1Cet ouvrage est né d’un questionnement général sur le renouvellement des pratiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme, sous l’impulsion de l’émergence d’un « nouvel impératif participatif » et de l’affirmation des concepts de développement urbain durable et de ville durable. Nous souhaitions examiner comment le « débat public » et le « développement durable » pouvaient contribuer à repenser l’aménagement et l’urbanisme pour répondre aux enjeux actuels.

2La question de la participation publique de même que son arrimage à la planification territoriale sont des préoccupations de recherche de longue date à l’Institut d’urbanisme et à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Ainsi, dès mai 1986 se tenait un colloque intitulé Consultations publiques et stratégies de planification, dont les actes paraissaient en 1990 (Marchand, 1990). Cet événement avait mis en exergue la diversité des expériences québécoises de participation publique en liaison avec la planification et l’aménagement du territoire, et deux des directeurs du présent ouvrage avaient déjà à cette époque énoncé certaines préoccupations qui nous paraissent encore pertinentes aujourd’hui. Entre autres, Gariépy et Ouellet (1990), au terme d’une comparaison internationale portant sur la prise en compte du point de vue des citoyens dans des procédures d’évaluation environnementale et d’autorisation des grands projets d’équipement, faisaient ressortir la nécessité de bien cadrer les dispositifs participatifs dans leur contexte juridico-politique spécifique afin d’en apprécier l’efficacité. Ouellet et Trépanier (1990) concluaient l’étude d’expériences de planification et de gestion concertées de parcs nationaux, toujours dans une perspective de comparaison internationale, sur des enjeux de planification globale au Québec, en particulier ceux de la responsabilisation des instances régionales et locales relativement aux interventions gouvernementales et de l’absence d’une structure politique unique dans la région de Montréal. Enfin, dans son avant-propos, Daniel Dubeau, alors vice-président à l’environnement chez Hydro-Québec, avait déjà souligné la nécessité d’une véritable participation publique pour un aménagement du territoire à l’enseigne du développement durable.

3Un autre colloque, celui-là tenu en mai 1988, avait comme thème L’aménagement à l’ère de la consultation et ses actes avaient été l’objet d’un numéro de la revue Trames, le périodique de la Faculté de l’aménagement (1989). Y étaient abordés les dispositifs institués de participation publique, sous l’angle de questions comme l’organisation de la consultation, l’apprentissage qui y a lieu, ses défis et paradoxes, l’évaluation des projets urbains et l’adéquation des dispositifs à cette échelle. Gariépy et Hamel (1989), à propos de l’intégration des processus de planification et de consultation, se demandaient s’il ne s’agissait pas là de deux processus antinomiques, dans la foulée du dilemme déjà mentionné par Selznick (1966) dans son ouvrage phare sur la Tennessee Valley Authority puis de Knudsen (1988), pour qui les planificateurs ne pouvaient prétendre à une efficacité sans une certaine autonomie.

4De même, l’ouvrage Ces réseaux qui nous gouvernent ? (Gariépy et Marié, 1997) rassemblait plusieurs contributions traitant des questions de consultation, de participation et de transparence dans les décisions. En appliquant déjà la méthode des regards croisés France-Québec, les interrogations portaient sur les transformations de la décision et la recomposition de l’action publique sous l’impulsion des procédures de participation, la mise en cause d’une planification technocratique avec la problématique du développement durable.

5Plus récemment, deux colloques internationaux ayant pour thème général le renouveau de la planification territoriale ont été organisés par l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal. Les interrogations qui les ont structurés sont à la base de la publication du présent ouvrage collectif. Le premier colloque avait pour thème Planification urbaine et aménagement du territoire à l’heure du développement durable : enjeux et défis pour les grandes villes québécoises. Il a eu lieu au sein du 73^e Congrès de l’ACFAS, en mai 2005, à l’Université du Québec à Chicoutimi, et les questions suivantes ont été abordées par les conférenciers : quel bilan peut-on dégager de l’évolution des pratiques planificatrices depuis plus de quatre décennies ? Quels sont les nouveaux enjeux et les défis pour les grandes villes et les métropoles ? Quels sont les nouveaux instruments de planification et de coordination des actions ? Comment envisager l’évaluation des démarches de planification et d’aménagement du territoire ? Comment faire le suivi de la mise en œuvre des actions ? Lors de ce colloque, la thématique du développement durable qui s’est progressivement imposée comme un nouveau principe d’action pour la planification urbaine et l’aménagement du territoire était également intégrée à cette série d’interrogations : dans quelle mesure les grandes orientations et les choix d’aménagement prennent-ils en compte les dimensions sociales, économiques et environnementales du développement aux différentes échelles spatiales et temporelles de la planification et de l’aménagement ? Quelles sont les implications de la prise en compte du concept de développement durable pour les stratégies planificatrices ?

6Le second colloque a eu lieu l’année suivante, lors du 74^e Congrès de l’ACFAS, en mai 2006, à l’Université McGill. Il avait pour thème La planification territoriale et l’institutionnalisation du débat public au Canada et en France : renouveau des pratiques, des modèles et des instruments. Y ont été abordées des interrogations soulevées par l’injonction à la participation des citoyens et au débat public par l’intermédiaire de divers dispositifs de participation et de coopération entre les acteurs : quels sont les effets et retombées du débat public sur le contenu de la planification territoriale, les rapports sociaux (mobilisation des acteurs, cohésion sociale, etc.) et le renouvellement des pratiques planificatrices (démarches, approches et instruments) ? La multiplication des dispositifs de débat public – assemblées publiques, référendums, consultations publiques, commissions consultatives, conseils de quartier, budgets participatifs, jurys de citoyens, etc. – assure-t-elle une meilleure cohérence territoriale ? La planification urbaine et territoriale est-elle compatible avec l’institutionnalisation du débat public ? Planification territoriale et débat public sont-ils antinomiques ?

Présentation et organisation de l’ouvrage

7Les interrogations abordées dans ces deux derniers colloques pouvaient donc se synthétiser à l’enseigne de la triangulation de trois concepts : la planification territoriale, le débat public et le développement durable. Le présent ouvrage rend compte de cette triangulation, selon la posture qui affirme qu’il est de la responsabilité des sciences sociales d’organiser la mémoire des expériences de planification territoriale et de démocratie locale, d’en faire l’évaluation, d’en tirer des bilans, et ce, dans une perspective de lier recherche et action (Blanc, 2001, p. 205). Les contributions rassemblées ici proposent, à partir de recherches inédites portant sur des expériences concrètes, une exploration de la question du renouvellement de la planification territoriale sous l’impulsion du débat public et du développement durable. L’ouvrage est organisé en trois parties.

8La première partie, « Planification territoriale et métropolitaine », comporte quatre textes. Deux sont à portée plus générale : celui de Marc-Urbain Proulx, qui propose un cadre d’analyse pour un bilan des 40 dernières années de planification du développement régional au Québec, l’autre de Louis Guay, sur les défis que pose la métropolisation à la planification territoriale. Les deux autres abordent plus spécifiquement les réponses mises en place sur la scène métropolitaine, Franck Scherrer s’interrogeant sur les effets d’un foisonnement procédural en matière de débat public, tant en matière de coopération que de délibération, et Nicolas Douay explorant les efforts de planification métropolitaine pour la région de Montréal, à la lumière des courants théoriques stratégiques et collaboratifs. Ces quatre textes amorcent ainsi la réflexion sur le lien entre d’une part le renouveau de la planification et d’autre part le débat public et la concertation des acteurs.

9Peu d’auteurs québécois ont tenté une synthèse de la planification au Québec. C’est le défi que s’est donné Marc-Urbain Proulx. Après un premier essai marquant (Proulx, 1996), il reprend son propos et l’actualise dans son « 40 ans de planification territoriale au Québec ». Après avoir passé en revue différentes définitions théoriques de la planification, l’auteur propose un tour d’horizon des principaux exercices de planification du développement au Québec depuis les années 1960 en les positionnant par rapport à une grille d’analyse reposant sur quatre grandes catégories de planification, la planification rationnelle globale, la planification par petits pas éclatés, la planification stratégique et la planification interactive. Son analyse remonte aux expériences régionales du Saguenay-Lac-Saint-Jean et du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) dans les années 1960, poursuit avec les 10 missions de planification régionale de l’OPDQ (Office de planification et de développement du Québec), puis avec les 95 schémas d’aménagement des Municipalités régionales de comté (MRC), les « petites régions d’appartenance » établies dans le cadre de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (L.R.Q., c. A-19.1). L’analyse continue avec les conférences socioéconomiques des années 1980, les plans stratégiques régionaux des années 1990, tandis que les pratiques de développement local ou de planification de créneaux territoriaux prennent leur essor. Proulx situe ces expériences sur sa grille d’analyse et en dresse un bilan impressionnant et sévère face aux besoins de développement, d’innovation ou de mobilisation en vue des changements requis dans le contexte actuel.

10Le texte de Louis Guay met bien la table pour la réflexion sur les thèmes de la métropolisation et de la planification territoriale à l’heure actuelle. La métropolisation soulève de nombreux enjeux, mais par-delà les questions de taille ou de flux, l’auteur invite à aborder la question sous l’angle des agents de changement, à la fois économique, technologique, culturel, social et politique. Ce contexte pose de nombreux défis à la planification territoriale métropolitaine, notamment en ce qui concerne les grands équipements : défis à la fois techniques, sociaux et politiques posés par les questions de financement et d’acceptabilité sociale par exemple. L’aménagement du territoire métropolitain est également influencé par les enjeux du développement durable. Il constate que de nombreuses nouvelles approches sont mises de l’avant, comme la réduction de la dépendance à l’automobile, les villes compactes, le nouvel urbanisme, mais il soulève des difficultés techniques et sociales à les mettre en application. Le citadin consommateur va-t-il s’incruster dans ses vieilles habitudes ? L’industrie emboîtera-t-elle le pas ? Enfin, comment prendre les décisions politiques ? L’auteur s’interroge en effet sur les lieux de la décision : locale, proche des citoyens, ou régionale au-dessus des intérêts particuliers ?

11Franck Scherrer nous fait circuler à travers de multiples dispositifs en matière de débat public dans le domaine de la planification territoriale en France, en nous offrant d’abord quelques clés de lecture. Il distingue trois familles : celle des conseils consultatifs, celle des procédures de concertation arrimées aux documents de planification, et celle, fort récente, des procédures référendaires. Puis, grâce à un schéma diachronique, il met ces dispositifs en parallèle avec les grandes réformes du gouvernement local. Ensuite, l’auteur amène le lecteur à explorer les modalités diverses de la mise en œuvre de ces dispositifs, par delà les exigences juridiques, puis s’interroge sur la prise en compte du débat public dans la décision. Enfin, Scherrer illustre et approfondit son analyse sur le cas lyonnais, modèle à la fois de planification métropolitaine innovatrice et de débat public intégré, mais non sans quelques difficultés.

12Nicolas Douay, pour sa part, explore la planification à l’échelle de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Il pose d’abord les jalons d’une définition de la planification métropolitaine et de ses enjeux dans le contexte de la mondialisation, faisant valoir l’accent mis par la théorie de la planification actuelle sur les approches stratégiques et collaboratives. Après avoir introduit les expériences de planification et les débats qui ont mené à la création de la CMM, l’auteur présente le Cadre gouvernemental d’aménagement pour la région métropolitaine de Montréal de 2001, puis les étapes de la planification métropolitaine que sont la Vision stratégique, le Plan de développement économique, et enfin le Projet de schéma métropolitain d’aménagement et de développement (PSMAD). Constatant la timidité des propositions du schéma, l’auteur en recherche les raisons du côté du processus décisionnel et des modalités de concertation et de négociation entre les acteurs métropolitains, témoignant ainsi de la jeunesse et de la fragilité de l’institution communautaire.

13La deuxième partie de l’ouvrage, « Villes et débats publics », réunit cinq contributions qui ont en commun de proposer une évaluation critique des rapports entre les processus de planification territoriale et les dispositifs de débat public qui les accompagnent. Les contributions rassemblées ici partagent donc un même questionnement de recherche, celui de la portée du débat public en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme. La section s’ouvre avec une contribution sur la démarche d’élaboration des plans de déplacements urbains (PDU) en France et est suivie de quatre contributions qui s’intéressent spécifiquement à l’expérience montréalaise en matière de planification et de consultation publique.

14La contribution de Florence Paulhiac pose la question de la portée du débat public au regard de l’enjeu de la mise en cohérence de l’action publique urbaine, notamment en termes de coordination entre transport et urbanisme, de développement d’une expertise contradictoire, de construction de diagnostics partagés et de développement d’une certaine transversalité de l’action publique. Son travail basé sur l’analyse de trois expériences d’élaboration de PDU – Grenoble, Lille et Lyon – l’amène à faire la distinction entre deux catégories de débat public : la première, qualifiée de non intégrée, renvoie à des exercices essentiellement axés sur la validation, l’acceptabilité sociale et l’évitement des conflits, et la seconde, davantage intégrée, qui renvoie à des dispositifs qui contribuent surtout à alimenter les diagnostics territoriaux et les stratégies de mise en œuvre des actions publiques. Dans cette deuxième catégorie, le dispositif des groupes de travail thématiques accompagné de comités technique et de pilotage s’est avéré innovant ; il contribue à favoriser l’émergence d’une expertise associative et à assurer un apprentissage collectif.

15Dans une perspective similaire, la contribution de Mario Gauthier soulève l’épineuse question du renouvellement de la planification urbaine à la lumière de l’injonction à la participation et des principes associés au développement urbain durable. À partir de l’étude du processus d’élaboration du nouveau plan d’urbanisme de la Ville de Montréal, Gauthier s’interroge sur la capacité du débat public en urbanisme à agir comme instrument de mise en œuvre des principes du développement durable. Sa contribution fait d’abord un survol de l’évolution de la consultation et de la participation publiques à Montréal depuis les années 1960 et dégage ensuite les principales caractéristiques du cadre actuel qui se déploie depuis les années 2000 dans un contexte de réforme des structures municipales et métropolitaines. Cela le conduit à constater que le nouveau cadre du débat public qui se met progressivement en place depuis la création de la nouvelle Ville de Montréal est somme toute relativement précaire et fragile. Il se présente essentiellement comme une panoplie d’instruments flexibles et non contraignants visant à développer une culture de la participation à Montréal. Gauthier examine ensuite l’exercice de consultation publique mené en 2004 par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur le nouveau plan d’urbanisme montréalais, afin d’en apprécier la portée et les limites en ce qui a trait aux transformations de l’action publique urbaine.

16À partir de sa vaste expérience professionnelle d’urbaniste et de commissaire au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), puis à l’OCPM, Jean Paré porte son attention sur le parcours et l’avenir de la consultation publique à Montréal. Commissaire permanent à l’OCPM depuis sa mise en œuvre en septembre 2002, Jean Paré a présidé de nombreuses commissions de consultation publique, dont celle sur le plan d’urbanisme de Montréal. Sa connaissance fine des pratiques et des rouages de la consultation publique l’amène à dégager des éléments de bilan et de prospective extrêmement pertinents. Il constate d’abord que l’OCPM s’est largement inspiré de l’expérience du BAPE et de l’ancien Bureau de consultation de Montréal (BCM) pour développer sa pratique, et ce, malgré le contexte de la réorganisation territoriale et des mesures de décentralisation entreprises par la ville centrale vers les arrondissements. Or, l’OCPM et le modèle de consultation publique qu’il a développé sont généralement perçus par les arrondissements nouvellement créés comme une institution trop rigide au service de l’administration centrale. Malgré cela, Jean Paré estime que les consultations publiques organisées par l’OCPM au cours de ses quatre premières années d’existence ont eu des retombées importantes.

17En écho au propos de Jean Paré sur les difficiles rapports entre la ville centrale et les arrondissements, Marie-Odile Trépanier et Martin Alain s’interrogent sur les conséquences de la réforme des institutions municipales montréalaises sur l’exercice de planification territoriale. Après avoir rappelé que la tradition de la consultation publique en matière d’urbanisme à Montréal s’est développée dans un contexte centralisé, ils se demandent quels sont les effets concrets du nouveau contexte de partage des compétences entre la ville centrale et les arrondissements en matière d’urbanisme et de consultation publique. Leur analyse de la nouvelle réalité montréalaise à la suite de la réorganisation municipale et de la décentralisation vers les arrondissements les amène à identifier trois enjeux majeurs : la zone grise de la dualité procédurale à l’égard des grands projets urbains ; le problème des dossiers supra-arrondissement ; et les « décalages démocratiques » à l’échelle infra-arrondissement. Dans le premier cas de figure, il appert que, devant le flou procédural, les élus locaux optent généralement pour l’évaluation des grands projets urbains au palier des arrondissements plutôt que de confier des mandats à l’OCPM. Dans le deuxième cas, celui des dossiers supra-arrondissement, il appert que les règles et les pratiques sont extrêmement variables d’un arrondissement à l’autre, puisque dans certains cas les dossiers sont confiés à l’OCPM alors que dans d’autres cas des formules ad hoc sont développées pour traiter les projets par arrondissement. Enfin, dans le dernier cas de figure, Trépanier et Alain ont observé des « décalages démocratiques » qui s’expriment par une forte tension entre les territoires de proximité, c’est-à-dire les quartiers et les arrondissements.

18Enfin, la contribution de Gérard Beaudet s’intéresse au processus de consultation publique ayant mené la Ville de Montréal à adopter, en 2005, la première politique du patrimoine de son histoire. Optant pour un ton volontairement polémique et provocateur, Beaudet s’interroge sur la portée du débat public et sur sa contribution potentielle au renouvellement de l’urbanisme montréalais. Il se demande plus précisément si l’exercice du Sommet de Montréal tenu en 2002 et la consultation publique de l’OCPM qui a suivi en 2004 n’ont pas été contre-productifs en matière de débat public et de délibération. Pour étayer son propos, Beaudet rappelle d’abord le contexte de revendications sociales des années 1970 et 1980 ayant conduit des organismes tels que Sauvons Montréal et Héritage Montréal à se mobiliser pour revendiquer des débats publics en matière de patrimoine. Ces derniers, rappelle-t-il, se sont même mobilisés pour organiser des consultations publiques « populaires », bien souvent contre la volonté de la Ville de Montréal et en réaction aux insuffisances de l’urbanisme montréalais. En outre, la revendication d’une politique du patrimoine s’est développée dans un contexte d’espoirs déçus devant la culture de la dérogation en matière d’urbanisme à Montréal. Beaudet examine ensuite le contenu de la politique du patrimoine adoptée en 2005 ainsi que les principaux dispositifs participatifs associés à l’élaboration de cette politique – groupe-conseil, ateliers et forums thématiques, consultation publique menée par l’OCPM, etc. – pour finalement soulever l’hypothèse d’un exercice « exagérément consensuel » ayant conduit « à une trop belle unanimité ».

19La troisième et dernière partie de l’ouvrage, « Les projets urbains », regroupe trois contributions qui transposent notre réflexion autour de la notion de projet : celle de Marie-Hélène Bacqué et Yankel Fijalkow comparant la transformation de quartiers populaires à Boston et à Paris, celle de Ludwig Desjardins traitant de la territorialisation de projets autoroutiers au Québec et celle de Sabine Courcier sur l’effet structurant du réaménagement du Vieux-Port de Montréal.

20Pourquoi constituer une partie spécifique à cette notion de projet et pourquoi aller au-delà des trois concepts – planification territoriale, débat public et développement durable – dont la triangulation est à la source de cet ouvrage ? C’est que la notion de projet offrait un angle fécond précisément pour interroger nos trois concepts. En premier lieu, le projet, en tant que concrétisation d’un processus de planification, permet spécifiquement de questionner ce processus, de révéler la logique qui le sous-tend et de constater les effets du débat public, et ce, bien sûr, malgré les difficultés méthodologiques inhérentes à une telle démarche. Ainsi, ces trois contributions permettent de bien contraster projet d’équipement et projet urbain et de montrer qu’ils répondent à des processus de planification différents dans lesquels le débat public intervient également de façon différenciée.

21La contribution de Desjardins montre l’écart entre projet d’infrastructure et projet urbain. La logique fonctionnelle et sectorielle, « en silo » pour reprendre l’expression de Barouch (1989), qui régit la planification du projet d’équipement d’infrastructure peine à intégrer le territoire autrement qu’en tant que milieu d’insertion. En outre, elle réussit difficilement à concilier les intérêts qui émergent à la faveur de la mobilisation de dispositifs participatifs multiples, soit des dispositifs institués, avec les consultations publiques auxquelles sont assujettis les grands équipements, mais aussi des dispositifs informels et de l’initiative du maître d’ouvrage. Ces dispositifs permettent l’émergence de requêtes transversales du milieu associatif, requêtes qui ne peuvent cependant recevoir de réponses autres que fragmentées, malgré l’ouverture du maître d’ouvrage, à cause de ses mandats et attributions. Le débat public peut donc générer in fine des projets plus intéressants, parce que mieux intégrés, mais il rend la planification des équipements, dans l’optique du maître d’ouvrage, beaucoup plus ardue et turbulente.

22À l’inverse, dans le projet urbain, la définition même du projet est au cœur du processus, avec l’implication de divers acteurs. Mais les cas traités dans les contributions de Courcier puis de Bacqué et Fijalkow renvoient à leur tour à des catégories différentes de projets. Courcier traite de la requalification d’une friche portuaire de Montréal par le gouvernement fédéral canadien, dans les années 1980. Cet acteur a pris appui sur une vaste consultation de la population montréalaise pour générer les représentations et dégager les principes directeurs qui régiront l’aménagement. La démarche participative mise de l’avant s’avérera d’ailleurs une des expériences fondatrices de la culture participative à Montréal, comme le mentionnent Beaudet et Gauthier, dans leur contribution respective au sein de l’ouvrage. Cette fabrication de sens par le recours à la consultation publique et la production résultante des conditions de validation de la démarche planificatrice sont tout à fait caractéristiques de la planification interactive, par opposition à la planification centralisée (Soubeyran, 1988). La requalification ne peut cependant prétendre au plein titre de projet urbain au sens d’une « activité collective concrète » dont parle Haumont (1993). Le fédéral, malgré ses tentatives pour placer les stratégies du gouvernement provincial et de la Ville de Montréal en congruence avec la sienne, fera cavalier seul dans le réaménagement de la friche, friche qui reste sous sa juridiction. Courcier conclut toutefois à l’effet structurant a posteriori de la requalification de ce morceau de ville sur la dynamique du quartier périphérique.

23Bacqué et Fijalkow jettent un regard croisé sur la requalification de deux quartiers populaires, la Goutte d’Or à Paris et le South End à Boston. Les deux opérations présentent des similitudes. Issues d’un même objectif, la résorption de l’insalubrité, toutes deux rencontrent initialement une forte opposition des populations résidentes qui mène à une reformulation des projets. Puis, la transformation physique qui s’opère au sein des deux exemples contrastés s’accompagne d’une transformation sociale. Des deux côtés de l’Atlantique s’installe une dynamique d’institutionnalisation et de professionnalisation des acteurs communautaires, et les métiers de la ville s’y redéfinissent autour des fonctions de coordination et de négociation. Par contre, les deux cas donnent lieu à des modèles participatifs différents. À Boston, dans une dynamique d’empowerment, il y a une délégation de services aux associations communautaires. À Paris, l’opération reste sous contrôle municipal et s’inscrit plutôt dans un mouvement de modernisation des services publics par la proximité. Ces deux projets sont ainsi révélateurs de cultures différentes de production de la ville : la France reste marquée par un urbanisme centralisé dont le projet urbain constitue un instrument de mobilisation et de coordination, alors que, aux États-Unis, s’est développée depuis plusieurs décennies une tradition de production locale des opérations d’urbanisme mettant à contribution le mouvement communautaire, une tradition où la notion de « projet urbain » à la française trouve peu de résonance. Mais malgré ces différences, les deux mouvements participatifs convergent dans l’appropriation des dispositifs qui s’y produit par les groupes dominants.

24Enfin, en guise de conclusion de l’ouvrage, nous présentons une réflexion sur le renouvellement des pratiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme et nous avançons quelques pistes d’analyse et de réflexion qui nous apparaissent fécondes pour situer les apports d’ensemble de l’ouvrage et pour ouvrir sur des recherches à conduire.

25La publication de cet ouvrage a bénéficié de la contribution financière de plusieurs organismes à qui nous exprimons toute notre reconnaissance : le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada par son programme de « Subvention ordinaire de recherche » accordée au projet « Ville durable, débat public et urbanisme à Montréal » ; le réseau interuniversitaire d’études urbaines et régionales Villes Régions Monde (VRM) ; l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal ; et le Fonds institutionnel de recherche de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Nous tenons également à remercier chaleureusement madame Véronique Martin, étudiante à la maîtrise en développement régional à l’UQO pour sa contribution au montage et à la mise en forme de l’ouvrage.