Équilibrer économie et écologie

1Les rapports viables entre l’économie et l’écologie ne peuvent se faire sans d’importantes médiations. Les médiations touchent, d’une part, les modes de vie, les modes de consommation et les pratiques culturelles et, d’autre part, les modes de prise de décision sociopolitique et les institutions responsables de l’encadrement et de la mise en pratique des décisions. Il y a, entre ces deux pôles, d’importantes mutations et une recomposition des espaces sociopolitiques. Nous observons, entre autres, de nouvelles dimensions culturelles émergeant dans différentes communautés et une transformation des mécanismes de prise de décision. De plus, ces changements sont le résultat de dynamiques sociales impliquant de nouveaux intervenants dans ces espaces en émergence. Nous croyons que pour comprendre ces formes de médiation entre l’écologie et l’économie, nous devons axer un programme de recherche sur des études de cas permettant de repérer de telles médiations entre les problématiques environnementales et économiques.

2Un secteur particulièrement intéressant pour l’étude de ces questions est celui de la gestion des déchets. En effet, au cours des dernières années, les enjeux de gestion des déchets ont soulevé d’importantes controverses sociales concernant, entre autres, une remise en question des pratiques et des attitudes des producteurs, des consommateurs et des principaux centres et agents de décision sociopolitique et économique. L’aménagement de site d’enfouissement ou la construction d’incinérateurs deviennent de plus en plus difficiles. Nous observons un nombre croissant de mobilisations sociales impliquant un nouveau genre d’intervenants politiques contre ce genre d’infrastructures. Il s’agit de controverses où l’on retrouve non seulement des élites politiques traditionnelles, mais également des individus et des groupes issus de structures politiques non institutionnelles comme les groupes communautaires et les groupes environnementaux. Les programmes de collecte sélective et les infrastructures assurant le recyclage tardent aussi à se développer, compte tenu de l’absence des débouchés et des investissements majeurs qu’ils nécessitent.

3Face à cette situation, plusieurs gouvernements sont amenés à forger de nouvelles politiques et de nouvelles réglementations touchant la gestion des déchets et les procédés de production des entreprises. Ces nouvelles préoccupations relatives à la problématique de la gestion des déchets continueront à entraîner des changements économiques et sociopolitiques majeurs au cours des années à venir.

4Dans un tel contexte, comment arriver à intégrer la viabilité économique et les nouvelles préoccupations sociales et environnementales ? Il faut d’abord mieux comprendre les fondements des controverses environnementales et sociales relatives aux enjeux de la gestion des déchets. Analyser les revendications des principaux intervenants engagés dans des controverses de gestion des déchets permettra de dégager, dans un premier temps, la gamme des choix proposés par les acteurs dans le milieu.

5Le contexte plus global dans lequel s’inscrivent ces controverses locales doit également être étudié. Il faut identifier les autres acteurs sociaux susceptibles d’influencer l’évolution des dossiers locaux ou régionaux, tels les multinationales, les autres paliers gouvernementaux ou les groupes environnementaux ou communautaires de l’extérieur de la région. Il faut également évaluer l’impact de la réglementation et des différentes politiques de gestion des déchets sur les communautés concernées.

6Le décloisonnement des prises de décision, le développement de nouvelles technologies pour réduire la production de déchets ou offrir de nouveaux débouchés pour les matières recyclables, la création de nouveaux partenariats impliquant les divers intervenants en provenance des milieux communautaires, environnementaux, économiques, municipaux, provinciaux et nationaux, voilà autant d’éléments à comprendre si l’on veut créer de véritables consensus sociaux tout en favorisant la protection de l’environnement et la création de nouveaux débouchés pour les déchets-ressources.

7Il faut non seulement examiner l’ensemble des solutions mises de l’avant par les différents acteurs sociaux, mais aussi étudier des cas particuliers de gestion des déchets. En étudiant des mécanismes de prise de décision ou de concertation, nous pourrons mieux identifier les conditions permettant de lier et d’arrimer les facteurs sociopolitiques, environnementaux et économiques dans le domaine de la gestion des déchets.

8Afin de réaliser ces objectifs, il faut procéder à des études qui nécessitent un contact étroit avec les intervenants clés engagés dans la gestion des déchets. Des collectes de données doivent également inclure des analyses de contenu des principaux documents, des revues de presse et des entrevues avec les acteurs impliqués. Les dynamiques sociales ayant mené à la réalisation réussie de projets locaux et régionaux de gestion écologique des déchets permettront de circonscrire les facteurs favorisant la protection de l’environnement, l’équité sociale, la viabilité économique et la participation démocratique de la population. Les cas d’échecs, marqués par un manque de consensus ou encore par des impacts néfastes sur l’environnement et sur l’économie, retiendront également notre attention.

9Notre équipe a déjà entamé des recherches qui nous permettent de formuler les principaux éléments de cet axe de recherche prometteur. Ce programme peut être développé à même de multiples analyses de cas dont la plus pertinente, à court terme, porterait sur la gestion des déchets. L’analyse de la gestion des déchets peut être complétée par d’autres analyses de cas relatives aux formes de médiation par lesquelles passent le rapport entre l’économie et l’écologie. Nous sommes confiants d’arriver à mettre de l’avant un encadrement qui encouragera d’abord la recherche et la concertation dans l’élaboration de solutions face aux défis que pose la gestion des déchets. Un tel objectif contribuera à développer de nouvelles technologies viables, à mieux protéger l’environnement et à encourager le partenariat entre divers secteurs et intervenants dans le domaine. Cette approche pourrait également servir de fondement pour l’analyse des autres problématiques résultant de la médiation entre économie et écologie.

Gestion des déchets

Théorie et méthodologie

10Parler des mouvements sociaux de l’environnement implique qu’il ne suffit plus d’examiner les conflits sociaux concernant les enjeux environnementaux uniquement sous la dimension de luttes entre différents groupes d’intérêt. Les conflits environnementaux amènent souvent d’autres dimensions sociales, politiques et même culturelles. Il faut mieux comprendre la dynamique entre ces dimensions afin de pouvoir situer certaines problématiques environnementales dans un contexte global. Depuis quelques années, la problématique essentiellement technique et économique de la gestion des déchets est devenue un véritable enjeu sociopolitique au Québec.

11L’analyse inclut, entre autres :

1) une revue de la littérature sociologique sur les théories des mouvements sociaux ;
2) une étude des cas pertinents du Québec et d’ailleurs ;
3) une recherche participante avec les individus et les groupes actifs dans ce domaine ;
4) l’analyse et l’évaluation des façons dont ces individus et ces groupes marquent l’évolution sociale, politique et culturelle de la problématique.

12La collecte de données comprend, entre autres, des entretiens semi-dirigés, des rencontres avec les conseils d’administration de différents groupes actifs dans le domaine de la gestion des déchets et des questionnaires complétés par les personnes actives dans ces groupes. Cette collecte de données est complétée par, d’une part, une analyse des documents et des processus officiels et, d’autre part, par un suivi des diverses décisions prises dans le cadre de différents plans de gestion des déchets.

A) L’état de la situation des déchets solides

1) Les déchets, c'est quoi ?

2) Les déchets, qu'est-ce qu'on en fait ?

13L'« ÉLIMINATION » DES DÉCHETS-RESSOURCES : 78 % DES DÉCHETS SONT ENFOUIS OU BRÛLÉS

• L'ENFOUISSEMENT PÊLE-MÊLE (4 438 000 tonnes, soit 62 % des 7 221 000 tonnes de déchets générés)

• LES DÉPÔTS DE MATÉRIAUX SECS (800 000 tonnes, soit 11 % des 7 221 000 tonnes de déchets générés)

• L'INCINÉRATION (527 000 tonnes, soit 7 % des 7 221 000 tonnes de déchets générés)

• LE COMPOSTAGE EN VRAC (27 000 tonnes, soit 0,4 % des 7 221 000 tonnes de déchets générés)

14LA RÉCUPÉRATION DES DÉCHETS-RESSOURCES : 22 % SONT « RECYCLÉS »

• LA RÉCUPÉRATION INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE (1 462 000 tonnes, soit 20 % des 7 221 000 tonnes de déchets générés) N.B. environ la moitié provient d'une reclassification : on compte maintenant les carcasses d'automobiles dans cette catégorie

• LA COLLECTE SÉLECTIVE MUNICIPALE (93 000 tonnes, soit 1,3 % des 7 221 000 tonnes de déchets générés)

• LE COMPOSTAGE DES RÉSIDUS VERTS (15 000 tonnes, soit 0,2 % des 7 221 000 tonnes de déchets générés)

B) Les enjeux : Trois dimensions d'analyse

1) Les enjeux sociopolitiques : qui décide et comment ?

• l’institutionnalisation de conflits sociopolitiques :

• • loi 101 (études d'impact et audiences publiques sur tout projet d'agrandissement de site d'enfouissement)

  • audiences génériques sur la gestion des déchets solides au Québec

• de nouveaux réseaux de solidarité et d'échanges :

• • l'émergence de nouveaux acteurs sociaux et l'émergence de nouvelles identités

  • l'articulation du local et du global - « pas dans la cour à personne »

• la justice environnementale :

• • la démocratisation des processus

  • l'équité sociale et la qualité de vie

2) Les enjeux socio-économiques : qui paye quoi ?

• la redéfinition du développement économique :

• le développement économique communautaire et viable

• la production propre et le rejet zéro

• la redéfinition des coûts :

• l'intégration des coûts sociaux et environnementaux

• le cycle de vie des produits

3) Les enjeux socioculturels : qui fait quoi ?

• l'expérimentation de nouvelles pratiques individuelles et collectives :

• de la consommation à la conservation des ressources

• les ressourceries (centres communautaires de réduction, de réutilisation et de recyclage-compostage)

• les modes de responsabilisation individuels et collectifs :

• rendre responsable les producteurs de déchets

• régionalisation de la gestion des déchets-ressources