Chapitre 1. Jean-Paul Morin, entrepreneur... passionnément !
p. 37-85
Remerciements
Grand merci à Joëlle Piffault (Hafsi) pour ses commentaires, suggestions et corrections.
Texte intégral
INTRODUCTION ET RÉSUMÉ
1Bel exemple d’expression entrepreneuriale, ce cas illustre l’ascension de Jean-Paul Morin, un petit gars de l’Est de Montréal, profondément marqué par son enfance, que rien ne prédestinait à devenir un homme d’affaires prospère et influent. Fondateur du Collège LaSalle, il a révolutionné le secteur des collèges privés et a ouvert la voie au développement de l’industrie de la mode et du design vestimentaire. Le cas montre comment Jean-Paul Morin a défoncé des portes pour concrétiser son rêve. Les détails historiques qui accompagnent le cas permettent de mieux saisir le contexte dans lequel s’inscrit cette page d’histoire de l’entrepreneuriat au Québec.
2Le cas met en relief les événements marquants de son enfance et relate comment il a transformé sa rage en détermination à s’en sortir.
3La suite ininterrompue de succès de Jean-Paul Morin repose, dans un premier temps, sur un riche passé « intrapreneurial » où se succèdent les « points tournants » qui le préparent à devenir extrapreneur, c’est-à-dire quelqu’un qui se lancera en affaires dans un domaine où il a développé une expertise en agissant comme intrapreneur au sein d’une entreprise qui l’employait. Ses expériences chez Ogilvy’s, Dupuis & Frères, Fabien, Kelldor et Fashion Craft ont façonné son talent de gestionnaire et l’ont préparé à bâtir sa propre entreprise.
4Le cas Jean-Paul Morin, mène à la découverte de la pratique entrepreneuriale et suit la trace d’un entrepreneur à travers son savoir-être, son savoir-faire, son savoir-devenir et son savoir-réaliser. Il permet d’assister à la naissance d’une entreprise et de suivre son évolution.
OBJECTIFS D’APPRENTISSAGE
5►► Identifier les différentes caractéristiques entrepreneuriales de l’entrepreneur :
Caractéristiques dominantes : éléments de démarcation.
Valeurs : d’où émergent-elles et comment se manifestent-elles ? (éducation, milieu social, expériences).
Influence familiale.
Expérience dans le domaine des affaires : nombre d’années dans le domaine, nombre d’industries dans lesquelles il a œuvré.
Niveau d’engagement : évalué en fonction des actions qu’il prend, du niveau d’énergie qu’il semble déployer dans ses actions.
Leadership : la façon dont il se manifeste ; son impact sur la culture d’entreprise.
Vision : cohérence avec la réalité, diffusion dans l’entreprise.
Illustrer le comportement dans l’identification et l’exploitation des occasions d’affaires.
Évaluation de l’impact de ses valeurs sur ses choix d’occasions d’affaires.
Actions qui lui permettent de comprendre un marché, de s’y adapter et de l’influencer.
Rôle et contribution accordés aux différents acteurs qui entourent l’entreprise : clients, concurrents, fournisseurs.
Importance accordée aux relations d’affaires et au réseautage.
6►► Décrire l’attitude face au changement et à l’innovation :
Comportement, actions et réactions face à la croissance de son entreprise, aux changements du marché.
Innovation dans l’exploration de nouveaux marchés.
Difficultés quotidiennes et façons de les surmonter.
Exemples de changements et/ou innovations : actions prises et résultats obtenus.
Développement de sa vision en fonction des changements.
7►► Exposer les modes d’apprentissage et de ressourcement :
Sources d’information utilisées pour comprendre l’industrie, le marché.
Importance du mentorat.
Équilibre entre vie professionnelle, sociale et familiale.
Niveau d’engagement social.
8►► Expliquer les facteurs de succès de l’entrepreneur.
QUESTIONS SUGGÉRÉES SUITE À LA LECTURE DE CE CAS
9►► Quels sont les facteurs qui ont le plus contribué aux succès de Jean-Paul Morin ?
10►► Comment expliquer ses succès comme entrepreneur et dirigeant d’entreprise, lui qui n’avait aucune expérience dans le secteur des collèges privés ?
11►► Peut-on qualifier Jean-Paul Morin de visionnaire ? Que penser de sa stratégie ?
12►► Auriez-vous aimé travailler pour Jean-Paul Morin ?
13►► Que penser de ses origines ? De ses modèles ?
14►► Que penser de la stratégie de croissance déployée par Jean-Paul Morin (diversification des produits) ?
15►► Qu’avez-vous appris à la lecture de ce cas ?
16►► Qu’auriez-vous suggéré à M. Morin pour améliorer sa gestion ? Pour préparer sa relève ou la vente de son entreprise et sa retraite ?
DESCRIPTION DU CAS
LA DÉCOUVERTE DE SON POTENTIEL ENTREPRENEURIAL
17À 10 ans, Jean-Paul Morin réalisait ses premiers défilés de mode en découpant des vêtements dans des catalogues de mode et en les épinglant au mur. À 30 ans, il s’était taillé une place enviable dans le secteur des grands magasins de détail. À 50 ans, il possédait son propre collège de mode. Et à 80 ans, sa passion pour la mode continue d’être toujours aussi vive.
18Venir au monde dans un quartier défavorisé et grandir dans une famille pauvre ne signifie pas pour autant « être né pour un petit pain ». Jean-Paul Morin, le « mouton noir » de la famille, explose de façon grandiose. L’histoire de ce Montréalais « pure laine » est aussi l’histoire du parcours d’un entrepreneur dans le domaine de la mode et plus particulièrement dans celui de l’éducation à la mode. Parler de Jean-Paul Morin, fondateur du Collège LaSalle, c’est également feuilleter une page de l’histoire de l’éducation au Québec.
19Son cheminement résulte d’un concours de circonstances jumelé à une détermination sans faille. « Cela ne vient pas tout seul, reconnaît-il. Puis, il ajoute : on a deux choix dans la vie : regarder passer le train ou être dedans1. » Comme il a choisi d’être dedans... et de conduire la locomotive, il a dû défoncer de nombreuses portes sur son chemin. Passionné, il roule à 100 milles à l’heure et s’investit complètement et totalement dans ce qu’il entreprend. Gestionnaire, conférencier, formateur ou organisateur, Jean-Paul Morin exerce ses multiples talents sur de nombreuses scènes. Excellant dans l’art de décoder l’environnement, il fut un précurseur dans bien des domaines.
20Pendant 20 ans, d’aventures en aventures et... de fil en aiguille, menant à la fois une carrière professionnelle dans le secteur de la vente des produits de la mode en même temps que de nombreuses activités de nature sociale, il travaille pour les autres, en tant qu’intrapreneur. Puis son rêve prend forme ; dès lors, il consacre les 29 années qui suivent à le réaliser. Ce rêve se nomme le Collège LaSalle.
LE COLLÈGE LASALLE2 : SON PROJET DE VIE
21Doté des plus récents équipements « high tech », le plus important collège technique bilingue au Canada s’apprête à lancer son tout nouveau portail éducationnel sous le nom de « iLaSalle.com ». Collège par excellence pour tous ceux et celles qui recherchent une maison d’enseignement parfaitement adaptée aux réalités du marché du travail et plus particulièrement aux nouvelles technologies, le Collège LaSalle intègre l’apprentissage des technologies de pointe requises par le marché à l’ensemble de ses formations. En plus d’offrir un guichet interactif accessible par Internet, le Collège innove en étant le premier à mettre à la disposition de ses étudiants un service d’appel automatisé lorsqu’un des cours est annulé pour la journée.
22D’une institution de type collège d’affaires fondée en 1959, à son statut de société multinationale dans la formation technique et professionnelle de niveau collégial, l’institution montréalaise a formé des dizaines de milliers de Québécoises et de Québécois ainsi que des élèves venant d’une cinquantaine de pays en plus de promouvoir la relève dans le monde de la mode, celui de la gestion internationale, du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration et de l’informatique, sans oublier les formations en transport, en imagerie numérique, en design d’intérieur ainsi qu’en soins de beauté et maquillage artistique3.
23Le Collège LaSalle offre à ses étudiants deux parcours académiques distincts, reconnus par le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ). La formation habituelle conduit à l’obtention du Diplôme d’études collégiales (DEC) alors que la formation continue, secteur réservé aux adultes, offre des programmes orientés vers la spécialisation qui donne droit à une Attestation d’études collégiales (AEC).
24Le Collège LaSalle réalise ses activités à travers ses quatre écoles. L’École internationale de mode offre trois programmes : design de mode, commercialisation de la mode et gestion de la production du vêtement. L’École d’hôtellerie, de gestion alimentaire et de tourisme offre également trois programmes : gestion hôtelière, services alimentaires et de restauration ainsi que tourisme. Le programme de gestion internationale est offert à l’École de gestion internationale. Quant à l’École d’informatique, elle permet de suivre les programmes suivants : analyse et programmation informatique, informatique de gestion et gestion de réseaux.
25Le Collège LaSalle est une filiale du Groupe Collège LaSalle, société de gestion privée dont les filiales œuvrent dans les domaines de la formation professionnelle, des ressources humaines, de la consultation, de l’immobilier et dans le développement de logiciels.
26Présent dans 21 villes à travers le monde dont la Chine, la Colombie, l’Indonésie, le Maroc, Singapour, la Tunisie, la Turquie, le Viêtnam, le Collège LaSalle a conclu des ententes de collaboration avec plusieurs grandes universités, partout dans le monde, favorisant ainsi un accès plus rapide à une formation universitaire dans le domaine choisi.
27Son service de placement à vie constitue un atout considérable pour les détenteurs d’un diplôme qui peuvent y avoir recours tout au long de leur carrière. Cet aspect prend toute son importance dans un monde en perpétuelle transformation où la sécurité d’emploi se conjugue au passé, où l’on est obligé de changer plusieurs fois d’employeur en cours de route.
28Afin d’encourager les étudiants dans la poursuite de leurs études, le Collège LaSalle octroie annuellement deux bourses d’études à de nouveaux étudiants ; il s’agit de la Bourse du 40e anniversaire et de la Bourse Jean-Paul Morin, en l’honneur du président-fondateur. Ces bourses ont la particularité d’être renouvelées pour la durée du programme, tant que les récipiendaires maintiennent une moyenne générale au-dessus de 70 %.
29L’âme du Collège LaSalle, c’est son fondateur, Jean-Paul Morin, dévoilé... sous toutes ses coutures !
UN RÊVE, UNE VISION, UNE RÉALISATION
30« Pars un collège ! », cette phrase lancée par Gerry Côté, son assistant chez Fashion Craft, fait tout basculer chez Jean-Paul Morin. Cela l’intéresse. Si cela fonctionne bien pour le beau-frère de Gerry qui a ouvert un collège commercial, pourquoi n’en serait-il pas de même pour lui ? « Assez, c’est assez ! », se dit-il. Ce qu’il fait pour les autres, il peut très bien le faire pour lui-même. C’est l’étincelle. C’est le début d’un grand rêve... un rêve qui devient le Collège LaSalle. À partir de ce moment, sa vision prend forme. Il part en tournée à travers le Canada et visite plusieurs collèges. Il analyse les forces et les faiblesses de chacun. Il est décidé. Son idée est faite. Son collège ne ressemblera en rien à ce qu’il a vu ailleurs. Pas question de foire comme les autres collèges commerciaux au Québec et de s’installer dans un sous-sol de maison avec des « vieilleries ». Jean-Paul Morin veut une place de choix pour son collège et pour ses étudiants. Le moment est opportun puisque les gens se tournent de plus en plus vers les collèges privés, délaissant l’enseignement prodigué par les communautés religieuses. Suite à une période d’incubation d’environ trois mois, il donne sa démission et quitte Fashion Craft, non sans avoir obtenu la charte du Collège. Nous sommes en mars 1959. Il est prêt pour la grande aventure entrepreneuriale. Désormais, il travaillera pour lui-même. D’intrapreneur, il deviendra extrapreneur. Pour lui, comme il le fait remarquer, Life begins at forty.
31Ce n’est certes pas le fruit du hasard si Jean-Paul Morin a choisi de fonder un collège ; il adore enseigner. Cependant, il ne connaît rien aux collèges et, loin de l’effrayer, cela le stimule. Il est convaincu qu’en affaires, il ne faut pas avoir peur, car la peur paralyse et empêche de progresser. Il a donc appris jeune à contrôler son anxiété. Se laissant guider par son intuition et son sens des affaires, il fonde un collège « modèle » et transforme l’éducation au sein des collèges privés. Que ce soit dans les domaines de la mode, des lignes aériennes, de l’hôtellerie ou du secrétariat, les concurrents du Collège LaSalle s’arrachent les cheveux en raison de son succès. Jean-Paul Morin est fier du chemin parcouru, des nouveautés qu’il a imaginées et implantées pour être le meilleur. Comme il le dit lui-même, « j’ai commencé à partir de rien ».
UNE CROISSANCE FULGURANTE
32Jean-Paul Morin demande à un de ses bons amis, qui est entrepreneur, de lui bâtir le Collège. L’édifice est érigé à Ville LaSalle, à l’angle des rues Centrale et 2e Avenue. Le Collège LaSalle ouvre ses portes à l’automne 1959, à l’aube de la Révolution tranquille. À cette époque, le ministère de l’Éducation n’existe pas encore. Il était donc relativement facile d’obtenir un permis d’enseignement ; par contre, il lui est impossible d’obtenir une subvention. Peu contrôlés, les collèges offraient un enseignement de qualité variable ; certains affichaient même un certain laxisme. Jean-Paul Morin, lui, ne vise que l’excellence. Cependant, le collège dont il rêve coûte cher et les ressources lui manquent pour financer tout le projet. Il s’adresse à la Caisse populaire Notre-Dame-du-Sacré-Cœur à Ville LaSalle où il occupe le poste de président du conseil d’administration. Après négociations avec le gérant de la caisse, il obtient un prêt sur billet puisque les prêts commerciaux n’existent pas encore. Le prêt de la Caisse permet de payer l’aménagement du Collège mais ne couvre pas son salaire. Comment fera-t-il vivre sa famille ?
33Doté d’une grande énergie intérieure, Jean-Paul Morin est infatigable. Véritable homme-orchestre, il voit à tout, jusque dans les moindres détails. C’est lui qui, au quotidien, définit l’organisation, les activités, la route à suivre ; c’est lui qui maintient le cap et qui « veille au grain ». Il fait les inscriptions dans son salon, avant même que le Collège ne soit prêt. Il dessine les plans du Collège. Il s’improvise menuisier et bâtit lui-même les meubles du Collège avec les quelques dollars empruntés à la Caisse populaire. Du jamais vu ! Il peint les tables « rose criant » et achète des dactylos jaunes, bleus, verts et rouges. Jean-Paul Morin qualifie son Collège de « bijou d’innovation et de couleurs ». Il entre au Collège tôt le matin et en ressort tard le soir. Trois à quatre heures de sommeil par nuit lui suffisent pour récupérer. Les fins de semaine sont réservées aux prévisions budgétaires. La première année, le Collège accueille 40 étudiants dont 34 filles et 6 garçons qui paient chacun 250 $ pour l’année.
34Jean-Paul Morin est un homme d’affaires qui carbure à l’instinct. Il se fie énormément à son sixième sens. Il veut faire mieux que les autres dans le domaine des « Business College », un secteur en plein développement. Il lance son premier cours, une formation de neuf mois en secrétariat bilingue, sans étude de marché. C’est sans doute pour cette raison qu’il se qualifie de « plongeur ».
35Il enseigne tous les sujets, de la comptabilité à la correspondance, en passant par l’anglais des affaires, tandis que Myrette Lapierre, sa partenaire de travail des premières heures, enseigne la sténo et la dactylo.
36À ses débuts, le Collège LaSalle est considéré comme un « Business College » ; l’enseignement y est de niveau postsecondaire. L’institution fonctionne sans subventions et décerne des diplômes « maison ». En 1959, plusieurs étudiants optent pour des études de secrétariat bilingue d’une durée d’un an après leur 11e année, puis commencent à travailler.
37Les premiers cégeps (collèges d’enseignement général et professionnel) sont créés vers la fin des années 1960 ; pourtant, le Collège ne reçoit son statut d’établissement collégial, tel que défini par le MEQ, qu’en 1973. Entre-temps, il est autorisé à émettre des « Certificats d’études collégiales » (CEC) pour une formation échelonnée sur deux ans. Mais à la différence des autres institutions de niveau collégial, les étudiants sont dispensés des cours de base obligatoires. Le Collège ne reçoit toujours pas de subventions. Pour éviter que ses élèves n’abandonnent leurs études entre la première et la deuxième année, Jean-Paul Morin innove en restant ouvert durant tout l’été. Cette formule, très prisée des étudiants, leur permet non seulement d’accéder au marché du travail trois mois plus tôt que les étudiants des autres établissements mais souvent aussi d’obtenir un meilleur emploi. Lorsque le Collège est reconnu comme établissement de niveau collégial, il commence à recevoir des subventions. Le gouvernement interdit alors à Jean-Paul Morin d’enseigner durant l’été. Il obtempère à son grand regret, car ses étudiants avaient jusque-là l’avantage de terminer avant les autres et d’avoir ainsi un accès plus facile au marché du travail.
38La découverte de la méthode Speedwriting lors de la visite d’un collège, à London, en Ontario, constitue un point tournant dans la carrière de Jean-Paul Morin. Cette méthode, qui offre un élément supplémentaire de différenciation, contribue au succès du Collège LaSalle. En 1960, Jean-Paul Morin acquiert les franchises Speedwriting et les services Nancy Taylor en exclusivité pour Montréal et la périphérie. La sténographie Speedwriting, méthode révolutionnaire de sténo basée sur l’alphabet, est offerte en français et en anglais. Le cours de charme et de maintien Nancy Taylor assure une formation complète à la secrétaire moderne. Les franchises sont gratuites mais le franchisé s’engage à acheter tout le matériel pédagogique directement chez Speedwriting, dont le siège social est situé à New York. (Speedwriting, nom donné à la méthode de sténo, est également le nom de l’entreprise.)
39Speedwriting organise de nombreux séminaires de formation pour les franchisés et Jean-Paul Morin apprend beaucoup au contact des Américains. Ses nombreux voyages aux États-Unis sont toujours source d’inspiration. Ce sont d’ailleurs les Américains qui lui font découvrir le concept des journées « portes ouvertes » ainsi que l’importance du service à la clientèle. En adaptant les stratégies de vente américaines à son Collège, Jean-Paul Morin devient rapidement le chef de file des collèges privés. En 1967, il devient le coordonnateur de Speedwriting pour tout le Canada et investit les revenus qui en découlent dans l’expansion de son Collège. Avec le temps, il participe également aux grandes décisions de la famille Sheff, propriétaire de Speedwriting. Jean-Paul Morin n’a pas toujours « les pieds sur terre », car son travail l’amène à se rendre à New York une à deux fois par mois pour organiser des congrès de Speedwriting. Entre ciel et terre, il n’est pas question de « bosser » sur les dossiers ; il en profite pour faire le vide et se reposer. Speedwriting finira par être vendue à la multinationale ITT (International Telephone and Telegraph) en 1968.
40Les succès qu’il connaît n’aveuglent pas Jean-Paul Morin qui pressent que l’avenir du Collège est limité s’il le laisse à Ville LaSalle. En effet, le bassin de population réduit ainsi que la présence du canal Lachine constituent des obstacles majeurs qui limiteront toujours son expansion. En 1962, il décide de s’installer au centre-ville de Montréal en raison du grand potentiel du marché qui s’y trouve. Il privilégie le centre-ville, en plein cœur de F agitation urbaine et près des transports en commun, sur la me Sainte-Catherine. Huit élèves seulement s’inscrivent dans le nouvel établissement qu’il loue au 1181, rue Sainte-Catherine ouest, au coût de 800 $ par mois. Fouetté par cet échec, il innove en introduisant de nouveaux produits dont un programme de lecture rapide, le Powereading, et jure qu’une telle situation ne se reproduira jamais plus.
41En 1965, Jean-Paul Morin a 45 ans. Curieux comme pas un, il se tient au courant de tout ce qui se passe dans son secteur. Cela lui permet de se comparer aux autres et d’innover. Il aimerait bien que les journées aient plus de 24 heures pour réaliser toutes les activités qu’il voudrait, car, en plus d’occuper tous les postes clés de son entreprise, tant stratégiques qu’opérationnels, il enseigne et produit les circulaires pour Greenshields, Hodgson & Racine. Il est également président de la Caisse populaire Notre-Dame-du-Sacré-Cœur à Ville LaSalle et s’implique dans de nombreuses tâches communautaires. En 1965, il embauche Pauline Dugas à titre de secrétaire de direction. Elle le secondera durant 22 ans. Elle vient s’ajouter aux trois professeurs à temps plein et aux quatre professeurs à temps partiel qu’il emploie déjà.
LE PÈRE DE L’ENSEIGNEMENT DE LA MODE AU QUÉBEC
42Durant cette même année 1965, lors d’une assemblée, Jean-Paul Morin apprend que la direction de Speedwriting est en train de mettre sur pied deux nouveaux programmes : la carrière dans les lignes aériennes et la commercialisation de la mode. Cela l’intéresse au plus haut point, en particulier le programme qui touche la mode.
43D’ailleurs, Jean-Paul Morin doit une partie du développement des produits du Collège LaSalle à ses patrons new-yorkais, dirigeants de Speedwriting. Visionnaires, ces derniers connaissent également l’expérience de ce Montréalais dans la commercialisation de la mode. « Jean-Paul, lui ont-ils dit, un jour tu vas être content d’avoir d’autres classes parce que le cours de secrétariat n’existera plus. » Ces prédictions ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. Après avoir délaissé la commercialisation de la mode pour se consacrer à la création de son Collège, il revient donc à ses premières amours et y effectue un retour avec les cours de mode développés par les dirigeants de Speedwriting. Il connaît bien le secteur, car il s’y était bâti une crédibilité solide au début de sa carrière.
44Le cours de commercialisation de la mode enseigné au Collège LaSalle s’étend sur dix mois et est conçu par des professeurs du Fashion Institute of Technology, la plus grande école de mode au monde, située à New York. Désireux de maintenir la qualité de l’enseignement, Jean-Paul Morin enseigne tous les cours du programme à l’exception du cours sur les fibres et étoffes qu’il confie à une experte en la matière. Toujours soucieux de donner le maximum à ses étudiants, il met sur pied un programme de coopération avec les magasins qui s’engagent à embaucher et à rémunérer les élèves pendant leur formation.
45Constatant le manque de ressources en enseignement de la mode au Canada, Jean-Paul Morin veut changer les choses. Il ne se contente pas d’offrir un programme de formation dans le secteur de la mode ; il veut aussi offrir une véritable école de mode capable de déboucher sur la conception d’une mode authentiquement canadienne et non seulement sur la commercialisation ou la copie d’une mode importée. Il connaît le commerce de la mode mais pas le design de mode. Il fait donc appel à Michelle Bussière, diplômée en design de l’École des arts et métiers du Québec, cette même école qui a vu défiler Léo Chevalier, et par la suite Michel Robichaud et Jean-Claude Poitras. En 1973, il lui confie le mandat de créer une école de mode. Michèle Bussière commence à former les premiers designers du Collège. Design, fabrication et vente : le cycle complet de la mode, depuis la conception jusqu’à la commercialisation, est désormais présent. En 1978, le Collège est désigné « Centre spécialisé de la mode pour la province de Québec » par le MEQ.
46Jean-Paul Morin a enseigné un de ses premiers cours de mode à Suzanne Tailleur, épouse de l’ancien ministre de l’Industrie et du Commerce, Gérald Tremblay, dans le cabinet de Robert Bourassa et aujourd’hui maire de Montréal. Quel que soit le cours qu’il donne, Jean-Paul Morin se consacre corps et âme au Collège.
47En 1985, il est invité au Festival du lin de Monaco. Sa participation à cet événement l’honore, puisque les cinq autres conférenciers sont tous directeurs des plus grands collèges de mode au monde. Sa présence parmi eux confirme en quelque sorte sa réputation d’envergure internationale. Comme il ne fait jamais rien à moitié, Jean-Paul Morin arrive à Monaco avec une garde-robe complète en lin.
48Sa persévérance, des années de patience et ses efforts constants sont enfin récompensés. En effet, en 1995, le Collège devient une composante de l’UQAM et peut offrir trois baccalauréats en mode : dessin de mode, production de la mode et marchandisage de la mode. L’École supérieure de mode du Québec est née.
MULTIPLICATION DES LIGNES DE PRODUITS
49Le programme de carrière des lignes aériennes conçu par la Airlincs Training School de Denver, entreprise de réputation internationale, s’étend également sur une période de 10 mois. Ce n’est pas un programme pour devenir hôtesse de Fair ; par contre, dans des classes spécialement aménagées à cet effet, les élèves apprennent tout ce qui touche le fonctionnement d’une agence de voyages et de réservations pour lignes aériennes. Jean-Paul Morin crée également des partenariats avec Air Canada et avec des agences de voyages afin d’assurer le succès et la crédibilité du programme. Léchange de visites entre le Collège et l’industrie assure le pont entre la théorie et la pratique. Trente élèves s’inscrivent à ce programme dès la première année, en 1965.
50En 1971, parallèlement à ses programmes de mode, Jean-Paul Morin lance un programme d’administration de l’hôtellerie conçu par ITT, le nouveau propriétaire des franchises Speedwriting, Nancy Taylor et de la chaîne d’hôtels Sheraton. Il s’assure d’avoir du personnel compétent pour enseigner en formant des partenariats, notamment avec la chaîne d’hôtels Sheraton à Montréal. Ce programme est apprécié mais connaît des résultats modestes. Il est vrai que Jean-Paul Morin livre bataille à un géant, l’École d’hôtellerie et de tourisme. Pour se différencier, il n’hésite pas à développer le créneau des grands hôtels et des grands restaurants. Il vise aussi l’international, alors que, à cette époque, l’École d’hôtellerie forme surtout des élèves qui travailleront dans les petites auberges et hôtels traditionnels du Québec.
51Afin de répondre plus adéquatement aux besoins de formation des adultes, Jean-Paul Morin crée « LaSalle Industries », une filiale consacrée à l’enseignement des techniques informatiques, secteur qui débute et qui paraît très prometteur. Alors que le campus principal demeure au 2015, rue Drummond, la bâtisse abritant LaSalle Industries, aménagée pour répondre aux besoins d’une clientèle plus âgée, est située à l’angle des mes Peel et Maisonneuve dans l’édifice Hermès. Le café est offert gratuitement aux étudiants adultes qui disposent également d’un « fumoir ». Encore une fois, il en confie la direction à une femme, Sonia Tabet. La créativité de Jean-Paul s’exprime dans plusieurs secteurs. Il va même jusqu’à inventer Brainware, un logiciel breveté facilitant l’apprentissage de l’informatique. Brainware s’avère un succès retentissant pour lui et pour le Collège. Il a d’ailleurs été invité par le président de Hewlett Packard à présenter son invention informatique à un groupe de dix présidents d’entreprises.
UNE CROISSANCE SOUTENUE
52Le Collège connaît une croissance fulgurante car chaque nouveau programme amène de nouvelles clientèles. Les espaces deviennent rapidement trop petits à tel point que le Collège devra s’agrandir 26 fois en 20 ans. Le premier déménagement a lieu trois ans après sa création. Quittant la me Centrale, à LaSalle, où le loyer coûtait 200 $ par mois, en 1962, le Collège s’installe au 1181, rue Sainte-Catherine ouest, à Montréal, où il en coûte désormais 800 $ par mois. Sept ans plus tard, en 1969, nouveau déménagement au 2015, rue Drummond, dans un édifice de dix étages. L’établissement occupe une superficie de 160 000 pieds carrés, le loyer finissant par atteindre 40 000 $ par mois. Pour mener à bien son expansion, le Collège grignotera, un à un, les étages de l’édifice jusqu’au dernier. En 1976, un deuxième campus, voit le jour à Pointe-Claire.
53En 1969, le recrutement de nouveaux étudiants constitue une priorité pour Jean-Paul Morin. Il organise des journées « portes ouvertes » pendant lesquelles les enseignants et les élèves font des mises en situation et des jeux de rôles qui illustrent l’enseignement au Collège. Il fait également la tournée des écoles secondaires afin de faire de la promotion.
54Le financement pour gérer la croissance lui cause bien des maux de tête. Il frappe à la porte de quelques-uns de ses parents plus fortunés, mais essuie refus sur refus. Pourtant, il n’abandonne pas facilement. Le manque de ressources financières le conduit à rencontrer Luc Provencher de la Banque de développement du Canada (BDC)4. Ce fut son premier emprunt et, pour Luc Provencher, son premier prêt. Jean-Paul Morin emprunte 60 000 $. Six mois plus tard, il sollicite un deuxième prêt de 90 000 $ pour louer le quatrième étage de l’édifice de la rue Drummond. Au fil des ans, les prêts se succèdent : 150 000 $, puis 250 000 $, 500 000 $ pour atteindre un million. Jean-Paul Morin constate que le premier emprunt a été le plus difficile à obtenir en raison des nombreuses garanties que la BDC requérait. Lorsqu’est venu le temps d’emprunter un million, il a obtenu l’argent avant d’avoir signé son contrat, la confiance s’étant établie entre l’entrepreneur et son banquier. Jean-Paul Morin conserve à ce jour une reconnaissance innommable envers Luc Provencher, sans qui, confie-t-il, « les choses n’auraient pu être ce qu’elles ont été ».
55Outre le financement, la gestion de la croissance commence à peser lourd sur ses épaules. En effet, la diversification des programmes de formation entraîne une augmentation des activités et les tâches deviennent plus complexes. Jean-Paul Morin ne peut plus assumer seul la gestion des opérations et mener en même temps la bataille sur tous les fronts. À mesure que de nouveaux programmes sont mis en place, la structure du Collège s’alourdit ; elle devient plus compliquée. Le nombre de postes de direction augmente sans cesse. Les décisions ne sont pas toujours faciles à prendre ; Jean-Paul Morin sait qu’il doit s’entourer des bonnes personnes pour assurer la progression du Collège. Ainsi, lorsque les compétences de son comptable ne suffisent plus, il fait appel à la firme Raymond, Chabot, Martin et Paré (RCMP). Malgré la bonne volonté des uns et des autres et des négociations échelonnées sur plusieurs années, une tentative d’expansion internationale avec un projet d’école à Bangkok ne parvient pas à voir le jour.
56Avec Speedwriting, Jean-Paul Morin touche un revenu annuel de redevances sur les ventes au Canada qui varie entre 50 000 $ et 80 000 $. Il ne garde rien, car il préfère utiliser cet argent en vue de rembourser les manuels Speedwriting qu’il achète pour ses étudiants. Il ne touche pas non plus aux recettes du Collège. Pendant n ans, Jean-Paul Morin réinvestit tous ses revenus et ses profits dans le développement du Collège afin d’en assurer la croissance. Et pourtant, il doit faire vivre sa famille. Il y parvient par ses activités de conception publicitaire. En effet, une nuit par mois, pendant neuf ans, il se rend chez Greenshields, Hodgson & Racine, un des plus importants grossistes en articles variés de la province et rédige des circulaires publicitaires.
57Le plan marketing qui a assuré le succès du Collège relève de Jean-Paul Morin. Il a su développer une approche marketing unique et dynamique en faisant de la publicité dans les journaux, ce qui constitue une première à l’époque. Ainsi, en 1963, le Collège est le premier établissement à faire imprimer une annonce en couleurs. Il est également le premier à utiliser la télévision comme véhicule publicitaire. Homme de publicité, il est conscient plus que quiconque de son importance. Chaque année, pendant 20 ans, Jean-Paul Morin invente un nouveau slogan « fort et attirant » qui reflète la mission du Collège.
58En 1968, le MEQ le poursuit en justice à cause d’une de ses publicités. Il se défend lui-même, sans avocat, et gagne sa cause. Il est accusé une deuxième fois et gagne à nouveau. Cela lui donne tellement la « piqûre » qu’il songe à étudier le droit. Cependant, ses nombreuses activités l’obligent à mettre son rêve en veilleuse. Têtu comme une mule, en 1982, à l’âge de 62 ans, Jean-Paul Morin s’inscrira pourtant à la faculté de droit de l’Université McGill. La doyenne de la faculté lui suggère alors de suivre les cours comme auditeur libre. Débordé par ses trop nombreuses activités, il abandonnera finalement son projet.
59Jean-Paul Morin a toujours trouvé très important de faire parler de lui ou de son Collège. Pendant dix années consécutives, il a eu sa photo en première page d’une chronique annuelle dédiée aux personnalités importantes du milieu des affaires et de la politique dans le journal The Gazette. Il profite de toutes les tribunes possibles pour faire connaître son Collège et s’organise toujours pour que tous les événements qu’il y organise soient fortement médiatisés, photographiés et qu’ils fassent l’objet de « publireportages ». Il n’est pas question de faire les choses comme les autres. Ainsi, en 1969, la remise des diplômes du Collège LaSalle a lieu au Château Champlain. En 1971, ses étudiantes présentent deux défilés de mode par jour au Salon de la femme, Place Bonaventure. Lorsque Speedwriting lui consacre l’éditorial d’un de ses bulletins qui est envoyé à 500 collèges à travers le monde, il se sent particulièrement honoré.
60Jean-Paul Morin voit loin et devine les tendances. Déjà, en 1967, il clame sur tous les toits que l’audiovisuel constitue la voie de l’avenir pour le Collège. « Je suis un malade de la techno », se plaît-il à dire. Convaincu que la technologie peut être source d’avantage concurrentiel, il emprunte pour acheter une coupeuse au laser : il est le premier à en avoir une. Sa passion pour l’audiovisuel l’amène à construire un auditorium avec plate-forme pour les défilés de mode. Il met à la disposition des étudiants un centre de documentation ultramoderne pour que ceux-ci puissent visionner des documents vidéo et des diapos. L’achat d’un traitement de texte, alors que personne n’en possède, place le Collège en tête de file dans l’enseignement de l’informatique et de la bureautique. Ses cours font fureur et se vendent comme des « petits pains ». Bell devient un des plus gros clients de LaSalle Industries en informatique.
61Mil neuf cent quatre-vingt s’avère une année charnière dans la croissance du Collège. Le secteur de l’éducation permanente connaît une croissance spectaculaire et devient autonome avec son propre service d’admissions.
62Jean-Paul Morin s’est donné à fond à son Collège afin qu’il soit reconnu comme un « grand collège ». Pour y parvenir, il s’est battu sur tous les fronts, même avec certains politiciens. Sa colère devant cinq sous-ministres du ministère de l’Éducation en 1981, afin que tous les cours du Collège soient reconnus d’intérêt public et subventionnés à 80 %, est encore présente dans de nombreuses mémoires. Au moins, les programmes de mode ont fini par être reconnus. Un sous-ministre s’adressant à Michèle Bussière reconnaît que « ça irait mieux si on avait un gars de cette trempe-là au ministère ». Jean-Paul Morin appartient à ceux qui se battent pour leurs idées et qui ne plient pas facilement l’échine. C’est sans doute ce que certains appellent « avoir du chien ».
63Pour Jean-Paul Morin, « le plus dur dans un collège, c’est de maintenir la qualité. Je ne peux rien admettre qui ne soit excellent, confirme-t-il, sinon je ne suis pas satisfait ». Il vise l’excellence chez ses étudiants et, par conséquent, met tout en œuvre pour promouvoir des standards de qualité élevés. Année après année, il prend le temps d’examiner lui-même toutes les notes de tous les étudiants, même s’il en a des milliers. Il ne laisse rien passer. Il questionne toutes les notes basses, ou exagérément hautes, de même que les écarts individuels et les écarts de groupes.
64Il questionne l’enseignement des professeurs et, dans certains cas, il peut même congédier une personne qui n’est pas ou qui n’est plus à la hauteur. Il ne peut pas faire de compromis sur la qualité des professeurs puisqu’ils sont directement responsables de la qualité de l’enseignement. Il y va de la réputation du Collège, une réputation acquise au prix de tant d’efforts ! Jean-Paul Morin contrôle absolument tout. Ayant plus d’un tour dans son sac, il peut prendre en flagrant délit les professeurs qui sont en retard ou ceux qui boivent du café en classe. Ces activités ne sont pas sans rappeler les contrôles extrêmes exercés par certains grands entrepreneurs comme Henry Ford qui s’ingéniait à dépister ceux qui fumaient malgré ses interdits formels. Il les congédiait sans remords sur-le-champ lorsqu’il en prenait un en flagrant délit. Autre temps, autres mœurs, mais mêmes modèles de contrôle !
65Jean-Paul Morin croit beaucoup à la force de l’exemple. Être un modèle pour ses étudiants ou pour ses professeurs est important. Il tolère difficilement l’incompétence. Marqué par son éducation chez les cadets de l’armée, c’est un homme rigoureux qui croit en la discipline. Cela transparaît dans ses relations avec autrui, que ce soit avec ses enfants ou ses employés. Il ne badine pas avec le respect de l’ordre, des règles et de l’autorité. Ainsi, chaque nouvel étudiant doit signer dans le « livre rouge » du Collège et écrire cette phrase : « Je promets de suivre le règlement du Collège. » Si Jean-Paul Morin est exigeant pour les autres, il l’est bien davantage envers lui-même.
66En 1984, à l’occasion des fêtes du 25e anniversaire du Collège, Jean-Paul Morin reçoit son buste en bronze, un témoignage qui lui est offert par le conseil d’administration. Jacques Marchand, alors directeur général du Collège, lui rend hommage en quelques mots : « Monsieur Morin, vous êtes et resterez le maître incontesté de l’ordre, du courage et de l’excellence5. » En 1985, Jean-Paul Morin est nommé « Entrepreneur de l’année ». Lors des célébrations du 50e anniversaire de l’Année de la Femme, en 1990, Jacqueline Vézina lui rend hommage pour sa contribution à la mode. Le designer Jean-Claude Poitras, qui lui remet le trophée, ne ménage pas ses éloges : « Sans vous, Jean-Paul Morin, la mode telle quelle est au Québec n’aurait jamais existé6. » La même journée, Gérald Tremblay, alors ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Technologie du gouvernement du Québec, lui remet un parchemin en hommage à ses 50 années de dévouement à l’éducation et à la mode et annonce la création d’une bourse annuelle versée au Fonds Jean-Paul Morin. Ces distinctions sont le fruit d’un dur labeur et d’un riche passé tant intrapreneurial qu’entrepreneurial.
LA VENTE DU COLLÈGE ET LA FIN D’UNE ÉPOPÉE
67Choix déchirant, décision crève-cœur ! Il n’y a pas de relève familiale. Vers la fin des années 1980, son gendre, le président du Collège Dawson, est le seul qui manifeste de l’intérêt. Il décède prématurément ne laissant à Jean-Paul Morin d’autre alternative que de vendre le Collège, « son Collège ». Il est hors de question de le céder à des intérêts étrangers. En janvier 1988, le Collège compte près de 4000 élèves et environ 400 chargés de cours.
68Jean-Paul Morin est démotivé, usé, à bout de souffle. Les troupes, qui en veulent toujours davantage, sont plus difficiles à mener. La « boîte » a grossi et lui, le super entrepreneur, est entouré de technocrates qui lui font la vie difficile. Le climat devient tendu. Jean-Paul hâte la vente du Collège. Deux de ses cadres, Jacques Lefebvre et Jacques Marchand, se portent acquéreurs.
69Francine Harel Giasson, professeure à l’École des HEC, avait présenté Jacques Marchand, un diplômé MBA de cette même institution, à Jean-Paul Morin. Elle connaît bien Jean-Paul Morin puisqu’elle donne souvent des conférences au Collège LaSalle et qu’elle participe également aux cérémonies de remise des diplômes. « Il n’y a qu’un autre bourreau de travail que je connaisse qui soit comme vous et c’est Jacques Marchand, lui fait-elle remarquer. » Celui-ci était alors directeur du Centre de perfectionnement des HEC, soit le centre d’éducation aux adultes pour les cours non crédités de cette institution. Depuis son entrée au Collège, Jacques Marchand a occupé les postes de directeur des études et de directeur général. Au cours d’un épisode difficile, c’est même lui qui suggère à Jean-Paul Morin de geler les salaires du personnel cadre, une initiative qui « sauve » le Collège.
70Pour succéder à Jean-Paul Morin, une firme de chasseurs de têtes redent aussi Jacques Lefebvre, un vice-président de la Société générale de financement (SGF).
71Lorsqu’il vend le Collège, Jean-Paul Morin est entouré d’une douzaine de cadres supérieurs, sa « régie interne », qui occupent les divers postes de commande.
UNE ENFANCE MARQUÉE PAR L’HUMILIATION
72Nous venons de faire connaissance avec Jean-Paul Morin, l’entrepreneur, le bâtisseur, le dirigeant et l’homme. Voyons maintenant de quelle façon Jean-Paul Morin a été profondément marqué par son enfance et comment il a su transformer sa rage contre le monde en détermination pour sortir de sa condition.
73Jean-Paul Morin conserve peu de souvenirs de ses grands-parents paternels, les ayant peu connus. Par contre, il en va tout autrement du côté maternel où il entretient des liens étroits avec ses grands-parents, particulièrement avec sa grand-mère qui viendra vivre chez lui lorsqu’elle deviendra veuve. Il se rappelle avec émotion de quelle façon il était « chouchouté » par son grand-père, Stanislas Montpetit, et sa grand-mère, Marie Lefebvre, une famille « tricotée serrée ». Il se revoit petit garçon alors qu’il faisait les commissions pour sa grand-mère qui, pour le remercier, lui donnait des biscuits. Très sensible aux compliments et aux encouragements, il n’oubliera jamais que sa grand-mère fut l’une des premières personnes dans sa vie à l’encourager. Même s’il n’avait qu’une dizaine d’années lorsqu’elle est décédée, chez lui, à la maison, Jean-Paul Morin se souvient très bien de ses paroles, maintes fois répétées : « T’as du talent, t’es bon, continue d’aller à l’école. » C’est même elle qui lui a offert ses premiers patins à roulettes parce que ses parents étaient trop pauvres pour les acheter, des patins qui s’attachaient aux bottines et qui coûtaient 4,95 $. Une fortune à l’époque ! Si Jean-Paul Morin est « vite sur ses patins », c’est un peu grâce à sa grand-mère !
« JE SUIS UN ARTISTE-BAGARREUR, JE TIENS CELA DE MES PARENTS »
74Né en 1895 d’une famille d’ouvriers, Jean Morin, père de Jean-Paul Morin, exerce le métier de barbier. Au fil des ans, Jean Morin devient Johnny Morin et exploite son propre salon de barbier, au 1404, de la me Cuvillier, dans le quartier Hochelaga, à Montréal. Il œuvre à son compte pendant 50 ans sans jamais vouloir travailler pour d’autres. Il apprend son métier « sur le tas », car, en ce début de siècle, les écoles professionnelles n’existent pas encore. Pendant la guerre 1914-1918, Johnny Morin est conscrit ; en fait, c’est là qu’il apprend vraiment son métier. Analphabète, Johnny Morin ne sait ni lire ni écrire. Bagarreur, c’est aussi un organisateur hors pair. Organisateur des libéraux, organisateur de combats de lutte, organisateur des Fêtes de la Saint-Jean-Baptiste ou organisateur de campagnes de charité, Johnny Morin le fait toujours bénévolement, mais il exige la perfection de tous ceux qui l’entourent. C’est également un homme d’honneur et de parole.
75Sa mère, Hélène Montpetit, est artiste dans l’âme. Pianiste, elle termine avec brio des études supérieures de musique. Comme elle est follement éprise de Johnny Morin, elle met sa carrière en veilleuse pour assumer son rôle de mère. Élevée dans le « bas de la ville », Hélène Montpetit vient également d’une famille d’ouvriers. Jean-Paul Morin garde de sa mère le souvenir d’une femme immensément passionnée. Lorsqu’il pense à sa mère, il se jure que son épouse n’aura jamais à vivre les disputes d’argent que sa mère a endurées.
76Aîné d’une famille de quatre enfants, deux garçons et deux filles, Jean-Paul Morin voit le jour le 29 août 1920, à Montréal, au 1408 de la me Cuvillier, dans un quartier marqué par la pauvreté. Il est né sous le signe de la Vierge et se décrit comme quelqu’un de « terriblement critiqueux et exigeant ». Ses frères et sœurs abandonnent l’école très tôt, après la deuxième ou la troisième année, pour aller travailler. Lui, fait différemment. Il a la chance de continuer au secondaire et fréquente l’école Le Plateau du parc Lafontaine qui est considérée comme la meilleure école dans le quartier. Son oncle Alcide et sa mère payaient 3 $ par mois afin qu’il puisse étudier dans cette école privée, où l’ancien maire de Montréal Jean Drapeau a lui aussi étudié. Sa mère et son oncle Alcide l’ont toujours appuyé dans son cheminement. Constamment premier de classe, il adore le français et les mathématiques et il réussit sans effort. Il obtient son diplôme d’études secondaires en 1938.
77Alcide Montpetit, « son » onde, frère de sa mère, a été son premier mentor. À l’instar de Jean-Paul, il est le seul de sa famille à s’être fait instruire. Il avait opté pour une formation de type « classique » et avait appris le latin. À son époque, un garçon faisait son cours classique parce qu’il aspirait à devenir médecin, avocat ou prêtre. À la fin de ses études, Alcide Montpetit décide plutôt d’aller travailler avec son père et ses frères. Boîte à lunch en main, ils prennent à pied le chemin des « shops » Angus, car ils travaillent presque tous pour cette grosse entreprise qui répare des wagons et des locomotives pour la Canadian Pacific Railways. La dépression économique vient perturber le cours des choses, et tout le monde est licencié. Le seul qui soit instruit, Alcide Montpetit, s’inscrit à un cours et apprend le métier de soudeur. Son cours terminé, il trouve facilement un emploi et devient rapidement président du syndicat, puis député libéral dans la circonscription de Maisonneuve, « à un poil d’être ministre du Travail », si les libéraux avaient réussi à déloger Maurice Duplessis. Cet homme est le modèle et le protecteur de Jean-Paul Morin.
78Dans les années 1930, les gens n’accordaient pas vraiment d’importance aux études. Il était d’usage de trouver très tôt un travail afin d’aider financièrement la famille. Cela était d’autant plus vrai quand on venait, comme Jean-Paul Morin, d’un milieu ouvrier. Pour continuer ses études, il a dû payer un prix qui n’a rien à voir avec les 3 $ par mois que cela coûtait. Il a souffert en silence la réprobation de son père qui le traitait de paresseux parce qu’il avait choisi d’aller à l’école au lieu de travailler. Alors que ses sœurs et son frère rapportaient toute leur paye à la maison, il fallait payer pour envoyer Jean-Paul à l’école. Les larmes aux yeux, il raconte à quel point il se sentait humilié lorsqu’il allait au salon de barbier demander à son père 25 sous pour acheter huit billets de tramway. Son père prenait alors la pièce dans la caisse et la lançait sur le plancher, devant les clients. Il devait chercher l’argent à quatre pattes par terre à travers les cheveux et la poudre.
79En dixième année, à force d’être traité de paresseux par son père, Jean-Paul Morin se sent honteux. Il a le goût de tout lâcher et rapporte tous ses livres à la maison. Sa mère appelle alors son frère qui rapplique à la maison. Furieux, Alcide Montpetit empoigne Johnny Morin par le collet, un grand six pieds, et lui crie au visage « si ton gars lâche l’école, je te donne une volée ». L’adolescent retourne à l’école et n’est plus jamais importuné par son père ni traité de paresseux.
80Jean-Paul Morin a été profondément marqué par son passage au Jardin de l’Enfance où il étudie les trois premières années primaires. Cet établissement privé, situé à l’angle des mes Darling et Ontario, était dirigé par les Sœurs de la Providence qui accueillaient les enfants de la maternelle jusqu’à la troisième année. Il garde un souvenir impérissable de sœur Léandre de Séville, directrice du Jardin de l’Enfance, laquelle l’encourageait et le chouchoutait. Dans les années 1930, où « notre sainte mère l’Église » exerçait une influence marquante, il était monnaie courante de recevoir en classe la visite du curé de la paroisse. Déjà premier de classe et doté d’une mémoire photographique peu commune, Jean-Paul Morin était celui que les religieuses choisissaient pour réciter par cœur un compliment à Mgr Lepailleur, curé de la paroisse de la Nativité. C’est ainsi qu’il fit ses premiers pas comme communicateur et acquit de l’assurance pour parler en public.
81Il poursuit ses études primaires à l’école Baril, sur la me Adam, entre les rues Joliette et Chambly. Très talentueux, il est toujours premier de classe. Mais la vie chez les Morin n’est pas facile. Ils sont pauvres et habitent un modeste logis au troisième étage d’un petit immeuble. Cela fait trois mois qu’ils n’ont pas payé le loyer mensuel de 15 $. Un jour, alors qu’il revient de l’école, le jeune Jean-Paul aperçoit les meubles du logement éparpillés sur le trottoir et sa mère en pleurs parce que la famille vient d’être évincée par la propriétaire. Pour réintégrer le logement, sa mère doit quémander 100 $ à l’un de ses frères, Georges, un des hommes riches de la paroisse qui possède un gros « magasin de coupons » dans l’est de la ville et qui est également président de la Caisse populaire Saint-Rédempteur. Ce dernier lui prête effectivement l’argent contre un billet signé avec intérêts. Jean-Paul Morin ne pardonne pas à cet oncle qui l’a humilié, lui et sa famille ; pourtant, il le considère comme un modèle de succès tout comme Willie Montpetit, cet autre oncle maternel, un commis-voyageur qui possède des immeubles à logements. Orgueilleux comme pas un, le jeune Jean-Paul conserve un souvenir douloureux de ces épisodes de sa vie où il a vécu de nombreuses humiliations.
82En11e année, Jean-Paul Morin a le choix entre trois orientations différentes : les lettres, les sciences ou le commercial. Malgré son désir de continuer ses études, la11e année commerciale s’avère un choix logique pour lui parce qu’il doit songer à intégrer rapidement le marché du travail. Il relève tous les défis qui se présentent, car c’est une source d’apprentissage d’une très grande richesse. Alors qu’il fait partie du corps des cadets de l’école Le Plateau, il en remplace au pied levé le responsable pour diriger la parade de la Saint-Jean-Baptiste.
83Très jeune, il développe une passion pour la lecture. Au cours de sa vie, il semble qu’il ait lu entre 2000 et 3000 livres. Il se rappelle qu’il prenait plaisir à lire assis sur la toilette, lorsque toute la famille dormait la nuit. Sa mère avait beau lui dire d’aller se coucher, rien n’y faisait ; il demeurait rivé à son livre jusqu’aux petites heures du matin. Depuis cette époque, il n’a jamais dormi plus de trois à quatre heures par nuit, car son bonheur se trouve dans ses lectures nocturnes. « Je mangeais littéralement un livre par semaine », avoue-t-il. À 81 ans, Jean-Paul Morin a conservé cette habitude, puisqu’il lit encore trois livres de 400 pages chaque deux semaines. Il affectionne tout particulièrement les biographies de leaders politiques ou financiers ainsi que les livres qui expliquent comment réussir. Il tient sans doute cette soif d’apprendre de sa mère qui, toute sa vie, jusqu’à l’âge de 80 ans, n’a jamais cessé de perfectionner son art du piano ni d’apprendre les derniers morceaux à la mode.
D’INTRAPRENEUR À EXTRAPRENEUR
84Certains pourraient parler d’événements marquants dans une carrière, Jean-Paul Morin appelle cela des « points tournants ». Ses points tournants constituent en fait des expériences qui l’ont toujours poussé un peu plus loin en l’amenant à se dépasser. Pour lui, « les défis sont des plaisirs ».
85Après ses études, le jeune Jean-Paul cherche un emploi mais ne veut pas n’importe quoi. « Je ne voulais pas travailler pour le magasin du coin, je voulais aller dans le Grand Montréal », commente-t-il. Mais le « Grand Montréal » ne lui est pas très favorable. « You speak English ? » lui demande-t-on. « No, not much ! », répond-il inlassablement. Pendant trois mois, il cherche en vain. À chaque fois qu’il trouve quelque chose d’intéressant, il se fait claquer la porte au nez pour la simple et bonne raison qu’il ne parle pas anglais.
OGILVY’S : L’APPRENTISSAGE DE L’ANGLAIS, DE LA PÉDAGOGIE ET DE LA COMMUNICATION
86Il décroche son premier emploi par l’intermédiaire d’un oncle maternel « en moyens », Willie Montpetit, lequel possède un immeuble à appartements à l’angle des rues Sherbrooke et Chapleau. L’une de ses locataires, Mlle Chartrand, est « paie-maître » chez Ogilvy’s, le « magasin par excellence du chic » sur la me Sainte-Catherine ouest. Le magasin est propriété de la famille Nesbitt Thompson. Grâce à cette recommandation, Jean-Paul fait ses premiers pas chez Ogilvy’s, en 1939, au département des plaintes. C’est là qu’il a son « baptême des Anglais ». Peu familier avec la langue de Shakespeare, les plaintes des Anglais ne se règlent pas, car Jean-Paul Morin mélange tout. Les Anglais, mécontents, se plaignent de l’incompétence du petit « french boy » à Miss Boucher, directrice du personnel. Jean-Paul a besoin de cet emploi et promet d’apprendre l’anglais. Et quand il promet quelque chose, Jean-Paul Morin tient ses engagements. Il a 19 ans. Il fonce et prend « le taureau par les cornes » en demandant à l’un de ses collègues de travail, Paul Jansen, de lui enseigner l’anglais « practical way », pendant le déjeuner, le dîner et les pauses. Jean-Paul Morin absorbe tout, comme une éponge. Cette mini-immersion, qui dure trois mois, lui permet de sauver son boulot tout en témoignant de la détermination qui le caractérise.
87On lui confie ensuite la responsabilité de mettre sur pied un comptoir postal chez Ogilvy’s, tâche dont il s’acquitte avec succès. Sa carrière s’annonce prometteuse. La chance se présente en la personne de Harold Costigan, trésorier du magasin. Celui-ci remarque le potentiel du jeune homme et lui offre de remplacer Mlle Green qui quitte l’entreprise pour se marier. Ce remplacement constitue un point tournant dans la carrière de Jean-Paul Morin. À peine âgé de 21 ans, il est promu gérant du service de comptabilité et supervise 40 employées, toutes des femmes. Malgré son jeune âge, il prend immédiatement des mesures pour se faire respecter, ce qui contribue à faire baisser le taux d’absentéisme. Véritable intrapreneur, il se comporte et travaille comme s’il s’agissait de sa propre entreprise. Jean-Paul Morin reconnaît qu’il a eu de la chance d’avoir un patron qui le guide pas à pas, aussi bien au travers des méandres de la gestion que des subtilités de la langue anglaise. En fait, Harold Costigan le considérait un peu comme son propre fils et comparait souvent le jeune homme à un « poney enragé » ou à un « diamond in the rough ». Monsieur Costigan fut un de ses mentors.
88Constatant que les factures sont mal faites, Jean-Paul Morin prépare son matériel didactique et donne des cours aux employés deux fois par mois. Cette expérience l’enchante. Il aimerait bien également améliorer les techniques de vente des employés, même s’il n’a pas d’expérience dans ce domaine. Rien ne l’arrête. Il fait venir des livres et des diapositives des Etats-Unis et apprend l’art de la vente avec la méthode de M. Watson, président de National Cash Register et as de la vente. Créatif, Jean-Paul élabore ses propres outils pédagogiques dont un « système de roues » en bois pour enseigner la vente. L’engrenage des trois roues représente la trilogie suivante : client - marchandise — vendeur. Cette invention lui vaut un bon succès au Québec et en Ontario, où il vend plusieurs de ces roues. Plusieurs grandes entreprises aimeraient l’embaucher comme formateur en ventes. Il s’est créé un double emploi. Désormais, Jean-Paul Morin partage son temps entre l’enseignement de la vente et la gestion du bureau.
89Une nouvelle occasion s’offre à lui lorsque son patron lui demande de suivre le cours d’acheteur offert par un expert newyorkais en marketing qui vient d’être embauché pour relancer les affaires d’Ogilvy’s. Jean-Paul Morin est très fier, car il termine troisième d’un groupe d’une vingtaine de gérants dans une formation entièrement donnée en anglais. Les événements se précipitent. Peu de temps après, M. Nesbitt, président de l’entreprise, le convoque pour lui confier une mission bien spéciale : il doit former les acheteurs. Incrédule, sa réponse ne tarde pas à venir, « je n’ai jamais acheté » ; à quoi M. Nesbitt rétorque, « you can move mountains ». Jean-Paul Morin devient formateur à temps plein, puis est rapidement nommé directeur adjoint aux ressources humaines. Son étoile commence à briller de plus en plus haut dans le firmament d’Ogilvy’s.
90Jean-Paul Morin est un pionnier dans son domaine, car les cours de vente et d’achat n’existaient pas au Québec dans les années 1940. Enseigner et former deviennent pour lui une seconde nature, la passion de toute une vie. Il faut dire que son talent de vendeur s’est manifesté très tôt. Vers l’âge de 15 ans, pour gagner de l’argent, il livre le journal du matin. Il commence avec une vingtaine de journaux par jour pour terminer avec 60, car il sait mettre à profit son talent de vendeur pour recruter de nouveaux clients. Il n’a pas peur d’aller sonner aux portes. Livrer 60 journaux par jour, six jours par semaine, lui rapporte la somme rondelette de... 0,60 $ par semaine.
91Sa réputation de formateur dépasse rapidement les murs d’Ogilvy’s. La concurrence s’intéresse bientôt à ses cours. En 1949, la direction l’autorise à enseigner au Fashion Arts Academy, à condition bien sûr qu’il ne dévoile pas les secrets de l’entreprise. Quelle n’est pas sa fierté, lui un Canadien français, d’enseigner en anglais à des commerçants anglophones ! Cette expérience très valorisante marque un autre point tournant dans son cheminement. Dès ce moment, il partage son temps entre Ogilvys, où il travaille le jour, et le Fashion Arts Academy, où il enseigne deux soirs par semaine le premier cours de commerce de la mode au Québec. Dupuis & Frères devient l’un des plus gros clients de Jean-Paul Morin. Conférencier recherché, sa carrière et sa popularité montent en flèche. Malgré ses nombreuses activités, Jean-Paul Morin trouve le temps de faire des études universitaires au collège Sir George Williams qui deviendra l’Université Concordia. À raison de deux soirs par semaine, pendant sept ans, de 1945 à 1952, il étudie et obtient son baccalauréat en commerce. Il a 32 ans ; cela fait dix ans qu’il est marié et le couple a déjà quatre enfants.
92Carmen Corbeil est originaire de Ville LaSalle. Elle vend des chocolats pour Lowney’s qui exploite une franchise chez Ogilvys. Les jeunes gens ont-ils le désir de s’unir ? Le moment est peu propice, puisqu’au cours de l’été 1942, Jean-Paul Morin est appelé à servir dans l’armée. Séparés pendant cinq mois, ils doivent attendre le 22 mai 1943. Alors qu’il n’a que 22 ans, Jean-Paul Morin unit sa destinée à celle de Carmen Corbeil. Les jeunes époux habitent à Ville LaSalle, près des parents de la mariée, dans un modeste logis qui leur coûte 16 $ par mois. Jean-Paul bâtira la maison familiale à Ville LaSalle avec l’argent qu’il gagne dans l’enseignement.
DUPUIS & FRÈRES : L’APPRENTISSAGE DE LA GESTION D’OPÉRATIONS
93En janvier 1950, Jean-Paul Morin donne sa démission et quitte Ogilvys après 11 ans de loyaux services. Il entre chez Dupuis & Frères pour un salaire annuel de 5000 $ négocié avec acharnement. Dupuis & Frères, entreprise dirigée par des Canadiens français, appartient à Raymond Dupuis. Les prix sont nettement inférieurs à ceux d’Ogilvy’s ; d’ailleurs, le magasin s’adresse à une clientèle moins aisée. Toutefois, la taille et le chiffre d’affaires des deux entreprises sont comparables.
94À l’âge de 30 ans, Jean-Paul Morin est nommé surintendant du magasin et doit s’occuper de l’entretien, de la maintenance, de la réception, de la livraison et du téléphone. Tout ceci est nouveau pour lui, mais, loin de l’inquiéter, c’est un défi qui le stimule et le pousse à se dépasser. Son passage chez Dupuis & Frères se déroule comme un feu roulant d’activités. Constatant des irrégularités dans les ventes au clergé, il abolit le rabais d’achat de 10 % qui leur était accordé. En trois ans, il change toute l’organisation.
95Jean-Paul Morin dérange ; il ne laisse jamais indifférent. Partout où il passe, il laisse sa marque, un peu comme une marque de commerce. Il innove constamment et cela lui permet d’avoir une longueur d’avance sur la concurrence. Cette caractéristique contribuera d’ailleurs pour une large part au succès du Collège LaSalle. De son passage chez Ogilvy’s, Jean-Paul Morin constate que le milieu était beaucoup plus ouvert au changement que ne l’était Dupuis. Les changements qu’il entreprend chez Dupuis & Frères lui procurent beaucoup de plaisir, malgré l’énorme résistance des employés. « J’ai eu du fun à mort à tout changer », dit-il, avec un éclat dans les yeux. Le « merchandising » chez Dupuis & Frères prend un nouvel envol sous sa houlette.
96Les commandes téléphoniques constituent un aspect important des ventes chez Dupuis & Frères. Pour stimuler les ventes, Jean-Paul Morin trouve une formule innovatrice, le suggestive selling. Chaque jour, il fait annoncer par les téléphonistes un nouveau spécial. La téléphoniste qui vend le plus reçoit le spécial du jour gratuitement. Les ventes par téléphone montent en flèche grâce à cette nouvelle méthode qu’il a mise en place.
97À la suite du départ précipité du directeur des ventes et des achats, responsable des rayons du sous-sol, Jean-Paul Morin est muté. Il se retrouve à l’étage réservé aux aubaines dans les grands magasins. Cela ne fait pas son bonheur, lui qui est devenu acheteur de vêtements de sports pour dames et qui aime le « beau ». Il entend encore, le directeur général, M. Chagnon, lui dire : « Morin, t’es le seul gars que je peux envoyer là. Tu ne travailleras pas dans la beauté, mais tu vas travailler dans le volume. Ça va faire partie de ta formation. » Ce qu’il considère a priori comme peu gratifiant s’avère une expérience très enrichissante où effectivement il apprend beaucoup. Il se souvient avoir vendu plus de 2000 robes dans la même journée grâce à l’une de ses publicités où sa signature apparaît. Il reste au sous-sol environ six mois puis remplace un directeur malade au rayon de la lingerie. Il y connaît des ventes records.
98En 1953, une grève épique nécessite l’intervention du cardinal Paul-Émile Léger. Sous les pressions du syndicat, M. Chagnon part. Jean-Paul Morin donne sa démission non sans avoir organisé le magasin en « libre service » ce qui permet de le maintenir ouvert en l’absence des employés.
DE FABIEN À FASHION CRAFT EN PASSANT PAR KELLDOR : LE FUTUR ENTREPRENEUR COMPLÈTE SA FORMATION DE DIRIGEANT
99Après Dupuis & Frères, Jean-Paul Morin ne reste pas longtemps sans emploi. À l’automne 1953, avec l’aide de M. Chagnon, son mentor, il décroche un emploi chez Fabien, un magasin général situé à Verdun. C’est le plus gros magasin dans le sud-ouest. Il y occupe le poste de directeur général pour un salaire d’environ 9000 $ par année. Il organise une série d’événements promotionnels afin de fidéliser la clientèle et stimuler les affaires. Créatif, pendant toute une fin de semaine, il fait venir « Boum Boum » Bernard Geoffrion, le joueur étoile du club de hockey Canadien. Mais un différend avec les enfants de M. Fabien l’amène à quitter un an avant la fin de son contrat. Jean-Paul Morin n’est pas homme à demeurer en place quand ça ne fonctionne plus. Il tire vite sa révérence.
100Loin d’être vain, son passage chez Fabien lui aura permis de connaître un autre point tournant, puisqu’il s’est initié à la publicité et à la mise en page. En effet, Fabien est le plus gros client du Messager de Verdun, journal qui par la suite sera vendu à Quebecor. Aux côtés de Henri Duhamel, fils de l’imprimeur bien connu, Jean-Paul Morin apprend la publicité et la mise en page en composant les annonces pour le magasin Fabien. Plus tard, pendant 22 ans, il sera capable de mettre à profit cet apprentissage en faisant lui-même la publicité du Collège LaSalle. Fier de ses réalisations, il garde soigneusement toutes ses publicités dans un album-souvenir. Grâce à ce savoir appris avec Henri Duhamel, il décroche également un travail d’appoint dans les circulaires. Partout où il passe, Jean-Paul Morin apprend de chaque expérience et exploite chaque nouvelle occasion qui passe. C’est sans doute ce qui fait sa force.
101Jean-Paul Morin quitte Fabien en 1954 et, sans tarder, rencontre M. Kelly, propriétaire du magasin Kelldor à Cap-de-la-Madeleine. Cela tombe bien. Monsieur Kelly cherche un spécialiste en marchandisage et Jean-Paul Morin est libre. Il est aussitôt nommé directeur de Kelldor, magasin situé sur le boulevard Sainte-Madeleine, alors route nationale reliant Trois-Rivières et la ville de Québec. Le premier « vendredi 13 », il organise une vente de « chats noirs » au cours de laquelle toutes les vendeuses sont déguisées en chat noir. La réponse ne se fait pas attendre ; les clients font la queue sur le trottoir pour entrer dans le magasin. Monsieur Kelly possède également six terrains dans des grandes villes de la province où il aimerait construire de petits centres commerciaux. Il initie Jean-Paul à la spéculation immobilière. Si le projet fonctionne, ce dernier deviendra gérant général des six « Kelldor ». Mais M. Kelly est incapable de trouver des preneurs disposés à construire des centres commerciaux sur ces terrains ; il abandonne le projet et Jean-Paul Morin quitte l’entreprise.
102Fashion Craft est un autre point tournant. Deuxième plus grand fabricant de vêtements pour hommes au Canada, l’entreprise a son siège social à l’angle des rues Ontario et Saint-Laurent à Montréal. Fashion Craft est une propriété de M. Jean-Louis Lévesque et de M. Favreau, qui sont également propriétaires de la firme de courtage Lévesque Beaubien. Jean-Paul y passera cinq années, de 1955 à 1959, à titre d’acheteur, de directeur des ventes et d’inspecteur. Son talent de gestionnaire au sein d’un ensemble de 30 merceries dispersées à travers le Canada s’étoffe. Cette fois encore, il doit son emploi à M. Chagnon, un diplômé HEC, et à son réseau d’affaires.
103Fidèle à lui-même, Jean-Paul Morin gère le tout comme s’il s’agissait de sa propre entreprise. Il est responsable des achats, des ventes et des plans de publicité pour l’ensemble des magasins. Il met de l’ordre dans les stocks et décide de décentraliser les achats. Mais la grande disparité entre les magasins lui pose un énorme défi de marchandisage qui l’oblige à adapter ses moyens aux particularités de chaque ville. Il n’est jamais pris au dépourvu. Chaque fois qu’il arrive dans une nouvelle ville, il achète le journal local, scrute les annonces et visite les magasins de la me principale pour se faire une idée de la concurrence. Par la suite, il écrit un plan de marchandisage pour chaque ville.
104Jean-Paul Morin est un homme qui « voit clair » et selon ses dires, « il faut se lever de bonne heure pour essayer de lui en passer ». Rusé comme un renard, et sentant anguille sous roche, il change souvent à la dernière minute le plan de visites des magasins. Il arrive ainsi à l’improviste et découvre un réseau de fraudeurs à l’intérieur des magasins. Ceux-ci finançaient des projets personnels en « empruntant » des sommes parfois considérables aux tiroirs-caisses de leurs établissements.
105Avec le temps, il remarque que plusieurs magasins ferment. Il n’en comprend pas la raison jusqu’au jour où il apprend que son patron, M. Lévesque, a acheté l’hippodrome Blue Bonnet et a besoin d’argent pour financer sa nouvelle passion. Jean-Paul Morin n’entrevoit pas son avenir d’un bon œil. C’est alors que Gerry Côté, son assistant, l’incite à fonder un collège commercial.
106Pendant les années 1950, Jean-Paul Morin a appris à connaître plusieurs types de commerces : petits, grands, magasins pour femmes, magasins pour hommes, magasins de ville et magasins de campagne. Étant peu sorti de l’est de Montréal jusqu’à son arrivée sur le marché du travail, il eut l’occasion, à partir de ce moment, de faire des découvertes géographiques et humaines.
CONCILIATION TRAVAIL-FAMILLE
LA PLACE DES FEMMES DANS LA VIE DE JEAN-PAUL MORIN
107Les femmes occupent une place importante dans la vie de Jean-Paul Morin. Celles qu’il choisit pour le seconder, ses « bras droits », sont toujours des femmes.
108Il y a Carmen, son épouse. Dans l’entreprise ou dans la vie, elle l’a toujours soutenu. Et c’est sans réserve que Jean-Paul Morin reconnaît, dans sa biographie, qu’il éprouve beaucoup de gratitude envers elle. Il affirme même que « c’est impossible pour un homme de réussir sans l’appui d’une femme compréhensive et dévouée7 ». « Ma femme, dit-il, c’est l’antithèse de moi ; c’est la patience, le calme... » Que ce soit pour répondre au téléphone ou pour s’occuper des inscriptions, Carmen Morin est toujours là lorsqu’il y a un besoin urgent. Plus tard, lorsque les enfants seront plus âgés, c’est elle qui organisera le département de placement pour les diplômés du Collège LaSalle. Elle y travaillera de 1970 à 1982.
109Lors de la vente du Collège, trois personnes travaillent à plein temps, ce qui fait dire à Jean-Paul Morin que le taux de placement des diplômés constitue le test ultime pour une institution d’enseignement.
110Myrette Lapierre est son assistante des premiers instants. Elle enseigne la sténodactylo bilingue alors que lui enseigne toutes les autres matières.
111Pauline Dugas, son adjointe aux finances et son éminence grise, le seconde avec beaucoup de savoir-faire. D’ailleurs, il lui fait entièrement confiance. Embauchée en 1965 comme secrétaire de direction, elle l’épaulera pendant plus de 22 ans.
112C’est à Andrée Larose qu’il confie le rôle de représenter le Collège LaSalle. Ancienne propriétaire d’une boutique de vêtements, elle connaît bien la mode et s’habille avec élégance. Jean-Paul Morin lui demande également de s’occuper de la vente des programmes de lignes aériennes.
113À mesure que le Collège se développe, l’équipe prend de l’expansion. Florence Kellam dirige la formation des secrétaires tout en étant responsable des horaires.
114En 1970, pour le poste de directrice du programme de « merchandising » de la mode, Jean-Paul Morin choisit Pat Quill, une experte en commerce de détail. Il lui délègue également une partie de la formation, ce qui le libère pour d’autres tâches.
115En 1973, Jean-Paul Morin embauche Michèle Boulanger Bussière, coordonnatrice de la mode pour le ministère de l’Industrie et du Commerce du Québec. Cette dernière est aussi responsable de l’exportation de la mode du Québec. Avec Michèle Bussière, l’école de mode s’enrichit d’une personne d’une grande compétence.
116Sylvana Vincenzi devient sa première directrice de la publicité et des relations publiques. En 1983, il doit à Diane Bélanger le projet de confection des robes des reines du carnaval de Québec, une initiative qui contribuera de façon magistrale à la notoriété du Collège LaSalle.
VIE DE FAMILLE ET RESSOURCEMENT
117La famille est importante pour Jean-Paul Morin. Ce n’est certainement pas un programme surchargé qui va lui faire manquer un anniversaire ou qui va l’empêcher de rendre visite chaque dimanche à sa mère qui vit dans un foyer. Ses quatre enfants, Lise, Nicole, France et Paul occupent une place importante dans sa vie. Les moments passés ensemble n’étaient pas fréquents mais immensément riches. Jean-Paul Morin se rappelle combien il appréciait prendre ses filles dans ses bras et danser avec elles. Devenus adultes, ses enfants lui demandent encore d’écouter la musique qu’ils écoutaient ensemble. A-t-il des amis ? Jean-Paul Morin est plutôt un solitaire. Il n’a jamais vraiment eu d’amis. « Je n’avais pas le temps d’avoir un seul ami », fait-il remarquer.
118Lorsqu’il veut se détendre, il loue un chalet à Sainte-Agathe et part faire de la motoneige sur le lac des Sables. Il se lance constamment des défis en tentant de battre ses propres records de vitesse. Il lui arrive à l’occasion de faire un peu de ski de fond avec son épouse ou bien d’aller au théâtre. Jean-Paul Morin n’est pas un amateur de sports mais il ne manque jamais de regarder la Série mondiale de baseball, la coupe Stanley et le Super Bowl, des événements qui, à son avis, mettent en valeur le dépassement individuel et la recherche d’excellence, deux valeurs qu’il prise hautement dans le monde des affaires. Sa préférence va également aux entraîneurs durs et exigeants.
119Jean-Paul Morin est un bon vivant. Il aime danser. Lorsque lui et son épouse vont dans des soirées, ce sont eux qui donnent des cours de cha-cha aux autres couples. Ayant une « sainte crainte » de l’alcool, il boit peu et jamais seul car il a vu des concurrents perdre leur collège à cause de la boisson. Cela ne l’a pas empêché pourtant de créer un club « musique, vins et fromages ».
120Bien que Jean-Paul Morin ait beaucoup voyagé par affaires, il se permet de prendre des vacances pour la première fois à l’âge de 55 ans. Il s’en donne à cœur joie. Que ce soit par plaisir ou pour le travail, il apprend de chacun de ses voyages. Curieux de nature, rien de ce qui l’entoure ne le laisse indifférent. « Chaque fois, les endroits qu’il visite, les choses qu’il voit et les personnes qu’il rencontre lui font vivre des émotions qui le chamboulent pendant des heures8. » Profondément croyant aussi, il prie tous les soirs et remercie Dieu de lui avoir tant donné.
VIES PARALLÈLES
121Quel est donc le secret de Jean-Paul Morin ? D’où tire-t-il cette force intérieure ? Comment arrive-t-il à être partout à la fois ? Est-il victime d’un démon de l’efficacité qui l’aurait sournoisement habité ? Quoi qu’il entreprenne, il s’y donne à 100 %. Homme de cœur, il est très engagé dans la communauté. D’ailleurs, le nombre de trophées, de cadres et d’objets de reconnaissance reçus ne se comptent plus. Ils remplissent une pièce du magnifique condo qu’il habite avec son épouse dans une des pyramides du Sanctuaire du Mont-Royal. Mentionnons une plaque souvenir reçue en 1986 des mains de Paul Gobeil, président du Conseil du Trésor du Québec et ministre-député de LaSalle.
122Jeune marié, Jean-Paul Morin fait partie de la « Ligue du Sacré-Cœur », une association à laquelle appartiennent presque tous les hommes de la paroisse. Constamment à l’affût de nouveaux défis, il se propose comme secrétaire dès la première réunion. Le gérant de la Caisse Notre-Dame-du-Sacré-Cœur de Ville LaSalle reconnaît immédiatement son charisme et son leadership et lui offre de faire partie du conseil d’administration de la Caisse. Il en sera membre de 1947 à 1972 et président de 1954 à 1972.
123Parallèlement à la fondation du Collège LaSalle, en tant que président de la Caisse, il s’occupe de la sortir du sous-sol de l’école et lui donne pignon sur rue en faisant bâtir un établissement qu’il veut comme un « monument à son rêve ». Sous sa présidence, l’actif de la Caisse passe de 680 000 $ à 1,5 million de dollars. Ses réalisations contribuent à sa notoriété. Il est nommé président des caisses populaires de tout l’ouest de Montréal par l’Union régionale. Il le sera de 1958 à 1964. Plus tard, de 1965 à 1973, il devient vice-président de La Sécurité, la compagnie d’assurance des caisses populaires et fait partie du comité de placements. Il est désigné pour représenter La Sécurité au comité conjoint qui a pour mandat d’étudier des solutions possibles aux problèmes d’espace des institutions du Mouvement Desjardins. Le comité travaille également à la conception de la Place Desjardins, qui deviendra le Complexe Desjardins. Durant huit ans, de 1965 à 1973, Jean-Paul Morin se dépense sans compter pour ce grand projet qu’il qualifie d’expérience inestimable. Le temps et l’énergie mis à servir cette cause — au-delà de 100 assemblées — sont largement compensés par le privilège de côtoyer et découvrir des personnalités comme Émile Girardin et Alfred Rouleau, deux présidents qui ont beaucoup marqué le Mouvement Desjardins.
124En 1993, Jean-Paul Morin est nommé président honoraire à vie de la Caisse populaire Notre-Dame-du-Sacré-Cœur de Ville LaSalle. En 1995, ses 25 années d’implication comme administrateur et ses 18 ans comme président sont commémorés par une plaque de bronze placée à l’entrée de la Caisse. Ayant œuvré pendant 40 ans au sein du mouvement Desjardins, « j’ai été le plus critiqueux, le plus dur, le plus exigeant », reconnaît-il. Il lisait les documents la nuit pour être prêt pour les assemblées du lendemain matin.
125Malgré un travail très prenant au Collège, Jean-Paul Morin continue de donner de la formation sur mesure. À la demande d’Émile Girardin, un ancien enseignant qu’il considère un peu comme son maître à penser, il forme les employés des caisses populaires. Il conçoit les contenus pédagogiques avec le département de formation de l’Union régionale. Il commence avec une série de trois cours, au tarif de 30 $ par étudiant ; neuf ans plus tard, il termine avec dix cours et 75 $ par élève. Tout y passe : commis ; assistant-gérant ; art oratoire ; cours de charme pour les secrétaires et bien d’autres sujets. En 1968, Jean-Paul Morin institue le trophée Émile Girardin qui sera remis au meilleur étudiant de l’année parmi les employés des Caisses populaires.
126Victime de son talent, Jean-Paul Morin est sollicité de toutes parts. Il crée une série de dix cours pour quincailleries qu’il enseigne durant sept ans en s’amusant « comme un petit fou ». Les cours pour les Caisses se donnaient les mêmes soirs que ceux pour les quincailleries. Ils se terminaient à 20 h 30. Par conséquent, les élèves des quincailleries entraient en classe à 20 h 30 avec tous leurs outils. Jean-Paul Morin leur enseignait comment maximiser la vente de leurs produits. Un marteau, par exemple, a 23 qualités, et « quand vous vendez, ce n’est pas un marteau que vous vendez, vous vendez les qualités du marteau ». C’est également lui qui forme les caissières des marchés d’alimentation Steinberg. Cette division des activités de formation génère des retombées économiques importantes qui assurent une partie du financement du Collège. Avec Harry Filiatrault, directeur de la formation chez Hydro-Québec, Jean-Paul Morin fonde le Canadian Industrial Trainers Association.
127Il est de toutes les organisations : marguillier de la paroisse Notre-Dame-du-Sacré-Cœur ; Chevalier de Colomb ; commissaire de la Cour supérieure ; membre de la chambre de commerce de LaSalle. Jean-Paul fonde même une coopérative de consommation qui fonctionnera pendant dix ans. Durant les années 1960, il crée le club de placements — les Placements Champlain — qui durera huit ans. Au même moment, il est élu président de l’Association des hommes d’affaires de Ville LaSalle. Très présent dans sa communauté, il ramasse de l’argent pour de nombreuses œuvres caritatives.
128En 1984, il devient administrateur de la Fondation de l’Hôpital général LaSalle qu’il aide à mettre sur pied. Vice-président et responsable du marketing, il implante une méthode de travail qui motive et responsabilise les membres. Il fait don à la Fondation d’un kiosque permanent et démontable qui génère des retombées économiques importantes pour l’hôpital en raison d’une visibilité accrue. Sa générosité ne s’arrête pas là. En 1986, en hommage à sa femme, à ses filles et à toutes les femmes qui ont contribué à son succès, il offre un laser chirurgical au département de gynécologie et inclut une somme additionnelle pour la formation du personnel. En 1991, il achète un autre laser pour le nouveau pavillon qui abrite les chirurgies d’un jour.
129En 1985, il est élu à la fois au conseil d’administration de l’Hôpital général LaSalle et à la présidence de la corporation. À la Fondation de cette même institution, il participe ainsi aux affaires des trois entités. Sa contribution à l’Hôpital général LaSalle lui vaut une plaque commémorative qui lui est remise par Liza Frulla, ministre des Affaires culturelles, en novembre 1991. En mars 1996, la direction de l’Hôpital général LaSalle inaugure le pavillon Jean-Paul Morin spécialement réservé aux chirurgies d’un jour.
130Organisateur hors pair, il est choisi en 1985 pour être le président d’honneur de la Semaine de la PME. C’est encore à lui que l’on confie l’organisation des fêtes du 75e anniversaire de Ville LaSalle en 1987. Toutes ces activités représentent une lourde charge de travail pour Jean-Paul Morin et engendrent beaucoup de stress. En septembre 1985, il est terrassé par un infarctus et doit suspendre plusieurs de ses activités.
LA RETRAITE : ON PEUT SÉPARER L’ENTREPRISE DE L’ENTREPRENEUR, MAIS ON NE PEUT « SORTIR » L’ESPRIT ENTREPRENEURIAL DU VÉRITABLE ENTREPRENEUR
131Jean-Paul Morin prend officiellement sa retraite en janvier 1988. Comme il n’avait pas prévu être malade, se croyant en grande forme physique, il n’a tout simplement pas préparé sa sortie. « Les premiers mois, je me suis arraché les cheveux », fait-il remarquer. Il vit un profond sentiment d’échec. Ces débuts sont assez difficiles d’autant plus qu’il doit composer avec le décès de sa fille aînée, Lise, survenu quelques mois plus tard, en juin.
132Mais la dépression post-retraite est de courte durée. Au lieu de se replier sur lui-même, il s’ouvre aux autres. Grâce à sa vaste expérience en affaires, Jean-Paul Morin est rapidement sollicité pour devenir conseiller CASE, un service de consultation offert par la Banque fédérale de développement aux PME. Durant trois ans, il aidera des entrepreneurs aux prises avec différents problèmes de gestion et de marketing.
133En septembre 1988, il est invité en Chine pour visiter les grandes universités de la mode à Shanghai, Tianjin et Beijing ; il en profite pour signer une entente de coopération. Ce voyage d’affaires se transforme rapidement en voyage d’agrément dans un pays qu’il affectionne tout particulièrement. En novembre de cette même année, il s’envole cette fois pour Bangkok et tente d’en arriver à une entente de partenariat avec la directrice du Collège Guerre-Lavigne. Il revient bredouille et décide de tourner la page. Toujours très convoité, il reçoit une invitation de la sous-ministre des Affaires commerciales de la Chine qui lui propose de devenir conseiller à l’Université de Pékin, trois mois par année. Il doit malheureusement décliner cette invitation.
134Il s’engage dans un groupe d’enseignement entre pairs, le McGill Institute of Learning in Retirement ; c’est un nouveau cours pour les retraités du Centre de l’Éducation aux adultes de l’Université McGill. Il y prendra tellement de plaisir qu’il y restera cinq ans. Jean-Paul Morin n’en finit pas de surprendre ! En effet, il remplace même l’animateur du groupe lors d’une séance sur la civilisation chinoise. Homme de défi, il se constitue une volumineuse bibliothèque sur la Chine ; il crée une formation qui porte sur « les routes de la soie » rendues célèbres par Marco Polo, le premier à ouvrir la voie entre la Chine et l’Europe. Jean-Paul Morin vit une expérience passionnante avec cette formation multiculturelle qui englobe les civilisations, les religions, l’archéologie et les arts. Intégrant de multiples dimensions propres à la Chine, il couronne la fin de la formation par un défilé de mode chinoise et organise un voyage qu’il baptise « sur les routes de la soie ». En 1993-1994, il anime un groupe de discussion sur la Grèce. Pendant toutes ces années, il enseigne le jour à McGill et y suit des cours le soir à l’éducation permanente.
135Jean-Paul Morin est attiré par une annonce dans un journal. Le Reading Council for Literacy Advance in Montreal (RECLAIM) recherche des tuteurs pour enseigner aux analphabètes selon la méthode Lauback, « un élève, un tuteur ». Il s’inscrit à cette formation et, tout feu, tout flamme, après l’obtention de son nouveau diplôme, il trouve un élève qui a des problèmes d’apprentissage. C’est un jeune noir originaire de Trinidad. Le jeune garçon se présente chez lui à bicyclette, la casquette à l’envers, tout sale. Jean-Paul Morin explique que « les trois premières semaines, on s’est engueulés comme du poisson pourri ». Puis, ils se sont apprivoisés et par la suite, ont développé une belle relation empreinte d’amitié. Pendant deux ans, Jean-Paul Morin lui enseigne l’anglais et... les bonnes manières. Quelque temps plus tard, il reçoit sa plus belle récompense lorsque son jeune protégé sonne à la porte et se présente habillé comme une « carte de mode ». Le jeune homme lui annonce qu’il a trouvé un emploi et lui remet en gage de remerciement, un petit éléphant pour enrichir sa collection de figurines.
136Le fait d’être à l’aise financièrement ne lui fait pas perdre de vue qu’il y a des démunis autour de lui. Sensible à la détresse des autres, Jean-Paul Morin s’engage dans le bénévolat. Attention ! Ce n’est pas parce qu’il fait du bénévolat qu’il ne doit pas faire de son mieux ; au contraire, il fait son bénévolat avec la même excellence qui a caractérisé sa vie professionnelle. Il choisit d’œuvrer auprès de Suicide-Action à Montréal (SAM) et de poursuivre le travail de sa fille Lise qui en était l’une des cofondatrices. U instaure le prix Lise-Morin et met sur pied la Fondation Suicide-Action.
137Jean-Paul Morin ne peut pas demeurer inactif Il devient donc bénévole à l’Institut de réadaptation de Montréal. Chargé du programme d’orientation des nouveaux patients, il leur fait visiter les lieux, entre 18 h 30 et 20 h 30, et leur explique le fonctionnement de l’hôpital. Cependant, la fatigue l’oblige finalement à délaisser le bénévolat de soir. Il ne s’arrête pas pour autant. Il crée un journal pour les bénévoles qui paraît six fois par an et fait des travaux de traduction pour l’Institut. Pendant son bénévolat à l’Institut, Jean-Paul Morin devient ami avec Ronald Riopel, directeur du service de psychologie. C’est la première fois dans sa vie qu’il a un ami ; il en éprouve beaucoup de joie.
138Ce n’est pas parce qu’il porte un stimulateur pour contrôler son rythme cardiaque que cela va freiner le pas de ses activités. Bien au contraire, il semble animé d’une énergie intérieure inépuisable. En 1993, Jean-Paul Morin s’initie au boulingrin et joint le Town of Mount Royal Country Club. Ce sport de groupe l’enchante et son esprit de compétition prend très rapidement le dessus. En trois ans, il atteint le championnat et remporte le trophée Dudley-Kerr.
139Jean-Paul Morin profite de son temps libre pour voyager avec son épouse. Les pays se succèdent et les expériences sont souvent inoubliables. Il a déjà fait le tour du monde. Pourtant, c’est à New York qu’il aime bien se rendre, là où sa fille est la curatrice en chef du New Museum of Contempory Art. Il se sent également très fier de son autre fille Nicole, vice-présidente d’une firme de ressources humaines et, de son fils Paul, réalisateur à Radio-Canada. Depuis qu’il a du temps, il est beaucoup plus près de ses enfants et petits-enfants. Par ailleurs, Jean-Paul aime bien travailler sur son ordinateur et naviguer sur Internet.
140Il a écrit sa biographie, Jean-Paul Morin : le fondateur du Collège LaSalle et le père de la mode au Québec, en collaboration avec Louise Arbique. Le livre a atteint un tirage de 5000 copies. Se qualifiant de « ramasseux », il conserve des tonnes de souvenirs accumulés depuis l’enfance, dont 45 ans d’agendas, témoins d’une vie professionnelle bien remplie. Sans le savoir, il conservait intacte la mémoire du temps, matière première de sa biographie. Sensible à l’histoire, il ne veut pas être oublié. Le livre de sa vie est son héritage pour la postérité.
141Plus récemment, en 2000, il vient d’entreprendre une nouvelle carrière universitaire à l’École des HEC. Invité à plusieurs reprises, il y présente des conférences aux étudiants inscrits aux cours d’entrepreneuriat et de PME. Ces conférences s’avèrent une excellente occasion de réseautage, car plusieurs étudiants se sont mis à correspondre avec lui par courriel pour discuter ou se faire conseiller. À 81 ans, bien mis et l’œil clair, Jean-Paul Morin dégage toujours une énergie contagieuse et inspirante. Les rédacteurs de ce cas peuvent témoigner que ses « spectacles » constituent de véritables « événements ». Il a ouvert une de ses récentes conférences ainsi : « Je suis très heureux d’être ici avec vous ce soir, même avec vous, messieurs ! »
LES LEÇONS D’UNE VIE
142À 65 ans, un infarctus plongeait Jean-Paul Morin entre la vie et la mort. Il réalise alors qu’il n’est ni prudent ni payant de « brûler la chandelle par les deux bouts ». Il aime rappeler que le métier d’entrepreneur est un métier exigeant où il faut être prêt à faire des sacrifices importants mais pas au prix de sa santé. Le corps émet des signaux, il faut les écouter.
143Lorsqu’on lui demande quelle est la bonne façon d’apprendre, Jean-Paul Morin répond que « c’est en jouant avec les plus grands », en saisissant toutes les occasions qui passent et en relevant les défis qui se présentent. Il croit fermement que « quand on veut se dépasser, il n’y a pas de plafond ». En affaires comme dans la vie, Jean-Paul Morin est d’avis qu’il ne faut jamais exposer sa vulnérabilité, car il y aura toujours quelqu’un pour en profiter. Afin d’éviter les surprises désagréables, il conseille aux futurs entrepreneurs de se munir d’un bon plan d’affaires.
144Même s’il a eu des rapports difficiles avec les banques, Jean-Paul Morin croit que les banquiers lui ont rendu service en le forçant à s’arrêter et à réfléchir dans les moments où il voguait « à l’aveuglette ». À son avis, il est faux de prétendre que les banquiers sont les ennemis des entrepreneurs. Pour lui, avant toute chose, il faut être honnête dans les chiffres, car « le banquier prête à la personne et non à l’entreprise ». Il encourage les entrepreneurs à cultiver une relation de confiance avec leur banquier et à apprendre à l’écouter.
145Ayant lui-même bénéficié du soutien de plusieurs mentors, il croit avec force au mentorat. Il est également persuadé que les jeunes devraient rechercher les occasions de collaborer avec des personnes plus âgées qui ont beaucoup à leur apprendre. Il insiste aussi sur l’importance du réseautage qui permet le partage d’expertises diversifiées.
LES 4 P DE JEAN-PAUL MORIN
146Passion, persévérance, profit et plaisir illustrent sa façon bien personnelle de voir la pratique entrepreneuriale et la direction d’entreprises.
La passion, c’est cette flamme intérieure qui brûle sans se consumer et qui entretient la motivation.
La persévérance, c’est cette nécessaire constance dans l’effort qui lui fait dire, par analogie avec le boxeur, qu’« il faut apprendre à manger des claques sur la gueule, à se relever et se battre pour son rêve ». Comme « le chemin le plus court n’est pas toujours la ligne droite », seule la persévérance permet d’atteindre le but.
Le profit, c’est la preuve tangible qui permet de chiffrer la réussite.
Le plaisir, c’est ce qui permet de continuer à progresser et à réaliser.
147Toute la philosophie entrepreneuriale de Jean-Paul Morin tient dans ces petites phrases, « une petite entreprise commence par un grand rêve » et « une longue marche, par un premier pas ».
coordonnées
M. Jean-Paul Morin,
6300, place North Crest, app. iia
Montréal (Québec) h3s 2w3
Tél. : (514) 739-1130
Courriel : jemorin@attglobal.net
Annexe
ANNEXE 1. CONFIDENCES D’UNE ANCIENNE ÉTUDIANTE ET EMPLOYÉE : « UN ÊTRE QUE JE N’AI JAMAIS PU OUBLIER »
Trente ans plus tard et... « la même fougue, la même bonne humeur ». Le temps n’a pas d’emprise sur lui. Elle n’en revient pas. C’est avec une immense joie et beaucoup d’émotion que Danielle Traversy a revu Jean-Paul Morin, attablé au Cercle de l’école des HEC. Secrétaire administrative au Secrétariat général de l’École des HEC, Danielle Traversy a bien connu Jean-Paul Morin comme étudiante au Collège LaSalle et plus tard, comme secrétaire. Elle a d’ailleurs fini première de sa promotion. Elle se souvient qu’en 1968, il en coûtait 50 $ par mois pour étudier au Collège ; c’était beaucoup d’argent pour l’époque.
Lorsqu’on lui parle du Collège LaSalle, après tant d’années, Danielle Traversy se souvient d’une grande famille où le père, Jean-Paul Morin, un homme fier, « toujours tiré à quatre épingles », se promenait tout le temps et parlait à tout le monde. Dynamique, enjoué, exubérant, il avait l’art de s’entourer de personnes colorées ; « il n’y avait personne de “drabe” dans son équipe », car il savait s’entourer de femmes aux capacités extraordinaires à qui il faisait entièrement confiance, des femmes de tête. Pauline Dugas, par exemple, enseignait le cours de la parfaite secrétaire — démarche, maquillage, tenue et préparation à l’entrevue — une formation qui visait, entre autres, à donner confiance aux futures secrétaires.
À travers ses yeux d’étudiante, Danielle Traversy fait revivre un Jean-Paul Morin qui était un véritable as de l’organisation scolaire, toujours disponible pour les étudiants. Il organisait aussi bien des parades de mode que des visites d’entreprises. Mais elle avoue qu’il inspirait une certaine crainte en raison de sa force de caractère. Prenant de la place, imposant, parlant fort, Jean-Paul Morin savait aussi complimenter.
Danielle Traversy n’a pas encore terminé ses études quelle enseigne la méthode Speedwriting à une classe d’adultes, en cours du soir. Elle est à peine âgée de 17 ans, mais Jean-Paul Morin a mis la mention « une élève idéale » dans son relevé de notes. Malgré qu’elle soit très jeune, il lui fait confiance. L’étudiante devient secrétaire et travaille pour Pierrette Millette, l’adjointe de Jean-Paul Morin. À l’École des HEC, Danielle Traversy utilise toujours la méthode Speedwriting qu’elle a appris à bien maîtriser. Elle s’en sert pour rédiger les procès-verbaux des réunions. Cela ne s’oublie pas.
Jean-Paul Morin fait confiance, mais il faut mériter cette confiance. Homme très exigeant, il tient tête ; direct, un peu « soupe au lait », il ne garde pas rancune. Les gens l’aimaient malgré son impulsivité » et aussi parce qu’il savait écouter. Ils le suivaient pour son charisme naturel. Danielle Traversy se rappelle que Jean-Paul Morin la prenait au passage le matin dans sa Lincoln pour aller au travail mais jamais le soir, car il rentrait tard. Il préférait rester au Collège pour voir à ses affaires. Un véritable « bourreau de travail ».
En gestion, l’équipe participait aux décisions. À partir du moment où Jean-Paul Morin faisait confiance, il déléguait. « Il ne mettait pas de pression », se souvient-elle, mais il contrôlait par les résultats.
« Bulldozer ! » Voilà, selon Danielle Traversy, le terme qui décrit bien Jean-Paul Morin et explique la clé de son succès. C’est un fonceur. Rien ne lui résiste et il vient à bout de tout. Génial en publicité, il avait l’art de construire et de véhiculer l’image du Collège. Tous les moyens étaient bons pour faire connaître le Collège LaSalle. Elle se rappelle avec émotion sa valise « rouge pompier ». En début d’année, toutes les nouvelles étudiantes recevaient une valise rouge, style « boîte à chapeau », qui servait de sac d’école et qu’elles trimbalaient partout, contribuant ainsi à la promotion du Collège. Il s’agissait d’une véritable publicité ambulante. Jean-Paul Morin avait réussi son coup publicitaire puisque les gens autour du Collège disaient : « Regarde les étudiantes de Morin qui sortent... » Pour lui, c’était une façon de se démarquer. Danielle Traversy souhaite que Jean-Paul Morin soit honoré pour l’ensemble de son œuvre : un vrai bâtisseur ! ■
Notes de bas de page
1 Les propos de Jean-Paul Morin ont été recueillis lors d’une entrevue réalisée à son domicile par les rédacteurs du cas le 28 mai 2001. Ceci fut complété par ses exposées en classe à l’École des HEC de Montréal.
2 Cf. Journal de Montréal, Cahier Carrières, emplois et formation, « Le futur fait halte au Collège LaSalle », le samedi 10 novembre 2001.
3 Journal de Montréal, Cahier publicitaire La Rentrée, « Le Collège LaSalle en ligne », p. 4, mardi 7 août 2001.
4 Le 13 juillet 1995, la BFD (Banque fédérale de développement) change sa raison sociale ; elle devient la BDC (Banque de développement du Canada). En 2002, Luc Provencher est vice-président exécutif, Gestion intégrée du risque.
5 Jean-Paul Morin, en collaboration avec Louise Arbique. Jean-Paul Morin, le fondateur du Collige LaSalle et le pire de la mode au Québec, Les Éditions Québécor, 1999, p. 230.
6 Ibid., p. 278.
7 Jean-Paul Morin, op. cit., p. 143.
8 Jean-Paul Morin, op. cit., p. 183.
Auteurs
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