1Si on exclut les travaux cliniques menés principalement dans le domaine de la thérapie familiale, peu de travaux systématiques portant sur les relations familiales à l’adolescence ont été effectués avant le milieu des années 1970. Depuis, ce thème soulève de plus en plus d’intérêt, si on en juge par le nombre d’articles, de revues ou d’ouvrages scientifiques consacrés à cette question, sans compter l’efflorescence d’ouvrages populaires s’adressant aux parents d’adolescents pour leur enseigner comment exercer ce difficile métier.

2On peut identifier deux orientations principales dans les travaux scientifiques qui se consacrent à ces questions. Un premier groupe de travaux cherche à savoir comment se structurent les relations parentales à l’adolescence. Existe-t-il un modèle qui puisse caractériser l’évolution des relations entre les parents et leurs enfants âgés de 11 à 18 ans ? La qualité de l’attachement, l’accès progressif à l’autonomie, les rapports de pouvoir, la répartition des responsabilités et l’évolution des conflits constituent autant de thèmes de recherche dans ce domaine. Le second groupe de travaux examine l’effet des relations familiales sur le développement des adolescents. Le mobile principal qui guide la recherche en ce domaine est d’ordre prédictif puisqu’on cherche ici à saisir le rôle des facteurs parentaux sur le développement et la santé mentale des jeunes, plus particulièrement sur l’émergence de troubles psychologiques comme l’anxiété ou la dépression, et sur l’engagement dans des comportements déviants comme la délinquance ou la consommation de drogue. C’est dans ce second domaine que les travaux sont les plus nombreux et cela n’est guère surprenant puisqu’ils tentent de répondre à des questions cruciales. Les parents peuvent-ils agir sur le développement des enfants et des adolescents ? Quels sont les aspects de la fonction parentale qui affectent le plus le développement : l’expression de l’affection ou l’affirmation de l’autorité ? Certaines façons d’exercer les rôles parentaux sont-elles plus adéquates que d’autres ? Dans quelle mesure la famille peut-elle agir sur les facteurs extra-familiaux, notamment le choix des amis ?

L’évolution de la famille contemporaine

3L’institution familiale a connu des changements spectaculaires au cours des 30 dernières années. On peut mesurer l’ampleur de ces modifications en analysant l’évolution des grands indicateurs démographiques, entre autres le taux de natalité, le nombre d’enfants par famille, la présence de la mère au foyer ou le taux de divorce. Bengston (2001) a examiné l’évolution de la structure des familles ayant des adolescents aux États-Unis au cours des 25 dernières années et il a constaté que le nombre de familles ayant plus de deux enfants a chuté de moitié, passant de 60 à 30 % ; le nombre de mères au foyer est passé de 62 à 20 % et le nombre d’adolescents ayant vécu une séparation ou un divorce parental est passé de 17 % à près de 40 %. Aujourd’hui, au Québec, un adolescent sur trois vivra un divorce parental avant qu’il n’ait atteint l’âge de 16 ans ; en France, en Suisse et en Belgique, les chiffres sont de l’ordre de un sur quatre. La conséquence la plus évidente de ce phénomène concerne l’augmentation du nombre d’enfants et d’adolescents vivant dans une famille monoparentale, le plus souvent avec la mère. Le nombre de familles recomposées est également en progression constante.

4Assiste-t-on pour autant au « déclin de la famille » ? Certains « futurologues », spéculant à partir des tendances observées au cours des années 1970, ont fait ce pronostic ; ils ont annoncé que l’institution du mariage disparaîtrait en 2010 et que le taux de natalité atteindrait le degré zéro en 2020 (Bernard, 1985). Plusieurs d’entre eux affichent une vision pessimiste de l’avenir de la famille, ils soulignent les effets négatifs sur le développement des enfants de phénomènes comme le divorce et la monoparentalité qui se répandent de plus en plus. Popenoe (1993), par exemple, estime que l’évolution actuelle de la famille entraîne une dilution de fonctions sociales et affectives essentielles, et qui ne peuvent être assumées par d’autres institutions, notamment la prise en charge de l’éducation des enfants et le maintien de la cohésion affective entre les parents et les enfants ainsi qu’entre les frères et sœurs.

5D’autres auteurs, Stacey (1996) par exemple, contestent ce pronostic et voient plutôt dans l’évolution de la famille contemporaine les signes d’un changement fondamental qui annonce l’émergence de réalités nouvelles et diverses ; ils soulignent, entre autres, d’autres phénomènes récents comme la prise en charge des enfants par des couples homosexuels. La famille nucléaire moderne a une histoire, elle se constitue lors de la Révolution industrielle, dans un contexte qui favorise le regroupement des parents et des enfants sous un même toit (Shorter, 1977). Divers phénomènes qui marquent la société postindustrielle, particulièrement l’émancipation économique et sociale des femmes, annoncent la fin de ce modèle familial, où le père est le principal pourvoyeur, alors que la mère se consacre à l’éducation des enfants. Le divorce, la monoparentalité et la reconstruction familiale deviennent des réalités courantes, socialement acceptées, qui annoncent une ouverture sur la diversité qui caractérisera la famille de demain (Bengston, 20or).

Le mythe de l’inévitable confrontation entre parents et adolescents

6On sait que plusieurs théoriciens de l’adolescence ont insisté sur le fait que cette période s’accompagne inévitablement de perturbations et que l’accès à l’âge adulte passe nécessairement par une période de confrontation et d’opposition à l’égard des modèles d’autorité. Les conceptions développées notamment par Anna Freud (1958) et par Peter Blos (1967), qui ont longuement prévalu, ont soutenu que les conflits constituent la norme qui régit la vie familiale des adolescents. Les conflits sont considérés comme l’expression normale du mouvement de détachement qui libère l’individu des liens infantiles et lui permettent d’accéder à la maturité. C’est l’absence de conflits qui est perçue comme un symptôme d’immaturité.

7Depuis les années 1970, de nombreuses études empiriques qui ont exploré les multiples aspects des relations entre les parents et les adolescents se sont très clairement démarquées de ces considérations qui mettaient l’accent sur la séparation et concevaient les conflits entre parents et adolescents comme des événements inévitables, nécessaires à la croissance (Rutter et al, 1976 ; Steinberg, 1990). Ces travaux révèlent plutôt que les relations entre parents et adolescents connaissent un réaménagement majeur à cette époque, mais que cela ne s’accompagne nullement d’une rupture des liens ni d’une forme marquée de détachement (Youniss et Smollar 1985 ; Collins, 1997). La fréquence des conflits constitue certes une source de tensions qui perturbe le climat familial, mais ces heurts sont le plus souvent tenus pour mineurs par les deux parties. La plupart des adolescents déclarent bien s’entendre avec leurs parents et les conflits importants sont rares (Steinberg, 1990). Par ailleurs, de multiples travaux démontrent clairement que la présence persistante de conflits sérieux et les formes manifestes de séparation affective entre parents et enfants constituent des signes de dysfonctionnement familial, s’accompagnant plus tard de difficultés personnelles (Barrera et Li, 1996)

8Avant d’entreprendre la revue des travaux portant sur les relations entre parents et adolescents, il faut poser une question à caractère méthodologique : qui est le meilleur informateur lorsqu’on veut savoir ce qui se passe dans une famille ? Faut-il interroger l’adolescent ou les parents ? La plupart des travaux qui interrogent à la fois les parents et les adolescents observent des écarts assez importants entre les diverses opinions (Hartos et Power, 2000). Ces écarts ont cependant quelque chose de systématique : les parents ont tendance à valoriser leurs fonctions positives de support, d’affection et de communication. Ils soutiennent, par exemple, qu’ils parlent à leurs adolescents et se préoccupent de leur bien-être, alors que les adolescents expriment un avis différent (Noller et Callan, 1991). « Mais oui, je parle à mon fils », déclare le père ; « Quand mon père me parle, c’est pour m’engueuler ! », dit le fils. Les adolescents s’attachent aux aspects plus problématiques des relations, ils voient plus les conflits que les parents et les amplifient. Chacun est sans doute en partie responsable de cette distorsion. Les parents s’investissent profondément dans leur rôle et ils estiment généralement qu’ils offrent l’affection dont leurs enfants ont besoin, mais tel n’est pas l’avis des jeunes, qui revendiquent plus d’attention et de compréhension. Puisqu’ils sont engagés dans une démarche de prise d’autonomie, les adolescents ont tendance à dénoncer les refus parentaux, alors que les parents déclarent exercer convenablement leur rôle en fixant des règles et en imposant des limites (Cloutier et Groleau, 1987).

9Certains travaux laissent toutefois entendre que les adolescents seraient les meilleurs informateurs en matière de réalité familiale. Les parents s’impliquent intensément dans leur rôle, ils ont tendance à surévaluer les fonctions positives de leurs actions et à minimiser les problèmes, voire à les nier. Quelques travaux faisant appel à des observateurs extérieurs à la famille indiquent que les adolescents dressent de la réalité familiale un tableau plus fidèle que ne le font les parents (Noller ; 1994 ; Claes, Lacourse et Bouchard, 1998).

Les deux dimensions de la fonction parentale

10Les travaux qui se sont penchés sur l’analyse des pratiques parentales durant l’enfance et l’adolescence ont tous dégagé les deux mêmes dimensions de base : l’attachement et le contrôle (Baumrind, 1975 ; Maccoby et Martin, 1983 ; Schaeffer, 1965 ; Sears, Maccoby et Levin, 1957). En paraphrasant, on peut affirmer qu’être parent c’est exercer deux fonctions : aimer son enfant, lui exprimer son affection, se porter à son secours en cas de détresse ou de difficultés, mais c’est aussi convenir des règles de conduite, fixer des limites à ne pas franchir et sanctionner les écarts éventuels.

11La première dimension concerne la qualité des relations qui relient parents et adolescents ; elle désigne les liens d’affection, la capacité de saisir les demandes et les besoins de l’enfant et d’y répondre en offrant du support émotionnel. Les auteurs rendent compte de cette réalité en utilisant des concepts voisins : il est question d’attachement, de proximité affective, de support, d’acceptation ou de chaleur, par opposition à des notions telles que négligence parentale, hostilité ou rejet. La seconde dimension renvoie au contrôle parental et fait appel au rôle actif qu’exercent les parents auprès de leurs enfants dans leur démarche de socialisation : poser des exigences, convenir des règles de conduite, fixer des limites et appliquer des sanctions en cas de transgression des règles.

L’attachement

12Comme indiqué plus haut, l’adolescence constitue un moment crucial dans l’évolution des liens d’attachement au cours de l’existence humaine : les relations avec les parents se modifient, les adolescents se décentrent de l’univers familial et s’investissent dans des relations avec leurs pairs. Les amis revêtent une importance croissante dans la vie émotionnelle et deviennent des figures centrales de proximité et de support. Ce mouvement traduit un élargissement de l'univers social et une ouverture vers le monde extérieur, mais il n’implique nullement une rupture des liens familiaux ni un détachement émotionnel envers les figures parentales. Toutes les enquêtes menées en Amérique du Nord et en Europe montrent clairement que la majorité des parents et des adolescents considèrent que leurs relations sont empreintes de chaleur et de proximité (Collins, 1997). Ces enquêtes indiquent toutefois que de 15 à 20 % des familles éprouvent d’importantes difficultés relationnelles lors de l’adolescence des enfants, marquées par de profonds sentiments d’incompréhension et de rejet, des conflits permanents, des confrontations violentes ou des fugues. La plupart de ces familles avaient toutefois déjà connu des problèmes antérieurs et les difficultés familiales vécues à l’adolescence s’inscrivent dans une histoire d’enfance problématique. La rupture affective avec les parents ne constitue nullement la norme qui conduit à la maturité affective et relationnelle, au contraire, elle risque d’engendrer des difficultés personnelles et de la détresse psychologique (Steinberg, 1990).

13Bien que la famille contemporaine ait évolué et que sa composition ait changé, biparentale, monoparentale ou recomposée, la famille continue d’avoir une influence considérable sur le développement des adolescents ; la qualité des relations parentales reste le plus puissant prédicteur de la santé mentale durant et au terme de l’adolescence (Steinberg, 1990). Une multitude de recherches ont établi des liens très clairs entre la qualité des liens parentaux et le développement des individus.

14Rice (1990) a observé que la qualité de l’attachement parental à l’adolescence est liée à divers indicateurs du bien-être psychologique et de l’adaptation personnelle à l’âge adulte. D’autres études ont démontré que la qualité de l’attachement envers les parents à l’adolescence est associée à une série de facteurs, tels que la compétence sociale et les capacités d’adaptation face aux événements stressants (Allen et al, 1998). L’attachement parental agit comme un puissant facteur de protection contre la maladie mentale, l’engagement dans des comportements déviants et la délinquance. Les adolescents qui bénéficient d’un niveau élevé d’attachement de la part de leurs parents présentent moins souvent des signes de détresse psychologique tels qu’anxiété ou dépression et se livrent moins souvent à des actions délinquantes (Kobak et Screery, 1988). Plusieurs théoriciens de la délinquance considèrent d’ailleurs que l’attachement parental sert de toile de fond à la construction de la conscience morale. Van Yzendoom (1997) estime que les formes d’attachement problématiques qui se sont construites durant la petite enfance éveillent la mésentente, sinon l’hostilité, dans les rapports familiaux, au point de perturber l’exercice de la supervision parentale et de brouiller l’intériorisation des normes de conduite, ce qui mène progressivement à la délinquance chez les adolescents.

15Les études entreprises auprès d’adolescents présentant des troubles psychologiques indiquent qu’un fort pourcentage de sujets présentent des formes d’attachement fondées sur l’insécurité (Van Yzendoorn et Bakermans-Kranenburg, 1996). Rosenstein et Horowitz (1996) ont évalué le mode d’attachement auprès de 60 adolescents hospitalisés pour troubles psychiatriques et ils n’ont trouvé qu’un seul sujet présentant une forme d’attachement assuré. Ces auteurs ont également examiné les modes d’attachement des mères de ces adolescents ; ils ont observé un haut niveau de concordance mères/adolescents et ont émis l’hypothèse que le développement de troubles psychopathologiques résultait partiellement des expériences relationnelles problématiques vécues avec la mère.

16Si on admet que de l’âge de 12 ans à l’âge de 18 ans, les adolescents doivent obtenir de plus en plus d’autonomie, il est tout aussi clair que la rupture affective à l’égard des parents n’est guère souhaitable. L’accès à l’autonomie à l’adolescence se déroule adéquatement dans un cadre de support et d’acceptation. L’affirmation de l’individualité et le maintien des liens d’attachement avec les parents ne sont nullement antagonistes, ils sont au contraire intimement liés. La présence d’un milieu familial chaleureux, ouvert aux débats, offre le lieu le plus propice à l’affirmation de l’identité des adolescents (Grootevant et Cooper, 1986). En revanche, l’absence de liens significatifs, la négligence parentale ou l’existence de conflits majeurs se retrouvent le plus souvent au cœur des problèmes les plus graves qui guettent les jeunes : délinquance, tentatives de suicide, toxicomanie.

Le contrôle parental

17Aimer ses enfants, leur témoigner de l’affection, en assumer la responsabilité et leur offrir du support, tout cela définit très clairement la dimension primordiale de la fonction parentale, celle de l’attachement. Être parent comporte une autre dimension centrale : le contrôle. Ce terme fait appel aux demandes parentales et traduit le rôle actif que prennent les parents auprès de leurs enfants en vue de promouvoir le respect des règles et des conventions sociales et d’ainsi assurer l’insertion sociale et la réussite de leurs enfants. Il est question ici de convenir des règles familiales et de veiller à leur application.

18Le lien entre la qualité de l’attachement parental et le développement d’habiletés adaptatives chez les enfants, les adolescents et même chez les adultes est direct. Il n’en va pas de même pour le contrôle parental dont les effets sur le développement sont controversés. Certains débats portent sur la quantité optimale que les parents doivent exercer auprès des adolescents en vue de favoriser leur développement personnel ; d’autres concernent la notion même de contrôle car ce terme fait appel à des notions divergentes, voire contradictoires.

19Le contrôle coercitif est à différencier du contrôle inductif : la première forme impose des règles de façon autoritaire et ne tolère aucun écart ; la seconde forme laisse place à la négociation, les règles mises en place ne sont pas des lois policières, elles visent à développer les capacités adaptatives chez l’enfant et l’adolescent (Rollins et Thomas, 1979). Barber (1996), quant à lui, distingue le « contrôle psychologique » du « contrôle comportemental ». La première forme désigne une présence parentale intrusive qui ne respecte pas la vie privée de l’adolescent, lui dicte les conduites à suivre et lui impose des modes de pensée. Le contrôle comportemental est d’un autre ordre : il vise à encadrer la vie familiale et scolaire des adolescents, en fixant des règles et des limites qui ne pourront être franchies. Ces deux formes de contrôle ont des effets opposés : le contrôle psychologique limite les capacités de développement et réduit l’accès à l’autonomie et à la maturité, alors que le contrôle comportemental propose des guides et des balises qui servent à protéger contre la déviance (Barber, 1996).

20De nombreux travaux abordent la question du contrôle en termes de « supervision parentale », ce qui renvoie à la quantité et à la justesse de l’information que les parents détiennent sur ce qui se passe dans la vie quotidienne des adolescents, particulièrement en dehors de la sphère familiale, à l’école ou avec les amis (Dishion et McMahon, 1998). Les questions posées en vue d’évaluer la supervision sont de l’ordre suivant : « Lorsque je suis en dehors de la maison, mes parents savent avec qui je suis » ; ou « Quand je sors le soir, mes parents savent où je me trouve. » Récemment, Kerr, Statin et Trost (1999) ont entrepris une étude critique de ce concept et ils ont démontré de façon convaincante que, plutôt que d’évaluer la supervision parentale, cette approche mesure la confiance qui règne entre parents et adolescents, car si les parents sont au courant de ce que fait l’adolescent en dehors du foyer, c’est que ce dernier les en informe lors des échanges et des conversations. Pour ces auteurs, au lieu d’examiner ce que les parents savent des comportements extérieurs à la famille, l’évaluation du contrôle parental doit analyser des notions comme les règles familiales, les interdictions et la nécessité d’obtenir les autorisations préalables pour les sorties et les heures de rentrée.

21Les études qui examinent les liens entre le contrôle parental et l’adaptation des adolescents indiquent que l’excès autant que l’absence de contrôle se révèlent pénalisants. L’excès de contrôle entraîne des effets négatifs comme des comportements sociaux agressifs, le retrait social, l’inhibition, la faible estime de soi (Dishion, 1990 ; Patterson, 1982). Mais de nombreuses études indiquent par ailleurs que l’absence de contrôle ou le laxisme parental ont un effet négatif sur les résultats scolaires (Dornbush et Wood, 1989), qu’ils peuvent entraîner des actes socialement déviants (Leblanc et Tremblay, 1988) et la consommation de drogue (Loeber et Dishion, 1983).

22L’exercice du contrôle parental consiste aussi à fixer des limites qui ne doivent pas être franchies et à déterminer des sanctions lorsqu’elles ont été dépassées. Les travaux qui examinent cet aspect du contrôle parental indiquent que les parents utilisent un large répertoire de stratégies disciplinaires en cas de transgression des règles (Smetana, 1994).

23On aborde souvent la question des sanctions disciplinaires en proposant aux adolescents des situations de non-respect des règles familiales ou des situations problématiques permettant de « tester » les réactions parentales. On leur dit par exemple : « Tes parents et toi avez convenu d’une heure de rentrée un samedi soir et tu arrives deux heures en retard, sans avoir prévenu. Quelle sera leur réaction ? » ; ou encore « Tes notes ont baissé de façon très importante lors de ton dernier bulletin. Comment tes parents vont-ils réagir ? » On retrouve d’un côté les pratiques coercitives, comportant des punitions corporelles, et de l’autre des pratiques permissives, qui expriment l’absence de réaction parentale ; les réactions punitives et inductives se situent entre ces deux extrêmes.

24Les études entreprises pour évaluer les effets de ces modes de sanction soulignent le caractère dévastateur des interventions coercitives, car elles entraînent des sentiments de rejet, de la colère et de l’hostilité, particulièrement auprès des adolescents plus âgés (Dishion et al, 1991). La permissivité parentale et l’incapacité d’établir des limites fermes peuvent donner lieu à des comportements déviants, par exemple s’absenter des cours ou consommer des drogues douces (Claes et Lacourse, 2001). Les mesures punitives sont susceptibles de modifier certains comportements, dans la mesure où la sanction imposée est perçue comme équitable par rapport à la faute commise ; les parents pourraient convenir de ceci : « Tu avais une heure de retard, samedi prochain tu rentreras une heure plus tôt. » Les interventions dites inductives sont les plus porteuses en terme de maturité, puisque déceler la présence d’un problème débouche sur une prise de conscience et, éventuellement, sur une tentative de résolution commune du problème.

Les styles parentaux

25En psychologie, on a classé de multiples façons l’exercice du rôle de parent, mais l’approche la plus élaborée, ayant donné lieu aux travaux les plus utiles, a été mise au point par Baumrind (1978) qui a construit une typologie des styles parentaux autour de deux dimensions : les réponses parentales (responsiveness) et les demandes parentales (demandingness). On retrouve derrière ces concepts les idées familières qui définissent les deux fonctions parentales : le concept de réponse est proche de celui d’attachement puisqu’il est question de la façon dont les parents répondent aux besoins de l’enfant, l’acceptent et le supportent en cas de difficulté ; les demandes parentales font référence aux exigences et au respect des règles et des limites.

26Ces deux dimensions sont considérées comme relativement indépendantes l’une de l’autre ; on peut concevoir par exemple qu’une mère soit très exigeante, mais peu à l’écoute des besoins de l’enfant ou qu’en revanche elle soit très affectueuse et chaleureuse, mais peu tolérante et contrôlante. Baumrind (1971) a défini quatre styles parentaux à partir de deux dimensions qu’on peut représenter sur deux axes : le premier axe fait appel à l’attachement au pôle positif et le rejet, au pôle négatif ; le second axe, celui du contrôle, va de l’excès de contrôle à l’absence de contrôle.

FIGURE 6. Les modèles parentaux

27Un certain nombre d’études ont établi des rapports entre les styles parentaux et diverses caractéristiques personnelles et sociales des adolescents (Steinberg et al, 1991). On a pu constater la remarquable efficacité du style authoritative. Les adolescents qui vivent dans un tel environnement familial acquièrent une meilleure compétence personnelle, ils s’affirment et réussissent mieux sur le plan scolaire et professionnel. Les adolescents qui ont grandi dans des milieux familiaux autoritaires sont plus passifs, plus dépendants, ils s’affirment moins et ils sont moins adaptés socialement. Les enfants de parents permissifs se déclarent les plus satisfaits des relations qu’ils entretiennent avec leurs parents, mais ces adolescents sont plus sensibles à l’influence des pairs et commettent plus d’actes déviants, par exemple s’absenter des cours et consommer des drogues douces. Le modèle négligent se révèle le plus pénalisant pour le développement : la négligence parentale a été associée à des problèmes comme la dépression et les idéations suicidaires (Tousignant et al, 1988), ainsi qu’à l’extériorisation dans la délinquance ou les conduites antisociales.

Les conflits

28Les conflits constituent des situations de confrontation entraînant des répercussions émotionnelles négatives comme la frustration, la colère ou l’humiliation. La notion de conflit implique qu’il y a opposition, mais dans le cas des relations entre parents et adolescents les conflits sont souvent unilatéraux et les adolescents les subissent passivement (Collins et Laursen, 1992) : « Ma mère se fâche, me menace et monte sur ses grands chevaux. — Et toi qu’est-ce que tu fais ? — Moi, je me tais et j’attends que l’orage passe. »

29Les conflits entre parents et adolescents sont inéluctables, pour plusieurs raisons qui se conjuguent. La recherche constante d’autonomie, qui constitue une réalité centrale de l’adolescence, entraîne d’inévitables heurts entre parents et adolescents sur la conception des droits, des autorisations ou de l’âge des permissions. Le pouvoir ne se répartit pas également et les malentendus sont nombreux : les parents estiment qu’ils accordent de nombreux privilèges et que les décisions se fondent sur des échanges, alors que les adolescents revendiquent plus de droits et plus de place dans les prises de décision (Cloutier et Groleau, 1987). Le fait que les relations entre parents et adolescents se situent dans le cadre d’obligations augmente les risques de conflits et diminue les possibilités de résolution équitable.

30À la différence des enfants, les adolescents disposent de capacités cognitives nouvelles qui leur permettent de mettre en cause les décisions parentales et d’argumenter ; cependant, parents et adolescents ne recourent pas au même registre d’arguments. Lors des discussions, les parents font souvent appel à des règles conventionnelles, du type : « Range ta chambre, dans cette maison tout le monde le fait » ; ou « Tu ne vas pas sortir dans une tenue pareille, qu’est-ce que les gens vont penser ? » De leur côté, les adolescents adoptent ce que Smetana (1989) appelle une « juridiction personnelle », en répliquant : « Ma chambre, c’est chez moi et ce que tu appelles désordre me convient » ; ou « Je me sens bien dans cette tenue et je me moque de l’avis des voisins. » Les parents sont motivés par un souci de conformité sociale, ils connaissent les exigences de la vie en société et veulent que leurs enfants assimilent ces règles, car cela conditionne leur succès et leur adaptation sociale. Les adolescents opposent à ces propos, qu’ils jugent conformistes, un discours d’affirmation personnelle qui soutient leur recherche d’individuation. La confrontation est inévitable.

31Les conflits font partie de la vie quotidienne des familles où vivent des adolescents. Parents et adolescents reconnaissent ce fait, tout en soulignant souvent le caractère mineur de ces désaccords : « C’est certain, nous avons nos petites disputes, mais cela finit toujours par s’arranger. » Les conflits peuvent assumer des fonctions positives dans le processus qui mène à l’âge adulte, mais ils peuvent aussi avoir des effets dévastateurs sur le développement des adolescents. Les conflits peuvent favoriser la mise en place d’interactions familiales mieux appropriées lorsqu’ils expriment des désaccords transitoires. De tels conflits exercent des pressions auprès des partenaires, ils peuvent modifier les exigences parentales et la négociation peut contribuer à l’acquisition des compétences sociales des adolescents. Le caractère fonctionnel ou dysfonctionnel des conflits dépend essentiellement du type de climat relationnel qui prévaut dans la famille. Ainsi, la confrontation des points de vue avec les parents permet aux adolescents de s’affirmer, à condition que ces confrontations aient lieu dans un climat familial ouvert, favorisant l’échange de points de vue personnels et tolérant les opinions divergentes (Grootevant et Cooper, 1986). C’est lorsqu’ils surgissent dans un climat de tension et d’hostilité persistantes que les conflits ont des effets défavorables sur le développement. Plusieurs travaux démontrent que la présence de conflits fréquents et sévères entre parents et adolescents constitue un signe de dysfonctionnement familial, qui s’accompagne de difficultés chez les adolescents. Ces difficultés varient selon le sexe. Les garçons vont alors fuir un milieu familial hostile pour se retrouver avec leurs pairs et s’engager plus souvent dans des comportements déviants ; les filles auront plutôt tendance à intérioriser leurs problèmes, sous forme de symptômes dépressifs (Barrera et Li, 1996 ; Collins, 1997).

32Patterson (1982) s’est attaché à analyser les modes d’interactions entre parents et enfants qui dominent dans ce qu’il nomme les familles « coercitives ». Il entend par là ces familles qui règlent leur différends en recourant à l’agressivité et à la violence. Deux cas de figure illustrent son propos. Dans le premier cas, le parent tente d’imposer une conduite à l’enfant ou refuse d’accéder à une exigence qu’il juge inacceptable ; il se voit répondre par une montée de l’agressivité chez l’enfant, qui crie, conteste et s’agite ; pour éviter que la crise ne dégénère, le parent bat en retraite. Dans le second cas, c’est le parent qui formule des reproches et des menaces, l’enfant ou l’adolescent nie les faits, conteste violemment ou se pose en victime, le ton monte et le parent rompt la discussion en frappant l’enfant, ramenant ainsi la paix au foyer. Dans les deux cas, le parent s’adresse à un enfant ou à un adolescent difficile, impulsif, tolérant peu la frustration ; et dans les deux cas le gagnant est celui qui fait usage de l’agressivité. Ces modes d’interactions familiales sont propices à l’apprentissage de l’agressivité, car l’enfant ou l’adolescent qui vit dans un tel contexte intériorise une règle de conduite qui lui indique que l’agressivité et la violence constituent des moyens adéquats pour régler les conflits. Les travaux de Patterson et de son équipe confirment qu’une famille qui règle ses différends de façon coercitive favorise l’émergence de comportement agressifs chez les enfants et les adolescents, non seulement au sein de la famille, notamment auprès de la fratrie, mais également à l’extérieur, à l’école et avec les compagnons de jeu (Bank, Patterson et Reid, 1996).

La mesure des conflits

33La méthode classique d’évaluation des conflits consiste à demander aux adolescents, aux parents ou aux deux groupes d’identifier, dans la liste qu’on leur procure, le nombre de fois qu’une question a donné lieu à des confrontations et de mesurer le niveau d’intensité de ces confrontations (Printz et al, 1979). Cette façon de faire permet d’évaluer la fréquence des conflits, mais ne renseigne pas sur leur effet émotionnel. L’incidence émotionnelle des conflits constitue une dimension majeure lorsqu’on veut savoir quel est le rôle des conflits dans le développement car, plus que la fréquence des conflits, c’est le degré de tristesse et de frustration, les sentiments de colère ou d’injustice que les conflits soulèvent chez ceux qui les vivent qui doivent être pris en compte (Laursen et Collins, 1994).

34Le questionnaire mis au point par Printz et al (1979) a été abondamment utilisé pour étudier les conflits chez les adolescents, particulièrement dans les relations familiales. D’autres auteurs proposent, par exemple, à une mère et à sa fille de discuter d’un thème « chaud » qui fait habituellement l’objet de conflits ; les échanges sont enregistrés et évalués selon une grille préétablie. Cependant, de l’avis même des parents et des adolescents, ces mises en situation sont artificielles et très différentes de la vie réelle. On négocie davantage, on évite les confrontations et on cherche des compromis (Robin et Foster, 1989).

35Le conflit est une réalité dyadique, il implique une opposition entre deux protagonistes. Il paraît donc important de recueillir des informations auprès de chacun des partenaires afin de brosser un portrait qui soit plus proche de la réalité. Mais ici encore on se heurte à la question de la discordance entre les informateurs, comme on l’indiquait plus haut dans ce chapitre, car parents et adolescents font une lecture différente de la réalité. On constate, par exemple, que la concordance est réduite lorsqu’on examine la fréquence des conflits (Robin et Foster, 1989) : les adolescents ont tendance à surévaluer la fréquence et l’intensité des conflits, alors que les parents ont tendance à minimiser ces événements. Cela s’explique par le rôle et la position de chacun, les parents insistant sur l’intention éducative de leurs interventions et de leurs discours, alors que les adolescents dénoncent les aspects négatifs de ce qu’ils perçoivent comme des reproches ou des intrusions dans leur vie personnelle.

L’évolution des rapports avec les parents durant l’adolescence

36L’évolution des rapports entre parents et adolescents se caractérise à la fois par la continuité et le changement : continuité des fonctions essentielles exercées par les parents et changement des modes d’interaction entre parents et adolescents (Collins et Luebker, 1994). Les fonctions de support et d’attachement se révèlent essentielles tout au long de l’adolescence et les données de recherche indiquent clairement que la majorité des parents offrent le soutien requis de façon adéquate et ininterrompue durant l’enfance et l’adolescence. Si l’attachement se maintient, les modes d’interaction entre parents et adolescents évoluent considérablement durant l’adolescence. Une chute spectaculaire, et constante, du temps passé en famille de l’âge de 10 ans à l’âge de 18 ans et donc une forme de désengagement à l’égard de la famille, au profit du temps passé à l’extérieur, peuvent être observées. Le temps consacré à des activités communes ou à des conversations avec les parents diminue très sensiblement et constamment (Larson et al., 1996).

37La distance affective entre adolescents et parents se creuse au moment de la puberté, alors que les amis prennent une place grandissante dans la vie sociale et émotionnelle. Cette distance augmente pour atteindre un sommet vers l’âge de 15 ou 16 ans et diminuer au début de la vingtaine (Collins et Russel, 1991). Ainsi, l’adolescence constitue très souvent une période éprouvante pour les parents ; durant le cycle de la vie conjugale, c’est au moment de l’adolescence de leurs enfants que la satisfaction des parents est au plus bas (Argyle et Anderson, 1985).

38Les liens entre parents et adolescents évoluent à partir d’un modèle de relations dominées par l’exercice unilatéral de l’autorité parentale au cours de l’enfance, vers un modèle de négociation coopérative qui définit idéalement les relations au début de l’âge adulte (Youniss et Smollar, 1985). C’est ce qu’illustre l’exemple suivant. Lorsque la mère de Manon, huit ans, lui dit de rentrer et d’aller se coucher, Manon déclare tristement à ses amies ; « Je dois rentrer. — Pourquoi ?, demandent ses amies. — Parce que ma mère le veut. » L’autorité maternelle s’impose comme une fatalité. Mais les choses changent à l’adolescence et Manon va progressivement revendiquer sa part dans les prises de décision, elle argumentera et tentera de démonter le système d’autorité maternelle. Au début de l’âge adulte, lorsque la mère de Manon recommande à sa grande fille de 21 ans d’être discrète en rentrant à la maison, la nuit, « car tu connais ton père, un rien le réveille et cela le rend furieux », Manon la rassure en disant : « Ne t’inquiète pas, maman, je rentrerai par la porte arrière, sans bruit, comme une souris. » La coopération et l’interdépendance imprègnent désormais les rapports entre la mère et sa fille.

39Collins et Luebcker (1994) se sont intéressés à l’évolution des interactions familiales et ils proposent un modèle de « violation/réarrangement » pour rendre compte de l’évolution des rapports entre parents et adolescents. La revendication de liberté et d’autonomie qui s’exprime de plus en plus durant l’adolescence occasionne une constante violation des règles familiales, ce qui entraîne conflit, contestation et négociation, pour déboucher sur un réaménagement des attentes parentales et une redéfinition de la relation entre parents et adolescent. Ce modèle peut être illustré à l’aide d’un exemple familier aux parents d’adolescents ; il s’agit des heures de rentrée, lors des fins de semaine. Les ententes à ce sujet sont régulièrement transgressées : « J’avais dit n heures et regarde la montre, il est presque minuit ! » Les jeunes vont s’expliquer, argumenter, revendiquer une rentrée plus tardive et continuer à dépasser les heures convenues, jusqu’au jour où les parents vont réviser les règles : « Au fond, il, ou elle, est raisonnable, on pourrait lui permettre de rentrer plus tard, peut-être minuit. »

Différences entre les sexes

40La question des différences entre les sexes se pose fréquemment lorsqu’on aborde les relations entre parents et adolescents. Garçons et filles entretiennent-ils les mêmes modes de relations avec leurs parents ? Observe-t-on des différences selon le sexe du parent ? Qu’en est-il des dyades mère/fille et père/fils ?

41Dans l’ensemble, les chercheurs constatent que les relations affectives qu’on tisse avec chacun des parents sont similaires pour les deux sexes ; garçons et filles expriment un niveau comparable d’attachement et de proximité envers la mère et le père (Oliveri et Reiss, 1987 ; Hill et Holmbeck, 1987). Des différences apparaissent au niveau du contrôle : les filles se sentent plus étroitement surveillées par les parents, elles estiment qu’ils sont moins tolérants et qu’ils leur imposent plus de restrictions. Cela traduit une réalité objective, si les filles revendiquent plus d’autonomie que les garçons, c’est que le contrôle parental s’exerce sur elles de façon plus serrée, car les parents contemporains entretiennent des exigences plus sévères dans le cas des filles pour les heures de sortie ou la fréquentation des amis.

42Les différences les plus marquées apparaissent lorsqu’on examine le sexe du parent. Les adolescents, garçons et filles, expriment plus de proximité envers la mère, qui apparaît comme le personnage familial central sur le plan affectif ; les contacts avec la mère sont plus nombreux et plus longs et les conversations plus intimes qu’avec le père (Claes, 1998 ; Collins et Russel, 1991 ; Noller et Callan, 1990). Le père occupe une position sensiblement plus faible lorsqu’on s’attache à des éléments comme le temps passé ensemble, les activités partagées ou le degré d’intimité des conversations. Le tableau s’inverse pour les conflits, garçons et filles ayant plus de conflits avec la mère qu’avec le père. Montemayor et Hanson (1985) expliquent ce fait par une présence réduite des pères dans les tâches de supervision quotidienne : les pères étant moins présents, les occasions de confrontation sont moins nombreuses. Les mères sont également plus engagées dans la vie affective et relationnelle des jeunes, elles sont plus perturbées lorsque les choses tournent mal, leur bien-être psychologique est plus affecté que celui du père par les conflits familiaux et par l’expression de détachement à l’égard de la famille (Steinberg, 1987).

43La réflexion sur les dyades mère/fille ou père/fils s’alimente à diverses hypothèses psychanalytiques qui supposent une intensification des difficultés au sein des dyades de même sexe (Chodorow, 1978). Au terme d’une revue des travaux consacrés à cette question, Collins et Russel (1991) mettent en doute cette théorie, ils observent que si toutes les relations parents/adolescents connaissent des difficultés passagères au terme de la puberté, les dyades de même sexe ne semblent pas plus problématiques que les autres. Une dyade paraît plus particulièrement marquée par des tensions persistantes : la dyade père/fille. Plusieurs explications ont été avancées pour rendre compte de ce phénomène, y compris celles qui concernent l’interdit de l’inceste. Plusieurs auteurs voient plutôt ces tensions comme le fruit du manque d’« expressivité » affective des pères qui, ne pouvant répondre aux attentes de proximité émotionnelle de leurs filles, suscitent dépit et frustrations (Youniss et Ketterlinus, 1987).

Le divorce parental à l’adolescence

44Comme on le signalait au début de ce chapitre, le nombre de divorces a constamment progressé au cours des dernières décennies, au point que près d’un adolescent sur trois vivra la séparation de ses parents avant 16 ans. De nombreuses études ont cherché à saisir quelles étaient les répercussions du divorce auprès des enfants et des adolescents, en examinant des dimensions telles que l’adaptation psychologique et sociale, le concept de soi, les résultats scolaires et l’univers des relations sociales. Les conclusions de ces études sont loin d’être convergentes (Amato et Keith, 1991).

45L’étude de Wallerstein et Kelly (1983) a longuement dominé la réflexion dans ce domaine, en soulignant les effets dévastateurs et les conséquences dramatiques et durables du divorce des parents sur toute la vie psychologique et sociale des enfants et des adolescents. Les auteurs ont entrepris une étude clinique auprès de familles ayant vécu le divorce et qui recherchaient de l’aide. La valeur méthodologique de cette étude a toutefois été sérieusement mise en doute. On a particulièrement reproché les biais qui ont prévalu lors de la composition de l’échantillon, l’absence d’un groupe contrôle n’ayant pas connu de divorce et l’absence de mesures systématiques au profit d’une sélection de témoignages rapportant les propos les plus dramatiques. D’autres travaux, menés notamment par Hetherington et al. (1989) et par Emery (1999), ont examiné les effets du divorce de façon plus rigoureuse. Ils ont débouché sur des conclusions plus nuancées : la séparation parentale déclenche une crise porteuse de stress pour les enfants et les adolescents et occasionne des difficultés sur le plan émotionnel, relationnel et comportemental. Généralement, ces problèmes se résorbent après une période qui dure environ deux ans, au terme de laquelle les enfants et les adolescents s’adaptent généralement à leur nouvelle situation familiale. Amato et Keith (1991) ont passé en revue plus de 90 études consacrées à près de 13 000 enfants et adolescents ; ils ont constaté que le divorce engendre une série de problèmes d’adaptation psychologique, tels que sentiments de tristesse, réduction du bien-être personnel, baisse du rendement scolaire et des ambitions professionnelles, diminution du réseau social, mais que la présence de problèmes graves et persistants est rare. Deux risques majeurs menacent la famille lorsque les parents se séparent : l’appauvrissement matériel et social et la présence de conflits (Saint-Jacques, Drapeau et Cloutier, 2000). Le départ d’un parent, le plus souvent du père, peut diminuer de façon importante les revenus familiaux ; ce départ entraîne également une réduction, sinon une perte, des contacts avec tout un pan de la famille élargie. Si le divorce est souvent choisi comme solution pour résoudre des conflits jugés insupportables, il ne met pas fin à ces conflits ; au contraire, les déchirements, la détérioration du climat, les conflits d’allégeance envers l’un ou l’autre parent caractérisent souvent la période qui suit la séparation.

46La question de savoir si le divorce affecte plus les garçons que les filles est controversée. Il semble que garçons et filles éprouvent des difficultés de nature différente lors du divorce et de la reconstruction familiale (Saint-Jacques, Drapeau et Cloutier, 2000). Les garçons seraient plus affectés par le départ d’un parent, le plus souvent le père, que les filles ; en revanche, les garçons s’accommoderaient mieux que les filles de la réorganisation familiale, lorsque la mère trouve un nouveau compagnon. Une observation ressort clairement des recherches : parmi les groupes d’âge, les adolescents sont les plus affectés par le divorce parental. Deux facteurs expliquent ce fait. Les adolescents auraient gardé un souvenir plus vif des événements car, à la différence des jeunes enfants, ils gardent en mémoire les conflits qui ont déchiré la famille. Tout ce qui relève de l’exercice de l’autorité et de la gestion des conflits lors de la revendication d’autonomie de la part des adolescents constitue une autre source de difficultés, car l’absence d’un parent contribuerait à exaspérer les sources de tension familiale (Saint Jacques, Drapeau et Cloutier, 2000).

Les différences culturelles

47Au terme de l’analyse de données auprès de multiples cultures, l’universalité des relations d’attachement et la prédominance, à travers toutes les cultures de la planète, de relations parentales fondées sur l’amour, l’affection et le support ressortent clairement (Van Yzendoorn et Kroonenberg, 1988). La présence de conflits entre parents et adolescents constituerait une autre donnée qui semble universelle. On pourrait penser que les antagonismes entre la génération des adolescents et celle des parents représentent un phénomène propre aux sociétés occidentales modernes. Rien n’est moins vrai, déclarent Schlegel et Barry (1991), qui, à partir d’observations anthropologiques réalisées auprès de 186 sociétés préindustrielles, constatent la présence de conflits entre parents et adolescents dans la majorité des sociétés.

48La culture constitue pourtant un important facteur, qui différencie et structure les multiples dimensions de la vie familiale, comme la cohésion familiale, l’exercice de l’autorité parentale ou l’usage des sanctions. La plupart des travaux qui examinent l’influence de la culture sur les relations sociales s’appuient sur les notions d’individualisme et de collectivisme (Berry et al, 1992). La société nord-américaine entre dans le groupe qui valorise les dimensions individualistes ; les parents accordent une importance accrue au développement de l’autonomie et de l’indépendance chez l’enfant et l’adolescent. On insiste sur les objectifs personnels ; l’initiative et l’autonomie sont considérées comme des signes de maturité et sont fortement préconisées dans l’éducation. D’autres cultures valorisent les dimensions collectives et mettent l’accent sur les valeurs familiales, telles que le respect de l’autorité parentale, le support mutuel et l’allégeance à la famille (Cooper, 1994). La plupart des sociétés asiatiques et latines répondent au second modèle.

49L’exercice de l’autorité parentale, la tolérance à l’égard de certaines réalités propres à l’adolescence, comme la fréquentation des amis, les relations avec l’autre sexe, les relations sexuelles ou l’usage de sanction en cas de transgression des règles, tout cela donne lieu à d’importants écarts entre les cultures. Youniss (1994) a dégagé les principes centraux de la « philosophie démocratique » qui prédominent dans la culture éducative familiale nord-américaine ; depuis longtemps, les parents de la classe moyenne ont délaissé les méthodes punitives et ont adopté les méthodes psychologiques, qui font appel au raisonnement, au libre arbitre de l’enfant et à son sens des responsabilités. D’autres cultures, notamment les cultures latines et asiatiques, définissent les rapports parentaux de façon plus formelle et recourent plus souvent à des pratiques marquées par des approches autoritaires et punitives (Cooper, 1994). Il faut également souligner l’extraordinaire variation entre les cultures quant aux modes de sanctions que les parents réservent aux adolescents. On sait par exemple que dans certaines cultures les punitions corporelles sont fréquentes et valorisées comme mode de contrôle des enfants et des adolescents, alors que ces pratiques sont fermement condamnées dans d’autres cultures (Qasem et al., 1998 ; Youniss, 1994).

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50La famille contemporaine a connu depuis une trentaine d’années des bouleversements qui se traduisent par l’évolution spectaculaire de multiples indicateurs démographiques : une baisse de la natalité, une augmentation du nombre de divorces, de la monoparentalité et des familles reconstituées. La famille continue néanmoins d’avoir une influence considérable sur le développement des enfants et des adolescents et la qualité des liens qui rattachent les parents et les adolescents reste le meilleur indice de l’adaptation psychosociale à cette période de la vie.

51Être parent comporte deux fonctions principales : l’attachement et le contrôle. La façon d’exercer chacune de ces fonctions a d’importantes répercussions sur le développement des adolescents. Nombre d’études ont établi des liens très clairs entre la qualité de l’attachement parental et le développement des individus, alors que le détachement ou la rupture des liens affectifs entraînent des conséquences fâcheuses pour l’adaptation et la santé mentale. Le rôle du contrôle sur le développement est plus controversé, car ce terme fait appel à des notions contradictoires : le contrôle inductif vise le développement de l’autonomie et la prise de responsabilité personnelle, alors que le contrôle coercitif impose des règles et des sanctions de façon autoritaire ; le contrôle comportemental encadre la vie quotidienne des adolescents, alors que le contrôle dit psychologique envahit de façon intrusive l’univers privé des adolescents et limite l’accès à la maturité émotionnelle. L’exercice optimal du contrôle parental se situe entre deux extrêmes, car l’excès autant que l’absence de contrôle se révèlent pénalisants pour le développement des adolescents.

52Plusieurs styles ont été définis à partir des deux fonctions parentales : l’attachement et le contrôle. Ici encore, l’exercice d’un style éducatif qui associe les demandes parentales et le contrôle ferme d’une part, les réponses chaleureuses et l’affection d’autre part, se révèle d’une remarquable efficacité lorsqu’on examine des dimensions telles que les résultats scolaires et professionnels et la maturité sociale.

53Les conflits entre parents et adolescents sont inévitables, et cela pour plusieurs raisons qui tiennent au développement même des adolescents engagés dans la recherche d’autonomie ; ceux-ci disposent de capacités cognitives nouvelles, leur permettant d’argumenter et de faire valoir leur point de vue. Pourtant, le tableau qui se dégage lorsqu’on examine les familles avec adolescents est relativement harmonieux. Parents et adolescents reconnaissent l’existence de conflits, mais considèrent que ceux-ci n’entament pas gravement le climat familial, car si les revendications d’autonomie des adolescents représentent une constante source de confrontation, l’autonomie favorise la négociation et impose une redéfinition des attentes parentales. Les conflits peuvent donc assumer des fonctions positives dans le développement des adolescents et soutenir l’évolution des interactions familiales. Les conflits entraînent toutefois des effets défavorables sur le développement lorsqu’ils surviennent dans un climat familial marqué par la tension, l’hostilité et la coercition.

54Le niveau d’attachement et de proximité affective à l’égard de chacun des parents est comparable dans le cas des filles et des garçons, c’est le sexe du parent qui influence le plus les relations : la mère se révèle être la personne centrale pour ce qui est de la proximité et de l'affection, alors que le père occupe généralement un rôle plus distant sur le plan affectif et relationnel. La culture constitue finalement un puissant facteur qui modèle et structure les pratiques parentales durant l’enfance et l’adolescence. Si l’attachement caractérise universellement les liens parentaux, l’exercice du contrôle auprès des adolescents varie énormément selon les cultures ; le modèle démocratique, qui met l’accent sur la négociation et la participation de l’adolescent aux prises de décision, est préconisé dans la plupart des sociétés occidentales, mais d’autres cultures définissent les rapports de façon plus rigide et adoptent plus souvent des approches autoritaires.