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Les paradoxes de la démocratisation en Afrique

 | 
Mamoudou Gazibo

3 La libéralisation et la Conférence nationale

Texte intégral

  • 1 Chris Allen, « Restructuring an Authoritarian State : The Limits of “Democratic Renewal” in Benin » (...)

1Du début des années 1960 à la fin des années 1980, le Bénin et le Niger ont été dirigés par des régimes autoritaires qui justifiaient leur existence et l’instauration d’un « État intégral » étouffant toute velléité de contestation par la recherche du développement. Le coup d’État de 1974 au Niger et l’adoption du marxisme au Bénin la même année s’inscrivent dans cette tendance. Dans le cas du Bénin, le recours au Marxisme permettait au régime, selon C. Allen, d’expliquer les échecs du passé et de promettre un avenir radieux à la population1.

  • 2 J.-F. Médard montre, à la suite de P. Bourdieu et de P. Veyne, que « la redistribution ostentatoire (...)
  • 3 Notons cependant que « même les régimes autoritaires, fondés sur la force, se gardent bien de négli (...)

2Cette stratégie a fonctionné tant que, sur le plan interne, les pouvoirs pouvaient disposer de ressources matérielles et les transformer en ressources symboliques par une politique de redistribution2. Elle a également fonctionné tant que, sur le plan externe, les alignements idéologiques fondés sur la guerre froide leur fournissaient des ressources politiques et, au besoin, coercitives servant à faire taire les contestations3.

3Toutefois, la fin des années 1980 coïncide avec un tarissement de ces ressources. D’une part, elle correspond au paroxysme de la crise économique dont le contexte a été décrit au chapitre 1. D’autre part, cette période est aussi celle de la fin de la guerre froide qui amène les puissances tutélaires à être plus regardantes en matière de respect des libertés. À la faveur de ce contexte, des contestations politiques ont commencé à monter. Elles ont rapidement pris des proportions telles qu’elles ont conduit à la libéralisation des autoritarismes dont la marge de manœuvre continuait à se rétrécir. De ce moment qu’a été la libéralisation, deux phases se dégagent : d’abord, la montée de la revendication démocratique à la suite de l’érosion de la légitimité des régimes autoritaires ; ensuite, les conférences nationales qui ont été le moment des grandes recompositions politiques dans la perspective de la mise en place d’institutions démocratiques.

La dynamique de la revendication démocratique

  • 4 Théophile E. Vittin, « Bénin : du système Kérékou au renouveau démocratique », dans Jean-François M (...)
  • 5 Richard Banégas, La démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Pa (...)

4La crise économique a entraîné une véritable banqueroute des États. T. E. Vittin note à propos du Bénin que « les remous et la spirale contestataires observables à partir de 1988 sont la traduction des difficultés de régulation sociopolitique et de la conjoncture économique dégradée qui frappe le pays de plein fouet depuis le milieu des années 804 ». Sur la dynamique des mobilisations sociales qui ont conduit à la chute du régime Kérékou, R. Banégas va dans le même sens avec sa thèse endogène du changement politique au Bénin en écrivant qu’il s’explique essentiellement par deux facteurs : « d’un côté, l’épuisement d’un “compromis postcolonial” fondé sur la “politique du ventre” [...] se traduisant par une incapacité croissante à coopter les nouvelles élites ; de l’autre, le développement sans précédent de mobilisations collectives “multisectorielles5” ». Cette analyse vaut pour le Niger.

Construction et crédit politique des régimes monolithiques

  • 6 Abdoulaye Niandou-souley, « Crise des autoritarismes militaires et renouveau politique en Afrique d (...)

5Pour comprendre le crédit politique des régimes monolithiques et le processus de son érosion dans les deux pays, il est nécessaire de remonter au milieu des années 1970. Un tournant a été introduit dans leur évolution politique par les coups d’État de M. Kérékou et de S. Kountché intervenus dans des contextes de crise. Les régimes qui en sont issus ont alors profité d’un fort capital de confiance initial6, dans la mesure où ils ont su identifier leurs actions aux attentes de populations exaspérées par les dérapages de toutes sortes.

  • 7 T. E. Vittin, 1991, p. 94.
  • 8 Ibid., p. 97.

6Au Bénin, le coup d’État du 26 octobre 1972 qui a porté Mathieu Kérékou au pouvoir est intervenu dans un contexte de lassitude générale face aux troubles politiques sempiternels et aux déficits financiers chroniques. T. E. Vittin remarque que ce coup d’État a consacré la rupture avec le passé marqué par « cinq constitutions, dix présidents, une douzaine de coups d’État dont cinq réussis7 ». L’accroissement des recettes, consécutif à la hausse des prix des matières premières, ainsi que le processus de révolutionnarisation visant un meilleur encadrement populaire par une étatisation tous azimuts vont valoir à l’État cette confiance qui a rendu effective son autorité. Ces facteurs, ajoutés à l’aide obtenue à la fois des pays de l’ocde et du bloc de l’Est8 ainsi qu’à la proximité avec le Nigeria en plein essor pétrolier, ont permis à l’État de pénétrer la société et de jouer un rôle de dispensateur de biens et de services.

  • 9 Janvier Assogba, un des trois capitaines initiateurs du coup d’État de 1972, arrêté pour conspirati (...)

7Tout ceci explique le processus révolutionnaire en tache d’huile9. Dans un premier temps (1972-1974), la révolution proclamée en 1972 s’est institutionnalisée par l’adoption d’institutions comme le Gouvernement militaire révolutionnaire (gmr) dès le lendemain des événements, le Conseil militaire révolutionnaire le 11 novembre ou le Conseil national de la révolution en septembre 1973. Dans un deuxième temps (1974-1977), la révolution s’est idéologisée avec l’adoption du marxisme-léninisme le 30 novembre 1974, la création des comités de défense de la révolution, la naissance le 30 novembre 1975 de la République populaire du Bénin et du Parti de la révolution populaire du Bénin (PRPB). Dans un troisième temps (1977-1980), la révolution s’est radicalisée, notamment après la tentative de putsch menée par des mercenaires en janvier 1977. Les organisations d’étudiants et de travailleurs ont été mises sous la tutelle du parti ; les slogans et les discours révolutionnaires anti-impérialistes étaient alors de rigueur dans les médias.

  • 10 Ces raisons n’excluent toutefois pas les méthodes coercitives dont le régime a usé et souvent abusé (...)

8La deuxième phase de ce processus correspond aussi au début des nationalisations et de la création de dizaines d’entreprises publiques grâce auxquelles le régime contrôlait l’ensemble de l’activité économique, l’accès au travail, à la santé, à l’éducation et à la promotion sociale pour l’élite. Cette action sur des registres variés a ainsi contribué à la crédibilisation du pouvoir10. F. Godin remarque que :

  • 11 Francine Godin, Bénin, 1972-1982. La logique de l’État africain, Paris, L’Harmattan, 1986, p. 290.

La raison de la stabilité et de la légitimité de l’État tient au caractère nationaliste, réformateur et centralisateur du régime dans un pays où les conflits de classe/ethniques avaient paralysé l’État. Le processus de nationalisation apparaît ainsi comme une forme de légitimité spécifique aux pays dépendants. L’État apparaît comme l’instrument de transformations nationales permettant une insertion des travailleurs dans le système11.

  • 12 Claude Raynaut et Souleymane Abba, « Trente ans d’indépendance. Repères et tendances », Politique a (...)

9Au Niger, le coup d’État du 15 avril 1974 qui a porté Seyni Kountché au pouvoir est intervenu dans un contexte de crise socioéconomique aggravé par la sécheresse qui a dramatiquement frappé l’ensemble du pays à la fin de l’année 1973. Il est intervenu aussi contre un régime usé par 15 années de pouvoir et miné par ses contradictions internes qui étaient telles que tout le monde appréhendait les conséquences éventuelles du congrès du parti unique prévu pour le mois de mai 197412.

10La lutte contre « la corruption, l’injustice, le népotisme et l’indifférence à l’égard du peuple », dont est accusé l’ancien régime selon les mots mêmes du nouveau président Kountché, a servi de point d’ancrage à la quête de crédit du nouveau régime. Le chef de l’État avait alors exprimé sa détermination restée célèbre, selon laquelle « aucun Nigérien ne mourrait plus de faim ou de soif même s’il faut pour cela y mettre tout le budget national ». Il est indéniable que, jusqu’à sa mort, des efforts importants ont été déployés par temps de crise alimentaire pour venir en aide aux populations à travers des distributions gratuites et régulières de vivres. Le chef d’état-major de l’armée cumulait sa fonction avec celle de « responsable de l’aide aux populations ».

11Avec la manne de l’uranium qui a fait croître rapidement les recettes de l’État dans la deuxième moitié des années 1970, l’État-providence va entrer en action. Sans que l’on assiste aux nationalisations et créations tous azimuts d’entreprises publiques comme au Bénin, le régime a entrepris d’assurer une éducation et une santé gratuites ainsi qu’une large couverture administrative du pays. Des infrastructures comme les routes, les dispensaires et les points d’eau potable ont été multipliées jusque dans les villages. Il en a été de même des écoles et des services techniques comme ceux de l’agriculture et de l’élevage d’importance majeure dans un pays rural comme le Niger.

12Même s’ils ont essuyé des tentatives de renversement qui témoignent toujours d’un déficit de légitimité, les régimes béninois et nigériens des années 1970 ont profité d’une relative stabilité, qui était en quelque sorte la contrepartie du volontarisme en matière de progrès social dont ils ont fait preuve notamment durant leurs premières années.

L’érosion du crédit politique et les catalyseurs de la contestation

  • 13 D’autant que le volontarisme affiché par ces régimes participait aussi de cette stratégie de présen (...)
  • 14 F. Godin, 1986, p. 286-287.
  • 15 C’est ainsi qu’est venue la rupture avec l’aile gauche radicale du régime représentée par ceux qu’o (...)

13C’est avec la crise économique, dont il a été question au premier chapitre, qu’a commencé à être entamé le capital de confiance des régimes13. Dans le cas du Bénin, F. Godin note que « la scène politique est polarisée en 1980 par les problèmes de détournement de fonds qui prennent une ampleur jamais égalée. Le nouveau rôle de l’État a permis le renforcement des traditions de corruption dans les hautes sphères du pouvoir14. » C’est alors que, sous l’effet de la crise économique et de la dépendance financière qui l’a accompagnée, le pays a commencé à connaître une inversion de tendance. Une déflation révolutionnaire s’est opérée avec les premières mesures de libéralisation économique. Ces mesures ne sont pas allées sans un coût social qui a contribué à saper les fondements de la légitimité du système15.

14Dans le cas du Niger, le malaise a commencé avec la chute des prix de l’uranium qui a affaibli la fonction distributive de l’État. Son expansion a stagné, puis reculé. Les charges récurrentes générées par les investissements réalisés du temps des « vaches grasses » ont grevé les possibilités d’intervention de l’État conduisant aux premières mesures d’autoajustement.

  • 16 F. Godin, 1986, p. 62.
  • 17 R. Dagba, L. Soumanou et O. Wolou, « Cohérence entre le PAS, le programme du gouvernement et les ob (...)

15Au Bénin, en 1989, les mécanismes de régulation du régime Kérékou, qui reposait essentiellement sur la cooptation et la circulation des élites mêlées à une dose de répression, avaient rencontré leurs limites. C’est que, dès 1982, la tendance alarmante d’une économie endettée (78,9 millions de dollars en 1981) avait amené le président Kérékou à envisager le recours au fmi16. En finissant par signer un accord cadre avec le fmi et la Banque mondiale le 16 juin 1989, le gouvernement signait par la même occasion un terrible aveu d’échec du modèle d’économie dirigée en place depuis 1974. À cette date, tous les indicateurs économiques étaient au rouge : taux de croissance de - 2,7 %, déficit du solde primaire de près de 10 milliards de francs cfa, solde débiteur du système bancaire à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (bceao) de 58,8 milliards de francs cfa, ardoise de 63 milliards de francs cfa laissée par la mauvaise gestion des entreprises publiques, etc.17 Bref, l’État était réellement en cessation de paiement.

  • 18 Gérard Conac, « Les processus démocratiques en Afrique », dans Gérard Conac (dir.), L’Afrique en tr (...)
  • 19 S’il est d’accord avec C. Maurras pour dire qu’un pouvoir qui assure la défense de la société et de (...)
  • 20 Ibid., p. 24.

16Dans ces régimes souffrant d’une « déficience de légitimité institutionnelle18 », le caractère palliatif des performances économiques est évident. Mais puisque, comme le distingue G. Ferrero, l’efficacité est une variable contrairement au droit de commander qui est une constante19, une défaillance dans l’efficacité remet aisément en cause un commandement dont la légitimité n’est conférée que par les performances. La question classique du droit de commander se pose de nouveau20.

Des contestations sociales à la montée de la revendication démocratique

  • 21 S. Mappa constate ainsi qu’en « réalité, les actions “en faveur de la démocratisation” dégagent la (...)

17Avec un bilan aussi catastrophique, il n’est pas étonnant de voir monter une contestation du régime à laquelle ont été parties prenantes aussi bien les élites frustrées à l’intérieur du système que celles en dehors du système. Certes, l’impact de l’environnement international peut être valablement invoqué21. Mais la dynamique politique dans les deux pays a avant tout été interne. Les revendications, d’abord matérielles avant d’être politisées, sanctionnaient l’échec des régimes autoritaires.

La montée de la contestation

  • 22 R. Banégas, 2003, chapitre 3.
  • 23 Dans les deux pays, les étudiants ont toujours été les plus contestataires des forces sociales. Au (...)
  • 24 Certains politistes récusent la pertinence de ce concept pour rendre compte des situations africain (...)

18Dans le cas du Bénin, R. Banégas a longuement discuté du rôle du Parti communiste béninois, des scolaires, des travailleurs, des religieux et des intellectuels dans les mobilisations contre l’autoritarisme22. Comme toujours, tout s’envenime par les étudiants23. Le 22 janvier 1989, ils ont déclenché une grève qui s’est transformée en émeute à Porto-Novo, la capitale politique, pour réclamer le paiement de leurs bourses qu’ils n’avaient pas perçues depuis plusieurs mois. Ces revendications ont rencontré un écho favorable dans d’autres branches d’activité, chez les enseignants et les travailleurs, enclenchant ce que M. Dobry appelle un processus de désectorisation24. Les 47 000 fonctionnaires de l’État, qui n’avaient reçu aucun salaire depuis trois mois, ont progressivement commencé à emprunter le chemin tracé par les étudiants. Les mois de juillet et août 1989 ont ainsi vu la paralysie de l’administration en raison de l’extension de la grève. Jusque-là bien embrigadées dans le système monolithique, plusieurs organisations, qu’elles soient politiques, syndicales ou associatives, se sont à la fois démarquées du pouvoir et recomposées.

  • 25 Le secrétaire général de l’Union, Morou Hamadou, a dit lors d’un entretien réalisé le 2 septembre 1 (...)
  • 26 Kiari Liman Tinguiri, « Crise économique et ajustement structurel (1982-(1982-1988) », Politique af (...)
  • 27 Ibid., p. 77.

19À une année d’intervalle, un processus similaire s’est mis en route au Niger avec, là également, les scolaires en ligne de front. Ainsi, dès le mois de décembre 1989, l’Union des scolaires nigériens élaborait une plate-forme revendicative et exigeait du gouvernement la satisfaction des points qu’elle contenait25. Pour comprendre cette démarche, il faut revenir à la conjoncture économique critique de l’époque. Entre 1976 et 1980, les dépenses publiques du Niger ont connu une forte augmentation de 185 %, en raison de la manne uranifère qui donnait au pays une grande capacité d’endettement et d’investissement. Dès 1980, cependant, à cause de la récession mondiale, le déficit des finances publiques est devenu franchement insupportable. Il a atteint 25,2 milliards de francs cfa et le déficit de la balance des paiements a atteint 12 % du PIB en 1982, en raison de la détérioration des termes de l’échange et du remboursement de la dette26. Comme le relève un économiste nigérien, « cette année-là, le Niger s’est pratiquement endetté pour payer sa dette27 ».

  • 28 Le premier accord de confirmation, qui marque aussi le point de départ de la politique d’ajustement (...)
  • 29 Jean-François Médard, « Crise africaine et démocratisation. Les perspectives difficiles de la trans (...)
  • 30 A. Niandou-souley, 1991.

20Face à cette situation, le Niger a adopté, dès 1982, une politique d’autoajustement, dite Plan de stabilisation, destinée à réduire les déficits budgétaires et ceux de la balance des paiements. Cette initiative a été accompagnée à partir de 1983 par le FMI28. Bien plus qu’une prolongation de la désétatisation par le bas29, l’ajustement structurel a été au Niger un important catalyseur sinon le véritable point de départ de ce phénomène entre 1980 et 1990. L’État-providence ou « l’État parent du pauvre30 » a considérablement reculé et même la Banque mondiale constate que :

  • 31 Banque mondiale, Niger, évaluation de la pauvreté. Un peuple résistant dans un environnement hostil (...)

La réduction des dépenses publiques a beaucoup nui à la prestation des services sociaux, surtout en milieu rural, et il est probable que la détérioration des services qui s’en est suivie dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de l’infrastructure et de l’agriculture a fait baisser les niveaux de vie, sapé la productivité et compromis le développement à long terme31.

21En effet, les mesures contenues dans les accords de confirmation puis dans le programme d’ajustement conclu en 1985 ont conduit, comme ce sera le cas ultérieurement au Bénin, à un désengagement progressif de l’État. Le chômage, la libéralisation des prix et la suppression de certaines subventions dans le secteur agricole, les mesures de recouvrement des coûts dans le domaine sanitaire et la prise en charge des frais de scolarité par les familles ont accentué la précarité de l’ensemble des composantes de la population.

  • 32 En effet, « l’analyse des échanges politiques peut permettre d’éclairer non seulement la constituti (...)
  • 33 Ce qui va dans le sens de la thèse de la fracture entre élites défendue par les pionniers de la tra (...)

22Ce détour permet de comprendre pourquoi, en 1988 et en 1989, lorsque le gouvernement a pris d’autorité des mesures dites d’économie budgétaire, à savoir essentiellement la réduction des bourses et des indemnités, la neutralisation des incidences financières des avancements des fonctionnaires ainsi que la restructuration des entreprises publiques, ils ouvrait de fait les hostilités sur le front syndical en changeant unilatéralement les termes de l’échange politique32. Mais les contestations ont été en outre facilitées par le processus de délitement progressif de la cohésion des élites dirigeantes au Bénin comme au Niger, comme cela arrive souvent en prélude à un changement de régime33.

La crise de régime

  • 34 R. Charlick soutient cependant que, deux ans après son accession au pouvoir, il avait consolidé son (...)
  • 35 Entretien réalisé le 14 août 1997 à Niamey avec M. Hama Amadou, premier ministre de la période de c (...)

23Au Niger, depuis la mort du président Kountché en 1987, la crise d’autorité au sein des instances dirigeantes était nettement perceptible. La confirmation du colonel Ali Saïbou à la tête du Conseil militaire suprême et de l’État n’allait pas de soi. Il était certes le chef d’état-major des forces armées, mais seulement un primus inter pares à côté des colonels Adamou Moumouni Djermakoye et Mamadou Tanja, qui aspiraient également à accéder à la magistrature suprême. C’était en réalité pour conjurer les risques d’oppositions fratricides au sein de l’armée que les militaires avaient finalement confié le pouvoir à Ali Saïbou, « l’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé ». Ce dernier ne s’est pas imposé de façon incontestable, même s’il jouissait d’une popularité certaine au sein de l’armée. Il apparaissait aux officiers comme celui qui pouvait faire le consensus et qui, par sa bonhomie, risquait le moins de personnaliser le pouvoir comme son prédécesseur34. La politique de décrispation qu’il avait instaurée était si effective que les opinions jusque-là empêchées ont été débridées. Des divergences sont apparues au sein du régime entre les soft liners, qui voulaient aller vers plus d’ouverture encore, et les hard liners, qui trouvaient le pouvoir menacé pour être allé déjà trop loin sur le plan des libertés35.

24La crise de régime est apparue au grand jour avec l’extension de la contestation. Les événements du 9 février 1990, au cours desquels trois étudiants ont été tués par la police, ont sonné le glas de la cohésion au sein du régime autour de la question de la responsabilité. La crise a abouti à l’éviction du secrétaire politique du parti unique et numéro deux du régime, le colonel Amadou Seyni. La réalité de la crise de régime a été démontrée aussi à la conférence nationale, lorsque les chefs militaires, y compris le chef de l’État, se sont rejetés la responsabilité de la centaine de morts causées par les représailles qui avaient suivi une attaque de rebelles touaregs à Tchintabaraden.

  • 36 Chris Allen, « Goodbye to All That : The Short and Sad Story of Socialism in Benin », dans “Democra (...)

25Au Bénin, la crise de régime a commencé à se percevoir avec la tentative de coup d’État de mars 1988. Cet événement n’aurait rien eu d’exceptionnel si n’y avaient pas été impliqués, ou au moins accusés de l’être, des proches de Kérékou comme le capitaine de la garde présidentielle Pascal Houndtoundji ou des anciens compagnons comme les colonels François Kouyami et Hilaire Badjagoumé36. En 1989, le régime a déjoué deux autres tentatives de renversement. Si l’une menée par le colonel Benoît Sinzoungan n’était pas alarmante, l’autre l’était assurément, puisque y étaient impliqués des officiers de confiance comme les capitaines Abderamane Amadou, aide de camp de Kérékou, et Gomina Fousseini, chef du service des renseignements et de la documentation.

  • 37 Entretien anonyme et informel mené à Cotonou le 15 juillet 1997.
  • 38 C. Allen, 1992b, p. 36.

26La dynamique du pouvoir a bien essayé de masquer cette crise. Entre contestations civiles et indisciplines militaires, comme si de rien n’était, le pouvoir a organisé des élections législatives et présidentielles. Le 18 juin 1989, les 206 candidats de la liste unique du prpb ont été élus à l’Assemblée nationale révolutionnaire (anr) avec officiellement 89,6 % de votes favorables et une participation de 86 %. À son tour, l’anr a réélu Kérékou le 2 août pour un nouveau mandat de cinq ans à la tête du pays. Cependant, à cette occasion, deux votes négatifs et six abstentions ont été enregistrés. Mieux, pour protester contre le caractère monolithique du régime et dénoncer le scrutin, des bulletins favorables au prpb ont été collectés et déversés sur l’avenue Sékou Touré à Cotonou37. C. Allen montre pour sa part la crise de régime à travers les dissensions au sein du gouvernement et du parti. Au gouvernement, des voix comme celle de Robert Dossou commençaient à réclamer le multipartisme et la libération des prisonniers politiques alors qu’au parti, les délégués militaires dénonçaient le clientélisme38.

Les premières mesures de libéralisation

  • 39 J. Colomer a ainsi proposé, dans une perspective très volontariste, une typologie des arrangements (...)

27La combinaison crise économique, environnement international et crise de régime a mené aux conférences nationales dont il est question ultérieurement dans ce chapitre. Le système qui en est issu doit ainsi être regardé comme le fruit d’un rapport de forces39. Celles en faveur desquelles les rapports de force penchaient dans ces moments de fluidité et de recomposition politiques n’étaient autres que les couches urbaines de travailleurs, de scolaires et d’intellectuels.

  • 40 Entretien réalisé le 13 août 1997 avec M. Ibrahim Mayaki, sécrétaire général de l’ustn et sécrétair (...)

28À partir de 1990, le combat pour le multipartisme et la tenue d’une conférence nationale souveraine a été essentiellement mené par les syndicats, notamment l’Union des scolaires nigériens (usn) et l’Union des syndicats des travailleurs du Niger (ustn). Cette dernière, qui était la centrale syndicale unique des travailleurs, regroupait la quasi-totalité des syndicats sectoriels, aussi bien du public que du privé, tel le puissant Syndicat national des enseignants du Niger (snen). C’est essentiellement sous l’impulsion de l’usn et du snen, auxquels s’est joint le Syndicat national des enseignants et chercheurs du supérieur (snecs), que les mobilisations subversives ont été lancées, la centrale syndicale ne prenant en réalité le train qu’en marche40. La contestation commencée en fin 1989 a culminé avec la grève générale de cinq jours qui a paralysé le pays à partir du 5 novembre 1990, ainsi qu’avec la menace d’une grève illimitée. C’est donc sous la pression de la rue que le président Ali Saïbou a accepté, le 15 novembre 1990, l’instauration du multipartisme et la tenue d’une conférence nationale. Le pouvoir a ainsi perdu l’initiative et, dès lors, ce sont les syndicats qui ont fait office de parrains et d’organisateurs de la conférence. Par ailleurs, la faible envergure des partis politiques qui venaient de se créer les a amenés à se mettre sous l’aile des syndicats. Ces derniers ont mené le mouvement, initiant ainsi la création d’un Comité de coordination des luttes démocratiques (ccld) qui regroupait les « forces démocratiques » afin d’empêcher tout retour en arrière à l’initiative du pouvoir. Le ccld a joué un rôle important dans la Commission préparatoire de la conférence nationale (cnpcn).

  • 41 R. Banégas a restitué ces pressions dans une approche génétique. Voir Richard Banégas, « Mobilisati (...)

29Au Bénin, l’état des rapports de forces et surtout le degré d’incertitude quant à la maîtrise du sens de la mutation par les pro-démocrates ont créé un biais moins profond qu’au Niger. Mathieu Kérékou n’est certes pas allé à la conférence hors de toute pression41, mais la nature des acteurs des mobilisations sociales et les modalités de la conférence ont atténué le biais sans le supprimer.

30Du point de vue des mobilisations sociales, si dans le cas du Niger elles ont été essentiellement syndicales avec des motivations d’abord matérielles, au Bénin, elles ont été plus éclectiques. La présence parmi les acteurs du Parti communiste béninois (pcb), de l’Église catholique, des intellectuels catholiques et de la diaspora a infléchi la conférence du Bénin vers une orientation plus morale et philosophique qu’au Niger, même si les sources et les finalités matérielles ont gardé tout leur intérêt. R. Banégas avance ainsi l’idée que :

  • 42 R. Banégas, 2003, p. m.

Dans le feu de l’action et l’opacité des tractations, il semblerait alors que se soient imposées des « solutions » prédéfinies à l’extérieur, fournies « clef en main » par les exilés qui en profitèrent pour reprendre l’initiative et revenir sur le devant de la scène. D’où les frustrations, des délégués syndicaux notamment, tenus à l’écart de ces négociations de coulisse42.

  • 43 Ainsi, le Comité national préparatoire de la conférence nationale, créé par un décret du 18 décembr (...)

31Cette différence dans le poids que les syndicats ont eu est importante, car elle influera plus tard sur le bilan des stratégies de consolidation de l’expérience pluraliste. Au Bénin, les syndicats ont eu une moindre possibilité de faire triompher leurs revendications et n’ont pas eu un rôle de parrain. Par ailleurs, le degré d’incertitude quant à la capacité des prodémocrates à imposer les résolutions de la conférence au pouvoir était nettement plus élevé qu’au Niger où le pouvoir était allé à la conférence en sachant que celle-ci déclarerait sa souveraineté. Cela tient non seulement au caractère novateur de l’expérience du Bénin, mais aussi au fait que, concrètement, le pouvoir a été l’organisateur de la conférence43. Cela n’a pas empêché les conférenciers de proclamer la souveraineté de leur forum, alors que le président Kérékou l’avait circonscrit dans son discours d’ouverture aux questions économiques et à un statut consultatif.

  • 44 L’ancien président Ahomadégbé a dit : « Kouandété est un spécialiste des coups d’État. Quand il dit (...)
  • 45 Ibid.

32Quant à l’incertitude qui a caractérisé l’issue de la conférence, il suffit de se rappeler la promesse de coup d’État à l’intérieur d’une semaine proférée par le colonel Maurice Kouandété le 24 février 1990 et prise au sérieux par des participants qui n’ignoraient pas qu’il avait déjà réussi deux coups d’État par le passé, le 17 décembre 1967 et le 10 décembre 196944. Pour ajouter à l’incertitude, le colonel Vincent Gézodjè a dit à la suite de la proclamation de la souveraineté de la conférence que « au nom des FAP (forces armées populaires), cette déclaration est un coup d’État et il ne peut en être ainsi45 ».

33Cette plus forte incertitude a contraint l’ensemble des parties au Bénin à plus de retenue, ce qui a permis une transition plus consensuelle. Ni les syndicats, ni les opposants, ni le pouvoir n’ont pris le contrôle total du processus. Au Niger, au contraire, il y a eu peu de retenue. Les principales revendications du mouvement syndical étaient plébiscitées : sur le plan socio-économique, le rejet du programme d’ajustement structurel (« Le PAS ne passera pas ! » était le slogan des étudiants), la suppression du concours d’entrée à la fonction publique, la prise en charge de l’éducation par l’État, etc. ; sur le plan politique, le multipartisme intégral et une transition conduite exclusivement par ses alliés objectifs baptisés « forces démocratiques », comme nous le verrons plus en détail au chapitre 4. Les risques pour la suite du processus étaient donc plus élevés au Niger, cas dans lequel le premier ministre Hama Amadou, participant à la conférence dans la délégation de l’ancien parti unique, regrettait que :

  • 46 Entretien réalisé le 14 août 1997 à Niamey avec M. Hama Amadou, ancien premier ministre, secrétaire (...)

Dirigée par des gens sans expérience des réalités économiques et du pouvoir, la conférence n’a[it] pas porté son attention sur la crise économique, l’ajustement structurel et un consensus national permettant à la transition de poser les bases de résolution de cette crise. Elle a poussé dans le sens de la démagogie et contribué à renforcer les problèmes économiques. Elle a ainsi posé les germes de l’instabilité politique ultérieure46.

34Compte tenu du contexte économique de la démocratisation, on pouvait s’attendre à ce que les nouveaux régimes se retrouvent face au défi de conserver l’adhésion des secteurs sociaux au nouvel ordre politique sans apporter des réponses immédiates et satisfaisantes à leurs préoccupations matérielles. La nature plus excessive et plus « syndicale » du mouvement démocratique au Niger laissait présager des risques de désenchantement plus grands, le passage à la démocratie ne résolvant évidemment pas immédiatement les problèmes économiques.

Les conférences nationales et la redéfinition du cadre institutionnel de jeu

  • 47 La libéralisation politique est vue par M. Bratton et N. van de Walle comme le phénomène entraînant (...)

35Les conférences nationales sont des séquences de la libéralisation47. Celle-ci peut être initiée par un coup d’État militaire qui déclenche une ouverture politique. C’est ce cas de figure qui s’est présenté au Mali lorsque le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré a renversé le général Moussa Traoré et a relâché le contrôle du pouvoir sur les activités politiques. La libéralisation peut aussi être initiée par le pouvoir en place qui prend de vitesse ses opposants avant que ceux-ci n’aient le temps de s’organiser, comme cela a été le cas en Côte-d’Ivoire. Elle peut également être précédée de vastes « mobilisations multisectorielles » qui obligent le pouvoir à ouvrir davantage le système en faisant des concessions sur le plan des libertés. Dans ce cas, les bouleversements institutionnels deviennent tributaires des rapports de forces. La maîtrise que les prodémocrates peuvent avoir sur les modalités de la mutation politique, en d’autres termes, sur la phase « extériorisation » de l’institutionnalisation, est accrue sans être totale. Ce troisième cas de figure est celui qui s’est présenté au Bénin comme au Niger, bien que le Bénin constitue le modèle et le Niger une variante du modèle.

Le modèle sui generis et la variante de la Conférence nationale

  • 48 M. Dobry invite à s’appesantir sur « les mobilisations auxquelles les protagonistes procèdent au co (...)

36Les conférences nationales sont typiques de ces luttes pour une définition alternative de la réalité politique qui impliquent des mobilisations multisectorielles et des transactions collusives48.

  • 49 P. Robinson a avancé l’idée selon laquelle la conférence nationale a été un phénomène propre aux pa (...)
  • 50 Voir Le renouveau démocratique au Bénin. La conférence nationale des forces vives et la période de (...)
  • 51 Ibid., p. 61.
  • 52 Comme le note A. Adamon : « C’est le modèle béninois que l’on a tenté de reproduire au Congo, au To (...)

37Le Bénin a eu le mérite d’initier le concept de la conférence nationale qui a fini par devenir une mode dans nombre de pays africains francophones49. Plusieurs auteurs ont analysé le phénomène sous l’angle de l’importation des modèles en faisant le parallèle entre la conférence nationale et les États généraux de 1789 en France ou en y voyant la mainmise de la France50. Cependant, le Bénin n’en était pas à sa première expérience. Mathieu Kérékou avait déjà organisé, en 1979, une conférence nationale des cadres dont les conclusions, consultatives, n’ont toutefois jamais eu un caractère exécutoire51. En outre, le parallèle avec les États généraux de 1789 n’enlève rien au fait que la Conférence nationale du Bénin était un phénomène sui generis conservant une grande part d’originalité et non simplement copiée sur un modèle préexistant. En cela déjà, elle se distingue des expériences qui ont suivi au Congo, au Gabon, au Togo ou au Niger. Dans ces pays, la Conférence nationale a été une imitation du modèle béninois52 avec, bien entendu, des ajustements tenant compte des enseignements tirés du fonctionnement du modèle ou des configurations locales spécifiques.

  • 53 En dépit des suggestions françaises évoquées plus haut.
  • 54 M. Bratton et N. van De Walle, 1997, p. 2.
  • 55 M. Bratton et N. van De Walle ont relevé plusieurs facteurs de contagion. Il y a tout d’abord les g (...)

38Dans un premier temps, une comparaison entre le modèle béninois et la variante nigérienne laisse entrevoir d’importantes différences, notamment du point de vue de l’organisation, qui est importante pour la trajectoire de la démocratisation. La Conférence nationale béninoise a été convoquée à l’initiative du gouvernement53, notamment de Mathieu Kérékou qui voyait là un moyen de rester au pouvoir en procédant à de simples réformes. La tournure prise par la Conférence est, dans ce sens, un « effet pervers » puisque Kérékou a perdu le contrôle d’un forum qu’il a initié et qui n’était pas appelé à remettre en cause son pouvoir54. Au Niger, au contraire, l’expérience béninoise a servi de point de repère aux revendications des prodémocrates qui en ont fait le point focal de leur mobilisation. Le gouvernement est donc allé à la Conférence sous la pression de la rue, et il n’y avait aucune incertitude quant au sens dans lequel elle orienterait l’organisation politique du pays. Toutes les parties avaient conscience que la contagion ne s’arrêterait pas qu’à la forme du forum55.

  • 56 G. O’Donnell et P. Schimtter, 1986, p. 9 et 11.

39Cette différence dans l’initiation de la Conférence n’est pas sans conséquences, puisqu’elle est déterminante des rapports de forces et du type de transition qui en résulte. G. O’Donnell et P. Schmitter ont ainsi montré que certains régimes autoritaires initient un mouvement de libéralisation dans l’espoir que cette ouverture mette fin aux pressions en satisfaisant les contestataires sans remettre en cause le système. Si cette stratégie réformiste aboutit, le régime autoritaire se transforme en un système qu’on a appelé « démocratie tutélaire » et que les auteurs qualifient d’« autoritarisme libéralisé » ou de dictablanda56. C’est un tel cas de figure qui aurait prévalu au Bénin si la stratégie réformiste de Kérékou avait fonctionné. En convoquant la Conférence nationale, Kérékou n’envisageait pas qu’elle devienne l’espace d’un quelconque bouleversement et son discours marquant l’ouverture de la conférence le montre bien lorsqu’il dit que :

  • 57 Fondation Friedrich Naumann, 1994, p. 19-20.

La Conférence nationale doit déboucher sur des résultats concrets, réalistes et constructifs, à la mesure des légitimes attentes de notre peuple. Il n’est donc pas souhaitable, pour les participants à cette conférence, de dresser une liste exhaustive des problèmes que vit notre peuple, de disserter indéfiniment sur des notions de science politique ou d’élaborer un répertoire de bonnes intentions dont la mise en œuvre se révélerait utopique sur le terrain [...] en un mot, il s’agira d’élaborer une charte d’union nationale pour le renouveau et le développement économique, social et culturel de notre pays57.

40Au Niger, au contraire, le régime du général Ali Saïbou était conscient du fait qu’aller à la Conférence nationale signifiait qu’aucune stratégie réformiste ne pouvait avoir d’effet. D’ailleurs, c’est une telle expérience de réforme qui avait abouti à la naissance du régime de parti unique constitutionnel de la deuxième République.

  • 58 Créé par décret no 89-434 du 18 décembre 1989.

41Les différences entre les deux conférences nationales tiennent aussi à leur préparation qui a été influencée par la provenance de l’initiative du forum. Au Bénin, une fois que le gouvernement a décidé de la tenue d’une Conférence nationale des forces vives de la nation, la préparation a été confiée à une structure émanant du gouvernement et placée sous la présidence de Me Robert Dossou, professeur d’université et opposant, avant sa cooptation dans le gouvernement au moment des mouvements de revendication démocratique. Le Comité national préparatoire de la conférence nationale (cnpcn)58 était composé de huit personnalités, toutes membres du gouvernement. C’est ce comité qui a reçu les contributions des groupes ou des personnalités, qui a préparé les documents introductifs et qui a fixé le format de la conférence.

  • 59 G. O’Donnell et P. Schmitter, 1986, p. 7 et 9.

42Au Niger, par contre, tel qu’il est mentionné plus haut, la préparation de la conférence a totalement échappé au pouvoir. Les syndicats et autres associations qui ont arraché le principe de la conférence nationale ont aussi pris le contrôle de sa préparation. Le président de la Commission nationale préparatoire de la conférence nationale (l’imitation est jusque dans l’appellation), Rabiou Daouda, était le numéro deux de la centrale syndicale des travailleurs et, contrairement au Bénin, la commission était dominée par les opposants au pouvoir qui, de ce fait, y ont imposé leurs thèmes. Parallèlement à la préparation de la conférence, les « forces démocratiques », c’est-à-dire les scolaires, les travailleurs, les partis nouvellement créés et les associations, se sont réunies au sein d’un Comité de coordination des luttes démocratiques (ccld) dont l’objectif était d’empêcher que le processus engagé avec la libéralisation ne soit remis en cause par un sursaut de hard liners du pouvoir. En effet, comme l’ont montré encore G. O’Donnell et P. Schmitter, les acquis de la libéralisation ne sont pas irréversibles et restent, au contraire, sous la menace du pouvoir gouvernemental qui demeure arbitraire et capricieux. Ce n’est que lorsque les prodémocrates arrivent à les protéger que ces acquis tendent à s’accumuler et à s’institutionnaliser de sorte que le coût d’une action tendant à les remettre en cause devient évident et le passage à la démocratie plus probable59.

  • 60 Voir Richard Banégas, « Retour sur une transition modèle. Les dynamiques du dedans et du dehors de (...)

43Malgré cette omnipotence des prodémocrates et les enseignements fournis par l’expérience béninoise, la conférence nationale du Niger a été moins bien préparée. Alors qu’au Bénin la commission préparatoire a recueilli des contributions, fait des synthèses et ficelé certains textes comme le règlement intérieur, facilitant et raccourcissant ainsi les débats, celle du Niger a été plutôt l’occasion d’une recension de thèmes et de griefs. Cette impréparation n’est pas étrangère à la durée exagérée de la conférence nigérienne : 98 jours de procès contre le pouvoir comparativement à 10 jours de débats plus sereins au Bénin. R. Banégas note dans le cas de ce pays que « à la différence des violents débats qui ont marqué la conférence nationale du Togo voisin, il n’y eut pas véritablement de défoulement lors des assises de février 1990 à Cotonou60 ». Au contraire, S. Abdourahmane estime que :

  • 61 S. Abdourahmane, 1992, p. 77. Pour les mises en résidence surveillée et les actes de nomination, vo (...)

La Conférence nationale nigérienne a voulu jouer tous les rôles, y compris celui de démolir toutes les institutions du pays et les valeurs jusque-là reconnues. Sa logique est simple : il faut à tout prix, partout et tout de suite, faire du neuf. Le présidium a procédé comme un véritable touche-à-tout. Son président a mis la main à un ensemble de textes de tous niveaux et couvrant pratiquement toute la gamme des actes administratifs, de la simple décision à l’acte constitutionnel [...] même les actes juridictionnels y sont inclus [comme] les actes portant mise en accusation et mise en liberté provisoire61.

  • 62 Même si, au Niger, certains délégués étaient soupçonnés d’être issus de structures satellites du po (...)

44Dans un deuxième temps, la comparaison montre que, malgré tout, le modèle béninois a façonné la conférence nationale du Niger jusque dans les stratégies des parties prenantes, comme par exemple sur la question de la répartition des participations que l’on a appelée la guerre des quotas. Dans les deux cas, conscients que le camp qui disposerait du plus grand nombre de partisans au forum serait aussi celui qui pourrait décider des termes de la nouvelle réalité, les acteurs progouvernementaux et prodémocrates se sont livré une bataille en vue d’y avoir une bonne représentation. Au Bénin, où l’organisation de la conférence était confiée au gouvernement, l’opposition a été moins bien représentée qu’au Niger62.

  • 63 Fondation Friedrich Naumann, 1994, p. 9.

45De même, dans les deux cas, il y a eu une résistance certaine, quoique variable, du pouvoir. Au Bénin, Kérékou avait vainement tenté de contenir les conférenciers dans un rôle consultatif déclarant que « si c’est un coup d’État, les décisions ne nous engagent pas. Nous ne pouvons pas démissionner63. » Au Niger, le pouvoir a résisté en quittant un moment la salle des débats, mais sans grande conviction même si une frange de militaires a sérieusement envisagé de mettre fin au processus en cherchant sans l’obtenir l’aval du chef de l’État.

46Mais le point sur lequel les trajectoires des deux pays ont été véritablement semblables, malgré les différences de préparation et de qualité qui sont cependant déterminantes pour la suite du processus, c’est l’heureuse issue à laquelle les conférences nationales sont parvenues du point de vue de l’objectif initial consistant à mettre en place un cadre propice à la démocratisation.

Vers un nouvel ordre institutionnel

47La lutte pour la redéfinition du système politique s’est concrétisée par l’obtention du principe, puis de la tenue d’une conférence nationale. Si l’initiative de la conférence est venue du pouvoir au Bénin et de la rue au Niger, les deux forums ont néanmoins introduit de grands bouleversements politiques allant dans le sens de la construction d’une nouvelle architecture institutionnelle. Tous les deux ont conquis leur souveraineté et ont réussi à démanteler l’ordre institutionnel existant.

Un temps fort : la conquête de la souveraineté de la Conférence nationale

48Le premier grand bouleversement introduit par la conférence nationale est venu incontestablement de la proclamation par les délégués de la souveraineté de leur forum. Dans les deux cas, notamment dans celui du Bénin, dans lequel l’incertitude était plus grande, la conquête de la souveraineté a été le véritable moment de rupture dans le processus de démocratisation. En effet, au Niger comme au Bénin, les conférences « ordinaires » n’étaient pas inconnues. En 1979, à la conférence des cadres au Bénin,

  • 64 R. Banégas, 1997, p. 82. Voir, pour un détail de cette conférence de 1979, Robert Dossou, « Le Béni (...)

pendant plusieurs jours, s’expriment les critiques et s’établit un bilan du régime. Ce que l’on a appelé « la fête des langues » aboutit à un constat sévère et préconise un train de réformes qui ne seront jamais appliquées. Noyauté par les ligueurs, le comité de suivi chargé de mettre en œuvre les résolutions de la conférence fera échouer l’initiative64.

49Au Niger, le général Kountché avait pris l’habitude de convoquer chaque année, dans un des chefs-lieux de département, une « conférence nationale des cadres » chargée de faire un bilan de la situation du pays et des propositions dans chaque secteur. Cependant, ces conférences ne peuvent être considérées ni au Bénin ni au Niger comme des précédents par rapport à ce qui s’est passé en 1990, dans le premier cas, et en 1991, dans le deuxième.

  • 65 Même si R. Dossou, président du Comité préparatoire de la conférence nationale, affirme avoir discu (...)
  • 66 R. Banégas, 2003, p. 148.
  • 67 A. Niandou-Souley, 1991, p. 267-368.

50La différence essentielle, et elle n’est pas des moindres, tient à ce que jusque-là, les conférences regroupaient essentiellement des cadres de l’administration et n’avaient qu’un caractère consultatif. En convoquant lui-même la conférence nationale, Kérékou avait naturellement à l’esprit ce genre de forums, et les missions assignées aux participants telles qu’elles ressortent du décret de convocation le démontrent bien65. Mais, contrairement aux attentes du pouvoir et instruits par l’expérience antérieure, certains conférenciers ont évoqué, dès les premiers jours, la nécessité de proclamer la souveraineté de la conférence, car ainsi seulement ses décisions auraient un caractère exécutoire. R. Banégas a largement insisté sur la forte incertitude, sur les interactions et les coups qui ont structuré la conjoncture fluide qu’était le moment où « les compétitions pour l’imposition du sens, pour la définition légitime de la réalité sont directement des luttes pour le pouvoir66 ». C’est dans ce sens que A. Niandou Souley a pu écrire que « l’autoproclamation de la souveraineté [et l’acceptation de cette proclamation par le pouvoir] n’était rien d’autre que l’expression du rapport des forces entre élites au pouvoir et forces démocratiques67 ».

51Les acteurs qui bénéficiaient du rapport des forces, en l’occurrence ceux qui luttaient pour le changement, ont pu ainsi obtenir que la conférence aille au-delà des missions initiales qui lui étaient confiées. F. Laloupo note que :

  • 68 Proclamation no 6 du 25 février 1990 sur le processus de conquête de la souveraineté. Voir A. Adamo (...)
  • 69 Francis Laloupo, « La conférence nationale du Bénin. Un concept nouveau de changement de régime pol (...)

Son étape cruciale intervient à une semaine du début. Considérant à la lumière des débats que la nature du régime est rédhibitoire au regard d’un projet de libéralisation du système politique et toutes les (possibilités) de compromis ayant été épuisées, la conférence va franchir le rubicond. Après un vote sur le principe de la majorité — les membres du gouvernement votent contre —, la conférence proclame sa souveraineté68. Par conséquent, dès cet instant, les décisions qui en sont issues sont déclarées applicables sans délai69.

  • 70 Ibid.

52De ce fait, « les délégués à la conférence viennent de franchir le pas vers un renversement total de régime (tous les paramètres d’un coup d’Etat civil sont ici réunis) vers une démocratie totale, le multipartisme intégral, un nouveau cadre constitutionnel et la création d’un État nouveau70 ».

  • 71 Les formules politiques issues de conjonctures fluides sont toujours le résultat d’interactions, do (...)

53Cette conclusion est justifiée, même s’il faut se garder de surestimer la portée de la rupture qui est moins tranchée qu’on a tendance à la croire dans n’importe quel changement de régime, et a fortiori dans le cas du Bénin. Sous l’arbitrage astucieux de Mgr De Souza, président de la conférence, l’acceptation de la souveraineté a donc été un compromis résultant d’interactions stratégiques qui ont donné une configuration particulière71. Les conditions de l’instauration d’un nouvel ordre politique étaient ainsi créées après 17 années de régime autoritaire.

  • 72 La proclamation de la souveraineté a été l’objet de l’acte fondamental no 1 du 30 juillet 1991 port (...)
  • 73 Notamment pour ce qui est de l’incertitude, présentée par M. Dobry, comme une des propriétés des co (...)

54Dix-sept mois après l’expérience sui generis du Bénin, le Niger s’engageait dans la même voie en adoptant et en essayant d’adapter le modèle. La conquête de la souveraineté a été moins difficile au regard à la fois des conditions de convocation de la conférence, du précédent béninois, de la préméditation de la souveraineté par les prodémocrates et du fait que les rapports des forces penchaient clairement en faveur de ces derniers. Les tergiversations sur la proclamation de la souveraineté ont été inexistantes et celle-ci est intervenue rapidement dès l’adoption du règlement intérieur et la mise en place du présidium, car tout le monde s’y attendait, même du côté du pouvoir72. De ce point de vue, l’incertitude et les coups, dont R. Banégas a relevé le caractère dramatique dans le cas du Bénin, ont été plus tempérés dans le cas du Niger et, à titre comparatif, ce moment déterminant pour la mise en place d’un régime démocratique s’est apparenté à une conjoncture routinière au Niger par rapport à la conjoncture fluide du Bénin73.

  • 74 Les changements de régime ne sont jamais l’occasion d’une rupture radicale au cours de laquelle un (...)

55Alors qu’au Bénin rien n’était gagné d’avance et que la question de savoir si la souveraineté devait être proclamée a rencontré des réticences même dans le camp des opposants au pouvoir, il n’en a pas été de même au Niger où la souveraineté a été proclamée dès le deuxième jour des assises. Dans les deux cas, la proclamation de la souveraineté était un véritable moment symbolique, celui où, officiellement et formellement, l’univers symbolique construit par l’élite au pouvoir cessait d’être légitime et où les prodémocrates ont entrepris de lui substituer un nouvel univers symbolique74.

Le démantèlement de l’ordre autoritaire

  • 75 Pour D. Bourmaud et P. Quantin, « par son mode de recrutement, la légitimité de la conférence natio (...)
  • 76 La conférence ayant été l’initiative du pouvoir au Bénin, c’est le décret de convocation no 90-40 d (...)

56En proclamant la souveraineté de leurs assises, les acteurs engagés dans la lutte pour le passage à la démocratie effectuaient par la même occasion un transfert de légitimité et de légalité75. En retirant toute prétention à la représentation populaire à ceux qui occupaient jusque-là les positions dominantes, les conférenciers provoquaient un transfert de légitimité. En se déclarant souveraine, la conférence opérait un transfert de légalité dans la mesure où le pouvoir législatif et réglementaire passait de ce fait dans le champ de compétence des conférenciers qui s’imposait comme la source de l’autorité et du pouvoir76.

  • 77 Il s’agit de l’ordonnance no 90-001 du 1er mars 1990 portant abrogation de l’ordonnance no 77-32 du (...)

57Il est instructif de montrer à ce niveau que le démantèlement ne s’est pas opéré dans les mêmes conditions dans les deux pays. Cela tient une fois de plus à la différence du degré d’incertitude plus grand au Bénin. Dans ce pays, la rupture a été plus douce, comme en témoignent la nature et l’application des actes de la conférence. Ainsi, la nouvelle dénomination de l’État, la dissolution de l’Assemblée nationale révolutionnaire et du Conseil exécutif national (gouvernement), la réforme judiciaire, l’officialisation de l’élection du premier ministre et l’organisation de la transition ont fait l’objet de simples motions ou de résolutions à la conférence. Ces motions ou résolutions ont ensuite été officialisées par une série d’ordonnances et de décrets signés par le président Kérékou après les travaux de la conférence77.

58Dans le cas béninois, D. Bourmaud et P. Quantin relèvent que :

  • 78 D. Bourmaud et P. Quantin, 1993, p. 174.

Une autre cause du succès de la conférence béninoise tient au fait qu’elle a permis au détenteur d’un pouvoir autoritaire d’effectuer une sortie sans perdre la face. [...] La conférence n’est pas une révolution ; elle ne fait table rase que dans l’imaginaire78.

  • 79 Voir notamment, sur l’acte fondamental no 1 du 30 juillet 1991 portant statuts de la conférence et (...)

59Dans le cas du Niger, on peut véritablement parler d’un démantèlement du régime autoritaire, un processus qui s’est apparenté à la victoire de ceux que A. de Tocqueville appellerait « les amis excessifs de la démocratie », ceux qui veulent tout et tout de suite, y compris par la défaite totale de l’adversaire. Dans le cas nigérien, la conférence ne s’est pas contentée d’adopter des motions et des résolutions traduites ensuite en décrets pris par le chef de l’État. Le présidium a pris lui-même des « Actes » immédiatement exécutoires et signés par le président de la conférence sans même le contreseing du chef de l’État79. De ce point de vue, la conférence nationale du Niger mérite, plus que celle du Bénin, l’appellation de « coup d’État civil ».

  • 80 Francisco Weffort, « Les démocraties nouvelles. Analyse d’un phénophénomène », Revue internationale (...)
  • 81 Les quatre types de transitions sont ainsi présentés : « La transition est opérée par un pacte lors (...)
  • 82 Ibid., p. 299.
  • 83 Ils montrent que les pactes fondateurs explicites ont quatre caractéristiques essentielles : premiè (...)
  • 84 R. Banégas, 1997.
  • 85 A. Adamon, 1995, p. 120-121.

60Les deux conférences ont réussi leur entreprise de démantèlement et, paradoxalement, même si l’issue a été plus incertaine au Bénin, le processus a été plus consensuel, plus « pacté » qu’au Niger. Or, comme le rappelle F. Weffort, « il est largement admis que les conditions les plus propices à la démocratisation ne sont pas forcément les plus agréables », en laissant aussi entendre à la suite de R. Dahl que « la démocratie est le résultat d’une situation où des ennemis jugent la coexistence moins coûteuse que la destruction mutuelle80 ». Il fait ainsi écho à T. L. Karl et R Schmitter qui pensent que des quatre types idéaux de transitions qu’il ont identifiés81, « ce sont les transitions par pacte qui ont le plus de chances de conduire à la démocratie politique et ensuite les transitions imposées82 ». Ces auteurs ont constaté que les démocraties qui se sont maintenues en Amérique latine et en Europe du Sud (et qu’on peut considérer comme consolidées aujourd’hui), notamment la Colombie, le Venezuela, l’Uruguay et l’Espagne, ont toutes été construites sur un pacte fondateur83. En se référant au contenu que ces auteurs mettent dans le pacte fondateur, il est possible de rendre compte qu’un tel pacte ne s’est pas fait au Niger, où le président Saïbou et ses partisans ont été totalement marginalisés. Au Bénin, la transition peut être considérée comme ayant été plus consensuelle. R. Banégas pense même que la transition béninoise s’est apparentée à une transition pactée84 et A. Adamon affirme que « le président Kérékou a gardé l’essentiel de ses pouvoirs pendant la période de transition sous le contrôle vigilant du gouvernement et du Haut Conseil de la République85 », le pacte se traduisant précisément par le fait qu’on ménage les anciens autoritaires plutôt que de les pousser dos au mur. Or, au Niger,

  • 86 S. Abdourahmane, 1992, p. 75-76.

la Conférence nationale a voulu [...] faire table rase d’un passé dans lequel tous les délégués refusaient obstinément de se reconnaître, [d’où] l’acharnement mis dès les premiers jours du forum à vouloir jeter par terre et à piétiner l’armée, le gouvernement, l’autorité judiciaire et toutes les autres institutions86.

  • 87 Guy Hermet, « Le temps de la démocratie ? », Revue internationale des sciences sociales, no 128, ma (...)
  • 88 G. Hermet, 1996, p. 74.

61Plus qu’au Bénin, les conférenciers nigériens n’ont pas entendu l’avertissement de G. Hermet selon lequel « la transition par rupture absolue avec le pouvoir préexistant apparaît comme la plus périlleuse87 » ni son appel à « dépasser l’idée simplificatrice qui veut que ce sont les démocrates qui bâtissent les jeunes démocraties et les autoritaires qui cherchent à empêcher leur éclosion88 ».

62C’est dans ces conditions de rupture identiques quant à l’issue, mais différentes dans les méthodes, qu’ont commencé les périodes transitoires organisées en vue de fixer le cadre à l’intérieur duquel pourrait évoluer un régime démocratique. Ces différences de méthodes auront un impact déterminant sur la trajectoire de la démocratisation, tel que nous le démontrerons au chapitre 6.

Notes

1 Chris Allen, « Restructuring an Authoritarian State : The Limits of “Democratic Renewal” in Benin », dans “Democratic Renewal" in Africa: Two Essays on Benin, Edimbourg, Centre of African Studies, Edinburgh University, « Occasional papers », no 40, 1992a, p. 3.

2 J.-F. Médard montre, à la suite de P. Bourdieu et de P. Veyne, que « la redistribution ostentatoire est à la base de la constitution de l’autorité politique et c’est ce mécanisme de redistribution qui permet la reconversion du capital économique en capital symbolique » (Jean-François Médard, « Théories de l’échange et échange politique », dans Paul-Henri Claeys et André-Paul Frognier (dir.), L’échange politique, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1995, p. 19).

3 Notons cependant que « même les régimes autoritaires, fondés sur la force, se gardent bien de négliger, de plaire ou de flatter car aucun pouvoir ne peut subsister longtemps en s’appuyant seulement sur la coercition brutale. Il lui faut se faire accepter, respecter, voire aimer. » (Philippe Braud, L’émotion en politique, Paris, Presses de la FNSP, 1996, p. 10)

4 Théophile E. Vittin, « Bénin : du système Kérékou au renouveau démocratique », dans Jean-François Médard (dir.), États d’Afrique noire. Formation, mécanismes et crise, Paris, Karthala/CEAN, 1991, p. 104.

5 Richard Banégas, La démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Karthala, 2003, p. 17.

6 Abdoulaye Niandou-souley, « Crise des autoritarismes militaires et renouveau politique en Afrique de l’Ouest. Étude comparative, Bénin, Mali, Niger, Togo », thèse de doctorat de science politique, Université de Bordeaux I, 1991.

7 T. E. Vittin, 1991, p. 94.

8 Ibid., p. 97.

9 Janvier Assogba, un des trois capitaines initiateurs du coup d’État de 1972, arrêté pour conspiration en janvier 1975, puis réhabilité après la conférence nationale avec le grade de colonel, a dit dans une entrevue : « Je pense que la révolution du 26 octobre 1972 telle qu’elle avait été conçue n’a duré qu’une période de deux ans environ (26 octobre 1972-30 novembre 1974) où une idéologie a été proclamée » (La Nation, Cotonou, vendredi 24 octobre 1997, p. 3).

10 Ces raisons n’excluent toutefois pas les méthodes coercitives dont le régime a usé et souvent abusé. En effet, « les processus de légitimation appartiennent [aussi] à l’ordre de la violence dans la mesure où ils tendent à obtenir l’acquiescement des assujettis à une relation essentiellement inégalitaire » (Jacques Lagroye, « La légitimation », dans Madeleine Grawitz et Jean Leca [dir.], Traité de science politique, vol. 1, Paris, puf, 1985, p. 407-408).

11 Francine Godin, Bénin, 1972-1982. La logique de l’État africain, Paris, L’Harmattan, 1986, p. 290.

12 Claude Raynaut et Souleymane Abba, « Trente ans d’indépendance. Repères et tendances », Politique africaine, no 38, juin 1990.

13 D’autant que le volontarisme affiché par ces régimes participait aussi de cette stratégie de présentation d’intérêts privés en intérêts généraux, officiels. M. Edelman montre bien que tout le processus politique n’est autre chose qu’un spectacle destiné à masquer l’inégalité et l’exploitation qui caractérisent tout pouvoir ; à faire approuver des actions qui risqueraient autrement d’être considérées avec scepticisme ou hostilité. Voir Murray Edelman, Pièces et règles du jeu politique, Paris, Le Seuil, 1991, p. 186-196.

14 F. Godin, 1986, p. 286-287.

15 C’est ainsi qu’est venue la rupture avec l’aile gauche radicale du régime représentée par ceux qu’on appelait les « ligueurs ». De même, la contraction de l’État a limité les possibilités de circulation-cooptation qui facilitaient le contrôle des élites.

16 F. Godin, 1986, p. 62.

17 R. Dagba, L. Soumanou et O. Wolou, « Cohérence entre le PAS, le programme du gouvernement et les objectifs de la conférence économique nationationale », Cotonou, Conférence économique nationale, décembre 1996, p. 7-8.

18 Gérard Conac, « Les processus démocratiques en Afrique », dans Gérard Conac (dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993, p. 16.

19 S’il est d’accord avec C. Maurras pour dire qu’un pouvoir qui assure la défense de la société et de l’État acquiert un titre incontestable à la durée, il souligne cependant qu’il est impossible d’identifier une constante (le droit de commander) et une variable (l’efficacité). Voir Guglielmo Ferrero, Pouvoir. Les génies invisibles de la cité, Paris, Librairie générale française, 1988, p. 131-133.

20 Ibid., p. 24.

21 S. Mappa constate ainsi qu’en « réalité, les actions “en faveur de la démocratisation” dégagent la même exigence radicale de conformité de la planète au monde politique occidental que celle qui lui est demandée en matière de développement économique. [...] Il serait difficile de trouver un domaine où le choix est laissé à ces sociétés. [...] Aucun mot d’ordre européen ne leur est épargné depuis la décentralisation et la responsabilisation des populations locales, jusqu’à la participation populaire directe aux travaux de développement et l’initiative associative, pour leur dicter ce qu’est la “transition” vers la démocratie. » (Sophia Mappa, « L’injonction démocratique dans les politiques européennes de développement », dans Sophia Mappa (dir.), Développer par la démocratie ? Injonctions occidentales et exigences planétaires, Paris, Karthala, 1995, p. 133-134)

22 R. Banégas, 2003, chapitre 3.

23 Dans les deux pays, les étudiants ont toujours été les plus contestataires des forces sociales. Au Niger, en mai 1983 déjà, ils ont déclenché une grève qui s’est soldée par la mort d’un d’entre eux, l’exil pour certains, la fermeture de l’université et l’invalidation de l’année. Au Bénin, en mai 1985, la grève des étudiants a conduit à la révocation du ministre de l’Enseignement supérieur, Michel Alladayé, qui était pourtant présenté comme étant, avec Michel Aïkpé et Janvier Assogba, un des véritables auteurs du coup d’État qui a porté Kérékou au pouvoir en 1972. Le capitaine Assogba avait été arrêté en janvier 1975 et le capitaine Aïkpé avait été tué six mois plus tard.

24 Certains politistes récusent la pertinence de ce concept pour rendre compte des situations africaines en arguant qu’il n’existe pas de « secteurs » ou de champs objectivés, donc autonomes, en Afrique. Si la différenciation sectorielle n’y est pas aussi nette que dans les démocraties avancées, il n’en demeure pas moins que les secteurs existent. Du reste, l’autonomie des secteurs n’implique pas leur autarcie ou, comme le dit M. Dobry, « l’autonomie des secteurs n’implique pas davantage la faiblesse ou l’inexistence de transactions collusives stables entre certains, au moins de ces secteurs » (Michel Dobry, Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de la FNSP, 1986, p. 97-112).

25 Le secrétaire général de l’Union, Morou Hamadou, a dit lors d’un entretien réalisé le 2 septembre 1997 à Niamey que « au départ, la lutte de l’usn n’était pas vraiment politique. Notre plateforme de décembre 1989 rejetait surtout le programme d’ajustement en vue et ses corollaires, à savoir la privatisation de l’enseignement supérieur, la réduction de l’enveloppe des bourses, l’arrêt de l’accès automatique à la fonction publique, la qualité de l’enseignement. »

26 Kiari Liman Tinguiri, « Crise économique et ajustement structurel (1982-(1982-1988) », Politique africaine, no 38, juin 1990, p. 76 et suivantes.

27 Ibid., p. 77.

28 Le premier accord de confirmation, qui marque aussi le point de départ de la politique d’ajustement en collaboration avec les institutions de Bretton Woods, a été approuvé par le fmi en octobre 1983.

29 Jean-François Médard, « Crise africaine et démocratisation. Les perspectives difficiles de la transition démocratique en Afrique subsaharienne », communication présentée à la table ronde « Démocratie et tensions sociales dans le tiers monde », Madras, 27-31 janvier 1992, p. 12.

30 A. Niandou-souley, 1991.

31 Banque mondiale, Niger, évaluation de la pauvreté. Un peuple résistant dans un environnement hostile, Rapport no 15344-NIR, Washington, DC, 28 juin 1996, p. 26.

32 En effet, « l’analyse des échanges politiques peut permettre d’éclairer non seulement la constitution de systèmes stables d’échanges inégaux, mais aussi leur mise en question par des mouvements révolutionnaires [et que] l’évolution et la perception des termes de l’échange sont au cœur de cette problématique » (Jean-François Médard, 1995, p. 45).

33 Ce qui va dans le sens de la thèse de la fracture entre élites défendue par les pionniers de la transitologie. Voir Guillermo O’Donnell et Philippe Schmitter, Transitions from Authoritarian Rule : Tentative Conclusions About Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986.

34 R. Charlick soutient cependant que, deux ans après son accession au pouvoir, il avait consolidé son pouvoir personnel en écartant progressivement du gouvernement les fidèles de Kountché et en éloignant dans des ambassades ses rivaux potentiels. Voir Robert Charlick, Niger: Personal Rule and Survival in the Sahel, Boulder/San Francisco, Westview Press, 1991, p. 74.

35 Entretien réalisé le 14 août 1997 à Niamey avec M. Hama Amadou, premier ministre de la période de cohabitation (1995-1996), à l’époque membre du bureau politique du parti unique, le MNSD.

36 Chris Allen, « Goodbye to All That : The Short and Sad Story of Socialism in Benin », dans “Democratic Renewal” in Africa: Two Essays on Benin, 1992b, p. 32-33.

37 Entretien anonyme et informel mené à Cotonou le 15 juillet 1997.

38 C. Allen, 1992b, p. 36.

39 J. Colomer a ainsi proposé, dans une perspective très volontariste, une typologie des arrangements institutionnels posttransitionnels selon la partie (pouvoir ou prodémocrates) au profit de laquelle penche le rapport des forces. Voir Joseph Colomer, « Le choix des institutions dans la transition à la démocratie. L’expérience de l’Europe orientale », communication présentée à la journée d’études « Choix rationnel et démocratie », afsp, iep de Bordeaux, 24 juin 1996.

40 Entretien réalisé le 13 août 1997 avec M. Ibrahim Mayaki, sécrétaire général de l’ustn et sécrétaire général du snen à l’époque.

41 R. Banégas a restitué ces pressions dans une approche génétique. Voir Richard Banégas, « Mobilisations sociales et oppositions sous Kérékou », Politique africaine, no 59, octobre 1995.

42 R. Banégas, 2003, p. m.

43 Ainsi, le Comité national préparatoire de la conférence nationale, créé par un décret du 18 décembre 1989, était composé de huit personnalités qui appartenaient toutes au gouvernement. Au Niger, par contre, il était dominé par les opposants.

44 L’ancien président Ahomadégbé a dit : « Kouandété est un spécialiste des coups d’État. Quand il dit, il fait. » (Fondation Friedrich Naumann, Les Actes de la conférence nationale. Cotonou, du 19 au 28 février 1990, Cotonou, onepi, 1994, p. 7)

45 Ibid.

46 Entretien réalisé le 14 août 1997 à Niamey avec M. Hama Amadou, ancien premier ministre, secrétaire général du Mouvement national pour la société de développement (mnsd).

47 La libéralisation politique est vue par M. Bratton et N. van de Walle comme le phénomène entraînant la réforme du régime autoritaire. Elle survient quand le régime relâche son emprise sur les activités politiques des citoyens, reconnaît des libertés de base comme la liberté de parole, de mouvement, de la presse et procède à la libération des prisonniers politiques. Voir Michael Bratton et Nicolas van De Walle, Democratic Experiments in Africa : Regime Transitions in Comparative Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 159 et 282-283. Voir aussi, pour une conception similaire de la libéralisation, Guillermo O’Donnell et Philippe Schmitter, Transitions from Authoritarian Rule : Tentative Conclusions About Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986, p. 7.

48 M. Dobry invite à s’appesantir sur « les mobilisations auxquelles les protagonistes procèdent au cours des compétitions et des affrontements qui constituent la trame des rapports politiques » (M. Dobry, 1986, p. 31). On retrouve le même esprit chez G. O’Donnell et P. Schmitter, chez M. Edelman et avec un grain de rationalisme en plus chez G. Hermet. Ce dernier insiste sur « le jeu de repositionnement qui prend place à l’approche de l’issue de la crise, sur les ruptures suivies d’un réagencement des relations de solidarité, de concurrence ou d’affrontement » (Guy Hermet, Le passage à la démocratie, Paris, Presses de la FNSP, 1996, p. 74). G. O’Donnell et P. Schmitter notent, quant à eux, que toute transition est précédée d’une division au sein du pouvoir entre hard liners (aile dure du pouvoir) et soft liners (aile modérée du pouvoir), puis d’une collusion entre ces derniers et les opposants non maximalistes pour la définition d’une réalité politique durable au détriment des durs du pouvoir et des opposants maximalistes. Voir G. O’Donnell et P. Schmitter, 1986, p. 11 et 19-21. Enfin, M. Edelman rappelle que « des ennemis ayant pour objectif commun d’étendre leur emprise sur leurs opinions publiques respectives peuvent être inclus dans des coalitions politiques informelles : en créant un clivage bipolaire au sein de l’opinion, des ennemis sont paradoxalement amenés à coopérer, même si cette coopération est involontaire » (M. Edelman, 1991, p. 135-136).

49 P. Robinson a avancé l’idée selon laquelle la conférence nationale a été un phénomène propre aux pays francophones en raison de la permanence de l’influence politique et culturelle de la France sur ses anciennes colonies. Cité par Wuyi Omitoogun et Kennet Onigu-Otite, The National Conference as a Model for Democratic Transition : Benin and Nigeria, ifra, Ibadan, 1994, p. 2.

50 Voir Le renouveau démocratique au Bénin. La conférence nationale des forces vives et la période de transition, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 82 et, sur les suggestions françaises pour des réformes constitutionnelles, p. 22-24.

51 Ibid., p. 61.

52 Comme le note A. Adamon : « C’est le modèle béninois que l’on a tenté de reproduire au Congo, au Togo, au Niger, avec souvent moins de bonheur qu’à Cotonou, malheureusement ! » (Ibid., p. 142)

53 En dépit des suggestions françaises évoquées plus haut.

54 M. Bratton et N. van De Walle, 1997, p. 2.

55 M. Bratton et N. van De Walle ont relevé plusieurs facteurs de contagion. Il y a tout d’abord les grandes radios internationales comme la bbc, rfi ou cnn. Mais il y a aussi l’aspect géographique : selon eux, la probabilité pour que les revendications politiques adviennent dans un pays est globalement proportionnelle au nombre de voisins démocratiques. Voir ibid., p. 136-137.

56 G. O’Donnell et P. Schimtter, 1986, p. 9 et 11.

57 Fondation Friedrich Naumann, 1994, p. 19-20.

58 Créé par décret no 89-434 du 18 décembre 1989.

59 G. O’Donnell et P. Schmitter, 1986, p. 7 et 9.

60 Voir Richard Banégas, « Retour sur une transition modèle. Les dynamiques du dedans et du dehors de la démocratisation béninoise », dans Patrick Quantin et Jean-Pascal Daloz (dir.), Transitions démocratiques africaines, dynamiques et contraintes (1990-1994), Paris, Karthala, 1997, p. 85.

61 S. Abdourahmane, 1992, p. 77. Pour les mises en résidence surveillée et les actes de nomination, voir les actes 14 et 20, Journal officiel de la République du Niger, spécial no 5, Ier novembre 1991 et Journal officiel de la République du Niger, spécial no 4, 15 septembre 1991.

62 Même si, au Niger, certains délégués étaient soupçonnés d’être issus de structures satellites du pouvoir, ce qui explique qu’a été adopté le principe du vote par groupe au détriment du vote individuel plus volatile et plus facile à récupérer. Dans le cas du Bénin, alors que la baisse du quota du PRPB est vue par A. Adamon comme une victoire des opposants, elle n’est pas significative pour R. Banégas qui relève que « la représentation du PRPB est vue à la baisse, mais le pouvoir se garantissait toujours une large majorité par le biais d’organisations para-officielles ou acquises à ses vues. Ainsi des 86 sièges attribués aux paysans et artisans, désignés par les unions paysannes ou les associations locales de développement, a priori fidèles au régime » (R. Banégas, 2003, p. 142).

63 Fondation Friedrich Naumann, 1994, p. 9.

64 R. Banégas, 1997, p. 82. Voir, pour un détail de cette conférence de 1979, Robert Dossou, « Le Bénin. Du monolithisme à la démocratie pluraliste, un témoignage », dans G. Conac (dir.), 1993, p. 193-194.

65 Même si R. Dossou, président du Comité préparatoire de la conférence nationale, affirme avoir discuté de la souveraineté du forum avec le président Kérékou et que celui-ci n’y voyait aucune objection. Ibid., p. 195.

66 R. Banégas, 2003, p. 148.

67 A. Niandou-Souley, 1991, p. 267-368.

68 Proclamation no 6 du 25 février 1990 sur le processus de conquête de la souveraineté. Voir A. Adamon, 1995, p. 60-62.

69 Francis Laloupo, « La conférence nationale du Bénin. Un concept nouveau de changement de régime politique », Année africaine, vol. 1992-1993, 1993, p. 106.

70 Ibid.

71 Les formules politiques issues de conjonctures fluides sont toujours le résultat d’interactions, donc de compromis. Elles n’ont pas de caractère stratégique unilatéral. On ne peut attribuer le compromis béninois à aucun acteur en particulier même si, visiblement, certains apparaissent comme « les gagnants ». La qualité d’un seul acteur ne suffit pas si les autres protagonistes ne sont pas disposés au compromis. Ainsi, à propos de la configuration togolaise qui n’a pas été aussi heureuse, K. Nwajiaku souligne que même si Mgr De Souza avait présidé la conférence nationale togolaise, sa personnalité charismatique et sa droiture morale n’auraient pas rendu Eyadéma plus conciliant, ce qui revient à dire que la configuration n’aurait pas été autre. Voir Kathryn Nwajiaku, « An Exploration of the Democratization Process Through the Medium of the Conférence Nationale in Benin and Togo », mémoire de maîtrise, Area Studies, University of London, 1993, p. 23.

72 La proclamation de la souveraineté a été l’objet de l’acte fondamental no 1 du 30 juillet 1991 portant statuts de la Conférence nationale. Cet acte dispose que « les décisions de la Conférence nationale sont impératives ». Voir Journal officiel de la République du Niger, spécial 2, 1er août 1991.

73 Notamment pour ce qui est de l’incertitude, présentée par M. Dobry, comme une des propriétés des conjonctures fluides. Voir M. Dobry, 1986, p. 150 et suivantes.

74 Les changements de régime ne sont jamais l’occasion d’une rupture radicale au cours de laquelle un ordre politique totalement nouveau prend place sur les cendres de l’ordre ancien. Voir entre autres Alexis DE Tocqueville, L’ancien régime et la révolution, Paris, Gallimard, 1967 ; Crawford Young, The African Colonial State in Comparative Perspective, New Haven/Londres, Yale University Press, 1994.

75 Pour D. Bourmaud et P. Quantin, « par son mode de recrutement, la légitimité de la conférence nationale est discutable. Ce n’est pas la représentativité qui lui sert de fondement, mais l’illégitimité encore plus grande du pouvoir en place » (Daniel Bourmaud et Patrick Quantin, « Le modèle et ses doubles. Les conférences nationales en Afrique noire », dans Yves Meny, Les politiques du mimétisme institutionnel. La greffe et le rejet, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 174).

76 La conférence ayant été l’initiative du pouvoir au Bénin, c’est le décret de convocation no 90-40 du 23 février 1990 qui en a fixé les dates (19-24 février) et les missions (élaboration d’une charte servant de base à une future constitution, option pour le libéralisme et l’ajustement). C’est au fil des débats et avec la conquête de la souveraineté que les missions de la conférence ont progressivement changé. Voir A. Adamon, 1995, p. 57-59 ; Fondation Friedrich Naumann, 1994, p. 147-148. Au Niger, par contre, le décret no 91-128 du 28 juillet 1991 portant convocation de la conférence nationale était particulièrement laconique et ne lui a fixé aucune mission. Ce sont l’acte fondamental no 1 et l’acte no 2 du 30 juillet 1991 qui, dans la foulée de la proclamation de la souveraineté, ont fixé comme attributions de la conférence pratiquement l’ensemble des pouvoirs législatifs et réglementaires, et en ont fait, de ce fait, la source de la légitimité et de la légalité.

77 Il s’agit de l’ordonnance no 90-001 du 1er mars 1990 portant abrogation de l’ordonnance no 77-32 du 9 septembre 1977 promulguant la loi fondamentale du 26 août 1977 de la République populaire du Bénin, de l’ordonnance no 90-002 du Ier mars 1990 portant dissolution de l’Assemblée nationale révolutionnaire, de l’ordonnance no 90-003 du Ier mars 1990 portant nouvelle dénomination de l’État, de l’ordonnance no 90-004 du Ier mars 1990 portant création du Haut Conseil de la République, du décret no 90-42 du Ier mars 1990 portant dissolution du conseil exécutif national, du décret no 90-43 du Ier mars 1990 portant nomination du premier ministre, du décret no 90-53 du 14 mars 1990 portant composition du gouvernement de transition. Pour le contenu des textes, voir Fondation Friedrich Naumann, 1994, p. 149-157.

78 D. Bourmaud et P. Quantin, 1993, p. 174.

79 Voir notamment, sur l’acte fondamental no 1 du 30 juillet 1991 portant statuts de la conférence et l’acte 2, portant règlement intérieur, Journal officiel de la République du Niger, spécial no 2 du 1er août 1991 ; sur l’acte no 3 portant abrogation de la charte nationale et suspension de la constitution, voir Journal officiel de la République du Niger, spécial no 3 du 15 août 1991 ; sur l’acte 11 du 10 septembre 1991 portant dissolution du gouvernement et l’acte 12 portant nomination du chef d’état-major de l’armée et de son adjoint, voir Journal officiel de la République du Niger, spécial no 4 du 15 septembre 1991 ; sur l’acte 21 du 29 octobre 1991 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition et l’acte 15 du 24 septembre 1991 relatif à la Haute Cour de justice, voir Journal officiel de la République du Niger, spécial no 5 du 1er novembre 1991.

80 Francisco Weffort, « Les démocraties nouvelles. Analyse d’un phénophénomène », Revue internationale des sciences sociales, no 136, mai 1993, p. 295.

81 Les quatre types de transitions sont ainsi présentés : « La transition est opérée par un pacte lorsque les élites s’entendent sur un compromis multilatéral. Elle est imposée lorsque les élites de l’opposition recourent unilatéralement à la force et réussissent ainsi à opérer un changement de régime malgré la résistance des représentants du pouvoir en place. Elle se fait par des réformes lorsque les masses se mobilisent et imposent un compromis sans recourir à la violence. Enfin, la transition est opérée par une révolution lorsque les masses prennent les armes, se soulèvent et remportent une victoire sur l’ancien régime autoritaire » (Terry Lynn Karl et Philippe Schmitter, « Les modes de transitions en Amérique latine et en Europe du Sud et de l’Est », Revue internationale des sciences sociales, no 128, mai 1991, p. 291).

82 Ibid., p. 299.

83 Ils montrent que les pactes fondateurs explicites ont quatre caractéristiques essentielles : premièrement, ils sont nécessairement englobants et intègrent quasiment tous les acteurs politiques importants ; deuxièmement, ils se composent en fait d’une série d’accords imbriqués et interdépendants ; troisièmement, bien que ces pactes portent finalement sur des questions de fond aussi bien que de procédure, ils mettent au début l’accent sur la définition des règles ; enfin, les pactes fondateurs sont une sorte de gage de survie, garantissant les intérêts des classes dominantes. Ibid., p. 298.

84 R. Banégas, 1997.

85 A. Adamon, 1995, p. 120-121.

86 S. Abdourahmane, 1992, p. 75-76.

87 Guy Hermet, « Le temps de la démocratie ? », Revue internationale des sciences sociales, no 128, mai 1991, p. 272.

88 G. Hermet, 1996, p. 74.

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