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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Planifier à l’échelle métropolitaine Le nouveau régionalisme métropolitain montréalais L’émergence de démarches métropolitaines Un projet de schéma entre conflits et indifférence La planification métropolitaine comme vecteur de nouveaux mécanismes de gouvernance ? Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Renouveler l’aménagement et l’urbanisme

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre 4. La planification métropolitaine montréalaise à l’épreuve du tournant collaboratif

    Nicolas Douay

    p. 109-136

    Texte intégral Bibliographie Références bibliographiques Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Le contexte de l’après-guerre est marqué par une forte croissance ; la planification métropolitaine connaît alors son âge d’or. Cependant, à partir des années 1980, cette forme de planification entre dans une période de léthargie, liée notamment à l’abolition de nombreux gouvernements métropolitains dans le monde occidental. La réapparition de la question métropolitaine depuis le début des années 1990 s’effectue dans un contexte fort différent (Savitch et Vogel, 2000), celui de la globalisation de l’économie et de la métropolisation des territoires (Veltz, 1996). Les enjeux urbains se transforment, il ne s’agit plus uniquement d’arbitrer l’affectation des sols ou la programmation des équipements, mais de valoriser l’attractivité et la cohésion (Salet et Faludi, 2000 ; Motte, 2006). Pour répondre à ce défi, les différents réseaux d’acteurs doivent se coordonner au sein d’arènes de négociation. Toutefois, cette mobilisation sociale métropolitaine n’aura de sens que si elle débouche sur la formulation de stratégies. Dans cette perspective, la planification métropolitaine peut retrouver une nouvelle popularité en réussissant l’articulation des réseaux d’acteurs avec la construction de stratégies afin de répondre aux enjeux métropolitains. De cette articulation enjeux-acteurs-stratégies dépend la capacité de la planification métropolitaine à acquérir une nouvelle dimension et à devenir un vecteur de gouvernance, voire un substitut à d’improbables réformes institutionnelles.

    2Depuis le début des années 1990, un nouveau régionalisme métropolitain très original a émergé à Montréal. Il a mené à la création de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) en 2000. Cette nouvelle institution s’approprie depuis ses compétences en définissant différentes politiques. Notre objectif ici est d’étudier et de mesurer le renouveau de la planification métropolitaine montréalaise : l’originalité de la solution institutionnelle développée à Montréal produit-elle des politiques de planification originales ? Quels sont le sens et l’efficacité de ces démarches ? Prennent-elles en compte le tournant collaboratif du champ théorique ?

    Planifier à l’échelle métropolitaine

    3« La planification métropolitaine est née du besoin de rationalisation de l’expansion extrêmement rapide des agglomérations urbaines [...], par des moyens nouveaux, proportionnels à l’échelle de ces entités » (Gaudreau, 1990, p. 260). Une fois posée la nécessité d’élaborer et de mettre en œuvre un projet en recourant à la démarche de planification métropolitaine, il faut s’interroger sur la spécificité de ce type de démarche.

    La spécificité métropolitaine

    4« La planification métropolitaine vise donc à maîtriser le développement urbain qui se produit à une échelle débordant largement les limites des municipalités centrales. Cela pose concrètement la question de la détermination des objets d’intérêt métropolitain » (Gaudreau, 1990, p. 260), mais aussi des limites du territoire métropolitain. La définition de ces objets est sujette à de nombreux débats, car elle interroge la nature même du processus de métropolisation, mais aussi l’importance et le sens que l’on entend donner aux démarches de planification. Nous pouvons cependant identifier un certain nombre de critères qui peuvent aider à cette définition (Mogulof, 1975, p. 250-257) : l’inscription spatiale à l’échelle de certaines fonctions, la question de l’équité fiscale face à certains équipements ou services, les économies d’échelle que l’on espère réaliser. Il est cependant plus facile de se baser sur l’identification des enjeux qui posent problème à l’échelle métropolitaine. On constate ainsi que les métropoles doivent faire face à des problématiques assez semblables d’un pays à l’autre (Kunzmann, 2004) :

    • le processus d’étalement urbain avec ses effets négatifs sur les ressources naturelles, la consommation d’énergie, la ségrégation sociale ;

    • les conflits qui surgissent lors de l’extension des aéroports ;

    • les effets des grands centres commerciaux périphériques sur les commerces de centre-ville ;

    • les demandes sans fin en matière de routes pour s’affranchir de la saturation quotidienne des infrastructures ;

    • la coordination des usages des sols pour construire des infrastructures de transport ;

    • la division du travail dans la région urbaine ;

    • la concentration spatiale des activités de loisirs commercialisées ;

    • la destruction ou la pollution des paysages (urbains et ruraux) traditionnels ;

    • la fragmentation spatiale et la polarisation sociale de la région urbaine, conséquence d’une érosion de la solidarité régionale et des processus économiques de marché.

    5La spécificité métropolitaine de la planification pose aussi la question des limites de la métropole. En effet, face au mouvement de concentration-déconcentration qui caractérise le processus de métropolisation, il semble difficile de définir le territoire métropolitain, alors que celui-ci, désormais, ne s’inscrit plus réellement dans une logique de territoire, mais de réseau. Dans cette perspective, les définitions statistiques établies en fonction des déplacements peuvent apporter une réponse pragmatique à cette interrogation. Néanmoins, dans la pratique, les territoires institutionnels et politiques prennent souvent le pas sur les logiques spatiales avec le mythe du territoire « pertinent » à atteindre. L’un des objectifs de la planification métropolitaine est donc de tenter de dépasser les logiques politiques pour adopter l’échelle la plus cohérente possible afin de coordonner les acteurs et leurs ressources, et répondre aux défis de compétitivité et de solidarité induits par le processus de métropolisation.

    6Les métropoles sont le territoire de prédilection de la globalisation de l’économie, elles sont donc en concurrence quand il s’agit d’accueillir ou tout simplement de fixer les activités économiques dont on sait par ailleurs qu’elles sont de plus en plus instables (Veltz, 1996). On assiste alors à une multiplication d’initiatives en matière de développement économique local, les pouvoirs locaux élaborant notamment des projets stratégiques qui articulent attractivité et cohésion.

    7La compétitivité et l’attractivité des métropoles résident en grande partie dans la cohésion de ce territoire. En effet, pour attirer et surtout retenir les entrepreneurs et plus généralement ceux qui, comme l’indique R. Florida (2005), appartiennent à la « classe créative », les métropoles doivent offrir une qualité de vie de haut niveau, ce qui exige :

    • une grande qualité des services publics urbains (transports, écoles, activités culturelles) ;

    • la présence d’un environnement préservé et valorisé ;

    • la sécurité et l’animation des espaces publics ;

    • la cohésion sociale, laquelle implique notamment la reconnaissance de la diversité ; sociale, culturelle, ethnique.

    8Les démarches de projet métropolitain consistent à faire émerger des stratégies spatiales liant attractivité externe et cohésion interne, mais, pour avoir du sens, celles-ci doivent être articulées à des stratégies de mobilisation et de collaboration des acteurs.

    Le tournant collaboratif

    9S’il y a eu renouveau de la planification métropolitaine, c’est grâce aux pratiques professionnelles, mais aussi à la convergence et à l’articulation des différents courants théoriques de la planification. Cette rencontre théorique est désignée différemment selon les auteurs. A. Motte parle ainsi de planification stratégique spatialisée (2006), W. Salet et A. Faludi (2000), de revival of strategic spatial planning et P. Healey (1997) parle régulièrement de collaborative planning, de strategic plans ou encore de new strategic spatial planning.

    10Néanmoins, quelle que soit la formule sémantique adoptée, il existe un consensus sur le fait que l’approche collaborative est maintenant le paradigme dominant en matière de théorie de la planification urbaine (Allmendinger et Tewder-Jones, 2002 ; Innes, 1995 ; Alexander, 1997). Ce tournant communicationnel a donné lieu à de nombreuses interprétations et investigations. On parle ainsi de communicative planning (Healey, 1993 ; Innes, 1995), d’argumentative planning (Fischer et Forester, 1993), de collaborative planning (Healey, 1997) ou encore de deliberative planning (Forester, 1999).

    11L’émergence plus pragmatique de ce nouveau type de planification métropolitaine pose la question de l’articulation des dimensions stratégiques et collaboratives dans une approche spatialisée :

    How can a strategy emerge from such open processes? It requires a capacity to reach some agreement across differences as to what the issues are, the purposes of action and the way the consequences, the costs and benefits of action, should be assessed. But it also represents a feat of collective imagining of possible courses of action and what these could achieve. Making a strategy according to these new ideas involves a collaborative effort in selecting from among possibilities, and sharpening up the selected strategies so that they make sense, both operationally in relation to resource allocation and regulatory power, and in terms of general understanding. (Healey, 1997, p. 276-277)

    12L’élaboration, puis la mise en œuvre de la planification passent alors par la mise en place de nombreux dispositifs d’échanges qui servent d’instruments à la production d’interactions entre les acteurs afin de créer des normes et des visions d’actions communes. Au terme du processus, les acteurs ont abouti à la formulation d’une stratégie métropolitaine, mais aussi à la formalisation, à l’institutionnalisation (plus ou moins grande, selon le degré d’interaction et le niveau de consensus) d’un réseau d’acteurs :

    Construction des stratégies et construction des réseaux d’acteurs sont intimement liées. Dans un contexte de rareté des ressources, les bons choix en matière de politiques urbaines sont ceux qui permettent la réunion d’un éventail large d’acteurs et de ressources. Le projet vaut ainsi autant par son processus que par son résultat matériel ou son débouché réglementaire. Le projet, dans la planification stratégique, devient un outil de construction de consensus. (Pinson, 2005, p. 209)

    13Finalement, cette nouvelle planification métropolitaine a pris acte de la rupture paradigmatique en faveur de la planification collaborative, en intégrant les apports des courants stratégiques et communicationnels.

    Les premières expériences montréalaises

    14La Révolution tranquille coïncide avec une période de forte croissance. Cela se traduit notamment par l’organisation d’événements comme l’Exposition universelle de 1967 ou les Jeux olympiques de 1976 ou encore la réalisation de grands équipements comme le métro ou la Place des Arts.

    15À l’occasion de l’Exposition universelle, la ville de Montréal élabore à grand renfort de supports audiovisuels un plan stratégique baptisé « Horizon 2000 » (Ville de Montréal, 1967) (voir carte 4.1). On le présenta comme un plan témoin, une vision d’avenir, pourvu que fussent adoptées un certain nombre de mesures permettant d’organiser et de structurer une métropole qui devait accueillir un peu plus de 7 000 000 d’habitants en l’an 2000. Dans la lignée du modèle rationnel de planification, ce document prévoyait organiser l’habitat en différentes unités, déterminer les grands pôles de croissance, structurer les axes de transport, prendre des mesures de sauvegarde des terres agricoles et créer un réseau de parcs et d’espaces verts régionaux. Le plan ne s’en tenait pas aux limites de la ville, et même de l’île de Montréal, et adoptait une échelle métropolitaine large dépassant la barrière qu’aurait pu constituer le Saint-Laurent. L’esquisse présentait une structure régionale de développement selon deux axes : un premier axe de croissance économique le long du fleuve, et perpendiculairement, un second axe accueillant la croissance démographique. À la jonction de ces deux axes se trouvait le cœur, le moteur de cette région : la ville de Montréal1. Cependant, celle-ci ne pouvait mettre elle-même en application un tel plan. Comme Lucien Saulnier, alors président du comité exécutif de la Ville de Montréal, le signalait lui-même, l’avenir dépendait des décisions que prendrait le gouvernement québécois : « La ville de Montréal a posé le problème, pavé la voie [...]. Il appartient maintenant au gouvernement du Québec d’assumer sa responsabilité » (Ville de Montréal, 1967).

    16Une dizaine d’années plus tard, l’Option préférable d’aménagement, publiée par le gouvernement du Québec en 1978 et de nouveau proposée en 1983, aurait pu fournir cette vision et ce cadre de référence métropolitain. Ce document gouvernemental visait principalement à donner un cadre d’harmonisation aux différents exercices de planification de la Communauté urbaine de Montréal (CUM) créée en 1969 et des municipalités régionales de comté (MRC) créées dans les années 1980 à la périphérie de l’île de Montréal. Il s’agissait alors de « consolider le tissu urbain à l’intérieur du périmètre bâti et viabilisé actuel » et de « réaménager prioritairement les territoires les plus anciennement bâtis de l’espace central montréalais et des centres-villes de Longueuil et Laval » (Gouvernement du Québec, 1984) ; dans les faits, cette option réactualisait le plan Horizon 2000. En effet, les principes sous-jacents aux deux interventions sont similaires (même si l’Option prévoit non plus 7 000 000 d’habitants, mais seulement la moitié) : concentrer les populations dans des unités offrant les services essentiels pour éviter l’étalement urbain et la basse densité, générateurs de coûts accrus de gestion de services et de congestion des réseaux routiers. Toutefois, en l’absence de mécanismes de suivi et de coordination, l’Option préférable d’aménagement ne donne pas lieu à suffisamment de mesures concrètes pour avoir un impact réel sur l’organisation spatiale de la région métropolitaine (Barcelo, Charbonneau et Hamel, 1989).

    17Ces deux exercices de planification apparaissent comme assez représentatifs du modèle rationnel de planification. Ils peinent en effet à mettre en adéquation les finalités des stratégies avec la mobilisation des acteurs et leurs moyens de réalisation. La remise en cause de ce modèle traditionnel de planification liée à l’avènement d’une approche stratégique va enclencher l’émergence d’un mouvement, celui d’un « nouveau régionalisme métropolitain » en Amérique du Nord.

    Le nouveau régionalisme métropolitain montréalais

    18Le nouveau régionalisme métropolitain apparaît avec la montée en puissance des villes, elle-même liée aux dynamiques de globalisation de l’économie et de métropolisation des territoires. Cette école théorique dépasse l’opposition classique entre adversaires et partisans du gouvernement métropolitain traditionnel et propose une voie médiane qui dépasse la simple question institutionnelle, en suggérant de s’intéresser aux réseaux d’acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux pour mieux se centrer sur l’action :

    Le nouveau régionalisme est un ensemble de nouvelles conceptions urbanistiques qui apparaît aux États-Unis au début des années 1990 en réponse au phénomène de métropolisation et qui s’articule autour de la notion d’interdépendance métropolitaine et du maintien de la compétitivité économique dans le contexte de la mondialisation. Cette école de pensée insiste sur l’importance de la viabilité économique, sociale, politique et environnementale des ensembles métropolitains et vise, à terme, à mettre en œuvre des réformes métropolitaines concrètes afin d’adapter les structures de pouvoir au nouvel ordre social, économique, spatial et mondial. (Champagne, 2002)

    Une lente émergence de réformes

    19À Montréal, la question de la coopération métropolitaine est très ancienne (Pineault, 2000) et a fait l’objet de nombreux débats et réformes (Trépanier, 1998). Durant les années 1990, la CUM comme les MRC apparaissent dépassées par l’affirmation du processus de métropolisation et l’on s’interroge donc à leur sujet. Ainsi, en 1992 et 1993, les travaux du Groupe de travail sur Montréal et sa région (GTMR) connaissent un retentissement assez important. Le rapport final (GTMR, 1993) recommande la création d’un conseil métropolitain, la révision conséquente des frontières des régions administratives et la création d’organismes intermunicipaux de services (OIS) en remplacement de la CUM et des MRC. Ces travaux n’ont pas eu de suite immédiate, si ce n’est la création du ministère de la Métropole qui avait la délicate mission de doter la région métropolitaine d’une institution.

    20D’un point de vue plus opérationnel, les transports font l’objet de quelques expériences (Douay, 2006) de coopération entre les municipalités, voire entre les municipalités et le gouvernement comme en témoigne la création de l’Agence métropolitaine des transports (AMT) en 1995. Finalement, la fin de la décennie est marquée par la volonté d’entreprendre une réforme d’envergure en procédant à une « réorganisation municipale » à l’échelle locale plus encore que régionale.

    Une communauté métropolitaine pour Montréal

    21Initialement, le gouvernement prévoyait la création d’un « conseil métropolitain » élu au suffrage universel et disposant de nombreuses compétences, mais il opte en 2000 à la fois pour la création d’un organisme métropolitain léger et la réalisation de larges fusions municipales qui vont retenir l’attention et l’énergie des différents réseaux d’acteurs. Cette nouvelle structure épouse en grande partie les limites de la région métropolitaine de recensement pour, en 2006, réunir : 82 municipalités, 3 400 000 habitants et 4 360 km2 (voir carte 4.2). Elle est définie comme un organisme de planification, de coordination et de financement dans les compétences suivantes : aménagement du territoire, développement économique, logement, culture, équipements métropolitains, déchets, assainissement, environnement et, bien sûr, transport. Présidée de droit par le maire de Montréal, la CMM est dirigée par un conseil de 28 membres et dispose d’un budget de 103 000 000 $ (en 2006).

    L’émergence de démarches métropolitaines

    Le cadre d’aménagement du Québec pour guider la CMM

    22En 2001, plus de 20 ans après l’Option préférable d’aménagement, le gouvernement du Québec présente le Cadre d’aménagement pour la région métropolitaine de Montréal2 (MAMM, 2001) (voir carte 4.3). Alors que l’Option mettait fortement l’accent sur la lutte contre l’étalement urbain, face au nouveau contexte de mondialisation et de métropolisation, la préoccupation principale du Cadre est de créer les conditions favorables au « maintien et à l’amélioration de la performance économique de la métropole, dans une perspective de renouveau urbain et de développement durable ».

    23Ce document, qui traite de l’avenir de la métropole pour les 20 années suivantes, a été transmis par le gouvernement à la CMM en tant qu’« orientations gouvernementales en matière d’aménagement ». Il constitue depuis, pour ces deux partenaires, le document de référence et d’échanges en matière d’aménagement, la CMM étant tenue par la loi d’adopter un schéma métropolitain d’aménagement et de développement qui y soit conforme, au plus tard le 31 décembre 2005. De plus, le Cadre d’aménagement sert de cadre de référence à l’ensemble des ministères et des mandataires gouvernementaux dont les décisions et les interventions ont une incidence sur l’aménagement de la métropole. Désormais, c’est l’ensemble du gouvernement québécois qui est lié aux orientations du Cadre d’aménagement.

    24Avec pour toile de fond l’aménagement durable et cohérent de la région métropolitaine, le gouvernement du Québec énonce une vision de l’avenir et un concept d’organisation spatiale de la métropole pour les années 2001 à 2021. Il résume sa vision en quatre mots essentiels : solidarité, attractivité, compétitivité et viabilité. Ces quatre grands objectifs rappellent que l’on dépasse les simples préoccupations d’aménagement pour définir un véritable projet de société. De plus, le Cadre d’aménagement présente un concept d’organisation spatiale, articulé autour du principe de développement durable. Il se compose de neuf éléments :

    • un centre d’agglomération dynamique et des quartiers revitalisés ;

    • un polycentrisme économique ;

    • un axe industriel est-ouest, mis en réseau avec un service de transport efficace ;

    • un axe de services nord-sud reliant des pôles prioritaires et des pôles secondaires ;

    • une couronne périurbaine entourant le centre de l’agglomération ;

    • une zone agricole à protéger et à mettre en valeur ;

    • un réseau d’espaces verts accessibles et de grands bassins à protéger et à mettre en valeur ;

    • au pourtour de la CMM, un réseau d’agglomérations urbaines soutenant la métropole ;

    • une couronne champêtre à planifier, protéger et mettre en valeur.

    25Ce concept d’organisation spatiale n’est pas sans rappeler les deux anciens exercices du même style qu’ont été en leur temps le plan Horizon 2000 et l’Option préférable d’aménagement. En effet, le principe d’une organisation métropolitaine structurée en deux axes de développement (nord-sud et est-ouest se croisant au centre de l’île de Montréal), de même que la présence de « villes satellites » avait déjà été mis de l’avant dans ces plans précédents. La seule nouveauté se trouve dans la reconnaissance de la structure de plus en plus polycentrique de la métropole, puisque le gouvernement identifie les six grands centres économiques du Grand Montréal.

    Une vision consensuelle, mais pas réellement stratégique

    26La loi impose à la CMM d’engager une démarche de planification qui comporte plusieurs étapes (Gouvernement du Québec, 2000). L’institution métropolitaine démarre donc en élaborant sa « Vision stratégique » qu’elle définit comme étant une image globale de ce que souhaite devenir la métropole. Elle constituerait ainsi un appel à l’action pour un futur désirable et choisi, par opposition à un futur incertain qui serait la prolongation des tendances actuelles. Elle indique ce à quoi la CMM veut arriver au terme de l’horizon de planification retenu, lequel s’envisage sur une génération ou plus. Dans la lignée du courant stratégique en planification (Padioleau et Demeestere, 1989), l’élaboration a commencé par un diagnostic des forces et des faiblesses de la région métropolitaine qui se base sur un benchmarking avec 26 autres régions métropolitaines nord-américaines et qui a révélé les difficultés de Montréal, classée dernière quant à la richesse produite par habitant. Ce document s’intitule Cap sur le monde : bâtir une communauté compétitive, attractive, solidaire et responsable (CMM, 2003a). Dans une perspective de mobilisation d’un réseau d’acteurs le plus vaste possible, l’image de l’avenir de Montréal est très ambitieuse, mais reste très floue. Aucune véritable stratégie qui effectuerait des choix d’aménagement et de développement clairs pour la métropole n’y est énoncée.

    27Alors que ce document est appelé à devenir le cadre de référence du système de gouvernance montréalais, dans les faits il a suscité une mobilisation toute relative : « Au total, 12 mémoires et près de 450 personnes ont, à titre individuel ou au nom de leur organisme, discuté du projet présenté par la CMM » (CMM, 2003b, p. 1). Toutefois, il faut relever que ce document constitue la première planification métropolitaine réalisée de manière autonome par le monde municipal. Dans ce sens, on peut aussi considérer cet exercice comme un effort de mobilisation interne visant à faire émerger une culture et une vision communes chez les fonctionnaires et les élus de la CMM et à engager ainsi, de manière plus précise, la définition des différentes politiques sectorielles de l’organisme.

    28Dans une perspective théorique, cette vision illustre bien la difficulté à prendre en compte le tournant collaboratif dans la réalité des pratiques. Dans la lignée du courant stratégique, ce document a réussi à définir de grands objectifs pour l’avenir du territoire ; toutefois, la prise en compte du courant communicationnel semble plus difficile, la CMM peine en effet à susciter l’adhésion et la mobilisation des acteurs dans la mise en œuvre de ces grandes ambitions.

    Un plan de développement économique mobilisateur, ambitieux... mais non spatialisé

    29Dans la lignée de la Vision stratégique, la CMM a présenté son Plan de développement économique (PDE). Dans un contexte de globalisation de l’économie et de métropolisation des territoires, celui-ci affiche de grandes ambitions pour la métropole québécoise. Adopté en février 2005, ce plan s’intitule Cap sur le monde : pour une région métropolitaine de Montréal compétitive (CMM, 2005a) et se base sur une stratégie intégrée, à la fois verticale et horizontale, du développement économique, avec des grappes industrielles insérées dans une stratégie métropolitaine de l’innovation.

    30Cette politique des grappes métropolitaines3 vise à développer une synergie entre les différents réseaux d’acteurs impliqués dans la même filière économique. Quatre catégories de grappes sont identifiées sur le territoire de la CMM : les grappes de compétition, de rayonnement, de pointe et de production. Chaque catégorie répond à des critères différents et suppose une action particulière de la CMM. Afin d’appuyer ces grappes, la CMM vise la mise en place de secrétariats avec différents objectifs : veille et mise en réseau, expansion de la grappe, innovation et technologie, éducation et formation, coopération commerciale, positions facilitatrices. Ces secrétariats sont financés par un fonds métropolitain de compétitivité dont les contributions proviennent d’acteurs publics et privés.

    31Par ailleurs, cette politique de grappes est appuyée par une stratégie métropolitaine d’innovation. Celle-ci regroupe, par l’intermédiaire d’un organisme à but non lucratif, les différents acteurs de l’innovation de Montréal, c’est-à-dire les entreprises innovantes, les milieux de la recherche, les établissements de formation, les services aux entreprises et le capital-risque. L’objectif est d’arrimer les intérêts des acteurs des grappes avec ceux de l’innovation dans une vision plus large du développement économique.

    32D’une manière générale, l’élaboration de ce document a suscité beaucoup d’intérêt et mobilisé de nombreux acteurs tant économiques que politiques, notamment le maire de Montréal et président de la CMM qui a repris ici l’idée des grappes qu’il avait développée lorsqu’il était ministre de l’Industrie. Néanmoins, le PDE n’est pas réellement relié au projet de schéma métropolitain d’aménagement et de développement (PSMAD) adopté en même temps que la version définitive du PDE. Cette divergence ne renvoie pas seulement à la spatialisation de la stratégie du PDE qui ignore les inégalités territoriales et l’impact que peut avoir le développement économique sur la cohésion du territoire métropolitain, mais elle renvoie plus généralement au modèle de développement extrêmement ambitieux qui est planifié pour Montréal et que l’on ne retrouve pas forcément dans le PSMAD qui, lui, présente des perspectives de croissance beaucoup plus réduite, au regard notamment du vieillissement de la population.

    Un projet de schéma entre conflits et indifférence

    33En définissant les objectifs du schéma dans la loi (Gouvernement du Québec, 2000), le gouvernement a fait le choix de demander à la CMM de respecter les dispositions classiques de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme qui s’appliquent à l’ensemble des MRC, tout en définissant toute une série d’éléments métropolitains (art. 27) que la CMM doit respecter. Cette originalité peut expliquer toute la difficulté de l’exercice, car la CMM doit répondre aux nouvelles exigences issues du tournant collaboratif, tout en respectant la perspective réglementaire et normative de la planification rationnelle.

    Un projet de schéma peu convaincant

    34En février 2005, la CMM présente un projet de schéma. Il convient tout d’abord de souligner que la CMM a presque respecté l’échéancier prévu par le gouvernement, soit la réalisation d’une première version quatre ans après sa création, ce qui apparaît fort peu, si on considère le temps d’élaboration des schémas des MRC ou de la CUM.

    35Le schéma présente quatre objectifs (CMM, 2005b, p. 77), mais demeure assez général lorsqu’il s’agit de les mettre en œuvre :

    • la structuration des lieux de convergence des activités humaines » par l’intermédiaire d’une consolidation du milieu urbain, notamment le long des axes de transports publics ;

    • la consolidation du milieu urbanisé », par le moyen d’une densification du territoire qui se traduit par une densité minimale moyenne de 24 logements par hectare ;

    • la préservation des activités et éléments témoins du patrimoine, des milieux naturels et du paysage » ;

    • la préservation de la zone agricole » en proposant un statu quo face aux périmètres d’urbanisation, ce qui constitue une rupture avec les pratiques habituellement en cours.

    36Le PSMAD propose un concept d’organisation spatiale (voir carte 4.4) qui apparaît assez flou comparativement au plan Horizon 2000 de 1967 ou encore au Cadre d’aménagement de la métropole de 2001. Le PSMAD constate en effet l’existence d’une trentaine de pôles pour le territoire métropolitain, mais, à l’image de l’ensemble du document, il ne parvient pas à en proposer une organisation véritablement structurée et stratégique, ni à proposer de priorité pour la mise en œuvre. Dans cette perspective, le projet de schéma a donné lieu à de nombreuses critiques :

    L’élaboration du PSMAD aurait dû, d’après certains, mettre davantage l’accent sur les grands défis métropolitains et tenter de les résoudre, tout en optant pour une vision qui influence les tendances plutôt simplement de les anticiper. En ce sens, le schéma devrait servir de base à l’atteinte d’un consensus sur une stratégie de repositionnement de la région dans une optique de développement. (CMM, 2005c, p. 14)

    37En termes spatiaux, malgré tous les outils dont dispose la CMM, ce projet de schéma demeure très timide. L’articulation du schéma d’aménagement avec les différents domaines d’intervention de la CMM (développement, transport, environnement, logement, équipements) apparaît faible. L’élaboration du schéma n’a pas été l’occasion pour la CMM de se poser la question de la spatialisation de ses politiques, par exemple en matière de logement social ou encore de développement économique. Dans ce sens, l’élaboration du schéma semble avoir été conçue par les responsables politiques et administratifs de la CMM comme une obligation légale à respecter et non comme le moment-clé de l’émergence de l’organisme. Cette conception peut être illustrée par la faiblesse des moyens financiers et humains consacrés à cet exercice, tout comme l’attention portée par ces différents responsables, notamment les élus les plus influents.

    38Finalement, les enjeux sont abordés assez discrètement, uniquement dans une pratique traditionnelle de la planification qui ressemble à bien des égards au modèle rationnel. Les vrais choix d’aménagement et de développement pour la métropole risquent donc de ne pas se faire, ou en tout cas de s’effectuer en dehors de l’arène de discussion du schéma qui semble marginalisée à l’intérieur comme à l’extérieur de la CMM. Les véritables négociations stratégiques sur les objets métropolitains d’envergure (à l’image de la localisation du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, de la construction du pont de l’A-25 ou encore du tracé de l’A-30) ne s’effectuent pas réellement à la CMM et, lorsque l’organisme métropolitain aborde ces questions, l’arène du schéma n’est pas investie pour y répondre.

    Une élaboration confidentielle

    39L’objectif de la planification collaborative est d’établir des consensus par l’intermédiaire d’une interaction efficace au sein d’un grand rassemblement d’acteurs :

    In the ideal of collaborative planning, stakeholders representing the differing interests meet for face-to-face dialogue and collectively work out a strategy to address a shared problem. Participants work through joint fact finding and agree on a problem, mission, and actions. The players learn and co-evolve. Under the right conditions, this dialogue can produce results that are more than the sum of the parts. (Innes et Gruber, 2005, p. 183)

    40L’explication des faiblesses du contenu des documents proposés par la CMM peut donc être trouvée du côté du processus décisionnel. En effet, la CMM est encore un organisme jeune à l’intérieur duquel les élus tiennent leur légitimité de leur municipalité locale. Ils ont ainsi de la difficulté à appréhender les enjeux métropolitains dans leur globalité et surtout à assumer, à l’échelle de leur municipalité, les conséquences d’une stratégie métropolitaine.

    41Ce contexte institutionnel permet de mieux comprendre la vision du territoire présentée dans le schéma. Dans cette perspective, le diagnostic présentant une trentaine de pôles peut être une vision métaphorique du processus décisionnel lié au schéma, dans le sens où pour assurer le consensus entre les élus de la ville centre et de la banlieue, la CMM n’a pas su identifier des priorités et a refusé d’effectuer des choix clairs entre la consolidation du centre ou le développement de la banlieue. Pour arriver à un consensus entre les maires, il a sûrement fallu faire plaisir à tout le monde et assurer des perspectives de croissance à tous, même si cela allait à l’encontre d’une vision métropolitaine plus structurée et plus cohérente, laquelle correspondait pourtant aux principes du développement durable qui ont fait office de référence tout au long de ce processus.

    42Toutefois, ces faiblesses en termes de processus tiennent aussi aux choix effectués par la CMM. Afin de respecter les délais légaux, la concertation en amont a été presque inexistante et il a fallu attendre la phase de consultation publique réalisée au printemps 2005 pour voir émerger un peu de débat public. La consultation a été à l’image de la phase d’élaboration, elle n’a pas donné lieu à des innovations particulières visant à créer une mobilisation autour de ces enjeux métropolitains qui semblent difficiles à aborder pour beaucoup. La consultation est donc restée assez confidentielle :

    [...] 37 mémoires ont été déposés et présentés devant la commission, 22 mémoires ont été déposés sans présentation, 48 interventions non appuyées par un mémoire ont eu lieu, pour un grand total de 107 représentations. 312 personnes ont assisté à l’une ou à l’autre des assemblées, dont 36 % de citoyens, 35 % de représentants municipaux et 29 % de représentants de divers organismes. (CMM, 2005c, p. 14)

    carte 4.1. Le plan Horizon 2000 (1967)

    Image 1000000000000721000004728A159976.jpg

    Source : Ville de Montréal.

    carte 4.2. Le territoire de la CMM (2006)

    Image 1000000000000C91000008EA3C202948.png

    Source : Gouvernement du Québec.

    carte 4.3. Le cadre gouvernemental d'aménagement (2001)

    Image 10000000000007D00000049C32514090.jpg

    Source : Gouvernement du Québec.

    carte 4.4. Le schéma métropolitain d'aménagement et de développement (2005)

    Image 10000000000009C40000059B2D7D8D27.jpg

    Source : Communauté métropolitaine de Montréal.

    43Les personnes qui se sont exprimées ont plutôt choisi de se défouler et d’exprimer leur mécontentement. Deux types de discours ont été présentés. Le premier venait des couronnes les plus éloignées, celles qui jouissent encore de perspectives de croissance et pour qui ce schéma pourrait constituer une limite sérieuse. À l’exception du monde agricole qui s’inquiétait de ses perspectives d’avenir, les différents acteurs politiques et économiques ont exprimé de fortes réserves face à un schéma qui leur semblait trop contraignant :

    Les élus des couronnes déplorent qu’ils aient été peu impliqués dans le processus d’élaboration du PSMAD et certains considèrent que la CMM a plutôt travaillé avec les fonctionnaires. Le résultat est donc, selon eux, un PSMAD qui manque de vision politique et qui ne considère pas suffisamment les besoins des collectivités locales. (CMM, 2005c, p. 14)

    44Le ton du second type de discours était plus serein. Venues du centre de la métropole, ces interventions exprimaient des craintes face à un exercice de planification jugé trop timide. Nous pouvons par exemple noter la réaction de la Ville de Montréal qui « signale formellement son appui à la mise en place d’un schéma métropolitain d’aménagement et de développement sur le territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal », mais « souhaite toutefois faire part de ses préoccupations à la Communauté métropolitaine de Montréal quant à l’opérationnalité de certaines mesures ». Plus concrètement, la Ville demande davantage de fermeté, par exemple dans la définition du périmètre d’urbanisation, afin d’atteindre les objectifs de consolidation du centre de l’agglomération. En dehors de ce discours institutionnel, le mouvement associatif a soutenu ce type de revendications (enjeux d’environnement, de transports en commun, de patrimoine...), mais finalement, ces discours en provenance du centre n’ont pas été très entendus.

    45En définitive, la CMM n’a pas réussi à créer une véritable arène de négociation, ou tout au moins une dynamique de collaboration, notamment parce que les principaux acteurs en présence peinaient à appréhender et surtout à assumer les enjeux métropolitains dans leur globalité.

    La planification métropolitaine comme vecteur de nouveaux mécanismes de gouvernance ?

    Le schéma, victime expiatoire de la CMM

    46Finalement, le PSMAD bute sur les obstacles de la planification physico-spatiale. En effet, ce schéma présente un plan, mais pas réellement de projet métropolitain. S’il a ainsi réussi à saisir la dimension spatiale, il peine à offrir une véritable stratégie de développement pour Montréal. Cette faiblesse du contenu est liée à la faiblesse du processus de planification. Celui-ci a en effet été beaucoup trop fermé pour que le contenu puisse être représentatif et susciter l’adhésion des différents réseaux d’acteurs métropolitains. La présentation du projet de schéma et l’organisation de consultations publiques ont même donné l’occasion à différents acteurs d’exprimer leur ressentiment lié en partie à cette planification, mais plus généralement par rapport à l’existence même de la CMM qui vient bousculer le jeu politico-institutionnel de la métropole. À cet égard, le processus du schéma est intéressant à observer, car son adoption devrait avoir pour conséquence de priver les MRC de compétences en aménagement, ce contre quoi se mobilisent les différents acteurs. Dans cette perspective, le schéma a servi de victime expiatoire à l’existence même de la CMM.

    47Face à ces protestations, la CMM tente de réagir positivement :

    Le projet de schéma métropolitain a pour principal mérite d’avoir déclenché un premier débat sur l’aménagement du territoire métropolitain et il est utile de souligner qu’en aucun moment la pertinence de réaliser un schéma d’aménagement et de développement à l’échelle métropolitaine n’a été mise en cause. Toutefois, de par les nombreuses incidences d’un tel outil de planification, et face à la diversité du territoire concerné, les représentations formulées, lors de la consultation, ont été à la fois multiples et variées. (CMM, 2005c, p. 2)

    Une sortie de crise avec une redéfinition de la loi sur la CMM ?

    48Au-delà du processus de consultation publique auquel la CMM est assujettie, le gouvernement doit lui aussi se prononcer sur le projet de schéma. S’il a relevé l’étendue du travail effectué et le caractère historique que ce schéma représente, il a aussi formulé des critiques importantes. Le ministère des Affaires municipales insiste sur le caractère métropolitain qu’un tel document doit avoir :

    Le gouvernement est d’avis que la récupération et l’intégration des schémas [de MRC] de façon intégrale, telle qu’énoncée dans le projet de schéma de la Communauté, contrevient globalement au processus d’élaboration du schéma métropolitain [...]. Il rappelle à la Communauté que l’ensemble des choix d’aménagement qu’elle entend retenir dans son schéma doit être effectué en fonction d’une perspective métropolitaine. (MAMR, 2005, p. 4)

    49De plus, le gouvernement insiste sur le manque de précision et d’explicitation dans la description des éléments de contenu et dans la présentation des dispositions réglementaires ou normatives et demande donc à la CMM de faire preuve d’un niveau de détail plus précis. Le défi de la CMM est donc double : faire émerger une vision de l’aménagement et du développement qui s’inscrive dans une dimension métropolitaine, mais aussi effectuer des choix engageants qui constituent des directives fermes à l’égard des municipalités régionales et locales.

    50Dans ce contexte de crispation des principaux acteurs métropolitains, les fonctionnaires comme les élus responsables de l’élaboration du schéma veulent éviter un scénario à la CUM (Gaudreau et Veltman, 1985). En effet, dans un contexte d’affrontement récurrent entre la ville centre et la banlieue, l’organisme métropolitain qui a précédé la CMM a mis 18 ans à élaborer un schéma d’aménagement qui perdait toute consistance et pertinence au fur et à mesure que les années passaient.

    51On peut dégager plusieurs scénarios de sortie de crise. Pour sa part, par la voix de la présidente de sa commission de l’aménagement, la CMM reconnaît que :

    [d]e toute évidence, la démarche de planification avancée par le PSMAD doit se poursuivre et faire l’objet d’échanges plus soutenus ; c’est en ce sens que la commission de l’aménagement recommande la mise en place de tables de concertation axées sur les grands enjeux stratégiques. Compte tenu de cette recommandation et du contexte électoral municipal qui se présente à l’automne prochain, la Commission recommande également de reporter d’un an, soit au 31 décembre 2006, la date d’adoption du schéma prévue au plus tard le 31 décembre 2005 dans la loi de la CMM. Un tel délai permettra l’appropriation du schéma métropolitain par les partenaires du milieu, cette appropriation étant un des gages du succès de sa mise en œuvre. (CMM, 2005c, p. 32)

    52Toutefois, ce scénario d’une adoption rapide du schéma sans changer les règles du jeu institutionnel semble de moins en moins probable. En effet, l’adoption du schéma devrait entraîner la perte des compétences en aménagement des MRC. Dans les faits, les acteurs municipaux de la périphérie se sont encore plus opposés à cette disposition de la loi qu’au schéma lui-même. Ils demandent aujourd’hui une modification de la loi sur la CMM qui établirait un nouveau partage des compétences entre les municipalités, les MRC et la CMM, afin que les MRC gardent une partie de leurs compétences. Cette revendication est accompagnée de rumeurs persistantes quant au dépôt d’un projet de loi allant dans ce sens, si bien que le processus d’élaboration du schéma semble au point mort. Ce scénario d’une modification prend de l’importance quand on considère le rôle et surtout l’influence des banlieues et périphéries montréalaises sur la scène politique provinciale4.

    53Finalement, cette crise autour de l’élaboration du schéma illustre les limites que rencontre la CMM dans son affirmation au sein des différents réseaux d’acteurs métropolitains. En effet, la création de la CMM permet d’expérimenter une échelle de planification qui était jusque-là largement inédite. Mais l’organisme est très jeune et n’a pas encore entièrement défini l’ensemble de ses politiques. Au-delà de ce contexte institutionnel, la CMM peine à s’affirmer comme un outil de gouvernance permettant de créer l’arène de négociation capable d’articuler les stratégies élaborées en fonction des différents acteurs et de leurs ressources. Dans un contexte métropolitain caractérisé, d’un côté, par une pluralisation toujours grandissante des acteurs et de leurs intérêts et, de l’autre, par des capacités financières qui sont restreintes, l’élaboration d’un projet métropolitain peut être l’outil capable de faire dialoguer ces différentes ressources afin de répondre efficacement aux enjeux métropolitains (Pinson, 2005).

    54La création de la CMM liée à l’ambition de réaliser un schéma rappelle les modes d’action rationnelle qui avaient cours pendant les années 1960 et 1970. Ainsi, le projet de schéma a été élaboré de manière confidentielle et s’est limité à la dimension physico-spatiale, ce pour quoi non seulement il n’a pas suscité d’adhésion, mais a même généré un conflit.

    55Le cas montréalais illustre bien le fossé qui peut exister entre l’évolution du champ théorique et celui des pratiques (Alexander, 1997). Le tournant paradigmatique pour une approche collaborative peine en effet à se matérialiser sur le terrain. Toutefois, cette métaphore du fossé est à nuancer. Les pratiques québécoises de la planification commencent en effet à intégrer certains des aspects de l’approche stratégique (Trépanier, 1995 ; Boivin et Massicotte, 2002) en développant notamment une réflexion sur le positionnement de la métropole au regard de ces voisines afin d’élaborer des stratégies tournées vers l’action. La difficulté à réaliser ce tournant paradigmatique renvoie plutôt à la prise en compte des apports du courant communicationnel, et, en ce sens, Montréal peine à susciter le rassemblement des différents réseaux d’acteurs.

    56La prise en compte de ce tournant collaboratif dans les pratiques montréalaises de planification est d’importance. Elle permet en effet d’envisager une meilleure articulation des acteurs et de leurs stratégies afin de répondre adéquatement aux enjeux présents sur le territoire. Cette question est essentielle si Montréal veut « réussir sa métropolisation ».

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    Notes de bas de page

    1 Ce document constitue encore aujourd’hui la principale référence des planificateurs, notamment en ce qui concerne le concept des deux axes de développement.

    2 Cet exercice ressemble beaucoup aux Directives territoriales d’aménagement réalisées en France.

    3 Ce qui n’est pas sans rappeler ce qui se passe en France avec la mise en place des pôles de compétitivité.

    4 Lors de la réorganisation municipale, cette influence politique notamment électorale avait permis à la couronne nord d’échapper en partie à la vague de fusions.

    Auteur

    • Nicolas Douay

      Nicolas Douay a soutenu en 2007 une thèse de doctorat intitulée La planification urbaine à l’épreuve de la métropolisation : enjeux, acteurs et stratégies à Marseille et à Montréal, en cotutelle entre l’Université de Montréal et l’Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III. Après avoir été chargé de cours à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal, il est maintenant attaché temporaire d’enseignement et de recherche au sein du Département de géographie et d’aménagement de l’Université Diderot-Paris VII.

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    1 Ce document constitue encore aujourd’hui la principale référence des planificateurs, notamment en ce qui concerne le concept des deux axes de développement.

    2 Cet exercice ressemble beaucoup aux Directives territoriales d’aménagement réalisées en France.

    3 Ce qui n’est pas sans rappeler ce qui se passe en France avec la mise en place des pôles de compétitivité.

    4 Lors de la réorganisation municipale, cette influence politique notamment électorale avait permis à la couronne nord d’échapper en partie à la vague de fusions.

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    • Combe, Lila. (2010) Approche symbolique ou gestionnaire ? L’effet du débat sur les choix de planification. L’Espace Politique. DOI: 10.4000/espacepolitique.1542
    • (2020) Dictionnaire des politiques territoriales. DOI: 10.3917/scpo.pasqu.2020.01.0577
    • Morin, Richard. Latendresse, Anne. Lozier, Nicolas. (2016) Villes et quartiers durables : la place des habitants. DOI: 10.4000/books.cse.127
    • (2012) Débattre pour transformer l'action urbaine. DOI: 10.4000/books.pum.5847
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    • Nunoo, Daniel Carl. (2021) Urban Planning for Transitions. DOI: 10.1002/9781119821670.ch9

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    Douay, N. (2008). Chapitre 4. La planification métropolitaine montréalaise à l’épreuve du tournant collaboratif. In M. Gauthier, M. Gariépy, & M.-O. Trépanier (éds.), Renouveler l’aménagement et l’urbanisme. Montréal: Presses de l’Université de Montréal. https://doi.org/10.4000/books.pum.14057
    Douay, Nicolas. « Chapitre 4. La planification métropolitaine montréalaise à l’épreuve du tournant collaboratif ». In Renouveler l’aménagement et l’urbanisme, édité par Mario Gauthier, Michel Gariépy, et Marie-Odile Trépanier. Montréal: Presses de l’Université de Montréal, 2008. doi:10.4000/books.pum.14057.
    Douay, Nicolas. « Chapitre 4. La planification métropolitaine montréalaise à l’épreuve du tournant collaboratif ». Renouveler l’aménagement et l’urbanisme, édité par Mario Gauthier et al., Presses de l’Université de Montréal, 2008, https://doi.org/10.4000/books.pum.14057.

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    Gauthier, M., Gariépy, M., & Trépanier, M.-O. (éds.). (2008). Renouveler l’aménagement et l’urbanisme. Montréal: Presses de l’Université de Montréal. https://doi.org/10.4000/books.pum.14045
    Gauthier, Mario, Michel Gariépy, et Marie-Odile Trépanier, éd. Renouveler l’aménagement et l’urbanisme. Montréal: Presses de l’Université de Montréal, 2008. doi:10.4000/books.pum.14045.
    Gauthier, Mario, et al., éditeurs. Renouveler l’aménagement et l’urbanisme. Presses de l’Université de Montréal, 2008, https://doi.org/10.4000/books.pum.14045.
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