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Sociologie et société québécoise

 | 
Céline Saint-Pierre
, 
Jean-Philippe Warren

Troisième partie. Regards et témoignages

Connivences

Yves Martin

Texte intégral

1Avant de rencontrer Guy Rocher pour la première fois, en septembre 1952 – il y a donc presque 54 ans –, j’étais déjà fortement impressionné par ce que je savais de mon nouveau professeur : qu’il avait été président national de la Jeunesse étudiante catholique, poste sans doute le plus prestigieux auquel un jeune d’ici pouvait alors accéder ; qu’il avait, comme étudiant à Laval, à deux pas de la maison de Duplessis et de l’archevêché, pris l’initiative osée d’un mouvement d’appui aux grévistes de l’amiante en 1949 ; qu’il arrivait d’un séjour d’études doctorales à la prestigieuse Université Harvard sous la direction du grand maître de la sociologie américaine Talcott Parsons. Tout comme celles de mes consœurs et confrères étudiants, mes attentes étaient élevées ; la réponse est venue très rapidement : d’emblée, Guy Rocher s’est imposé comme le pédagogue exceptionnel qu’il a toujours été.

2Comme j’en étais à ma troisième année en sciences sociales, je n’ai malheureusement pas eu le privilège de suivre son cours d’introduction à la sociologie, donné à tous les étudiants de première année de la faculté, « un cours pour lequel les auditeurs ne tarissaient pas d’éloges », a rappelé Fernand Dumont dans ses mémoires. C’est ce cours, enrichi d’année en année, qui a formé la matière de la remarquable Introduction à la sociologie générale publiée par Guy Rocher en 1968-1969 et devenue un classique traduit en plusieurs langues. Par contre, durant mes deux dernières années à la faculté, j’ai pu apprécier les qualités du professeur Rocher dans le cadre d’enseignements plus spécialisés, en psychologie sociale notamment, donnés à des groupes plus restreints et j’ai pu tirer un très grand profit, sur le plan intellectuel comme sur le plan humain, de nombreuses occasions de rencontres et d’échanges avec lui. Il faut dire qu’une conjoncture unique y était favorable : nous n’étions que cinq ou six étudiants pour un nombre à peu près égal de professeurs au Département de sociologie.

3C’est à titre de compagnon de route de Guy Rocher qu’on m’a invité à présenter ce témoignage. En fait, nous n’avons pas longtemps vraiment cheminé sur la même route. Après la période dont je viens de parler, je me suis absenté pour deux années de stage et d’études à Paris. Nous sommes, Guy et moi, devenus collègues à mon retour en 1956, mais l’année suivante il est retourné à Harvard pour y compléter son doctorat. De 1958 à 1960, sa tâche de directeur de l’École de service social l'a tenu un peu éloigné du Département de sociologie. En 1960, il nous quittait pour entrer au Département de sociologie de l’Université de Montréal. Un « malheur », a écrit Nicole Gagnon dans son historique du Département de sociologie de Laval. Un malheur pour le département, mais surtout un malheur pour moi qui ai hérité du cours d’introduction à la sociologie quand Guy n’a pu continuer à faire la navette entre Montréal et Québec. D’abord très inquiet d’avoir à assumer cette succession, je me suis rassuré en me disant que les étudiantes et étudiants de première année n’avaient pas connu le professeur Guy Rocher et que je n’aurais pas à souffrir d’une comparaison...

4Après 1960, l’itinéraire de Guy et le mien ont été bien différents, mais une grande connivence et une profonde estime réciproque se sont constamment maintenues à travers nos divers engagements, professionnels autant que politiques. Au chapitre de l’éducation d’abord. Pendant qu’au milieu des années 1960, Guy travaillait à la confection des plans et devis de la réforme de l’éducation, j’étais engagé dans la mise en œuvre des recommandations auxquelles il avait apporté une contribution déterminante. Nous nous sommes retrouvés quelques années plus tard au sein du Conseil franco-québécois pour la prospective et l’innovation en éducation, le COPIE ( !), dont les travaux ont conduit à la publication, en 1976, de l’ouvrage Écoles de demain ? Incidemment, j’ai trouvé admirable – c’est un mot dont je n’abuse pas – que Guy Rocher ait accepté, encore l’automne dernier, de prononcer une conférence sur l’innovation en éducation, en faisant d’ailleurs référence à l’ouvrage mentionné, devant les parents (et grands-parents) des élèves de l’école fréquentée par trois de mes petits-enfants.

5Le scénario évoqué à propos de l’éducation s’est en quelque sorte répété, une vingtaine d’années plus tard, au chapitre de la langue. On connaît l’apport essentiel de Guy Rocher, tout comme celui de Fernand Dumont, au grand œuvre de Camille Laurin, la Charte de la langue française. Les circonstances m’ont amené à devenir, en 1996, sous-ministre responsable de l’application de la politique linguistique dont les fondements ont été établis par le ministère d’État au Développement culturel sous la direction administrative du sous-ministre Guy Rocher.

6Au chapitre du destin politique du Québec, Guy Rocher et moi partageons depuis longtemps les mêmes convictions ; de cette communauté de vues, je tire pour ma part beaucoup de fierté.

7Quand je constate ce que sont toujours aujourd’hui les présences de Guy Rocher – présences humaine, intellectuelle et sociale –, je lui dis tout simplement qu’après plus d’un demi-siècle, il m’impressionne encore fortement.

Auteur

Ancien haut fonctionnaire et sous-ministre au ministère de l’Éducation du gouvernement du Québec, 1964-1973

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