Chapitre 8. La loi 61, un travail de réforme à refaire
1993
p. 143-151
Note de l’éditeur
Communication présentée lors des Journées d’analyse et d’échange sur la modification de la Loi sur la qualité de l’environnement (Loi 61 et règlements afférents), organisées par l’Association québécoise pour l’évaluation d’impacts, le 17 mars 1993.
Texte intégral
1En Général, les processus d’évaluation environnementale visent à identifier les incidences qu’un projet peut avoir sur le milieu biophysique et social et à présenter les solutions de moindre impact environnemental. On tente ainsi d’intégrer les éléments environnementaux et sociaux dans les processus de prise de décision. Quant à eux, les mécanismes de participation du public sont intégrés dans les processus d’évaluation environnementale afin, d’une part, d’introduire des considérations et des valeurs humaines et sociales dans le choix des priorités et, d’autre part, dans le but de démocratiser les processus de décision qui affectent la qualité de vie des gens.
2Au Québec, voilà plus de dix ans que le gouvernement a doté la Loi sur la qualité de l’environnement de mécanismes d’évaluation environnementale et de participation du public. Au cours de ces années d’application, plusieurs modifications ont été proposées par différents intervenants gouvernementaux et sociaux pour améliorer la procédure québécoise d’évaluation environnementale et ses mécanismes de participation du public.
3La Loi 61, sanctionnée le 18 décembre 1992, met en application quelques-unes des recommandations formulées depuis quelques années par les différents intervenants. Ainsi, par exemple, on intègre plus tôt la participation du public dans l’évaluation environnementale ; il est prévu que des ressources financières soient offertes aux groupes participants afin de faciliter leurs interventions (on manque toutefois de précision sur les sommes d’argent disponibles et les modes d’attribution des fonds) ; on a instauré la possibilité que des programmes gouvernementaux fassent l’objet d’une évaluation environnementale et les projets de sites d’enfouissement sanitaire, de déchets spéciaux et de matériaux secs font entre autres partie des nouveaux projets faisant l’objet d’une évaluation environnementale. Toutefois cette loi, dont la portée sociale et environnementale est fondamentale pour le Québec, a été sanctionnée sans que la population puisse en faire l’étude et proposer des éléments d’amélioration. Ainsi, la Loi 61 n’a pas pu bénéficier des apports que ses propres règles tentent d’appliquer à des projets et à des programmes. Ce projet de loi, sanctionné en toute hâte, présente donc des lacunes importantes qui auraient probablement pu être évitées. Je présenterai ici quelques-uns des problèmes qui apparaissent fondamentaux et qui touchent plus particulièrement la participation du public.
Projets soumis à l’évaluation environnementale et à la participation du public
4La liste des projets soumis à l’évaluation environnementale et à la participation du public est un des éléments très importants de la procédure. Si un projet n’est pas inscrit dans cette liste, la population a moins de chances de voir celui-ci faire l’objet d’une évaluation environnementale et d’une consultation publique, et cela même si le projet a des incidences importantes sur l’environnement et la santé de la population.
5La Loi 61 introduit deux catégories de projets qui seront assujetties à des règles de procédures différentes : les projets à enjeux ou impacts majeurs et les projets à enjeux ou impacts mineurs. Dans la liste de projets à impacts majeurs, présentée dans le projet de règlement sur l’évaluation environnementale (décembre 1992), on note l’assujettissement de nouveaux projets tels les projets d’implantation de lieux d’enfouissement sanitaire, de dépôt de matériaux secs ou de sites de déchets spéciaux. Si ces dispositions sont appliquées, on pourra voir dans ces cas une sensible amélioration de la situation. Par contre, pour plusieurs projets, on a rendu plus sévères les paramètres qui les mettent dans la voie des projets à impacts majeurs et qui feront donc l’objet d’une enquête et d’une audience publiques. C’est le cas par exemple des projets de construction ou d’élargissement de routes et des projets de construction, de reconstruction, de remplacement, de rehaussement ou de démolition d’un barrage, d’une digue ou d’un seuil placé à la décharge d’un lac ou d’un réservoir.
6Maintenant, plusieurs dispositions de la Loi 61 et du règlement peuvent venir restreindre l’assujettissement automatique des projets à des audiences publiques. On identifie entre autres les éléments suivants :
Le gouvernement a le pouvoir discrétionnaire de juger frivole une demande faite par le public (art. 31.9.7). Auparavant, ce pouvoir était dévolu au ministre de l’Environnement. En plus de réduire le pouvoir du ministre de l’Environnement, cette nouvelle mesure introduit la possibilité que le projet échappe aux audiences pour des raisons autres qu’environnementales. Des ministres influents comme ceux liés au développement économique peuvent ainsi plus facilement empêcher la tenue d’audiences publiques en contestant les raisons invoquées par les citoyens et les citoyennes pour justifier la tenue de telles audiences.
Le gouvernement peut également utiliser l’article 31.9.18 de la Loi 61 pour soustraire un projet d’une partie ou de la totalité des dispositions de l’évaluation environnementale et de la participation du public, s’il le juge nécessaire dans l’intérêt public. Il s’agit d’un recul extrêmement important qui pourrait avoir des répercussions sur la crédibilité de la procédure. Avant cette modification, le gouvernement ne pouvait soustraire qu’exceptionnellement des projets au nom de l’intérêt public (art. 31.6). Ainsi, les raisons que pouvait invoquer le gouvernement devaient être extraordinaires pour soustraire un projet. En enlevant le qualificatif « exceptionnellement » on ouvre encore une fois la marge discrétionnaire du gouvernement. On peut aussi d’ores et déjà imaginer les lobbies des promoteurs courtiser les ministres des secteurs économiques pour qu’ils utilisent cette large brèche afin de leur éviter les évaluations environnementales et la participation du public. Dans ce cas, les certificats d’autorisation pourraient être émis sans que la population ait la garantie que le ministère de l’Environnement imposera ses conditions de réalisation. Si le gouvernement utilise cette mesure à outrance, et plus rien ne garantit que la situation ne se produira pas, des projets ayant des impacts majeurs sur l’environnement et la santé pourront obtenir des autorisations, et cela, sans que la population en soit informée.
Tous les projets qui découlent d’un programme du gouvernement, ou de l’un ou l’autre de ses ministères ou organismes, qui ont été évalués dans le cadre de la procédure d’évaluation environnementale, peuvent également être soustraits à une évaluation environnementale et à la participation du public (art. 31.6). Cet article de la Loi 61 risque d’ajouter un nombre important de projets qui ne seront pas évalués. Si le besoin de réduire les exigences des évaluations environnementales des projets découlant des politiques et des programmes a déjà été souligné par le passé, entre autres par le rapport Lacoste, cela n’enlève pas la nécessité qu’il faut encadrer davantage cette mesure. L’analyse environnementale des politiques et des programmes ne permet pas d’évaluer le milieu dans lequel seront implantés les projets qui découlent de ces politiques et des programmes étudiés préalablement. Des conditions très strictes devraient être mises en vigueur afin d’assurer que des projets aux impacts majeurs sur un milieu particulier n’échappent pas à l’évaluation environnementale et au débat social.
Le gouvernement peut également soustraire un projet, en tout ou en partie, de la procédure d’évaluation environnementale si la réalisation du projet, déjà assujetti à cette procédure avant l’entrée en vigueur de la Loi 61, commence au plus tard un an avant son adoption. Par cette disposition, la population peut se voir encore une fois privée de son droit d’être consultée sur des projets. De plus, le ministre de l’Environnement n’est pas non plus le maître d’oeuvre dans cette décision. Cela implique que les enjeux de protection de l’environnement et de santé publique peuvent être laissés pour compte au profit des enjeux d’ordre économique ou autres avancés par d’autres ministres du cabinet.
Pour les projets à impacts mineurs ou majeurs, il est prévu qu’il n’y aura pas d’audiences publiques ou de médiation si, d’une part, le ministre de l’Environnement détermine qu’il s’agit d’un projet à impacts mineurs ou si, d’autre part, le gouvernement décide de renverser la décision du ministre de l’Environnement, dans le cas ou ce dernier aura jugé qu’il s’agit d’un projet à impacts majeurs (art. 31.9.2). Si la procédure ne s’applique pas aux projets jugés mineurs, on pourrait conclure que le gouvernement vise à réduire le nombre de projets qu’il aura à examiner. Toutefois, c’est plutôt la règle du deux poids, deux mesures qui, dans les faits, s’applique ici. Cette disposition prend pour acquis que le ministre de l’Environnement peut se tromper en décidant qu’il s’agit d’un projet à impacts majeurs mais il ne se trompe pas lorsqu’il aura décidé que le projet a des impacts mineurs. Le gouvernement dispose encore une fois du pouvoir d’imposer ses règles au ministre de l’Environnement. Cela peut se faire au détriment de la protection de l’environnement et du droit de la population de s’exprimer en audience publique.
Les politiques et les programmes soumis à l’évaluation environnementale et à la participation du public
7L’évaluation environnementale et la consultation publique sur des politiques et des programmes introduits dans la Loi 61 constituent une mise en application d’une recommandation qui a été régulièrement formulée par des chercheurs ou des organismes environnementaux. Toutefois, les conditions d’application de cette mesure demeurent beaucoup trop timides. En effet, l’évaluation environnementale des programmes ne se fera que si le ministre responsable de ce programme ou le gouvernement en fait la demande. Ainsi, une grande marge de manoeuvre échappe encore au ministre de l’Environnement, réduisant d’autant la possibilité que la population puisse être consultée sur ces programmes et politiques. À tout le moins, la liste des politiques et des programmes des différents ministères devrait faire l’objet d’une évaluation de la part du ministre de l’Environnement et de la population. Si, après examen, on détermine que les programmes et les politiques sont susceptibles d’avoir des incidences importantes sur l’environnement, le ministre de l’Environnement doit alors avoir le pouvoir de déclencher des audiences et une enquête publiques.
8L’idée de permettre une évaluation environnementale et publique des programmes des municipalités est intéressante. Le BAPE, comme infrastructure spécialisée en environnement et en consultation publique, peut ainsi servir à des fins plus larges. Toutefois, on devrait aussi permettre l’évaluation des programmes soumis par les MRC et les regroupements de municipalités ou de MRC. Si on fait l’évaluation des programmes municipaux et régionaux, tels que ceux de gestion des déchets par exemple, on ne devrait en aucun cas restreindre l’évaluation environnementale et publique des projets qui en découlent. Ces projets, comme d’autres ayant des impacts majeurs sur l’environnement, méritent une analyse la plus complète qui soit, même si les politiques et les programmes dont ils découlent ont été évalués préalablement.
La consultation du public
9Dans le cadre de la Loi 61, le public intervient plus tôt dans la procédure d’évaluation environnementale. La population est consultée sur les avis de projet et les documents portant sur les enjeux et les impacts du projet. Par contre, les citoyens et les citoyennes ne peuvent toujours pas donner leur point de vue sur les directives pour la production de l’étude d’impact. C’est pourtant l’une des recommandations importantes du rapport Lacoste. Cette mesure permettrait d’assurer que les préoccupations et les enjeux soulevés par le public soient pris en considération dans l’étude des différentes options du projet et dans la réalisation de l’étude d’impact.
10Dans le cas des projets à enjeux ou impacts majeurs, la population pourra consulter les analyses techniques produites par le ministère de l’Environnement. Cet élément, qui manque aux règles actuelles, bonifie la procédure. La population disposera ainsi d’une information plus complète pour produire un mémoire. Il est à noter que pour les projets à impacts mineurs, la population ne dispose pas de l’analyse technique du ministère de l’Environnement pour étudier les projets. Ainsi, les citoyens et les citoyennes sont privés d’informations fort pertinentes à la compréhension des enjeux.
11La Loi 61 prévoit la possibilité d’utiliser des mécanismes de médiation pour les projets à impacts majeurs. Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement a déjà procédé à des médiations par le passé et l’ajout de ces mécanismes de médiation à la nouvelle procédure vient officialiser le pouvoir du BAPE à cet effet. Par contre, pour mieux assurer que ces médiations s’effectueront dans les règles de l’art, il est important qu’elles soient encadrées de manière souple mais stricte. Le choix des interlocuteurs, les enjeux de la médiation, les modes de résolution des conflits en cas d’impasse constituent quelques-uns des éléments pour lesquels il faut disposer de conditions d’application très claires. Ces conditions sont absentes des nouvelles mesures législatives présentées jusqu’ici.
12Concernant les projets à enjeux ou impacts jugés mineurs, il devrait être possible que des audiences publiques se tiennent, dans le cas où la production et l’analyse de l’étude d’impact révèleraient des enjeux ou des impacts majeurs non identifiés aux étapes précédentes de la procédure. Le temps à la disposition de la population pour l’analyse de l’étude d’impact de ces projets doit également être suffisamment long pour permettre une étude adéquate du dossier. Pour les projets à impacts mineurs, la population ne dispose en effet pas du temps nécessaire pour l’examen plus approfondi du projet dans le cadre d’une audience publique ou d’une médiation. Le projet de règlement sur l’évaluation environnementale (section 3, art. 33 et 34) ne prévoit que 30 jours pour que toute personne puisse consulter l’étude d’impact et faire part de ses préoccupations et de ses intérêts. Dans certains cas, ce délai paraîtra d’autant plus court que la procédure ne prévoit pas de restriction quant à la nature encyclopédique des études d’impact. Certains promoteurs ont en effet tendance à noyer l’analyse et l’évaluation des impacts dans une mer rébarbative de données biophysiques à caractère simplement descriptif.
13Au niveau des suivis et des contrôles, il n’existe pas dans la Loi 61 de disposition permettant de soumettre à la consultation publique les projets déjà évalués et pour lesquels le promoteur demande des modifications majeures à une autorisation obtenue dans le cadre de la procédure. Ainsi, par exemple, certaines demandes de changement des certificats d’autorisation viennent parfois modifier de manière importante l’étendue du projet ou encore la nature des procédés utilisés. Ces types de changement devraient être rendus publics et faire aussi l’objet d’une consultation si on ne veut pas que les populations consultées sur les projets se sentent bafouées par les règles du jeu.
14Enfin, les règles de procédure relatives aux audiences publiques seront réalisées par le BAPE et soumises à l’approbation du gouvernement. Actuellement, le gouvernement n’a annoncé aucune mesure pour introduire la consultation publique sur le contenu de ces règles. C’est pourtant là que se dessinent les principaux rôles que pourront jouer les personnes participant aux audiences. Des conditions adéquates de consultation doivent donc être mises en place afin d’assurer la tenue d’un débat social sur le sujet.
15Dans un autre ordre d’idées, le ministre de l’Environnement a utilisé, par le passé, les pouvoirs que lui confère l’article 6.3 pour demander la tenue d’audiences et d’enquêtes lorsqu’il le juge à propos. L’expérience démontre que, dans ces cas, les règles de procédure de l’évaluation environnementale et de consultation publique doivent être mieux définies. Ainsi, par exemple, dans le cas des consultations publiques sur l’évaluation de l’agrandissement des sites d’enfouissement de Saint-Jean-de-Matha et de Saint-Tite-des-Caps, les populations concernées avaient très peu de temps pour réagir. De plus, beaucoup trop d’informations manquaient au dossier pour qu’une analyse adéquate des impacts environnementaux et sociaux puisse être réalisée.
16Dans l’ensemble, on a enlevé une trop grande partie de ses pouvoirs au ministre de l’Environnement. En effet, en plus de laisser une large marge discrétionnaire au gouvernement, le ministre de l’Environnement peut continuer de diluer son pouvoir, en déléguant des pouvoirs importants aux ministres responsables d’un programme ayant déjà été soumis à la procédure d’évaluation environnementale. Ainsi, par exemple, les ministres à vocation économique pourront euxmêmes rendre publiques les études d’impact, les évaluer et délivrer les certificats d’autorisation. Dans ces circonstances, aucune mesure n’est prévue pour garantir que le ministère de l’Environnement jouera son rôle de chien de garde de l’environnement. Le ministre doit donc remettre la Loi 61 sur la table de travail pour améliorer de manière importante son contenu.
17Terminons enfin en soulignant l’importance pour le gouvernement de tenir des audiences et une enquête publiques sur la gestion des déchets solides à l’échelle du Québec. Ces audiences doivent permettre de lever les obstacles trop nombreux qui empêchent la mise en application d’une gestion écologique et démocratique de nos déchets-ressources. De telles audiences permettront aussi de mener les principaux acteurs sociaux à se concerter pour mettre en place les solutions qui nous sortirons de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons. Beaucoup d’individus, de municipalités, d’entreprises et d’organismes communautaires travaillent à instaurer dans leur région des solutions écologiquement viables dans le dossier de la gestion des déchets. Toutefois, tous et toutes rencontrent de nombreux problèmes qui dépassent leurs compétences. Des actions nationales doivent maintenant être prises pour faciliter le travail en région et développer au Québec une industrie solide dans le domaine de la réduction, de la réutilisation et du recyclage-compostage des déchets solides.
18Évidemment, l’enquête nationale sur la gestion des déchets solides ne doit pas, en bout de piste, éviter que des projets de traitement des déchets fassent l’objet d’une audience publique. Chaque projet de traitement des déchets doit être évalué en fonction du milieu où il s’implante et en fonction des besoins de la région. La population doit être impliquée à toutes les étapes de la gestion des déchetsressources.
Auteur
étudiante au doctorat en sociologie à l’Université de Montréal. Elle a été la cofondatrice et la présidente du FCQGÉD. Elle a participé à la fondation du Réseau des femmes en environnement et siège à son conseil. Elle siège également au Conseil d’administration de RecycQuébec et de la coalition Union Saint-Laurent-Grands-Lacs.
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