2 Le contexte institutionnel et la politique de la démocratisation
p. 43-69
Texte intégral
1Le contexte économique décrit au chapitre précédent est important parce que, sans être déterminante, la situation économique a un impact sur les perspectives de la démocratisation. Mais celle-ci étant avant tout un processus politique, elle suppose un travail de création institutionnelle qui s’opère dans un contexte fortement objectivé, marqué par l’existence d’institutions et de normes de comportement profondément enracinées dans les contextes que l’on veut démocratiser. Dans la mesure où les processus politiques ne s’opèrent jamais par rupture brutale avec le passé, les formes qu’ils sont susceptibles de prendre sont fortement conditionnées par les formes institutionnelles et les pratiques politiques des anciens régimes, comme nous le montrerons au chapitre 5.
2Le présent chapitre porte sur le contexte institutionnel et politique de la démocratisation et procède à la sociologie des anciens régimes en deux étapes. Dans un premier temps, nous analysons la nature des pouvoirs prédémocratiques à travers l’étude des structures institutionnelles des régimes autoritaires ; dans un deuxième temps, nous analysons les pratiques politiques des pouvoirs prédémocratiques.
La nature institutionnelle des pouvoirs prédémocratiques
3Les régimes des trois premières décennies de l’Afrique postcoloniale dans leur ensemble souffraient d’une « déficience de légitimité institutionnelle », selon l’expression de G. Conac1. Les expériences du Bénin et du Niger montrent que ces régimes peuvent disposer d’institutions stables sur une longue période, fussent-elles plus formelles que réelles, sans s’institutionnaliser. En effet, les mécanismes d’obtention et d’exercice du pouvoir ne reposaient pas sur des modalités acceptées et routinières, de sorte que les régimes n’étaient jamais à l’abri d’un renversement, le plus souvent brutal. En raison de cette déficience de légitimité, ces régimes étaient susceptibles de succomber à tout moment à une force plus grande, pour paraphraser Rousseau. Mais cela ne signifie pas, comme Charles de Gaulle l’a dit à propos de Vichy au lendemain de la libération de Paris, que ces régimes n’ont été que de simples parenthèses dans l’histoire. Parce que toute l’histoire institutionnelle et politique de ces pays se résume à ces trois décennies, l’on peut s’attendre à ce que ces régimes cristallisés affectent les possibilités de démocratisation. Cette dernière implique une séparation des pouvoirs et le respect des libertés individuelles et collectives. En comparaison, les régimes autoritaires se caractérisent par une tradition de centralisation institutionnelle et de confusion des structures étatiques.
La tradition de centralisation
4Il ne s’agit pas ici de mener une analyse historique exhaustive de ces pays dont nombre d’institutions et de pratiques sont un héritage de la colonisation française, caractérisée par une idéologie jacobine et la tyrannie2. C. Young a bien montré comment l’État colonial s’est cristallisé en postcolonie et comment une nouvelle vision, celle de l’État intégral avec sa visée totalisante, est venue s’y ajouter3. Le Bénin et le Niger, faut-il le rappeler, ont partagé le même joug colonial au sein de l’Afrique occidentale française. Au lendemain des indépendances, les dirigeants de ces jeunes États ont entrepris de construire leur hégémonie dans des pays dépourvus de légitimité historique. Il s’en est suivi une tendance à la centralisation à travers deux modalités : l’assujettissement des organisations de la société civile et la concentration du pouvoir.
L'embrigadement des organisations de la société civile
5La dynamique de l’embrigadement des organisations de la société civile permet de comprendre l’État monolithique et la société. Au Bénin, la période allant de l’indépendance en 1960 au putsch de Mathieu Kérékou en 1972 en a été une d’instabilité chronique. Le pays a connu une pluralité de gouvernements civils et militaires très éphémères. Certains présidents ne sont ainsi restés en poste que quelques mois4. Cette précarité politique et les interruptions fréquentes de règne n’ont pas laissé aux régimes, qui se sont alors succédé la possibilité de se doter de structures assurant un maillage du pays.
6À l’inverse des régimes précédents, celui du général Kérékou a profité d’une longévité exceptionnelle. Son régime présentait, du point de vue de la négation de la société civile, la même logique que ceux que le Niger a connus. Toutefois, son idéologie marxiste, dont la plupart des analystes s’accordent pourtant à mettre en doute la réalité et encore plus l’orthodoxie, n’a fait qu’accentuer et légitimer la mise sous tutelle de la société. Le marxisme-léninisme était surtout une façade5 destinée à justifier l’embrigadement découlant de la volonté totalisante de tout régime qui s’en réclame. Le Bénin a ainsi offert l’exemple d’un régime à prétention marxiste plus que celui d’un régime marxiste-léniniste6. C’est pourquoi F. Godin considère que :
De par sa structure (une petite bourgeoisie non enracinée dans les masses et exerçant l’hégémonie) et de par son idéologie qui, en dépit du marxismeléninisme officiel, fera sans cesse appel au peuple dans sa lutte contre l’impérialisme (au lieu de la lutte des classes), le régime est typiquement populiste et une fois institutionnalisé, il évoluera comme bien d’autres vers le corporatisme7.
7Le régime révolutionnaire qui a duré 17 années n’a cependant pas été qu’une façade. C’est lui qui a véritablement façonné les contours de la vie politique du Bénin au fil de cette période, lui imprimant sa logique, ses pratiques et ses institutions.
8L’adoption du marxisme-léninisme, le 30 novembre 1974, et les mesures impliquées par la phase de mise en place des institutions correspondantes en vue d’assurer à l’État la maîtrise de toute l’activité économique et sociopolitique ont hypothéqué l’indépendance du monde associatif. F. Godin note ainsi la division des masses et la privation des étudiants, ouvriers et paysans de toute représentation véritable avec :
la corporatisation de la société à travers [les conseils révolutionnaires], les comités de défense de la révolution (cdr), les comités d’action révolutionnaire (car), les comités d’organisation des jeunes (coj), les comités d’organisation des femmes (cof), les syndicats, les coopératives scolaires et universitaires sous la bannière du parti8.
9C’est le 30 novembre 1975 que la République du Dahomey est devenue la République populaire du Bénin. Dans la même foulée, était créé le Parti de la révolution populaire du Bénin (prpb) qui a dès lors assuré la tutelle des organisations syndicales et des associations autorisées. L’Union nationale des travailleurs du Bénin (unstb) « désormais placée sous tutelle administrative du ministère du Travail, [était] contrôlée et [est devenue] la deuxième organisation de masse du parti9 ». T. E. Vittin a également relevé ce processus de maillage politicoadministratif par les structures de la révolution, concrétisé par la prééminence du PRPB confondu avec l’État10. Ce maillage s’étendait aussi au monde rural (artisans, ouvriers) qui disposait à l’Assemblée nationale révolutionnaire de 91 sièges sur un total de 196 commissaires du peuple11.
10Dans le cas du Niger, il est indispensable de remonter aux premières années de l’indépendance en raison de la longévité du premier pouvoir, une longévité qui lui a laissé le temps d’organiser l’embrigadement des masses et des associations. Non seulement la similitude avec le Bénin est criante, mais quel que soit le régime, toute la vie politique a été caractérisée par ce que P. Robinson a qualifié de « corporatisme néotraditionnel12 ». Peu de temps après l’indépendance en 1960, le Parti progressiste nigérien, section du Rassemblement démocratique africain (ppn-rda), avait mis hors jeu toute opposition organisée. Les structures syndicales et associatives qui existaient ont été placées sous la coupe du pouvoir. La philosophie qui guidait cette corporatisation est ainsi présentée par R. Colin :
Le président [Diori] apparaissait conscient de l’importance d’asseoir le pouvoir nigérien sur une véritable légitimité nationale. Il choisit une stratégie de type populiste. Il se percevait comme incarnant le projet national et voulait, dans un rapport direct aux masses populaires, créer le processus générateur d’un nouveau système de pouvoir. Enraciné dans les communautés de base, ce dernier devait tendre progressivement à substituer sa logique à celle des institutions héritières de l’ancienne puissance coloniale13.
11C’est « ce choix populiste14 à visée paradoxalement participationniste » qui a servi de fil conducteur au pouvoir dans ses rapports avec les syndicats, les associations et autres structures populaires.
12En ce qui a trait au monde rural, l’embrigadement se faisait à travers le ministère de la Promotion humaine qui :
était parvenu à établir grâce aux radio-clubs, aux comités villageois d’animation rurale et aux classes d’alphabétisation, un maillage du pays aussi étroit que celui du PPN, à tel point que toute cette architecture [est apparue] comme le parti de Diori, par opposition au PPN contrôlé par Boubou Hama15.
13Cet encadrement était complété par la milice, véritable armée parallèle particulièrement zélée lorsqu’il s’agissait de traquer les opposants ou ceux présumés comme tels. Le traitement subi par le mouvement syndical durant les années Diori a été plus brutal. À l’indépendance, le monde du travail était organisé au sein de l’Union nationale des syndicats du Niger (unsn), une organisation affiliée à la Confédération générale des travailleurs (cgt), organisation française de tendance communiste et radicale16. Elle partageait surtout les orientations de l’Union démocratique nigérienne (udn) de Djibo Bakari, lui-même ancien syndicaliste et farouche opposant au régime. L’unsn a donc été dissoute et remplacée par l’Union nationale des travailleurs du Niger (untn) dont la direction a échu à un membre du bureau politique du parti unique17.
14C’est avec les scolaires que la socialisation corporatiste a eu le plus de mal à réussir. Pourtant, l’Union des scolaires nigériens (usn), qui a joué un rôle capital dans la revendication démocratique, a été créée à l’instigation du régime de Hamani Diori. Celui-ci pensait ainsi canaliser et contrôler l’énergie estudiantine si contestataire18. Au lieu de cela, la création de l’usn a donné aux scolaires le cadre grâce auquel ils ont réussi, pendant plusieurs décennies, à défier le pouvoir politique parfois avec succès. C’est du reste dans un contexte de turbulences estudiantines qu’est intervenu le coup d’État du 15 avril 1974, qui a porté Seyni Kountché au pouvoir.
15Après les premiers moments de tâtonnement, l’orientation populiste du nouveau pouvoir a commencé à être évidente à partir de 1976, lorsque le président Kountché a évoqué « la société de développement », conçue comme une voie nigérienne originale, mais dont « les objectifs, progressivement dévoilés et explicités, rejoignaient à bien des égards, la logique participationniste de Diori19 ». Du point de vue de l’ambition totalisante, les structures de la société de développement ne sont pas sans rappeler les conseils révolutionnaires du Bénin, leur dimension idéologique exceptée. Ainsi, à chaque niveau (village, canton, commune ou arrondissement, département, nation), un Conseil de développement regroupait les représentants des Samariya20, des instances coopératives ainsi que des autres organisations socioprofessionnelles21. Cette logique intégrative explique le statut réservé aux organisations syndicales.
16Comme l’avait fait Diori, Kountché a dissous l’untn pour la remplacer par l’Union des syndicats des travailleurs du Niger (ustn). Comme Diori et comme Kérékou, il a favorisé l’accès aux commandes de la centrale unique à des hommes acquis au régime. Cette stratégie n’a pas toujours fonctionné sans heurts, mais a réussi dans l’ensemble grâce au maillage à travers le Conseil national de développement (cnd) mis en place en 1983 et dont « les différentes instances [ont été] mises en place dans les termes prévus avec une coloration quelque peu corporatiste s’alliant bien avec le populisme démocratique fondateur du régime22 ». L’embrigadement du monde syndical et associatif était complet et officiel à partir du moment où les institutions de la société de développement ont été mises en place sous le régime du général Ali Saïbou, le successeur de Seyni Kountché mort en 1987 avant le parachèvement du processus. L’ustn, l’Association islamique du Niger (ain) et l’Association des femmes du Niger (afn) ont alors été cooptées dans les nouvelles institutions. Conformément à une politique dite de la « participation responsable », elles siégeaient au sein du Conseil supérieur d’orientation nationale (cson), « instance suprême de conception de la politique nationale ». Cette collaboration était même revendiquée par les dirigeants de l’ustn23.
17Ce syndicalisme de collaboration a été rejeté par l’Union des scolaires nigériens (usn). Déjà contestataire sous le régime Diori, elle n’a pas été plus tranquille sous le pouvoir militaire. Elle a refusé l’embrigadement à travers de multiples frondes dont les plus connues sont celles de 1976 et de 1982.. Ces troubles se sont soldés à chaque fois par des arrestations, des emprisonnements, des intégrations forcées dans l’armée ou des condamnations à l’exil des dirigeants étudiants. La grève de 1982, qui a débouché sur la fermeture des établissements scolaires, a été la plus emblématique de ce refus de la corporatisation. En effet, le pouvoir voulait désorganiser le mouvement syndical estudiantin par l’institution dans les écoles des structures de la Samariya, cette organisation néotraditionnelle récupérée afin de mobiliser la jeunesse au profit du régime.
18En définitive, au Bénin comme au Niger, la logique était relativement similaire, malgré les différences idéologiques et une expérience de corporatisation plus longue au Niger. Le discours galvaudait la nécessité d’une participation et d’une mobilisation à la base des populations, mais il relevait de la mise en scène dans la mesure où l’ensemble des structures politiques tendaient à assurer au pouvoir le maillage des espaces de participation au profit de la « révolution » au Bénin ou de la « société de développement » au Niger. Ce maillage allait de pair avec une concentration du pouvoir.
La concentration du pouvoir au sommet
19Au Bénin, dans la phase de mise en place des structures politiques de la révolution, il y a eu l’institution d’un exécutif, le Gouvernement militaire révolutionnaire (gmr), et d’une instance d’orientation, le Conseil militaire de la révolution (cmr). De par ses attributions, le cmr devait renforcer l’autorité du gouvernement et contrôler l’application de ses décisions. Ensuite, les nécessités de l’enracinement populaire de la révolution ont conduit à la création du Conseil national de la révolution (cnr), instance élargie aux civils24. La concentration du pouvoir se voit nettement à ce niveau car bien que plus large, « le cnr apparaît comme une institution dont les compétences sont essentiellement politiques (consultatives, dirions-nous) ; ses décisions n’ayant aucun effet tant qu’elles n’ont pas été avalisées par le cmr25 ».
20Lorsque la révolution « s’idéologise » à partir du 30 novembre 1974 avec l’adoption du marxisme-léninisme, le principe du centralisme démocratique, qui s’est révélé dans la pratique être un centralisme tout court, est alors appliqué. Un parti unique, le Parti de la révolution populaire du Bénin est créé le 30 novembre 1975. Le parti a été présenté dans le discours-programme prononcé le même jour par Kérékou comme « le parti des masses conscientes et combattantes [...qui] doit diriger l’État et la révolution ». Pour assurer l’effectivité de la dictature du peuple, les comités révolutionnaires initiés auparavant sont généralisés, notamment par la création ou la réorganisation d’organisations d’éducation politique conformément aux statuts du parti qui stipulaient que « le parti doit organiser et diriger scientifiquement les masses au moyen d’organisations de masse de toutes natures créées, contrôlées et dirigées par lui26 ».
21Ce qui est intéressant ici est de constater que tout dans l’organisation du parti et des institutions concourait à affermir la mainmise du pouvoir central sur la société, le pouvoir réel étant résolument concentré au sommet. En théorie, le prpb était le parti du peuple qui exerçait le pouvoir à travers les organes de direction que sont le Congrès (instance suprême de direction), le Comité central, le Bureau politique et le Secrétariat permanent composé de certains des membres du Bureau politique27. À côté des organes du parti et de l’exécutif national, il y avait l’Assemblée nationale révolutionnaire (anr) composée de commissaires du peuple (députés) choisis par catégories socioprofessionnelles par le Comité central.
22La concentration du pouvoir se mesure au fait que, contrairement aux attentes, la réalité du pouvoir est proportionnelle au caractère restreint des organes de direction du parti et non à leur degré de représentativité populaire. C’est ainsi que le Comité central, l’organe le plus restreint en dehors du Secrétariat, était « le véritable organe exécutif du parti et de l’État, il assumait l’effectivité du pouvoir, intervenait directement dans le choix des commissaires du peuple et de toute autre fonction politico-administrative28 ». C’est pourquoi V. Ochilet propose à juste titre que les organes du parti soient classés du point de vue de leur pouvoir dans l’ordre suivant : le Bureau politique, le Secrétariat permanent, le Comité central et le Congrès29.
23Au Niger, cette extrême concentration du pouvoir, sous la forme d’une disposition pyramidale des structures, s’observe également sous le régime civil de Diori (1960-1974) comme sous le régime militaire (1974-1991). Ici encore, la différence avec le Bénin ne s’observe que du point de vue de la prétention idéologique. Du coup d’État d’avril 1974 à 1983, le régime est resté typiquement militaire, s’appuyant sur le Conseil militaire suprême (cms), organe collégial qui orientait l’action du gouvernement dans lequel ne figurait au départ aucun civil. Les civils y ont fait leur entrée après le remaniement du 8 juin 1974. Contrairement au cas du Bénin, où le cnr a été créé moins d’un an après le putsch afin d’élargir l’instance suprême aux civils, le régime du Niger s’est alors contenté de leur attribuer des postes techniques. L’administration territoriale a été confiée à des préfets militaires dépendant directement du cms et de son dirigeant, le chef de l’État.
24En 1983, dans le cadre du « processus de retour à une vie constitutionnelle » et conformément à la philosophie de la « société de développement », le Conseil national de développement (cnd) a été créé. Dans la situation d’exception du pays, le cnd faisait office de parlement, mais ressemblait beaucoup plus au prpb du point de vue de sa structuration. Il avait la même organisation pyramidale qui assurait l’effectivité du pouvoir central à tous les échelons administratifs. Ses démembrements étaient le Conseil villageois de développement pour le village, le Conseil local de développement pour le canton, le Conseil sous-régional de développement pour l’arrondissement ou la commune et le Conseil régional de développement pour le département. Tous ces conseils étaient coiffés par le cnd et devaient assurer la mise en œuvre des idéaux de la société de développement. À leur tête se trouvaient évidemment les chefs traditionnels, mais surtout les maires, sous-préfets et préfets nommés par le pouvoir central.
25Comme l’a été le cnr pour le prpb au Bénin, le cnd a été l’ossature du parti unique créé ultérieurement en mai 1989, le Mouvement national pour la société de développement (mnsd). L’adoption de la constitution du 24 septembre 1989 a marqué le parachèvement de la mise en place des institutions de la société de développement et le début de la deuxième République. Dans son implantation, le mnsd s’est superposé aux structures du cnd. Une instance du parti dite de conception a été créée, le Conseil supérieur d’orientation nationale (cson). Composé de civils et de militaires, il ressemblait de ce fait au cnr béninois, mais de par ses attributions, il correspondait plutôt au Comité central du parti. Aux échelons inférieurs, le parti reposait, dans le même esprit que le prpb, sur des comités de base sur le plan des villages ou des quartiers de ville, sur des sous-sections sur le plan de la commune ou de l’arrondissement et sur des sections sur le plan du département. Là aussi, les différentes instances avaient pour mission de répercuter les mots d’ordre du sommet et de drainer du soutien en sa faveur. Au centre de toute l’orchestration, se trouvait le Bureau exécutif national du cson (ben/cson) et son secrétaire exécutif, véritable numéro deux du régime30.
26Ainsi donc, comme au Bénin, ni l’Assemblée nationale censée représenter le peuple ni le Congrès du parti qui était l’instance la plus large n’avaient de réels pouvoirs, et la participation populaire était plus formelle que réelle. Il faut cependant noter que la culture de participation a été expérimentée de façon intermittente dans le Dahomey (le Bénin d’avant 1972) car malgré l’instabilité, la vie partisane et la compétition politique ont alterné avec des périodes d’exception, les militaires ayant presque chaque fois rendu le pouvoir aux civils. Le Niger, par contre, n’a jamais connu d’élections compétitives de l’indépendance aux élections postconférence nationale de 1993.
27Dans l’ensemble, du point de vue de l’émergence d’une culture de participation et de responsabilisation politiques, la révolution béninoise et les régimes civils et militaires nigériens ont laissé un héritage fait de concentration du pouvoir et d’absence de lieux d’expression autonomes. D’un point de vue comparatif, cependant, l’apprentissage a été plus poussé au Bénin, aussi bien avant que pendant le régime marxiste. C’est là une dissimilitude qui peut faire la différence dans la capacité ultérieure des acteurs à gérer le processus de démocratisation. Ces pouvoirs fonctionnaient, par conséquent, en organisant délibérément la confusion des structures et des institutions politiques.
La confusion structurelle de l'État intégral
28La confusion structurelle est le corollaire de cette ambition totalisante de l’État intégral31, qualificatif propre à cet État qui recherche une hégémonie parfaite et une domination sans restriction sur la société32. Les régimes autoritaires du Bénin et du Niger ont été les lieux d’expression de cet État intégral qui présente deux héritages saillants qui sont susceptibles d’avoir un impact sur la démocratisation, comme nous le verrons au chapitre 5 : la tradition de confusion institutionnelle (comment faire cohabiter les différentes institutions de la démocratie) et la politisation de l’armée (comment garder l’armée dans ses casernes en situation de démocratisation).
L'absence de différenciation institutionnelle dans les anciens régimes
29L’État intégral, dans ses ambitions démesurées, a pris le contrôle de l’ensemble de l’activité politique (et économique au Bénin marxiste) de ces pays. Cette mise sous tutelle devait avoir pour contrepartie le bonheur pour tous dont la charge revenait à l’État33. C’est cette prétention qui a donné naissance au mythe du développement34 qui justifiait le rejet du pluralisme, considéré incompatible avec la mobilisation optimale des énergies.
30C. Allen remarque que, contrairement à beaucoup d’autres États africains, le système politique du Bénin marxiste donnait juridiquement plus d’importance au législatif qu’à l’exécutif, alors que le président était simplement censé exécuter les décisions de l’Assemblée nationale révolutionnaire. Mais par le jeu du cumul des rôles, le président avait en réalité la haute main sur tout35. Si, en tant que chef de l’État, il n’avait pas de grands pouvoirs, de par ses autres attributions, il réalisait l’unicité du pouvoir en contrôlant les institutions significatives qu’étaient le gouvernement, l’Assemblée nationale et la justice. Les pouvoirs exorbitants du chef de l’État provenaient d’une logique simple : son rôle était prépondérant au sein du parti en sa qualité de président du parti, président du Comité central et de son Bureau politique. Or, selon la loi fondamentale, la soumission au Comité central était un principe de discipline, puisque le prpb était le parti d’avant-garde de la révolution, dominant toute la vie politique du pays. Le Comité central et son instance exécutive, le Bureau politique, détenant la réalité du pouvoir c’est le président de ces institutions, en l’occurrence le chef de l’État, qui détenait l’essentiel des pouvoirs du pays.
31L’unicité de direction se constate aussi à travers le pouvoir de nomination du Comité central (composé du président et de ses fidèles) qui s’étendait à l’ensemble des secteurs de la vie du pays, notamment au choix des candidats à l’anr. L’Assemblée devenait, de ce fait, une simple instance de ratification. C. Allen fait remarquer aussi que les commandants de garnisons, les préfets et les membres du Conseil exécutif national étaient responsables devant le Comité central36.
32Cette confusion institutionnelle se retrouvait aussi au Niger, quel que soit le régime en place, entre l’indépendance et les premières élections libres de 1993. La première République (1960-1974), bien que fondée sur une constitution formellement démocratique prévoyant le pluralisme politique et la séparation des pouvoirs, est rapidement devenue un régime de parti unique de fait. Aucune opposition n’y était tolérée et le parti unique contrôlait l’ensemble des pouvoirs. Cette situation explique le partage des rôles entre Hamani Diori, président de la République, et Boubou Hama, président de l’Assemblée nationale, pendant toute la durée de la première République. L’indépendance de la justice n’était que formelle, puisque cette dernière était utilisée aussi bien pour légitimer la répression des opposants par des décisions judiciaires que pour trancher des litiges privés que l’on pouvait gagner ou perdre selon que l’on possédât ou non la carte du parti au pouvoir.
33La confusion institutionnelle était encore plus évidente sous le régime du général Seyni Kountché. En tant que régime d’exception, il ne reposait même pas sur une constitution formelle. L’ensemble des pouvoirs était détenu par le CMS, conformément à la déclaration de prise de pouvoir du 15 avril 1974. Jusqu’en 1989, le Niger ne disposait pas de parlement. En matière de justice, Kountché n’entendait pas qu’elle soit indépendante. Pour lui, dit Soli Abdourahmane, ancien magistrat et ancien ministre, « la justice doit, quoi qu’il advienne, faire en sorte que les gros “paient pour les petits”37 ». Il mettait tout en œuvre pour dompter les magistrats qu’il gratifiait, sermonnait ou utilisait pour surveiller d’autres magistrats38.
34La mise en place des institutions de la deuxième République, en 1989, n’a pas mis fin à la tradition de confusion institutionnelle, dans la mesure même où le système était constitutionnellement un système de parti unique39. Les institutions devant être animées conformément à l’esprit du parti, leur direction était confiée à des membres du parti. Il en est de même de l’Assemblée nationale dont les membres étaient élus sur une liste préalablement arrêtée par le Conseil supérieur d’orientation nationale (CSON), l’instance suprême de l’État40. Celui-ci filtrait ainsi l’accès aux institutions selon la méthode du patronage. Le pouvoir judiciaire, bien que dit indépendant, n’était pas moins traversé par la logique monolithique inhérente au système de parti unique41.
La politisation de l'armée
35Dans le prolongement logique de la confusion structurelle, les régimes autoritaires ont politisé l’armée. Pour comprendre le processus de politisation de l’armée, c’est-à-dire comment la grande muette se transforme en prétorienne, il est judicieux de se référer à F. W. Riggs, qui part d’un fait apparemment anodin : tous les gouvernements contemporains ont des bureaucraties42 qui ont des intérêts propres et la capacité d’influer sur le système. La bureaucratie repose sur le salariat, car la survie des bureaucrates est subordonnée à un fonctionnement normal de l’appareil d’État. Quand le système ne peut plus assurer leur survie ou ne fonctionne pas à leur satisfaction, « quelques fonctionnaires occupant des postes stratégiques constatent que ce qu’ils ont de mieux à faire, et parfois la seule chose à faire est de s’emparer du pouvoir43 ». Le coup d’État est d’autant plus soutenu par les bureaucrates que l’État aura été défaillant par rapport à la préservation de leurs intérêts, répandant la crainte dans leurs rangs.
36Le postulat très utilitariste à partir duquel F. W. Riggs aborde le processus d’intrusion des militaires sur la scène politique n’occulte pas deux aspects de son analyse : il montre d’abord que le coup d’État survient généralement pendant une période de crise de confiance ou de dysfonctionnement ; et ensuite, que le coup d’État a non seulement des fonctions manifestes (des arguments destinés à le justifier, comme la volonté de résoudre les problèmes du pays), mais aussi des fonctions latentes (les intérêts personnels essentiellement).
37Au Niger, l’armée est restée à l’écart de la scène politique entre 1960 et 1974, à l’exception de la tentative de renversement du régime Diori, orchestrée par le capitaine Diallo en 1963. Le coup d’État du 15 avril 1974 a sonné le glas du caractère républicain de l’armée, qui dès lors s’est emparée de l’essentiel des fonctions de décision dans l’appareil d’État44. De 1974 à la conférence nationale de 1991, tous les gouvernements qui se sont succédé ont compté en leur sein des ministres militaires qui étaient même majoritaires au début. Les fonctions de préfet de département (au nombre de sept) et de préfet-président de la communauté urbaine de Niamey étaient quasi exclusivement réservées à des militaires. Ces derniers occupaient également une bonne partie des fonctions de sous-préfet, de chef de poste administratif et même de maire, d’ambassadeur ou de directeur de société. Non seulement toutes les fonctions politiques leur étaient ouvertes, mais aucune fonction technique ne leur était fermée.
38Dès 1979, le général Kountché avait commencé à insister sur le caractère « indispensable et irrévocable » du rôle politique de l’armée, même si son grand souci était, en fait, la consolidation de son pouvoir personnel. Cette volonté de rester au pouvoir a ainsi été constitutionnalisée en 1989. Alors qu’il aurait été possible de s’attendre à un recul du poids des militaires, leur domination a été réaffirmée dès le préambule de la Constitution du 24 septembre 1989, qui stipulait en son article 79 que « intégrées à tous les secteurs de la vie publique, les forces armées nationales exercent au même titre que les autres composantes de la nation, des responsabilités politiques et administratives ». Jusqu’à la mise en place des institutions de la deuxième République, les membres du Conseil militaire suprême avaient une large préséance sur les civils et une influence autrement plus importante. Quinze années de domination des militaires aussi bien dans les sphères politiques qu’administratives ont fait de l’appartenance au corps militaire, un formidable signe de pouvoir. Les affaires de l’Etat étaient traitées selon des méthodes militaires et les civils, qui devaient toujours leur nomination au parrainage d’officiers (au moins du chef de l’Etat), devaient se conformer au cadre tracé par les militaires. Cette situation a inversé la logique républicaine de soumission des militaires au pouvoir civil. Pendant près de deux décennies, s’est ainsi développée une culture de la crainte du soldat et de soumission des civils aux militaires qui n’évoquaient jamais la possibilité de leur remettre le pouvoir45.
39En comparaison avec l’armée nigérienne, l’armée béninoise a une plus vieille tradition d’intrusion dans la vie politique. Cependant, les deux armées n’ont pas légué le même héritage en ce qui a trait à leur rapport au pouvoir politique. Au Niger, les militaires ont pris le pouvoir pour ne plus le rendre contre un régime qui était lui-même totalement monolithique. À l’inverse, l’armée béninoise a longtemps mené des coups d’Etat dont les fonctions manifestes ne semblaient pas toujours être de simples façades cachant des fonctions latentes exclusives46.
40Si l’intrusion des militaires dans la vie politique est précoce, puisque le premier coup d’État date de la « Révolution d’octobre 1963 », A. Nononsi montre que, jusqu’à cette date, les militaires s’étaient opposés à toute politisation de l’armée. Le colonel Soglo lui-même, en sa qualité de chef d’état-major de l’armée, a refusé toute association au pouvoir, considérant que l’armée ne faisait pas de politique et n’avait donc rien à dire47. Ensuite, nombre des interventions des militaires ont fait suite à des dysfonctionnements graves de l’appareil d’État48. Ainsi, la Révolution d’octobre 1963 est survenue dans un contexte de grèves, de manifestations, de violences et de pillages ; le colonel Christophe Soglo n’a pris le pouvoir que sous la pression des manifestants et de certains leaders politiques49. Par ailleurs, les militaires ont organisé des élections dès 1964 et ont installé au pouvoir le duo Apithy-Ahomadégbè, respectivement comme président et vice-président. Mais les manœuvres du second pour évincer du pouvoir le premier ainsi qu’une mesure de réduction des salaires de 25 % ont conduit les militaires, toujours sous la direction de Soglo, à reprendre le pouvoir en novembre 1965 et à le confier au président de l’Assemblée nationale, Tahirou Congacou.
41C. Allen remarque ainsi que, pendant longtemps, l’armée n’a eu aucune intention de prendre le pouvoir pour elle-même. C’est le refus des trois leaders historiques de collaborer à la mise en place de nouvelles institutions qui a amené C. Soglo, devenu général, à reprendre le pouvoir dès décembre 1965 pour le conserver cette fois.
42Jusque-là, les militaires avaient plutôt procédé à des coups d’État primaires, selon la typologie de F. W. Riggs. En décembre 1967, est intervenu le premier coup d’État secondaire, marquant le renversement du gouvernement militaire du général C. Soglo par d’autres militaires, sous la direction du commandant Maurice Kouandété50. La présidence du Comité militaire de vigilance mis sur pied a été confiée au lieutenant-colonel Alphonse Alley, avec pour objectif le retour à un gouvernement civil. Les élections de l’année suivante ont été largement boycottées à l’appel des trois leaders historiques écartés du scrutin. Les militaires ont alors placé Emile Zinsou à la tête du pays en juillet 1968 pour le renverser dès décembre 1969, toujours à l’instigation de Maurice Kouandété, devenu lieutenantcolonel51. Le commandement militaire a mis en place un directoire militaire présidé par le lieutenant-colonel Paul Émile de Souza et comprenant les lieutenants-colonels Benoît Sinzoungan et Maurice Kouandété. Une fois encore, l’objectif assigné au directoire était l’organisation d’élections et le retour des militaires dans leurs casernes. Cette fois, les trois leaders historiques ont été autorisés à se présenter. Le scrutin de mars 1970 s’est révélé miné par l’ethnocentrisme. Les fraudes, les violences et les troubles consécutifs à l’annulation du vote dans le fief de Maga (Atacora) ont amené le directoire militaire à annuler l’ensemble des élections. Ce sont ces péripéties qui ont conduit à la mise en place du Conseil présidentiel (triumvirat à rotation biennale comprenant Maga, Apithy et Ahomadégbé) « dans un souci de préservation de l’unité nationale ».
43Ce Conseil allait être le dernier emblème du poids des civils dans la vie politique ainsi que des tergiversations des militaires entre 1960 et 1972. Les incessantes querelles au sein du Conseil ont donné l’occasion à un groupe de jeunes officiers mené par le commandant Mathieu Kérékou de prendre le pouvoir contre ce conseil qualifié de « monstre à trois têtes » avec, cette fois, la ferme intention de le garder. Comme le président Kountché du Niger, Kérékou ne parlait plus d’élections ou de retour des militaires dans leurs casernes. Au contraire, il affirmait que l’armée « ne faisait que reprendre ce qu’elle avait donné ».
44Avec le régime révolutionnaire et surtout après l’adoption du marxisme-léninisme, l’armée n’était plus simplement politisée, elle était « idéologisée ». Le Gouvernement militaire révolutionnaire installé au lendemain du putsch ne comprenait que des militaires, et ce n’est qu’à partir de 1976 que ceux-ci ont commencé à se retirer. Le marxisme-léninisme, dont les « théoriciens » étaient des civils majoritairement issus de la Ligue nationale de la jeunesse patriotique (lnjp), a ouvert la porte à un rôle plus important de l’élite civile, comme le prouve l’adjonction de personnalités (idéologues) civiles aux présidents militaires des districts. L’idéologie a aussi eu pour effet de subordonner l’armée au parti (prpb). L’article 10 de la loi fondamentale stipulait que « les forces armées populaires de la République populaire du Bénin sont dirigées par le Parti de la révolution populaire du Bénin et lui doivent fidélité ». L’objectif de cette transformation idéologique consistait à faire des forces armées « les piliers solides de la dictature révolutionnaire des masses opprimées et exploitées du pays52 ».
45Dans les casernes, des comités révolutionnaires de garnison ont été créés et, aux termes de l’article 123 de la loi fondamentale, tout militaire béninois pouvait être candidat à un mandat électif sans avoir à démissionner. Les militaires étaient représentés dans toutes les structures et institutions du pays comme les structures de base du parti, le Comité central du parti, son Bureau politique et l’Assemblée nationale. La vie quotidienne était au rythme militaire, comme le démontrait l’activisme des comités de défense de la révolution et la militarisation de « l’école nouvelle53 ».
46L’armée a donc profondément investi le champ politique durant la période révolutionnaire et, en 1989 encore, A. Nononsi écrivait à juste titre que malgré la « civilisation » du régime, « les militaires, de moins en moins nombreux dans les organes centraux du parti et de l’État (seize militaires pour vingt-neuf civils au Comité central ; trois militaires pour huit civils au Bureau politique) sont toujours assez influents dans le parti54 ».
47En définitive, du point de vue de leur nature institutionnelle, les anciens régimes se caractérisaient par l’absorption de la société civile, l’extrême concentration du pouvoir, l’absence de différentiation institutionnelle et la politisation de l’armée. Si, comme le soutiennent les néo-institutionnalistes, les institutions ont une grande capacité à s’autoreproduire et à modeler leur environnement malgré d’éventuels efforts pour les en empêcher55, l’entreprise de démocratisation fait alors face au défi (sur lequel nous nous penchons au chapitre 5) variant selon les formes institutionnelles de l’ancien régime.
Les pratiques politiques des pouvoirs prédémocratiques
48La nature institutionnelle des anciens régimes du Bénin et du Niger va de pair avec des pratiques politiques corrélatives qui sont importantes du point de vue de l’enracinement éventuel de la démocratie naissante. D’une part, la patrimonialisation du pouvoir qui implique une personnalisation et une clientélisation des relations d’autorité, alors que la démocratie suppose la transparence et des relations de type institutionnel ; d’autre part, la négation de la citoyenneté matérialisée par la limitation de la compétition et de la participation politiques, dont l’apprentissage préalable peut être présenté comme facilitant la démocratie56.
49L’étude de ces pratiques s’impose dans la perspective des chapitres 5, 6 et 7. Il s’agira alors de s’interroger sur la continuité ou la rupture entre ces pratiques politiques de l’ancien régime et celles du « renouveau » et, subséquemment, sur les conséquences de cette situation sur les trajectoires de la démocratisation.
Une même tradition néopatrimoniale
50La thématique du (néo)patrimonialisme a fait l’objet d’une bonne partie des travaux sur l’État et le pouvoir en Afrique noire. J.-F. Médard a adapté aux États africains contemporains la notion de patrimonialisme qui est, chez Max Weber, un sous-type idéal de la domination traditionnelle57. L’ajout du préfixe néo (d’où le néopatrimonialisme) lui paraît alors plus indiqué pour rendre compte d’une situation où des pratiques de type patrimoniale prévalent non pas dans une société traditionnelle, mais dans un État formellement de type légal rationnel. Il y a donc derrière ce concept l’idée d’un décalage entre les pratiques politiques et les cadres institutionnels. Alors que la domination légale-rationnelle requiert une distinction entre le public et le privé58, et des relations d’autorité impersonnelles, dans la domination patrimoniale,
le chef patrimonial gère toutes les affaires politiques administratives ou judiciaires comme s’il s’agissait d’affaires personnelles, de la même façon qu’il exploite son domaine comme s’il s’agissait de propriétés privées. [...] Ses collaborateurs sont choisis parmi les fidèles et les dépendants, qu’il s’agisse de parents, de compagnons d’esclaves ou de clients59.
51J.-F. Médard reprend à son compte l’idée que « les États africains peuvent varier dans leur idéologie, leur développement économique, le style de leur leadership [...], mais ils ont tous d’une façon significative, un noyau patrimonial commun60 ». Deux types de pratiques les caractérisent : l’extrême personnalisation du pouvoir et la clientélisation/privatisation des relations d’autorité.
La tradition de la personnalisation du pouvoir
52Dans le cas du Bénin, la période révolutionnaire est particulièrement utile pour illustrer la prééminence de la tradition de personnalisation du pouvoir. En dépit des textes juridiques, le pouvoir était concentré entre les mains de Mathieu Kérékou qui était le véritable chef d’orchestre de l’activité politique. C. Allen montre qu’après l’élimination du capitaine Michel Aïkpé61 en 1975, Kérékou a entrepris de transformer le système politique en centralisant le pouvoir par le biais d’appareils au sein desquel il jouait le rôle principal, notamment le Comité central du parti, le cabinet présidentiel et le bureau permanent de l’Assemblée. Par ailleurs, par le biais de la rotation de l’élite militaire, Kérékou était parvenu à éloigner la plupart des officiers supérieurs en les nommant, par exemple, à la tête des sociétés d’État et en assurant la promotion aux postes militaires stratégiques de jeunes officiers qui lui étaient personnellement loyaux62. Les péripéties qui ont conduit successivement à l’arrestation du capitaine Janvier Assogba, à l’élimination du capitaine Ai'kpé, à la disgrâce de Hilaire Badjogoumé et François Kouyami ou, inversement, à la promotion d’officiers comme Vincent Guézodjè et Martin Dohou Azohinho participaient toutes des luttes pour le contrôle total du pouvoir, comme cela arrive en général après un coup d’État63. Tout le corporatisme, l’organisation pyramidale des organes du parti ainsi que la structuration de l’autorité administrative, dont les principaux responsables dépendaient du chef de l’État, concourraient à assurer à celui-ci un contrôle personnel du pouvoir d’État.
53Cette personnalisation du pouvoir est aussi relevée par T. E. Vittin. D’une part, le pouvoir assurait sa stabilité à travers l’orchestration de la circulation des élites, notamment à la fin des années 1970 qui ont vu la prolifération des entreprises publiques. D’autre part, le chef de l’État est devenu l’arbitre entre les factions tout en construisant un réseau de loyautés personnelles64. Il a pu instaurer un système personnalisé faisant de lui celui qui fait et défait les carrières politiques65.
54À travers son réseau de loyautés, Kérékou maîtrisait ainsi l’ensemble du système de décision. Tel qu’il est mentionné plus haut, contrairement à ce que proclamaient les énoncés officiels qui font du Congrès l’organe de direction du parti, c’est le Bureau politique, émanation du Comité central, qui était le véritable organe de décision66. Or, par une habile orchestration, le chef de l’État était le président du Comité central du parti et, à ce titre, président du Bureau politique. Il devenait ainsi juge et partie dans la mesure où si l’élection était du ressort de l’anr aux termes de l’article 53 de la loi fondamentale, sa candidature était proposée par le Comité central, qu’il dirigeait par ailleurs. Tout était donc agencé de sorte que le pouvoir de décision soit fermement entre les mains de Kérékou. Étant donné que, conformément à l’article 29 des statuts du parti, « tous les organes et organismes révolutionnaires sont soumis à la direction exclusive du parti », et étant donné que, dans les faits, le parti était soumis à la direction exclusive de Mathieu Kérékou, tous les organes et organismes révolutionnaires étaient soumis à la direction exclusive de Kérékou. Son élection par l’Assemblée nationale révolutionnaire allait donc de soi, tout comme sa mainmise totale sur la gestion du personnel politique et administratif de l’État. C’est dans ce sens que A. Nononsi a pu écrire que :
La concentration et l’unité de pouvoir réalisées au profit du chef du parti, président du Comité central, président de la République, chef de l’État, chef du gouvernement, président de la commission de défense et de sécurité, ministre de la Défense et des Forces armées populaires, font de Kérékou, l’homme fort du régime, l’élément équilibreur entre les forces de gauche et de droite67.
55Cette tradition de personnalisation du pouvoir s’est construite de la même façon au Niger, même si les structures permettant d’assurer la loyauté ont varié selon les régimes et, par rapport au cas béninois, sans la dimension idéologique. Durant la première République, le président Diori a dû faire face simultanément à deux fronts pour consolider son pouvoir et ce, dès les premières années de l’indépendance : l’opposition dirigée par Djibo Bakari et son parti, l’Union démocratique nigérienne (udn), et les concurrents potentiels au sein de son propre parti, le Parti progressiste nigérien (ppn). C’est pourquoi :
Diori avait fort à faire pour affermir son pouvoir. Sa première tâche [a été] d’asseoir l’hégémonie de son parti. Djibo Bakari s’étant prudemment réfugié à l’étranger, le Sawaba (udn) [a été] interdit. Rapidement, les partenaires et concurrents potentiels [ont été] intégrés au PPN pour être écartés plus tard en douceur (comme Issoufou Djermakoye, nommé représentant à l’ONU) ou éliminés plus brutalement68.
56Par le biais du corporatisme, notamment le Commissariat à la promotion humaine et la milice, Diori a réussi à construire son propre réseau de loyautés sur lequel il s’appuyait plus que sur le parti. Tout comme dans le cas du Bénin, une lecture juridique n’est pas heuristique ici. En effet, malgré ses compétences officielles, le parti unique ne détenait pas de grands pouvoirs dans les faits. R. Charlick montre comment Diori a laminé son propre parti afin de construire son pouvoir personnel : tant que le parti servait à construire un réseau de fidèles, Diori s’était appuyé sur lui. Une fois que ses objectifs ont été atteints, il a laissé le parti s’atrophier à tous les niveaux, au point que selon R. Charlick, le Niger était devenu un État sans parti, dominé par le président et la frange élitiste de ses soutiens69.
57Avec l’arrivée au pouvoir de Seyni Kountché, le régime militaire a très rapidement connu sa phase de « lutte de clarification70 », comme cela est arrivé au Bénin après le coup d’État de Kérékou. Si Kountché était le chef de l’armée au moment du putsch,
sa prééminence n’allait pas de soi car c’est de façon collégiale que le Conseil militaire suprême l’avait porté à la présidence. Son pouvoir réel était totalement à construire. En fait, de son apparition sur la scène politique jusqu’à sa mort (de 1974 à 1987), la stratégie constante de Kountché aura consisté à éliminer progressivement les hommes dont il était peu sûr et, surtout, ses adversaires potentiels71.
58Comme Mathieu Kérékou, mais sans l’appareil d’un parti, il a construit progressivement sa chaîne d’allégeances, ce qui a abouti à concentrer naturellement le pouvoir entre ses mains. Des compagnons du putsch comme Sani Souna Siddo, Cyrille Gabriel, Boulama Manga et Adamou Harouna ont été arrêtés tour à tour. Certains ont même été physiquement éliminés, comme Sani Souna Siddo, assassiné en détention, ou, comme Moussa Bayéré et Sidi Mohamed, fusillés pour tentative de coup d’État en 1976.
59Au départ collégial, le Conseil militaire suprême est devenu, à ce prix, totalement dominé par Kountché. En plus de la direction du cms, le chef de l’État était aussi le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Défense nationale et même, un temps, chef d’état-major général de l’armée avant que ce dernier poste soit finalement cédé à Ali Saïbou, un fidèle parmi les fidèles qui lui a succédé après sa mort en 1987. En fait, la stratégie de personnalisation du pouvoir a si bien fonctionné que :
En 1987, au décès de Kountché, un seul des membres du gouvernement militaire provisoire d’avril 1974 demeurait encore à un poste stratégique : Ali Saïbou, chef d’état-major général de l’armée. [...] Sur les dix autres, cinq étaient assignés à résidence, en prison ou avaient été exécutés ; deux étaient ambassadeurs à l’étranger ; un était préfet de Zinder ; un autre était malade ; le dernier enfin était à la retraite après n’avoir occupé, depuis longtemps, que des fonctions honorifiques72.
60L’autre stratégie utilisée par Seyni Kountché, qui n’est pas sans rappeler la position d’arbitre de Kérékou, résidait dans la gestion de l’élite civile et militaire par le procédé de la rotation fréquente. En sa qualité de président du cms, chef de l’État, aucune nomination ne pouvait être faite sans son approbation. Cette manipulation du positionnement des acteurs des scènes politique et administrative visait non seulement à prévenir les oppositions par leur cooptation dans les cercles du pouvoir, mais aussi, une fois qu’ils y étaient, à éviter qu’ils prennent racine (en raison de la patrimonialisation des positions d’autorité) et prennent de l’envergure73. Kountché était donc assurément le seul maître à bord du bateau nigérien, comme il l’a dit lui-même dès 1975, après l’arrestation du numéro deux du cms, le commandant Sani Souna Siddo74. Kérékou occupait la même position depuis l’arrestation du capitaine Assogba et l’élimination physique du capitaine Aïkpé.
61À la mort de Kountché, son successeur, Ali Saïbou, n’avait pas l’ascendant sur d’autres collègues militaires, mais lui aussi ne tarda pas à adopter les vieilles méthodes qui consistaient à écarter les concurrents directs. Il n’a pas utilisé la violence et la prison comme Kountché ou Kérékou, mais plutôt les nominations à des postes d’ambassadeur ou de préfet. Contrairement à Kountché dont il éloigna les fidèles en douceur, il a disposé, à partir de 1989, des structures du parti unique chargées de drainer les allégeances en faveur du chef du parti, chef de l’État.
62En résumé, au-delà de leur caractère centralisé et corporatiste, le Bénin et le Niger prédémocratiques ont été les foyers d’une tradition de pouvoirs personnels. Or, le problème qui se pose ici est ainsi exposé par J.-F. Médard : « L’envers de la personnalisation des relations politico-administratives, c’est l’échec de l’institutionnalisation du pouvoir, et donc de l’État. Une des conséquences, c’est le règne de l’arbitraire et la tendance à l’autoritarisme75. » C’est aussi sur ce plan que l’héritage peut être lourd à gérer une fois le processus de démocratisation lancé, car « si l’État moderne suppose l’institutionnalisation du pouvoir, l’État démocratique exige doublement des mécanismes institutionnels permettant de limiter l’arbitraire du pouvoir76 ».
Néopatrimonialisme et dientélisation des relations de pouvoir
63Dans l’État néopatrimonial, nous dit J.-F. Médard, c’est le pouvoir politique qui entraîne le pouvoir économique et non l’inverse, d’où l’importance stratégique de l’accès à l’État. D’une part, la clientélisation du pouvoir est inéluctable dès lors que « la politique devient une sorte de business dont les deux monnaies d’échange substituables sont l’argent et les relations [de sorte que] le capital matériel et le capital symbolique jouent en interaction » ; d’autre part, le clientélisme est aussi le résultat d’une absence d’institutionnalisation qui rend possible la prééminence d’un big man concentrant tout entre ses mains et autour duquel gravite toute l’activité politique et économique du pays77. Se met ainsi en place un système néopatrimonial dans lequel un compromis est improbable entre les acteurs politiques, puisque l’objectif de chacun d’entre eux est d’emporter seul toute la mise78. Dans ces conditions, il est légitime de craindre que les phénomènes de patronage et d’appropriation privée des biens publics caractéristiques de l’ancien régime se reproduisent à l’ère du renouveau démocratique, comme nous le verrons au chapitre 7.
64Suivant cette logique du néopatrimonialisme, les oppositions et les intrigues qui ont structuré la vie politique béninoise entre 1960 et 1972 ne résultaient pas véritablement de clivages idéologiques, mais plutôt de la lutte pour l’accès à l’État. C’est en raison de cette lutte pour les ressources que le Conseil présidentiel tournant n’a pas survécu à la première alternance en 1972, les hommes de H. Maga ne voulant pas laisser la place à ceux de son successeur J. Ahomadégbè79. Le régime révolutionnaire aurait pu rompre fondamentalement avec le clientélisme, le patronage et la corruption en raison de sa rhétorique, mais il n’en a pas été ainsi. Kérékou est passé maître dans l’art de la cooptation et de la mise en grâce ou en disgrâce, alors que ce pouvoir de faire et de défaire les carrières rendait les promus directement dépendants de lui pour leur maintien. Les principes mêmes du parti, notamment ceux de discipline80, en insistant sur la soumission des membres, favorisaient cette dientélisation des relations de pouvoir. Une stratégie d’achat de la loyauté des élites était également utilisée par Kérékou. C’est du reste cette tradition des dons et des commissions qui a présidé à la rupture de ce dernier avec des officiers comme Hilaire Badjogoumé ou Janvier Assogba81.
65Un esprit similaire se retrouve au Niger du général Seyni Kountché, sans la dimension idéologique toutefois. Kountché, qui voulait contrôler l’ensemble des responsables administratifs et politiques, recevait les promus pour donner un caractère plus personnel à la relation de pouvoir. Le clientélisme se voyait aussi à travers le traitement de faveur réservé aux officiers. Chaque fin de semaine, ceux qui occupaient des positions névralgiques recevaient leur « enveloppe », selon l’euphémisme. Le « patron » s’assurait ainsi la loyauté de nombre d’entre eux, ce qui, dans la perspective de l’ère démocratique, complique les chances de voir retourner dans leurs casernes des officiers habitués au luxe et à la facilité.
La faible mais asymétrique socialisation démocratique sous les anciens régimes
66Il ne s’agit pas ici de faire de la culture citoyenne un prérequis à la démocratie, T. L. Karl et P. Schmitter ayant mis en garde contre les prérequis de cette nature82. Mais, dans une perspective néo-institutionnelle, le degré d’étouffement de la compétition et de la participation politiques sous l’ancien régime contribue à expliquer les trajectoires de la démocratisation83. Cependant, la démocratie suppose une expression pacifique des divergences politiques qui doit reposer sur une connaissance des mécanismes démocratiques. Or, G. Ferrero a fait remarquer que « si l’on dit brusquement à une masse de millions d’hommes et de femmes habitués à obéir : “Vous êtes souverains, gouvernez”, Dieu sait ce qui va arriver. La démocratie aussi, comme tous les pouvoirs, doit être organisée, préparée, entraînée84. »
67Deux exigences essentielles sont au cœur de tout apprentissage démocratique, selon R. Dahl : le principe de la compétition et le rituel de la participation85. Sur ces deux aspects, les régimes prédémocratiques du Bénin et du Niger ont connu des déficits importants, quoique inégaux : l’héritage du Bénin est paradoxalement moins négatif, que l’on considère la décennie postindépendance ou la période révolutionnaire.
68Dans le cas du Bénin, la vie politique postindépendance présente un paradoxe en ce qui a trait à l’apprentissage de la participation et de la compétition politiques, qui sont les piliers de la représentation. Entre 1960 et 1970, l’instabilité politique n’a pas empêché la tenue (bien que par à-coups) d’élections présidentielles et législatives dans l’intervalle des coups d’Etat. Des élections ont été tenues dans l’année qui a suivi les coups d’Etat d’octobre 1963, de décembre 1967 et de décembre 1969. Toutefois, les tentatives de retour à un pouvoir civil démocratiquement élu ont toujours connu de sérieuses limites. Toutes les élections ont été pluralistes et concurrentielles, mais aucune n’a pu se dérouler sans de graves irrégularités. Aucune n’a débouché sur un pouvoir reconnu et stable et, de ce fait, il n’y a pas eu de routinisation : par les irrégularités et les oppositions qu’il suscitait, chaque scrutin ouvrait la voie à un autre coup d’Etat ou à l’abandon des résultats au profit soit d’un compromis partiel (gouvernement Apithy-Ahomadégbè, excluant Maga en 1964), soit d’une nomination par les militaires (gouvernement Congacou en 1965 et Zinsou en 1968), soit encore d’une formule inédite (triumvirat en 1970). Malgré ces défaillances, l’esprit pluraliste, le goût de la participation et le principe de la compétition politiques avaient néanmoins progressé au Bénin, comme le prouvaient les mobilisations partisanes autour des grands leaders, même si, paradoxalement, elles se faisaient sur des bases ethnorégionales.
69C’est là une différence avec le Niger qui, durant toute la première République (1960-1974), n’a connu qu’un électoralisme vide de sincérité et de compétition. On se conformait au rituel, mais on savait que Diori serait toujours plébiscité à près de 100 %, que la liste unique du parti unique gagnerait les législatives avec un score tout aussi honorable, et que Boubou Hama resterait le président de l’Assemblée nationale. Ainsi, la participation des Nigériens à ces scrutins n’était qu’une mise en scène, puisque le régime cherchait à se légitimer sur le mode du plébiscite. Du point de vue de la construction d’une culture de la compétition politique, le régime monolithique de la première République a empêché tout apprentissage en supprimant toute opposition. Par conséquent, il ne pouvait être question d’une lutte concurrentielle pour la conquête du pouvoir et le peuple n’avait d’autre choix que de plébisciter le président et de ratifier une liste fixée à l’avance. Obtenir l’investiture du parti unique pour un candidat à l’Assemblée nationale mettait à l’abri de toute surprise, l’investiture équivalant à l’élection. Contrairement au Bénin, où de vastes mobilisations concurrentielles, l’engagement partisan et les joutes électorales se sont périodiquement déroulés entre 1960 et 1972, toute dissidence avant été tue au Niger dès 1960.
70L’arrivée des militaires au pouvoir en 1974 n’a pas non plus permis cet apprentissage, puisque le régime militaire excluait toute compétition politique (les partis et activités politiques ayant été évidemment suspendus), ce qui empêchait, de fait, toute participation populaire véritable86. Parvenus au pouvoir par les armes, les militaires n’ont jamais organisé d’élections libres qui auraient mis leur pouvoir en jeu dans un scrutin concurrentiel. Ce n’est que le 14 juin 1987 qu’a été organisée une élection nationale, à savoir le référendum sur la charte nationale, elle-même organisée selon le mode du plébiscite. Ce scrutin encadré a été suivi du référendum constitutionnel du 24 septembre 1989 et des élections législatives et présidentielles du 10 décembre 1989, qui ont abouti au plébiscite de Ali Saïbou (99,60 % de votes favorables) et des 93 députés de la liste unique du MNSD (Mouvement national pour la société de développement). C’était là une simple reproduction des pratiques électorales de la première République. L’apport de ces scrutins en termes d’apprentissage a été marginal. D’une part, en ce qui a trait à la compétition politique, ces scrutins non concurrentiels, engageant le seul parti unique, s’inscrivaient dans la tradition du plébiscite avec des résultats qui avoisinaient la perfection et cachaient mal leur pur formalisme. D’autre part, en ce qui a trait à la participation politique, comme le relève R. Charlick, les conseils de développement n’ont pas davantage ouvert la participation aux élites locales (ni aux populations), notamment parce que ces conseils, dits démocratiques, étaient dirigés de droit par les préfets et sous-préfets militaires fidèles au régime87.
71Le Bénin révolutionnaire diffère par un système semi-compétitif dès 1973, avec la réforme qui a institué les conseils de la révolution sur les plans de la province, du district, de la commune et du village, en dépit de l’emprise tentaculaire du parti sur tous les secteurs de la vie du pays88. C. Allen insiste longuement sur le mode de désignation semi-compétitif des membres des trois institutions correspondant à chaque palier administratif : le Conseil révolutionnaire, qui était totalement ou partiellement élu ; un organe administratif (comité ou secrétariat selon le palier) ; un responsable élu par le Conseil révolutionnaire89.
72En 1979, six ans après l’institution des conseils révolutionnaires, des élections ont été organisées pour installer l’Assemblée nationale révolutionnaire. En 1984 et en 1989, d’autres élections ont été convoquées pour renouveler l’anr. La représentation à l’Assemblée se faisait par corporation et la liste des candidats était arrêtée par le Comité central du parti, mais après des séances populaires de critique et d’autocritique qui, elles, étaient semi-compétitives.
73Malgré l’introduction d’une dose de compétition, A. D. Adamon a raison d’insister sur le caractère superficiel de ces scrutins90. Mais d’un point de vue comparatif, il est possible de déduire que le processus démocratique a pris place dans un contexte où la familiarisation avec les principes démocratiques était plus développée au Bénin qu’au Niger. Qu’il s’agisse de la fréquence, de la sincérité ou de l’extension à la base du vote, ou encore de l’influence de la base sur le processus de décision, le Bénin les a mieux développées91.
74Les trajectoires de la démocratisation dépendent aussi des traditions institutionnelles et politiques forgées par les systèmes antérieurs. Plusieurs différences notables apparaissent dans les deux cas en termes de personnalisation du pouvoir, d’étouffement de la société civile, de politisation de l’armée, de pratique des rituels démocratiques. Si M. Bratton et N. van de Walle, en institutionnalistes, ont raison de soutenir que le succès de la démocratisation est affecté par les institutions antérieures, notamment les traditions de participation et surtout de compétition politiques92, les différences de nature et de pratiques des anciens régimes que nous venons de constater entre le Bénin et le Niger auront leur importance pour expliquer les trajectoires contrastées des deux pays. En admettant que les chances de consolidation démocratique sont facilitées par l’existence de traditions de compétition et de participation politiques, comme nous l’avons maintes fois soutenu, et sachant que l’apprentissage démocratique a été plus développé au Bénin qu’au Niger, il est possible d’envisager une trajectoire plus positive pour le Bénin. Les chapitres 5 et 6 reviendront sur ces aspects.
Notes de bas de page
1 Gérard Conac, « Les processus démocratiques en Afrique », dans Gérard Conac (dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993.
2 C. Young défend l’idée selon laquelle les difficultés de l’État postcolonial s’expliquent aussi par l’héritage d’institutions à l’origine destinées à assurer la domination étrangère. Voir Crawford Young, The African Colonial State in Comparative Perspective, New Haven/Londres, Yale University Press, 1994, p. 244.
3 Ibid., p. 287 et suivantes.
4 Le pays a connu 10 présidents durant cette période. Par exemple, le général Christophe Soglo n’est resté au pouvoir après son second coup d’État que durant deux ans (décembre 1965-décembre 1967) pour être renversé à son tour par le commandant Maurice Kouandété. Il s’agit d’une longévité déjà appréciable en comparaison à d’autres cas : Émile Zinsou, 15 mois ; Alphonse Alley, 6 mois ; Paul Émile de Souza, 6 mois ; Justin Ahomadégbè, 6 mois.
5 D’un point de vue politique, C. Allen s’inscrit dans cette perspective lorsqu’il parle de « laxisme-béninisme ». Selon lui, le régime Kérékou n’était pas un régime marxiste pour trois raisons : d’abord, le rôle du parti était plus proche des partis uniques africains ordinaires que d’un parti marxiste ; ensuite, l’adoption de l’idéologie marxiste n’avait pour but que d’incorporer la gauche estudiantine et d’attirer les fonds du bloc soviétique ; enfin, l’ensemble du système politique, que ce soit dans sa genèse, sa nature ou son fonctionnement, ressemblait plus aux systèmes en vigueur en Côte-d’Ivoire ou au Cameroun qu’à ceux en vigueur au Mozambique ou en Éthiopie. Voir Chris Allen, « “Goodbye to All That”: The Short and Sad Story of Socialism in Benin », dans ‘Democratic Renewal’ in Africa : Two Essays on Benin, Édinbourg, Centre of African Studies, Edinburgh University, « Occasional papers » no 40, 1992b, p. 30-33. D’un point de vue économique, F. Godin va dans le même sens en montrant le caractère contradictoire de l’État. Ainsi, en matière monétaire, elle s’étonne que malgré la politique nationaliste, le Bénin n’ait pas rompu avec la zone franc. De plus, le modèle d’accumulation se caractérisait, en ce qui concerne l’origine des capitaux, par un accroissement de l’investissement extérieur à partir de 1977 déjà et, en ce qui concerne les rapports de production, par la soumission de la structure productive béninoise au marché capitaliste mondial. Voir Francine GODIN, Bénin, 1972-1982. La logique de l’État africain, Paris, L’Harmattan, 1986, p. 45-49.
6 C’est à cette conclusion que parvient V. Ochilet en montrant que le marxisme-léninisme était simplement instrumentalisé à des fins de quadrillage de la population et de pérennisation du pouvoir. Il assure que le Bénin n’était pas marxiste, ajoutant que les Soviétiques le classaient parmi les pays « à orientation socialiste », voire « qui se disent à orientation socialiste » (Vincent Ochilet, « L’expérience du marxisme-léninisme en République populaire du Bénin », mémoire de dea d’études africaines, Bordeaux, cean, 1990, p. 237).
7 F. Godin, 1986, p. 273.
8 Ibid., p. 281. Toutes ces organisations étaient des démembrements du Conseil national de la révolution et avaient pour but de faciliter son travail d’éducation révolutionnaire. En tant qu’organisations de masse du prpb après la création de ce dernier, les car sont devenus les Comités révolutionnaires de garnison (crg), les coj sont devenus l’Organisation de la jeunesse révolutionnaire du Bénin (ojrb) et les COF sont devenus l’Organisation des femmes révolutionnaires du Bénin (ofrb).
9 Aristide Nononsi, « Étude d’un parti politique africain à orientation marxiste : le Parti de la révolution populaire du Bénin », mémoire de DEA d’études africaines, Bordeaux, cean, 1989, p. 49.
10 Théophile E. Vittin, « Bénin : du système Kérékou au renouveau démodémocratique », dans Jean-François Médard (dir.), États d’Afrique noire. Formation, mécanismes et crise, Paris, Karthala/ cean, 1991, p. 100-103.
11 Pour une idée de la répartition complète des sièges de l’ANR, voir V. Ochilet, 1990, p. 82, tableau no 1.
12 Pearl Robinson, cité par Robert Charlick, Niger: Personal Rule and Survival in the Sahel, Boulder/San Francisco, Westview Press, 1991, p. 66 et 159.
13 Roland Colin, « Dynamiques populistes et cristallisations institutionnelles (1960-1990) », Politique africaine, no 38, juin 1990, p. 31.
14 Ce concept problématique de populisme est employé ici en référence, empiriquement, au discours des pouvoirs qui mettent l’accent sur « le peuple » et « le développement à la base » et qui prétendent construire une « démocratie » et « le bonheur pour le peuple ». Ces éléments se retrouvent au Bénin et au Niger indépendamment de la nature des anciens régimes. C’est également le cas dans les régimes populistes d’Amérique latine avec, toutefois, d’autres aspects discriminants. Voir Michael Löwy, « Populisme, nationalisme et indépendance de classe en Amérique latine », dans Le populisme en Amérique latine, Paris, Institut international de recherche et de formation, « Cahiers d’étude et de recherche » no 6, 1987, p. 3-6 ; Carlos M. Vilas, « Le populisme comme stratégie d’accumulation : l’Amérique latine », dans Le populisme en Amérique latine, Paris, Institut international de recherche et de formation, « Cahiers d’étude et de recherche » no 6, 1987, p. 31-34. Le populisme se caractérise aussi par un nationalisme et la présence d’un leader central. Paradoxalement cependant, tout est ficelé pour éviter « les débordements et les excès des classes populaires » et assurer à l’État « le rôle de garant suprême de l’harmonie sociale » (ibid., p. 34). Pour plus de détails sur ce concept (historique, acceptions, dimensions, configuration dans les différents pays d’Amérique latine), voir les différentes contributions dans le même numéro.
15 Claude Raynaut et Souleymane Abba, « Trente ans d’indépendance. Repères et tendances », Politique africaine, no 38, juin 1990, p. 10.
16 R. Charlick, 1991, p. 84.
17 R. Charlick montre que tant que René Delanne dirigeait l’untn, le syndicat était si faible politiquement qu’il soutenait la politique dite « d’investissement humain » du régime, une pratique condamnée en tant que travail forcé par l’Organisation internationale du travail (ibid., p. 85).
18 Ibid., p. 86.
19 R. Colin, 1990, p. 31.
20 Les Samariya sont des associations traditionnelles de jeunes existant surtout en milieu Haoussa. Ces associations ont été adaptées aux besoins du corporatisme. Elles étaient ainsi encadrées par des adultes fidèles au pouvoir, qui les déviaient de leurs activités traditionnelles pour en faire des leviers de soutien au régime.
21 Pour plus de détails, voir R. Colin, 1991, p. 36-37.
22 Ibid., p. 37.
23 Par exemple, à l’occasion du traditionnel discours du Ier mai, le secrétaire général Boureima Maïnassara déclarait encore en 1989 que « organisation syndicale apolitique, l’USTN apportera son précieux concours à la réalisation du programme d’action du MNSD (le parti unique) et du Conseil national de développement » (Union des syndicats des travailleurs du Niger, Le Travailleur, no 3, Niamey, 1989, p. 4).
24 Ces derniers restaient toutefois minoritaires, avec 30 membres sur les 69 que comptait le Conseil.
25 A. Nononsi, 1989, p. 18.
26 Parti de la révolution populaire du Bénin, Statuts, Cotonou, 1975, chapitre 10, article 30.
27 Parti de la révolution populaire du Bénin, Statuts, Cotonou, 1975, articles 15 à 26.
28 A. Nononsi, 1989, p. 45.
29 V. Ochilet, 1990, p. 3Z.
30 Le Secrétariat politique a pris ensuite l’appellation de Secrétariat administratif à la suite de la mise en cause, puis de la démission du premier secrétaire politique, le colonel Amadou Seyni, dans les événements du 9 février 1990, au cours desquels les forces de l’ordre ont tiré sur les étudiants, tuant trois d’entre eux.
31 Cette expression (État intégral) est empruntée à C. Young qui s’inspire luimême de C. Coulon et J. Copans. Voir C. Young, 1994, p. Z87.
32 C. Young, 1994, p. 288.
33 Dans le discours d’orientation nationale du 30 novembre 1974, Kérékou a laissé entendre cet engagement : « Nous proclamons solennellement ce jour, samedi 30 novembre 1974, que la société nouvelle où il fera bon vivre pour chaque Béninoise et pour chaque Béninois, sera la société socialiste. » Pour sa part, Kountché a justifié son coup d’État par « l’indifférence du régime à l’endroit du peuple auquel il prétendait assurer le bonheur » et a promis d’épargner la famine au peuple.
34 C. Young a cherché les relations entre idéologies et performances en matière de développement en comparant les pays africains d’orientation socialiste et libérale. Il conclut que, dans les deux cas, il n’y a pas de causalité, mais des ambiguïtés. Voir Crawford Young, Ideology and Development in Africa, New Haven, Yale University Press, 1982, p. 1-21 et 324.
35 Chris Allen, « Benin », dans Chris Allen et al., Marxist Regimes : Benin, the Congo, Burkina Faso — Economics, Politics and Society, Londres, Printer, 1989, p. 51-52 et 122-123.
36 C. Allen, 1989, p. 52.
37 Abdourahmane Soli, La Conférence nationale du Niger, Niamey, Imprimerie des arts graphiques du Niger, 1992, p. 6.
38 Ibid., p. 5-8.
39 Le titre V de la constitution nigérienne du 24 septembre 1989 était consacré au parti unique. Aux termes de l’article 16, « le système politique nigérien est fondé sur le principe d’un mouvement politique assurant en son sein la libre expression des opinions et des sensibilités idéologiques, le Mouvement national pour la société de développement (mnsd) ».
40 Niger, Constitution du 24 septembre 1989, article 21.
41 Si l’article 85 de la constitution du Niger stipulait que « les juges ne sont soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi » et prévoyait un Conseil supérieur de la magistrature, l’article 19 ne stipulait pas moins que « la direction du pays repose sur le principe de l’unicité de direction de l’État et du parti ».
42 F. W. Riggs appelle systèmes bureaucratiques « les formes de gouvernement militaro-autoritaires » (Fred W. Riggs, « Fragilité des régimes du tiers-monde », Revue internationale des sciences sociales, no 136, mai 1993, p. 238).
43 Cet auteur distingue deux types de coups d’État : les coups d’État primaires, « lorsque le pouvoir bureaucratique l’a emporté sur des institutions extra- bureaucratiques plus faibles, incapables de résoudre les problèmes auxquels est confronté le pays » et les coups d’État secondaires, « qui ne font que rendre compte du pouvoir relatif des factions bureaucratiques rivales » (ibid., p. 241).
44 A. Niandou Souley montre que les civils ont accédé à de pareilles fonctions selon trois étapes : d’abord, il y a eu des secrétaires d’État civils dans le gouvernement militaire de 1974 ; ensuite, ceux-ci ont accédé au titre de ministre en 1976 ; enfin, un premier ministre civil a été nommé en 1983. Voir Abdoulaye Niandou Souley, « L’armée et le pouvoir », Politique africaine, no 38, juin 1990, p. 41.
45 Ibid., p. 40.
46 C’est l’avis de C. Allen, 1989, p. 27. Toutefois, pour F. de Medeiros : « Il y a une autonomie et une antériorité du processus politique au sein du corps des officiers béninois par rapport aux coups d’État et au monopole du pouvoir politique. » (Francisco De Medeiros, « Armée et instabilité. Les partis militaires au Bénin », dans Alain Rouquié (dir.), La politique de mars. Les processus politiques dans les partis militaires contemporains, Paris, Sycomore, 1981, p. 130)
47 A. Nononsi, 1989, p. 10.
48 Ce qui va dans le sens de la démonstration de F. W. Riggs, 1993.
49 C. Allen, 1989, p. 26-27. Voir aussi A. Nononsi, 1989, p. 12.
50 À titre de rappel, pour F. W. Riggs, les coups d’État secondaires marquent le pouvoir relatif de factions bureaucratiques (militaires) rivales. Cette affirmation est illustrée par C. Allen qui montre que ce coup d’État a marqué aussi l’aboutissement de contradictions dans l’armée. Ces contradictions n’étaient pas tant ethniques que générationnelles et politiques ; les jeunes officiers plus radicaux, plus instruits, s’opposant aux officiers supérieurs plus corrompus et moins ambitieux pour leur pays. Voir C. Allen, 1989, p. 28-29.
51 Cette fois, les fonctions latentes du coup d’État étaient primordiales. Il semble que ce soit la dégradation progressive des relations personnelles entre le président Zinsou et le lieutenant-colonel Koundété qui explique ce putsch fomenté sans l’avis du commandement militaire. Voir C. Allen, 1989, p. 29.
52 Entrevue du président Kérékou réalisée et rapportée par V. Ochilet, 1990, p. 48.
53 F. de Medeiros relève que la militarisation de la vie politique se présentait comme un instrument de légitimation du régime militaire. Le pouvoir de l’armée signifiait le pouvoir restitué au peuple souverain, ce qui était un des slogans du régime : « L’armée c’est vous, c’est nous ; elle est une organisation de masse. » C’est pourquoi un service militaire obligatoire a été institué pour tous parallèlement à la création d’une école de formation idéologique. Voir F. De Medeiros, 1981, p. 141.
54 A. Nononsi, 1989, p. 56.
55 C. Young, 1994, p. 2.
56 Michael Bratton et Nicolas van De Walle, Democratic Experiments in Africa : Regime Transitions in Comparative Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 82.
57 Jean-François Médard, « L’État néopatrimonial en Afrique noire », dans Jean-François Médard (dir.), États d’Afrique Noire. Formation, mécanismes et crise, Paris, Karthala/ cean, 1991, p. 325.
58 Jean-François Médard souligne que dans l’État néopatrimonial, ce n’est pas seulement une absence de distinction entre le domaine privé et le domaine public que l’on constate, mais aussi un conflit entre des normes privées et des normes publiques partiellement intériorisées (ibid., p. 334).
59 Ibid., p. 326-327.
60 Ibid., p. 324.
61 Un des principaux organisateurs du putsch de 1972 qui a porté Kérékou au pouvoir.
62 Chris Allen, « Restructuring an Authoritarian State: The Limits of “Democratic Renewal” in Benin », dans “Democratic Renewal” in Africa: Two Essays on Benin, Édimbourg, Centre of African Studies, Edinburgh University, « Occasional Papers » no 40, 1992a, p. 3-4.
63 C. Allen, 1989, p. 33.
64 T. E. Vittin, 1991, p. 102-103.
65 T. E. Vittin, cité par V. Ochilet, 1990, p. 237.
66 La loi fondamentale du 9 septembre 1977 a été amendée par la loi constitutionnelle no 84-003 du 6 mars 1984. À cette occasion, le Bureau politique du parti a été restreint, réduisant le nombre d’acteurs dotés d’une véritable influence au sein du système.
67 A. Nononsi, 1989, p. 79.
68 C. Raynaut et S. ABBA, 1990, p. 8.
69 R. Charlick, 1991, p. 57-58.
70 R. Colin, 1990, p. 35.
71 C. Raynaut et S. Abba, 1990, p. 14.
72 Ibid., p. 15.
73 Tous les proches de Kountché affirment « qu’il était insensible aux biens matériels et à l’argent » (Hama Amadou) ou encore « qu’il n’était pas un homme d’argent et il vivait simplement. Le luxe n’avait sur lui aucun pouvoir d’attrait, il paraissait même le gêner » (Pr. Marc Gentilini, son médecin français). Mais tous admettent qu’il était par contre un homme de pouvoir qui n’hésitait pas à surveiller et à frapper toute contestation de son pouvoir (Boureima Maïnassara, ancien secrétaire général de la Centrale syndicale des travailleurs). Voir l’hebdomadaire Sahel Dimanche, numéro spécial du 10 novembre 1997 consacré au 10e anniversaire de la mort du général Seyni Kountché.
74 A. Niandou Souley, 1990, p. 48.
75 Voir J.-F. Médard, 1991, p. 341.
76 Ibid.
77 Ibid., p. 342-343.
78 Michael Bratton et Nicolas van De Walle, « Neopatrimonial Regimes and Political Transition in Africa », World Politics, vol. 4, juillet 1994, p. 464.
79 C’est ce que relève aussi F. de Medeiros, qui parle de « la lutte en triangle entre trois partis, mais surtout entre trois hommes, non opposés idéologiquement, mais concurrents dans la conquête du monopole du pouvoir d’État » (F. de Medeiros, 1981, p. 128).
80 Ils sont au nombre de quatre : (1) la soumission de l’individu à l’organisation, (2) la soumission de la minorité à la majorité, (3) la soumission des instances inférieures aux instances supérieures et (4) la soumission de tout le parti à son Comité central. Voir Parti de la révolution populaire du Bénin, Statuts, Cotonou, 1975, article 8.
81 Le premier, refusant la corruption qui régnait dans les rangs du gouvernement militaire révolutionnaire, a préféré démissionner. Le deuxième a tenté de renverser Kérékou qui était impliqué dans l’affaire Kovacs, du nom d’un industriel européen qui aurait versé des pots-de-vin à des dirigeants béninois dont Kérékou. Voir C. Allen, 1989, p. 286-287.
82 T. L. Karl et P. Schmitter pensent qu’il vaut mieux considérer certaines configurations « comme les produits de processus démocratiques stables que comme les conditions préalables de leur existence. Ainsi, la culture politique “civique”, caractérisée par la confiance mutuelle, la tolérance à l’égard des opinions les plus diverses et la propension à l’arrangement et au compromis, pourrait bien être le fruit du fonctionnement prolongé d’institutions démocratiques qui engendrent des valeurs et des croyances appropriées plutôt qu’un ensemble d’exigences culturelles auxquelles il faut d’abord répondre » (Terry Lynn Karl et Philippe Schmitter, « Les modes de transition en Amérique latine, en Europe du Sud et de l’Est », Revue internationale des sciences sociales, no 128, mai 1991, p. 286).
83 Michael Bratton et Nicolas van De Walle, Democratic Experiments in Africa, 1997, p. 82.
84 Guglielmo Ferrero, Pouvoir. Les génies invisibles de la cité, Paris, Librairie générale française, 1988, p. 26.
85 Robert A. Dahl, Polyarchy: Participation and Opposition, New Haven, Yale University Press, 1971.
86 En effet, traditionnellement la participation politique s’appréhende essentiellement à partir des activités qui se structurent autour du vote : adhésion à un parti, militantisme politique, inscription sur les listes électorales, expression du suffrage, etc.
87 R. Charlick, 1991, p. 68.
88 C. Allen, 1989, p. 126.
89 Ibid., p. 56-62.
90 Afise D. Adamon, Le renouveau démocratique au Bénin. La Conférence nationale des forces vives de la nation et la période de transition, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 168.
91 Par exemple, C. Allen montre que le caractère semi-compétitif du système, qui offrait à la base la possibilité d’influer sur le choix des candidats, a introduit une incertitude électorale pour les membres des différentes institutions élues. Cet état de fait explique pourquoi, aux élections de 1989, la moitié environ des commissaires du peuple (députés) n’a pas été reconduite. Voir C. Allen, 1989, p. 55 et 123. Cela ne doit pas faire croire cependant que le système ait permis une démocratisation et, a fortiori, une routinisation des mécanismes démocratiques. Pour preuve, le pouvoir pouvait provoquer la disgrâce d’un candidat par la manipulation des forums de critique et d’autocritique. En gros, donc, la semicompétivité introduisait une certaine incertitude, mais seulement au sein des factions rivales de la classe au pouvoir. Un vrai opposant n’avait aucune chance de passer à travers les mailles du filet du prpb.
92 Michael Bratton et Nicolas van De Walle, Democratic Experiments in Africa, 1997, p. 242.
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