Chapitre 7. L’analyse des enjeux sociaux. L’environnement et la gestion des déchets
1994
p. 123-142
Note de l’éditeur
Publié dans F. M. Shaver et G. L. Symons (dir.) (1994), Sciences sociales et société, orientations innovatrices. Actes du IIIe colloque du Regroupement québécois des sciences sociales, Montréal, p. 127-129 et p. 141-154.
Texte intégral
Présentation (Jean-Guy Vaillancourt)
1Depuis le début de la révolution industrielle, l’essor technologique, le système de production capitaliste et les populations humaines en croissance rapide ont eu des impacts considérables sur les ressources limitées de la planète et ont mis en marche un processus inexorable de détérioration de la biosphère. À cet égard, la prochaine décennie a de bonnes chances de devenir une des périodes les plus cruciales pour l’avenir de l’humanité et de la fragile planète Terre.
2Déjà, depuis quelques années, après une première prise de conscience durant les années 1960 et au début des années 1970, les sondages indiquent que l’écologie et l’environnement sont devenus une des principales préoccupations du public dans les pays industrialisés. Ils sont aussi un champ d’action privilégié des nouveaux mouvements sociaux, ce qui pose un sérieux défi aux politiciens. Ce sont les scientifiques, ceux des sciences naturelles et aussi ceux des sciences humaines et sociales, qui ont été parmi les premiers à prendre la véritable mesure des enjeux sociétaux des transformations environnementales en cours. Les sciences sociales, particulièrement, jouent un rôle de plus en plus considérable dans l’analyse des rapports entre l’environnement naturel et la société. Au Québec, toutefois, elles commencent à peine à se pencher sur ces enjeux fondamentaux, même si l’intérêt est présent, voire grandissant, depuis quelques années. Ajoutons enfin que les sciences sociales peuvent aussi jouer un rôle central dans la résolution de ces problèmes environnementaux. En fait, comme l’a souligné récemment un mémoire de la Fédération canadienne des sciences sociales, toute stratégie de protection de l’environnement qui négligerait l’apport des sciences sociales se priverait par le fait même de conditions essentielles à son succès. Le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada vient de manifester lui aussi son appui inconditionnel à la recherche dans le domaine des dimensions humaines de l’environnement.
3En cette fin de millénaire, l’environnement et ses multiples incidences sur les plans économique, social, politique, juridique et éthique posent donc un défi de taille aux chercheurs. Un certain nombre de constats s’imposent d’emblée face à cette question d’actualité qu’est le rapport des sociétés humaines à la nature. Ainsi, l’ombre des diverses formes de pollution (air, eau, sol) et des grands problèmes globaux (couche d’ozone, effet de serre, guerres régionales, marées noires, précipitations acides, déforestation) menace la santé et même la survie de nombreuses populations végétales, animales et humaines. Le danger de plus en plus imminent de catastrophes écologiques globales révèle les carences d’un mode de développement peu respectueux des lois et des cycles de la nature.
4La gestion et le traitement des déchets, spécialement des déchets toxiques et nucléaires, sont devenus des entreprises humaines de plus en plus difficiles et complexes. Cette complexité met en évidence l’embarras des pouvoirs publics devant l’ampleur des problèmes et leur difficulté à prendre les décisions qui s’imposent. Les sciences sociales de l’environnement s’intéressent aux aspects sociaux de la problématique des déchets, comme à ceux de l’énergie et des pluies acides, entre autres. Elles centrent de plus l’attention sur les impacts environnementaux des activités et spécialement des grands travaux qui affectent la nature de façon profonde et peut-être irrémédiable. Elles étudient aussi la fonction sociopolitique. Dans la conjoncture actuelle, face à ces questions concrètes et face aux problèmes d’envergure planétaire qui nous assaillent, il convient donc de se demander non seulement quel rapport la société et les divers acteurs sociaux et politiques entretiennent avec la nature, mais aussi quelles réponses et quelles solutions les sciences sociales peuvent apporter à ces questions.
5De toute évidence, notre atelier ne pouvait pas apporter de réponse détaillée à toutes ces interrogations. Nous avons donc choisi de cibler une question centrale pour le Québec actuel : la gestion des déchets de nos activités industrielles et urbaines. L’atelier thématique sur l’environnement a donc examiné la contribution que les sciences sociales de l’environnement peuvent apporter à l’étude des défis posés par l’intervention massive des Québécois sur leur milieu biophysique, en faisant appel à deux jeunes chercheurs qui travaillent actuellement sur ces questions.
6Michel Séguin tente de clarifier certains aspects du dossier de la gestion des déchets solides en milieu urbain. Il insiste particulièrement sur les dimensions environnementales et sociopolitiques, qui débordent les aspects purement techniques et économiques et qui ont été largement ignorées jusqu’à aujourd’hui. Il montre pourquoi et comment la question de la gestion de ces déchets a contribué à changer profondément le mouvement écologiste. Il centre son attention sur le cas de Toronto, qui est intéressant parce que les sites y sont déjà presque remplis et que les débats et discussions y battent leur plein. Ensuite, il tente d’établir des parallèles entre le cas de Toronto et celui de Montréal, et essaie de montrer que ce problème des déchets est central pour nos sociétés contemporaines. Au-delà de la question des déchets solides, c’est toute l’orientation de notre mode de vie qui est mis en cause par ce débat sociopolitique qui s’amorce.
7Le second texte de cet ensemble, celui de Liliane Cotnoir, aborde le problème des aspects sociaux de la gestion des déchets dangereux dans le milieu québécois. Celle-ci montre comment, dans les sciences sociales, les chercheurs intéressés à la problématique des déchets ont consacré certains efforts à analyser l’opposition des populations locales à des installations d’élimination des déchets, élimination qui se fait d’abord et avant tout par des procédés d’incinération et d’enfouissement. L’analyse de ces oppositions locales, vue sous l’angle de la théorie des mouvements sociaux, permet de jeter un nouvel éclairage sur ce phénomène social qui est en voie de devenir de plus en plus crucial pour l’avenir de nos sociétés de consommateurs de masse.
8En somme, nous avons ici deux textes rédigés par des jeunes chercheurs qui travaillent depuis quelques années sur des problèmes environnementaux importants. Par leur contribution à la sociologie de l’environnement, qu’on pourrait aussi appeler écosociologie, ils abordent des facettes intéressantes, pour ne pas dire troublantes, du rapport des sociétés humaines aux ressources naturelles et à l’environnement biophysique, et ils éclairent les options qui s’offrent à nous pour la suite de l’histoire humaine et naturelle.
La gestion des déchets solides : un débat d’envergure (Michel Séguin)
9Les implications sociales de la gestion des déchets recouvrent un vaste domaine. Nous sommes collectivement de plus en plus forcés à réfléchir sur ce qu’est un déchet et sur la façon dont nous devons le traiter. Par exemple, la commission Charbonneau a récemment diffusé publiquement ses recommandations par rapport à la gestion des déchets dangereux au Québec. Cependant, il n’y a pas que les déchets dangereux qui doivent nous porter à la réflexion. En effet, de plus en plus de municipalités et de régions entament aussi des processus de consultation pour essayer de trouver des solutions socialement acceptables quant à la gestion des déchets domestiques ou solides. Voilà donc deux grandes catégories de déchets et nous n’avons même pas abordé les outils et les processus que nous utilisons, en tant que société, pour les classer (et donc pour les gérer). Ce travail reste à faire et il est nécessaire. Cependant, mon objectif sera un peu plus modeste.
10Je vais tenter d’élucider certains aspects de l’une des composantes du vaste domaine de la gestion des déchets, soit celle des déchets solides. Cette composante est fascinante parce qu’elle nous touche à la fois collectivement et individuellement. Chacun de nous jette de façon quotidienne toutes sortes de produits à la poubelle : tasses en styromousse, papiers, sacs, emballages, mégots, déchets de table, etc. Au Québec, nous jetons en moyenne jusqu’à une tonne de déchets solides par année par personne. Selon certains spécialistes, nous enfouissons ou brûlons plus de déchets par habitant que tout autre pays au monde, y compris les États-Unis1.
11La gestion des déchets solides comporte des dimensions sociales et politiques importantes, dimensions qui ont été largement ignorées jusqu’à maintenant. Celles-ci vont au-delà de la seule planification technique ou économique. Un nombre croissant d’individus et de groupes remettent en question les anciennes façons d’aborder ce problème. La question des déchets se pose à nous depuis longtemps et elle se posera toujours à nous ; ce qui est relativement nouveau aujourd’hui, c’est l’engagement que prennent des individus et des groupes pour trouver des solutions qui débordent les cadres conceptuels parfois restrictifs que nos gouvernements, nos bureaucraties et nos entreprises tentent de mettre de l’avant.
12Ayant étudié ces questions au sein d’une équipe de recherche depuis un an, je vais tenter de montrer pourquoi la gestion des déchets solides représente une nouvelle remise en question. C’est donc une présentation d’une réflexion en évolution, qui ne formule pas de conclusions hâtives ni de recettes magiques pour trouver les solutions.
13J’ai pu constater tout de même que la problématique des déchets devient souvent une question politique, car on y retrouve un conflit entre diverses façons de percevoir les problèmes ainsi que les solutions. La gestion des déchets est aussi le reflet d’une préoccupation qui semble s’étendre à de plus en plus d’individus et de groupes sociaux ; c’est donc dire que c’est une préoccupation environnementale qui semble annoncer non seulement une mutation politique importante, mais aussi des changements qui affecteront des pratiques quotidiennes qui semblaient auparavant des plus banales.
14Je vais d’abord examiner brièvement pourquoi la question de la gestion des déchets a contribué de façon importante à transformer le mouvement écologiste. J’aborderai ensuite une étude de cas de gestion des déchets, celui de Toronto. La situation à Toronto est révélatrice : les sites d’enfouissement ont presque tous atteint leurs limites et les propositions pour faire face à cette situation suscitent plusieurs débats. Existe-t-il des parallèles entre le cas torontois et le cas montréalais ? C’est l’une des questions à laquelle je voudrais tenter de répondre.
L’émergence d’une nouvelle aile du mouvement écologiste2
15Bon nombre de chercheurs et d’analystes s’entendent pour dire que les années 1960 marquent le début d’une conscience collective nouvelle. De nouveaux enjeux sociaux qui semblent être qualitativement différents de ce qui avait été mis de l’avant auparavant sont placés en évidence et suscitent des actions par des individus et des groupes. Le mouvement vert, ou écologiste, est l’un de ces nouveaux courants. Ce mouvement — dans sa configuration contemporaine — politise un nombre important d’enjeux qui jusque-là n’avaient jamais été remis en question. La protection de la nature, l’aménagement, la pénurie des ressources, les choix technologiques et le contrôle de la pollution sont souvent cités comme les enjeux centraux du mouvement écologiste contemporain.
16Si les années 1960 voient la naissance du mouvement, les années 1970 sont celles de sa consolidation et de son organisation. Bon nombre d’individus se joignent à des groupes existants et un grand nombre d’organisations voient le jour. Les gouvernements, à tous les niveaux, créent de nouveaux programmes et mettent en place des ministères ou des départements pour répondre aux demandes des groupes et aux préoccupations du public. La grande majorité de ces programmes, de ces départements et de ces ministères n’existe donc que depuis 20 ans.
17Ces initiatives de l’État ont eu plusieurs effets. D’une part, une série de processus ont été conçus pour permettre aux individus et aux groupes de s’exprimer lorsqu’une décision gouvernementale affectant l’environnement allait être prise. D’autre part, bon nombre de lois et de projets de lois portant spécifiquement sur l’environnement ont été amorcés.
18Une des conséquences importantes a porté sur l’action des groupes. Leurs luttes se sont tournées progressivement vers l’influence à l’égard du pouvoir étatique de réglementation et vers la formulation des politiques environnementales. Les institutions, les acteurs et les stratégies d’une lutte à l’intérieur d’institutions étatiques diffèrent d’une lutte « sociale » comme celle que le mouvement contemporain a connue au tout début. Sauf quelques exceptions, les enjeux plus locaux sont délaissés. Les groupes nationaux, faute de ressources, de temps et d’énergie, ont donc été obligés de laisser tomber certaines préoccupations plus spécifiques pour accorder la priorité aux lois et aux programmes nationaux. C’est pour cette raison que nous voyons, à partir des années 1980, l’émergence de groupes, de comités de citoyens et de coalitions communautaires dont l’objectif central est la résolution d’un enjeu local ou régional.
19Ces groupes se forment à partir d’individus qui s’impliquent parce qu’ils ont l’impression que leur quartier, leur communauté ou leur région sont menacés. Leur qualité de vie est ainsi affectée avec la perception que leurs attentes par rapport à un environnement sain n’ont pas été respectées. C’est un droit fondamental qui est en jeu. L’enjeu n’est pas simplement, par exemple, l’incinérateur ou le site d’enfouissement en tant que tels, mais aussi la façon avec laquelle la décision elle-même a été prise.
20Les audiences publiques permettent ainsi à des individus et à des groupes de remettre en question les processus décisionnels et de gestion qui encadrent les choix sous-jacents aux projets et programmes proposés. Bref, il se peut que les groupes locaux voient le jour en réaction à des « menaces perçues » dans leur environnement immédiat, mais souvent cette réaction se généralise pour inclure une remise en question plus grande des processus décisionnels, administratifs et réglementaires.
21Les résultats de ce processus sont imprévisibles. Cependant, une des conséquences est la création de nouveaux champs de conflits que l’État tente de stabiliser institutionnellement. Le rôle des groupes à l’intérieur de cette stabilisation et la configuration finale qu’elle prendra varient selon l’enjeu et le contexte social. En effet, nous sommes encore en train de développer des processus plus démocratiques et plus respectueux de l’environnement qui nous permettront de prendre de meilleures décisions. Certains chercheurs précisent qu’un nouveau type d’administration environnementale doit être conçu, à savoir une administration décentralisée, ouverte, antitechnocratique et flexible. Mais ces caractéristiques ne peuvent pas surgir du jour au lendemain. De plus, cela fait partie d’un processus en mouvement. Fondamentalement, je crois tout de même qu’une telle administration environnementale est celle que visent une bonne partie des individus de même que les groupes locaux et nationaux œuvrant présentement dans le mouvement écologiste.
22L’intégration de la lutte individuelle dans une lutte sociale collective est probablement l’aspect le plus nouveau des enjeux environnementaux. De plus, l’évolution actuelle du mouvement écologiste semble être marquée par l’émergence de groupes locaux et régionaux qui se font l’écho des préoccupations des groupes nationaux. Selon les spécialistes, le cas de Love Canal (dans le nord-ouest de l’État de New York) a été le premier à connaître un développement selon les lignes esquissées ici. C’est en grande partie à la suite de luttes d’un regroupement local (et surtout d’une femme, Lois Gibbs) que la problématique environnementale locale a pris une envergure nationale, voire internationale. Et c’est à la suite de ce développement que notre façon d’envisager les déchets dangereux a commencé à changer radicalement. Il semble que ce soit le même genre de processus qui est à l’oeuvre dans le cas de la gestion des déchets solides, du moins à Toronto.
Le cas de Toronto3
23Les débats sur la gestion actuelle des déchets solides pour la région de Toronto commencent au début des années 1980 lorsqu’une coalition se forme sous le nom de « Citizens for a Safe Environment » (CSE). La coalition s’en prend au projet de construction d’un incinérateur dans le quartier sud-est de la métropole. Ce projet est conçu en prévision de la fermeture en 1992 de deux sites d’enfouissement des déchets solides. La coalition réussit à forcer l’abandon du projet en 1986 à l’aide de requêtes pour des évaluations environnementales et de pétitions. Entre-temps, elle s’en prend au seul incinérateur existant dans la région, celui de la rue Commissioner.
24Cet incinérateur construit dans les années 1950 était situé en plein quartier résidentiel et ses effets sur la dégradation de l’environnement étaient bien documentés. Au moyen d’une vaste campagne auprès de la communauté et des médias, la CSE réussit à faire en sorte que Toronto ferme l’incinérateur en juillet 1988. La même année, le projet de construction d’un incinérateur (qui avait été ressuscité) est de nouveau refusé par le conseil de la ville de Toronto.
25En fait, le groupe « Citizens for a Safe Environment » aurait dû disparaître ou se transformer parce que la controverse qui l’avait suscité était résolue. Les projets d’incinérateur dans le quartier étaient abandonnés et le seul incinérateur existant avait fermé ses portes. Mais c’est tout à fait le contraire qui s’est produit. La CSE est aujourd’hui plus forte que jamais : elle entreprend des campagnes de sensibilisation dans les écoles et dans la communauté, elle collabore à une vaste campagne contre l’emballage excessif, elle est responsable de divers forums et marchés écologiques, et elle participe à des discussions et à des consultations en vue d’en venir à des solutions environnementales concernant la gestion des déchets.
« It’s Not Garbage Coalition, An Action Agenda for Waste Reduction », document daté du 1er mars 1990 ; « Métro Initiates Major Waste Reduction System », communiqué de presse du 28 juin 1990, et rapport de réunion du 28 août 1990 ; M. Winfled, Solid Waste Issues for the Conservation Council of Ontario and The Recycling Council of Ontario, ébauche non publiée, septembre 1989 ; C. Vaughan, « Trash Flow Crisis », Toronto Star, octobre 1987 ; « T. Wong Scrap Grups Studying Waste, Protesters Say », Toronto Star, 15 octobre 1989, p. A3 ; « Toward A Solid Waste Management Master Plan », préparé par The Proctor and Redfern Group, pour le Département des travaux publics de la région métropolitaine de Toronto et le SWEAP (Solid Waste Environmental Assessment Plan) ; SWEAP news, printemps 1990, no 19 ; SWISC (Solid Waste Interim Steering Committee), Status Report #2 to Member Councils on the Long-Term Plan for the Management of Solid Waste in the Greater Toronto Area, avril 1990, et Report on the SWISC Public Consultation Program January to June 1990, préparé par The Lura Group, 30 juillet 1990.
26La lutte contre les incinérateurs a forcé les gouvernements municipaux et régionaux de la métropole torontoise à consulter les individus et les groupes sur la gestion des déchets. Plus spécifiquement, les gouvernements cherchaient comment faire face au problème immédiat du remplissage des sites d’enfouissement et du rejet des projets d’incinérateur par la population. En fait, le premier processus, le SWEAP (Solid Waste Environmental Assessment Plan), ou planification et évaluation environnementale des déchets solides, était considéré en quelque sorte comme un modèle de participation du public, où tous les intervenants pouvaient siéger sur divers comités en vue de trouver des solutions au problème. Cependant, la longueur des discussions, les problèmes soulevés par certaines conclusions du processus consultatif et la difficulté à les transmettre au Département des travaux publics responsable de leur mise en application ont commencé à sérieusement inquiéter le gouvernement provincial.
27Le gouvernement provincial a donc conçu un processus parallèle, le SWISC (Solid Waste Interim Steering Committee), ou comité intérimaire de la gestion des déchets solides. Ce processus (qui incluait une consultation publique) devait trouver des solutions pratiques et immédiates non seulement pour le Toronto métropolitain, mais aussi pour les quatre régions avoisinantes. Cela pour deux raisons. D’une part, le Toronto métropolitain n’a plus de place pour enfouir ses déchets et n’a plus d’incinérateur : il doit forcément trouver un site à l’extérieur de ses frontières. D’autre part, les sites d’enfouissement actuels desservent également les régions voisines, qui doivent donc, elles aussi, se doter d’un plan plus global. Ainsi, c’est au nom d’une approche plus rationnelle que le gouvernement provincial a imposé ce processus par l’entremise d’un nouveau bureau, celui du GTA (pour Greater Toronto Area). Ce bureau est composé de hauts fonctionnaires provinciaux et des chefs des gouvernements régionaux (dont seulement un sur cinq est élu).
28Un des résultats observables de toutes ces initiatives et de tous ces processus a été la mobilisation de groupes touchés de près ou de loin par la question. À l’intérieur des frontières du GTA, les communautés de Pickering, Ajax, Vaughan et Toronto, pour ne nommer que celles-là, ont connu des mobilisations et des actions en vue de trouver d’autres solutions que l’enfouissement ou l’incinération sur leur territoire. À l’extérieur des frontières du GTA, des plans pour les villes de Petrolia près de Sarnia (incinérateur privé), d’Orillia (incinérateur privé), de Barrie (site d’enfouissement), de Kirkland Lake (enfouissement dans une mine abandonnée et incinérateur) et même de Kapuskasing (incinérateur) ont été proposés. Presque immédiatement après, des groupes s’organisaient pour manifester leur opposition à ces projets, et ce, de toutes sortes de manières. Mais le problème est toujours présent et le compte à rebours est bien amorcé. Alors comment régler ce problème ?
29Il est vrai qu’en Ontario le programme du « bac bleu » de recyclage connaît un succès phénoménal. Financés en bonne partie par les compagnies de boissons gazeuses, les bacs bleus sont maintenant présents dans plus de 1,9 million de foyers à travers la province et ce nombre s’élèvera à 3 millions en 1995. Le taux de participation est de plus de 80 % et bon nombre d’observateurs constatent qu’il y a plus de monde qui recycle en Ontario qu’il y a de monde qui vote aux élections. On estime que ce programme réduit jusqu’à 14 % le nombre de déchets qui autrement seraient enterrés ou réduits en cendres. Selon les gouvernements, avec le programme des bacs bleus, la province atteindra son objectif de recyclage de 25 % des déchets solides d’ici 1992 et de 50 % d’ici l’an 2000.
30Mais le programme du bac bleu ne peut à lui seul résoudre la crise torontoise. En effet, les 4 millions de tonnes de déchets solides du GTA devront faire l’objet d’une réduction encore beaucoup plus grande, selon les groupes écologistes. Face aux processus intérimaires du GTA (qui semblait au tout début favoriser l’incinération) et, à plus long terme, de la région de Toronto (qui semblait être paralysée), les groupes ont formé la « It’s Not Garbage Coalition ». La coalition réunit 14 groupes écologistes ou comités de citoyens locaux œuvrant dans le grand Toronto, 6 groupes provinciaux, 2 syndicats et une association d’entrepreneurs. Leurs objectifs sont les suivants :
mise sur pied d’un programme obligatoire de séparation à la source de tous les déchets ;
engagement financier substantiel de la part des gouvernements envers la réduction et le recyclage ;
création d’un bureau de réduction des déchets dont le mandat sera d’entreprendre la recherche, le développement et la création d’initiatives susceptibles de réduire les déchets ;
responsabilisation de chaque communauté quant à la gestion de ses propres déchets (les groupes doivent donc se joindre au gouvernement ainsi qu’au bureau de réduction pour envisager conjointement les solutions).
31La coalition, dont le groupe « Citizens for a Safe Environment » est membre, vient tout juste d’obtenir du Toronto métropolitain le mandat de créer un plan d’action pour résoudre les problèmes des déchets solides. La coalition doit intégrer quelques personnes du comité de planification du SWEAP, mais elle est seule responsable de la rédaction du plan. C’est peut-être la première fois qu’un tel mandat est accordé à une coalition formée en majorité par des groupes écologistes locaux et provinciaux. Le cas torontois illustre donc comment les actions et les revendications de groupes écologistes ont transformé un enjeu apparemment technico-économique en enjeu social. C’est donc en ce sens que nous sommes témoins d’une mutation politique où les réponses ne sont pas déjà toutes faites.
32Le problème des déchets se posera toujours à nous, mais nous sommes peut-être à la veille de l’envisager de façon différente. Il sera intéressant de suivre les développements torontois, car c’est non seulement un développement que peu de personnes auraient pu prédire, mais aussi parce qu’il risque d’avoir des retombées pour nous, ici, au Québec.
Le cas de Montréal
33Une évaluation écologiste très sommaire4 indique que la ville de Montréal a déjà, en plein quartier résidentiel, un incinérateur qui brûle actuellement à peu près 880 tonnes de déchets solides par jour dans le secteur Laurier-Christophe-Colomb. Des études récentes confirment que cet incinérateur viole les normes de la communauté urbaine elle-même, sans parler des normes fédérales, plus strictes (il s’agit d’émanations d’acide chlorhydrique). De plus, les cendres de cet incinérateur — qui seraient considérées ailleurs comme un déchet dangereux — servent présentement à recouvrir les déchets solides au site d’enfouissement de Rivière-des-Prairies. Nous parlons d’au moins 8500 tonnes de cendres « volantes » potentiellement toxiques mélangées à 76 500 tonnes de cendres de combustion par année. La ville de Montréal mettra bientôt en œuvre un plan de gestion intégrée des déchets solides. La population sera appelée à se prononcer sur les objectifs de la ville qui devront inclure, entre autres, les prévisions par rapport à l’incinérateur des Carrières dont la fermeture n’est prévue que pour l’an 2003.
34De même, la régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’île de Montréal (qui inclut les 27 autres municipalités de l’île) entreprend elle aussi une vaste consultation de son plan de gestion des déchets solides. Ce plan comprend actuellement la construction d’un incinérateur privé qui, selon les estimations, brûlerait 1100 tonnes de déchets solides par jour. Les cendres seront ensuite enfouies dans la carrière Demix, qui se trouve juste à côté du site prévu pour l’incinérateur dans la région de Rivière-des-Prairies. Foster-Wheeler, la compagnie responsable de l’incinérateur, ne respecte pas les normes américaines dans ses incinérateurs construits récemment en Californie et en Caroline du Sud. La situation sera-t-elle différente ici ?
35Enfin, quoique le taux de participation des Québécois et des Québécoises aux programmes de cueillette sélective en vue du recyclage soit aussi élevé qu’en Ontario (soit plus de 80 % de participation), seulement 1 % des municipalités québécoises sont dotées d’un tel programme actuellement. La ville de Montréal, par exemple, préfère la cueillette volontaire limitée, au moyen des « cloches » de récupération. La ville a tout de même été obligée d’augmenter leur nombre et d’accroître la fréquence de leur collecte, étant donné la grande popularité du programme.
36La situation montréalaise est donc comparable à la situation qui existait voici cinq ans à Toronto : un incinérateur est en fonctionnement et d’autres sont prévus. Montréal se propose deux processus de consultation publique parallèles, quoique les modalités de ces consultations soient différentes. Les processus de planification et de consultation d’ici ont donc la possibilité de déborder le cadre imposé et de redéfinir ce qu’est un déchet et ainsi d’aborder les questions de la réduction, du recyclage et de l’incinération à partir de cette nouvelle définition. Tout cela pourrait évoluer de façon non prévue par les gestionnaires et les décideurs. Ce résultat est possible si les citoyens, les citoyennes et les groupes s’associent et se mobilisent. Bref, si les processus diffèrent entre les villes de Toronto et de Montréal, les enjeux risquent de se ressembler.
37Même si la situation montréalaise est comparable à la situation torontoise, il est vrai aussi que personne ne peut prédire avec certitude comment chacune des deux va évoluer. Nous sommes devant deux situations en mouvement et qualitativement différentes, où les intervenants peuvent changer et où les enjeux sont appelés eux aussi à se transformer.
38Le mouvement écologiste connaît une croissance que certains considèrent comme phénoménale depuis quelques années. La façon dont la question des déchets sera résolue ne diminuera pas son ampleur. Au contraire, cela risque de créer un nouveau momentum social et de nécessiter des solutions à la gestion des déchets issues d’un consensus faisant appel à un plus grand nombre d’intervenants.
39La question des déchets solides est donc une question qui nous affecte tous et qui nous concerne tous. C’est une question qui risque d’augmenter l’interaction entre le public et le pouvoir, entre citoyen(ne)s et expert(e)s, et ce, de façon plus démocratique en vue d’objectifs écologiques à long terme. En ce sens, il s’agit bel et bien d’un débat d’envergure politique et sociale plutôt que d’une question uniquement économique ou technique.
Les aspects sociaux de la gestion des déchets dangereux (Liliane Cotnoir)
40On ne peut pas dire que la gestion des déchets dangereux n’est pas un dossier d’actualité. C’est d’ailleurs avec grand plaisir que j’ai appris que le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement concernant la gestion environnementale des déchets dangereux était rendu public cette semaine. J’allais ainsi pouvoir ajouter quelques éléments nouveaux à cette présentation.
41Pour situer le dossier, disons que, dans la sillage laissé par l’incendie de l’entrepôt de BPC de Saint-Basile-le-Grand en 1988, le ministre de l’Environnement de l’époque, monsieur Clifford Lincoln, confiait au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (le BAPE) le soin de tenir une audience et de mener une enquête afin d’identifier des problèmes et de proposer des solutions à la gestion des déchets dangereux au Québec.
42Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement est un organisme sous la responsabilité du ministre de l’Environnement. Il est chargé de tenir des audiences publiques et de mener une enquête concernant des projets soumis au Règlement général relatif à l’évaluation et à l’examen des impacts sur l’environnement. De plus, il doit aussi mener une enquête et une audience publiques pour tout projet soumis par le ministre de l’Environnement.
43Le portrait de la situation dressé par la commission chargée de l’évaluation du dossier des déchets dangereux est loin d’être reluisant. D’après les chiffres d’Environnement Canada, on produirait au Québec près de 1,3 million de tonnes métriques de déchets dangereux par année.
44Pour l’année 1988 seulement, au moins 368 000 tonnes métriques de déchets dangereux auraient disparu sans qu’on puisse dire où ceux-ci se trouvent. Selon la Commission, ces déchets peuvent avoir été entreposés de manière légale ou non, mais ils peuvent aussi avoir été rejetés dans l’environnement.
45Le rapport de la commission présidée par monsieur Yvon Charbonneau souligne l’urgence de trouver des solutions à l’élimination sécuritaire des déchets dangereux.
46Lorsqu’il est question de l’élimination des déchets dangereux, on pense le plus souvent à leur enfouissement ou à leur incinération. Toutefois, les risques environnementaux associés à ces solutions ont amené des groupes de citoyens et de citoyennes à se mobiliser afin d’empêcher qu’on procède à de telles opérations.
47L’opposition d’individus à l’implantation d’un projet susceptible d’avoir des impacts sur l’environnement n’est pas un phénomène nouveau. Toutefois, au cours des vingt dernières années, on observe de plus en plus de groupes de personnes qui s’organisent pour contrer de tels projets.
48Les controverses entourant le choix d’un site d’élimination des déchets dangereux présentent des caractéristiques bien particulières. Contrairement à des projets de route ou à des projets de développement industriel, les sites d’élimination des déchets dangereux présentent peu d’avantages pour une localité et ses environs. Les quelques emplois créés par une telle entreprise compensent peu pour les impacts négatifs appréhendés. L’augmentation des risques pour la santé, la réduction possible de la valeur des propriétés, les odeurs nauséabondes, les risques que des accidents surviennent lors du transport des déchets dangereux et contaminent les nappes phréatiques constituent autant de points litigieux rendant l’acceptation d’un site d’élimination des déchets dangereux plus problématique.
49L’opposition à l’incinération et à l’enfouissement des déchets dangereux ne provient pas seulement des communautés avoisinantes des projets ; le plus souvent, la résistance observée vient de tout azimut. Le milieu de la santé via certains départements de santé communautaire, des groupes environnementaux comme Greenpeace et la Société pour vaincre la pollution, les syndicats comme l’Union des producteurs agricoles ont parfois démontré beaucoup de scepticisme vis-à-vis des projets d’élimination, lorsqu’ils ne s’y sont pas opposés carrément.
50En analysant cette résistance sociale, certains auteurs y voyaient avant tout une réaction irrationnelle et nuisible pour la société. Ceux-ci mettaient surtout l’accent sur l’opposition des gens directement touchés par les projets. Selon ces analystes, une mauvaise perception des risques, le désir de protéger des intérêts personnels au détriment de l’intérêt collectif, les objectifs cachés d’obtenir de meilleures compensations pour les inconvénients causés par les projets représenteraient les véritables raisons incitant les citoyens et les citoyennes à se mobiliser contre un projet d’élimination de déchets.
51Percevant ainsi l’opposition de la population, ces analystes ont proposé de meilleurs programmes d’information et de compensation pour augmenter l’acceptation des projets. Toutefois, dans plusieurs dossiers, on a tôt fait de constater que l’information et les compensations ne constituaient pas un remède miracle. Comme le soulignait Camille Limoges, lors d’un colloque l’an dernier, une information objective et complète peut aussi alimenter les inquiétudes de la population. De plus, même si certains programmes de compensation paraissaient alléchants, dans bien des cas, ils n’ont pas réussi non plus à éliminer les suspicions de la population à l’égard des institutions responsables comme les ministères de l’Environnement.
52De façon beaucoup plus fréquente maintenant, un deuxième type d’analyse assimile davantage l’opposition des gens à une réaction tout à fait rationnelle. Dans cette veine, l’incertitude des solutions techniques proposées sur le plan des risques pour la santé et pour l’environnement, la répartition inéquitable des bénéfices, la perte d’une certaine qualité de vie, le manque de confiance vis-à-vis du promoteur ou même vis-à-vis des instances gouvernementales responsables du suivi et du contrôle des projets constituent quelques exemples d’explications données à la résistance des individus contre les projets d’élimination des déchets dangereux.
53Les analystes qui voient une réaction rationnelle dans l’opposition des gens à l’installation de superstructures d’élimination des déchets dangereux ne nient pas la nécessité, pour les institutions responsables, d’avoir recours à des programmes d’information de qualité et à des mesures de compensation. Toutefois, ceux-ci insistent davantage sur les besoins d’améliorer les systèmes de gestion des déchets dangereux. On signale, par exemple, les besoins de réduire les quantités de déchets à détruire. Une telle mesure permettrait de diminuer les besoins en incinération et en enfouissement tout en limitant les impacts négatifs sur l’environnement.
54Une autre solution proposée par ces analystes consiste à démocratiser les processus de décision. Leurs suggestions à ce niveau vont bien plus loin que de simples programmes d’information et de compensation. Ils rejoignent ainsi les principales préoccupations de plusieurs groupes environnementaux. Notons quelques revendications formulées par ces derniers. Par exemple, on soutient
qu’une bonne gestion commence par un programme sérieux de réduction à la source, de réutilisation et de recyclage des déchets dangereux — ces changements impliquent nécessairement des modifications dans les modes de production ;
que la communauté devrait être partenaire dans le processus de décision pendant l’implantation du projet ;
que la population devrait avoir accès à toute l’information pertinente permettant de juger de la sécurité des installations d’élimination des déchets dangereux ;
qu’un comité de citoyens et d’experts indépendants devrait être formé afin d’assurer un suivi et un contrôle de la situation environnementale ;
que chaque région devrait aussi avoir une certaine responsabilité par rapport à la gestion des déchets dangereux produits à l’intérieur de son périmètre.
55La controverse entourant les activités de la compagnie Stablex, une entreprise privée d’élimination des déchets inorganiques, constitue un exemple servant à expliquer pourquoi certains groupes environnementaux revendiquent des modes plus démocratiques et plus écologiques de gestion des déchets dangereux.
56Cette compagnie de Blainville conditionne et stabilise des déchets dangereux inorganiques avant de les enfouir. D’après le rapport de la commission Charbonneau, Stablex a reçu et traité, en 1988, 96 000 tonnes de déchets.
57Le procédé de stabilisation en question a fait l’objet, en 1981, d’une audience publique et d’une enquête menées par le BAPE. Ce projet a obtenu un certificat d’autorisation qui reprenait certaines recommandations du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Malgré toutes ces dispositions, de nombreux problèmes sont apparus lorsque la compagnie est entrée en opération.
58La commission Charbonneau a, entre autres, soulevé les éléments suivants : Selon des analyses du ministère de l’Environnement,
la matrice cimentaire renfermant les déchets dangereux stabilisés et fixés doit, selon les termes du certificat d’autorisation, être « inerte et sécuritaire ». Dans de telles conditions, les eaux en contact avec le « stablex » devraient être exemptes de contaminants, ce qui n’est pas le cas.
Stablex a aussi été autorisé par le ministère de l’Environnement à procéder à des activités qui dépassent les conditions initiales du certificat d’autorisation émis suite aux audiences publiques de 1981. La commission Charbonneau a exprimé des « inquiétudes » quant à la sécurité environnementale de ces nouvelles autorisations. Elle précise, entre autres, que la possibilité de traiter des sols contaminés (une condition non comprise dans le décret initial) pourrait affecter négativement la stabilisation des déchets dangereux.
59Les problèmes de sécurité rencontrés dans le traitement des déchets inorganiques chez Stablex augmentent ainsi les risques de contamination de l’environnement. La population est donc exposée à certains risques sur lesquels elle n’a aucun contrôle.
60Soulignons que la commission Charbonneau a eu accès aux analyses du ministère de l’Environnement afin d’évaluer la situation mais qu’elle n’a pu toutefois obtenir de copie officielle des rapports. Ainsi, la population ne peut prendre connaissance des analyses du ministère de l’Environnement concernant les anomalies rencontrées dans le traitement des déchets à Blainville. Cela a amené la commission Charbonneau à recommander que le ministère de l’Environnement rende public l’ensemble du dossier technique de l’évaluation des activités de la compagnie.
61Cette recommandation devrait en fait s’appliquer à tout procédé d’élimination des déchets dangereux. Un manque d’ouverture à ce niveau risque d’inciter les populations locales et les groupes d’intérêt public à résister à l’installation d’autres sites d’enfouissement ou d’incinération des déchets dangereux. Dans un tel contexte, les populations sont en droit d’exiger de meilleures garanties avant de donner leur accord à de tels projets.
62Ainsi, une gestion démocratique et écologique des déchets dangereux nécessite que l’on dépasse le stade des opérations d’information et de compensation de la population. De plus, si la participation du public représente une condition nécessaire dans les processus de décision, elle ne constitue certainement pas une condition suffisante.
63La démocratisation des processus de décision passe aussi par une plus grande transparence des institutions et par un accès plus grand et plus efficace de la population à l’information. Il s’avère également essentiel d’innover en créant des instruments tels des comités de surveillance formés de citoyens et d’experts indépendants pour évaluer régulièrement les conditions de sécurité environnementale des procédés d’élimination des déchets dangereux.
64Évidemment, il est illusoire de croire que l’adoption de telles mesures éliminera toute forme d’opposition. Les changements de cap qu’imposent une telle orientation dans la gestion des déchets dangereux nécessitent de nombreuses années. La complexité des problèmes est telle qu’il y aura toujours place pour l’amélioration. Toutefois, nous pouvons supposer que si les institutions responsables de la gestion globale des déchets dangereux s’inscrivaient dans une optique plus démocratique et plus écologique, on pourrait voir apparaître une diminution des tensions sociales. La diversité des acteurs, des valeurs et des intérêts ne permettra pas d’obtenir un consensus parfait, mais plusieurs intervenants majeurs diminueraient sûrement leurs pressions politiques.
65Des actions concrètes des gouvernements responsables, démontrant leurs orientations vers une gestion plus démocratique et écologique des déchets dangereux, constituent la meilleure politique de marketing des projets d’incinération et d’enfouissement. Ceci implique qu’on repense les modes de production industrielle et les modes de consommation. Les civilisations du XXIe siècle connaîtront-elles un changement d’orientation dans ce sens ? Plusieurs le souhaitent. Les bilans environnementaux actuels dressent des portraits inquiétants de nos écosystèmes. La qualité de vie des générations à venir dépend en grande partie des responsabilités prises par les générations actuelles pour préserver un environnement sain.
Notes de bas de page
1 En fait, le chiffre varie entre une demi-tonne et une tonne par personne par année. Tout dépend de la façon de définir les « déchets solides » et de la façon d’attribuer à chaque personne son « quota individuel » de déchets. Je me base ici sur un article de L. Desautels intitulé « Requiem pour les sacs verts » publié dans Québec Science, vol. 28, no 9, p. 36.
2 Mon étude repose sur la lecture de plusieurs textes : Y. Corriveau et A. Foucault (1990), Le pouvoir du citoyen en environnement, Ville Saint-Laurent, VLB ; K. Geiser (1983), « Toxic Times and Class Politics », Radical America, vol. 17, nos 2-3 (mars-juin), p. 38-50 ; L. Maheu (1983), « Les mouvements de base et la lutte contre l’appropriation étatique du tissu social », Sociologie et sociétés, vol. 15, no 1 (avril), p. 77-92 ; R. Paehlke et D. Torgerson (dir.) (1990), Managing Leviathan-Environmental Politics and the Administrative State, Peterborough, Broadview Press ; J.-G. Vaillancourt (1985), « Le mouvement vert québécois : entre l’écologie et l’écologisme », Possibles, vol. 9, no 3 (printemps), p. 35-46.
3 Cette section est le résultat d’entrevues informelles et de recherches dans la littérature existante. En effet, il existe plusieurs documents et articles sur la question. Parmi les plus importants, citons Citizens for a Safe Environment (CSE), feuillet explicatif, et Eco-logical newsletter, surtout le no 5 de juin 1989, ainsi que les vol. 3, no 2 (mai 1990) et vol. 3, no 3 (septembre 1990) ;
4 Le groupe de recherche étudie présentement la possibilité d’inclure l’île de Montréal et ses plans pour la consultation publique sur la gestion des déchets solides. Cette section est donc basée exclusivement sur des articles et des textes dont les plus importants sont : L. Harris (1990), « Blue Box Fever, Suburbs Take Shine to Recycling While Downton Dwellers Fume », The Gazette, 2 décembre 1990, p. B3 ; J. Labrie (1990), « Peu d’auditeurs pour les déchets », Progrès-Villeray, 1er mai 1990, p. 10 : R. Lamarche (1989), « Déchets et gestes », Voir, 23-29 novembre 1989 ; R. Lemieux (1990), « La gestion des déchets. Montréal ouvre la voie », Québec Science, vol. 28, no 9 (mai), p. 42-45 ; A. Noël (1990), « L’incinérateur de Montréal viole les normes de qualité de l’air » et « Montréal refuse de faire des tests de dioxines et de furanes », La Presse, 3 mars 1990, p. B1 ; C. Trudel (1990), « Succès foudroyant de la cueillette sélective des déchets », Le Devoir, 30 mars 1990, p. 5.
Auteurs
(Doctorat en sociologie de l’Université de Californie à Berkeley) est professeur de sociologie de l’environnement au département de sociologie de l’Université de Montréal. Il dirige le Groupe de recherche en écologie sociale et siège au Conseil d’administration du Conseil régional de l’environnement de Montréal et du Groupement forestier du Haut-Yamaska. Il a publié divers ouvrages et articles en écosociologie.
(Doctorat en sociologie de l’Université de Montréal) est chercheur postdoctoral au département de sociologie de l’Université de Montréal. Il est le fondateur et le président d’Action-REbuts ; il a publié un livre intitulé Le scandale des déchets au Québec, aux Éditions Écosociété. Il a été coordonnateur du volet sciences humaines du projet STOPER. Il est coordonnateur du Groupe de recherche sur l’institutionnalisation des mouvements sociaux (GRIMS).
Étudiante au doctorat en sociologie à l’Université de Montréal. Elle a été la cofondatrice et la présidente du FCQGÉD. Elle a participé à la fondation du Réseau des femmes en environnement et siège à son conseil. Elle siège également au Conseil d’administration de RecycQuébec et de la coalition Union Saint-Laurent-Grands-Lacs.
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