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L'univers social des adolescents

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Michel Claes

Première partie. Les relations interpersonnelles à l'adolescence

3. L’attachement et les relations interpersonnelles à l’adolescence

Texte intégral

1Un lien intense et unique unit les parents et les enfants. L’attachement parental est sans aucun doute le plus puissant de tous les liens qui mettent en rapport les êtres humains : les amitiés passent, l’amour et la passion amoureuse s’estompent avec le temps, alors que l’attachement qui relie les parents et les enfants subsiste tout au long de l’existence. Les liens d’attachement se tissent très tôt, dès la naissance de l’enfant, ils se maintiennent durant toute l’existence, jusqu’à la mort des parents, et même au-delà. Mais il y a plus, car les modalités de l’attachement qui se sont mises en place durant la petite enfance vont persister au-delà de l’enfance, à l’adolescence et à l’âge adulte, elles vont modeler et structurer toutes les relations ultérieures : les relations amoureuses, les amitiés et les liens que, comme parent, la nouvelle génération nouera avec ses propres enfants.

La théorie de l’attachement

2C’est un psychanalyste anglais, John Bowlby, qui a formulé, au cours des années 1960, les premiers éléments de la théorie de l’attachement humain. Deux sources ont surtout alimenté sa réflexion : ses propres travaux sur les orphelins de guerre et les travaux que les spécialistes de l’éthologie avaient entrepris pour comprendre comment se construisait l’attachement chez les animaux (Tarabulsy et al, 2000).

3Bowlby (1969) a été frappé par le rôle crucial que jouent les relations avec des figures stables dans le développement psychologique de l’enfant en observant que, chez les orphelins de guerre, l’absence de relations avec les parents ne pouvait être compensée par les soins prodigués par des adultes au sein des orphelinats, quelle que soit la qualité de ces soins. La sécurité émotionnelle qui assure le fondement de l’appareil psychique, selon lui, se construit à partir d’une relation stable entre l’enfant et ses parents. Il s’est inspiré également des travaux de l’éthologie, et notamment des travaux célèbres de Lorenz et de Harlow qui ont observé dans de nombreuses espèces animales la présence, dès la naissance, d’une organisation comportementale ayant pour but de maintenir la proximité physique entre le petit qui vient de naître et ses parents.

4Chacun a pu voir comment se comporte une chatte lorsqu’elle est séparée d’un de ses chatons. Le chaton égaré se met à pousser des cris de détresse stridents, ce qui a pour effet immédiat de causer une extrême agitation chez la mère : elle quitte la litière, abandonne les autres chatons, se met à chercher partout son petit en poussant des cris plaintifs. Lorsqu’elle repère le chaton égaré, elle le prend dans sa gueule et le ramène au bercail. La mère se met à lécher vigoureusement le chaton, qui cesse bientôt de gémir pour se mettre à téter et retrouver le calme.

5On voit à travers cet exemple qui peut être reproduit cent fois, qu’une telle situation de séparation et de « retrouvailles » donne lieu à une série de comportements hautement prévisibles. L’éthologie parle à ce propos de système comportemental, ce qui fait référence à l’organisation d’une séquence de comportements visant des fonctions fondamentales. Le système d’attachement est activé dans des conditions bien précises : la séparation crée chez le petit une situation de détresse et les cris éveillent chez la mère une fonction de protection. Il s’agit toujours de protéger la progéniture, d’assurer la satisfaction des besoins vitaux, de les prémunir contre les dangers physiques ou d’écarter les prédateurs éventuels. L’attachement assume une fonction vitale, en garantissant un lieu de sécurité au tout début de la vie, durant la période où le petit est hautement vulnérable.

6Comme l’a indiqué Bowlby (1979), les séquences du comportement d’attachement sont très prévisibles dans le cas des animaux, mais également chez les êtres humains. On a pu repérer, dans le cas où le bébé se trouverait dans une situation de détresse, une série de comportements hautement prévisibles chez la mère et l’enfant. Les comportements dits de signalement de la part de l’enfant, les pleurs, les cris, les sourires, le babillage, tout cela a pour effet de rapprocher la mère de l’enfant, elle le prend dans ses bras, le regarde avidement, lui parle. À son tour, l’enfant manifeste divers comportements de rapprochement, il s’agrippe à la mère, recherche son regard, lui sourit.

  • 1 On ne dispose pas d’une traduction française admise par tous pour le terme inner-working model. Par (...)

7Tout ce jeu de demandes et de réponses va donner lieu, selon Bowlby (1979), à la construction d’une réalité psychique déterminante qu’il appelle inner-working models, ou modèles intériorisés opérants1. Ces modèles sont conçus comme des représentations mentales, à la fois cognitives et émotionnelles, qui structurent l’univers relationnel, mais également les perceptions et les réponses. L’accessibilité de la figure d’attachement et l’assurance de pouvoir compter sur son soutien en cas de détresse procurent à l’enfant un lien offrant la sécurité grâce à laquelle il pourra explorer avec confiance l’univers qui l’entoure. C’est également la conviction intime d’être accepté par la figure d’attachement qui constitue l’élément fondateur de la conception de soi. Enfin, ces modèles intériorisés vont persister durant toute l’existence et vont structurer toutes les relations interpersonnelles subséquentes. Bowlby (1979) conçoit ces modèles intériorisés comme des sortes de cartes ou de plans fournissant des repères qui permettent de saisir, de comprendre et de prévoir le comportement des autres, tout en élaborant ses propres réponses lors des expériences de proximité interpersonnelle.

Les modes d’attachement

8Mary Ainsworth, qui a travaillé avec Bowlby à Londres au cours des années 1960, a développé une typologie simple pour classer les liens d’attachement ; elle a mis au point une expérimentation classique appelée « situation étrange » qui propose diverses séquences de séparation et de rapprochement entre un bébé et sa mère. Une personne étrangère entre dans la pièce, la mère va quitter et revenir à plusieurs reprises, laissant le bébé tantôt avec la personne inconnue, tantôt seul. À son retour, la mère tente de rassurer le bébé. Cette situation offre de multiples sources d’anxiété pour le bébé : environnement non familier, séparation d’avec la mère, contact avec une personne étrangère, expérience de solitude. Les chercheurs s’intéressent tout particulièrement aux réactions de l’enfant lors du retour de la mère : recherche-t-il ou non la proximité et le contact avec la mère ? Comment réagit-il aux tentatives de la mère de le rassurer ? Combien de temps lui faut-il pour se calmer ?

9Cette situation expérimentale (Ainsworth et al., 1978) a été répétée de nombreuses fois un peu partout dans le monde, ce qui a permis de dégager trois principaux modes d’attachement : l’attachement assuré, l’attachement détaché et l’attachement anxieux/ambivalent. Plus récemment, on a délimité un quatrième groupe : le groupe présentant une forme d’attachement désorganisé ou désorienté (Main et Solomon, 1990).

10On ne peut éviter de s’interroger sur l’origine de ces différences. Pourquoi certains enfants développent-ils des liens d’attachement sécurisants, alors que d’autres développent un lien ambivalent, voire détaché ? Ces différences proviennent très certainement de la qualité des interactions entre l’enfant et ses parents. Deux habiletés parentales sont plus particulièrement en jeu ici : la sensibilité maternelle à l’égard des besoins de l’enfant et sa capacité d’expression lui permettant d’adapter ses réponses en fonction des réactions de l’enfant.

11Le rôle de la sensibilité maternelle dans l’établissement d’une relation d’attachement sécurisée a été mis en évidence dès les premiers travaux d’Ainsworth (1967,1989). Elle a pu constater que les mères sensibles sont attentives aux appels de l’enfant et captent adéquatement les signes de détresse, ce qui permet au bébé de recourir à la mère comme source efficace de réconfort. Une réponse prompte et appropriée aux signes de détresse aide l’enfant à acquérir un sentiment de confiance tant en la réponse maternelle qu’en sa propre capacité d’avoir une certaine emprise sur ce qui lui arrive (Parent et Saucier, 1999).

12Certains parents sont incapables de percevoir les demandes du bébé et d’y répondre adéquatement. La personnalité et surtout la santé mentale de la mère ont fait l’objet d’études systématiques qui confirment de telles incapacités (Carlson et Sroufe, 1995). La dépression de la mère constitue un de ces cas flagrants : il peut arriver que, centrée sur sa propre détresse et envahie par des sentiments de tristesse, une mère souffrant de dépression comprenne mal les besoins de son enfant et soit incapable d’y répondre. Certains événements peuvent également perturber la mise en place des conditions d’attachement, comme la séparation précoce ou de graves difficultés familiales. Mais on ne peut exclure les facteurs qui proviennent du tempérament de l’enfant : on a pu observer des bébés irritables, au tempérament difficile, qui accueillent mal les efforts déployés par les parents pour les calmer et qui, plus que d’autres, risquent de développer des formes d’attachement problématiques (Kagan, 1989).

LES QUATRE MODES D’ATTACHEMENT
Attachement assuré ou relation d’attachement sécurisée.
Les enfants regroupés sous cette catégorie jouent librement et explorent avec confiance leur nouvel univers. On n’observe pas de détresse marquée lors du départ de la mère ou lorsque l’enfant se trouve seul avec la personne étrangère. Ils expriment de la détresse lors du second départ de la mère, recherchent la proximité et le contact à son retour et se calment rapidement lorsque la mère les réconforte. Ce qui domine ici c’est la sécurité fondée sur une sensibilité réciproque entre les appels et les inquiétudes de l’enfant et les réponses affectueuses et apaisantes de la mère.
Attachement détaché/évitant. Ces bébés paraissent indifférents à la présence ou l’absence de la mère. Ils pleurent rarement pendant la période de séparation et ne recherchent guère le contact lors du retour de la mère. La sensibilité mutuelle est en question dans ce modèle et c’est la tension qui prévaut entre l’insuccès des tentatives de la mère et les réactions négatives de l’enfant. Attachement anxieux/ambivalent. Se caractérise par une alternance de recherche de contact et d’évitement. Ces enfants sont très bouleversés lors de la séparation et se consolent très difficilement au retour de la mère, malgré les tentatives de rapprochement. Ils résistent aux tentatives de contact, repoussent la mère et manifestent de la colère. Tout à la fois, ils recherchent le contact mais y résistent, sans parvenir à se consoler.
Attachement désorganisé. Ce nouveau mode d’attachement a été proposé par Main et Solomon (1990) pour caractériser un type d’interaction mère/enfant non prévu par Ainsworth. Dans certains cas, les enfants adoptent des comportements inusités comme la crainte envers le parent ou la colère extrême. Dans d’autres cas, on observe un renversement des rôles : la mère est passive et l’enfant essaie d’organiser les interactions (Moss et al., 2000). Ce qui domine ici, c’est la confusion de rôle chez l’enfant et la mère.

L’attachement, de l’enfance à l’adolescence

13Pendant les 20 dernières années, la recherche a examiné systématiquement les relations d’attachement au cours des périodes préscolaire et scolaire. Ces travaux soulèvent la question de la stabilité des liens d’attachement et ils cherchent à déterminer les effets à long terme des différents modes d’attachement qui sont issus de la petite enfance.

14Les modes d’attachement élaborés durant la petite enfance se maintiennent de façon relativement stable durant toute la vie ; les premières relations établies avec la mère vont modeler les relations ultérieures. Ce premier univers constitue une sorte de matrice d’où émerge la personne naissante ; bientôt, cette personne va engager des relations avec d’autres ; le modèle intériorisé dès le début de la vie va esquisser la façon d’aborder les autres et guider la lecture des mouvements de rapprochement ou de mise à distance de l’entourage. Selon Bowlby (1980), cette continuité s’appuie essentiellement sur la persistance des modèles intériorisés qui structurent l’univers relationnel. Lors de la formation de nouveaux liens, les individus font appel aux répertoires de relations dont ils disposent, ceux qu’ils ont intériorisés lors de la petite enfonce, même si ces relations se sont révélées destructrices. Plusieurs études soulignent la continuité des modes d’attachement durant l’enfonce et démontrent que les comportements manifestés à l’âge d’un an permettaient de prédire les catégories d’attachement à six ans (Main, Kaplan et Cassidy, 1985) et à neuf ans (Sroufe, 1988).

15Les attachements intimes avec d’autres êtres humains constituent le pivot autour duquel s’organise la vie affective d’une personne, non seulement durant la petite enfance et l’enfance, mais également tout au long de l’adolescence et durant les années de maturité (Bowlby, 1980). Durant l’enfance, les parents constituent le plus souvent les figures d’attachement centrales, mais à l’adolescence les personnes vers lesquelles s’orientent les comportements d’attachement ne sont plus les mêmes. L’individu se décentre progressivement du cercle familial, qui jusque-là constituait son principal univers, pour se recentrer dans l’univers des relations avec les pairs. Les relations avec les parents vont connaître une certaine distance, alors que les amis intimes et le partenaire amoureux prennent une place grandissante dans l’univers relationnel et qu’ils peuvent procurer de la sécurité dans le cadre de liens affectifs relativement durables.

16L’adolescence constitue un moment crucial dans l’évolution des liens d’attachement au cours de l’existence humaine (Ainsworth, 1989). C’est le temps des amitiés intenses, avec ce que cela implique de proximité, de réciprocité dans les confidences, mais éventuellement d’expériences d’isolement et d’exclusion. Trouver une place dans le groupe des amis, se faire accepter, éviter le rejet constituent des enjeux vitaux à cette période de la vie. Si la plupart des adolescents entrent aisément dans ce jeu et s’insèrent sans trop de peine dans un cercle d’amis, d’autres connaissent l’isolement, voire le rejet. Cela met en jeu une série d’atouts personnels et d’habiletés : la popularité, la faculté d’entrer en contact avec les autres et d’établir des complicités, la capacité de faire face adéquatement aux moqueries et aine railleries, si communes dans les rapports entre adolescents. L’adolescence, c’est également le temps des premiers émois amoureux et de l’engagement progressif dans des relations intimes avec un, ou une, partenaire. Des sentiments nouveaux émergent et des interrogations surgissent : suis-je amoureux(se), l’autre m’aime-t-il (m’aime-t-elle) ? Il faut poser des gestes, faire savoir à l’autre que l’on est intéressé par lui, par elle, proposer une sortie, se retrouver seul avec l’autre, meubler les silences gênants, exprimer ses désirs : premières caresses, premiers baisers. Il faut apprendre à gérer des sentiments qui peuvent être destructeurs : découvrir que l’attirance n’est pas mutuelle, faire face au refus, à la rupture, connaître les premières trahisons et les premières peines d’amour.

17Le système d’attachement amène l’individu à rechercher la proximité de personnes de confiance qui vont l’assister lors de situations de détresse. Ce système a été clairement observé lors de la petite enfance et au cours de l’enfance, mais qu’en est-il de l’adolescence ? Peu d’études ont examiné la persistance des modèles d’attachement de la petite enfance à l’adolescence et les résultats sont controversés (Zimmerman, 2000). Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette absence de concordance, notamment certains événements de vie pénibles, comme le divorce des parents par exemple, qui ont pu modifier fondamentalement la première structure d’attachement. Mais on est en droit de penser que les changements relationnels et cognitifs de l’adolescence modifient substantiellement les formes de l’attachement. C’est le cas de Zimmerman (2000), qui rapporte les résultats d’une analyse longitudinale réalisée en Allemagne qui a évalué les modes d’attachement à quatre moments de la vie : durant la petite enfance, à 6 ans, à 10 ans et à 16 ans. On constate une continuité des comportements d’attachement durant l’enfance : les enfants recherchent la proximité des parents en cas de détresse et ce système comportemental se maintient jusqu’à l’âge de 10 ans. À16 ans toutefois, face à une détresse émotive, ces personnes se tournent vers de nouvelles figures d’attachement : l’ami intime ou le partenaire amoureux.

18Si les figures d’attachement ne sont plus les mêmes, les modes d’expression changent eux aussi et revêtent une tournure cognitive. Au cours de l’enfance, les manifestations de l’attachement sont principalement de nature comportementale, ce qui se traduit par la recherche de contacts physiques avec les parents, alors qu’à l’adolescence on recourt plutôt à des représentations ou à des croyances concernant la disponibilité émotionnelle que peut lui offrir un parent ou toute autre figure d’attachement et les réactions anticipées lors d’une demande d’aide (Zimmerman, 2000). Le sentiment de sécurité s’appuie désormais sur la confiance en l’accessibilité, la disponibilité et la sensibilité des figures d’attachement ; à l’inverse, les doutes et les craintes de non-disponibilité des figures d’attachement instaureraient un sentiment d’insécurité, particulièrement en situation de détresse (Armsden et Greenberg, 1987).

Évaluer l’attachement à l’adolescence

19À l’adolescence, le système d’attachement ne peut pas être évalué par des expériences de séparation et de réunion, comme cela se faisait lors de la « situation étrange », au cours de la petite enfance. D’autres techniques ont donc été mises au point, notamment des entrevues, des « vignettes auto-descriptives » et des questionnaires.

20L’entrevue d’attachement à l’âge adulte conçue par George, Kaplan et Main (1985) a été adaptée à l’intention des adolescents (Main, 1991). On demande de décrire les relations que l’on entretient avec chacun des parents, d’illustrer ces relations à partir d’événements particuliers et de relater l’évolution de ces relations tout au cours du développement. L’entrevue amène les adolescents à se remémorer les événements pénibles sur le plan émotionnel, tels que blessures, maladie, accidents, séparation et pertes, pour voir comment les parents ont réagi lors de ces événements. D’autres questions portent sur les répercussions sur la perception de soi que peuvent entraîner les expériences vécues avec les parents. L’évaluation porte sur la capacité de se souvenir, sur le caractère globalement positif, ou négatif, des expériences rapportées et sur la manière dont les souvenirs négatifs sont intégrés de façon cohérente dans l’ensemble des relations avec les parents. Cette entrevue permet de classer les adolescents en fonction des trois modèles d’attachement fondamentaux : autonome, esquivant et préoccupé.

LES MODES D’ATTACHEMENT À L’ADOLESCENCE
(D’après Lévesque, Larose et Bernier, 2002)
L’adolescent qui présente une forme d’attachement autonome est à l’aise lorsqu’il évoque les relations vécues avec chacun des parents. Cette personne accorde de l’importance aux relations affectives et elle décrit de façon cohérente ses expériences antérieures, négatives tout autant que positives. Cette personne aborde les expériences passées et la réalité présente de façon objective, elle explore ses pensées et ses émotions en faisant preuve d’aisance et de sécurité émotionnelle.
L’adolescent qui présente une forme d’attachement esquivant tend à minimiser l’importance des relations avec ses parents dans son développement ou dans son fonctionnement actuel. Cette personne a tendance à idéaliser ces relations, sans pouvoir expliquer cette idéalisation ou l’illustrer concrètement. Elle cherche à nier ses besoins affectifs passés et actuels, en bloquant l’accès aux expériences négatives ou en atténuant l’importance de ces expériences.
L'adolescent exprimant une forme d’attachement préoccupé exprime un fort besoin d’être protégé par ses parents et cela semble affecter négativement son autonomie affective actuelle. Cette personne est tourmentée par les expériences vécues dans le passé et se révèle incapable de les décrire de façon cohérente. Le discours se caractérise par des manifestations de colère, par de la confusion cognitive et émotionnelle ou par de la passivité.

21Armsden et Greenberg (1987) ont construit un questionnaire mesurant le degré d’attachement aux parents en examinant trois dimensions : la confiance, la communication et l’aliénation. La confiance s’exprime à travers des items du type suivant : « Je peux compter sur mon père, ma mère, lorsque j’en ai besoin » ; « Elle, il m’aide à me sentir mieux quand je suis bouleversé(e). » La conviction que les parents seront disponibles en cas de détresse est particulièrement révélatrice de la qualité de l’attachement parental. « Ma mère comprend ce dont j’ai besoin » ; ou « Si mon père voit que quelque chose ne va pas, il me demande de lui en parler », ces phrases expriment la conviction intime que les parents sont soucieux du bien-être de leur enfant et sont en mesure de déceler ses préoccupations ou ses inquiétudes. Quant à l’aliénation, cela traduit un sentiment de rupture et la conviction d’être différent et incompris. On la cerne grâce à des phrases telles que : « Mes parents ne comprennent pas ce que je vis, ces temps-ci », ou « Je me sens seul, à part lorsque je suis avec mon père ou ma mère. » Hazan et Shaver (1987) proposent une série de vignettes qui, à partir de courts textes, décrivent les trois principaux modes d’attachement. Il s’agit pour les répondants de choisir la vignette qui décrit le mieux leurs réactions habituelles lors des contacts avec autrui, dans leurs amitiés ou leurs relations amoureuses.

LES TROIS PRINCIPAUX MODES D’ATTACHEMENT : VIGNETTES AUTO-DESCRIPTIVES
L’attachement assuré.
Je trouve qu’il m’est relativement facile d’être proche des autres et je suis confortable dans cette situation de proximité, dans la mesure où les autres réagissent adéquatement. Il m’arrive rarement de craindre d’être abandonnée et je ne m’inquiète pas si quelqu'un cherche à se rapprocher de moi. L’attachement anxieux/ambivalent. Je trouve que les autres refusent d’être aussi proches de moi que je le souhaiterais. Je pense souvent que les autres ne m’aiment pas réellement ou ne désirent pas rester en ma compagnie. Je désire pourtant être très proche des autres mais quelquefois, cela leur fait peur et les fait fuir.
Attachement détaché/évitant. Je me sens mal à l’aise à l’idée d’être trop près des autres. Je trouve difficile de faire totalement confiance aux autres ou dépendre d’eux. Je suis nerveux (se) quand quelqu’un cherche à être trop intime avec moi. Il arrive que des personnes cherchent à être plus proche de moi mais je ne me sens pas très bien avec cela.

22Cette procédure simple a reçu plusieurs formes de validation et les chercheurs ont pu démontrer que les individus qui se classent dans une catégorie particulière se différencient des autres dans leurs relations d’amitié, et particulièrement dans leurs relations amoureuses.

23Chacune de ces mesures, entrevues, questionnaires ou vignettes descriptives, présente la validité et la fidélité exigées de tout instrument psychologique, mais aucune d’entre elles n’est exempte de problème. L’entrevue d’attachement se révèle difficile à utiliser et à évaluer et elle suppose une formation spécifique. Comme le souligne Zimmerman (2000), cette entrevue ne mesure pas la qualité actuelle de l’attachement, mais le mode d’attachement mis en place avec les parents durant l’enfance. La méthode de Hazan et Shaver (1987) est simple, mais elle évalue un modèle relationnel plus que l’attachement en soi. Enfin, comme tout questionnaire, celui d’Armsden et Greenberg (1987) est sujet à l’idéalisation et à la désirabilité sociale.

Débats actuels et critiques

24Peu de domaines de recherche ont autant éveillé l’attention et l’imagination des chercheurs que la théorie de l’attachement. Il s’agit sans aucun doute d’une des théories les plus marquantes que la psychologie du développement ait produites au cours de la seconde partie du XXe siècle, au point de constituer aujourd’hui un horizon incontournable. Nul ne peut aborder la question des relations entre parents et enfants sans s’y référer, nul ne peut intervenir auprès des enfants sans s’intéresser aux liens d’attachement qui rapprochent les parents et les enfants (Tarabulsy et al, 2000). De multiples travaux s’inscrivant dans la perspective théorique ouverte par Bowlby et Ainsworth ont examiné l’attachement durant toute la durée de l’existence humaine : l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Ces travaux ont mis en place des outils d’évaluation et des lignes directrices qui alimentent toute réflexion portant sur les relations interpersonnelles, sur les rapports avec les parents bien sûr, mais également les amitiés et les relations amoureuses.

25La théorie de l’attachement, comme toute théorie psychologique, n’est pas sans soulever de multiples débats et controverses, tant sur le plan théorique que sur le plan méthodologique. La question de la continuité des modes d’attachement au cours de l’existence humaine constitue un point particulièrement litigieux. Les études examinant la persistance des modèles d’attachement de la petite enfance à l’adolescence débouchent sur des résultats controversés : les figures d’attachement se diversifient et les manifestations de l’attachement se modifient. L’hypothèse de Bowlby (1980), selon laquelle les modèles intériorisés opérants servent de base à l’établissement de nouvelles relations interpersonnelles, n’a reçu que des appuis mitigés (Parent et Saucier, 1999). La notion même de « modèles intériorisés opérants » qui se situe au cœur de la théorie de l’attachement est au centre de multiples critiques. Certains soulignent le manque de précision théorique du concept, d’autres relèvent l’absence de consensus quant aux fonctions, à la structure et à l’organisation même du concept (Bernier, Larose et Boivin, 2000). La validité des techniques de mesure des liens d’attachement fait également l’objet d’un vaste débat, qu’il s’agisse de la technique fondatrice de la « situation étrange » ou des autres formes de mesure effectuées par voie d’entrevues ou de questionnaires, à l’adolescence et à l’âge adulte.

  • 2 L’ouvrage publié sous la direction de Tarabulsy et al, et intitulé Attachement et développement. Le (...)

26Tous ces débats donnent lieu à des travaux de recherche très actifs qui examinent les multiples aspects de la théorie2. Comme le soulignent Parent et Saucier (1999, p. 44) : « Cette nouvelle génération de chercheurs s’annonce riche en défis à relever, mais prometteuse quant à son potentiel pour enrichir la compréhension [...] d’un modèle résolument développemental de la nature et des fonctions des relations humaines. »

Notes

1 On ne dispose pas d’une traduction française admise par tous pour le terme inner-working model. Parent et Saucier (1999) utilisent « modèle opérationnel interne », alors que Tarabulsy et al. (2000) adoptent le terme de « modèle cognitif opératoire ».

2 L’ouvrage publié sous la direction de Tarabulsy et al, et intitulé Attachement et développement. Le rôle des premières relations dans le développement humain (2000), offre un relevé très complet des travaux actuels.

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