Version classiqueVersion mobile

Enseignement et recherche en santé publique

 | 
Benoît Gaumer
, 
Georges Desrosiers
, 
Jean-Claude Dionne

Chapitre 2. L’École d’hygiène, devenue l’École de santé publique

Benoît Gaumer

Texte intégral

1En décembre 1946, LAction médicale, journal porte-parole du corps médical de l’époque, saluait l’ouverture de l’École d’hygiène à l’Université de Montréal, bien que « son institution soit probablement passée inaperçue tant de la foule des médecins que du public en général ». L’hygiène publique, une des spécialités en pleine croissance depuis le début du siècle n’attirait pas la masse des médecins et ceux qui désiraient se spécialiser devaient se rendre à Toronto, Boston ou Baltimore, un exil relativement onéreux, sans parler du problème de la langue, pour des Canadiens français. « Cours d’hygiène ici en octobre », titrait triomphalement La Patrie le 12 octobre 1946, quelques jours après la ratification par le parlement de Québec d’une décision de l’honorable J.-A. Paquette, ministre de la Santé et du Bien-être social, de subventionner l’École d’hygiène à l’Université de Montréal.

2Ainsi, cette ouverture était bienvenue pour les patriotes canadiens-français, même si elle passait relativement inaperçue chez les médecins ! Ce n’était d’ailleurs pas la première tentative de la province de Québec pour se doter d’une institution universitaire capable de former ses spécialistes en hygiène publique. L’ouverture de l’École d’hygiène à l’automne 1946 marquait cependant un temps fort dans cette volonté des autorités sanitaires et universitaires pour doter le Québec d’une institution de formation francophone de haut niveau, ouverte à ses professionnels de santé publique, mais aussi à ceux de la francophonie de l’époque.

3En 1945, l’École de santé publique de Rennes en France n’avait pas encore ouvert ses portes et les fondateurs de l’École d’hygiène de l’Université de Montréal développeront une vision très large, quasi internationale, pour l’avenir de leur institution. « Française ou franco-latine par l’expression et par la formule didactique, franchement nord-américaine par le contenu de son programme, conforme aux dernières prescriptions de l’American Public Health Association », comme le proclamaient haut et fort les premiers annuaires, cette double appartenance sera maintenue tout au long des années subséquentes. Durant ses 25 années d’existence, l’École va attirer une clientèle internationale francophone non négligeable, principalement autour de son programme de diplôme en hygiène publique réservé aux médecins. En 1974, les autorités sanitaires de l’Algérie indépendante regrettaient la disparition de cette école, alors qu’ils cherchaient à renforcer et à diversifier la formation de leurs cadres de santé publique.

4Malgré cette vocation internationale indéniable, l’École d’hygiène fut d’abord l’interlocutrice privilégiée du ministère provincial de la Santé, de ses unités sanitaires ainsi que des principaux services municipaux des grandes villes du Québec, contribuant à former les cadres et le personnel spécialisé en hygiène ou santé publique. En 1956, l’Institut supérieur d’administration hospitalière lui sera adjoint, disposant d’une grande autonomie, renforçant d’autant l’éventail des formations universitaires offertes dans la province. Ce sera le cas également d’autres programmes mis en place au cours des années, comme le « cours d’éducation physique et de récréation », s’adressant aux éducateurs physiques des institutions d’enseignement, mais aussi, selon la jolie formule de l’Annuaire spécial de lÉcole dhygiène 1956-1957, « à toute personne ayant part active dans les œuvres de récréation de nos paroisses, de nos terrains de jeux, de nos centres récréatifs, d’organisations de jeunes ou d’adultes ».

5Autonome par rapport à la Faculté de médecine comme d’autres écoles de santé publique des États-Unis, elle n’adoptera cette appellation que tardivement en 1969, prenant le nom d’École de santé publique. Ce virage sémantique s’accompagnera du démantèlement de l’École dont les diverses constituantes rejoindront par étapes la Faculté de médecine ou contribueront à renforcer de nouvelles facultés comme celles des sciences infirmières ou des sciences de l’éducation. En 1970, l’École d’hygiène disparaît en tant qu’institution autonome à l’intérieur de l’Université de Montréal pour des raisons qui tiennent essentiellement au contexte de la Révolution tranquille.

Pourquoi cette école d’hygiène ?

6Reconnaissant l’importance de l’hygiène publique et de la médecine préventive dans la vie sociale et économique de la population du Québec, l’Université de Montréal créait le 22 novembre 1945, par une décision presque unanime de sa commission des études, une école d’hygiène, ainsi dénommée et la dotait des droits, pouvoirs et attributions que conférait alors la charte de l’Université à ses facultés et écoles. Celle-ci n’aurait pas vu le jour sans l’aide de l’Assemblée législative de Québec, adoptant à l’unanimité le 9 avril 1946 la Loi pour aider létablissement dune école dhygiène à Montréal et accordant, pour 20 ans, une subvention annuelle de 40 000 $ à l’Université. Les législateurs du Québec créaient ainsi en Amérique du Nord un heureux précédent, car c’était la première fois qu’un gouvernement contribuait directement au soutien d’une école d’hygiène sans l’aide des fondations américaines.

7La réalisation de ce projet était due également à la vision et à la persévérance d’Armand Frappier, le directeur fondateur de l’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal. Homme de sciences, mais également homme de relations publiques, Armand Frappier disposait d’un bon soutien qu’il cultivait dans les milieux politiques, économiques et religieux du Québec de l’époque. C’est ainsi qu’il bénéficiera de l’appui de la Chambre de commerce de Montréal et de Mgr Charbonneau, archevêque de Montréal. À noter par contre, l’opposition du doyen et du conseil de la Faculté de médecine qui auraient plutôt souhaité transformer le programme de formation spécialisée qui existait depuis 1911 et construire sur le précédent de l’École d’hygiène sociale, intégrée sous le nom d’École d’infirmières hygiénistes, comme cela a été décrit précédemment.

8Armand Frappier disposera également de l’appui d’Adélard Groulx, l’influent directeur du Service de santé de la ville de Montréal et de Jean Grégoire, le sous-ministre entreprenant et expérimenté du ministère de la Santé à Québec. Le ministère était très intéressé à développer une école de santé publique pour ses cadres, et Armand Frappier fera ressortir les avantages d’une installation à Montréal plutôt qu’à Québec, où cette école bénéficierait de l’appui de son Institut, mettant immédiatement à disposition locaux, professeurs et structure administrative.

9En réalité, ce projet n’était pas nouveau et plusieurs tentatives auraient eu lieu entre les deux guerres. En 1927, l’École d’hygiène sociale appliquée, élaborait un premier projet, approuvé par sa Faculté de médecine de tutelle, mais il ne verra pas le jour. Une seconde tentative, parrainée par Séraphin Boucher, le directeur du Service de santé de la ville de Montréal à l’époque, cette fois-ci disposant de solides appuis des doyens des facultés de médecine des deux universités, Montréal et McGill, ainsi que du Secrétaire de la province échouait à nouveau en 1931. Et pourtant, les besoins de formation en santé publique de niveau universitaire étaient bien présents. Le Service de santé de la ville de Montréal, mais aussi le Service provincial d’hygiène envoyaient régulièrement certains de leurs cadres médecins et ingénieurs sanitaires se former dans les écoles de santé publique des États-Unis, essentiellement Harvard et Baltimore, ou à l’École d’hygiène de Toronto, lorsque celle-ci ouvrira en 1925. Bien qu’ils bénéficiaient la plupart du temps de bourses octroyées par la Fondation Rockefeller, cet exil en milieu anglophone n’était pas sans inconvénient. D’autres tentatives auront lieu à Québec près du nouveau ministère de la Santé, fondé en 1936, pour créer, d’abord en 1937, un institut d’hygiène, puis en 1944, un institut d’hygiène et de biologie humaine, mais toujours sans succès.

10Malgré les déclarations publiques de l’honorable J.-A. Paquette, formulées à plusieurs reprises dès 1939, de subventionner l’Institut de microbiologie et d’hygiène « en vue de le faire servir à l’enseignement spécialisé de l’hygiène publique et de la médecine préventive », les subventions gouvernementales tardaient à venir et Armand Frappier s’inquiétait. Il craignait de voir s’ouvrir dans la province un second centre d’enseignement de l’hygiène alors qu’il estimait que « nous n’avons pas les moyens ni la population pour en soutenir deux ». La proximité de la Faculté de médecine de l’Université Laval des services du Ministère aurait pu peser lourd dans la balance. La querelle Québec-Montréal n’était pas close !

11Parmi les autres scénarios imaginés à la même époque figurait également le projet, en 1940 à Montréal, de réviser le programme du diplôme d’hygiène publique de la Faculté de médecine, en le conformant aux normes canadiennes imposées par le ministère fédéral de la Santé et des Pensions, ce dernier renforçant ses interventions dans les provinces à l’occasion de l’état de guerre. Cette révision aura bien lieu, mais le nouveau programme ne sera jamais délivré à la Faculté de médecine et sera repris par l’École d’hygiène, dès son ouverture à l’automne 1946.

12La conjoncture en 1945 était plutôt favorable, la bonne situation économique du pays venant renforcer ceux qui militaient en faveur de l’ouverture d’une école, « pour l’enseignement postscolaire de l’hygiène publique en langue française en Amérique, suivant le programme américain, incontestablement le meilleur du monde », objectif recherché par les hygiénistes du Québec depuis un quart de siècle. Pourquoi alors avoir choisi le nom d’École d’hygiène et non pas de santé publique à l’exemple de ses homologues des États-Unis ? Il y a probablement plusieurs raisons à cela : alignement sur le nom de l’Institut d’hygiène d’Armand Frappier, mais aussi réflexe de « solidarité latine » ou même analogie avec l’École d’hygiène de Toronto.

Une structure de pilotage autonome

13En 1950, avec la nouvelle charte de l’Université de Montréal, l’École d’hygiène sera admise parmi les facultés et écoles constituantes ce qui, malgré son appellation, lui donnait rang de faculté avec à sa tête un doyen. De son ouverture à 1965, le décanat sera occupé par Armand Frappier, en même temps directeur de l’Institut de microbiologie et d’hygiène et qui marquera l’école de son empreinte, ayant toujours cherché à faire la synthèse du courant pastorien et de l’« école de santé publique nord-américaine ». La constitution juridique de l’Institut de microbiologie et d’hygiène de Montréal, « institution à la fois scientifique et industrielle, mais sans but lucratif et sans capital-actions », datait de 1938 et il ne fut rattaché officiellement à l’Université de Montréal qu’en 1942 par une loi spéciale du Parlement de Québec, tout en conservant son statut juridique. Armand Frappier disposait ainsi d’une très grande autonomie dans sa double direction, faisant bénéficier l’École des avantages de l’Institut pour l’enseignement de certaines matières ou disciplines.

Armand Frappier est né à Salaberry-de-Valleyfield le 26 novembre 1904. Ancien élève du séminaire de Valleyfield, où il obtint son baccalauréat ès Arts (Université de Montréal), il était docteur en médecine, licencié ès sciences, de l’Université de Montréal. Boursier de la Fondation Rockefeller, il s’est spécialisé en microbiologie et plus particulièrement en prévention de la tuberculose, aux États-Unis et en Europe auprès de l’Institut Pasteur. Fondateur et directeur de l’Institut de microbiologie et d’hygiène de Montréal pendant 35 ans, fondateur et doyen de l’École d’hygiène pendant 20 ans, il s’agit de ses deux plus grandes réalisations. Pionnier dans le domaine de la recherche en microbiologie et en médecine préventive au Canada, il a énormément publié dans les plus grands journaux médicaux et scientifiques. La carrière du docteur Frappier l’a conduit dans toutes les parties du monde, honoré pour ses travaux, pas seulement dans son pays. Il est décédé le 18 décembre 1991.

Maurice Panisset est né à Maisons-Alfort (France) le 29 août 1906, diplômé de l’École de médecine vétérinaire de cette même ville, en 1929. À l’invitation des révérends pères trappistes, il rejoindra le corps enseignant de l’École de médecine vétérinaire de la province de Québec, où il sera professeur de 1929 à 1966. Dès 1938, il était appelé par Armand Frappier à collaborer à la fondation et à l’organisation de l’Institut de microbiologie et d’hygiène, dont il sera le directeur adjoint jusqu’en 1964, lui succédant alors comme doyen de l’École d’hygiène de l’Université de Montréal. Il accomplira lui aussi de nombreux voyages et missions dans diverses parties du monde. Ses travaux et recherches ont porté essentiellement sur la prévention et le traitement de maladies animales transmissibles à l’homme, mais aussi sur les problèmes de santé humaine les plus préoccupants, comme la tuberculose. Il est décédé le 11 novembre 1981.

14Le second et dernier doyen, Maurice Panisset, aura eu le mérite de piloter l’École en pleine turbulence alors que celle-ci était l’objet d’une concurrence sérieuse de certaines facultés sœurs et d’une remise en cause de sa mission au cours de la réforme majeure de l’éducation des années 1960.

15L’École sera dirigée sur le plan pédagogique par un conseil présidé par les deux doyens successifs, mais où siègent également le recteur de l’Université et le doyen de la Faculté de médecine, ainsi que les directeurs des départements constitutifs de l’École. Le nom d’Armand Frappier est indissociable de celui de Jules Gilbert qui fut « l’âme de l’École », alors que le premier en était le gestionnaire proactif. Associé à l’École dès sa fondation, comme secrétaire ou directeur adjoint, il ne s’en séparera temporairement qu’en 1960, consacrant entièrement son temps à celle-ci et à la Division de l’enseignement de l’hygiène au ministère de la Santé à Québec.

16L’École était structurée au départ en quatre départements : microbiologie et immunologie, épidémiologie et biométrie, hygiène des milieux, administration de la santé publique et médecine sociale. Le premier département, d’abord dirigé par Armand Frappier puis rapidement par Maurice Panisset, sera presque confondu avec l’Institut de microbiologie et d’hygiène, y puisant ses ressources professorales. Il disparaîtra avec l’éloignement de ce dernier en 1964, à Laval des Rapides.

Jules Gilbert est né le 17 février 1902 à Québec. Diplômé de la Faculté de médecine de l’Université Laval en 1926, il exercera la médecine générale en cabinet privé avant de découvrir l’hygiène et la médecine préventive à l’Unité sanitaire de Shefford dans les Cantons de l’Est et d’aller se spécialiser dans cette discipline à l’École d’hygiène de l’Université de Toronto en 1938-1939. Sa vocation de pionnier de l’éducation sanitaire au Québec était née. Fondateur de la Division de l’enseignement de l’hygiène au ministère provincial de la Santé et du Bien-être social, en 1943, il deviendra l’« âme » de l’École d’hygiène de l’Université de Montréal, dès son ouverture en 1946, comme secrétaire ou vice-doyen. Il y demeurera jusqu’à sa retraite en 1970, après une parenthèse importante comme directeur du Service de l’assurance-hospitalisation entre 1960 et 1962. Il a été l’auteur de plusieurs ouvrages d’éducation sanitaire très populaires et largement diffusés dans toute la francophonie de son époque.
Il décédait à Montréal le 29 septembre 1979.

17Le Département d’hygiène des milieux sera d’abord développé par Théodore-Joseph Lafrenière, un des premiers experts en génie sanitaire du Québec, ayant fait toute sa carrière dans l’administration provinciale de l’hygiène publique, d’abord au Conseil d’hygiène de la province de Québec (CHPQ), puis au Service provincial d’hygiène (SPH) qui lui succédera en 1922 et finalement comme directeur de la Division du génie sanitaire au ministère de la Santé à partir de 1936. Il sera remplacé en 1961 par Ferdinand Tourangeau, jusqu’en 1965, ce qui coïncidera avec le départ d’Armand Frappier, l’éloignement de l’Institut de microbiologie et d’hygiène, à Laval-des-Rapides, et surtout l’arrivée du nouveau doyen Maurice Panisset, avec lequel il entretient des relations plutôt orageuses. Ferdinand Tourangeau sera le fondateur, en 1960, de l’Institut de recherches en hygiène industrielle et en pollution de l’air, dont la contribution au développement de la recherche dans le cadre de l’École d’hygiène sera présentée au chapitre 5. Après la brève direction de Claude Drouin en 1966 et 1967, c’est Jacques Nantel qui va assurer la transition entre l’École et la Faculté de médecine, le Département d’hygiène des milieux étant transféré à cette dernière lors du démantèlement de la première.

18Le Département d’épidémiologie et de biométrie, dirigé par Roger Foley, également fondateur de la Division de l’épidémiologie au ministère provincial de la Santé, deviendra simplement celui d’épidémiologie en 1964, alors dirigé par Maurice Panisset. Ce sera l’un des derniers départements à fusionner, en 1974, avec le Département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine, lui-même créé officiellement en 1965.

19Quant au Département d’administration de la santé publique et médecine sociale, il perdra cette appellation lors de cette création en 1964 pour s’appeler simplement Département d’administration de la santé publique. Il était dirigé par Adélard Groulx, médecin directeur du Service de santé de la ville de Montréal, puis par Julien Denhez, avant qu’il ne fusionne avec l’Institut supérieur d’administration hospitalière (ISAH) pour former le Département d’administration de la santé, peu avant le rattachement de l’École à la Faculté de médecine en 1969.

20Un cinquième département d’éducation physique apparaîtra lors de la réorganisation de l’École en 1964, dirigé par Arthur Sheedy, marquant l’importance grandissante de cette discipline et préfigurant son autonomie. Cette création coïncidera avec le développement d’une unité de recherche en aptitude physique, fondée à la suite d’un accord entre l’Université de Montréal et le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, en particulier sa division du sport amateur, accordant une subvention sur cinq ans à l’unité. Un département regroupant éducation sanitaire, éducation physique et récréation (sic) aurait précédé cette nouvelle organisation, dès 1955, démontrant l’importance accordée par l’École à cette dimension de la santé publique.

21L’Institut supérieur d’administration hospitalière, dont il sera longuement question au chapitre suivant, sera ouvert en 1956, département en réalité très autonome. En 1969-1970, à la veille de sa disparition, l’École de santé publique, ainsi rebaptisée, était composée de trois départements : administration de la santé, épidémiologie et hygiène des milieux.

22Partageant les mêmes locaux que l’Institut de microbiologie et d’hygiène dans l’immeuble principal de l’Université de Montréal jusqu’au départ de ce dernier pour Laval-des-Rapides en 1964, l’École rejoindra la Faculté de nursing dans le pavillon Marguerite d’Youville, peu de temps avant son démembrement complet à la fin des années 1960.

Un enseignement très diversifié

23L’hétérogénéité de la formation préalable des candidats aux différents diplômes délivrés par l’École lui posera de nombreux défis, dont celui de la diversification des filières de formation. La pluralité de celles-ci tenait surtout à la volonté des dirigeants de l’École, maintes fois proclamée, d’assurer la formation de toute « l’équipe de santé publique ». Dans l’esprit de ces mêmes dirigeants et fondateurs, il ne s’agissait pas de former seulement les médecins et les infirmières hygiénistes comme auparavant avec le diplôme d’hygiène publique des facultés de médecine, ou dans le cadre de l’École d’hygiène sociale appliquée. Le concept et les pratiques d’hygiène publique s’étaient beaucoup élargis au Québec et en Amérique du Nord depuis l’entre-deux-guerres, mettant l’accent sur l’importance de l’enseignement de l’hygiène qui s’appelle alors l’éducation sanitaire. Après les médecins, les infirmières, les inspecteurs et les ingénieurs sanitaires, les vétérinaires et les dentistes, apparaîtront les éducateurs professionnels et bénévoles, de « l’esprit et du corps », comme le proclamaient les annuaires ! L’« équipe sanitaire », telle qu’envisagée par Jules Gilbert, sera considérablement élargie.

Le diplôme en hygiène publique, élément phare de l’enseignement

24L’École inaugurait ses activités en 1946 avec le cours pour le diplôme en hygiène publique, tel qu’il a été remanié par le comité de la Faculté de médecine qui avait travaillé pendant la guerre. S’agissant du programme principal, les quatre départements participeront aux enseignements : microbiologie et immunologie, épidémiologie et biométrie, hygiène des milieux, administration de la santé publique et médecine sociale. Seuls des médecins occupant déjà une fonction dans les services d’hygiène publique furent admis au cours des premières années. Cependant, très rapidement, des dentistes et des vétérinaires seront acceptés avec la création de trois diplômes : diplôme en hygiène publique (DHP), diplôme en hygiène dentaire publique (DHDP) et diplôme en hygiène vétérinaire publique (DHVP). La durée des cours était d’un an avec trois périodes de 10 semaines chacune. À partir de 1965, les trois diplômes seront fusionnés en un seul diplôme en hygiène publique. Parallèlement fut institué un certificat en hygiène publique, essentiellement pour la clientèle étrangère, souvent des officiers de santé non-docteurs en médecine. Diplôme et certificat en hygiène publique seront maintenus tout au long de l’existence de l’École et le diplôme servira de matrice pour la maîtrise de santé communautaire, lors de sa création par le Département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine en 1975.

25Dès l’ouverture de l’École, l’épidémiologie, la démographie et les méthodes statistiques constitueront le noyau dur de l’enseignement de ce programme. Cette tendance se maintiendra et même se renforcera au fil des années, au détriment de la microbiologie et de l’hygiène des milieux, comme le montre le Tableau 2.1. L’hygiène alimentaire et la nutrition disposaient d’un volume horaire non négligeable, bénéficiant de la présence comme enseignant du docteur Sylvestre, fondateur de la Division de la nutrition au ministère de la Santé provincial. Le bloc des enseignements consacrés à la sociologie, l’administration hospitalière et le service médico-social de l’enfance prendra de plus en plus d’importance, démontrant la capacité de l’École à incorporer les nouvelles disciplines des sciences de la santé publique et les besoins des milieux de pratique.

Tableau 2.1. Évolution des contenus du programme pour le diplôme en hygiène publique École d’hygiène de l’Université de Montréal

Programmes

1949-1950 nombre d’heures

1965-1966 nombre d’heures

1. Microbiologie et immunologie

Microbiologie

90 (60)*

75 (30)

Immunologie et sérologie

90 (60)

75 (15)

Virologie

20

75 (15)

Service de laboratoire d’hygiène publique

10

15

Parasitologie et entomologie

15 (10) + 15 (10)

+ médecine tropicale 45 (15)

Sous-total

240 (25,9 %)

210 (24,8 %)

2. Épidémiologie et biométrie

Méthodes statistiques

50 (35)

+ biostatistiques 45 + 75

Démographie

70 (50)

Épidémiologie

120 (90)

120

Administration de la démographie dans le Québec

10

Clinique de maladies contagieuses

30

15

Sous-total

280 (30,3 %)

255 (30,2 %)

3. Hygiène des milieux

Salubrité urbaine

20

Salubrité rurale

20

45

Salubrité du lait et des produits laitiers

Salubrité alimentaire

10

Hygiène de l’habitation

10

Urbanisme

5

Hygiène nucléaire 15 (5)

Chimie sanitaire

5

Hygiène industrielle

30

Nutrition et hygiène alimentaire

25

30

Sous-total

175 (18,9 %)

120 (14,2 %)

4. Administration publique et médecine sociale

Sociologie

20

40

Organisation de l’hygiène publique

20

20

Législation sanitaire

10

20

Médecine sociale

10

Administration hospitalière et service médico-social

10

45

Assistance bénévole d’hygiène

10

Administration de bureau

5

Éducation publique en hygiène

10

Éducation sanitaire

Nursing en hygiène publique

10

Religion et hygiène

5

5

Hygiène publique et gérontologie

20

Hygiène maternelle et infantile

30

Hygiène de l’enfance 90

Hygiène scolaire

10

Hygiène mentale

20

30

Hygiène dentaire

10

Tuberculose

15

15

Maladies vénériennes

15

Sous-total

230 (23,6 %)

260 (30,7 %)

Total

975 (100 %)

845 (100 %)

* Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre d’heures attribuées aux travaux pratiques.
Source : Reproduit de la Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 43, no 3, 1994, p. 336.

La licence en hygiène et le cours d’éducation sanitaire : la marque de Jules Gilbert

26En octobre 1947, le cours pour la licence en hygiène était organisé au bénéfice des « instituteurs laïques des deux sexes et des membres des communautés enseignantes d’hommes et de femmes ». Ce sera le deuxième programme à être mis en œuvre, sous l’œil vigilant de Jules Gilbert, pionnier de l’éducation sanitaire au Québec. Le discours qui annonçait ce programme dans les annuaires était franchement lyrique : « Elle [l’École d’hygiène] met en pratique la vérité pédagogique trop oubliée que c’est d’abord dans une monnaie matérielle du plus haut titre qu’il convient de frapper l’effigie immortelle de l’âme de l’enfant. » L’enseignement se donnait le samedi pendant l’année universitaire, mais aussi durant les vacances d’été pour faciliter la participation des enseignants, pouvant étaler leurs études sur quatre années. Au début du programme en 1947-1948, le contenu ressemblait beaucoup à celui qui était délivré aux médecins du DHP : microbiologie, anatomie et physiologie, hygiène publique, tout en accordant une place importante à l’hygiène de l’enfance (140 heures sur un total de 500 heures). En 1954-1955, le programme s’intitulait : « Cours d’éducation sanitaire ». Les sciences fondamentales prenaient moins d’importance, laissant la place à l’hygiène mentale et l’hygiène sociale, ainsi qu’à l’hygiène scolaire prenant son autonomie comme discipline par rapport à l’hygiène publique et à celle de l’enfance (170 heures sur un total de 580). Au moment du transfert à la Faculté des sciences de l’éducation en 1968, le contenu du programme était sensiblement le même, mais le discours de présentation était beaucoup plus sobre que 10 ans auparavant, complètement laïcisé, bien que demeurât un cours de 15 heures en religion et hygiène. La Révolution tranquille était passée par là !

27En 1948, un cours abrégé était offert aux dentistes cliniciens qui ne se destinaient pas à être directeurs et administrateurs de programme. La distinction apparaissait ainsi entre ces dentistes de santé publique, servant à temps complet et parfaitement qualifiés en hygiène publique comme en art dentaire, à qui était destinée la filière du DHDP, et les dentistes cliniciens, comme ceux qui exerçaient dans les cliniques dentaires du Services de santé de la ville de Montréal. Les dirigeants de l’École d’hygiène estimaient alors le nombre de candidats potentiels de la province à trois à six pour les premiers et à une centaine pour les seconds, environ 35 étant déjà à l’emploi du ministère de la Santé ou de la ville de Montréal.

L’École d’infirmières hygiénistes, une situation particulière

28Transférée en 1949 dans l’École d’hygiène de l’Université de Montréal, l’École d’infirmières hygiénistes de la Faculté de médecine conservait son nom et une certaine spécificité pédagogique de contenu, malgré la formation commune au diplôme en hygiène publique, réservé aux médecins. Dans son rapport à la commission Parent en 1963, le directeur de l’École d’hygiène précisait bien qu’il s’agissait dans cette filière de livrer un enseignement universitaire spécialisé en santé publique pour des « gardes-malades » ou infirmières diplômées. Il indiquait cependant que, « pour les cours donnés en commun avec les infirmières hygiénistes, il y a eu des plaintes motivées par l’insuffisance de la préparation académique d’un bon nombre d’infirmières ». Malgré cela, les cours en commun seront maintenus et, dans ce rapport, l’École d’hygiène se proposait « d’octroyer aux candidats de diverses professions qui suivent le même cours un seul et même degré, la maîtrise en hygiène publique comme dans les autres écoles des États-Unis ». En réalité, dès la fin de l’année 1964, la responsabilité de former les infirmières hygiénistes ne sera plus du ressort de l’École d’hygiène, cette formation étant transférée à la nouvelle Faculté de nursing.

29Malgré les réformes, les ajouts et les retraits dans les matières enseignées, une certaine continuité se dégageait dans l’enseignement de la santé publique aux infirmières hygiénistes de 1925, ouverture de l’École d’hygiène sociale appliquée, à 1964 comme le montre le Tableau 2.2. L’épidémiologie, qui paraît prendre plus d’importance à partir des années 1950, était déjà présente sous forme de « statistiques vitales ». Le bloc principal des matières enseignées était constitué des sciences fondamentales et des techniques propres à l’infirmière, celles-ci bénéficiant du développement de la discipline du nursing, à partir de la réforme des années 1940, sous l’influence de l’école américaine.

30L’idéologie qui préside à cette formation demeurera sensiblement la même tout au long de cette période, marquée par la pensée sociale chrétienne, ses idées de charité et sa morale surtout diffusée par l’Église catholique. Ceci s’exprimait dans les cours de sociologie et civisme ou d’hygiène et religion. À partir des années 1950, une certaine laïcisation se manifestera ouvertement.

31Sous le régime de l’École d’hygiène apparaîtront des cours d’administration d’hygiène publique et d’administration hospitalière, en commun avec les médecins du diplôme en hygiène publique, annonçant, le futur

Tableau 2.2. Inventaire comparé du contenu de l’enseignement théorique spécialisé en santé publique pour infirmières hygiénistes. Université de Montréal, 1925-1964

École d’hygiène sociale appliquée (1925-1940)

École d’infirmières hygiénistes (1941-1948)

École d’hygiène (1949-1964)

1. Champ d’action de l’infirmière hygiéniste (5)*

Principes de nursing en hygiène publique (45)

Principes de nursing en hygiène publique (40)

2. Bactériologie (15)

Spécialités en nursing (45)

Bactériologie (30)

3. Législation sanitaire

Principes pédagogiques appliqués en nursing (45)

Spécialités en nursing (45)

4. Statistiques vitales (4)

Nutrition (30)

Immunologie (45)

5. Diététique (10)

Épidémiologie et statistiques (20)
Principes pédagogiques appliqués au nursing (45)
Nutrition (50)

6. Hygiène prénatale (10)

Hygiène maternelle (8)

** Hygiène maternelle (5)

7. Hygiène des nourrissons et des enfants d’âge préscolaire (15)

Puériculture (10)

**Hygiène infantile (20)

8. Hygiène scolaire (5)

Hygiène scolaire (5)

** Hygiène scolaire (10)

9. Hygiène buccale (6)

Hygiène buccale (2)

** Hygiène dentaire (10)

10. Hygiène urbaine (4)

Hygiène urbaine (3)

** Administration hospitalière (10)

11. Tuberculose (10)

Tuberculose (5)

** Tuberculose (20)

12. Psychiatrie (15)

Hygiène mentale (30)

** Hygiène physiologique et gérontologie (20)

13. Hygiène générale (40)

Hygiène publique (30)

Salubrité (20)

14. Soins des malades à domicile (5)

** Médecine sociale (10)

15. Hygiène industrielle (6)

Psychologie et orientations professionnelles (30)

Psychologie (30)

16. Sociologie appliquée (15)

Sociologie et civisme (20)

Psychopédagogie (10)

17. Civisme (15)

Service social (30)

** Sociologie (20)

18. Psychologie et droit social (15)

Morale médicale (6)

**Éducation physique (10)

19. Économie sociale (10)

Langue française et oratoire (30)

Service social (20)
Hygiène et religion (5)
**Parole publique (20)

* Indique le nombre de cours attribués à la matière. La durée de chaque cours n’est pas indiquée dans les sources consultées.
** Indique les cours suivis en commun par les infirmières et les médecins du DHP.
Source : Reproduit de la Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 43, no 3, 1994, p. 338.

32Institut supérieur d’administration hospitalière (voir Tableau 2.3 ci-dessous). Quant à la formation pratique, bien qu’elle apparût plus développée dans le cadre de l’École d’hygiène sociale appliquée, elle demeurait concentrée sous forme d’un stage de trois mois pour une durée de scolarité d’un an.

Tableau 2.3. Inventaire comparé du contenu de l’enseignement théorique Médecins et infirmières hygiénistes. École d’hygiène de l’Université de Montréal, 1945-1955

COURS COMMUN
Administration de la santé publique

Matières

Heures allouées

Hygiène industrielle

25

Hygiène maternelle

20

Hygiène infantile

5

Hygiène scolaire

10

Hygiène dentaire

10

Hygiène mentale

20

Hygiène psychologique et gérontologie

20

Hygiène et religion

5

Médecine sociale

10

Éducation publique

10

Tuberculose

20

Maladies vénériennes

20

Sociologie

20

Parole publique

20

Nutrition

20

Administration hospitalière

10

Sous-total

285

COURS SPÉCIAUX
Infirmières hygiénistes

Matières

Heures allouées

Bactériologie et immunologie

30 (5,7 %)

Épidémiologie et biostatistiques

20 (3,5 %)

Salubrité

20

Service social et éducation physique, psychopédagogie

80

Nursing en hygiène publique et spécialités

135 (23,6 %)

Sous-total

285 (50 %)

Total pour les infirmières

570

Médecins hygiénistes

Matières

Heures allouées

Microbiologie et immunologie

240 (23,3 %)

Épidémiologie et biométrie

280 (27,1 %)

Hygiène des milieux

165

Administration de la santé publique

50 (4,8 %)

« Nursing » en hygiène publique

10

Sous-total

745 (72,3 %)

Total pour les médecins hygiénistes

1 030

Source : Reproduit de la Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 47, no 3, 1994, p. 339.

La formation universitaire des inspecteurs sanitaires : une première au Canada

33La même année que l’École d’infirmières hygiénistes était intégrée, en 1949, pour répondre au désir de l’Association canadienne d’hygiène publique et pour la première fois au Canada, était mis sur pied un cours pour la formation des inspecteurs sanitaires. Ce cours de quatre mois se donnait pendant le trimestre d’hiver, ce qui permettait d’utiliser l’enseignement déjà offert aux médecins et aux infirmières. Ce cours sera l’un des premiers à disparaître de l’École en 1965, la formation des inspecteurs sanitaires étant reprise par le ministère provincial. Le contenu, relevant essentiellement du Département d’hygiène des milieux, sera développé au chapitre 4.

Le cours d’éducation physique et de récréation : une conception très élargie de la santé publique

34En septembre 1955, le Département d’éducation sanitaire, d’éducation physique et de récréation mettait en place un cours d’éducation physique et de récréation. Pour les responsables de l’École, ce cours s’imposait, tant « il est normal de voir l’hygiène physique et mentale ainsi que l’éducation physique et récréative voisiner dans le domaine de la formation professionnelle ». Créé cependant seulement en 1955, ses horaires seront déterminés pour faciliter la venue des professionnels des établissements d’enseignement ou de « récréation » : en fin de journée, deux fois par semaine et le samedi matin, le programme étant étalé sur quatre années. Comme l’indiquait les annuaires de l’époque, il s’adressait « aux éducateurs physiques de nos institutions d’enseignement ainsi qu’à toute personne ayant part active dans les œuvres de récréation de nos paroisses, de nos terrains de jeux, de nos centres récréatifs, d’organisations de jeunes et d’adultes ». La spécificité de ce programme ne résistera pas cependant au démantèlement de l’École et, en 1969, le Département de l’éducation physique se séparera pour devenir une entité autonome à l’Université de Montréal.

L’Institut supérieur d’administration hospitalière

35À l’automne 1956, l’Institut supérieur d’administration hospitalière (ISAH) était fondé dans le cadre de l’École et inaugurait le premier cours universitaire d’administration hospitalière au Canada français. La Fondation Kellogg va jouer un rôle déterminant dans la naissance de cet institut en le subventionnant. Dès l’année universitaire 1957-1958, un annuaire séparé de l’ISAH était publié dans l’annuaire général de l’Université de Montréal, marquant ainsi son autonomie pédagogique par rapport à l’École bien que sur le plan administratif il en constitue seulement un département. Fusionnant avec le Département d’administration de la santé publique, en 1969, pour devenir le Département d’administration de la santé (DAS) de la Faculté de médecine, ses particularités seront présentées au chapitre suivant.

La recherche du label nord-américain en santé publique

36En 1950, l’École d’hygiène est admise comme membre de l’Association des écoles d’hygiène de l’Amérique du Nord et agréée en 1954 pour son enseignement du DHP par l’American Public Health Association. Cet agrément par des institutions nord-américaines prestigieuses, toujours fébrilement recherché, démontrera l’importance de l’influence du modèle des écoles de santé publique des États-Unis. Il en sera de même de l’ISAH qui obtiendra ce même label nord-américain pour son programme de maîtrise en administration hospitalière. Ce virage nord-américain de la santé ou hygiène publique québécoise s’était amorcé bien avant l’ouverture de l’École en 1946. Il datait surtout de l’entre-deux-guerres, où les services de santé municipaux et surtout les unités sanitaires de comté se construisaient sur le modèle de celles des États-Unis. Malgré son adhésion au modèle de santé publique nord-américain dans ses pratiques et son enseignement, les dirigeants de l’École comme Armand Frappier ou Jules Gilbert, Maurice Panisset ou Fernand Tourangeau cultiveront de nombreuses relations avec la Francophonie, se rendant à plusieurs reprises en Europe et invitant plus facilement des professeurs ou des conférenciers de ce côté-là de l’Atlantique plutôt que des États-Unis. La vigueur du patriotisme québécois et l’importance attachée à la défense de la langue française ne sont pas étrangères à la polarisation de ce regard.

Un corps professoral plutôt à temps partiel

37Dans le mémoire de l’École pour la commission Parent, en 1963, on déplorait le faible pourcentage de professeurs à plein temps. Sur un total de 99 professeurs, chargés de cours et assistants de recherche, 17 seulement (soit 17,2 %) avaient ce statut, 21 étaient à temps complet à l’Université, mais à temps partiel à l’École, ce qui faisait un total de 38 professeurs de carrière sur un total de 99 (soit 38,4 %). Ces chiffres étaient nettement inférieurs à la moyenne des professeurs à temps plein des 12 écoles de santé publique d’Amérique du Nord en 1961-1962, soit 47,6 % (26 % à l’École d’hygiène de Toronto). Cette situation n’était pas nouvelle et perdurera tout au long des 25 années de l’École. Parmi les causes que le rapport dénonçait : les moyens financiers très restreints de l’École et la rareté des spécialistes de la santé publique ayant une expérience reconnue. Ce sont d’ailleurs ces spécialistes, hauts fonctionnaires du ministère provincial de la Santé ou de la ville de Montréal, ainsi que des membres de l’Institut de microbiologie et d’hygiène qui assuraient une partie importante de l’enseignement avec beaucoup de professionnalisme. Il sera également fait appel à des professeurs et conseillers invités. Les professeurs invités étaient presque exclusivement des spécialistes français, très souvent pastoriens comme Pierre Lépine ou épidémiologistes des maladies infectieuses comme le professeur Sohier de Lyon. Les conférenciers invités étaient très nombreux, venant principalement du milieu québécois de la santé, mais aussi des ministères fédéraux de la Santé nationale et du Bien-être ou de l’Agriculture, ainsi que du Bureau fédéral de la statistique. Dans les annuaires de l’École entre 1950 et 1960, le nombre de conférenciers invités oscille, selon les années, entre 24 et 29, dont 4 à 8 en provenance du fédéral. Un seul étranger venant des États-Unis est signalé. Le même rapport à la commission Parent de 1963, tout en recommandant d’augmenter la proportion de professeurs à plein temps à 65 %, souhaitait maintenir un corps professoral « à temps partiel, tiré du champ de la pratique » et de conserver un équilibre entre les deux corps de professeurs. Le mémoire déplorait également la sous-féminisation du corps professoral alors que dans les écoles nord-américaines, à la même époque, 25 % des professeurs étaient de sexe féminin.

38Des innovations pédagogiques ont été parfois introduites comme les « séminaires » des médecins hygiénistes, des inspecteurs sanitaires et des infirmières hygiénistes, dont on retrouve la liste dans les annuaires de l’École entre 1950 et 1961. Ces séminaires, comme il est rapporté dans les annuaires, avaient lieu

en dehors de l’horaire des cours, soit de 5 à 6 p.m. On y prend le thé, puis un étudiant fait un rapport d’une vingtaine de minutes, devant un groupe de professeurs et de confrères, sur des travaux personnels de recherche bibliographique ou des lectures assignées. L’étudiant doit remettre une copie de son séminaire pour les dossiers de l’école.

Une clientèle d’abord québécoise

39Dès l’ouverture de l’École, le ministère de la Santé et le Service de santé de la ville de Montréal enverront systématiquement leurs nouvelles recrues, médecins et infirmières, pour être formées. Les unités sanitaires détacheront ainsi régulièrement chaque année quatre ou cinq médecins pour suivre le nouveau cours du diplôme d’hygiène publique. En réalité, à partir de l’intégration de l’École des infirmières hygiénistes, ce sont celles-ci qui constitueront le plus gros contingent de professionnels, fréquentant certains cours communs avec les médecins et recevant un diplôme d’infirmière hygiéniste (DIH). De 1946 à 1970, 559 DIH seront délivrés, dont seulement 26 à des infirmières étrangères au Canada (Tableau 2.4). Entre 1950 et 1962, sur les 392 diplômées comme infirmières hygiénistes, 375 (soit 95,7 %) étaient originaires du Québec et quatre seulement du Canada hors Québec (toutes du Nouveau-Brunswick).

Tableau 2.4. Nombre de diplômes décernés par l’École d’hygiène depuis sa fondation (1946-1970)

Candidats

d’origine canadienne

d’origine étrangère

Total

Diplôme en hygiène publique

135

83

218

Diplôme en hygiène dentaire publique *

12

12

Diplôme en hygiène vétérinaire publique *

15

3

18

Certificat en hygiène publique

7

21

28

Diplôme d’infirmière hygiéniste

533

26

559

Licence en hygiène

301

301

Certificat en éducation sanitaire

10

10

Maîtrise en éducation sanitaire

17

3

20

Diplôme en éducation physique et récréation

95

95

Baccalauréat en éducation physique et récréation **

300

300

Maîtrise en administration hospitalière

99

3

102

Certificat en gestion d’hôpital ***

41

41

Attestation en inspection de la santé

194

5

199

Maîtrise ès science (environnement)

7

1

8

Doctorat ès science (environnement)

2

1

3

Doctorat ès science

1

1

Total

1 771

155

1 926

* Remplacé par le diplôme en hygiène publique en 1965.
** Modifié en baccalauréat ès sciences (éducation physique).
*** Conjointement avec le Service de l’éducation permanente.
Source : Rapport du Comité conjoint de l’Université de Montréal et des ministères de la Santé, de la Famille et du Bien-être social, Québec, juillet 1970, AUM.

40Tous les diplômés de la licence en hygiène (301), du certificat en éducation sanitaire et hygiène (10) étaient originaires du Canada (probablement presque exclusivement du Québec) et seulement trois maîtrises en éducation sanitaire seront délivrées à des candidats d’origine étrangère. La situation était semblable pour le diplôme en éducation physique et récréation (95) et le baccalauréat en éducation physique et récréation (300), tous délivrés à des candidats d’origine canadienne (c’est-à-dire encore une fois probablement du Québec). L’École aura ainsi contribué brillamment à sa mission d’institution formatrice en éducation sanitaire à laquelle Jules Gilbert, en particulier, tenait beaucoup, et le transfert à la nouvelle Faculté d’éducation sera vécu douloureusement par ce dernier.

41Concernant les attestations en inspection de la santé publique, sur 199 d’entre elles, 5 seulement seront délivrées à des étrangers, la plupart des candidats provenant des unités sanitaires de comté et des services municipaux du Québec. Pour le diplôme en hygiène publique, tous les candidats étaient médecins sauf certains étrangers admis comme officiers de santé. Au total, de 1946 à 1970, sur les 218 diplômés, 135 étaient d’origine canadienne. Entre 1950 et 1962, 72 % d’entre eux étaient originaires du Québec, la majorité d’entre eux provenant des unités sanitaires de comté qui fournissaient la moitié des effectifs de l’École comme l’indique le Tableau 2.5.

Tableau 2.5. Provenance des candidats au diplôme en hygiène publique à l’École d’hygiène de 1950 à 1962

Lieu d’origine

Effectifs

%

Province de Québec

Unités sanitaires

Bureaux municipaux

35

51,5

Autre

9

13,2

5

7,3

Canada sauf Québec

1

1,5

Tiers-monde

13

19,1

Europe

4

5,9

Indéterminé

1

1,5

Total

68

100

Source : Annuaires de l’École d’hygiène de 1950-1951 à 1961-1962, AUM.

Une vocation internationale avant-gardiste

42En 1946 et lors des années subséquentes, plusieurs éléments concourront à l’engagement de l’École en santé internationale. Un Canadien, le docteur Brock Chisholm, auparavant ministre adjoint de la Santé nationale et du Bien-être social sera le premier directeur général du secrétariat de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) récemment créée. Armand Frappier et surtout Jules Gilbert seront appelés comme consultants par la nouvelle organisation spécialisée de l’Organisation des Nations Unies (ONU), siégeant à Genève. Très rapidement, l’OMS priorisera la formation de cadres gestionnaires pour son propre développement, mais surtout pour les services de santé des pays désorganisés par la Seconde Guerre mondiale.

43L’École nationale de santé publique (ENSP) de Rennes en France ouvrira ses portes à la même époque. Elle était d’abord centrée sur les besoins de formation des cadres sociosanitaires de la métropole et de son empire colonial. Au fil des ans, une collaboration plus qu’une compétition s’instaurera entre les deux écoles. C’est ainsi qu’en 1965 le professeur Robert Debré, président du conseil d’administration de l’École de Rennes, mais aussi directeur du Centre international de l’enfance (CIE) à Paris, proposera au nouveau doyen de l’École d’hygiène, Maurice Panisset, de réactiver ces relations quelque peu endormies. Des échanges de professeurs auront lieu pour des enseignements de courte durée. Le doyen Panisset aurait même souhaité accueillir à Montréal comme professeurs à plein temps, les docteurs Geneviève et Louis Massé, deux épidémiologistes français formés à Harvard ; les lenteurs administratives du recrutement décourageront les intéressés.

44C’est entre 1961 et 1966 que l’École d’hygiène accueillera les plus grandes promotions d’étudiants étrangers de la Francophonie : entre 10 et 12 par année universitaire, tous presque exclusivement dans le cadre du programme de diplôme en hygiène publique. En 1949-1950, le premier étudiant étranger sera accueilli, et, en 1960-1961, ils seront de un à cinq par année universitaire, leur nombre dépendant beaucoup des bourses attribuées par l’OMS et ses bureaux régionaux. En 1964, Jules Gilbert, « l’âme de l’École », dans son mémoire confidentiel sur la situation de celle-ci et à la suite d’une visite à l’ENSP, constatait qu’offrir des bourses pour aller à Rennes plutôt que venir à Montréal était beaucoup moins cher pour les organismes internationaux qui les finançaient.

45Au total, entre 1949 et 1966, 87 étudiants étrangers auront fréquenté l’École, venant principalement d’Haïti (13), du Togo (11), mais aussi du Moyen-Orient (7 du Liban et 6 de Syrie), d’Indochine (5 du Cambodge et 5 du Vietnam), d’Afrique occidentale française (4 du Mali et 3 du Sénégal), ainsi que 5 d’Iran et 7 de France. Sur les 87 étudiants étrangers ayant fréquenté l’École entre 1946 et 1966, 56 repartiront avec le diplôme d’hygiène publique (DHP), 11 avec un certificat en hygiène publique, 7 comme inspecteurs sanitaires et 3 avec un diplôme en hygiène vétérinaire publique. Il semblerait que beaucoup d’entre eux aient été des « praticiens et personnalités hautement renommés dans leur pays ».

46Dans l’annuaire de l’École pour l’année 1951-1952, apparaît un cours de santé et d’hygiène pour les missionnaires avec la liste des religieux et religieuses y ayant participé. Il était donné durant l’été à raison de deux sessions de six semaines chacune. Comme il était précisé :

Le cours est donné dans le but, non pas de former des infirmières et des gardes-malades, encore moins des médecins, mais de donner un minimum de connaissances sanitaires ainsi que des rudiments de diagnostic et de thérapeutique, en vue de guider ceux et celles qui auront des responsabilités à prendre seuls dans la brousse, loin de tout centre médical.

47Des médecins aux pieds nus et des soins de santé primaires avant la lettre ?

48L’engagement international de l’École se traduira également par une assistance technique en faveur du développement du personnel de santé, sur place dans les pays du tiers-monde – qu’on appelait aussi à l’époque pays sous-développés –, évitant ainsi leur expatriation et permettant d’adapter la formation aux réalités de ces pays. Ce sera le cas, dès 1966, au Cameroun où les docteurs Max Miller et Jean-Vincent Pillet, professeurs à l’École d’hygiène, se rendront sur place pour préparer un projet d’institut de santé publique. Cet institut, au départ partie intégrante de l’École d’hygiène de l’Université de Montréal, mais situé sur le campus des sciences médicales de Yaoundé, devait assumer progressivement des fonctions d’enseignement pour toutes les catégories de travailleurs de la santé, avec une aide canadienne sur cinq ans. Cette initiative se traduira effectivement, mais avec un peu de retard sur l’échéancier et après quelques modifications du projet initial, par la création du Centre universitaire des sciences de la santé (CUSS) de Yaoundé sous l’égide de l’OMS, mais toujours avec l’appui de la coopération canadienne qui se déployait vigoureusement à l’époque dans les pays francophones d’Afrique ou bilingues comme le Cameroun.

49Dans le prolongement de cet engagement, un premier cours de santé publique international sera développé par le docteur Jean-Vincent Pillet, remplaçant dans l’annuaire de l’École le cours de parasitologie et maladies tropicales. Le virage n’était pas anodin, marquant peut-être l’éloignement de l’Institut de microbiologie et de son directeur à Laval-des-Rapides, mais surtout l’influence grandissante de l’OMS et de ses experts prêtés à l’École comme enseignants.

Un démantèlement longtemps redouté

50En 1964, toujours dans le même mémoire confidentiel précédemment cité, Jules Gilbert, le secrétaire général de l’École, annoncera les orages qui menaçaient, dès 1963, l’avenir de celle-ci. Il redoutait ce qui s’en venait et qu’il appelait le « démembrement » de l’École, subissant « les coups d’une entreprise de démolition ». Fièrement attaché à une institution, dans laquelle il avait œuvré pendant 18 ans, il ne comprenait pas que des initiatives partisanes de certaines facultés de l’Université de Montréal viennent contrecarrer le principe que l’École appliquait pour former l’équipe sanitaire à la multidisciplinarité : « Pour travailler ensemble, il faut s’entraîner ensemble, dans une intégration aussi complète que possible de la formation professionnelle », écrivait-il en 1963, et c’était la philosophie que mettait en pratique l’École dans sa pédagogie.

51La mise en tutelle de celle-ci aurait résulté d’un véritable coup de force du ministère de la Santé, de celui de l’Éducation et des autorités universitaires. Un certain appauvrissement du leadership de l’École, après le départ de son premier doyen fondateur et l’éloignement de Jules Gilbert, ne serait qu’un épiphénomène explicatif. Ses faiblesses structurelles, comme sa dépendance vis-à-vis de l’Institut d’Armand Frappier et le manque de personnel enseignant à plein temps ne feront que préparer le terrain aux réformateurs qui prendront le pouvoir aux deux ministères de la Santé et de la Famille et du Bien-être social, ayant fusionné en 1970 pour devenir le ministère des Affaires sociales. Leur objectif étant la réconciliation du préventif et du curatif à travers une formation intégrée des professionnels dans des facultés de la santé, l’école n’avait plus de raison d’être à leurs yeux. À ce sujet, le rapport de la CESBES est éclairant. Il est écrit à la page 84, alinéa 1426 du volume IV, tome IV, titre troisième :

L’école de santé publique de l’Université de Montréal offre un cours d’administration hospitalière depuis plusieurs années et a formé un nombre important d’administrateurs d’hôpitaux au Québec. Nous croyons que cette école de santé publique a joué un rôle dynamique, mais qu’elle doit s’intégrer à une faculté des sciences de la santé et devenir la section de médecine sociale de cette faculté. On pourra alors confier la formation des administrateurs à la faculté des sciences de l’administration.

52Et pourtant, dans son rapport daté de juillet 1970, le comité conjoint de l’Université de Montréal et des ministères de la Santé, de la Famille et du Bien-être social, mandaté pour définir le rôle de l’École de santé publique face aux besoins du Québec en personnel spécialisé dans les domaines de la santé et du bien-être, « confirmait définitivement la mission de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, laquelle pourrait satisfaire pleinement aux besoins des ministères de la Santé, de la Famille et du Bien-être social et de la société québécoise ». Dans ses recommandations, le comité souhaitait seulement que l’École de santé publique « révise son programme d’enseignement en hygiène publique afin de l’adapter aux besoins de la société québécoise et aux exigences des nouvelles structures de la santé au Québec », en tissant des collaborations avec la Faculté de médecine, mais aussi la Faculté dentaire, la Faculté de nursing pour réactiver le diplôme d’infirmière hygiéniste et même l’École polytechnique pour que les départements d’hygiène des milieux et de génie sanitaire « œuvrent en collaboration intime dans leur mission d’enseignement et de recherche ». Le comité souhaitait même que l’École s’implique dans la formation des inspecteurs de santé publique, alors que celle-ci avait été transférée aux collèges d’enseignement général et professionnel (cégeps) et reprenne en main partiellement l’enseignement de l’éducation sanitaire tout en collaborant avec la Faculté des sciences de l’éducation ! Que s’était-il alors passé pour qu’on remette en cause l’existence de cette institution ? Était-elle réellement incapable de se réformer ? En 1966, dans sa demande de renouvellement de la subvention du ministère de la Santé pour la deuxième année consécutive, le doyen Panisset précisait bien qu’elle était destinée uniquement à faciliter l’expansion des moyens d’enseignement de l’École. Son rapport exprimait la volonté de celle-ci de s’adapter « aux besoins actuels de la santé publique ». Pourquoi alors le rattachement à la Faculté de médecine quatre ans plus tard ?

53Le rapport annuel 1970-1971 de l’Université de Montréal indiquait en effet un peu triomphalement : « [L] e fait le plus significatif de l’année est sans doute le rattachement de l’École de santé publique à la Faculté de médecine, prélude à un enseignement intégré de nature à répondre plus adéquatement aux besoins de santé du Québec. » Tout l’espoir aurait-il été mis dans la Faculté de médecine pour développer cette « médecine intégrée » ou « médecine globale » tant attendue ? Les rapports entre la Faculté de médecine et l’École d’hygiène n’ont jamais été très chaleureux. En 1965, lors de la réorganisation de l’École, à la suite du départ d’Armand Frappier et l’épuisement de la subvention sur 20 ans du ministère de la Santé, le doyen Coutu, estimait que la médecine sociale et préventive que préconisait sa Faculté de médecine n’avait aucun aspect commun avec l’École d’hygiène. En 1970, la Faculté de médecine serait perméable aux recommandations du rapport de la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social (CESBES) qui préconisait, pour développer la « médecine globale », l’intégration sur le plan universitaire, des différentes disciplines de la santé dans une même structure : le centre des sciences de la santé. Une école autonome de santé publique n’avait plus alors de raison d’être et les autorités universitaires vont trancher dès la rentrée d’automne 1970 en faveur du rattachement de l’École et de ses trois départements restants à la Faculté de médecine.

***

54L’École aura-t-elle réalisé les trois objectifs que ses fondateurs lui avaient assignés dès son ouverture en 1946 et qui étaient reproduits fidèlement dans les annuaires chaque année ? Le premier objectif était de former sur place, en français, des « officiers » de santé publique, ce qui aurait coûté moins cher et favorisé le recrutement. Le deuxième était d’adapter la formation « aux besoins et conditions du Québec ». Le troisième visait à stimuler les études de recherche « pour déceler des aspects nouveaux dans la prévention des maladies ». De l’analyse des programmes et de la clientèle de l’École, il semblerait ressortir que les deux premiers objectifs aient été assez bien atteints. Par contre, la recherche demeurera faible tout au long de ces 25 années, sauf peut-être en ce qui concerne les applications de la microbiologie et de l’immunologie à la prévention des maladies infectieuses, mais ce sera plutôt l’œuvre de l’Institut de microbiologie et d’hygiène, et comme cela sera développé au chapitre 6, exception faite de l’Institut de recherche en hygiène industrielle et en pollution de l’air. Les ambitions initiales de l’École étaient grandes, envisageant, « à mesure que les circonstances le permettront », d’étendre son enseignement à d’autres groupes professionnels que les médecins et infirmières, « se destinant au service exclusif de la santé publique : ingénieurs hygiénistes, inspecteurs sanitaires, cliniciens en tuberculose, cliniciens en hygiène mentale, techniciens de laboratoire, administrateurs d’hôpitaux, éducateurs physiques, etc. ». Elle ambitionnait également de se consacrer

au perfectionnement postscolaire en hygiène des membres de professions voisines : médecins à l’emploi d’industries et de compagnies d’assurances, administrateurs ou techniciens d’associations bénévoles intéressés à la santé publique, opérateurs d’usines de filtration de l’eau, de pasteurisation du lait, d’épuration des égouts et d’autres encore.

55Malgré la modicité de ses moyens et grâce à l’appui du ministère provincial de la Santé, mais aussi de la Fondation Kellogg, beaucoup de ces filières d’enseignement seront mises en œuvre. Quant à la formation continue, une collaboration assez étroite s’instaurera avec le Service d’extension de l’enseignement de l’Université de Montréal, à l’initiative principalement de l’Institut supérieur d’administration hospitalière, comme cela sera développé au chapitre suivant. Dernière ambition et non la moindre que s’était donnée l’École : celle d’une institution internationale, proclamant dans son discours de présentation :

Les Canadiens français des provinces sœurs, les Franco-Américains, les étudiants de France et des possessions françaises, ceux des Antilles, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, forment un vaste réservoir d’élèves dont le français est la langue maternelle ou au moins la langue seconde et qui un jour tourneront probablement les yeux sur la seule école d’hygiène de langue française en Amérique, héritière uniquement favorisée des cultures française, anglaise et américaine, mais dans laquelle l’enseignement postscolaire de l’hygiène publique se poursuit suivant le programme incontestablement le meilleur du monde.

56Là encore, elle aura assez bien réussi !

Table des illustrations

Légende Armand Frappier est né à Salaberry-de-Valleyfield le 26 novembre 1904. Ancien élève du séminaire de Valleyfield, où il obtint son baccalauréat ès Arts (Université de Montréal), il était docteur en médecine, licencié ès sciences, de l’Université de Montréal. Boursier de la Fondation Rockefeller, il s’est spécialisé en microbiologie et plus particulièrement en prévention de la tuberculose, aux États-Unis et en Europe auprès de l’Institut Pasteur. Fondateur et directeur de l’Institut de microbiologie et d’hygiène de Montréal pendant 35 ans, fondateur et doyen de l’École d’hygiène pendant 20 ans, il s’agit de ses deux plus grandes réalisations. Pionnier dans le domaine de la recherche en microbiologie et en médecine préventive au Canada, il a énormément publié dans les plus grands journaux médicaux et scientifiques. La carrière du docteur Frappier l’a conduit dans toutes les parties du monde, honoré pour ses travaux, pas seulement dans son pays. Il est décédé le 18 décembre 1991.
URL http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/14513/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 16k
Légende Maurice Panisset est né à Maisons-Alfort (France) le 29 août 1906, diplômé de l’École de médecine vétérinaire de cette même ville, en 1929. À l’invitation des révérends pères trappistes, il rejoindra le corps enseignant de l’École de médecine vétérinaire de la province de Québec, où il sera professeur de 1929 à 1966. Dès 1938, il était appelé par Armand Frappier à collaborer à la fondation et à l’organisation de l’Institut de microbiologie et d’hygiène, dont il sera le directeur adjoint jusqu’en 1964, lui succédant alors comme doyen de l’École d’hygiène de l’Université de Montréal. Il accomplira lui aussi de nombreux voyages et missions dans diverses parties du monde. Ses travaux et recherches ont porté essentiellement sur la prévention et le traitement de maladies animales transmissibles à l’homme, mais aussi sur les problèmes de santé humaine les plus préoccupants, comme la tuberculose. Il est décédé le 11 novembre 1981.
URL http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/14513/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 12k
Légende Jules Gilbert est né le 17 février 1902 à Québec. Diplômé de la Faculté de médecine de l’Université Laval en 1926, il exercera la médecine générale en cabinet privé avant de découvrir l’hygiène et la médecine préventive à l’Unité sanitaire de Shefford dans les Cantons de l’Est et d’aller se spécialiser dans cette discipline à l’École d’hygiène de l’Université de Toronto en 1938-1939. Sa vocation de pionnier de l’éducation sanitaire au Québec était née. Fondateur de la Division de l’enseignement de l’hygiène au ministère provincial de la Santé et du Bien-être social, en 1943, il deviendra l’« âme » de l’École d’hygiène de l’Université de Montréal, dès son ouverture en 1946, comme secrétaire ou vice-doyen. Il y demeurera jusqu’à sa retraite en 1970, après une parenthèse importante comme directeur du Service de l’assurance-hospitalisation entre 1960 et 1962. Il a été l’auteur de plusieurs ouvrages d’éducation sanitaire très populaires et largement diffusés dans toute la francophonie de son époque.Il décédait à Montréal le 29 septembre 1979.
URL http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/14513/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 12k

Auteur

Diplômé en médecine et titulaire d’un doctorat en sciences humaines appliquées (histoire) de l’Université de Montréal. Professeur associé au Département d’administration de la santé de l’Université de Montréal, il s’intéresse à l’histoire de la santé publique et du système de santé du Québec et de la Tunisie. Bénéficiaire d’une subvention du Conseil de la recherche en sciences humaines du Canada, il développe présentement une histoire du système de santé du Québec à la période contemporaine.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Acheter

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search