1Le chapitre précédent a servi à démontrer que le processus de démocratisation a été initié au Bénin et au Niger alors que d’importantes variables institutionnelles héritées du passé militaient contre (ou parfois favorisaient) une telle entreprise. Ces variables coexistent avec des variables économiques sur lesquelles nous nous sommes attardé au chapitre I. Ces différents éléments ont été abordés non pas dans une perspective structurelle comme prédéterminant la trajectoire de chaque pays, mais comme des contraintes qui fixent « des limites sur l’éventail d’options dont dispose un acteur ou un ensemble d’acteurs dans un contexte donné ou un type de contexte1 ». Cela signifie que, malgré les héritages du passé, les acteurs internes et externes, et leurs capacités à innover et à échapper aux contraintes restent importants. Comme le montre G. Hermet :

Ceux qui ont à mener [un pays] vers la démocratie devraient exceller dans le talent stratégique. Il leur faudrait pratiquer une sorte de syncrétisme stratégique capable de marier les particularités d’un milieu qu’ils ne peuvent choisir avec les exigences minimales de la démocratie. Presque tout dépendrait en définitive de ce talent si n’intervenaient simultanément la mondialisation présente du temps et le poids des facteurs internationaux2.

2En effet, des acteurs politiques « habiles » peuvent réussir la démocratisation même en présence de fortes contraintes. Dans cette optique, la mise en place de nouvelles institutions et la création du droit sont importantes. Cependant, pour que les institutions créées se consolident, des stratégies de légitimation sont indispensables. Deux aspects qui affectent la trajectoire de chaque pays sont à considérer en cette matière : les politiques publiques initiées par les acteurs domestiques et l’appui des acteurs externes à la démocratisation.

Politiques domestiques et légitimation démocratique

3G. Hermet a particulièrement bien montré ce qui distingue le cheminement des nouvelles démocraties de celui des démocraties fondatrices : si les secondes ont pu se développer sans pression, les premières sont l’objet de nombreuses attentes et sont de ce fait à la merci des désillusions3. Or, nous avons montré au chapitre 1 que si la légitimité de l’ordre institutionnel n’est pas conférée simplement en contrepartie des performances du régime, de faibles performances économiques déstructurent les termes de l’échange politique et affectent le soutien des secteurs sociaux. Les nouvelles démocraties sont donc des projets, à l’inverse des anciennes démocraties qui sont le fruit de développements plus hasardeux. Le rôle des acteurs dans la conduite de ce processus est crucial, car de leur capacité à juguler les importantes difficultés qui ont favorisé la montée de la revendication démocratique dépend en partie la conservation de l’adhésion aux nouvelles démocraties. La comparaison du Bénin et du Niger le montre bien, car un rétablissement des capacités de l’État dans le premier en a favorisé la consolidation de la démocratie alors que la détérioration du climat économique a contribué à fragiliser les institutions dans le second.

4Le contexte économique difficile de la fin des années 1980 a contribué à miner la légitimité des régimes autoritaires du Bénin et du Niger, mais a laissé les régimes démocratiques investis d’immenses attentes. Leur légitimation nécessitait, dès le départ, des politiques susceptibles d’agir sur ces contraintes par la réalisation de performances génératrices de soutiens.

5Au Bénin, lorsqu’il a accédé au poste de premier ministre de la période de transition, Nicéphore Soglo, ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, apparaissait comme l’homme providentiel sur lequel les Béninois comptaient aussi bien pour redresser la situation économique et financière du pays que pour conduire l’ouverture démocratique amorcée avec la conférence nationale. En mars 1990, après la mise en place des institutions prévues par la conférence nationale, les syndicats, notamment ceux des travailleurs du secteur public, avaient décidé d’accorder une sorte d’état de grâce au gouvernement en mettant fin à leur grève qui durait depuis la fin de l’année 1988.

6Au départ, toutefois, les politiques publiques de modernisation infrastructurelle entreprises par Soglo n’ont pas toujours été comprises dans un pays, où les problèmes sont souvent une affaire de survie quotidienne. Les grands chantiers dans le domaine routier ou dans celui de la réhabilitation des édifices publics, qui en réalité relèvent plus du financement de la Banque mondiale que du gouvernement, ont été perçus comme déplacés au regard de la crise et de l’austérité des réformes économiques4. C’est en ce sens que les Béninois, qui estimaient qu’il fallait accorder la priorité à des politiques sociales, ont pu faire remarquer au pouvoir que « les pavés ne se mangeaient pas5 ». Ils n’ont pas vu la visée sociale de ces programmes qui avaient pour objectif la diminution du chômage et la relance de l’économie dans un pays où depuis l’abandon de la politique de recrutement systématique des diplômés dans le secteur public, le problème de l’emploi est devenu préoccupant.

7Par ailleurs, les privatisations opérées dans le cadre du programme d’ajustement structurel ont souvent créé bien des désenchantements dans un contexte marqué par l’héritage marxiste étranger à la logique libérale de la rationalité économique. Pendant longtemps en effet, le régime du prpb avait entretenu nombre d’entreprises publiques et d’emplois improductifs conformément au nationalisme et au credo de l’intérêt général. Avec l’arrivée au pouvoir de Soglo, acquis aux idées des institutions financières internationales, les privatisations ont été un axe central des réformes visant à céder aux entrepreneurs privés des entreprises relevant jusque-là de la tutelle étatique. Les conséquences ont été une diminution du patrimoine public, passé soit entre les mains d’investisseurs extérieurs, soit entre les mains de clients locaux du pouvoir. Le régime a ainsi été accusé de brader le patrimoine national, mais aussi de paupériser le monde du travail, puisque les privatisations, présentées comme des politiques publiques d’assainissement et de relance, allaient de pair avec des suppressions importantes d’emplois. En contrepartie cependant, les privatisations permettaient un allégement des charges de l’État et une réduction des déficits publics.

8Soglo, qui avait aussi des ambitions présidentielles, a compris qu’il lui fallait éviter que l’enthousiasme suscité par le renouveau démocratique ne s’estompe. Il fallait, au contraire, gagner la paix sociale par des politiques sociales qui pouvaient montrer le contraste avec la situation sous le régime autoritaire. L’année de transition a rapidement conduit à des améliorations dans des secteurs manifestement sinistrés au bout de longues années de régime marxiste. Les agents de l’État (fonctionnaires de l’administration et enseignants essentiellement) et les étudiants ont rapidement connu un début de solution aux problèmes de salaires et de bourses qui les avaient fait basculer dans la contestation du régime militaro-marxiste. Malgré la persistance des mécontentements et des grèves sectorielles, il est incontestable que le gouvernement de transition a accompli un travail remarquable qui justifie que la presse ait pu évoquer « des travaux d’Hercule ». La tendance prometteuse du gouvernement de transition n’est de ce fait pas étrangère à l’élection de Soglo en mars 1991 à la présidence de la République. Ces performances contrastent avec les déboires du gouvernement de transition du Niger qui, selon N. Souley, « n’a engendré que frustration et déception de part et d’autre, c’est-à-dire du côté des partenaires extérieurs comme de celui des partenaires internes6 ».

9Les cinq années que Nicéphore Soglo a ensuite passées à la tête du pays ont relativement confirmé une perception favorable de la démocratie, car le bilan économique du premier président élu du renouveau démocratique est positif. Depuis la conférence nationale, la situation économique du pays s’est tendanciellement redressée. Les fonctionnaires qui n’étaient plus payés durant les dernières années du régime marxiste ont renoué avec la régularité des salaires. Les politiques publiques ayant porté des fruits sur le plan économique et social, lorsqu’on sait d’où le pays venait, il s’en est suivi un réel engagement des secteurs sociaux en faveur du renouveau. Ces retombées ont incontestablement contribué à entretenir un préjugé favorable à l’égard de la démocratie qui apparaissait ainsi comme l’antidote de la crise économique.

10Malgré des limites évidentes, le gouvernement Soglo a connu de nombreux succès économiques. Mais aux élections présidentielles de 1996, les thèmes principaux de la campagne électorale de Mathieu Kérékou, sorti de sa retraite à l’instigation du professeur Albert Tévoédjrè7, ont été axés sur les motifs d’insatisfaction populaire. Le professeur Tévoédjrè avait ainsi promis de créer 20 000 emplois par an, et c’est tout naturellement qu’après la victoire, un super ministère lui a été confié, le ministère du Plan, de la Restructuration économique et de la Promotion de l’emploi. Du point de vue des créations d’emplois en vue de corriger les excès du « soutien aveugle » de Soglo aux mesures du fmi, le compte est certainement loin d’être atteint. Les statistiques officielles ont fait état d’environ 11 000 emplois créés par an. Dans le cadre du Programme national pour l’emploi, un Fonds de solidarité nationale pour l’emploi (fsne) a été créé et un système combinant départs volontaires et recrutements a été initié, en raison de deux recrutements pour trois départs8. La politique du « minimum social commun », une forme de sécurité sociale, est la plus ambitieuse et la plus floue. Destinée à contrecarrer la pauvreté qui augmente malgré les mesures d’accompagnement des programmes de réforme économique, elle comprend quatre composantes : la sécurité alimentaire, l’éducation de base, l’accès aux services et aux soins de santé primaire, le développement de la capacité à générer des richesses9. Le président Kérékou en est à son second mandat qui s’achève en 2006, mais ce minimum reste à construire. Par exemple, malgré l’augmentation du prix d’achat du coton au producteur, la pauvreté n’a pas baissé en raison de l’inflation survenue après la dévaluation du franc cfa en 1994 qui a considérablement paupérisé les populations et porté un coup sérieux à la crédibilité du gouvernement. Comme au Niger, l’accès à la santé et à l’éducation reste fermé au plus grand nombre.

11Au Niger, le recul démocratique s’explique aussi par le fait que les pouvoirs élus (et le régime Baré) n’ont pas été en mesure d’accompagner les premiers acquis politiques d’un soutien matériel. Les capacités gouvernementales n’ont à aucun moment été rétablies, comme cela a été le cas au Bénin, et la situation a continué à se détériorer. Or, une crise de capacité d’un système politique induit une crise de pénétration et une crise de légitimité. J. Lapalombara a montré que la crise de capacité et de distribution est liée aux performances gouvernementales et induit des dimensions psychologiques10. En d’autres termes, comme l’a bien montré D. Easton11, l’absence de politiques publiques d’accompagnement efficaces (c’està-dire produisant des résultats) nuit à la légitimation du système.

12Lorsque l’Alliance des forces du changement (afc) a accédé au pouvoir, un des défis était de s’entendre sur un programme de gouvernement, étant entendu que les partis qui la composaient ne semblaient pas partager les mêmes orientations politiques. Le premier gouvernement de l’ère démocratique, dirigé par Mahamadou Issoufou qui le présentait comme « un gouvernement de combat, composé d’hommes politiquement engagés et techniquement compétents, ayant une idée claire de ce qu’ils voulaient », n’a pas eu l’efficacité escomptée. Quelques mois plus tard, en l’absence de toute amélioration de la situation, le journal Tribune du peuple titrait : « Les combattants sont toujours dans les tranchées. » On assistait en effet à la marginalisation accrue du monde rural, à la persistance des retards dans le paiement des salaires et des bourses scolaires ainsi qu’à l’accroissement du nombre de diplômés sans emploi.

13Cette dernière question était une source de tensions avec les scolaires depuis que le gouvernement de transition du premier ministre Amadou Cheiffou avait mis un terme au recrutement automatique des jeunes diplômés dans la fonction publique. En poursuivant la même politique, le premier ministre « socialiste », Mahamadou Issoufou, n’a fait que diminuer le crédit symbolique du renouveau politique aux yeux des secteurs sociaux qui se sont battus pour la démocratisation et pour la défense de leurs intérêts. Son propre capital politique a été sérieusement entamé même au sein des scolaires et des intellectuels, considérés comme majoritairement favorables à son parti, le pnds.

14La gestion de la dévaluation du franc cfa intervenue en janvier 1994 est peut-être l’élément qui a le plus précipité la perte de crédibilité gouvernementale en raison de l’amplification des problèmes qu’elle a occasionnée et surtout de la faiblesse des mesures d’accompagnement. Un document officiel conclut que :

La crise économique et financière s’est aggravée entre 1989 et 1994. [...] Dans la quasi-totalité des cas, la production a baissé sensiblement depuis la fin du premier trimestre 1994. Ces faibles résultats s’expliquent, dans une large mesure, par les obstacles au développement industriel du pays et par l’insuffisance des mesures d’accompagnement de la dévaluation.

15Le rapport montre aussi qu’alors que le taux d’inflation était passé de 0,43 % en 1993 à 40,6 % en 1994, « après la dévaluation du franc cfa, les mesures pour atténuer l’impact négatif sur les populations les plus faibles ont été significatives [sic], mais restent très limitées par rapport à l’envergure du problème ». Il ressort en outre que les résultats escomptés de la dévaluation ne se sont pas réalisés, puisque « les arriérés intérieurs ont augmenté alors qu’ils devraient être réduits, les recettes programmées n’ont pas été réalisées, les dépenses courantes n’ont pas été maîtrisées et les dépenses d’investissement réalisées ont été inférieures à celles qui étaient programmées12 ».

16Par ailleurs, alors que le système était dans ce que G. Ferrero appelle une phase de prélégitimité, ce qui signifie que sa légitimité était à construire, tous les gouvernements successifs ont voulu réduire la masse salariale et les bourses scolaires tout en regrettant les grèves à répétition et l’absence de paix sociale. Élaboré au début de la cohabitation à l’initiative du premier ministre Hama Amadou, le programme de redressement d’urgence soulignait que « le Niger [était] confronté à de redoutables problèmes de tous ordres ». On y affichait la volonté que « son application rigoureuse donne[ra] des signaux clairs et nécessaires aux populations nigériennes et aux partenaires extérieurs sur la détermination du gouvernement à redresser la situation et sur les orientations quant aux mesures de réformes structurelles ». Les analystes et les gouvernements ultérieurs s’accordent pour dire que ce programme a connu un début d’application encourageant entre février 1995 et janvier 1996. Cela a été le cas en matière d’accroissement des recettes internes, de remise en route des services de santé et d’un début d’apurement des arriérés internes de l’État. Par contre, l’autre volet du programme, notamment les politiques de réforme des entreprises, a consisté en un ensemble de politiques publiques négatives aux yeux du monde du travail, ce qui n’a pas favorisé la trêve sociale13. Si les efforts de redressement économique du gouvernement de cohabitation ont eu un caractère positif sur le plan de l’amélioration des capacités de l’État, ces efforts sont allés de pair, faut-il le rappeler, avec une rigueur et une austérité qui ont desservi le régime.

17C’est dans un tel contexte que se développait parallèlement la crise politique entre le chef de l’État et son premier ministre de cohabitation, à laquelle le coup d’État militaire de janvier 1996 a mis un terme. Ce putsch a bien montré l’érosion des soutiens du système, due en grande partie à son incapacité à répondre aux attentes des secteurs sociaux. N. Souley a ainsi accusé les intellectuels d’avoir été « des acteurs de la démocratie-tremplin », de s’être ralliés au mouvement démocratique « non pas parce qu’ils sont réellement acquis à la démocratie comme idéal politique, mais parce qu’ils y avaient vu une opportunité de parvenir au pouvoir en renversant ceux qui y étaient déjà ». Il n’est alors pas étonné que, face aux défis économiques, ceux-ci aient « observé un mutisme déroutant, sinon inquiétant14 ».

18Au Bénin, si des difficultés ont été clairement observées et le sont encore aujourd’hui, l’action des différents gouvernements en matière de politiques publiques est cependant louable dans l’ensemble au regard de la situation de banqueroute qui prévalait avant la conférence nationale. Vers la fin des années 1990, les performances du régime paraissaient même spectaculaires en comparaison de la situation du Niger voisin. Cette différence en matière de performance a eu un impact sur le processus démocratique en contribuant à apaiser le front social au Bénin et à le mettre en ébullition au Niger.

Les acteurs externes dans les trajectoires de la démocratisation

19Dans une étude comparative des conférences nationales béninoise et togolaise, J. Ziegler et d’autres auteurs envisagent le phénomène sous plusieurs angles parmi lesquels celui de la mondialisation. Dans cette dernière perspective, ils pensent que :

La Conférence nationale constitue, paradoxalement, un produit double de la mondialisation. [...] Elle correspond dans sa réussite (Bénin) aux attentes idéologiques affichées par les institutions financières internationales et par les pays donateurs et, dans son échec (Togo), elle met en évidence les véritables intérêts de ces mêmes acteurs internationaux, à savoir la stabilité politique des gouvernements15.

20Les acteurs extérieurs sont essentiellement ambivalents à l’égard de la démocratisation : ils peuvent constituer des ressources, des entraves ou être neutres.

Les acteurs externes dans l'avènement de la démocratie

21Un des points sur lesquels la littérature sur la démocratisation est consensuelle, c’est que même si les facteurs internes sont prédominants dans le processus de démocratisation, les pressions ou le soutien des acteurs extérieurs (États ou organisations internationales) doivent être pris en compte. D. Beetham montre, par exemple, qu’au Chili, au Salvador, en Corée et aux Philippines, l’ouverture politique s’est faite, en grande partie, en raison de la pression des États-Unis16. Dans la même optique, P. Schmitter a montré comment en Europe méridionale (Italie, Grèce, Turquie, Portugal et Espagne) la démocratisation était « inévitable » : dans le cadre de la construction européenne, ces pays étaient pris dans un réseau complexe d’institutions régionales, d’échanges commerciaux, de pressions politiques et de traités internationaux. Le contexte présentait en fait un cadre normatif qui imposait la conformité à la démocratie et sanctionnait toute transgression17.

22D. Gordon propose un bon point de départ pour apprécier le rôle des acteurs externes dans la promotion de la démocratie en montrant que ceux-ci disposent de trois types d’outils dans cette persperspective : la politique du bâton, la politique de la carotte et la diplomatie18. À partir de ces éléments, l’impact de ces acteurs est étudié à travers, d’une part, les politiques de conditionnalité démocratique et, d’autre part, les politiques de prime à la démocratie supposées appuyer le processus de démocratisation.

Conditionnalités politiques et transition démocratique

23Les conditionnalités politiques ont commencé à être posées au début des années 1990 alors que les pressions politiques internes étaient déjà en œuvre. Elles correspondent à la mise en avant de la politique du bâton dont parle D. Gordon et marquent une réponse des pays occidentaux à la modification des enjeux géopolitiques et stratégiques liés à la guerre froide. Face au démantèlement du bloc communiste, les régimes africains ont perdu une des ressources essentielles à leur stabilité qu’ils tiraient de l’opposition Est-Ouest, quelle que soit par ailleurs leur affiliation. Ainsi, le Niger, plutôt dans le camp occidental, ne pouvait plus faire prévaloir sa position géostratégique, pas plus que le Bénin ne pouvait profiter d’un rôle de « pion » soviétique dans une Afrique de l’Ouest au cœur du pré carré français. Les politiques de conditionnalité ont alors émergé pour obliger les États non démocratiques à le devenir. Globalement, l’impact de ces politiques est plus évident lors du renversement des régimes autoritaires que dans la phase de consolidation de la démocratie, comme l’ont montré D. Beetham et D. Gordon19.

24Au Bénin comme au Niger, la conditionnalité politique doublée de la diplomatie persuasive (incitation à aller vers plus d’ouverture) ont aidé à assurer l’alternance entre le régime autoritaire en place et un régime démocratique. Tout en attribuant aux acteurs internes la place qui leur revient, force est de reconnaître le rôle qu’a joué la France, par exemple, lors des conférences nationales en raison de la grande influence qu’elle a conservée dans ces pays. Le discours de la Baule peut, d’une certaine manière, être considéré comme participant de la rupture du pacte colonial dont parle Bayart20. Pour la première fois depuis les indépendances, la France semblait ainsi être plus regardante en matière de respect des droits et libertés humains en Afrique au détriment de son attachement traditionnel à des régimes antidémocratiques qui assuraient la reproduction du pacte.

25Si Mathieu Kérékou est allé au sommet de la Baule en pionnier de la démocratisation (le processus béninois étant antérieur au sommet), Ali Saïbou du Niger était parmi les chefs d’État participants qui ont manifesté leur mécontentement face à cette immixtion de la France mitterrandienne dans leurs affaires intérieures, à l’instar de Moussa Traoré du Mali ou de Gnassingbé Eyadéma du Togo. Le fait que nombre de ces contestataires aient, d’une manière ou d’une autre, perdu le pouvoir depuis lors est significatif de l’effet catalyseur de ce que G. Hermet appelle « l’imaginaire mondial21 ».

26Au Bénin, l’ouverture politique est certes antérieure à l’arrivée de ce temps mondial favorable aux espoirs démocratiques, mais il est impossible d’ignorer le rôle de la diplomatie persuasive française, facilité par l’ampleur de la crise économique à laquelle le pays faisait face22. Des correspondances ont été échangées entre le ministère français de la Coopération et la présidence de la République du Bénin, avec notamment la publication par la presse d’une lettre dans laquelle les autorités françaises conseillaient à Mathieu Kérékou la tenue

d’une convention nationale, d’états généraux ou d’assises nationales, peu importe la dénomination d’une telle structure. [...] En ce qui concerne les grands axes des réformes constitutionnelles à faire, les autorités françaises seraient particulièrement sensibles à la mention très explicite d’une séparation de l’État et du parti. [...] Il conviendrait aussi d’annoncer que l’ensemble des décisions relatives aux changements constitutionnels envisagés sera ratifié par l’Assemblée courant février 1990. Il est hautement souhaitable que l’on n’aille pas au-delà de cette période. [...] En début d’année, c’est le moment propice aux opérations de décaissement des ressources. [...] Nous sommes prêts à vous venir en aide pour financer les activités politiques nationales liées à la mise en œuvre de ces réformes, notamment les assises de la convention nationale23.

27Ainsi, la politique de la carotte n’a pas manqué d’être utilisée sous la forme d’aides budgétaires données en contrepartie de la libéralisation politique. Les interférences entre le politique et l’économique sont inextricables de ce point de vue et le débat des années 1990 a promu la thèse selon laquelle démocratie et développement capitaliste vont ensemble24. Sous la houlette des pays occidentaux, cette thèse s’est imposée à la fois dans les rapports bilatéraux et multilatéraux. C’est aussi dans ce schéma qu’entrent les changements d’attitude de la Banque mondiale dans ses relations avec les pays d’Afrique subsaharienne lorsqu’elle a estimé que la crise africaine était une crise de gouvernance25. La notion de gouvernance signifiait que la crise n’était pas seulement économique, mais qu’elle trouvait aussi sa source dans l’environnement institutionnel non démocratique. À partir de ce moment, dans le cadre de la politique de l’aide liée, pratiquement toute assistance bilatérale a été conditionnée à l’existence d’un accord préalable avec les institutions financières internationales. Par ses implications politiques, la notion de gouvernance est au fondement des conditionnalités. Elle sort statutairement du cadre de compétence de ces institutions, mais elle s’explique par les exigences du temps mondial. Un auteur pessimiste comme F. Akindès pense même que les pressions politiques extérieures en faveur de la démocratisation ne sont que « des manipulations politiques de la crise de l’endettement des années quatre-vingts, l’Afrique étant une proie facile depuis qu’elle s’est laissée aller au jeu de l’endettement aisé26 ». La manière dont la transition béninoise s’est déroulée, notamment l’immunité présidentielle, est vue comme la simple traduction d’un « contrat politique entre la France et Kérékou, une exécution des promesses de la première, en récompense à la transmission pacifique du pouvoir acceptée par le second27 ». Dans ces conditions, il conclut, suivant en cela J.-F. Couvrat, que « le Bénin a accepté de fonctionner comme un laboratoire d’essai28 ». La détermination extérieure dans les autres démocratisations est alors évidente pour lui « proposée par la France, le Bénin en a offert le modèle, suivi dans le courant des années 1990-1991 par le Gabon, le Congo, le Niger...29 ».

28Si certains auteurs comme J. Ziegler se félicitent de voir une vague démocratique déferler sur les pays, sans trop en chercher les origines30, d’autres sont d’une extrême sévérité à propos des pressions extérieures en faveur de la démocratisation. S. Mappa se fait l’avocate des faibles, mais avec des relents culturalistes, en fustigeant fortement les universalistes qui aspirent, selon elle, « à une occidentalisation du monde ». Elle s’élève aussi contre les minimalistes qu’elle accuse « de véhiculer l’illusion de la simplicité et de l’universalité des choses ». Leur conception procédurale de la démocratie occulte à ses yeux « la complexité de la réalité sociale ». Selon elle, l’injonction démocratique procède d’une volonté contraire à l’essence démocratique de la libre adhésion et consiste à vouloir changer les gens contre leur gré. Il serait possible de conclure, en suivant S. Mappa, que les processus de démocratisation engagés au début des années 1990 sont essentiellement le fruit d’une violence (économique, politique, symbolique) exercée par les acteurs occidentaux dominants sur des sociétés dominées au sein desquelles « il n’y a pas de mouvements populaires en faveur de la démocratisation de l’État ou de la société ». Pour S. Mappa, on nourrit dès lors l’illusion que ces sociétés pourraient accéder à la « modernité » sans renoncer à leurs propres valeurs et sans adopter celles de l’Occident.

C’est cette illusion qui est véhiculée par les politiques de la conditionnalité démocratique. L’adoption des procédures électorales sert de masque qui empêche la prise de conscience au sein des sociétés concernées des changements culturels immenses qui sont nécessaires pour accéder à la démocratie31.

29Il est évident que, dans les processus d’ouverture politique au Bénin comme au Niger, la diplomatie française, les aides budgétaires accordées en contrepartie de la libéralisation (au Bénin) ou encore les menaces de suspension d’aide ont influencé les régimes autoritaires alors en place. Ces mesures ont contribué à renforcer l’effet dynamisant des pressions internes et à affaiblir les régimes, qu’elles aient été prises avec cette intention ou non32. Les pressions externes ont de ce fait servi d’appoint aux « mobilisations multisectorielles » internes. Il s’avère ainsi que les pressions externes sont efficaces, surtout dans la chute du régime autoritaire. C’est aussi cette situation qui explique qu’en dehors des politiques de conditionnalité, les acteurs externes « démocratiseurs » aient promu une autre stratégie, connue sous l’appellation de primes à la démocratie.

Démocratisation et primes à la démocratie

30Les politiques de prime à la démocratie sont apparues dans la foulée des politiques de conditionnalité. Elles étaient supposées constituer un instrument d’incitation à la poursuite de la démocratisation. P. Gakunu a remarqué que :

Les gouvernements occidentaux ont donné l’impression que l’aide financière et technique reprendrait dès que les gouvernements africains auraient amorcé avec succès certaines réformes démocratiques et rétabli les droits fondamentaux, et que les régimes démocratiques récemment instaurés auraient entamé des réformes structurelles.

31En raison de leur forte dépendance ainsi que de l’ampleur des difficultés dans lesquelles ces pays se trouvaient, « la plupart des gouvernements africains ont donc été obligés ou ont accepté de leur plein gré, de se lancer sur la voie de la démocratisation, dans la conviction qu’ils seraient largement récompensés ou, du moins, indemnisés de leurs efforts vers des réformes démocratiques durables33 ».

32Le caractère incitatif des primes à la démocratie annoncées n’est donc pas négligeable, d’autant que nombre d’acteurs externes parmi les plus significatifs avaient officiellement soutenu cette ligne. Le président Mitterrand a ainsi déclaré devant les chefs d’Etats africains réunis autour de lui à la Baule que l’aide française serait généreuse à l’égard des pays qui introduiraient des réformes démocratiques et timide à l’égard de ceux qui n’en introduiraient pas. C’était aussi la position du gouvernement britannique, exprimée par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Douglas Hurd, qui n’oubliait pas le libéralisme en sus : « L’aide n’ira qu’aux pays aspirant au pluralisme, à la responsabilité du gouvernement, au respect d’un État de droit et aux principes d’une économie de marché34. »

33Si les promesses de prime à la démocratie n’ont pas toujours été bien vues par les pouvoirs qui n’avaient rien à gagner à ouvrir l’arène politique et à promouvoir les libertés publiques, ceux nouvellement installés par la voie des urnes y ont placé beaucoup d’espoirs. Leur survie même était en effet menacée, comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, par la crise de gouvernabilité dans laquelle ils ont émergé. Le Bénin et le Niger se sont retrouvés dans cette catégorie après la transition. Le choix même des autorités de transition au cours des conférences nationales a été conditionné par la recherche de la prime. Dans les deux pays, la direction du gouvernement de transition a été confiée à un fonctionnaire international. Les participants à chaque conférence nationale pensaient que la meilleure façon de s’assurer cette prime était de confier le pouvoir à un homme connu à l’étranger et inséré dans des réseaux qui lui permettraient de drainer l’aide extérieure. Les Béninois ont porté leur choix sur un fonctionnaire de la Banque mondiale et les Nigériens, sur un fonctionnaire de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique (asecna).

34Il est probablement contestable de conclure que les Béninois ont choisi, puis confirmé lors de la première élection présidentielle, un meilleur candidat, celui des institutions financières internationales. Il reste qu’en termes comparatifs, le Bénin a beaucoup plus profité de cette prime à la démocratie que le Niger et cela, aussi bien durant la période transitoire que par la suite. Nombre d’auteurs s’accordent pour dire que le Bénin a profité de la prime. La restauration relative des capacités de l’État constatée plus haut doit aussi à ce soutien extérieur. J.-F. Couvrat relevait, dès 1991, que le traitement dont profitait le Bénin était, « toutes proportions gardées », comparable à celui qu’avaient reçu l’Allemagne de l’Est, la Pologne ou l’Egypte à un moment de leur histoire. Il écrivait que, suivant les prévisions, en 1992, « plus de 140 milliards de francs cfa lui seront infusés par les Occidentaux. Sans compter l’assistance technique et surtout, l’allégement de la dette béninoise. [...] Les échéances seront réduites de moitié, ce qui équivaut à un apport de 50 milliards de francs cfa35. » À titre comparatif, l’allégement de la dette nigérienne n’est survenue qu’en 1998, bien après le renversement du régime démocratique. F. Akindès partage l’avis que le Bénin a réussi à s’attirer la prime à la démocratie promise, en montrant à la suite de Stephen Smith que :

Le Bénin est l’un des rares pays à avoir réellement perçu une prime à la démocratie : les État-Unis ont annulé la totalité de leurs créances. Le Club de Paris a allégé 50 % de la dette publique du pays. La France et l’Allemagne, après deux visites conjointes de leurs ministres de la Coopération en l’espace de six mois, ont multiplié dons et « rallonges spéciales », au point de subventionner la démocratie, en 1991, à hauteur s’approchant de 50 000 francs cfa par habitant36.

35Cette bonne disposition des acteurs extérieurs se remarque aussi à travers les relations que le Bénin entretenait avec les institutions financières internationales, notamment le FMI. En 1991 déjà, le Bénin en était à son deuxième PAS, après celui conclu par le régime Kérékou déclinant, en 1989. D’autres programmes ont continué à être signés avec une continuité remarquable, même après le retour de Kérékou au pouvoir en 1996. Cette confiance et ces apports constants des institutions financières au Bénin tranchent avec les difficultés que les différents gouvernements nigériens ont eu à conclure des accords et surtout avec le caractère parcimonieux des décaissements opérés en faveur du pays, qui n’ont été vraiment soutenus qu’après l’arrivée au pouvoir de Mamadou Tanja en 1999, après que le pays eut expérimenté deux coups d’État.

36Au Niger en effet, acteurs et observateurs estiment que la prime à la démocratie n’est pas venue. Les aides qui ont permis à Nicéphore Soglo de stabiliser les institutions par une présence matérielle de l’État avant même la fin de la période de transition ont cruellement fait défaut à son homologue du Niger. F. Akindès montre le désarroi dans lequel s’est retrouvé le premier ministre Amadou Cheiffou, « boudé par les bailleurs de fonds », submergé par les problèmes et de ce fait lâché aussi par les secteurs sociaux et les partis politiques soucieux de se démarquer de lui à l’approche des échéances électorales. Certes, des donateurs habituels, comme la France, l’Italie, l’Allemagne ou les États-Unis, ne se sont pas retirés, mais contrairement à ce qui s’est passé au Bénin, il n’y a pas eu d’augmentation substantielle liée aux efforts par ailleurs exemplaires (à l’exception du refus des pas par la conférence) de démocratisation.

37Ainsi, si au Bénin l’aide en provenance des partenaires extérieurs équivalait au quart du pnb du pays, cette aide est estimée au cinquième du pnb, au Niger37. Les subventions extérieures sont estimées à une moyenne de 52,4 $ par habitant au Bénin contre 40,5 $ par habitant au Niger. Par ailleurs, selon les rapports de l’ocde, de 1990 à 1993, l’aide publique au développement (apd), toutes provenances confondues, a quasi régulièrement augmenté au Bénin, alors qu’elle a presque régulièrement baissé au Niger. Dans le premier cas, l’apd est passée de 263 millions de dollars en 1990, année de la conférence nationale et point de départ de la démocratisation, à 268 millions en 1991, 269 millions en 1992, 290 millions en 1993, pour baisser à 257 millions en 1994. Au Niger, l’apd est passée de 404 millions de dollars en 1991, année de la conférence nationale et point de départ de la démocratisation, à 370 millions en 1992, 352 millions en 1993 pour remonter à 376 millions en 199438. Or, selon le classement par ordre croissant de PNB par habitant établi par la Banque mondiale, le Bénin était alors à la 29^e place, avec 370 $ de PNB par habitant, et le Niger à la 17^e place, avec 230 $39.

38Globalement, les acteurs externes ont donc mieux accompagné l’expérience béninoise que celle du Niger en matière d’aide financière. Les donateurs extérieurs ont accompagné la transition démocratique d’une aide plus suivie au Bénin et les institutions financières, extrêmement réticentes à l’égard du Niger, ont coopéré plus constamment avec le Bénin. Quelle que soit la critique adressée aux programmes d’ajustement structurel, il est impossible d’ignorer qu’ils conditionnent en partie le soutien des bailleurs bilatéraux et qu’à court terme, au moins, les rentrées de fonds qu’ils permettent servent à atténuer la crise de gouvernabilité.

39La divergence des trajectoires de la démocratisation au Bénin et au Niger peut donc aussi s’analyser sous cet angle qui apporte sa part d’éclairage. Dans ces conditions, il apparaît évident que les acteurs politiques des deux pays ne pouvaient pas voir l’impact des acteurs externes de la même façon. Alors que Nicéphore Soglo ne jurait que par les soutiens extérieurs qui lui ont permis d’assurer une présence appréciable de l’État, génératrice de crédit symbolique pour les institutions, ses homologues nigériens étaient plutôt désabusés. Ainsi, le premier ministre Hama Amadou de la période de cohabitation (1995-1996) est amer lorsqu’il évoque la question des primes à la démocratie :

Les partenaires occidentaux ne sont pas attachés au même degré à la démocratisation et au respect des libertés. Même les plus exigeants, comme les Américains, les Danois, les Allemands, donnent leur aide plutôt aux associations et autres ong. Globalement, le soutien occidental à la démocratisation ne contient rien. Il n’y a pas de prime à la démocratie40.

40Ces faits montrent que les acteurs extérieurs peuvent faciliter la transition vers la démocratie, mais qu’ils n’en sont pas nécessairement des promoteurs en dépit du volontarisme affiché. Dans la perspective du soutien à la consolidation de la démocratie, il est possible d’estimer au mieux, que les acteurs extérieurs sont essentiellement ambivalents.

L'ambivalence des acteurs externes dans la consolidation de la démocratie

41En fonction des situations, les acteurs externes peuvent apparaître comme des obstacles à la démocratisation ou comme simplement plus attachés à d’autres préoccupations qu’au principe démocratique lui-même. D. Gordon remarque que les efforts des acteurs internationaux visant à promouvoir la démocratie sont limités par trois types de contraintes : les conditions sur le terrain, le caractère contradictoire des pressions externes ainsi que le caractère limité des intérêts et des ressources41. Étant donné que l’idée des « conditions sur le terrain » de D. Gordon s’apparente à des prérequis à la démocratisation, elle n’est pas retenue ici. Cependant, il est évident que l’inflexion subie par les politiques de conditionnalité, les luttes d’influence entre pays occidentaux ainsi que l’importance ou, au contraire, la faiblesse de leurs intérêts économiques expliquent bien souvent la raison pour laquelle les acteurs extérieurs ne sont pas des promoteurs de la démocratisation.

De la conditionnalité politique à la simple conditionnalité managériale

42L’influence des conditionnalités a été circonscrite très rapidement, aussi bien du point de vue des pays auxquels elles ont été véritablement appliquées que du point de vue de la fermeté et du suivi de cette politique dans les pays où son application a commencé à donner des fruits. Ainsi, les conditionnalités démocratiques ont été, par exemple, très peu efficaces, voire non utilisées, contre les régimes autoritaires au Zaïre ou au Togo. De même, elles ont fait long feu contre les militaires qui ont renversé les institutions démocratiques au Niger. De ce fait, les tentations autoritaires se nourrissent de l’atténuation de la fermeté des promoteurs de la conditionnalité démocratique. En effet, dans le rapport de 1989, la Banque mondiale, tout en se défendant de toute ingérence dans les affaires intérieures des pays, semblait indiquer clairement que le développement ne saurait être durable sans la démocratie et l’accountability. Cette position a ensuite évolué vers une plus grande insistance sur le contenu économique de la notion. Comme le souligne R. Banégas, « les glissements sémantiques de la notion de gouvernance, en déplaçant l’attention du pluralisme et de la légitimité politique à la responsabilité financière et aux capacités de gestion des gouvernements, ont vidé la conditionnalité politique de son contenu révolutionnaire42 ».

43Cette inflexion se comprend en ce qui concerne les institutions financières en tenant compte du fait, comme le rappelle A. Sindzingre43, qu’elles sont avant tout des banques, qu’elles sont par conséquent inscrites dans une logique différente du registre politique. En tant que telles, elles se préoccupent de la sécurisation de leurs investissement ou des prêts consentis à des pays pauvres et en crise de gouvernabilité. Elles ont tendance, de ce fait, à se satisfaire plutôt des situations politiques les plus propices aux affaires ou au retour des fonds injectés, indépendamment de la nature du régime. Autrement formulé, cela revient à dire que les institutions financières internationales, parce que très attachées à la stabilité politique, peuvent s’accommoder, toutes proportions gardées, de tout régime capable d’assurer cette stabilité, fût-il non démocratique. C’est aussi pour cela que « l’impératif démocratique comme signe d’appartenance à la communauté des nations » a du mal à être maintenu44. On assiste alors à la relégation de la démocratie dans un futur incertain, pavé d’actes antidémocratiques. En suivant G. Hermet, cette perspective sous-entend une forme de résignation à l’idée qu’elle n’adviendrait que lorsque des dictatures libérales auront, au préalable, instauré l’économie de marché45.

44Le cas du Niger est illustratif de cette hypothèse : les relations entre le pays et les institutions financières ne se sont pas dégradées après le coup d’État de 1996, bien au contraire. Ni l’interruption du processus démocratique, ni le caractère non démocratique des élections de juillet 1996 n’ont été suivis d’une interruption corrélative des relations par le fmi et la Banque mondiale. Quelques mois seulement après le putsch, ceux-ci signaient avec le gouvernement d’exception une Facilité d’ajustement structurel renforcée (fasr) de 50 milliards de francs cfa que le gouvernement démocratique précédent n’a pas obtenue46. Le décaissement d’une première tranche de cette fasr à quelques semaines des élections de juillet 1996 a été interprété par l’opposition comme un généreux coup de main au général Baré. Pour les autres candidats, c’est la détermination du pouvoir à conduire les réformes préconisées par les IFI qui explique le soutien qu’elles lui manifestent47. Il était donc prévisible à leurs yeux qu’il soit soutenu par de l’argent frais destiné à calmer le front social. Mieux encore, l’opposition a vu dans ce décaissement une manière indirecte de financer la campagne du pouvoir. L’argent qui a circulé ensuite au cours de cette campagne, ainsi que la prolifération des véhicules tout terrain servant à la propagande en faveur du général Baré, n’ont fait que renforcer cette conviction. Par ailleurs, l’allégement de la dette, dont le Bénin a profité dès le début de son processus de démocratisation en 1992, est intervenu au Niger seulement après le renversement des institutions démocratiques. Ce n’est qu’en fin 1997 que le Club de Paris a accordé un allégement de 67 milliards de francs cfa sur la dette du pays, soit environ un dixième de la dette totale.

45Cette impression que les politiques de conditionnalité ont connu une grande inflexion, amenant les institutions financières, voire les États occidentaux, à tolérer des régimes non démocratiques, mais capables de conduire les réformes et la libéralisation, se nourrit également de l’asymétrie entre les performances économiques apparentes du gouvernement nigérien et l’appréciation que les institutions financières en ont. Ainsi, en juillet 1998, alors que la crise et les agitations sociales battaient leur plein dans tous les secteurs, attisées par le caractère autoritaire du régime du général Baré, le fmi félicitait paradoxalement le gouvernement pour ses « bonnes performances économiques et financières ».

Des principes de la conditionnalité à la realpolitik

46Il est ainsi tout à fait opportun de se demander si, à la faveur de thèmes à la mode comme la mondialisation, les conditionnalités politiques ou encore la gouvernance, la « volonté démocratisante » des acteurs extérieurs, en particulier celle des pays occidentaux, n’a pas été surestimée. Un nombre important de situations pousse à se demander si ces pays sont attachés au principe démocratique ou si, plus attachés à d’autres objectifs, ils ne l’utilisent que comme une ressource contextuelle. Le simple fait que les pressions extérieures aient été postérieures aux mobilisations internes dans la plupart des cas jette parfois le soupçon sur des acteurs accusés de ne faire que suivre opportunément un mouvement. A. Glaser et S. Smith relèvent le peu de conviction qui animait le président Mitterrand quand il prononçait le discours de la Baule, pourtant considéré par beaucoup comme un tournant dans les processus de démocratisation en Afrique. Ils citent le conseiller du président français, Eric Arnoult, qui affirmait : « Voyez le discours de la Baule, prononcé devant les chefs d’État africains. Si, poussé par mes copains Jacques Attali et Jean-Louis Bianco, je n’avais pas écrit ce discours-là, le président n’aurait pas parlé de la démocratie en Afrique48. » Si besoin était, cette déclaration montre la légèreté avec laquelle la flamme démocratique a été allumée ou ravivée selon le cas. Elle pouvait présager du peu d’efforts que les acteurs externes mettraient à la rallumer si, d’aventure, elle venait à être éteinte. L’avertissement de J. J. Linz et A. Stepan selon lequel il ne faut pas mettre la démocratie dans une situation qui nécessite que les citoyens se mobilisent pour la défendre49 vaut aussi pour le soutien éventuel des acteurs extérieurs.

47Au Bénin, on sait qu’après avoir essayé de dissuader le général Kérékou de se présenter à l’élection présidentielle de mars 1996, le gouvernement français lui a apporté son soutien officieux avec l’aide des réseaux Foccart. Sans adhérer à l’idée selon laquelle le retour au pouvoir de Mathieu Kérékou équivalait à une remise en cause de la démocratie, il est impossible de ne pas relever les contradictions attachées à l’appui dont a bénéficié l’ancien dictateur à un moment où personne ne pouvait garantir que son arrivée au pouvoir ne s’accompagnerait pas d’un retour en arrière. La résistance des institutions béninoises constatée a posteriori n’était pas évidente au départ et le système n’a en réalité jamais été mis dans une situation où sa survie dépendrait du soutien des acteurs extérieurs.

48De ce point de vue, le Niger offre un exemple tragique avec le coup d’État de janvier 1996. Le soutien des acteurs extérieurs n’a pas seulement fait défaut en matière préventive par l’insuffisance des primes à la démocratie, il a aussi fait défaut sur le plan curatif après le coup d’État. Parmi les acteurs externes dont le soutien à la démocratie est le plus attendu, la France et les États-Unis font figure de pays incontournables, la première en raison de son poids historique sur le continent et le deuxième en sa qualité d’unique superpuissance. Les deux revendiquent par ailleurs le statut de « patrie de la liberté et des droits de l’homme ». Bien entendu, nombre d’autres acteurs, à savoir des pays comme la Grande-Bretagne et des organisations comme l’Union européenne, ont leur place suivant le poids qu’ils représentent dans les apports d’aide ou en raison de liens historiques50. Pour les fins de cette étude, l’attention est essentiellement limitée aux États-Unis et à la France.

49Les auteurs ont généralement tendance à considérer qu’en Afrique, les États-Unis sont de meilleurs défenseurs de la démocratie que la France : alors que les États-Unis n’ont pas de tradition coloniale et ont des intérêts marginaux en Afrique51, la France a une tradition coloniale qui a présidé à la structuration d’un champ d’intérêts, d’interdépendances et de réseaux inextricables52, au point que l’on n’hésite pas à parler de Françafrique53. La situation des États-Unis les inclinerait à supporter la démocratie plus froidement, alors que la position de la France l’obligerait à y regarder de près, avec des arrière-pensées stratégiques.

50Sans doute les choses ne sont-elles ni aussi simples ni aussi tranchées. T. J. Moss montre, et c’est bien connu, que pendant longtemps, la politique africaine des États-Unis a été dictée par des intérêts nationaux parmi lesquelles il fallait parfois établir des priopriorités : contenir le communisme, protéger les routes maritimes, garantir l’accès aux matières premières, promouvoir les valeurs américaines, notamment les droits de l’homme. Tant que des menaces pesaient sur la préservation de ces intérêts, les États-Unis menaient une politique géostratégique indépendamment de la nature du régime. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le soutien apporté au régime raciste en Afrique du Sud ou au régime dictatorial de Mobutu au Zaïre. Avec la fin de la guerre froide et, dans la foulée, la fin des menaces sur ces intérêts, l’Afrique est devenue marginale pour les États-Unis qui n’y ont plus que des préoccupations d’ordre international, comme la protection de l’environnement, la prolifération nucléaire et les décompositions étatiques54.

51Aujourd’hui, observe T. J. Moss, rejoignant ainsi d’autres auteurs, il n’y a plus de consensus (ni entre africanistes ni entre technocrates américains) sur les intérêts américains en Afrique. Cette situation a pour conséquence de créer une politique déficiente à l’égard de ce continent soit en raison de l’absence totale d’une grille permettant une politique cohérente, soit, parfois, à cause de la détermination de la politique africaine par des lobbies ou des groupes d’intérêt55. Par conséquent, l’intérêt que l’administration américaine accorde à l’Afrique serait minoré. Néanmoins, cela n’implique pas un soutien uniforme et total à la démocratisation. Des exemples montrent que certains intérêts, économiques ou stratégiques, existent toujours et tempèrent l’engagement américain en faveur de la démocratie. Au Rwanda ou en Ouganda, la volonté démocratisante américaine est plus faible, compte tenu des impératifs de stabilité de la région des Grands Lacs ainsi que de la rivalité avec la France. Dans les pays qui comptent et où l’opportunité de supplanter la France existe, les États-Unis semblent devenir moins regardants et leur politique en Afrique devient aussi floue que celle de la France.

52La politique africaine de la France est très décriée par nombre d’observateurs qui sont convaincus que seuls les intérêts la structurent. A. Glaser et S. Smith sont de ceux-là. Ils regrettent les revirements qui ont caractérisé la politique française de soutien à la démocratie énoncée au sommet de la Baule. Ils remarquent qu’au sommet de Chaillot, en 1992 déjà, le président Mitterrand avait insisté sur « la démocratie bien sûr, mais chacun à son rythme ». Puis, en 1993, au sommet de Libreville, il a été question de « la prime à la bonne gestion ». Ainsi, « de fil en aiguille, on en vint à une règle de trois dont l’ordre est la sécurité, le développement et enfin la démocratie ». La dernière trouvaille est « une variante africaine de la cohabitation à la française, le gouvernement d’union nationale56 ».

53Par ailleurs, les mêmes auteurs fustigent l’ambiguïté de l’aide française en se référant à un rapport resté confidentiel. On y apprend que les pays les plus vertueux ont reçu les plus faibles concours financiers alors que l’aide financière aux pays endettés et peu rigoureux était la plus élevée57. Toutes ces ambiguïtés s’expliquent, selon eux, par l’importance des intérêts français. Ils relèvent ainsi que :

Même sinistrée, la zone franc a été, jusqu’à ces dernières années, le jackpot de la France. En termes d’échanges commerciaux, l’Afrique noire représente pour la France 70 milliards de francs, soit nettement plus que l’Amérique latine (49 milliards) et [...] l’Asie (8 milliards). Pour les bénéfices, l’Afrique noire a toujours rapporté au moins 8 milliards de francs, comme en 1992, alors que l’excédent français sur l’Amérique latine n’atteint que 840 millions de francs. C’est dans les anciennes colonies que le taux de retour est le plus important58.

54C’est la même approche qui préside aux analyses de F. Akindès, qui parle de valse de la politique française d’accompagnement de la démocratie :

La géométrie variable de l’attitude française ne laisse guère apparaître une politique africaine franche, en rupture réelle, d’une part, avec sa tradition diplomatique, et d’autre part, en harmonie avec ses engagements en faveur de la défense de l’édifice démocratique tel que les discours de la Baule et de Chaillot l’ont laissé croire.

55Au contraire, F. Akindès ne voit qu’une « politique du cas par cas, qui explique le soutien à certains amis politiques décriés pour leur hostilité à l’idée de démocratie ». Il fustige « la fausse neutralité face aux tentatives d’obstruction au processus de démocratisation dans certains pays, [voire] la protection de certaines zones de nonnon-droit ». Il conclut que « désormais, les questions d’intérêt économique sont plus que jamais prédominantes dans la politique africaine de la France59 ».

56C’est à travers le renversement des institutions démocratiques du Niger que sont saisissables non seulement l’ambivalence des pays occidentaux en matière de soutien à la démocratie, mais surtout l’absence de disponibilité à aider à préserver les fragiles cadres démocratiques en cas de menace. Il semble que tout en condamnant vigoureusement les putschistes de 1996, les États-Unis aient instrumentalisé l’événement en l’utilisant comme prétexte pour se désengager du pays, comme en témoigne la fermeture de l’antenne de l’Agence américaine de développement (usaid), réouverte après les élections transparentes de 1999 toutefois60. Quant à la France, son gouvernement a rapidement pris le parti des putschistes après quelques moments de flottement et de condamnation. Il n’est pas exagéré de dire que Paris a très vite constitué le principal soutien du régime. Le président Baré disait, en août 1997, dans un discours sur l’État de la nation :

Je voudrais particulièrement faire une mention spéciale pour la France, qui [...] a décidé de nous accorder son soutien, allant en cela jusqu’à entreprendre de convaincre ses partenaires européens et les institutions internationales qu’entre nos mains, le Niger n’interrompait ni l’accomplissement de son processus démocratique, ni son ouverture aux valeurs universelles.

57À ce propos, une comparaison entre l’attitude française et l’attitude américaine est illustrative. D’abord hostile aux militaires, le gouvernement français a influencé ses partenaires de l’Union européenne dans le sens de la suspension de toute coopération avec le nouveau pouvoir, exigeant même le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Mais très vite, la coopération a été restaurée dans tous les domaines. Les autorités françaises « ont pris acte », d’une part, de l’appel des présidents des pays membres du conseil de l’entente demandant la compréhension des autres partenaires du Niger61, et d’autre part, de la signature par les anciennes autorités d’une déclaration demandant aux mêmes partenaires de ne pas isoler le pays. L’ambassadeur de France au Niger à l’époque, Jean-François Lyonnet, a alors justifié la reconnaissance du nouveau pouvoir en invoquant « les évolutions intervenues dans le pays, le calendrier de retour à un ordre constitutionnel, le respect par la junte de l’intégrité physique des citoyens62 ». Presque au même moment, les Américains, eux, n’avaient aucune confiance dans les promesses de restitution du pouvoir faites par la junte. Le secrétaire d’Etat adjoint aux Affaires africaines d’alors, Georges Moose, l’exprimait clairement :

J’ai vraiment du mal à accepter qu’en cette fin du vingtième siècle, des pouvoirs démocratiquement élus soient encore balayés par des militaires. D’accord, le Niger était en proie à des problèmes constitutionnels, il se trouvait politiquement dans l’impasse. Néanmoins, cela ne justifie nullement l’intervention des militaires. [...] Franchement, nous sommes sceptiques63.

58Il n’est alors pas étonnant, après les élections manipulées des 7 et 8 juillet 1996, d’entendre le porte-parole du département d’Etat américain manifester sa stupéfaction « devant l’apparente incapacité du gouvernement nigérien à se conformer à ses engagements en faveur d’une transition vers la démocratie rapide et dans la transparence64 ». À l’inverse, la France a paru satisfaite des conditions de déroulement du scrutin, puisque le ministre de la Coopération soutenait que « quand un dictateur, après coup, se soumet au verdict des urnes, cela fait un sacré progrès65 ». Considérant les conditions dans lesquelles ces élections se sont déroulées et tenant compte des événements similaires qui se déroulaient parallèlement au Tchad, où Idriss Déby était « élu » lui aussi avec le satisfecit des autorités françaises, il n’est pas étonnant que l’attitude française ait été violemment prise à parti par certains observateurs66.

59Plusieurs autres observateurs ont relevé ces attitudes contradictoires du pays des droits de l’homme en considérant qu’elles ont fortement contribué à légitimer un pouvoir antidémocratique. D. Gordon explique ces ambiguïtés par les luttes d’influence entre puissances et le fait que l’image de grande puissance de la France reste liée à son influence dans ses anciennes colonies. Il remarque que ces dernières années, la politique française a été moins favorable à la démocratie, en montrant qu’au Niger, Paris n’a rien fait pour empêcher le renversement des institutions démocratiques et a même facilité la légitimation du régime militaire67. D’autres auteurs concluent, dans la même lancée, que la reprise rapide de la coopération française avec le régime militaire confirme l’idée selon laquelle les intérêts économiques sont au cœur des positions des puissances occidentales à l’égard des efforts de démocratisation en Afrique68.

60Il faut se garder d’exagérer l’importance de ces intérêts, notamment économiques, pour expliquer l’attitude assez passive des pays occidentaux en général face à la restauration autoritaire au Niger. Peut-être faut-il y voir aussi le résultat d’une realpolitik. Ainsi, si la France a pratiquement soutenu le régime du général Baré dès le départ, d’autres pays ou institutions qui avaient initialement rompu leur coopération après le putsch l’ont reprise un peu plus tard. C’est le cas de l’Allemagne, du Canada ou encore de l’Union européenne. Seuls les États-Unis ont maintenu des pressions occasionnelles sur le régime du général Baré en réclamant la démocratie et en octroyant des aides non pas au gouvernement, mais aux ong et autres associations s’occupant des droits de l’homme et de la promotion de la démocratie.

61En définitive, il apparaît évident que le comportement des acteurs internes est crucial. De leur capacité à mettre en œuvre des politiques économiques produisant des résultats dépend, pour une bonne part, la possibilité de créer un climat apaisé dans lequel les nouvelles institutions démocratiques peuvent prospérer. Par ailleurs, le comportement changeant des acteurs externes doit enseigner aux acteurs internes qu’ils doivent, avant toute chose, éviter de mettre la démocratie balbutiante dans une situation qui nécessite le soutien actif des acteurs extérieurs pour son rétablissement, car, comme le montrent clairement les exemples du Bénin et du Niger, ce soutien est plus facile à mobiliser quand les institutions se maintiennent grâce aux stratégies des acteurs internes que lorsqu’il est indispensable à leur rétablissement.