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Développement durable et participation publique

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Corinne Gendron
, 
Jean-Guy Vaillancourt

Quatrième partie. Participation et territoire

Chapitre 14. Réappropriation communautaire de la protection de l'environnement en Acadie

Ronald Babin

Texte intégral

1À l’aide de données empiriques générales et plus spécifiques concernant des efforts acadiens de réappropriation des questions environnementales en milieux urbain et rural, ce texte propose une analyse de la signification politique et de la portée sociale de nouvelles pratiques collectives publiques en matière d’environnement. Il sera aussi question de voir comment et jusqu’où de telles pratiques contribuent à mettre en place et à structurer de nouveaux mécanismes collectifs de production et de régulation sociale du changement dans un contexte de transformation historique. S’insérant dans le champ d’analyse de la sociologie de l’environnement, de l'écologie sociale et de la sociologie des mouvements sociaux et de l’action collective, ce chapitre s’inspire en partie des théories et des questionnements suivants : l’analyse du système organisationnel (Claus Offe), la théorie de la structuration (Anthony Giddens), la théorie des mouvements sociaux et de l’action collective (Alain Touraine et Alberto Melucci), la philosophie de l'agir communicationnel (Jürgen Habermas), les risques et la modernité réflexive (Ulrick Beck et Patrick Lagadec).

2L’analyse s'intéresse particulièrement au phénomène de la production sociale du changement ainsi qu’à la régulation sociale dans un contexte d’analyse de la production de l’histoire ; d’où l’attention qui sera portée au rôle des mouvements sociaux, aux actions à la base, au renouvellement des pratiques de résistances et de réappropriation de l’espace par rapport au néolibéralisme et à son projet de globalisation ainsi que par rapport au désengagement de l’État-providence. Un tel examen des efforts visant à renouveler la politique et la démocratie s’appuie aussi sur les apports d’auteurs tels que Louis Maheu, Pierre Hamel, Jeremy Rifkin, Benoît Lévesque, Louis Favreau et J.-E Maréchal en ce qui concerne les nouvelles formes de solidarités et d’actions par rapport à l’idéologie néolibérale et le désengagement de l’État-providence, ainsi que sur les contributions de Bruno Jean, Juan-Luis Klein, Christiane Gagnon et Orner Chouinard aux analyses concrètes d’initiatives de prise en charge de l’espace et du territoire.

3Il s’agit aussi de la poursuite et de l’approfondissement d’une dynamique de recherche qui a porté sur « l’étude de nouveaux mécanismes de concertation et de prise de décisions concernant l’environnement et l’économie » à travers laquelle de nouvelles initiatives de mobilisation et de régulation sociales en matière d'environnement ont été étudiées et analysées (Babin, 1992, 1994, 1995, 1997a, 1997b, 1999 ; Baccouche et Babin, 1993 ; Babin et Vaillancourt, 1995). Le tout est abordé selon un point de repère conceptuel inspiré de Fernand Braudel qui situe les acteurs sociaux et leurs dynamiques selon une logique des trois étages (global, national, local). Le tableau 1 illustre les différences de perspectives ainsi que les principaux acteurs sociaux qui s'y rattachent en ce qui concerne les démarches de globalisation, les démarches d’échanges nationaux/internationaux et les démarches d’initiatives locales.

4L’intérêt de ce tableau est qu’il donne les grandes lignes de la structuration d’un nouveau jeu d’acteurs sociaux dans un nouveau contexte sociétal général (société programmée) qui suit l’étape de l’industrialisation et qui devrait mener à la recomposition des rapports sociaux et des compromis politiques. Ainsi se trouvent placées au centre de l’analyse les nouvelles actions, demandes et pratiques sociales qui se développent dans une importante période de transformation sociétale, qui voit dans nos sociétés l’accomplissement du passage de la société industrielle à la société programmée. La montée de nouvelles luttes sociales et le déclin de luttes anciennes deviennent alors autant de signes d’un important changement structurel qui traverse nos sociétés et par lequel se concrétise une transformation dans les rapports sociaux et le mode de domination sociale ainsi que dans les formes de l’organisation sociale. À ce sujet, rappelons brièvement que pendant l’industrialisation, nos sociétés ont vécu la mise en place d'une domination capitaliste centrée sur le contrôle de l’organisation industrielle et technique du travail productif par laquelle celui-ci était organisé pour être effectué en commun, alors que les profits découlant de ce processus étaient pris en charge de manière privée et surtout au bénéfice quasi exclusif de la classe patronale industrielle. Dans le système social industriel, cette contradiction a donné lieu à une importante lutte entre deux classes sociales, ouvrière et patronale, pour le partage des fruits du développement industriel, lutte sociale qui a été déterminante à bien des égards dans le développement de la société industrielle et la structuration des rapports sociaux qu’elle a connue.

Tableau 1. Fin xxe siècle - Début xxie siècle

Tableau 1. Fin xxe siècle - Début xxie siècle

Points de repère conceptuels et acteurs sociaux contemporains selon la logique des trois étages braudéliens

Points de repère conceptuels et acteurs sociaux contemporains selon la logique des trois étages braudéliens

Besoin de nouvelles règles du jeu démocratique : enjeu de pouvoir

5L'élément clé aujourd’hui, c'est de reconnaître que la domination capitaliste perd son caractère d’exploitation et d’oppression centrées uniquement sur l’organisation du travail. La restructuration du capitalisme se fait maintenant autour d’un nouveau principe social d’organisation visant cette fois à étendre le contrôle sur l’organisation normative des grandes capacités communes d’investissements qui se développent dans les sociétés capitalistes avancées, tout en le liant à l’institutionnalisation des progrès scientifiques et techniques qui tendent à devenir la principale force productive. Un tel contrôle rend possible la gestion de réseaux complexes d’information et de communication ainsi que la programmation de l’innovation, de la production, voire même de la consommation (consommateurs programmés). Il favorise ainsi une extension du domaine de l’organisation et de la planification à l’ensemble de la vie collective liée à l’accroissement de la maîtrise du système sur son environnement et à l’augmentation de l’impact de ces choix sur le sens des développements futurs. Comme il s’agit aussi d’un vaste effort de colonisation de la vie sociale, du « vivre ensemble » et des modes de vie, la pénétration de cette forme de rationalité organisationnelle s’est heurtée à une crise majeure de légitimité aux niveaux des valeurs et des institutions qui déterminent les normes sociales. Habermas (1978) a déjà très bien démontré comment un besoin accru de légitimation se faisait sentir par rapport à la prise de conscience grandissante des citoyens concernant la nouvelle contradiction fondamentale qui existe entre les coûts et les conséquences d’un mode de développement qui deviennent administrativement socialisés, alors que l’appropriation et l’utilisation des bénéfices et de la plus-value restent privées. D'où la montée, depuis plus de trois décennies, de nouvelles luttes sociales menées par de nouvelles générations d’acteurs sociaux regroupés dans une grande variété de nouveaux mouvements sociaux et d'organisations non gouvernementales de plus en plus préoccupés par les nouvelles tendances, déterminés à y résister et à se faire entendre, et décidés à débattre, à participer et à faire valoir des alternatives en termes de progrès et d’amélioration des conditions de vie. D’où, tel qu’exprimé dans le tableau 1, le rôle central et stratégique de ces mouvements et organisations dans les luttes et résistances face à une approche technocratique instrumentale de l'organisation du changement que l’on cherche à imposer par en haut, mais aussi dans les initiatives et efforts variés de prise en charge par en bas, visant une appropriation sociale et collective de la définition et de l'orientation du changement.

Mondialisation et mouvements sociaux

6Le problème au sein de l'actuel processus néolibéral de mondialisation et son projet de libéralisation totale du commerce est qu’il s’agit moins d’un mode de production que du triomphe provisoire d’un mode de développement et d’un bouleversement majeur qui s’accompagne de la destruction des divers modes de contrôle politique et social de l'économie. La capacité de contrôle se situe de plus en plus au niveau des marchés internationaux plutôt qu’au niveau des États-nations qui ont peu à peu été paralysés idéologiquement par l’idée que des lois économiques prétendument naturelles sauraient guider l’évolution de nos sociétés. Dans ce contexte, il se développe des dynamiques d’oppositions croissantes entre les élites qui dirigent le changement et les citoyens, communautés, peuples qui sont amenés à subir les effets des changements. Les répercussions sur les conditions d’existence, les modes de vie, la qualité de vie, les droits humains deviennent alors centrales socialement. De plus, le type actuel de développement fait aussi courir à nos sociétés des risques technologiques majeurs inconnus jusqu’à aujoud’hui et dont la plupart sont endogènes, ce qui nous conduit irrémédiablement vers une « civilisation du risque » (Lagadec, 1981, 1988) ou une « société du risque » (Beck, 1992, 1995b, 1997). Le fait qu'on en soit venu à une telle réalité amène à poser plus généralement le problème de la conduite de nos sociétés dans un monde sans cesse marqué par la multiplication de situations de crises. Il s’en dégage un diagnostic à l’effet que les institutions actuelles sont mal outillées face aux défis contemporains et souvent impuissantes comme instruments de pilotage de sociétés de plus en plus complexes. D’où la prise de conscience qu’il est nécessaire de répandre par tous les moyens et souvent à partir de la base de nos sociétés, une nouvelle approche réflexive du développement, observation qu’Einstein a déjà exprimée à sa manière quand il disait que nous ne pourrions pas solutionner le problème qu’on a créé avec le même état d’esprit qui a servi pour sa création.

7L'impact de la mondialisation et des mouvements sociaux doit donc être situé dans le contexte actuel du renouvellement des pratiques sociales dans lequel émergent les débats et enjeux contemporains. En tenant compte de cela, il ne s’agit pas de se limiter à savoir si la mondialisation est bonne ou mauvaise, mais de bien comprendre qu’en ce qui concerne le développement historique, nos sociétés doivent désormais composer avec le fait que nous devons aussi penser l’avenir en fonction des grands défis et problèmes mondiaux actuels à résoudre (crise écologique, désarmement, mal développement mondial, droits humains, civilisation du risque, etc.) qui se manifestent à la fois sur les plans local, national et global. Il importe en particulier de trouver les motivations et les moyens appropriés pour bien intervenir à tous ces niveaux, notamment en prenant conscience qu'un changement de mode de vie est désormais de plus en plus nécessaire pour le maintien de la biosphère. Les États-nations issus de la société industrielle devront sans doute intervenir, mais à eux seuls ils ne suffiront pas, car l’action isolée des États (trop petits pour gérer les grands défis globaux, et trop grands pour bien solutionner les plus petits problèmes locaux et régionaux) ne suffit pas pour garantir aux citoyens la protection et la promotion de leurs intérêts. Il faut aussi reconnaître par ailleurs que les États, malgré les larges moyens financiers, informationnels et techniques dont ils disposent aujourd’hui, hésitent souvent devant les vrais défis contemporains et semblent plutôt se complaire dans un rôle plus traditionnel d’instances d’autorisations ainsi que dans leurs fonctions de préserver des acquis, de garantir la sécurité, de limiter les troubles sociaux, etc.

8Ce qui devient de plus en plus évident, c'est que l’économie néolibérale ne défend ni la qualité de vie, ni l’amélioration des conditions d’existence. On semble vouloir tout sacrifier pourvu que l’économie marche. Il en résulte une planification économique qui est largement à la source d’une logique d'exclusion sociale par laquelle on écarte les secteurs non performants et non rentables économiquement. De tels choix économiques mènent vers une société à deux vitesses où coexistent les secteurs performants et les secteurs résiduels. L’écart grandissant entre les deux est source d’un important déficit d'intégration : chômeurs, travailleurs précaires, assistés sociaux, femmes, immigrés, jeunes, personnes âgées, autochtones, etc. sont non seulement perdants économiquement, mais aussi socialement, du fait qu’ils n’exercent pas leur citoyenneté à part entière, c’est-à-dire qu’ils ne participent pas aux débats politiques sur l’orientation de la société. D’où l’accroissement des tensions sociales, d'autant plus que depuis plusieurs années, on constate la stagnation ou la diminution des revenus de même qu’une importante progression des inégalités sociales, et ce dans un monde où la richesse globale est sans précédent. Aussi dramatique que ce processus puisse paraître actuellement, il n’en reste pas moins qu’il pourrait s’aggraver encore. C’est de cela dont il est question lorsque Jeremy Rifkin, dans son important livre La fin du travail (1996), tire la sonnette d’alarme en évoquant que le fossé Nord-Sud traditionnel pourrait être supplanté par une autre barrière, encore plus haute, entre les « ouvriers de la connaissance » et les autres. Et au niveau des idéaux et valeurs, n’oublions pas que de nombreux penseurs s’offusquent avec raison du fait que l’économie dominante se soit enlisée dans un capitalisme financier de la spéculation, de l’endettement, de la manipulation des taux d'intérêts, etc. Bien qu’il soit important de dénoncer le côté improductif d’une telle orientation, il faut aussi savoir aller plus loin et reconnaître que la société et l’économie, l’ordre politique et culturel sont ainsi faits et que les capitaux et les surplus s’accumulent ainsi en partie faute d’un meilleur emploi de nos multiples ressources.

Nouvelle dynamique sociale

9En fait, nous vivons de plus en plus dans des sociétés qui connaissent de nouveaux enjeux autour de la nécessité qu’il y a de débattre, d’imaginer, de créer, de réaliser d'autres emplois de nos richesses naturelles et de nos talents humains en vue de favoriser une meilleure intervention humaine dans notre monde. D’où la reprise en main et la recherche de moyens adéquats pour passer à l’action par rapport au développement de nouveaux modes de vie et de nouvelles conditions d’existence dans des sociétés davantage préoccupées par un vaste ensemble de questions existentielles telles que les droits humains, l’égalité, la paix, l’environnement, l’émancipation des femmes, les énergies et technologies douces, le développement humain viable et équitable entre les pays du Nord et du Sud, la justice sociale, la démocratie participative... L’ampleur et la portée de telles préoccupations font que les structures de nos sociétés et les idéaux existants sont insuffisants et ne correspondent pas aux défis contemporains. C’est ce qui fait que le travail des individus, des collectivités et des groupements sociaux se déplace du social établi (ses institutions, ses lois, son droit) vers le sociétal en formation (ses expérimentations, ses initiatives nouvelles, ses formes nouvelles de socialisation, de solidarité et de mobilisation des talents et des connaissances). Il en ressort aussi que les activités humaines sont désormais marquées par des dynamiques d’expérimentation quotidienne, c’est-à-dire par des activités dont les résultats ne sont pas déterminés à l’avance mais plutôt orientés vers la production de l’avenir. De nos jours, c’est ce processus dynamique de production de changements réels dans des sociétés en transformation qu’il faut saisir pleinement en considérant le nécessaire renouvellement des pratiques sociales, de même que le besoin d’outils politiques mieux adaptés et de nouveaux arrangements institutionnels à bâtir sur de nouveaux fondements reflétant ce qui se passe réellement sur le terrain.

10N’est-ce pas là le message de la confrontation « fin XXe siècle-début XXIe siècle » à Seattle, en décembre 1999, où un grand nombre de personnes représentant des mouvements sociaux et des organisations non gouvernementales sont venues non seulement pour manifester, mais surtout pour se faire entendre par rapport à une autre vision de ce que devrait être l’architecture d’une régulation mondiale en développement ? En bref, ce qui a été dit c’est qu’aujourd'hui, les ONG et les mouvements sociaux sont davantage en mesure d’interpeller toutes les grandes nations du monde dans le cadre de réunions qui ont de plus en plus l’objectif d’adopter des réglementations et des régulations pour une économie en voie de mondialisation dont le contenu est loin d’être déterminé à l’avance, comme le néolibéralisme tente de le faire croire. Tous les éléments sont donc là pour que commence une lutte historique concernant les formes, les contenus et les modes de développement de l’étape actuelle de mondialisation. Les événements post-Seattle tendent à confirmer cette volonté sociale de jouer un rôle déterminant par rapport au processus de mondialisation. À cet égard, il ne faut pas oublier que ce n’est pas la mondialisation qui pose problème mais plutôt la forme exclusive et sélective que lui donne le néolibéralisme en favorisant une privatisation des bénéfices en faveur d’une minorité de privilégiés, aux dépens de la socialisation des coûts, dont les conséquences doivent être assumées par l’ensemble des citoyens de la planète. On peut alors mieux comprendre la signification des mobilisations des ONG et des mouvements sociaux comme l'affirmation d’un refus de cette forme injuste et inéquitable de développement, ainsi que l’expression d’une volonté déterminée pour favoriser un projet sociétal de développement fondé sur la justice sociale comme principe directeur. En fait, non seulement jouent-ils un rôle irremplaçable mais on peut en fait poser comme hypothèse que dans l’optique d’une dépendance globale/locale accrue, le succès dans l’établissement de normes quelconques de gouvernance dépendra d’abord des mobilisations locales et générales qui renforcent la société civile, ainsi que des actions des mouvements sociaux et des organisations non gouvernementales que cette société civile met en scène en vue d'assurer autant la vitalité communautaire que la cohésion sociale générale.

La question environnementale

11La montée des préoccupations écologiques et environnementales a aussi été très importante et significative depuis plus de trois décennies. Les deux premières décennies ont surtout été marquées par le développement d'une importante mobilisation protestataire menée par les mouvements environnementalistes et écologistes ainsi que par l’adoption subséquente de mesures et de lois de protection de l’environnement administrées sur une base nationale par de nouveaux ministères et des agences de l’environnement. Sur le plan international, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a aussi vu le jour, sans toutefois recevoir un financement suffisant pour lui permettre de s’acquitter d’une tâche de protection mondiale de l’environnement. Pendant cette période, la crise écologique n’a cessé de croître en ampleur jusqu’à atteindre l’échelle planétaire avec le réchauffement climatique, l’amincissement de la couche d’ozone, la déforestation, la perte de biodiversité, etc. Sur les plans social et politique, cette situation a provoqué une remise en cause de certains aspects de l’organisation économique, juridique et sociale qui ont provoqué la plupart des problèmes écologiques. La dégradation environnementale a aussi accentué la crise de représentativité et de légitimité à l’égard des dirigeants politiques et économiques dans nos sociétés contemporaines. Et c’est à partir d’un tel contexte qu’une importante réorientation a été entreprise durant la deuxième moitié des années 1980.

12Avec les travaux de la Commission mondiale pour l’environnement et le développement des Nations Unies (1984-1986) et la publication de son Rapport Bruntdland en 1987, la question environnementale a pris une nouvelle tournure, et les principaux dirigeants politiques et économiques affichent alors une volonté de prise en charge plus globale de la problématique écologique, ce qu’exprime l’objectif visé de parvenir à l’intégration de la question environnementale avec le développement économique en vue d’organiser le « développement durable ». La tenue du Sommet de la Terre en juin 1992 (Rio de Janeiro, Brésil) a développé et légitimé un vaste agenda (Agenda 21) pour le changement environnemental, économique et politique, le tout en vue d’enclencher une série de mesures de restructurations sociétales, qui marqueraient aussi symboliquement notre entrée et notre cheminement collectif vers le XXIe siècle et dans un nouveau millénaire. La nature et le contenu des changements restent encore en discussion comme l’atteste la montée spectaculaire et la poursuite d’importants débats concernant la notion programmatique du « développement durable ». Mais sur le plan pratique, la conférence de Rio visait aussi à s’entendre sur l’identification de réformes environnementales à long terme ainsi que sur l’adoption de mesures d’implantation et de surveillance au niveau international, à commencer par les questions jugées prioritaires des changements climatiques, de la biodiversité et de la protection des forêts.

13Un fait significatif est aussi à signaler : l’introduction de l’Agenda 21 a accordé beaucoup d’importance aux évaluations environnementales dans les procédures de gestion de l'environnement et a recommandé que de telles pratiques soient réalisées sous les auspices des gouvernements nationaux. Au-delà de la promotion d’une pratique d’évaluation, il s’agit en réalité d’une admission qu’il y a, en matière d’environnement, une multitude d’acteurs, au lieu d’avoir un décideur bien identifié. C’est aussi reconnaître que les modes de coordination habituels entre les acteurs ne suffisent plus pour bien traiter la diversité des questions environnementales et de développement, d’où la nécessité de concevoir de nouveaux modèles de prise de décisions basés sur la concertation et la communication. Évidemment, dans un tel processus de formulation de mécanismes pour une gestion réelle de ces questions, il y a tout un champ de conflit autour des pratiques sociales ainsi que des objectifs sociétaux visés. Il est en plus remarquable que les enjeux et débats se vivent moins sur le plan idéologique des projets de société qu’au niveau de la nécessité de trouver une solution pratique à la crise écologique généralisée. L'engagement des acteurs est donc défini autrement que par le passé et il est important sociologiquement de tenir compte de ce phénomène, dont l’impact sociétal peut être considérable en termes de positionnements et de stratégies pratiques et politiques des différents acteurs en présence. Et de toute évidence, cela peut avoir d’importantes répercussions sur le plan de la structuration des rapports sociaux de nos sociétés qui traversent une importante période de transformation.

Action environnementale dans des communautés acadiennes

14Des expériences en territoire acadien au Nouveau-Brunswick (Canada) tendent à montrer qu’en région, de plus en plus de groupes au sein des communautés locales se mobilisent en vue de prendre en charge des activités nécessaires mais récemment délaissées par les agents dominants de leur milieu. Ces activités sont diversifiées, ont des points de départ différents et fonctionnent souvent selon une combinaison de règles destinées à maintenir une relative égalité entre les personnes, une relative réciprocité entre leur participation aux activités, ainsi qu’une certaine appropriation collective et un contrôle démocratique des résultats des activités. À bien des égards, la nature concrète de ces démarches sert aussi comme message envoyé aux dirigeants politiques qu’il est temps d’en finir avec l'abdication de leur rôle de protection des citoyens et que dorénavant, il importe que les interventions de l’État soient davantage publiques que privées, et qu’elles doivent être attentives et correspondre aux besoins qu’expriment de telles initiatives. Il est possible à cet égard de tirer quelques leçons de sept expériences acadiennes de mobilisation de l’action communautaire et environnementale au Nouveau-Brunswick, dont trois proviennent de la région urbaine du grand Moncton et quatre de dynamiques communautaires dans les régions rurales de la péninsule acadienne (Caraquet) et du Sud-Est acadien (Cap-Pelé, Cocagne et Sainte-Marie). Les voici.

Parc écologique et Centre d'habitation de l'Université de Moncton

15<http://www.umoncton.ca/​mediasverts/​parc/​>

16Ce double projet de l’Université de Moncton a été conçu dès le départ comme un programme d'éducation communautaire et institutionnel visant l’augmentation et l’approfondissement de l’implication à l’égard de l’environnement de la part des professeurs, des étudiants, du monde des affaires, du milieu politique et de la communauté en général. Lié à une vision globale cherchant à rendre le campus de Moncton écologiquement viable, l'objectif de l'aménagement du Parc écologique du millénaire (de trois à quatre hectares) est de servir d’exemple d’une nouvelle génération de parcs naturels en milieu urbain qui met l’accent sur le besoin de restauration de fonctions écologiques (ramener la fonction de rétention et de filtration des eaux d'écoulement, restaurer une succession végétale indigène et naturelle favorisant l’habitat de la faune et de la flore, revitaliser une source d’eau naturelle), et ce, en partenariat avec la communauté. La réalisation de ce parc se fait en partenariat avec 18 intervenants associatifs, publics et privés, qui ont accepté, souvent avec enthousiasme, de participer au démarrage de ce projet commun en y apportant des contributions financières ou en nature de l’ordre de 500 000 $ CAD pour lancer le projet.

17Le projet de Centre d’habitation et de technologies environnementales du Canada atlantique vise de manière complémentaire le développement d’une démarche de recherche et de démonstration qui favorise le changement au niveau des pratiques de construction d’habitations. Selon Statistique Canada, les habitations consomment 20 % de l’énergie totale utilisée au Canada. De ce pourcentage, environ 67 % sont consacrés au chauffage et à la climatisation, 18 % à l’éclairage et au fonctionnement des appareils, et 15 % au chauffage de l’eau. Le Centre d’habitation et de technologies environnementales du Canada Atlantique vise à démontrer par des mesures de construction diverses, certaines simples et facilement applicables, d’autres plus complexes mais reposant sur des principes sûrs, que ces chiffres peuvent être considérablement réduits. Le Centre d’habitation comprendra un large éventail de ces diverses techniques et suggérera par différents moyens comment l’industrie domestique de la construction domiciliaire peut devenir moins polluante pour l’environnement, tout en assurant un milieu de vie plus sain. Il visera aussi à démontrer le savoir-faire canadien dans l'application de procédures propres à subvenir aux besoins établis lors du protocole de Kyoto. Par ailleurs, ce Centre d’habitation se veut une nouvelle étape dans l’évolution et l’implication de la communauté universitaire vis-à-vis de ses environnements culturel, économique, politique et social. On le propose principalement comme outil d’éducation, d’expérimentation et de recherche qui profiterait à plusieurs intervenants associatifs, privés, publiques et universitaires. De plus, dans sa conceptualisation à long terme, le projet cherche à éveiller la conscience écologique en développant une démarche éducative dans un endroit qui deviendrait un lieu d’apprentissage concret des possibilités de développements humain et communautaire viables. Il s’agit d’un projet innovateur qui a le potentiel de transformer le rythme de vie de la région et d’en modifier l'atmosphère en ouvrant la porte à des expériences écologiques, esthétiques et technologiques pouvant servir de modèle à toutes les provinces atlantiques, voire même au Canada en entier.

Sentinelles de la rivière Petitcodiac/Petitcodiac Riverkeeper

18<http://www.petitcodiac.org/​>

19Le groupe Sentinelles de la rivière Petitcodiac est un organisme à but non lucratif qui se donne comme objectif de faire revivre la rivière Petitcodiac et de la resituer au centre de l’identité collective du sud-est du Nouveau-Brunswick. Fondée en 1999, cette association s'ajoute à un réseau de plus de 50 sentinelles établies partout en Amérique, et forment ensemble un mouvement international puissant qui lutte pour la restauration et la protection des rivières. Les Sentinelles de la rivière Petitcodiac est la première association du réseau des « Riverkeepers » à être instaurée au Canada ; elle s’est faite à la suite de nombreuses frustrations dans la lutte pour rétablir la libre circulation et inverser le processus d’envasement causé par un pont chaussé qui met en péril une grande rivière historique au cœur d’un bassin versant, troisième en importance au Nouveau-Brunswick. La dynamique mise en œuvre vise à bâtir une base sociale la plus large possible, appuyant les objectifs de restauration de la rivière Petitcodiac en vue des bénéfices écologiques, économiques, patrimoniaux et communautaires subséquents dont jouira l’ensemble de la population du sud-est du Nouveau-Brunswick. Cette démarche collective comporte une dimension interculturelle significative puisqu’elle rassemble anglophones et francophones, de même que la nation mi’kmaq du bassin de la Petitcodiac, autour d’une cause commune. Il y a en plus un important volet d’internationalisation de cette question écologique par le biais de la mise en évidence de l’impact qu’a la dégradation environnementale de la Petitcodiac sur les populations de poissons de la côte est de l’Amérique du Nord (alose en particulier). Pour faire avancer la question, et de manière non négligeable et caractéristique de l’approche des sentinelles, le tout s’accompagne aussi d’une forte détermination à dénoncer les irrégularités de cette situation devant le système judiciaire, comme cela a souvent été fait avec succès aux États-Unis.

La Fondation Médias Verts

20<http://www.umoncton.ca/​mediasverts/​>

21Fondée en 1995, la Fondation Médias Verts est un organisme sans but lucratif composé de bénévoles et de jeunes participants provenant des secteurs des communications, des arts et de l’environnement. De plus, la Fondation profite de la participation de plusieurs professionnels œuvrant dans les domaines des études de l'environnement et du marketing. Tous ces participants forment Médias Verts Communications (MVC). Par le biais d’une variété de voies de communication et d’initiatives de marketing social, la Fondation vise à stimuler une volonté d’actions locales concernant des questions écologiques internationales et globales. Depuis sa création, elle assure la production d’émissions de télévision et de radio, d'une revue écologique, et collabore à de nombreuses initiatives de sensibilisation en écologie. Par exemple, en 1996, MVC a mené une première campagne d’échantillonnage pour le programme de recyclage résidentiel de Solutions Zéro Déchets/Tiru N.B.

22La dimension du marketing social est devenue une composante fondamentale de la Fondation Médias Verts, surtout depuis les trois dernières années. En fait, grâce à des contributions du Fonds en fiducie de l’environnement du N.-B„ MVC s’est fermement établi depuis 1998 comme groupe de marketing pour des initiatives écologiques et sociales, et aussi pour assurer la communication et la promotion de projets d’envergure comme celui du Parc écologique du millénaire et du Centre d’habitation ainsi que celui d’Adbusters français (de pair avec The Media Foundation, situé à Vancouver). Un projet d’édition Sens Éco-Logique est aussi en voie de préparation. La Fondation Médias Verts est encore jeune, mais elle a toutefois contribué depuis quelques années à de nombreuses initiatives environnementales de sensibilisation du public sous la forme de contributions financières directes et de support en nature par l’entremise du groupe Médias Verts Communications.

Baie de Caraquet

23<http://www.baiedecaraquet.com/​>

24Face à la contamination des huîtres de la baie de Caraquet dans la péninsule acadienne, quelque 15 000 personnes se sont mobilisées au sein des municipalités afin de réduire la contamination de cette baie et la rendre ainsi plus attrayante. Les mobilisations locales initiales de 1993-1996 ont été enclenchées par quatre municipalités et ont réuni 18 groupes de citoyens, quatre entreprises de poissons, une usine textile et une entreprise de tourbe. Les responsables locaux des gouvernements tant provinciaux que fédéral, et plus particulièrement le député local, se sont également joints aux divers groupes et entreprises afin de participer au projet. Au niveau des résultats, on estime que depuis 1997, au delà de 80 % de la baie est nettoyée et un comité de gestion environnementale composé des principaux partenaires en assure maintenant le suivi. De plus, l’aire d’action s’est élargie au bassin versant (rivières Caraquet et Burnsville) et implique aussi les propriétaires de lots boisés et de chalets. Un lien plus étroit a également été établi avec le laboratoire de l’École des pêches de Shippagan pour ce qui est du suivi au niveau de l’évaluation de la situation et de la formation. L’approche est fortement orientée vers le monde des affaires puisque la rentabilité économique demeure un but important, voire le but principal. Cependant, il y a aussi dépassement de cette limitation de l’objectif car on y trouve aussi l’enracinement d’une vision plus générale à l’effet que la revalorisation de la région passe par la revalorisation des ressources. Il s’agit également d'une réunion d’acteurs locaux sous la direction de citoyens locaux et selon une démarche de liaison qui s’est effectuée par la base. On s’oriente ainsi vers une nouvelle façon de voir, de même que vers l’expérimentation d’un nouveau modèle de développement par le bas et d’un nouveau modèle de gestion sous la forme du comité de gestion environnementale avec différents partenaires. Le défi actuel est le maintien de la mobilisation et de la collaboration pour nettoyer les 20 % de pollution qui existent encore et pour assurer l'ancrage de ce projet dans la réalité locale.

Le modèle de Cap-Pelé

25<http://www.umoncton.ca/​littoral-vie/​>

26Le modèle de Cap-Pelé consiste avant tout en une mobilisation autour d’un projet d’éducation qui a été proposé et mis sur pied par des universitaires. L’objectif visé était de conscientiser la population d’un grand village côtier à l’existence de cinq mini-écosystèmes (champs agricoles, forêts, zones intertidales, ruisseaux et centre-ville). Le tout a commencé par un partenariat entre « groupes exclus » ou « groupes non productifs », soit des écoliers (9-10 ans) de niveau primaire accompagnés de leur institutrice, et des citoyens aînés à la retraite (61-80 ans) qui ont par la suite pris le nom de « Sénateurs de l’environnement ». Les jeunes et les aînés, à la suite de sorties.dans leur milieu biophysique, ont choisi d’entreprendre de débloquer et de restaurer un ruisseau en voie de disparition. Cette initiative a ensuite été développée de concert avec la municipalité et la direction de l'école, ce qui a facilité l’obtention de fonds gouvernementaux pour financer les travaux. Cet argent a été versé à la municipalité qui l'a remis en totalité au projet. Désireux de poursuivre ce type de projet avec la municipalité, les jeunes et les aînés ont rejoint d’autres groupes afin de planter des arbres (ex. : avec les Chevaliers de Colomb) et ont entrepris le nettoyage du ruisseau avec des pêcheurs et des citoyens de la communauté. La démarche a aussi intéressé des travailleurs du parc l’Aboiteau (un parc aquatique), sensibles aux objectifs d’intégrité écologique en rapport aux activités touristiques. Il y a donc élargissement de la mobilisation et élargissement des lieux d'intervention, mais il reste que la marche à suivre est lente et implique un travail important à la base. Toutefois, on en parle de plus en plus maintenant et les exigences par rapport à la municipalité augmentent. Éventuellement, on peut s’attendre à ce qu’on soulève la question de ce qui doit être fait par rapport à 26 boucanières servant à fumer le poisson, et les deux ou trois usines de poissons dont les activités ont un impact négatif non négligeable sur l’environnement local. Il est même envisageable que bientôt celles-ci n’aient d’autre choix que d’agir pour nettoyer les plages. Le modèle de Cap-Pelé servirait alors d’exemple significatif du passage de l’exclusion à l’inclusion dans les affaires communautaires et publiques. Le mouvement en ce sens est amorcé.

La mobilisation autour de l'île de Cocagne

27<http://www.geocities.com/​RainForest/​Vines/​6960/​fecococagne.html>

28Après l’annonce, en 1997, d’un immense projet dit « écotouristique » qui consistait au développement d’un terrain de golf, d’un complexe hôtelier et d’un pont (environ 1,5 km) pour accéder à l’île de Cocagne, des citoyens se sont mobilisés avec succès pour former le groupe « Les amis de l’île de Cocagne » afin de préserver les terrains humides ainsi que l’habitat et le lieu de reproduction des hérons bleus de l’île. À la suite de la montée d’une efficace résistance publique, le projet du promoteur a été suspendu. Le groupe souhaite préserver davantage l’intégrité écologique de l’île et il préconise comme contre-projet un développement moins radical de sentiers d’interprétation afin de comprendre la nidification des hérons et la composition des terrains humides de l’île. L’accès à l’île pour ce projet pourrait se faire de manière plus appropriée par une voie d’accès limitée aux petites embarcations et grâce à un petit havre comme point de débarquement sur l'île.

29Ce mouvement local de mobilisation offre en fait un exemple assez typique de ce qui arrive de plus en plus fréquemment lorsqu’on cherche à procéder à ce qu'il convient d’appeler une tentative d’expropriation de territoire pour en faire un autre usage que celui que désirent les gens, ici sous la forme d’un immense projet écotouristique n’ayant pour tout but que la rentabilité, sans tenir compte ni de l’environnement ni des citoyens. De tels projets sont de plus en plus mis en échec et ne sont acceptés qu’à condition d’être plus respectueux de l’environnement, plus équilibrés et plus équitables. C’est aussi le signe que les gens refusent de plus en plus l’aliénation de leur pouvoir et de leur tranquillité au nom de développements touristiques affairistes et sélectifs.

Mobilisation contre la mégaporcherie de Sainte-Marie

30<http://www.mondata.com/​action/​>

31La paroisse de Sainte-Marie-de-Kent est depuis longtemps reconnue pour ses belles terres agricoles et ses paysages bucoliques et paisibles. Depuis le printemps 1999, la vie locale a changé de façon inattendue, alors qu’en peu de temps, une résistance communautaire déterminée s'est organisée pour contrer le développement d’une mégaporcherie située à environ trois kilomètres de la rivière Bouctouche, un projet prévoyant la production de 35 000 porcs par année, ainsi que l’épandage de 5,5 millions de gallons de fumier de porc liquide par année sur les terres du comté de Kent. On a très vite dénoncé le projet car ses conséquence négatives sur l’environnement étaient très claires : pollution des cours d’eaux douce et salée, odeurs délétères gênant les citoyens, impacts négatifs sur des sites touristiques importants tels que le pays de la Sagouine, la dune écologique de Bouctouche, etc. Réunis en comité contre le mégaprojet de porcherie, les citoyens ont fait une demande initiale visant à forcer la compagnie à procéder à une étude d’impact environnemental détaillée, ce que n’exigeaient pas les lois du ministère de l’Environnement et du ministère de l’Agriculture dans un cas semblable. La Loi sur l’élevage du bétail a aussi été identifiée comme étant inadéquate puisque insuffisante et ne permettant pas aux communautés de s'impliquer dans de tels projets. Le fait que la communauté ne soit pas reconnue comme une municipalité à part entière mais plutôt comme un district de services locaux (DSL) administré depuis la capitale provinciale a aussi été identifié comme une importante lacune en termes de contrôle local. N’ayant pu empêcher la construction et la mise en opération de la mégaporcherie, le comité s’est transformé en Association pour la préservation du bassin versant de Bouctouche pour continuer son action afin d’assurer collectivement la protection et la préservation du bassin versant. En plus des activités habituelles de contestation et de mobilisation, une levée de fonds est aussi en cours afin de défrayer les coûts des études nécessaires pour évaluer les conséquences environnementales de l’installation de cette mégaporcherie à Sainte-Marie, de même que pour maintenir localement un programme d’évaluation de l’intégrité écologique du bassin versant.

Une nouvelle logique d'actions

32Les projets de développement et d’action environnementale dans les communautés acadiennes du Nouveau-Brunswick s’inscrivent souvent dans une perspective de prise en charge des communautés, en sollicitant l’appui de l’État à titre de partenaire en vue d’une économie plus solidaire. Il est remarquable qu'aucune des mobilisations riait débuté de la même manière, mais qu’ensemble, elles montrent que les citoyens se renseignent et deviennent plus exigeants. Elles véhiculent aussi un message commun de prise de conscience, à savoir qu’on peut contribuer à aménager et à développer son milieu soi-même. Il y a effectivement remobilisation dans l’action concrète de larges parties de la population, et multiplication des terrains de luttes. Face au règne du productivisme, il se développe ici comme ailleurs, et sans qu’il n’y ait de modèle prédéterminé, un large espace de mobilisation et de refus par le bas. Les actions se mènent également davantage en réseau d’actions pour le contrôle collectif du développement, et c’est dans l’action que les gens se réapproprient une volonté d’agir et qu’ils cherchent à élargir le champ de la participation. Il ne s’agit donc pas simplement d’apprendre à survivre dans un contexte économique difficile, mais plutôt de contribuer à la conception d’une nouvelle vision de la société acadienne. En cela, il s’agit bien d’aller au-delà d’un simple processus d’apprentissage et d’adaptation au changement en réclamant concrètement l’intégration dans la prise de décisions et dans une réelle participation dans les questions qui préoccupent et qui motivent les gens.

33En fait, le local et le global se rejoignent sur le fond, et il devient de plus en plus apparent que les regroupements sociaux d’aujourd’hui, par leurs actions locales ou plus globales, cherchent des avantages dans le système politique même si leurs demandes ne se limitent pas à celui-ci. De fait, les nouveaux mouvements sentent davantage le besoin d’une voix politique pour les appuyer que de quelque direction politique pour les diriger. Ce choix découle de l’appréciation qu’ils ont de la route à suivre et des moyens à adopter pour arriver à des changements profonds et durables dans nos sociétés modernes et complexes. L’action humaine a préséance sur l’action étatique et les transformations visées sont vues comme réalisables par la voie de la modification des habitudes et des comportements, et par la prise en charge par les gens eux-mêmes d’aspects de la vie sociale qui leur échappaient et qui, jusque-là, étaient sous le contrôle d’autres personnes. La contestation se caractérise ainsi par un certain refus de la seule représentation politique et par un effort de recherche d’une participation directe dans la vie sociale et politique pour augmenter la capacité d’autonomie des gens et pour favoriser leur émancipation par rapport à un système de contraintes, de contrôles et de manipulations qui peuvent s’exercer sur la société par l'intermédiaire de grands appareils de production et de gestion, qu’ils soient privés ou publics. Il ne s'agit donc pas d’un aménagement à négocier à l’intérieur d’un système, mais d'une revendication plus globale qui pousse le système à se transformer grâce à la modification des rapports sociaux.

34Les nouveaux mouvements sociaux attendent donc de la médiation politique l'ouverture d’un espace politique qui permette aux idées nouvelles de s’exprimer et aux projets alternatifs de se développer et de se diffuser. On recherche la venue d’un nouveau système politicolégal capable d’appuyer ce genre de projet social. En s'élargissant, une telle dynamique pousse au renouvellement des traditions politiques et des luttes plus anciennes. Ce type d’action, qui vise à la fois à être dans et hors du système politique, véhicule en fait un nouveau rapport à celui-ci et constitue, selon Melucci (1983), un des nœuds fondamentaux des sociétés contemporaines. Afin de mieux exprimer cette idée, Melucci a eu recours à l’utile notion de mouvements postpolitiques pour caractériser les nouveaux mouvements sociaux et pour signaler simplement la fin de la prédominance d’un certain type d'action collective engendré par d’anciens mouvements qui coïncident avec une catégorie sociale et qui visent la prise du pouvoir et le rapport avec le politique comme but ultime de son action. Postpolitique signale aussi le fait qu’il s'agit non pas d’un en deçà de la politique mais d’un au-delà de la politique. Ce concept met également en perspective la poussée vers l’extension du champ social et politique alors que les nouveaux conflits interpellent différents secteurs de la société pour réaliser un approfondissement de la politique et un élargissement de la démocratie dans le sens d’une participation civique élargie aux délibérations politiques fie domaine des choix à faire) quant aux principes d’action et quant aux questions de fond concernant l’utilisation des ressources.

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Table des illustrations

Titre Tableau 1. Fin xxe siècle - Début xxie siècle
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Titre Points de repère conceptuels et acteurs sociaux contemporains selon la logique des trois étages braudéliens
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Auteur

Professeur titulaire au Département de sociologie de l’Université de Moncton. Ses principaux champs d’études sont la sociologie des mouvements sociaux et du changement social, la sociologie environnementale, la sociologie du travail et des rapports entre technologies et sociétés. Il participe aussi aux programmes de maîtrise interdisciplinaire en études de l’environnement et de maîtrise en travail social. Biologiste et sociologue (doctorat ÉHESS, Paris), il s’est intéressé particulièrement à la gestion sociale des problèmes écologiques. Il a écrit sur le mouvement social écologiste, le mouvement néopacifiste ainsi que sur les nouveaux mécanismes de concertation et de participation publique en matières environnementales. Il coordonne actuellement le projet d’établissement du Centre d’habitation et de technologies environnementales du Canada atlantique dans le Parc écologique du millénaire du campus principal de l’Université de Moncton.

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