1Les manuels d’initiation à la recherche en sciences sociales offrent peu d’informations sur les moments possibles d’errance en recherche. Or, les démarches de recherche comme la recherche-action comportent une certaine part d’errance. La présentation de trois exemples d’observations réalisées dans le cadre d’une recherche-action sur les mouvements sociaux illustre comment certaines activités imprévues dans les protocoles de recherche peuvent présenter des embûches mais aussi permettre d’innover. Les découvertes réalisées dans un tel cadre nécessitent néanmoins une attitude particulière et des instruments adéquats de collecte de données et d’analyse.

La place de l’errance dans les démarches de recherche en sociologie

2Les personnes oeuvrant dans le domaine de la recherche en sociologie visent, en général, à apporter une contribution nouvelle à un corpus théorique et à améliorer les connaissances empiriques existantes concernant des phénomènes sociaux particuliers. Ces contributions impliquent que l’on s’inscrive dans un processus de création permettant d’innover ou tout au moins d’être ouvert à ce qui peut surgir de neuf.

3Les processus de création peuvent être assujettis à des règles strictes. De nombreux manuels d’initiation à la recherche en sciences sociales ont exposé les étapes à être adoptées par les chercheurs afin de mener à bien une recherche selon les règles de l’art. À titre d’illustration, le manuel de recherche en sciences sociales de Quivy et Van Campenhoudt présente les étapes classiques devant guider les personnes désirant poursuivre une démarche de recherche. La première étape consiste à formuler une question de départ qui respecte les qualités de clarté, de faisabilité et de pertinence. La seconde étape vise l’exploration au moyen de lectures ciblées et d’entretiens avec des experts, des témoins ou toutes autres personnes pouvant offrir des éclairages intéressants sur le sujet. En troisième lieu, il s’agit de faire le point sur les lectures et les entretiens, de se donner un cadre théorique et d’expliciter la problématique retenue. La quatrième étape vise quant à elle à construire les hypothèses et le modèle en précisant les relations entre les concepts et entre les hypothèses. La construction des concepts implique que l’on précise les dimensions et les indicateurs de ceux-ci. La cinquième étape consiste, toujours selon Quivy et Van Campenhoudt, à délimiter le champ de l’observation, à concevoir l’instrument d’observation, à tester l’instrument d’observation et à procéder à la collecte des informations. En sixième lieu viennent la description et la préparation des données pour l’analyse, la mesure des relations entre les variables, la comparaison entre les résultats attendus et les résultats observés. La dernière étape devient le moment de présenter les résultats en mettant en évidence les nouvelles connaissances et les conséquences pratiques de celles-ci. En général, l’exposé de ces méthodes vise à éviter les égarements, à « mettre de l’ordre dans le chaos ».

4Même si ces étapes sont présentées dans un certain ordre, il est le plus souvent reconnu que les processus de recherche impliquent des boucles de retour aux premières étapes. En dehors de ces mentions ouvrant la porte aux va-et-vient entre les étapes, peu d’information porte sur les moments possibles de furetage, d’errance et de déviation par rapport aux devis de recherche. Dans les faits, même si les méthodes de recherche rigoureuses s’avèrent essentielles pour mener à bien une recherche, il est le plus souvent difficile d’éviter les moments d’errance dans les processus de recherche.

5Certains auteurs utilisent le concept de serendipity pour introduire la possibilité de découvertes fortuites grâce à l’influence de données inattendues dans l’élaboration de théories. L’auteur anglais Horace Walpole a inventé le terme serendipity dans une lettre envoyée à un ami, Horace Mann, en 1754. D’après Shapiro, Walpole avait lu un conte de fées intitulé « Les trois princes de Serendip ». Serendip est le nom ancien du Ceylan ou du Sri Lanka. Dans le conte, les princes réalisaient plusieurs découvertes fortuites. À l’époque, la langue anglaise ne disposait d’aucun mot adéquat pour décrire ce genre de situation, et c’est pourquoi Walpole utilisa le mot serendipity pour parler de découvertes inattendues ou fortuites. Ce terme fut par la suite repris par plusieurs chercheurs, dont Merton en sociologie, pour décrire les processus menant à des découvertes inattendues ou accidentelles. La serendipity a joué un rôle important dans plusieurs découvertes en science. Shapiro a présenté l’exemple de plusieurs découvertes, comme celle de la pénicilline, survenues à la suite d’un hasard.

6Les moments d’errance et de furetage peuvent mener à des découvertes fortuites que l’on ne recherchait pas. Comment user de ces moments dans le processus de création tout en demeurant rigoureux dans une démarche de recherche ? Notre intention n’est pas d’élaborer un guide à cet effet mais plutôt de faire part de nos réflexions sur la place de l’errance ou de la serendipity dans une démarche de recherche-action. Cette recherche a été réalisée dans un organisme visant à mettre en place une gestion des déchets plus respectueuse de l’environnement et de la démocratie. Nous exposerons dans un premier temps la démarche initiale de recherche sur les mouvements sociaux pour ensuite nous pencher sur les expériences de recherche-action dans un organisme environnemental.

La recherche-action et l’errance, ses risques et ses possibilités

7De manière générale, le projet initial de recherche de l’équipe visait à étudier le phénomène de mobilisation des mouvements sociaux sous l’angle des rapports entre le politique institutionnel et le politique non institutionnel. Pour ce faire, deux controverses ont été retenues pour l’analyse. Il s’agit de deux controverses locales relatives à l’établissement d’un incinérateur de déchets dangereux, l’un à Senneterre et l’autre à Valleyfield. L’analyse de contenu des documents pertinents et des entrevues semi-directives effectuées auprès de personnes-clés représentent au départ les principaux moyens de collecte de données.

8Un premier contact avec les personnes impliquées dans les controverses à l’étude s’est effectué lors d’une rencontre organisée par un membre de l’organisation écologiste Greenpeace. L’objectif de la rencontre consistait à créer un réseau de groupes locaux afin qu’ils unissent leurs efforts pour contrer des projets d’incinérateurs dans leurs municipalités respectives. Le représentant de Greenpeace travaillait alors dans le cadre de la campagne internationale de l’organisation pour contrer la prolifération d’incinérateurs. Cet événement non planifié s’est donc avéré intéressant. Il a permis d’assister à l’émergence d’une coalition de groupes visant à concerter leurs efforts, non plus seulement au niveau local, mais également au niveau provincial.

9La recherche-action a alors été choisie comme méthode pour étudier la formation de cette coalition de groupes. Il existe plusieurs types de recherche-action. Notre démarche à cet égard rejoint la perspective de Landry, c’est-à-dire connaître ou comprendre, en vue d’une action ou par le biais d’une action, un phénomène, un processus, une situation dans le double but de produire un changement relativement à ce phénomène, à ce processus, à cette situation ou au contexte dans lequel il s’insère et de développer les connaissances relatives à ce phénomène, ce processus ou cette situation.

10Une telle démarche comportait certains risques puisque la création d’une coalition nécessite beaucoup d’énergie et pouvait aboutir à un abandon après plusieurs mois de travail, et ce, sans nécessairement offrir suffisamment de données d’analyse permettant d’étudier comment s’articulent le politique institutionnel et le politique non institutionnel dans la mobilisation des mouvements sociaux. De plus, dans une démarche de recherche-action, il est possible de savoir d’où l’on part mais il s’avère moins évident de prédire le point d’arrivée. La recherche-action a pour cadre un contexte d’interaction constante avec les membres impliqués au sein de l’organisation et au sein du milieu social dans lequel intervient le groupe pour obtenir les changements désirés.

11La recherche-action offrait néanmoins la possibilité de participer à la détermination de l’ensemble des objectifs et des modes d’intervention de l’organisation créée par des individus et des représentants de groupes désireux d’agir en concertation au niveau provincial dans le domaine de la gestion des déchets.

12Les groupes allaient ainsi créer le Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGÉD), un organisme fondé en 1991 et formé aujourd’hui de plus de 75 membres dont plus de 60 groupes-membres en provenance de diverses régions du Québec. La mission principale de l’organisme consiste à faire la promotion d’une gestion des déchets axée sur la réduction, la réutilisation, le recyclage et le compostage à l’intérieur de processus démocratiques, c’est-à-dire de processus qui impliquent la population dans l’ensemble des étapes de prise de décision. Sur le plan technique et idéologique, le Front commun a pris position contre l’incinération et l’enfouissement pêle-mêle des déchets. Afin de réaliser leurs objectifs, les membres de l’organisation réclament des audiences et une enquête publiques sur la gestion des déchets solides assorties d’un moratoire sur l’établissement et l’agrandissement de sites d’enfouissement et de dépôts de matériaux secs.

13Les trois premières années de l’organisation ont été remplies d’activités très révélatrices en termes d’analyse des mouvements sociaux. L’organisation a utilisé divers moyens tels l’envoi de lettres aux représentants politiques, l’organisation de conférences de presse, de manifestations, d’assemblées publiques, de rencontres avec les ministres de l’Environnement du Québec et du Canada et avec des représentants de l’Union des municipalités régionales de comté du Québec et de l’Union des municipalités du Québec, tout cela pour amener les changements désirés. Ces activités ont constitué des lieux privilégiés d’observation directe des rapports possibles entre le politique institutionnel et le politique non institutionnel dans l’étude des mouvements sociaux.

14L’objectif n’est pas ici d’expliciter l’ensemble des observations issues de cette implication dans l’organisation mais bien d’analyser comment certaines activités non prévues sont venues enrichir notre démarche de recherche. Trois expériences concrètes du Front commun seront retenues et décrites de manière plus détaillée pour illustrer nos propos. Il s’agit en premier lieu de l’une des rencontres les plus importantes dans l’histoire de l’organisation, soit celle où une trentaine de personnes agissant autour d’enjeux locaux relatifs à des lieux d’enfouissement sanitaire se sont réunies pour la première fois à Saint-Jean-de-Matha à l’automne 1991. La deuxième expérience a été sélectionnée parce qu’elle permettait d’explorer un rapport au politique institutionnel qui n’avait pas été envisagé. Il s’agit de l’enquête de la Sûreté du Québec portant sur des groupes environnementaux oeuvrant dans le domaine de la gestion des déchets. Enfin, une dernière expérience sera retenue, soit les trois rencontres de négociations effectuées avec le ministre de l’Environnement, M. Pierre Paradis, dans le but d’instaurer un moratoire sur l’établissement et l’agrandissement de sites d’enfouissement et de dépôts de matériaux secs le temps de réaliser des audiences et une enquête publiques sur la gestion des déchets solides.

La rencontre de Saint-Jean-de-Matha

15Un groupe de citoyennes et de citoyens, Action Écologie de SaintJean-de-Matha, mobilisé pour dénoncer les activités du propriétaire d’un site d’enfouissement, a organisé, en collaboration avec le Front commun, une rencontre avec des personnes vivant des situations similaires dans d’autres régions. Cette rencontre visait entre autres à poursuivre une discussion sur les principes d’une gestion des déchets plus respectueuse de l’environnement et des communautés.

16L’un des moments les plus importants de cette rencontre fut sans aucun doute lorsque les représentants des différents groupes locaux ont exposé à tour de rôle la problématique de gestion des déchets dans leur région. Plusieurs personnes ont réalisé alors que ce qu’elles vivaient dans leur milieu était également le lot de nombreuses autres personnes. Par exemple, de nombreux sites d’enfouissement privés desservant principalement les besoins de la région se sont mis à importer des quantités considérables de déchets en provenance d’autres régions. Cela a eu comme effet, entre autres, d’augmenter les impacts environnementaux créés par l’augmentation du volume des déchets traités sur le site et de réduire la longévité des sites. De plus, plusieurs personnes ont constaté des problèmes quant au contrôle que le ministère de l’Environnement effectuait sur les activités des sites et quant à l’accès à l’information relativement aux activités d’enfouissement et aux impacts environnementaux de l’enfouissement. Des exemples d’anomalies ont également été notés relativement aux procédures d’émission de certificats de conformité au zonage municipal ou au schéma d’aménagement des municipalités régionales de comté permettant ainsi des agrandissements de sites privés d’enfouissement.

17Cette rencontre a permis également de partager des stratégies d’intervention et de créer des liens entre les personnes. Ces nouveaux rapports allaient permettre la réalisation d’actions communes en vue de faire des pressions sur le gouvernement provincial. Dans les quelques mois qui suivirent cette rencontre, plus d’une trentaine de groupes locaux sont devenus membres du Front commun. L’analyse de cette activité permet d’identifier certaines conditions qui peuvent rendre possibles des actions communes en vue d’influencer les politiques gouvernementales. Ce type d’assemblée située entre le politique institutionnel et le politique non institutionnel, qu’on qualifie d’espaces sociaux intermédiaires, aura servi de lieu privilégié pour développer des consensus et des solidarités nécessaires aux mobilisations sur des enjeux dépassant les problématiques locales.

18Autre élément intéressant. Au départ, la coalition devait se former autour d’enjeux relatifs aux activités d’élimination de déchets dangereux ou à l’instauration de projets d’incinérateurs de déchets dangereux. Or, quatre événements sont venus changer le cours des choses. D’abord, Greenpeace a procédé à une restructuration de ses activités due en partie à une baisse importante de revenus. La campagne internationale de Greenpeace pour contrer la prolifération des incinérateurs, de même que la campagne pour la diminution de la pollution des Grands Lacs au Canada ont connu des coupures de personnel dont la personne engagée à cet effet au Québec. Ensuite, les deux promoteurs de projets d’incinérateurs de déchets dangereux de Valleyfield et de Senneterre ayant annoncé l’abandon de leur projet, une intervention plus provinciale de leur part devenait moins nécessaire. Enfin, la venue au sein du Front commun de groupes locaux préoccupés davantage par des enjeux de déchets solides a amené des changements au niveau des priorités d’action de l’organisation. Ainsi, pendant un certain temps, le FCQGÉD a travaillé de manière prioritaire sur des enjeux de gestion des déchets solides. La perspective avait changé par rapport aux objectifs de départ, ce qui ne s’est pas révélé sans intérêt dans le cadre de l’analyse des mouvements sociaux.

La sûreté du Québec et les groupes environnementaux oeuvrant dans le domaine de la gestion des déchets

19Il fut également révélateur de vivre et d’étudier l’expérience de l’enquête de la Sûreté du Québec. En effet, le quotidien Le Devoir annonçait à la une le 26 novembre 1992 que la Sûreté du Québec avait entrepris « une vaste opération de renseignement sur certains groupes écologistes et groupes de citoyens et de citoyennes en rapport avec une vingtaine de dossiers environnementaux » concernant principalement le dossier des déchets. Citant le responsable des communications de la Sûreté du Québec, le journaliste indique que la Sûreté du Québec procédait à l’enquête parce que l’on aurait assisté dans de nombreux cas à des « réactions fortement émotives et parfois de violence ». Quelques actes de violence sont présentés en exemple dans l’article du journal. De plus, le journaliste souligne, entre autres, que les enquêteurs demandent de l’information sur deux membres du conseil d’administration du Front commun lorsqu’ils rencontrent les militants. L’une de ces personnes est présidente de l’organisation et chercheuse dans la présente équipe de recherche. Les informations diffusées dans le quotidien sont reprises le matin même par de nombreux journalistes de la radiodiffusion.

20Ceci n’était pas sans mettre l’organisation dans une situation délicate. L’ensemble des événements entourant cette controverse aurait pu s’avérer coûteux sur le plan de la recherche-action comme pour toutes les personnes impliquées dans l’organisation. À titre d’illustration, mentionnons que ce type d’intervention peut miner la confiance des uns envers les autres dont, entre autres, envers la chercheure. Ces pressions peuvent également entraîner le désengagement de certaines personnes. Ainsi, par exemple, une des personnes visitées par les agents de la Sûreté du Québec a souligné que le temps très important qu’elle consacrait à l’enjeu de la gestion des déchets entraînait des pressions familiales. Or, la visite, dans le milieu familial, des agents de la division des renseignements de sécurité de la Sûreté du Québec n’a pas été sans augmenter ces tensions.

21Cette intervention dans les groupes deviendra un événement très révélateur quant aux rapports entre le politique institutionnel et le politique non institutionnel dans l’analyse des mouvements sociaux. Elle permettra de développer un nouveau volet, celui impliquant les rapports avec l’État policier.

22D’abord, le Front commun a dû utiliser diverses tribunes pour rétablir les faits et signaler que les actes de violence mentionnés dans l’article du journal représentaient, dans tous les cas, des actes posés contre et non par des personnes mobilisées pour que cessent des pratiques de gestion des déchets considérées comme inadéquates. Le FCQGÉD a également effectué des démarches auprès de la Commission des droits de la personne, de la Ligue des droits et libertés, du ministre québécois responsable de la sécurité publique et de différentes personnes ayant effectué des recherches sur les instances policières chargées des renseignements de sécurité. À la suite de ces démarches, les visites indues des agents de la Sûreté du Québec ont cessé.

23Enfin, le Front commun, avec l’aide de la Ligue des droits et libertés, a organisé des ateliers pour ses membres afin de les informer de la situation et de leur présenter les différentes options se présentant à eux dans le cas où des enquêteurs demandaient une rencontre.

24L’ensemble de ces événements a permis d’identifier de nouveaux types de rapports avec d’autres instances comme les organismes voués à la défense des droits et libertés. De plus, il a été possible d’établir des liens avec des activités semblables effectuées par la Sûreté du Québec auprès de groupes féministes, nationalistes et de groupes de défense des droits des gais et lesbiennes.

25Un dernier exemple, celui des rencontres de négociation entre le ministre de l’Environnement, M. Pierre Paradis et les groupes-membres du Front commun a permis d’aborder un autre niveau d’analyse des rapports entre le politique institutionnel et le politique non institutionnel.

Rencontres de négociation entre les membres du Front commun et le ministre de l’Environnement

26Plusieurs démarches du Front commun dans le but d’obtenir la tenue d’une audience et d’une enquête publiques sur la gestion des déchets solides au Québec ainsi qu’un moratoire sur l’établissement et l’agrandissement de sites d’enfouissement et de dépôts de matériaux secs étaient demeurées infructueuses. Face à la situation, le Front commun, de concert avec la coalition montréalaise de 23 groupes environnementaux, Action RE-buts, a décidé d’occuper les bureaux du ministre de l’Environnement afin d’obtenir un rendez-vous. Après quelques heures d’occupation, un rendez-vous était obtenu avec le ministre et son équipe responsable du dossier sur les déchets. Cette rencontre allait être la première d’une série de trois.

27D’autres activités comme des manifestations, l’envoi de messages par télécopieur, la proposition de résolutions d’appui à faire adopter par des municipalités et des MRC, des rencontres et des discussions téléphoniques avec des représentants de l’Union des municipalités du Québec ainsi qu’avec des représentants du parti politique dans l’opposition à Québec ont été organisées pour effectuer des pressions afin que le gouvernement intervienne dans le sens des requêtes du Front commun.

28Dans la foulée de ces activités, le ministre de l’Environnement faisait adopter la loi obligeant tous les promoteurs de projets d’établissement et d’agrandissement de sites d’enfouissement sanitaire et de dépôts de matériaux secs à réaliser une étude visant à identifier les impacts potentiels de leur projet sur l’environnement. Ainsi, ces projets sont dorénavant soumis à la procédure d’évaluation environnementale et aux audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Ces mesures améliorent quelque peu la situation car, avant cette loi, le ministre de l’Environnement devait émettre des certificats de conformité et permettre ainsi l’exploitation ou l’agrandissement d’un site d’enfouissement ou de dépôt de matériaux secs dans la mesure où le projet répondait à des normes réglementaires désuètes, et cela, même si le promoteur faisait l’objet de poursuites judiciaires ou de larges oppositions populaires.

29La participation à ces activités a donc permis d’analyser les liens entre les groupes locaux et nationaux à vocation environnementale mobilisés dans une controverse particulière. De même, il fut particulièrement révélateur d’étudier, de l’intérieur, les réseaux et les instances dans lesquels peuvent intervenir les individus mobilisés dans ces différents groupes.

30Si la recherche-action peut permettre d’innover dans l’analyse de certains phénomènes sociaux, il va sans dire que cette méthode de recherche n’est pas sans poser des défis. La recherche-action ouvre inévitablement la porte à l’errance. On sait d’où l’on part mais il est difficile de prédire le point d’arrivée. Des embûches sérieuses peuvent venir nuire au processus de recherche. La vigilance est donc de mise. La recherche-action, comme toute démarche de recherche, nécessite aussi de développer une attitude critique vis-à-vis de soi-même et de ses propres actions, et exige de faire preuve de souplesse et d’ouverture.

31Pour tenter d’éviter le plus possible les écueils et de systématiser la collecte de données, il s’avère essentiel de se doter d’instruments d’analyse adéquats. Les expériences de terrain peuvent, entre autres, être complétées avec l’analyse de contenu de documents pertinents à l’objet d’étude et avec la réalisation d’entrevues auprès d’acteurs clés.

32Enfin, comme le mentionne judicieusement Shapiro, si le hasard et les accidents, ou même l’errance, jouent un certain rôle dans les découvertes, il n’en demeure pas moins que les découvertes fortuites ont aussi souvent été accompagnées de sagacité, de travail et de persévérance méthodiques pour que les données nouvelles, ou regardées sous un angle inédit, prennent un sens.