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La politique en questions

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Pascale Dufour
, 
Philippe Faucher
, 
André Blais
, 
et al.

2. Comment sommes-nous représentés ?

Pourquoi les partis ont-ils recours à la publicité négative ?

Denis Monière

Texte intégral

1Pour s’attirer le soutien des électeurs, les partis peuvent recourir à deux types d’arguments : ils peuvent soit mettre en valeur leurs offres de politique, leur équipe ou leur chef, soit dénoncer les politiques des autres partis. Critiquer l’adversaire pour mieux se mettre en valeur n’est pas un phénomène nouveau. Cette logique promotionnelle est inhérente au choix démocratique qui suppose une comparaison entre plusieurs candidats, partis ou visions du monde. Ce qui est nouveau toutefois, c’est le dosage ou l’intensité des campagnes négatives. Aux États-Unis, on a constaté que les messages négatifs ont connu une progression fulgurante depuis la fin des années 1980. S’il y avait 5 % de messages négatifs dans les années 1960, cette proportion serait passée à 50 % dans les années 1980 et 1990. Une des campagnes les plus féroces fut celles de 1988 où M. Dukakis a fait diffuser 23 messages négatifs et G. Bush 14, dont le célèbre message de la « porte tournante » (sur le laxisme supposé du candidat démocrate en matière carcérale).

2L’effet de contamination sur la politique canadienne fut immédiat puisque la tendance à la négativité s’est affirmée à l’élection fédérale canadienne de 1988 qui se déroulait simultanément à l’élection américaine. Pour vérifier cet effet de mimétisme, nous avons établi quelle était la proportion de phrases contenant des attaques contre l’adversaire : 18 % des messages du parti gouvernemental contenaient des critiques de partis d’opposition, alors que 43 % des messages diffusés par les partis d’opposition attaquaient le gouvernement. En 1993, cette proportion est passée à 32,5 % pour le parti gouvernemental et à 41 % pour les partis d’opposition.

3Mais le style des messages publicitaires canadiens se démarque du modèle américain. Le discours publicitaire canadien utilise une logique argumentative différente en misant sur la combinaison chef-équipe, alors que les messages américains sont plus centrés sur la personne du candidat. Cette différence s’explique par la nature du système parlementaire, qui implique le principe de la responsabilité gouvernementale. Au Canada, on vote surtout pour faire élire un parti, alors qu’aux États-Unis, on vote pour faire élire une personne. La dualité culturelle et linguistique implique aussi que les partis conçoivent deux campagnes publicitaires différentes pour rejoindre les attentes des anglophones et des francophones. Cette dualité publicitaire est pratiquée depuis 1968 par le Parti libéral et depuis 1984 par le Parti conservateur.

4Les partis canadiens utilisent rarement la publicité négative dans le but de susciter une réaction de rejet en ternissant la réputation de l’autre ou en lui prêtant des intentions malveillantes. Ils préfèrent faire usage de la publicité comparative pour mettre en relief les effets désastreux des politiques de leurs adversaires et pour vanter les mérites de leurs positions ou de leur chef. Ce type de publicité semble mieux correspondre aux attentes de l’électorat qui réagit plutôt mal aux messages qui attaquent les personnes. Le Parti conservateur en fit l’amère expérience en 1993 en diffusant en anglais seulement un message qui mettait en doute les aptitudes de Jean Chrétien à diriger un gouvernement en dénigrant ses traits physiques et ses défauts d’élocution. Cette tactique fut employée en fin de campagne, alors que le parti gouvernemental était nettement devancé par les libéraux. Cette campagne eut des effets contre-productifs et provoqua un effet boomerang, soulevant tellement de protestations que le Parti conservateur dut retirer son message des ondes et s’excuser auprès de Jean Chrétien. Le message a suscité un sentiment de sympathie à l’endroit du chef libéral dont la cote de popularité s’est accrue, les Canadiens estimant que l’apparence physique n’était pas un critère pertinent pour juger un politicien. L’expérience canadienne confirme l’analyse de Roddy et Garramone, qui ont montré que la publicité négative a plus de succès lorsqu’elle porte sur un enjeu plutôt que sur une personne. On estime aussi que la critique par l’humour ou par un dosage subtil d’éléments positifs et négatifs minimise les risques de réactions contre l’émetteur et produit un meilleur rendement si le message active des sentiments de crainte. Malgré ces différences de style, il n’en demeure pas moins que la tendance à la négativité politique s’est aussi accrue dans les campagnes électorales canadiennes.

5Si la tendance à la négativité est naturelle ou systémique pour les partis d’opposition, elle est plus surprenante pour les partis gouvernementaux qui semblent vouloir de moins en moins capitaliser sur le bilan de leurs performances et qui, jusqu’à l’élection de 1993, participaient peu à la spirale de la négativité. Pour mieux comprendre cette tendance, il faut en premier lieu analyser le rôle de la publicité.

Les fonctions de la publicité électorale

6Si la publicité à elle seule ne peut assurer l’élection d’un parti, elle constitue un ingrédient indispensable de la politique moderne. Aucun parti politique ne voudrait prendre le risque de faire une campagne électorale sans diffuser de messages publicitaires. Ce choix ne s’explique pas seulement par la crainte d’être disqualifié de la compétition électorale par manque de visibilité. Il correspond aussi à la logique de la vie démocratique où, à l’occasion des campagnes électorales, les citoyens sont appelés à évaluer les partis et les candidats qui s’offrent pour former le gouvernement. Puisque le choix électoral repose sur l’information, un parti doit donc faire connaître ses candidats, ses idées et ses projets afin de convaincre l’électeur qu’il est meilleur que ses adversaires, ce qui est la fonction essentielle de la publicité électorale. Si la publicité est indispensable au succès des partis politiques, elle est aussi nécessaire aux électeurs, surtout à ceux qui s’intéressent peu à la politique. Elle leur permet d’économiser les coûts qu’implique l’acquisition de l’information politique et de faciliter le choix du parti qui se rapproche le plus de leur conception du bon gouvernement. Même si elle est décriée parce qu’elle est simplificatrice et qu’on l’associe à de la manipulation, la publicité n’en demeure pas moins un rouage essentiel de la vie démocratique.

7Les partis consacrent une part importante de leur budget électoral à l’achat de temps d’antenne. La publicité télévisée représente environ 30 % des coûts totaux d’une campagne électorale. L’importance de ce poste budgétaire s’explique par le fait que la télévision procure un accès direct à de vastes auditoires où se retrouvent ceux qui sont les moins politisés. Les messages politiques, étant insérés dans des émissions populaires jouissant de fortes cotes d’écoute et environnés par d’autres messages de nature commerciale, peuvent atteindre des électeurs qui, dans un autre contexte, refuseraient de s’exposer à un message partisan, soit parce qu’ils ne s’intéressent pas à la politique, soit parce qu’ils sont politisés et ne partagent pas le point de vue de celui qui émet le message. Les messages publicitaires ont aussi un avantage comparativement aux autres supports de communication, qui est de garantir au parti le contrôle sur le contenu de l’information, ce que n’offrent pas la conférence de presse ou le reportage journalistique, où la communication entre le parti et l’électeur est médiatisée par un tiers. Dans les campagnes modernes, les politiciens ont d’autant plus besoin de la publicité que leur temps de présence dans les bulletins d’information télévisée régresse et qu’ils contrôlent de moins en moins la parole publique. On estime qu’aux États-Unis, la durée moyenne du temps de parole des politiciens dans les nouvelles est passée de 40 secondes dans les années 1960 à environ 10 secondes dans les années 1990. La même tendance à l’effacement des politiciens des informations télévisées a été observée au Canada.

8Même si la publicité télévisée représente le principal poste budgétaire des dépenses électorales et même si elle est devenue l’arme privilégiée du combat politique, on ne connaît pas avec précision les effets de la publicité politique, car ceux-ci sont largement conditionnés par la culture politique et varient d’un électorat et d’une élection à l’autre.

9Selon plusieurs enquêtes menées dans différents pays, la fonction de la publicité télévisée n’est pas de convaincre l’électeur de changer son vote. Les recherches faites aux États-Unis sur la publicité électorale ont montré que les messages publicitaires servent plutôt à fixer l’ordre du jour politique en orientant la réflexion des électeurs sur les enjeux qui mettent en valeur les positions d’un parti. On les utilise aussi pour influencer la perception de l’image du parti et de son chef ou encore pour attaquer la crédibilité des adversaires. On sait aussi que la publicité a pour effet de renforcer les prédispositions partisanes et que même si elle n’influence que marginalement les intentions de vote, surtout celles des électeurs tardifs et peu intéressés par la politique, elle peut rendre le momentum favorable à un parti lorsque l’opinion publique est versatile. Enfin, elle stimule l’ardeur des travailleurs d’élection.

10Le rôle de la publicité n’est pas le même pour tous les partis. Un parti qui caracole en tête des sondages en début de campagne aura besoin de la publicité pour consolider son soutien, alors qu’un parti qui accuse un retard utilisera la publicité pour gagner des votes. Mais dans les deux cas, les partis adresseront leurs messages à ceux qui n’ont pas encore fait leur choix ou encore aux électeurs dont les opinions ne sont pas fermes.

Les effets de la publicité négative

11L’objet le plus discuté dans la littérature sur la publicité politique est l’efficacité de la publicité négative. Comme le phénomène de ce qu’on appelle la « dirty politics » tend à s’amplifier dans les démocraties occidentales, on essaie de comprendre pourquoi les partis y ont recours et quels en sont les effets sur la culture politique. Se pose aussi, implicitement, la question du désintérêt et du cynisme des citoyens envers la classe politique.

12Les recherches ont montré que les électeurs accordent plus d’attention aux messages négatifs, qu’ils les assimilent plus facilement et s’en rappellent plus longtemps. Cet effet de rétention affecterait surtout les électeurs ayant un faible niveau d’information politique et qui emploient des critères affectifs pour effectuer leur choix électoral. Cet effet peut être produit par les aspects périphériques du message que sont la musique, la couleur, le rythme des images. L’emploi du noir de même que les images fixes sont les techniques les plus efficaces pour induire des émotions négatives.

13La publicité négative est aussi efficace parce qu’elle réussit mieux que la publicité positive à faire parler d’elle. Les médias ayant tendance à valoriser le spectaculaire lui accordent beaucoup d’attention et accroissent son influence en l’intégrant comme objet d’information. Souvent un message atteindra son but non pas tant par sa diffusion dans le temps d’antenne payé par un parti, mais par la couverture médiatique qu’il suscitera, profitant ainsi de temps d’antenne gratuit. Présenté dans le contexte d’un bulletin d’information, il jouit d’une prime de visibilité et échappe aux mécanismes de l’exposition sélective. Cette tactique publicitaire a été employée pour la première fois aux États-Unis en 1964. Un message intitulé « Daisy », produit pour la campagne du président Lyndon B. Johnson, présentait une fillette effeuillant une marguerite ; on entendait sur la bande sonore une voix effectuant un décompte et la caméra, après un gros plan sur l’œil de l’enfant, montrait l’explosion d’une bombe nucléaire. Ce message laissait entendre que l’élection de Barry Goldwater pouvait mettre en danger la paix mondiale. Ce film fut conçu pour n’être diffusé qu’une seule fois, le 7 septembre 1964. Mais il fut rediffusé aux bulletins d’information de toutes les chaînes américaines procurant ainsi une visibilité gratuite à la thèse de Johnson. Plus récemment, aux élections fédérales de 1993, Radio-Canada a consacré, le 15 octobre, deux reportages au message négatif du Parti conservateur, même si celui-ci n’avait pas été diffusé en langue française.

14Mais cette expérience n’a pas servi le Parti conservateur et a montré qu’il s’agit d’une arme à double tranchant qui doit être manipulée avec beaucoup de doigté, car celui qui l’utilise doit savoir jusqu’où ne pas aller trop loin pour éviter les contrecoups négatifs. Il doit tenir compte des sensibilités du public. Un mensonge flagrant, une accusation sans fondement, une injure vulgaire peuvent choquer l’opinion publique et discréditer celui qui l’émet. Dénoncer les inconsistances, les échecs d’une politique ou les effets d’une politique proposée par l’adversaire tout en se présentant comme solution de remplacement est le stratagème le plus efficace.

15Comment un parti ou un candidat peut-il contrer les effets d’une publicité négative ? La règle de base veut que toute attaque exige une contre-attaque. En premier lieu, un parti peut agir préventivement en vaccinant l’opinion contre des messages négatifs par la diffusion de messages qui réfutent à l’avance les attaques de l’adversaire. Les libéraux fédéraux ont utilisé cette technique aux élections fédérales de 1993 en présentant au début de la campagne un message qui montrait en gros plan le visage de Jean Chrétien : « Drôle de tête, mais quelle vision », « Drôle de gueule, mais quel discours ». Cette vaccination explique peutêtre l’effet de rejet de la publicité négative des conservateurs. On peut détourner l’attention en attaquant directement l’adversaire. On peut aussi réagir en mettant en cause la légitimité de l’attaque, en rétablissant les faits, en réfutant les arguments adverses par des citations de personnes crédibles (titres de journaux, experts, etc.). On peut aussi désamorcer l’attaque en mettant en doute l’honnêteté ou l’intégrité de celui qui la professe. Enfin, on peut amener l’électeur à se distancer de la publicité négative en traitant la critique avec humour.

L’appréciation de la publicité négative

16Dans une recherche expérimentale que nous avons effectuée avec Jean H. Guay aux élections québécoises de 1994, nous avons demandé à 230 personnes d’évaluer les messages diffusés réellement par les partis durant cette campagne électorale. Cette campagne fut l’une des plus négative de l’histoire de la publicité électorale québécoise, la proportion des phrases négatives contenues dans les messages du Parti libéral étant de 30 % alors que celle du Parti québécois était de 42 %.

17Dans un premier temps, les répondants devaient remplir un questionnaire établissant leur profil socio-économique ainsi que leurs prédispositions partisanes. Ils visionnaient ensuite les messages diffusés par les partis et pendant la diffusion des messages, le répondant pouvait manifester son accord ou son désaccord à l’aide d’un réacteur instantané qui saisissait à chaque seconde les réactions d’approbation ou de désapprobation selon une échelle de cinq points : très positif, positif, indifférent, négatif, très négatif. Après l’expérience, il complétait un second questionnaire permettant d’évaluer dans quelle mesure l’exposition directe aux messages avait entraîné un changement d’attitudes. Chaque répondant était dans un isoloir et ne pouvait être influencé par les réactions d’autres personnes qui participaient à l’expérience.

18Nous avons constaté que la réaction aux messages est marquée par un fort biais partisan puisque les répondants libéraux donnaient une cote positive aux messages du PLQ et négative aux messages du PQ, alors que les péquistes faisaient l’inverse. Nous avons aussi constaté que les scores donnés par les répondants classés comme indécis se situaient entre les deux et oscillaient autour de la cote de l’indifférence. Le clivage partisan s’impose donc comme variable explicative de l’appréciation des messages.

19Nous avons aussi constaté que les messages à connotation négative recevaient les scores d’appréciation les plus faibles et que les messages contenant des attaques personnelles étaient les plus mal perçus par nos répondants. À l’inverse, ce sont les messages à contenu positif qui étaient évalués le plus positivement. Ainsi, le message qui s’est avéré le plus populaire était un message libéral centré sur le développement de la voiture électrique. Ce message ne contenait aucune référence au Parti libéral et aurait pu être produit par le Parti québécois. À la fin du message, les appuis sont si forts qu’ils frôlent l’unanimité.

20La publicité électorale est une composante d’un tout qu’elle cherche à synthétiser. Elle est en ce sens un indicateur des orientations de la culture dominante d’une société. La prédominance de la publicité négative dans le discours publicitaire des partis canadiens depuis la fin des années 1980 traduirait le creusement des clivages et l’augmentation de la conflictualité des enjeux au sein de la société canadienne. Cette nouvelle tendance s’expliquerait par le ton négatif adopté par les journalistes à l’endroit de la classe politique, cette couverture négative de la politique créant un environnement favorable à l’efficacité de ces messages. Dans un tel contexte, la négativité est dotée d’une plus forte crédibilité que la positivité.

21Compte tenu de cette désaffection croissante des citoyens envers la politique, la publicité négative devrait prendre de plus en plus d’importance dans les stratégies de communication, précisément parce qu’elle réussit à mobiliser l’attention du public qui a tendance à donner plus d’importance à ce qui va mal plutôt qu’à ce qui va bien. De plus, la logique du spectaculaire qui régit les choix médiatiques ne peut qu’amplifier cette tendance. Les campagnes électorales récentes au Canada confirment cette prévision de croissance de la négativité politique. Aux élections fédérales de 2004, le Parti libéral du Canada, affaibli par des scandales, eut recours à une stratégie de dénigrement de son adversaire conservateur, dénonçant dans tous ses messages l’intolérance et l’extrémisme de ce parti. Cette virulence fut payante puisqu’elle permit aux libéraux de former une nouvelle fois un gouvernement, minoritaire toutefois. En 2006, les libéraux, constatant en milieu de campagne un déclin de leurs soutiens, utilisèrent la même recette en diffusant en anglais et en français une série de messages extrêmement négatifs. On peut supposer que la redondance du procédé a pu en réduire l’efficacité : à la suite de deux campagnes extrêmement négatives menées par le parti gouvernemental, les conservateurs réussirent à leur tour à former un gouvernement minoritaire. Ces deux expériences électorales rapprochées dans le temps suggèrent que l’opinion publique ne peut absorber de trop fortes doses de messages négatifs et qu’on ne peut gagner une élection en se contentant de dénoncer les adversaires. Quoi qu’il en soit, on peut conclure que cette spirale de négativité contribue à accroître le cynisme des citoyens et favorise le déclin de la participation électorale. Il semble du moins y avoir une coïncidence dans le temps entre le déclin de la participation électorale et la croissance de la négativité dans les campagnes électorales.

Bibliographie

Pour aller plus loin

Ansolabehere, Stephen et Shanto Iyengar, Going Negative, New York, Free Press, 1995.

Monière, Denis et Jean H. Guay, La bataille du Québec. Deuxième épisode : les élections québécoises de 1994, Montréal, Fides, 1995.

Roddy, Brian L. et Gina M. Garramone, « Appeals and Strategies of Negative Political Advertising », Journal of Broadcasting and Electronic Media, vol. 32, no 4, 1988, p. 415-427.

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