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Pour comprendre le nationalisme au Québec et ailleurs

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Denis Monière

1. Deux typologies du nationalisme

Texte intégral

1La variété de ses formes et le caractère polymorphe de son contenu font du nationalisme un phénomène complexe qui suscite la controverse en sciences sociales où existe une diversité d’interprétations. L’étude du nationalisme soulève aussi la controverse parce que cet objet d’analyse pose le problème de la légitimité politique des États et qu’il est souvent abordé avec des préjugés négatifs, de sorte que les différents modèles explicatifs produits par la philosophie, la sociologie et la science politique se sont tous avérés plus ou moins erronés en prédisant d’une décennie à l’autre la disparition de cette idéologie.

2Pour illustrer la complexité du phénomène, nous présenterons brièvement deux typologies du nationalisme qui coexistent dans la littérature analytique : l’une, qu’on peut qualifier de classique, est construite sur des critères d’appartenance, l’autre distingue les nationalismes selon leurs objectifs.

3La première typologie oppose habituellement deux types de nationalisme : le nationalisme ethnique et le nationalisme civique.

  • 1 L’Allemagne a assoupli légèrement, en 1999, ses règles d’accès à la nationalité.

4Le nationalisme ethnique est souvent rattaché dans la littérature à la conception allemande de la nation, c’est-à-dire que la définition du groupe national est fondée sur le lien du sang ou sur l’ascendance familiale. On postule un lien organique qui suppose une origine commune. Ainsi, sont membres de la nation seulement ceux qui ont la même origine ethnique et qui en possèdent les attributs : soit une langue et une culture communes. Habituellement, cette filiation ethnique est établie par le lien maternel. Dès lors, l’acquisition de la nationalité ne peut être volontaire. On qualifie d’exclusive cette définition de la nation, car ceux qui n’appartiennent pas par naissance au groupe ethnique ne peuvent faire partie de la nation. Le cas concret qui se rapproche le plus de ce type de nationalisme est le nationalisme allemand : il est à peu près impossible à un travailleur étranger et à ses enfants nés en Allemagne de devenir allemands1. Par contre, toutes les personnes qui pour des raisons historiques ne vivent pas sur le territoire allemand et qui ont une mère allemande peuvent réclamer le statut de citoyen allemand, à la condition d’abandonner leur citoyenneté d’origine. C’est le cas des citoyens russes ou polonais d’origine allemande qui se sont établis en Allemagne après la chute du communisme.

  • 1 Gerald R. Alfred, Heeding the Voices of Our Ancestors, Toronto, Oxford University Press, 1995, p. (...)

5Cette définition ethnique de la nation est aussi celle utilisée par les peuples autochtones du Canada qui ont adopté une définition « native » du nationalisme. Gerald Alfred caractérise le nationalisme des Mohawks comme étant un ethno-nationalisme1. Cette définition implique que, sur les territoires gérés par les autochtones, les non-autochtones n’ont pas les mêmes droits politiques que les autochtones. On tente de justifier cette exclusion par la nécessité d’assurer la cohésion et la survie des peuples autochtones qui sinon, dans bien des cas seraient, numériquement noyés par les Blancs.

6Le nationalisme civique, ou politique, rejette l’origine ethnique comme critère d’appartenance à la nation. Est membre de la nation celui qui naît sur le territoire national et qui s’identifie aux normes, aux valeurs et aux institutions qui régissent le fonctionnement de la société. C’est la citoyenneté qui définit qui est membre de la nation. On peut décider de devenir membre d’une nation, à la condition de répondre à certaines exigences plus ou moins contraignantes selon les pays. On impose habituellement un critère de durée de résidence (3 ans au Canada et de 5 à 10 ans ailleurs) et on demande une connaissance minimale de la langue et parfois de l’histoire nationale. On qualifie cette conception de conception française de la nation.

7Une deuxième typologie classe les nationalismes selon les objectifs poursuivis par les mouvements politiques qui s’en réclament. Les différentes formes de nationalisme peuvent être regroupées sous quatre catégories.

8Le nationalisme de domination est fondé sur l’affirmation de la supériorité d’un groupe qui est mobilisé pour la conquête d’autres groupes et territoires. Ce nationalisme présente le groupe national comme doté de caractéristiques biologiques ou culturelles qui fondent sa supériorité sur les autres. Cette supériorité, d’origine divine ou naturelle, justifie ses prétentions hégémoniques. La forme la plus extrême de ce nationalisme aboutit à l’idéologie totalitaire, historiquement associée au nazisme et au fascisme.

9On peut aussi classer dans cette catégorie d’autres phénomènes comme l’impérialisme et le colonialisme, ces idéologies justifiant la domination d’un peuple sur les autres par sa supériorité technique, économique ou culturelle. On prétend alors dominer les autres peuples pour leur propre bienêtre, afin de leur apporter les bienfaits de la civilisation et de la culture. C’est la thèse de la mission civilisatrice qui a animé la politique colonialiste des puissances européennes. Aujourd’hui, les puissances occidentales justifient leurs interventions dans les affaires des autres pays en invoquant le progrès et la démocratie.

10Le nationalisme de libération s’appuie sur le principe libéral de l’égalité politique. Au nom de cette égalité, cette idéologie rejette la domination des puissances étrangères et lutte pour l’indépendance nationale et la création d’un État-nation, ou sa restauration dans le cas d’une défaite militaire. Ce type de nationalisme s’est manifesté principalement dans le mouvement de décolonisation qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. Une variante de ce type de nationalisme est le nationalisme d’unification qu’on retrouve avec le nationalisme allemand de Bismarck et le Risorgimento italien au XIXe siècle. Le nationalisme de libération implique donc la mise en cause des structures politiques établies, soit par la sécession, soit par l’unification des diverses portions du territoire national soumises à plusieurs souverains.

11Le nationalisme de conservation, ou officiel, désigne l’idéologie dominante dans les États-nations déjà constitués. Il prend la forme du patriotisme et s’exprime par la loyauté aux institutions. Il se manifeste par la célébration des symboles nationaux, comme le drapeau, l’hymne national, la fête nationale, ou encore par la glorification des exploits des enfants du pays dans les compétitions sportives. Son but est de reproduire dans le temps l’identité nationale et la cohésion collective.

12Le nationalisme de revendication désigne les mouvements politiques formés par des groupes ethniques minoritaires qui luttent contre la discrimination ou pour la reconnaissance de droits particuliers sans remettre en cause leur appartenance à un État supranational ou multiethnique. C’est le cas du nationalisme canadien-français.

13Ces deux typologies définissent des « types idéaux » et ne correspondent pas exactement à tous les cas possibles de nationalisme car, dans les situations historiques concrètes, on peut retrouver dans une même société des combinaisons, des amalgames entre deux ou trois types de nationalisme, ce qui est le cas au Québec où se chevauchent et se combattent un nationalisme de libération, un nationalisme de conservation et un nationalisme de revendication. Chacun de ces types de nationalisme se distingue par la référence à une identité particulière : québécoise pour le premier, canadienne pour le second et canadienne-française pour le troisième.

14Nous nous proposons dans cette revue des théories de la nation et de la sécession de mettre en évidence les connaissances philosophiques, sociologiques et historiques nécessaires à la compréhension du nationalisme québécois et des revendications nationalitaires qui s’expriment dans les sociétés développées.

Notes

1 Gerald R. Alfred, Heeding the Voices of Our Ancestors, Toronto, Oxford University Press, 1995, p. 178.

Notes de fin

1 L’Allemagne a assoupli légèrement, en 1999, ses règles d’accès à la nationalité.

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