Conclusion

1L’enseignement et la recherche en santé publique, à la Faculté de médecine et l’École d’hygiène de l’Université de Montréal, présentent une continuité remarquable, de 1911 à 2006. Et pourtant, les acteurs et leurs valeurs ont considérablement changé tout au long de cette période. Après un début timide, la formation à la Faculté des médecins qu’on appelait hygiénistes va être relayée par celle des infirmières de même nom à l’École d’hygiène sociale appliquée, appuyant le développement des premières unités sanitaires de comté, ainsi que la médecine préventive et la « propagande » pour l’hygiène qui prennent leur essor.

2La création de l’École d’hygiène de l’Université de Montréal, avec ses départements constituants et l’Institut supérieur d’administration hospitalière, constitue cependant un moment fort dans cette trajectoire et l’un des tournants majeurs de l’engagement de l’Université de Montréal en faveur de l’hygiène ou santé publique. Bien soutenue par le ministère provincial de la Santé, fortement ancrée dans les milieux de pratique professionnelle, l’École aura largement contribué à former de nombreux membres constituant ce qu’on appelait « l’équipe sanitaire », au Québec, mais aussi dans la Francophonie de l’époque. Avec l’École également, une première impulsion sera donnée à la recherche en santé publique, à travers, en particulier, son Institut de recherche en hygiène industrielle et en pollution de l’air. Pourquoi alors ce démantèlement progressif ? S’agissait-il d’ailleurs d’un démembrement des unités constitutives ou plutôt d’un changement structurel dans la continuité ?

3Il n’y a pas de véritable rupture dans le passage de l’ISAH au DAS, tout comme le Département de santé environnementale et santé au travail de la Faculté de médecine est un héritier direct du Département d’hygiène des milieux de l’École d’hygiène, s’en réclamant fièrement à l’occasion de son 60^e anniversaire de naissance. Le DMSP lui-même n’est pas une création de nihilo des années 1970, sa maîtrise en santé communautaire poursuivant des objectifs qui étaient déjà ceux du diplôme en hygiène publique, tout en renouvelant considérablement le contenu et en diversifiant la clientèle, l’équipe d’intervenants en santé communautaire des années 1970 n’étant plus tout à fait l’équipe sanitaire des années 1950. Le doctorat en santé communautaire, lors de sa création, bénéficiera lui aussi d’un cadre juridique fourni par le doctorat ès Sciences en hygiène que délivrait très parcimonieusement l’École d’hygiène, mais surtout sa proximité avec le GRIS lui permettra de prendre une ampleur auparavant inégalée.

4Le développement du GRIS comme celui de l’Unité de santé internationale constituent deux éléments importants de ce qui est devenu avec les années le Secteur de la santé publique de la Faculté de médecine, dont le potentiel mériterait une plus grande autonomie de gestion, réclamée déjà de longue date. La reconfiguration spontanée de ce secteur, regroupant ces deux nouvelles unités et les trois départements héritiers de l’École d’hygiène, serait elle-même influencée par l’élargissement des conceptions concernant ce qu’on appelle les déterminants de la santé.

5Ce panorama de l’enseignement et de la recherche en santé publique sur presque un siècle à l’Université de Montréal fait ressortir nettement le poids de l’environnement sociétal dans sa genèse et son développement ainsi que ses transformations successives. C’est à la demande des autorités sanitaires de la Province (le Conseil d’hygiène de la province de Québec) que les trois facultés de médecine du moment se mobilisent pour développer un diplôme universitaire d’hygiène publique. C’est encore celles-ci, devenues le ministère de la Santé, qui financent sur 20 ans l’École d’hygiène de l’Université de Montréal, permettant son ouverture et son maintien malgré les obstacles et les embûches. Ce sont également les structures de financement fédérales et provinciales qui joueront un rôle majeur dans le développement de la recherche en hygiène et santé publique à l’école comme dans le cadre du GRIS ou de l’ensemble du secteur de la santé publique de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal

6La reconfiguration de l’enseignement et de la recherche en santé publique est également fortement influencée par l’évolution des connaissances et pratiques dans ce domaine. On peut ainsi interpréter la création de l’École d’hygiène en 1946 et son démantèlement 25 ans plus tard comme marquant le passage de l’enseignement de l’hygiène à l’éducation sanitaire en 1946 et celui de la santé publique à la santé communautaire en 1970. Le nouveau paradigme de la « médecine intégrée », cherchant à réconcilier médecine préventive et médecine curative, expliquerait le transfert des principaux départements de l’École d’hygiène à la Faculté de médecine, celle-ci devant elle-même se réformer selon les canons de ce nouveau paradigme.

7Tout en nous gardant de vouloir influencer la nouvelle « configuration » qui se dessine sous nos yeux à travers le nouveau projet annoncé d’école de santé publique, on peut tirer un certain nombre de leçons de cette longue histoire de l’enseignement et de la recherche en santé publique à l’Université de Montréal. Nous laissons au lecteur le soin de les découvrir et souhaitons à ceux qui ont la responsabilité de dessiner l’avenir de cette nouvelle école de santé publique de se les approprier.