1Je travaille depuis maintenant près de cinq ans dans les groupes communautaires et environnementaux en matière de gestion des déchets au Québec. Je suis coprésident de la coalition montréalaise Action RE-buts et je siège au conseil d’administration du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets depuis 1991. L’avènement récent, au Québec, de la formule de médiation environnementale pour régler les conflits amène plusieurs personnes à se poser des questions. Avant de les poser et de tenter d’y répondre, j’aimerais préciser que je parle en mon propre nom. Toutefois, j’ai déjà participé à deux types de médiations environnementales concernant la gestion des déchets et je crois que ma réflexion sur ce sujet reflète, en partie, les préoccupations de mes collègues.

2La médiation environnementale entraîne deux niveaux de questionnement. D’une part, ce processus nous fait réfléchir sur la place qu’elle doit occuper dans l’ensemble de la consultation publique en environnement. Est-ce que la médiation peut améliorer la consultation publique ? Afin de répondre à cette question, il faut faire le point sur la consultation publique elle-même. D’autre part, l’autre niveau de questionnement porte sur le processus de médiation lui-même. Comment percevoir ce mécanisme relativement nouveau en matière de résolution de conflits environnementaux ? Quelles sont les préoccupations face à cette nouvelle façon de faire ? En guise de conclusion, j’offrirai quelques idées personnelles concernant les conditions nécessaires afin de rendre ce processus socialement, politiquement et environnementalement acceptable.

La consultation publique

3La participation du public en matière d’environnement est un acquis important et tout à fait récent, car il date de moins de 25 ans en Amérique du Nord. Ici au Québec, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement célèbre son^15e anniversaire cette année. Voici la mission de cet organisme :

Le BAPE a pour mission d’informer et de consulter la population sur des questions relatives à l’environnement, en vue de fournir, sous forme de rapport, une analyse et des constatations au ministre de l’Environnement et de la Faune. Le but visé est de faciliter la prise de décision gouvernementale.

Le Bureau encourage les citoyens à participer aux décisions qui découlent de projets dont les incidences affectent leur milieu de vie. Il assure aux citoyens l’accès à l’information et il leur permet de poser des questions nécessaires au sujet des projets, ou d’exprimer des opinions.

Agent d’évolution sociale, le BAPE recherche le consensus, ce véhicule d’acceptation des projets par la société et cette condition incontournable d’un développement durable. Écoute, équité, impartialité, neutralité, respect et transparence sont les principes qui guident son action (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (1994), L’Audience, vol. 3, n^o 3 (juin)).

4Le processus de consultation en environnement, que ce soit par l’entremise du BAPE ici au Québec ou par des institutions similiaires ailleurs, fait partie de l’ensemble des actions nécessaires pour arriver à prendre des décisions qui respectent l’environnement. Cependant, et nous le savons bien, l’existence du processus n’est pas une garantie en soi d’un tel résultat. Le BAPE, tel qu’il est conçu actuellement, n’est pas présent ni au début du processus de sélection des alternatives, ni à la fin du processus où les décideurs ont à prendre leur décision. Le BAPE fait partie des étapes, mais non de façon déterminante.

5Qu’est-ce que le processus de consultation permet ? Il force un promoteur à répondre à des questions concernant son projet. Ceci permet de jauger les forces et les faiblesses du projet et du promoteur. Et le processus accorde aux citoyens et aux citoyennes, aux groupes communautaires et environnementaux et aux autres intervenants un forum dans lequel ils et elles peuvent s’exprimer. Et notons-le, car c’est extrêmement important, les fonctionnaires du BAPE font beaucoup d’efforts pour faciliter la participation du public au processus de consultation publique. Cela n’est pas à négliger et doit, en fait, continuer. Ces fonctionnaires devraient avoir encore plus de moyens afin de faciliter la participation publique. Mais cela nécessiterait un nouveau type d’encadrement et de directives. Et ce nouveau type d’encadrement et de directives ne peut s’articuler qu’après l’examen des aspects négatifs du BAPE. En effet, le processus compte aussi des lacunes.

6Le plus important, sans aucun doute, c’est le fait que la population-cible, celle qu’on vise afin de la faire participer le plus possible, est celle qui a peu de moyens et de ressources pour participer. Dans un processus de consultation, les commissaires et leur équipe sont payés pour participer, cela va de soi. Un journaliste estime qu’une consultation concernant un projet de gestion des déchets coûte au minimum 250 000 $ (Francoeur, Le Devoir 12-09-94 : A2). Les promoteurs sont payés pour être là, et dans bien des cas ce sont des fonds publics qui ont été dépensés afin de réaliser les études d’impact et payer les consultants, les avocats, les experts, etc. Je donne un exemple. Dans le cas des audiences concernant le plan de la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’île de Montréal (qui est de construire le plus grand incinérateur de déchets solides au Canada), on a dépensé 50 000 $ pour « simuler » les audiences et préparer M^me Vera Daniluk, alors mairesse de Ville Mont-Royal, à défendre le projet devant le BAPE. Enfin, les personnes-ressources des divers organismes et institutions gouvernementales sont également payées pour faire leur travail pendant les audiences.

7Mais les citoyens, les citoyennes et les groupes communautaires et environnementaux doivent maîtriser un dossier, poser des questions, examiner les alternatives possibles et rédiger un mémoire sans aucune ressource pour le faire. Dans le cas des groupes environnementaux et communautaires, la situation est dramatique : ils ont de moins en moins de moyens et de ressources. Nous avons pensé à un système de consultation publique, mais nous avons négligé de penser à s’assurer que le public puisse y participer. Si la tendance continue à se maintenir, il se pourrait qu’on se retrouve avec des processus de consultation où seuls les experts financés ou payés auront le luxe d’y participer. Que devient alors la pertinence de telles audiences ?

8Cela veut donc dire que le « rapport de forces » n’est pas égal lors d’une consultation publique. Les citoyens et citoyennes « ordinaires », de même que les groupes de bénévoles qui veulent participer sont désavantagés. Pourquoi ? Parce que ceux et celles qui veulent vraiment participer doivent le faire en dehors des heures de travail, en dehors de leur temps avec la famille, les amis, etc. Les groupes communautaires et environnementaux sont très peu outillés, ce qui rend la tâche plus difficile. C’est ainsi que le processus qui est censé les favoriser se retourne contre eux. Non seulement doivent-ils poser des questions sur l’unique projet qui est sur la table, mais ils doivent aussi le faire à l’intérieur d’un temps très limité. Ils doivent se satisfaire des réponses qui leurs sont données, même si celles-ci sont jugées inadéquates. En effet, seuls les commissaires jugent de la qualité des réponses. Lorsque ces commissaires sont moins que vigilants, ce sont les intervenants qui souffrent des carences sans avoir un « droit de recours ».

9Enfin, la consultation, comme le dirait Yvon Deschamps, quossa donne ? Le processus de consultation vient à la toute fin et n’exige pas l’examen de l’ensemble des alternatives. Il est appliqué souvent dans du cas par cas, ce qui multiplie les consultations sans aborder les questions d’ensemble. De plus, il n’y aucun mécanisme d’intégration des recommandations au processus de prise de décision. Et le BAPE n’a pas à juger de la portée de ses recommandations sur les décideurs ou sur le suivi à faire concernant ses recommandations. Il est peutêtre temps qu’il le fasse, car les expériences récentes en matière de gestion des déchets nous amènent à poser plusieurs questions.

10Ici sur l’île de Montréal, la coalition Action RE-buts a été invitée à participer à dix processus de consultation concernant un aspect ou un autre de la gestion des déchets et des résidus de l’île entre janvier et novembre 1994. Une coalition de bénévoles à qui on demande de participer à dix processus de consultation en moins d’un an sans aucune aide financière.

11Il s’agit de :

1) consultation sur l’incinération des déchets dangereux, des huiles et des pneus dans les cimenteries par le BAPE : janvier 1994 ;
2) consultation sur la relaxation du règlement 90 concernant la qualité de l’air par la CUM : février 1994 ;
3) audiences sur le projet de Centre énergétique de cogénération de Montréal-Est par le BAPE : avril 1994 ;
4) ces dernières audiences ont directement chevauché les audiences du BAPE concernant le projet de cogénération Gazmont à la carrière Miron : avril 1994 ;
5) consultation concernant le Rapport Roquet sur la gestion des déchets sur l’île de Montréal par la CUM : mai 1994 ;
6) consultation sur la médiation environnementale du projet d’agrandissement du site d’enfouissement BFI à Lachenaie par le BAPE ; la compagnie compte, entre autres, sur les déchets de Montréal pour justifier son agrandissement : juillet 1994 ;
7) audiences concernant le projet d’agrandissement du site d’enfouissement de Sainte-Anne-de-la-Rochelle par le BAPE ; la compagnie compte elle aussi, entre autres, sur les déchets de Montréal : septembre 1994 ;
8) période de consultation sur l’agrandissement du site d’enfouissement Demix des cendres de l’incinérateur des boues de l’usine d’épuration des boues de la CUM par le BAPE : octobre 1994 ;
9) processus de médiation environnementale sur les 3R pour l’île de Montréal par la CUM : octobre 1994 ;
10) annonce d’une consultation concernant la médiation environnementale par le BAPE : novembre 1994.

12Cela commence à friser le ridicule. Et cette liste n’est pas exhaustive, car s’ajoutent à ces 10 processus de consultation des audiences concernant l’incinération des BPC et celles concernant la gestion des déchets nucléaires. Cette surconsultation sans les moyens poussent de plus en plus de groupes à se poser des questions sérieuses sur le processus de consultation lui-même. Loin de renforcer les acquis du processus de participation du public et d’être un véhicule de l’acceptation sociale de projets, le BAPE est vu comme étant un participant non critique d’un processus de banalisation de la consultation.

13Le verdict est peut-être sévère, mais il peut se justifier. Je reviens au domaine de la gestion des déchets. En 1991, plusieurs groupes environnementaux et communautaires, ainsi que bon nombre d’autres intervenants, exigent la tenue d’une audience générique, une audience publique générale sur l’ensemble des alternatives de traitement des déchets à l’échelle du Québec en vue de formuler une véritable politique québécoise de gestion des déchets-ressources. En 1992, le Bureau de consultation de Montréal, après la tenue des audiences sur le plan de gestion des déchets de la Ville de Montréal, fait la même recommandation. Plusieurs intervenants en viennent à la même conclusion. En 1993, les audiences publiques du BAPE concernant la gestion des déchets à Melocheville (dépôt de matériaux secs), à Saint-Tite-des-Caps (site d’enfouissement, entre autres, de cendres d’incinération) et à Montréal (projet de la RIGDIM) formulent tous la même recommandation. Plutôt que de donner suite à la recommandation, le gouvernement décide de continuer à faire du cas par cas et déclenche des audiences à Sainte-Anne-de-la-Rochelle, à Montréal et une médiation environnementale à Lachenaie. Le BAPE n’a-t-il pas l’indépendance de pouvoir dire « non » au gouvernement ? N’a-t-il pas la liberté d’expliquer que dans la problématique de la gestion des déchets solides, nous ne devons plus continuer à faire du cas par cas ? Cela devient une question importante, car en 1994, le résultat des audiences du projet Gazmont à la carrière Miron et de la tentative de médiation à Lachenaie ont également recommandé la tenue de telles audiences. Le message doit être formulé combien de fois avant d’y donner réellement une suite ?

14Il est essentiel de saisir l’importance de ce point-ci. Je ne veux pas remettre en question les acquis du BAPE ni remettre en question le bien-fondé de la consultation publique. Sauf que dans le cadre d’une réflexion concernant la meilleure façon d’inviter la population à se prononcer dans les projets qui la concernent, et d’intégrer ses préoccupations dans le processus de prise de décision, qu’il soit public ou privé, un tel exercice doit faire référence aux tendances actuelles en matière de consultation publique. Personnellement, je veux renforcer la consultation publique et la rendre obligatoire dans le cheminement décisionnel. Cependant, il nous reste à discuter et à débattre de la manière d’atteindre cet objectif. Ce qui nous amène directement au processus de la médiation environnementale.

15Si la médiation ne fait qu’ajouter à la surconsultation en cours actuellement et si, de plus, elle donne encore moins de temps aux requérants pour se familiariser avec les dossiers, et cela dans un processus à huis clos, il devient évident que c’est un processus à rejeter. La médiation environnementale ne peut être vue comme une solution, ou une « meilleure façon de faire » de la consultation publique en environnement dans la conjoncture actuelle. Si nous voulons améliorer la qualité du travail du BAPE, nous avons d’autres questions à nous poser et d’autres solutions à envisager. Mais si nous voulons voir comment le processus de médiation peut s’ajouter dans le contexte actuel, je crois qu’il y a très, très peu de possibilités qui s’offrent à nous. Avant d’expliquer les raisons, il est important de définir le processus de médiation environnementale et de rappeler son origine.

La médiation environnementale

16La médiation environnementale est un concept provenant des États-Unis. La raison du développement de cette formule est fort simple. Dans un pays où tout, enfin presque tout, peut être l’objet d’un litige devant les tribunaux, la médiation environnementale a été présentée comme une façon d’éviter les longues et coûteuses poursuites judiciaires. Son adaptation dans le contexte québécois est assez récente. Selon le BAPE, la médiation comme façon de régler les conflits ne date que de quelques années seulement. La définition du BAPE de la médiation environnementale est la suivante :

[un] processus où une tierce partie, indépendante et impartiale et qui n’a pas le pouvoir et la mission d’imposer une décision, aide les parties, généralement un promoteur et des requérants d’audience, à régler leurs différends ou à s’entendre sur des points précis. L’objectif de la médiation en environnement est donc d’amener les parties à conclure une entente (BAPE juin 1994 : 18).

17En soi, le processus s’ajoute aux outils déjà disponibles sur la façon de résoudre des conflits environnementaux. Sa particularité est que la toile de fond dans laquelle s’inscrit le projet doit déjà faire partie d’un consensus, car « le recours à la médiation n’[est] possible que s’il y [a] accord du ou des requérants sur la justification du projet et sur sa réalisation potentielle » (ibid.). Ce qui, dans l’état actuel des choses, ne donne pas énormément de possibilités à ce processus. Il y a trois raisons principales pour cela :

1) le principe de négociation présent dans la médiation ;
2) le rapport de forces entre les parties ;
3) l’utilisation de la compensation dans les conflits environnementaux.

18Certaines des idées qui suivent ont été puisées dans un excellent livre sur le sujet intitulé The Politics of Environmental Mediation, par D. Amy (1987). Je le recommande fortement. D’ailleurs, je commencerai en partageant avec vous une anecdote tirée du livre de M. Amy qui fait référence au rapport de forces présent dans un processus de médiation. C’est une histoire de chasse. Un chasseur arrive face à face avec un ours. Il s’apprête à le tuer, mais l’ours lui crie : « Attendez ! N’est-il pas mieux de discuter que de tirer ? Qu’est-ce que vous voulez ? On peut négocier ! » Le chasseur lui répond : « Je veux un manteau de fourrure. » « Très bien, lui répond l’ours. Négocions ! J’ai un creux dans l’estomac. Je veux juste le remplir. Soyons raisonnables ! » Les deux adversaires traditionnels s’asseoient ensemble afin de négocier. Après un certain temps, l’ours est reparti, seul. Son ventre était plein, et le chasseur avait son manteau de fourrure.

19Qu’arrive-t-il lorsque les intérêts des parties ne sont pas négociables ? Est-ce qu’on se retrouve dans le ventre de l’ours ? La logique de la médiation mène à la négociation en vue d’une entente. Cependant, les groupes environnementaux et communautaires ont souvent à défendre des principes de qualité de vie, d’équité et de justice sociales, de démocratie ou encore de respect de l’environnement, des items non négociables. Un autre aspect à considérer lorsqu’on parle de médiation est le principe d’inclusion et d’exclusion. Bon nombre de groupes communautaires et environnnementaux au Québec doivent se faire reconnaître comme intervenants légitimes. Si ces groupes n’ont pas fait la preuve d’un « pouvoir » quelconque, ils peuvent facilement être ignorés et donc se retrouver carrément en dehors du processus de médiation. Pourtant, ce n’est pas parce qu’il n’a pas les ressources nécessaires que les intérêts défendus par un groupe local sont moins importants.

20Le rapport de forces est le deuxième point majeur pour les groupes. Selon Amy, la participation du public à des audiences ou à la médiation peut donner l’illusion de pouvoir aux citoyens et aux citoyennes, mais, en réalité, certains constatent que la consultation existe afin de rendre plus crédible et plus socialement acceptable une décision déjà prise. Le public est invité non pas à participer au processus décisionnel, mais bien à mettre au défi les promoteurs en trouvant les failles dans leurs projets qui sont, à toutes fins pratiques, presque acquis. À partir de cette perspective d’analyse, la médiation environnementale devient un outil encore plus efficace et plus rapide permettant une négociation menant à des ententes entre les parties. Les inégalités qui existent au niveau de la consultation publique se manifestent également dans un processus de médiation. La médiation ne fait que légitimer et reproduire les inégalités d’accès à l’expertise, qu’elle soit technique, juridique ou autre, entre les intérêts du public et les intérêts privés ou gouvernementaux. La médiation environnementale ne permet pas de rétablir le déséquilibre qui existe entre les intervenants.

21Pour que la médiation environnementale soit efficace et équitable, il faut un équilibre entre les parties qui négocient. Cela veut dire que dans l’état actuel des choses, les groupes communautaires et environnementaux, étant peu expérimentés dans ce genre de processus et disposant de peu de ressources, sont nettement désavantagés. Des négociateurs professionnels peuvent exploiter cette faiblesse.

22Pour les groupes, les risques posés par la médiation sont énormes. Devons-nous investir le peu de temps et d’énergie disponibles dans un processus qui, ne pouvant intégrer nos intérêts et nos préoccupations, ne servira finalement à rien ? Ne serait-il pas mieux d’investir notre temps et nos ressources ailleurs ?

23Avant de conclure, laissez-moi vous dire quelques mots sur la compensation et la mitigation. Les études d’impact sur l’environnement ont comme objectif, entre autres, de déterminer s’il est possible de mitiger, dans un projet donné, les impacts sur l’environnement. Lorsque tous les efforts de mitigation sont en place, il s’agit alors d’envisager la compensation, c’est-à-dire de dédommager la communauté dans laquelle les activités vont avoir lieu. Les conflits environnementaux sont complexes et multidimensionnels et la façon d’envisager ces conflits, avec ou sans la mitigation et la compensation, doit faire partie de la réflexion. Cependant, il est évident que, dans la réalité quotidienne, certains promoteurs partent du principe que l’installation doit être construite et que c’est à la population de s’y adapter. Ce genre de phénomène survient de plus en plus. Et la médiation environnementale risque de simplifier à outrance ce genre d’imposition.

24Prenons le cas de la Ontario Waste Management Corporation (OWMC). On accorde autant d’importance à la conception et à la gestion du projet de construire un incinérateur de déchets dangereux dans une communauté rurale qu’à la gestion de l’adaptation de la population au projet. Il est évident que les facteurs de conception et de gestion de l’installation doivent être examinés. Mais il est également évident que la décision d’aménager une installation n’est pas immuable et que l’installation devrait, en principe, s’adapter à la population et non l’inverse.

25Dans le cas de la OWMC, il y a eu des négociations avec différents intervenants. Dans le Globe and Mail du 5 décembre 1992, la OWMC s’est engagée à garantir la valeur des propriétés autour de son projet. Selon John Jackson du Réseau canadien des groupes écologistes, la OWMC a reconnu que l’incinérateur générerait des quantités importantes de poussières, de bruits et d’odeurs. Plutôt que de changer l’installation, la OWMC propose de séparer les citoyens et les citoyennes de l’installation en scellant, de façon permanente, les fenêtres des maisons et en fournissant, gratuitement, l’air climatisé. On propose également d’aménager, dans les cours de ces maisons, des patios avec des grandes clôtures afin que toute la famille puisse bénéficier de la cour tout en étant à l’abri des retombées de l’incinérateur (Jackson 1993 : 35-39).

26Nous pouvons donc généraliser à partir de cet exemple. Comme l’explique M. Jackson, les technologies d’incinération et d’enfouissement connaissent de l’opposition partout où elles sont proposées. Alors pourquoi continuer à tenter de faire adapter la population à la technologie ? Pourquoi ne pas adapter la technologie aux besoins de la population ?

27Ces questions sont importantes, car le processus de médiation peut mener à des négociations de compensation qui viendraient brouiller l’enjeu principal. Or, l’objectif de la consultation ou de la médiation doit être de trouver le meilleur système de gestion des déchets. Plutôt que de parler de compensation monétaire, il faut élaborer un plan de gestion de déchets qui va garantir qu’une installation de traitement de déchets fermera ses portes quand elle ne sera plus nécessaire parce que les efforts importants de réduction, de réutilisation et de recyclage-compostage auront porté fruit.

28Les exigences envers le processus de médiation sont semblables à celles de la consultation en général. Il faut fournir tous les efforts possibles afin d’assurer la participation de l’ensemble des intervenants qui risquent d’être affectés ou qui auront à payer pour un nouveau projet. Il faut que cette participation se fasse au début du processus et l’ensemble des alternatives doivent être envisagées. Les justifications sociale et environnementale doivent compléter les justifications technique et économique faites actuellement. Seulement une telle vue d’ensemble permettra de prendre une décision éclairée. Et il doit y avoir un suivi public auprès des décideurs et des gestionnaires afin de vérifier si les garanties faites à la communauté ont été respectées. Sinon, il faut se doter de moyens afin d’intervenir rapidement et efficacement, afin de fermer de façon définitive l’installation, ou encore la fermer en attendant la réalisation de correctifs nécessaires.

29Les individus et les groupes concernés par les conflits environnementaux doivent obtenir du financement afin de participer efficacement et équitablement aux processus de consultation. Il n’est plus question de tout faire bénévolement. Le gouvernement et les entreprises ont beaucoup de ressources pour participer à des processus de consultation. Idéalement, les groupes communautaires et environnementaux devraient avoir accès à des ressources pour financer :

• des contre-expertises faites par des experts indépendants et des chercheurs pour rédiger des textes et des mémoires ;

• des activités nécessaires à la prise de position du groupe pour la consultation ou la médiation en cours : entre autres, les réunions, les forums, les débats, les lettres et la publicité ;

• les frais de déplacements, de garde d’enfants, de traduction et autres dépenses similaires.

30Il faut toujours rejeter les consultations privées se tenant derrière des portes fermées, à moins de conditions réellement extraordinaires. Le processus d’exclusion est souvent une tactique utilisée pour monter les groupes les uns contre les autres, ou encore pour ne donner qu’une information limitée aux groupes en présence. Cela empêche également l’accès de personnes qui veulent connaître la position des différents intervenants sur la question.

31Actuellement, la médiation environnementale n’est pas envisageable comme méthode de résolution des conflits environnementaux, pour toutes les raisons énumérées. La médiation environnementale pourrait jouer un rôle dans la résolution de conflits environnementaux, mais seulement à ces conditions :

1) le processus doit être volontaire et public ;
2) tous les intervenants doivent participer ;
3) les groupes communautaires et les groupes environnementaux ne
doivent pas être en minorité par rapport aux promoteurs privés ou
publics ;
4) les participants et les participantes doivent pouvoir entreprendre
une analyse complète des avantages et des désavantages du processus ;
5) le rapport de forces doit être équilibré (par exemple, financement
des groupes) ;
6) les objectifs et les intérêts de tous les participants doivent être considérés équitablement (Maynes 1989).

32Je crois que c’est la seule façon pour les groupes environnementaux et communautaires de ne pas aboutir dans le ventre de l’ours.