les conduites suicidaires. Guidé par la volonté stoïcienne, la foi chrétienne ou la norme testamentaire, le dernier message fait écho à la sensibilité individualiste qui marque la seconde moitié du XVIIIe siècle.

  • 31 PC 13346, 1778 ; PC 14170, 1781 ; PC 13889, 1782 ; PC 17092, 1792.
  • 32 Henri Brunschwig, La crise de l’État prussien à la fin du XVIIIe siècle et la genèse de la mentali (...)
  • 33 Voir Marie-Nicolas-Silvestre Guillon (évêque du Maroc, aumônier de la reine), Entretiens sur le su (...)

16Plaidant contre l’oubli, le rite de la dernière lettre culmine dans l’abandon d’un ouvrage. Celui-ci apporte au suicide le sens religieux ou « philosophique » qui inquiète les autorités. Sur la scène du drame, l’auditeur saisit notamment la Bible, des livres de piété, Les nuits de Young, un volume de poésie du médecin suisse Albert de Haller, une gazette imprimée à Genève, d’autres textes philosophiques (voir ci-dessous le cas de Mellaret). Quatre fois au moins après 1774, l’auditeur recueille sur la scène du suicide Les souffrances du jeune Werther31. Le roman de Goethe accompagne le suicide de trois hommes âgés d’une vingtaine d’années (peut-être aussi celui d’une femme). Selon leur entourage, ils se tuent l’« esprit exalté » par la lecture. Publié en 1774, Werther est alors décrié en Europe. En prônant la « philosophie de la mort » contre la religion chrétienne, il inciterait au suicide les individus mélancoliques32. Mythe culturel entretenu par l’Église33, l’impact du « livre philosophique » sur l’« épidémie du suicide » est invérifiable. Après 1780, l’inquiétude sociale face au suicide illustre plutôt la sensibilité nouvelle devant son « impasse morale ». Un peu partout en Europe, l’augmentation des conduites suicidaires résulte moins des « livres philosophiques » (dont Werther) que de la fin d’une longue période d’infamie qui stigmatisait socialement la mort volontaire.

17La mise en scène du suicide culmine parfois dans la théâtralisation radicale de la mort individualisée. À l’aube radieuse du 21 juillet 1769, lavé et habillé de neuf, l’horloger Jean-Jacques Aimé Mellaret (22 ans), réputé pour « avoir beaucoup lu et savoir beaucoup de l’Écriture Sainte par cœur », se tire une balle dans la tête. Sur son pupitre reposent des livres de piété, un volume des Poésies du médecin suisse Albert de Haller, quatorze estampes « obscènes », une gazette genevoise publiant des textes de Voltaire (« Sur l’Esprit »), de Buffon (« Réflexions philosophiques sur le moment de la mort »), ainsi qu’un anonyme Essai sur les avantages et les dangers de l’imagination traduit de l’anglais. Il laisse bien en vue quinze pages de Réflexions sur le suicide. La rédaction de ce testament moral, qu’inspire le naturalisme poétique du médecin Albert de Haller, a occupé l’horloger la nuit précédant sa mort. Selon Mellaret, le suicide n’est pas plus dramatique que la mort naturelle, même s’il couronne le chagrin existentiel :

  • 34 Voir Michel Porret, « Mourir l’âme angoissée » et Jean-Jacques Aimé Mellaret, « Réflexions sur le (...)

Le sujet que je vais traiter va paraître étrange aux yeux de plusieurs personnes, et l’on sera sans doute surpris de voir un jeune homme réfléchir sérieusement sur le dessein qu’il a de commettre une action qui semble ne demander qu’un peu de réflexion pour en être bientôt détourné, vu dira-t-on qu’elle révolte la nature et qu’elle est contraire à la raison, cela est vrai, mais quand le chagrin a déjà de profondes racines dans le cœur, à cet âge où l’on est plein de feu, et où les agréments de la jeunesse invitent à jouir des plaisirs qui s’offrent sous nos pas, il est alors plus dangereux que jamais parce qu’à mesure que l’on s’accroît en âge, l’on prend plus de flegme et les chagrins une fois […] dans le Cœur viennent alors le déchirer sans cesse. Le suicide en lui-même a quelque chose de révoltant, il paraît contraire à la nature en ce qu’il entraîne la destruction de notre Être. On ne peut sans doute y penser sans frémir, le Créateur qui a imprimé en nos Cœurs l’amour de la vie et qui nous a caché le Livre des Destins a agi très sagement. C’est par ce moyen que nous nous y tenons attachés et qu’ignorant quel sera notre sort au sortir de ce monde, nous aimons mieux en supporter les peines et les chagrins en nous dédommageant de quelques plaisirs passagers. […] Quel est le mortel qui, s’il pouvait lire dans l’avenir, pourrait soutenir le poids de son existence34 ?

  • 35 PC 13851, « suicide ».

18Père, mère, épouse, frère ou sœur, amis, amants : les destinataires du billet d’adieu dessinent la hiérarchie de la sociabilité affective du désespéré. Il refuse de « mourir tout entier ». Il quitte les vivants en déplorant leur deuil ou leur misère : « Adieu mes deux bons frères, ce pour toujours », griffonne un homme alité dans la chambre des malades de la Bourse française (hôpital) qui se tire un coup de pistolet dans la mâchoire ; le « bon dieu vous conserve pour gagner le pain de vos pauvres enfants35 ».

  • 36 PC 11902, 1769, « suicide ».
  • 37 PC 16472, 1792, « suicide ».
  • 38 PC 1052, « suicide ».

19Dépit amoureux, déshonneur social, échec économique, exaltation religieuse, mélancolie, maladie, voire inquiétude « devant les cruelles atrocités avec lesquelles on s’est porté depuis le règne de la philosophie moderne36 » : les dernières lettres montrent la complexité des motivations suicidaires. Avant de mourir, le désespéré implore le pardon divin : « Mon pistolet est chargé, je n’ai plus que quelques instants à vivre. — Grand Dieu pardonne moi, […] et toi ma chère femme, toi que j’ai tant aimée, pardonne-moi aussi ; il m’est affreux de me séparer de toi, mais l’honneur l’exige37. » Un quart des messages retrouvés invoquent Dieu, soit par apaisement moral (« Je n’ai aucun reproche à me faire devant Dieu, ni devant les hommes, je me donne à lui », affirme un adolescent qui se tue en 1759), soit par culpabilité du pécheur suicidaire qu’évoque en 1770 un homme âgé de 20 ans : « J’ai commis ce crime odieux de me défaire, j’en demande bien pardon à Dieu, je le prie de vouloir me pardonner de tous mes péchés et de celui-là qui est encore le plus grand38. » Le billet d’adieu lie souvent la souffrance du corps à celle de l’âme. Après s’être « mutilé » les testicules, au retour du prêche en 1761, à l’âge de 17 ans pour échapper aux « tentations de la chair », le 21 août 1772, vaincu par sa souffrance, un homme se tue d’un coup de fusil en laissant une lettre implorant le pardon familial et divin :

  • 39 PC 10868, 1761, « mutilation » (déposition du « sieur Meschinet Maître en chirurgie ») ; PC 12363, (...)

Je n’ai aucune plainte à faire contre mon frère ni ma sœur, c’est ma seule plaie qui me devient toujours plus profonde et plus terrible qui me porte à en venir à cette extrémité ; j’espère que j’en obtiendrai miséricorde devant Dieu connaissant bien la multitude des maux qui y est attachée. Au reste, je ne laisse point de dettes, ce que je suis bien aise de marquer pour prévenir les gens mal intentionnés39.

  • 40 PC 13851, 1782.
  • 41 PC 12830, 1775, « suicide ».

20Écrite sur le seuil de la mort et laissée bien en vue, la dernière lettre verbalise le chemin suicidaire, délivrance ou impasse. Adressées à la famille ou à un(e) ami(e), demandant pardon ou formulant les ultimes volontés, implorant la sollicitude divine, le billet fatal montre l’échec social de la médiation contre la détermination morbide : « Adieu mes deux bons frères, ce pour toujours. Le bon dieu vous conserve pour gagner le pain de vos pauvres enfants40. » Avec le billet d’adieu, le désespéré médiatise son projet morbide. Le passage à l’acte en est-il facilité ? Souci du deuil de toi plutôt que terreur de la mort de moi : le billet d’adieu anticipe le chagrin des survivants. Assumer la mort volontaire, disparaître mais en évitant l’oubli social : tel serait l’objectif de la dernière lettre laissée sur la scène du suicide. N’expliquant le conflit moral que par les mots subjectifs de la crise (souffrance, révolte, épuisement, réconciliation), le billet d’adieu est une pièce à conviction. L’auditeur l’utilise pour étayer la cause plausible du suicide. Alarmés par la détonation de l’arme à feu ou la chute sourde du corps sur le sol d’un logis ou dans la rue, les proches du désespéré savent d’ailleurs qu’il ne « faut rien toucher sans la présence de l’auditeur41 ».

L’œil du légiste

  • 42 Chaque procédure rappelle ce protocole médico-légal : voir PC 13762, août 1781, verbal du « Châtel (...)

21Inchangée et ouverte d’office depuis le début du XVIIIe siècle, l’« information » judiciaire sur le suicide recoupe la levée de cadavre et la constatation du corps du délit effectuées par l’auditeur que seconde le légiste42. Avant de mettre les « scellés partout », le magistrat recueille les témoignages cohérents et ordonne les expertises médico-légales. Sur les lieux du suicide ou à l’Hôpital général, le légiste visite la dépouille. Lors d’empoisonnement ou de noyade, le chirurgien, accompagné parfois du médecin, autopsie le cadavre pour repérer la corrosion des tissus ou l’asphyxie suffocante par submersion aquatique. Pour boucler l’affaire, l’auditeur élabore la thèse du suicide. Inspiré par l’expertise médico-légale qui souligne les circonstances matérielles du suicide que prouvent le corps violenté et la scène de la mort volontaire, le « verbal » récuse la thèse de l’accident ou du meurtre.

  • 43 PC 7692.

22Le 22 décembre 1722, aux environs de Genève, le châtelain de la République procède à la levée de corps d’un cadavre mesurant « cinq pieds », mais « bossu par derrière ». Vêtu d’une « mauvaise veste » et d’une chemise, l’inconnu a été trouvé noyé dans le lac. Pratiquée sur place, l’autopsie chirurgicale démontre l’évidence du suicide. Le légiste évoque les signes cadavériques de la mort volontaire par suffocation aquatique : nulle contusion corporelle ante mortem, face livide, mains crispées, nez écumant. Une servante confirme l’hypothèse du légiste. Elle a vu l’inconnu entrer dans le lac pour s’y coucher, crier, puis s’enfoncer dans l’eau vive. L’examen de la chemise marquée par le signe de l’Hôpital général permet d’identifier un pensionnaire fugitif43.

  • 44 PC 14826, « suicide », mars 1786, deux rapports d’autopsies.

23Après la levée de corps, le cadavre est généralement mené à la chambre des morts de l’Hôpital général pour être identifié. Ni meurtre, ni accident : l’expertise médico-légale prouvera que la défenestration, la noyade, l’empoisonnement ou la pendaison constitue la « seule cause de la mort ». Parfois conclue avec l’« ouverture » du cadavre ou la visite des viscères (empoisonnement), l’expertise médico-légale permet au magistrat de qualifier positivement le suicide44. Le légiste souligne les signes certains de la « mort prompte ». La pathologie du suicide instaure l’intime conviction du chirurgien qui lie les signes de la mort volontaire au mode opératoire du désespéré.

  • 45 PC 10955, « suicide » ; l’usage de l’enterrement discret est attesté depuis la fin du XVIIe siècle (...)

24Découvert en janvier 1762 par son fils (15 ans), le cadavre d’un quinquagénaire qui s’est pendu dans son atelier est examiné par un chirurgien. Il tente de le sauver par la double saignée aux poignets. Constatant le décès, l’expert scrute les « parties extérieures du corps ». Il conclut à la mort asphyxiante par pendaison. Le mode opératoire ressort de la « corde pendue à un crochet ». « Nous lui avons trouvé, note le chirurgien, la face livide, la bouche et le nez écumants et baveux, l’empreinte et la dépression d’un lien ou corde tout autour du col, tous ces signes nous assurent [qu’il] a été étranglé vivant et par conséquence, mort par l’interruption du sang et de l’air. » Pour l’auditeur qui scelle les biens du suicidé, sa mort résulterait d’une « espèce d’aliénation d’esprit [et de] l’abrutissement occasionné par le fréquent usage du vin ». Selon l’usage, le désespéré est enterré à l’aube, mais « sans honneur45 ».

  • 46 PC 12679, « suicide », dont rapport d’autopsie.

25L’expertise est parfois rude. En janvier 1775, le chirurgien Meschinet participe à la levée de corps d’un caporal de la garnison (70 ans). Solitaire et désœuvré, retiré dans son modeste logis, l’homme a vidé son fusil dans sa tête. Mandé sur la scène du suicide où se trouve l’arme liée au dossier d’une chaise renversée, le chirurgien « trouve [le désespéré] assis sur une chaise à côté de son lit, sa chemise brûlée dans toute la partie qui couvre la poitrine, une plaie d’arme à feu dans le téton gauche traversant en ligne droite et avec deux issues sous l’omoplate gauche, ayant trouvé par terre un lingot de plomb et une balle aplatie, il y a lieu de conclure qu’il est resté mort sur le coup ». Après l’information qui conclut au suicide, le caporal est inhumé « sans honneur46 ».

  • 47 PC 8952, « suicide », dont rapport d’autopsie.

26Le légiste visite aussi le cadavre dénudé du désespéré qui s’est noyé. Il cherche les signes de la « violence extérieure » (plaies, fractures, mutilations). Il prouvera ou infirmera l’agression mortelle avant la mort par noyade. « Nous jugeons qu’elle est morte pour avoir été surprise par la froideur de l’eau et par la suffocation », note le 27 mars 1743 le chirurgien qui à onze heures du matin visite le cadavre d’une veuve (55 ans). Frappée de « mélancolie », apeurée par l’hospitalisation qui la menace, elle s’est « précipitée » dans un puits contenant moins de deux mètres d’eau. Elle y reste immergée pendant une trentaine heures47.

  • 48 PC 4313, 8-9 février 1675, « suicide » au pistolet d’un aristocrate allemand.
  • 49 PC 12205, juillet 1771, suicide, homme de 55 ans, dont rapport chirur
  • 50 PC 15737, juin 1789.
  • 51 PC 10617, « suicide ».
  • 52 PC 13851.

27Lors de suicide « masculin » commis avec une arme à feu (tête ou bouche), le légiste établit le mode opératoire. Il sonde la tête fracassée48. Il calibre le diamètre de la plaie faciale. Il découvre l’issue du projectile. En ouvrant le crâne, il souligne les traumatismes de la « dure mère » et repère les « compressions » ou les hémorragies internes du « cerveau [détruit] dans sa base49 ». Le suicide par balle provoque une « grande commotion ». La « tête [est] écervelée », notamment lorsque le projectile pénètre par la bouche50. Après avoir examiné le crâne fracassé d’un homme « aliéné » qui en 1758 s’est tiré une balle dans la tête, l’expert décrit l’impact mortel du projectile. Celui-ci pénètre « depuis la partie supérieure du temporel droit […] dans toute la substance du cerveau avec fracas des os du crâne du côté droit51 ». Les blessures par armes à feu défigurent le désespéré et compliquent l’autopsie. En février 1782, hospitalisé dans le dortoir des malades de la Bourse française, un sexagénaire, catholique romain, rédige un billet d’adieu : « Après quatre à cinq années de souffrance. Le bon dieu me pardonne, dieu retire mon âme dans son saint royaume. » Derrière le rideau du lit, il se tire ensuite une balle qui lui « emporte la mâchoire ». Appelé par l’auditeur, le chirurgien examine la plaie du désespéré dont « on ne voyoit plus de langue, et que la privation de ses organes empêchait [d’entendre] ses cris52 ».

Le mode opératoire

  • 53 PC 9859.
  • 54 PC 16802, rapport chirurgical.

28Coup de feu, pendaison, mutilation, défenestration et noyade : la forme du suicide est attestée par le légiste qui permet de le qualifier juridiquement, car il met en preuve le corps violenté. Privilégiée par les hommes, l’arme à feu les défigure. En février 1752, retiré dans son logis du Bourg-de-Four, Jacques Dunant (50 ans), colonel au service des États généraux des Pays-Bas, se tire à 11 heures 30 du matin, devant son miroir, un coup de fusil dans la tempe droite. Convoqué sur la scène du drame, le chirurgien Étienne Meschinet ne peut sauver le militaire qui expire après 30 minutes. Dans son « verbal », Meschinet décrit la force pénétrante du suicide par arme à feu : « Nous avons trouvé la partie supérieure de l’os temporal droit atteignant le pariétal et le coronal, une plaie avec fracas des mêmes os, issue considérable des substances du cerveau, traversant directement du côté opposé, la sortie plus large que l’entrée et toute la circonférence extrêmement noire ; tous ces signes caractérisent une playe d’arme à feu, dont la complication doit lui avoir causé subitement la mort. » Selon le voisinage qui signale le « dérangement » mental du désespéré, celui-ci se serait tué par culpa : « je suis un malheureux, aurait-il déclaré à un médecin, un misérable, qui ne me suis point acquitté de mes devoirs envers mes prochains53 ». Épuisé — « hydrosophie », souffrances corporelles, insomnies —, Henri Bouvier (72 ans), assis sur sa chaise percée, se tue le 3 janvier 1793 vers 8 heures du matin en vidant son pistolet dans son cœur. Le chirurgien établit la morbidité de la blessure coronale : « ayant sondé [le cadavre], j’ai reconnu un délabrement total dans cette partie, le cœur entièrement divisé54 ».

  • 55 Étude médico-légale sur la pendaison, la strangulation et la suffocation, Paris, 1870, p. 2.
  • 56 Ibid., p. 59.

29La pendaison est aussi masculine. Elle « est un acte de violence dans lequel le corps pris par le cou dans un lien attaché à un point fixe et abandonné à son propre poids, exerce sur le lien suspenseur une traction assez forte pour amener brusquement la perte du sentiment, l’arrêt des fonctions respiratoires et la mort » : en 1870, Ambroise Tardieu montre que la suspension strangulatoire conduit à la mort asphyxiante. Le légiste objective les signes de la pendaison qui montrent la « mort non équivoque55 ». Le cadavre suspendu au bout de la corde rend plausible l’hypothèse du suicide contre celle du meurtre. Les signes médico-légaux de la suspension confirmeront la thèse du suicide : position du corps, posture de la tête et des membres supérieurs, face congestionnée, lésions superficielles et profondes du cou (« sillons », « empreintes »). La visite cadavérique éclaire les « signes positifs de la pendaison pendant la vie » et établit les « conditions » du passage à l’acte56. Le légiste diagnostique la « suffocation » par contrainte mécanique.

  • 57 PC 9425.
  • 58 Voir Maurice Silie, Un des promoteurs de la médecine légale en France, Antoine Louis (1723-1792). (...)
  • 59 PC 15680.
  • 60 PC 16626, 1792, rapport médico-légal du chirurgien Pierre-Louis Macaire.

30Le 10 décembre 1747, devant le cadavre d’un horloger (74 ans) qui s’est pendu pour éviter l’hospitalisation, le chirurgien André Arlaud note l’« impression d’une corde à la partie anterieure et superieure du col, le cartilage tiroïde fracturé et la trachée artère, unique canal de l’inspiration et respiration, enfoncée57 ». En avril 1789, le chirurgien Pierre Fine visite le cadavre d’un « imbécile » (61 ans) qui s’est pendu dans sa cellule de la Discipline après 18 ans d’incarcération, dont les six derniers mois dans le « quartier des aliénés ». En 1788, il a déjà tenté de se tuer avec un pistolet. Connaissant la leçon du chirurgien Antoine Louis qui distingue les signes positifs de la pendaison volontaire de ceux du meurtre déguisé en suspension (affaire Calas, 1762)58, Fine récuse la thèse de la « malveillance », voire du meurtre. Il montre que la « dépression accompagnée d’ecchymoses […] existe toujours lorsque la suspension et strangulation a eu lieu du vivant de la personne ; ce qui n’arrive point lorsque la personne a été suspendue après la mort, parce que la circulation est détruite59 ». Peu avant 1800, le protocole médico-légal qui prouve la pendaison est inchangé. Au diagnostic de la « suffocation mécanique » s’ajoute la sémiologie de la pendaison : rigidité cadavérique, congestion faciale, « langue noire » sortant de la bouche, « mains en crochet ». À chaque fois, le légiste retient les « signes d’une mort certaine et non équivoque » qui permettent à l’auditeur de qualifier le suicide par pendaison60.

  • 61 PC 13916.
  • 62 PC 13713, mai 1781, défenestration d’une nonagénaire morte de ses multiples fractures (crâne, face (...)

31Souvent choisie par la femme ou le vieillard, la défenestration brise le corps et la tête. Le « délabrement [du] cadavre ne peut être attribué qu’à une chute violente, laquelle devait nécessairement lui procurer une mort prompte », écrit le 24 juillet 1782 un chirurgien face au corps d’un vieillard « écervelé » (76 ans). Vers 15 heures, après s’être assis à califourchon sur le rebord de la fenêtre de son logis situé au quatrième étage, il plonge dans le vide. La chute émiette son corps : plaie pénétrante jusqu’à l’os occipital, coudes, col du fémur et pieds brisés, luxations et fractures ouvertes61. Dans ce cas, comme dans maints autres, l’autopsie du « précipité » est toujours délicate62. Le légiste repère les fractures et les hémorragies ouvertes et internes. Il palpe les plaies. Il contrôle l’« issue du sang » dans les oreilles, la bouche, les yeux.

  • 63 PC 8113.

32En janvier 1734, l’auditeur lève le cadavre de Catherine Brochet (60 ans) qui s’est défenestrée à l’aube. « Ayant tout le corps découvert depuis la ceinture en bas, couchée un peu pliée sur le côté, la tête ensanglantée », la femme gît au milieu de la rue. Le chirurgien qui examine le cadavre diagnostique la pathologie habituelle des « précipités ». Le suintement auriculaire et la « fracture de l’os occipital » démontrent l’hémorragie cérébrale (« vaisseau sanguin rompu »). La « force du coup a porté sur le cervelet et supprimé par conséquent le cours des esprits animaux » : le délabrement corporel démontre la « commotion » mortelle du cerveau qui résulte de la précipitation suicidaire63.

  • 64 Voir Victor Balthazard, Précis de médecine légale, Paris, 1911 (deuxième édition), p. 186-201.

33Choisie par les femmes et les personnes âgées, la submersion (lac, fleuve, puits, douves) est aussi défigurante. L’état du cadavre, corrompu par l’eau, fragilise l’expertise. Le chirurgien dira pourtant si le désespéré est « tombé vivant dans l’eau ». Avec plus ou moins de certitude, il datera le moment de la mort. Le chirurgien de l’Ancien Régime n’a pas les moyens d’investigation (hémolyse, cryoscopie) qu’utilise le légiste du XIXe siècle pour dater l’asphyxie par l’analyse chimique du sang ou des tissus64. Il base alors son diagnostic sur l’observation « directe » des « marques extérieures » du corps submergé. Flétrissure, lividité et rigidité cadavériques, corrosion des membres (mains, pieds), doigts écorchés, « teint terreux », gonflement abdominal, défiguration faciale, écume buccale : la sémiologie du corps noyé prouvera que le désespéré est « tombé vivant dans l’eau ». L’état médico-légal du cadavre conduit l’auditeur à qualifier la mort volontaire. La violence suicidaire transforme la « belle machine humaine » en blessure défigurante.

Le suicide des plus âgés

  • 65 PC 12679.

34« Fragilité de l’esprit », « démence », « mélancolie noire », « tristesse » : le suicide du vieillard conclut la souffrance morale et physique. Déterminé par la saison (50 % de ces suicides ont lieu entre octobre et mars, 40 % entre mai et août), le suicide des aînés survient six fois sur dix entre le crépuscule et l’aube, alors que la vigilance communautaire se relâche. La scène du suicide est celle de la solitude sociale : grenier, chambre et cabinet de travail barricadés, rives désertes du lac ou du Rhône. Le vieillard se tue malade, marginalisé ou « aliéné ». Mis aux « invalides » (avec une « pension honorable » de 21 florins mensuels) pour sa cécité qui empêche sa fonction de sentinelle, un caporal (70 ans) décharge le 2 janvier 1771 son fusil dans son « téton » gauche. Sa démobilisation a suscité le « rire » de ses pairs. Avant de mourir, il dit en pleurant à un sergent qu’il s’« ennuyait mortellement, que cet ennui lui ôtait même absolument le sommeil, qu’il était au désespoir d’avoir quitté [le service] qu’il sera obligé de se tirer un coup de fusil65 ». Menant à l’isolement émotionnel, la rupture du lien socioprofessionnel augmente le risque suicidaire des vieux célibataires apeurés par la solitude.

  • 66 PC 8952.
  • 67 PC 9425.
  • 68 PC 11697, rapport du secrétaire de la « Direction de l’Hôpital général ».

35Ayant perdu le « goût de vivre », le vieillard se tue aussi pour fuir l’internement curatif ou disciplinaire à l’Hôpital général. En 1743, menacée par ses proches d’une hospitalisation pour soigner sa « maladie » et sa « tristesse », une veuve (60 ans) plonge par « aliénation » dans un puits de la ville contenant deux mètres d’eau. Avant le saut mortel, elle crie qu’elle n’« irait jamais à la bourse française ». Elle préfère « mourir dans son lit66 ». Même panique en 1747 chez un septuagénaire. Remariée, sa fille veut le faire hospitaliser. Épuisé par l’angoisse et l’« insomnie », il se pend un soir de décembre, après avoir raté sa défenestration67. Même terreur de l’hôpital en mars 1768 chez un charpentier misérable (70 ans). Arrêté pour mendicité publique, il plonge dans une fontaine en hurlant : « si vous me menez à l’Hôpital, je m’étranglerai, ou je me tuerai et vous ne me trouverez pas en vie demain matin ». Pourtant mené à la Discipline comme « vagabond récidiviste », le misérable est retrouvé « suspendu aux barreaux de la fenêtre » du cachot des mendiants. Devant son cadavre dénudé, le chirurgien diagnostique l’étranglement mortel68.

  • 69 PC 13851, février 1782.
  • 70 PC 14089.

36Comme la prison, l’hôpital génère les conduites suicidaires, notamment dans le lit fermé qui isole les malades69. L’enfermement hospitalier ou disciplinaire multiplie les conduites suicidaires des plus âgés. Isolé à l’Hôpital général dans la « chambre basse » pour calmer ses « extravagances » ou alité dans celle des malades, le vieillard suicidaire échappe à la « vigilance » institutionnelle (gardes-malades, guichetiers, servantes) pour se pendre avec ses draps, fuir vers le lac afin de s’y précipiter, se tirer une balle dans la tête ou encore se défenestrer « tout nu ». À l’aube du 2 juin 1783, le portier de la Discipline découvre pendu dans la « chambre basse » un paysan savoyard qui s’est suicidé la nuit précédente après avoir vainement réclamé un confesseur catholique. Incarcéré pour « complicité avec des déserteurs », l’homme ne supporte pas sa détention. Enquêtant à la Discipline, l’auditeur veut savoir si « par quelques discours effrayants ou traitements trop durs, on n’avait pas jeté la terreur dans [son] âme ». Le chirurgien Étienne Meschinet diagnostique le suicide par suffocation sans traumatisme corporel ante mortem70.

  • 71 PC 9304, octobre 1746, pendaison d’une veuve (60 ans) ; PC 11565, décembre 1766, défenestration d’ (...)

37Le suicide du vieillard hospitalisé conclut son « dégoût de la vie ». La dépression commence par la léthargie morbide, l’isolement, la fugue ou le jeûne volontaire qui épuise le corps. La faiblesse facilite la mort volontaire71. Dès 1760, la Discipline réserve un quartier spécial pour les aliénés. Certains d’entre eux multiplient les tentatives de suicide. Elles réussissent si la surveillance se relâche. En juin 1768, enquêtant dans le quartier des aliénés sur le suicide d’une sexagénaire, l’auditeur expose le mode opératoire et la récidive suicidaire :

  • 72 PC 11735.

Nous avons trouvé la dite femme, en chemise, suspendue […] par son drap de lit, qu’elle a passé au tour de son col, que lors de notre arrivée, elle était absolument sans vie. Qu’ayant pris informations les plus exactes sur le compte de cette femme, nous avons appris qu’elle était renfermée depuis 5 mois dans la maison des aliénés pour cause de démence, qu’elle avait attenté plusieurs fois à sa vie, mais que la vigilance du Portier de la Maison de Correction avait empêché qu’elle n’effectuât son dessein72.

  • 73 PC 14363, juin 1784, pendaison en cellule forte d’un sexagénaire ; PC 15680, avril 1789, pendaison (...)

38Sanctionnant la fugue ou l’évasion avec « bris de fer », le durcissement de la détention mène souvent à la pendaison, que le désespéré réalise avec des bouts de ficelle patiemment récoltés73.

  • 74 PC 12944, mars 1777, suicide au fusil d’un horloger veuf depuis trois mois ; PC 13002, août 1777, (...)
  • 75 PC 13916, juillet 1782.
  • 76 PC 14927.

39Conflits, veuvage, départ du fils pour le régiment : la destruction du cadre familial accroît aussi chez les aînés le risque de suicide par noyade, armes à feu et empoisonnement au mercure74. Accentuant la dépendance économique et affective, la tutelle familiale culpabilise celui qui ne peut cacher ni son infirmité, ni sa « grande misère ». En juillet 1782, un manœuvre (76 ans) se défenestre. Il ne supporte plus sa pauvreté qui l’humilie devant sa femme et son fils75. Ayant menacé maintes fois d’« aller se noyer » en raison de sa pauvreté, un autre sexagénaire entretenu par son frère se suicide en juillet 178676.

  • 77 PC 13713.

40« Extrêmement inquiète », réputée pour son « mauvais caractère », une veuve (90 ans) se défenestre en mai 1781. Elle ne supporte plus de rester à la « charge » de sa nièce âgée de 45 ans77. À la précarité sociale des désespérés âgés se greffe la maladie du corps et de l’esprit.

Souffrance

  • 78 PC 12830.

41Léthargie et insomnies, « fébrilité » et vertiges, « hydropisie », « douleur cruelle dans les entrailles », migraines, hémorragies, cécité croissante, « verge flétrie » et impuissance sexuelle, « faiblesse générale », « vapeurs » : l’enquête judiciaire repère ces pathologies qui motivent le suicide de ceux qui sont fatigués de vivre. Maints cas montrent que la souffrance du vieillard culmine dans le suicide. Face à la maladie incurable liée au « grand âge », le médecin tente parfois d’apaiser celui qui veut se tuer. En décembre 1775, au chevet d’un patient suivi depuis dix ans et qui s’est tiré une balle mortelle dans le front, le médecin Louis Odier note la persistance de la volonté suicidaire : « Comme il voyait bien, malgré les espérances que je tâchais de lui donner, qu’il ne guérirait pas [de son hydropisie], il souhaitait ardemment que la mort vint terminer ses souffrances et je ne crois pas qu’elle eut tardé longtemps. Sa raison ne m’a jamais paru autrement aliénée que par l’extrême découragement où l’avaient jeté deux ans de maladie et de chagrin78. »

  • 79 PC 11384.
  • 80 PC 12205, témoignage du pharmacien qui soigna le malade (bains, lavements, cataplasmes, diète).
  • 81 PC 12742.

42En juillet 1765, vaincu par une infection pulmonaire, un graveur célibataire (60 ans) et insomniaque depuis huit mois, après une nuit d’errance urbaine, « fonce » vers les quais pour se précipiter dans le Rhône depuis un « bateau-lavoir ». « Honnête homme » vivant paisiblement avec son voisinage, il est devenu « extrêmement chagrin, fort en colère, toujours contre lui-même et contre son mal, n’étant pas accoutumé à être malade79 ». Même pathologie morbide d’un sexagénaire, marié depuis 29 ans, père d’une fille âgée de 28 ans. En juillet 1755, affaibli (infection anale, « feux » poitrinaires, rétention urinaire et cécité), il décharge son fusil dans sa tête. Avant de se tuer, il évoque maintes fois son projet morbide80. « Il se cachait quand il urinait, malgré cela, on l’entendait crier, se plaindre amèrement et dire dans l’excès de sa douleur qu’il ne pouvait plus supporter la vie » : en mai 1775, ce témoignage d’une servante face au cadavre de son maître, Pierre Grenus (70 ans), avocat et ancien secrétaire de Justice de la République, donne sens au geste suicidaire. Affaibli par une infection rénale incurable qu’il cache, le désespéré saute dans le lac. Vêtu d’un « habit de deuil gris », son cadavre est rejeté par les flots derrière une digue81.

  • 82 PC 15737.
  • 83 PC 16626.

43La maladie incurable qui détruit l’identité masculine conduit aussi au suicide. Au crépuscule du 10 juin 1789, reclus dans son logis au quatrième étage d’un immeuble populaire de la rue du Boule, un vendeur de vin (56 ans) décharge son pistolet dans sa bouche. Alarmé par le coup, un voisin et un serrurier forcent son logis. Découvrant le drame, ils font mander l’auditeur Mallet, qui doit quitter la représentation théâtrale à laquelle il assiste pour gagner la scène du suicide : « nous avons vu son cadavre étendu sur le plancher de sa chambre, et presque sur le foyer de sa cheminée, son sang figé sur le plancher, son crâne emporté et sa cervelle éparse dans toute la chambre ; le cadavre était encore couvert de vêtements, son bonnet seulement était à ses pieds, avec le pistolet déchargé qui lui avait servi à se détruire ». Confisquant l’arme et plaçant les « scellés partout », l’auditeur confie à un médecin et à un chirurgien l’« inspection exacte du cadavre ». Durant l’autopsie qui repère les plaies crâniennes et démontre le mode opératoire, le médecin « trouve la verge du défunt entièrement gangrenée par le “virus vénérien”, en sorte qu’il aurait fallu faire l’amputation s’il n’était pas mort ». Diagnostiquant aussi la maladie vénérienne mortelle, le chirurgien attribue le suicide à la souffrance morale et physique : « je présume que le désespoir et le grand chagrin, que le dit [mort] avait de se voir dans ce triste état […], qu’il a résolu de s’ôter la vie de ce monde82 ». En 1792, un autre suicide est aussi motivé par la destruction de l’identité masculine. Face au lit conjugal où sa femme somnole derrière le baldaquin, un misérable « pailleur de chaises » (60 ans) se pend au clou d’une poutre. Réveillée par les râles, sa femme découvre le cadavre suspendu et alerte un voisin qui fait venir l’auditeur. Selon son fils (22 ans), le désespéré ne s’est jamais remis des « douleurs que lui avait […] causées un coup de pied de cheval aux parties83 ».

  • 84 PC 11794.

44Chez un « homme public » (magistrat), la maladie liée au vieillissement conduit parfois à la réclusion domestique. Rusant pour « cacher ses maux », le vieillard plonge dans l’isolement émotionnel et social avant de se tuer. En novembre 1768, brisé par la « fièvre frénétique », après une première tentative mise en échec par un domestique, l’ancien syndic Marc Pictet (75 ans), quatre fois en charge entre 1752 et 1764, gagne le lac vers 17 heures 30. Il est vêtu avec élégance. Dans le brouillard qui étouffe Genève, il croise un horloger qui remarque son visage « excessivement pâle ». Pictet ne lui rend pas son salut « respectueux ». Alors que l’horloger se perd dans la brume, Pictet saute dans le lac. Quatre heures plus tard, après qu’un passant a vu un « corps flottant la tête hors de l’eau », une barque de sauvetage sillonne la rade. Éclairés par des lanternes, deux hommes repêchent le cadavre de Pictet, entraîné vers la roue d’un moulin à grains84.

45Une semblable fatigue de vivre accable l’ancien syndic Robert Dunant, pasteur à Saint-Pétersbourg de 1724 à 1740. Le 13 novembre 1770, âgé de 72 ans, il se tue chez lui vers 9 heures du matin comme un patricien romain. Derrière le rideau de son lit, Dunant, armé d’une épée, sectionne ses veines jugulaires à deux endroits et perce son bas-ventre à quatre reprises.

  • 85 PC 12092.
  • 86 PC 14675.

46Intriguée par les soupirs de son maître, une domestique le découvre agonisant dans son sang. Elle prévient un pasteur qui informe le syndic de la garde. Vers onze heures, l’auditeur visite les lieux du suicide en compagnie du chirurgien Étienne Meschinet. Le légiste scrute les six « plaies mortelles » dans la région ventrale. Au crépuscule, exsangue et le « pouls mauvais », Dunant expire. Selon sa domestique, il a mis fin à la « grande mélancolie » qui l’épuisait85. En juillet 1785, Abraham Trembley évoque la défenestration vers 11 heures du matin de son oncle, l’ancien syndic Jean Trembley (81 ans). Si l’entourage évoque la « chute » accidentelle du disparu, celui-ci a souvent déploré sa souffrance : « Je ne vois plus rien, je deviens aveugle86. »

  • 87 PC 16802.
  • 88 PC 16022, avril 1790, pendaison d’un homme âgé de 66 ans.

47Devenue intolérable, la souffrance disparaît avec le suicide. Le 3 janvier 1793, l’auditeur enquête sur la scène d’une mort particulièrement tragique : « Lorsque j’ai entendu […] les cris de la servante […] qui appelait au secours, dépose un voisin, je suis descendu, et entré dans la chambre du sieur B., en ouvrant la porte, je l’ai vu assis sur sa chaise percée, le corps penché en avant, une main appuyée sur son lit, l’autre sur son genou, et son sang sortant avec abondance par une playe au milieu du corps, à ses pieds était un pistolet d’arçon que j’ai relevé, et qui était encore chaud ; j’ai ensuite emporté chez moi ce pistolet pour que ses enfants ne le vissent point87. » Mourir sur sa chaise percée à l’âge de 72 ans : le geste ultime du grabataire qui « perd la tête » met en relief la puissance morbide de la souffrance. « Inutile au monde », cachant son corps « devenu honteux », le vieillard préfère la mort à la déchéance. Dans l’« amour de Dieu », il se tue pour échapper à la décrépitude ou fuir l’hospitalisation forcée. Le désespéré est alors « enseveli comme un véritable chrétien88 ». L’enquête judiciaire et médico-légale conforte la thèse de la souffrance. Elle décriminalise la mort volontaire.

  • 89 PC 9859.
  • 90 PC 10241.

48En février 1752, le médecin du colonel Jacques Dunant qui se tire un coup de fusil dans la tête estime que le « cerveau [de son patient] était troublé quant à la manière de penser sur certains objets particuliers ». Avant sa mort, il lui administre des « purgations » avec une « copieuse » saignée au pied pour « débarrasser le cerveau, […] et prévenir une phrenesie dont il était menacé ». La thérapeutique de la purgation sanguine qui veut équilibrer les flux corporels n’empêche pas le suicide de Dunant89. Si la souffrance du corps est morbide, celle de l’âme l’est aussi. Le deuil insurmontable culmine dans le suicide des aînés. En juillet 1755, un charpentier (75 ans) se défenestre. Le décès de son épouse survenu en son absence l’a brisé. Selon un voisin de palier, il se « faisait des reproches de n’avoir pas vu les derniers moments de sa femme et de l’avoir laissée seule90 ».

  • 91 PC 13762.

49Après 1750, les conduites suicidaires des individus âgés de plus de 60 ans signalent l’intolérance devant la décrépitude. Elle n’a « jamais rien [entendu] qui put faire craindre que [sa mère] pensât à abréger ses jours. Il est vrai que dans l’excès de ses maux elle disait souvent qu’elle serait heureuse s’il plaisait à Dieu de terminer ses souffrances en la retirant de ce monde91. » Âgée de 20 ans en 1781, cette femme déplore le suicide de sa mère, qui ne supportait plus de souffrir. À l’aube d’une journée d’été, elle s’est jetée dans le lac. Avant sa mort, elle cherche « quelqu’un d’assez charitable pour lui tirer à la tête, un coup de pistolet ». Opposée à l’éthique chrétienne qui exalte la souffrance pour expier le péché, souvent emplie de dignité, la culture suicidaire met en relief la crue de l’intolérance individuelle face au « mal de la vieillesse ».

Briser le lien social

50Chez les jeunes adultes qui se tuent, la fragilité de l’âme contraste avec la vitalité corporelle. Le suicide juvénile affirme la volonté morbide qui transcende l’attachement social. Brisée par un chagrin d’amour, la fille d’un maître tailleur (24 ans) ingurgite de l’opium le 4 mai 1782. Avant de mourir, elle écrit sa dernière lettre à l’homme qui la rejette :

  • 92 PC 13889.

Est-il possible que votre amitié soit aussi chancelante ? Il me serait impossible de vous exprimer combien j’y suis sensible, je vous aime plus que jamais. Dieu m’en est témoin, et mon chagrin en est la preuve, mais qu’ai-je besoin du consentement de votre famille si je ne suis pas assurée du vôtre, si vous n’y prenez pas autant d’intérêt que moi, je voudrais vous obtenir de vous-même, le Consentement des autres n’est qu’un accessoire92.

  • 93 PC 14826.

51Individu contre communauté, symptôme morbide de la douleur, de la souffrance ou de la marginalisation : le « scandale du suicide » rompt le lien social — famille, quartier, voisinage. Effaré, le discours familial ou pastoral évoque alors la « folie », la « grande aliénation de l’esprit », la « mélancolie » ou la misanthropie du désespéré. Durant l’enquête judiciaire, les survivants louent pourtant la foi du suicidé. Il « voulait absolument mourir et aller vers le bon Dieu » : telle serait en mars 1786 la confession auriculaire murmurée à un pasteur par un sexagénaire, qui s’empoisonne après une dispute avec sa fille93. L’entourage normalise la biographie du mort et nie toute responsabilité : le suicide n’est imputable qu’à la solitude et à la souffrance morale ou corporelle. Depuis toujours, regretter le suicide de l’autre oblige à souligner l’innocence des vivants.

  • 94 Voir Michel Porret, « Mourir l’âme angoissée », article cité.
  • 95 PC 4833.

52Sous l’Ancien Régime, « mélancolique », malade ou « exalté », le suicidaire affronte seul son « mal de vivre ». Contre le « doux lien familial » qu’évoquent les ecclésiastiques, la mort « honteuse » signale le désarroi du désespéré. Celui-ci intériorise la souffrance et la faute de façon écrasante dans la société protestante, qui est sans rite compensatoire de la confession. Le désarroi du désespéré, dont le « cœur [est] empoisonné par les chagrins », est compensé par sa foi en la bienveillance de Dieu incapable de « traiter de rebelle une Créature qui pousse son âme angoissée jusqu’au point de se supprimer », selon les Réflexions sur le suicide d’Aimé Mellaret94. Si le suicide désigne la « mauvaise mort » socialement réprouvée, il mène parfois le désespéré à se tuer en « confiant son âme à Dieu ». Réfugié à Genève depuis quelques années, le notaire français Gabriel Chavanne se précipite en 1690 d’un pont sur le Rhône. Le cadavre ne sera jamais retrouvé. Selon l’enquête judiciaire, il souffrait de vapeurs cérébrales, mais était « fort craignant de Dieu95 ».

  • 96 PC 7055.

53« Névralgies crâniennes », « troubles respiratoires », « pleurésie » : le 24 mars 1723, vaincu par la souffrance, le maître d’école Jean-Louis Boursier saute dans le Rhône, par la fenêtre des latrines de son immeuble. Le choc aquatique alerte des passants. Deux jours plus tard, son cadavre est retiré de l’eau. L’expert qui l’examine n’y discerne aucune contusion ante mortem. Confirmant le suicide, le légiste évoque aussi le « dérangement [du] cerveau causé par une fièvre très ardente » qui conduit Boursier à la noyade96. L’affaire est classée par l’enterrement discret du désespéré qui a effacé sa souffrance en rejoignant la cohorte des individus morts à Genève au XVIIIe siècle par noyade volontaire ou accidentelle.

Notes

1 A. Bayet, Le suicide et la morale, Paris 1922 ; reprint, New York, 1975, p. 634.

2 L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977, p. 553-582.

3 Voir Michael MacDonald et Terence R. Murphy, Sleepless Souls. Suicide in Early Modern England, Oxford, Clarendon Press, 1993 (1990) ; Georges Minois, Histoire du suicide. La société occidentale face à la mort volontaire, Paris, Fayard, 1995 ; Robert Favre, La mort au siècle des Lumières, Lyon, PUL, 1978, p. 470.

4 Les lois criminelles de France dans leur ordre naturel, op. cit., p. 183.

5 M. J. Seidler, « Kant and the Stoics on Suicide », Journal of the History of Ideas, XLIV, 1983, p. 429-453.

6 Voir Samuel-Auguste Tissot, Avis au peuple sur sa santé, dans Œuvres complètes, Paris, 1813 (1761), I, « Introduction », p. 41-51.

7 Sur la sociologie du suicide à Genève, voir Laurent Haeberli, « Le suicide à Genève au XVIIIe siècle », dans Bernard Lescaze (éd.), Pour une histoire qualitative. Études offertes à Sven Stelling-Michaud, Genève, PUR, 1975, p. 115-129; Jeffrey R. Watt, Choosing Death. Suicide and Calvinism in Early Modern Geneva, Kirkswille, Truman State University Press, 2001.

8 PC 13346, « Suicide ».

9 Voir Lieven Vandekerckhove, La punition mise à nu. Pénalisation et criminalisation du suicide dans l’Europe médiévale et d’Ancien Régime, Louvain-La-Neuve, Bruylant, 2000, p. 37-119.

10 Institutes au droit criminel, op. cit., p. 535.

11 François Serpillon, Code criminel ou Commentaire sur l’Ordonnance de 1670, Lyon, 1767, 2 vol. , II, p. 972, sentence rendue par la prévôté et le bailliage d’Orléans.

12 Dictionnaire abrégé des sciences médicales, Paris, Panckoucke, 1821-1826, 15 vol. , XIV, p. 488.

13 Voir Adolphe Trébuchet, Jurisprudence de la médecine, de la chirurgie et de la pharmacie en France, Paris, 1834, voir « Table analytique et alphabétique, suicide », p. 754-755.

14 PC 4318 ; voir Julien Bregeault, « Procès contre les cadavres dans l’ancien droit », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 1879, p. 619-644.

15 Charles Du Bois-Melly, Des usages et des cimetières à Genève au siècle passé, Genève, 1888.

16 PC 6277.

17 PC 8273.

18 PC 4679, 1686 ; PC 8043, 1733 ; PC 8277, 1735.

19 RC, 1759, fol. 5.

20 Bibliothèque de Genève, Ms Comp. Past., 806 (Sermons divers XVIIIe siècle), 13, « Sermons sur Éphésiens », 5, verset 29 — personne n’a jamais haï sa propre chair mais il l’entretient et la chérit, sept folios.

21 Cité selon Laurent Haeberli, op. cit., p. 116.

22 Édouard Chapuisat, La municipalité de Genève pendant la domination française. Extraits de ses registres et de sa correspondance (1798-1814), Genève, 1910, 2 vol. , I, p. lxxxix.

23 T. R. Murphy, « “Woful Childe of Parents Rage” : Suicide of Children and Adolescents in Early Modern England », The Sixteenth Century Journal, XVII, 1986, p. 259-270 : entre 1485 et 1714, 67 % des suicidés sont âgés entre 11 et 40 ans (moyenne : 30 ans) ; selon Richard Cobb, Death in Paris, Oxford, 1978, à Paris, 51 % des noyés volontaires de la fin du XVIIIe se tuent après 39 ans.

24 Sur la statistique de l’anomie suicidaire à Genève au XIXe siècle, voir J.-M. Dufour, Étude statistique et comparée sur le suicide à la morgue de Genève (1800-1900), Marseille, 1903.

25 Jur. Pén. H4, 16, fol. 209.

26 Suicides de prisonniers : PC 7890, 1732 (femme) ; PC 13257, 1779 ; PC 15310, 1787 ; PC 17641, 1794.

27 Voir Pieter Spierenburg, The Spectacle of Suffering. Executions and the Evolution of Repression: from a Preindustrial Metropolis to the European experience, Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 56-57.

28 PC 17079, 1793.

29 Tableau de Paris, Amsterdam [Neuchâtel], 1782-1783 (nouvelle édition corrigée et augmentée), 10 vol. , III, chap. 258, « Suicide », p. 193-196.

30 Voir Jean-Étienne-Dominique Esquirol, Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, Paris, 1838, 2 vol. ; Alexandre Brierre de Boismont, Du suicide et de la folie-suicide, Paris, 1865.

31 PC 13346, 1778 ; PC 14170, 1781 ; PC 13889, 1782 ; PC 17092, 1792.

32 Henri Brunschwig, La crise de l’État prussien à la fin du XVIIIe siècle et la genèse de la mentalité romantique, Paris, Albin Michel, 1947, p. 267-268.

33 Voir Marie-Nicolas-Silvestre Guillon (évêque du Maroc, aumônier de la reine), Entretiens sur le suicide, ou courage philosophique opposé au courage religieux, et Réfutation des principes de Jean-Jacques Rousseau, de Montesquieu, de Madame de Staël, etc., en faveur du suicide, Paris, an X (1802) ; en 1836, l’ouvrage reparaît sous le titre Entretiens sur le suicide.

34 Voir Michel Porret, « Mourir l’âme angoissée » et Jean-Jacques Aimé Mellaret, « Réflexions sur le suicide », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 42, 1, 1995, p. 71-90.

35 PC 13851, « suicide ».

36 PC 11902, 1769, « suicide ».

37 PC 16472, 1792, « suicide ».

38 PC 1052, « suicide ».

39 PC 10868, 1761, « mutilation » (déposition du « sieur Meschinet Maître en chirurgie ») ; PC 12363, 1772, « suicide ».

40 PC 13851, 1782.

41 PC 12830, 1775, « suicide ».

42 Chaque procédure rappelle ce protocole médico-légal : voir PC 13762, août 1781, verbal du « Châtelain subrogé » au mandement de Peney qui lève le cadavre d’une femme (65 ans) noyée dans le lac hors de Genève.

43 PC 7692.

44 PC 14826, « suicide », mars 1786, deux rapports d’autopsies.

45 PC 10955, « suicide » ; l’usage de l’enterrement discret est attesté depuis la fin du XVIIe siècle ; voir PC 4679, « mort volontaire » de François Cartier, atteint de « vertiges et fièvre chaude », enseveli au cimetière « sans honneur ».

46 PC 12679, « suicide », dont rapport d’autopsie.

47 PC 8952, « suicide », dont rapport d’autopsie.

48 PC 4313, 8-9 février 1675, « suicide » au pistolet d’un aristocrate allemand.

49 PC 12205, juillet 1771, suicide, homme de 55 ans, dont rapport chirur

50 PC 15737, juin 1789.

51 PC 10617, « suicide ».

52 PC 13851.

53 PC 9859.

54 PC 16802, rapport chirurgical.

55 Étude médico-légale sur la pendaison, la strangulation et la suffocation, Paris, 1870, p. 2.

56 Ibid., p. 59.

57 PC 9425.

58 Voir Maurice Silie, Un des promoteurs de la médecine légale en France, Antoine Louis (1723-1792). Sa vie et son œuvre, Paris, 1924.

59 PC 15680.

60 PC 16626, 1792, rapport médico-légal du chirurgien Pierre-Louis Macaire.

61 PC 13916.

62 PC 13713, mai 1781, défenestration d’une nonagénaire morte de ses multiples fractures (crâne, face, côtes, cuisse gauche) ; PC 14140, août 1783, rapport du chirurgien Étienne Meschinet sur le crâne brisé d’une veuve défenestrée.

63 PC 8113.

64 Voir Victor Balthazard, Précis de médecine légale, Paris, 1911 (deuxième édition), p. 186-201.

65 PC 12679.

66 PC 8952.

67 PC 9425.

68 PC 11697, rapport du secrétaire de la « Direction de l’Hôpital général ».

69 PC 13851, février 1782.

70 PC 14089.

71 PC 9304, octobre 1746, pendaison d’une veuve (60 ans) ; PC 11565, décembre 1766, défenestration d’un septuagénaire dont l’« esprit est aliéné » ; PC 13090, février 1778, noyade d’un nonagénaire interné par son fils ; PC 13827, décembre 1781, défenestration d’une « vieille » femme malade ; PC 13893, juin 1782, pendaison d’une veuve « aliénée » ; PC 14140, août 1783, défenestration nocturne d’une veuve « inquiète et mélancolique ».

72 PC 11735.

73 PC 14363, juin 1784, pendaison en cellule forte d’un sexagénaire ; PC 15680, avril 1789, pendaison d’un sexagénaire « imbécile ».

74 PC 12944, mars 1777, suicide au fusil d’un horloger veuf depuis trois mois ; PC 13002, août 1777, autre suicide au fusil d’un veuf (75 ans) ; PC 13416, noyade d’un sexagénaire solitaire ; PC 14826, empoisonnement d’un sexagénaire répudié par sa fille.

75 PC 13916, juillet 1782.

76 PC 14927.

77 PC 13713.

78 PC 12830.

79 PC 11384.

80 PC 12205, témoignage du pharmacien qui soigna le malade (bains, lavements, cataplasmes, diète).

81 PC 12742.

82 PC 15737.

83 PC 16626.

84 PC 11794.

85 PC 12092.

86 PC 14675.

87 PC 16802.

88 PC 16022, avril 1790, pendaison d’un homme âgé de 66 ans.

89 PC 9859.

90 PC 10241.

91 PC 13762.

92 PC 13889.

93 PC 14826.

94 Voir Michel Porret, « Mourir l’âme angoissée », article cité.

95 PC 4833.

96 PC 7055.

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