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L'univers social des adolescents

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Michel Claes

Première partie. Les relations interpersonnelles à l'adolescence

2. Le réseau social des adolescents

Texte intégral

1Le terme de « réseau social » désigne l’ensemble des relations interpersonnelles qu’un individu entretient avec les personnes significatives de son entourage. En psychologie, on utilise fréquemment le terme de « personnes significatives » pour nommer les personnes avec lesquelles un individu entretient des relations de proximité. Les définitions varient, mais s’agissant d’adolescents, donc d’individus en croissance, les critères proposés par Blyth (1982) paraissent judicieux : une personne significative, c’est une personne qui influence l’adolescent dans ses choix, ses décisions et ses valeurs ; une personne pour laquelle il, ou elle, ressent de l’affection et/ou qui lui manifeste de l’affection ; une personne qui lui offre du support en cas de besoin ; enfin, une personne qu’il admire et à laquelle il souhaiterait ressembler. La notion de personne significative fait donc appel à l’un ou plusieurs de ces quatre critères : 1) affection (réciproque ou non) ; 2) support ; 3) influence en tant qu’agent de socialisation ; 4) modèle d’identification.

2Chacun fait appel à un nombre variable de personnes qu’il considère comme importantes sur le plan relationnel et ces relations prennent place au sein de sous-réseaux plus ou moins interreliés. Prenons le cas de Catherine, 17 ans, qui fréquente une école secondaire et réside dans sa famille. Cette famille, composée de la mère et du père, constitue un premier sous-réseau dans l’univers social de Catherine. Antoine, le frère aîné de Catherine, âgé de 24 ans, a quitté le milieu familial et cohabite avec Annie. Catherine est très attachée à son frère et à Annie ; elle fait de nombreuses visites au couple qui se rend régulièrement à la maison familiale. Cela constitue un deuxième réseau. Catherine fréquente la même école depuis cinq ans et elle a, dans cette école, un groupe d’amis qui se rencontrent quotidiennement ; ce groupe comprend trois filles, Véronique, Nathalie et Delphine, ainsi que le copain actuel de Catherine, Sébastien. Depuis plusieurs années, Catherine est membre d’une équipe de volley-ball ; Nadine, Leila et Lucie, qui font partie de cette équipe depuis près de quatre ans, sont des amies proches. Catherine considère que Nadine est sa meilleure amie ; c’est Nadine qui l’a amenée à s’inscrire au groupe de ballet-jazz, où Catherine s’est liée d’amitié avec Geneviève et Caroline. Depuis un an, Catherine travaille durant les fins de semaine à la boulangerie La baguette dorée où elle a noué des liens d’amitié avec Danielle et son copain Alex. Catherine est très attachée à sa grand-mère maternelle, qu'elle rencontre chaque semaine. L’oncle Gérard, le frère du père de Catherine, fréquente régulièrement la famille et Catherine entretient une relation privilégiée avec lui. Catherine entretient également des liens privilégiés avec Linda qui dirige les groupes de ballet-jazz. Elle la rencontre régulièrement en dehors des activités du groupe ; elle estime enfin que Lucien, le père de Nadine, sa meilleure amie, constitue pour elle une personne significative.

3La figure 1 représente la « cartographie » du réseau social de Catherine et offre une illustration graphique de l’ensemble de ses relations interpersonnelles. Toutes les personnes significatives ont été énumérées et regroupées selon divers sous-réseaux ; le réseau familial, le réseau des pairs et les réseaux des adultes apparentés et non apparentés. Ceci permet d’évaluer divers éléments, comme la taille du réseau, sa densité et son homogénéité.

4La taille est définie par le nombre total de personnes significatives dans le réseau social. Certains adolescents disposent d’un grand nombre de personnes de ce type dans leur entourage, leur réseau social est donc étendu, d’autres n’ont qu’un réseau réduit. Dans le cas de Catherine, on constate que son réseau est à la fois étendu et diversifié. En effet, on peut nommer 19 personnes significatives, dont 13 femmes et 6 hommes. Ce réseau comprend surtout des pairs du même âge, mais on compte six adultes appartenant à deux générations. Plusieurs milieux de vie sont représentés : la famille, l’école, le sport, la danse et le milieu de travail.

FIGURE 1. La cartographie du réseau social de Catherine (17 ans)

FIGURE 1. La cartographie du réseau social de Catherine (17 ans)

5La notion de densité du réseau constitue un autre indice important, car il renvoie aux rapports qui relient les personnes appartenant à plusieurs sous-réseaux ; on peut ainsi évaluer dans quelle mesure les membres se connaissent et interagissent les uns avec les autres.

6On constate que ce réseau est relativement dense puisque nombre de personnes se connaissent et se fréquentent. C’est le cas évidemment de la famille élargie et du couple que forment Antoine et Annie. Plusieurs amies de Catherine, fréquentant la maison familiale, connaissent ses parents et s’entretiennent avec eux lorsqu’ils les rencontrent. Nadine et Catherine se connaissent depuis la maternelle et Nadine fréquente la famille depuis cette époque. Lucie et Leila connaissent bien, elles aussi, les parents de Catherine, qui se chargent, avec d’autres parents, de véhiculer les filles lors des matchs de volley-ball. Nadine est une personne clé dans ce jeu de relations entre les sous-groupes, c’est elle qui a amené Catherine à fréquenter le ballet-jazz, elle connaît et fréquente Sébastien et d’autres amies de l’école, comme Delphine et Nathalie.

7La notion de recouvrement des sous-réseaux est proche de celle de densité et fait appel à l’interpénétration des sous-réseaux. La figure 2 illustre ce principe de recouvrement dans le cas de Catherine. On constate que, mis à part le groupe des amis qui travaillent à la boulangerie, tous les sous-réseaux se recouvrent d’une manière plus ou moins importante. Dans d’autres cas, l’univers familial et l’univers des amis sont totalement séparés et n’entretiennent aucun contact.

8C’est le cas du réseau social de François, garçon de 16 ans, qui a commis divers délits et a déjà eu des démêlés avec la police et le tribunal de la jeunesse (figure 3). Plusieurs amis de François sont des délinquants notoires ; sa mère a expulsé certains amis de la maison familiale et refuse que son fils conserve des contacts avec eux. L’univers familial et celui des pairs sont totalement séparés. Ce modèle se retrouve souvent chez les adolescents délinquants : les parents perçoivent les amis comme menaçants et les adolescents évitent que ces univers antagonistes se rencontrent. François fréquente une polyvalente et est inscrit à un club de karaté, mais ces univers sont totalement séparés : aucun ami du quartier ne fréquente le club et ses amis d’école ne fréquentent pas les jeunes des autres groupes.

FIGURE 2. Le recouvrement des sous-réseaux sociaux de Catherine (17 ans)

FIGURE 2. Le recouvrement des sous-réseaux sociaux de Catherine (17 ans)

FIGURE 3 Un réseau social dépourvu de recouvrement : François (16 ans)

FIGURE 3 Un réseau social dépourvu de recouvrement : François (16 ans)

9On voit, à travers ces exemples, l’intérêt qu’il y a à étudier le réseau social. En examinant tous les rapports qui relient l’adolescent et les personnes significatives de l’environnement, on cherche à saisir le jeu des forces sociales qui modèlent les comportements et structurent progressivement le développement des êtres humains. Cette façon de voir est fidèle aux idées de Vygotsky (1978) qui considère que le développement humain est la résultante de l’engagement de l’individu en croissance dans des activités partagées avec les personnes significatives de son environnement social. Dans les travaux qui adoptent une telle approche, on considère que les multiples relations qu’un individu entretient avec des personnes significatives constituent une sorte de « capital social », autrement dit, cet individu dispose dans son environnement de ressources qui lui serviront de guide et de modèle et le soutiendront dans son développement ou l’aideront en cas de difficulté (Epstein, 1983).

10Imaginons que Catherine connaisse un sérieux problème de dépression au point que sa vie scolaire, sa vie sociale et son avenir professionnel en soient menacés. On peut penser que les chances de succès d’une intervention s’en trouveront multipliées si les personnes de son entourage se mobilisent et agissent conjointement. Cette action conjointe pourra être menée si les personnes appartenant aux sous-réseaux entretiennent des liens directs : la famille peut contacter les amis et ensemble ils peuvent convenir d’une action commune. Les notions de densité du réseau social et de recouvrement des sous-réseaux s’avèrent donc cruciales. C’est sur ces principes que s’appuient ce qu’on nomme justement des interventions par réseau, qui se révèlent particulièrement adéquates lorsqu’on examine certaines formes d’inadaptation sociale ou encore des problèmes de santé mentale tels qu’alcoolisme, toxicomanie ou risques suicidaires.

11Les études indiquent que plus que la taille du réseau de support, c’est la satisfaction exprimée à l’égard de ce réseau qui présente un lien avec des indices comme le bien-être ou la santé mentale. Ce n’est donc pas le nombre de personnes entourant un individu qui compte, mais l’idée que cet individu se fait de la qualité des rapports qu’il entretient avec ces personnes, même si elles sont peu nombreuses. Sarason et al. (1983) ont constaté que le bien-être psychologique des adolescents était davantage relié à la satisfaction que les adolescents exprimaient à l’égard de la qualité du support perçu qu’au nombre de personnes auxquelles ils pouvaient faire appel en cas de difficulté. De même, Meehan, Durlak et Bryant (1993) ont observé de fortes corrélations entre la satisfaction à l’égard du support accordé par l’entourage et divers indices de santé mentale, plus qu’entre le nombre de personnes définies comme « offrant du support » et ces mêmes indices de santé mentale.

La structure du réseau social

12On peut aborder le réseau social des adolescents de plusieurs façons. Blyth (1982) propose de le subdiviser en quatre sous-réseaux plus ou moins reliés : la famille (père, mère et fratrie), les pairs (amis, amis intimes, partenaire), la famille élargie (grands-parents, oncles, tantes, cousines, beaux-frères, etc.) et les autres adultes significatifs (professeurs, animateurs de sports, voisins, etc.). Cette approche tient compte à la fois de la cohérence des interactions, des jeux d’influence et des rôles qui s’imposent dans chaque sous-réseau ; elle tient compte également de la fréquence variable des contacts. Les relations parentales sont régies par des codes et des rôles particuliers, foncièrement différents du cadre qui régit les relations entre pairs. Il en va de même en ce qui concerne les relations avec les membres de la famille éloignée ou les adultes non apparentés. Les contacts sont quotidiens dans les deux premiers cas, ils sont plus espacés dans le cas des adultes ou des membres de la famille élargie.

13Les travaux qui analysent le réseau social des adolescents adoptent généralement une approche descriptive et recourent le plus souvent à des entrevues ou à des questionnaires détaillés. L’objectif consiste à dénombrer les personnes significatives dans les divers sous-réseaux afin de comprendre la structure de l’univers social des adolescents. Ces travaux abordent souvent d’autres thèmes communs comme la fréquence et la durée des contacts, le type de support accordé et le niveau de recouvrement des divers sous-réseaux.

14Les auteurs qui ont examiné le réseau social des adolescents soulignent tous la richesse et la diversité de cet univers (Blyth, 1982 ; Bö, 1989). Les chiffres varient selon les définitions et les méthodes utilisées. En moyenne, les adolescents désignent de 15 à 25 personnes significatives dans leur univers social, mais les chiffres varient beaucoup selon les individus.

15Le réseau social des adolescents est principalement composé de pairs du même âge. Blyth (1982), qui a mené les recherches les plus approfondies sur la question constate qu’un tiers des personnes significatives nommées par les adolescents sont des pairs du même sexe ; ce chiffre atteint 40 % si on tient compte des pairs de l’autre sexe et près de 60 % si on prend en considération les frères et sœurs et les autres membres de la famille, comme les cousins et les cousines, c’est-à-dire les personnes d’âge comparable. L’importance centrale des amis dans l’univers social et relationnel des adolescents a été soulignée à de multiples reprises. Les amis remplissent des fonctions de proximité et d’intimité, ce sont les interlocuteurs privilégiés lorsqu’il s’agit de faire des confidences sur des sujets peu divulgués auprès des parents tels que la sexualité ou les conduites plus ou moins déviantes, entre autres la consommation d’alcool et de drogue (Youniss et Smollar, 1985 ; Claes, 1998).

16Les parents sont de loin les adultes le plus souvent cités comme personnes significatives. La mère est nommée par plus de 95 % des adolescents lorsqu’ils énumèrent les personnes importantes dans leur vie (Galbo, 1983). De nombreuses études ont mis en évidence la place privilégiée qu’occupe la mère au sein de la famille (Noller et Callan, 1990). Les contacts avec la mère sont les plus fréquents et les plus longs, les conversations plus intimes qu’avec les autres membres de la famille ; de plus, la mère est en général considérée comme la personne la plus proche dans la famille, tant par les garçons que par les filles (Claes, 1998).

17Le statut du père paraît plus problématique : près de 20 % des adolescents ne nomment pas le père lorsqu’il s’agit de désigner les personnes importantes et ce pourcentage est particulièrement élevé dans les familles marquées par le divorce (Hetherington et Clingempeel, 1992). Le faible niveau de proximité avec le père a été également révélé par la recherche (Youniss et Smollar, 1985). Au sein de la famille nucléaire, le père occupe presque toujours la position la plus faible parmi les divers indicateurs de proximité : on passe moins de temps avec lui, le degré d’intimité des conversations et le nombre d’activités communes est réduit. Le nombre d’adolescents qui citent le père comme la personne la plus proche chute dramatiquement du début à la fin de l’adolescence (Claes, 1998). Shulman et Klein (1993) sont d’avis que le faible niveau d’implication du père durant l’adolescence assume une fonction développementale, car cela favoriserait l’individuation, mais d’autres auteurs, tels Youniss et Smollar (1985), mettent en cause la rigidité paternelle. Alors que les mères adoptent progressivement avec leurs enfants des relations de personne à personne, les pères continuent à exercer leur autorité de façon plus rigide et s’excluent ainsi du jeu des relations interpersonnelles.

18Les membres de la famille élargie, grands-parents, oncles et tantes, cousins et cousines, sont les personnes significatives les plus fréquemment citées après les pairs, les parents et la fratrie (Blyth, 1982 ; Tyszkowa, 1993). La majorité des adolescents désignent un adulte non apparenté comme personne significative dans leur réseau social. Blyth, Hill et Thiel (1982) constatent que 75 % des adolescents américains nomment au moins un membre de la famille élargie parmi les personnes auxquelles ils sont attachés, qui les influencent ou qu’ils admirent. Ces observations rejoignent celles de Hendry (1992), en Angleterre, et de Bo (1989), en Norvège. Dans ces deux pays européens, lorsqu’on demande aux adolescents de citer des personnes significatives ou des personnes qui ont une influence sur leur vie, une majorité d’entre eux nomment des adultes apparentés, grands-parents, oncles et tantes.

19Le nombre d’adultes significatifs non apparentés est relativement faible, les adolescents ne citent en moyenne qu’une seule personne de ce type (Scales et Gibbons, 1996). Le plus souvent, il s’agit de dirigeants de mouvements de jeunesse, d’entraîneurs sportifs ou de parents d’amis. Les professeurs sont rarement désignés comme personnes significatives : un adolescent sur quatre nomme un professeur.

L’approche écologique du réseau social

20L’approche descriptive cherche à saisir la structure des divers réseaux et à cerner l’influence des personnes sur l’individu. Ce procédé n’offre toutefois pas de perspective qui puisse rendre compte de l’organisation des divers éléments du réseau social d’une manière globale et dynamique. L’approche écologique développée par Bronfenbrenner (1979) permet en revanche de mieux saisir la complexité des rapports qui relient les diverses instances sociales et de voir comment les interactions avec les diverses structures sociales affectent le cours du développement humain. Le terme d’« approche écologique du développement humain », proposé par Bronfenbrenner, renvoie à l’idée que tout être humain se développe au sein d’un environnement social particulier et que cet environnement entraîne des effets repérables sur la croissance des individus.

21Bronfenbrenner conçoit l’environnement social comme une série de structures successives emboîtées les unes dans les autres, à la manière des poupées russes (Bronfenbrenner, 1979). La figure 4 rapporte le jeu de ces diverses structures : les cercles représentent les diverses entités sociales et les flèches le jeu des influences.

22Bronfenbrenner considère que la relation entre les parents et l’enfant constitue l’unité de base de toute structure sociale. Cette dyade s’inscrit très intimement à l’intérieur de la famille nucléaire, mais également au sein d’autres structures sociales, qui peuvent comprendre aussi des membres de la famille élargie, des voisins ou des amis, bref toutes les personnes avec lesquelles la dyade parent-enfant interagit régulièrement, dans une relation de personne à personne. L’ensemble de ces interactions constitue ce que Bronfenbrenner appelle un microsystème, c’est-à-dire un ensemble de relations, de rôles et d’actions qui prennent place au sein d’un univers matériel et physique particulier.

23Les microsystèmes logent au sein de mésosystèmes. Il s’agit de la rencontre et des interrelations qu’entretiennent entre eux deux ou plusieurs micro-systèmes, la famille ou l’école par exemple. S’agissant d’adolescents, on pense tout particulièrement à la rencontre de la famille et du groupe des pairs. On peut concevoir que ces deux microsystèmes se complètent et se rejoignent, car parents et amis partagent globalement les mêmes valeurs et les mêmes aspirations dans le domaine scolaire. Mais on peut aisément imaginer un autre cas de figure dans lequel, au contraire, la famille et les amis s’opposent sur de multiples plans et se distancient. Dans le premier cas, les forces s’additionnent et offrent une cohérence favorable au développement ; dans le second cas, les discordances créent des sources de tensions et des contradictions dans le domaine des valeurs ou des perspectives d’avenir.

FIGURE 4. Les différents systèmes sociaux

FIGURE 4. Les différents systèmes sociaux

Source : Bronfenbrenner, 1979.

24Ces mesosystèmes sont à leur tour soumis à l’influence de systèmes plus vastes : les exosystèmes. Ces derniers n’agissent pas de façon directe sur l’individu en croissance, leur action s’exerce plutôt de façon indirecte sur les sous-systèmes. Il peut s’agir du lieu de travail des parents, des services communautaires ou encore des médias. Le cas des médias est éclairant quand on songe aux adolescents qui adhèrent à une sous-culture musicale telle que le rap ou le heavy metal qui, à travers les disques, les radios et les journaux spécialisés, véhicule des thèmes comme la violence ou la consommation de drogue. On peut penser que ce type de musique et cette sous-culture influence celui qui y adhère, mais le débat reste ouvert (Lacourse, Claes et Villeneuve, 2001). Ces discours risquent fort d’entrer en contradiction avec certaines valeurs familiales et de faire l’objet de discussions, de conflits et de confrontations. Généralement, c’est la tension qui domine.

25Finalement, les sous-systèmes qui viennent d’être décrits s’incrivent tous dans les macrosystèmes qui les englobent. Il s’agit des idéologies, des croyances ou, plus globalement, de la culture dominante d’une société donnée. Qu’on songe ici aux sociétés industrielles et à l’importance accordée dans ces sociétés à la possession de biens matériels et à l’influence des modèles de réussite sur l’individu en croissance, qu’il s’agisse des sources de prestige ou de l’organisation des étapes de la vie. On peut penser aussi à la place réservée à l’éducation dans une société donnée ou au rôle des diverses institutions sociales qui encadrent l’enfance et la jeunesse. On peut examiner, par exemple, la mise en place de programmes d’aide auprès des familles économiquement démunies, particulièrement des familles monoparentales. Ces programmes peuvent avoir d’importantes répercussions sociales puisqu’ils visent à resserrer les liens entre la mère et l’enfant qui constituent le noyau de base de tout l’édifice social.

26Bronfenbrenner propose une vision large qui examine le rôle de divers contextes sociaux et l’articulation de ces divers contextes au sein de l’ensemble de la société. Cette réflexion permet de saisir de quelle façon l’être humain en croissance s’insère dans les multiples rouages du système social contemporain et comment les interactions avec le système social affectent le cours du développement. Cette théorie n’est pas sans soulever d’importantes réserves et le caractère opérationnel de plusieurs concepts a été mis en cause. Les liens qu’on établit entre les divers microsystèmes, par exemple entre la famille et le groupe des pairs, paraissent souvent assez obscurs ; il en va de même pour la diversité des rôles sociaux qu’un individu peut exercer ou pour la force relative des diverses composantes des sous-systèmes (Thomas, 1992). Comme le souligne Durkin (1995), le principal intérêt théorique du modèle développé par Bronfenbrenner est d’offrir une réflexion sur la nature des systèmes sociaux et sur l’influence des divers niveaux de l’organisation sociales sur le développement de l’individu. Bronfenbrenner tient aussi compte de la réalité du monde contemporain et offre l’immense mérite de soulever des questions majeures comme celle du rôle des conditions économiques sur le développement.

Deux axes majeurs dans le développement : les relations avec les parents et avec les pairs

27Deux types de relations s’imposent dans l’univers des réseaux d’adolescence, que l’on s’attache à la fréquence des contacts ou à l’importance que ces relations revêtent dans le développement : les relations avec les parents et les relations avec les pairs. Hartup (1989) a proposé un modèle qui situe ces relations selon deux axes. Le premier axe, vertical, représente les relations entre les parents et l’enfant. Il renvoie au fait que les relations sont hiérarchiques, marquées par les obligations et l’attribution de certains rôles. Les relations familiales sont imposées, le parent doit assumer la responsabilité de l’enfant, répondre à ses besoins, c’est le parent qui décide des règles et qui exerce l’autorité ; il revient à l’enfant de se conformer à cette autorité parentale. Ce type de relation se caractérise par l’asymétrie des compétences et des pouvoirs (Youniss et Smollar, 1985). Les relations parents/enfants, dominées par l’attachement et le contrôle, assument des fonctions vitales dans le développement : l’attachement garantit la sécurité émotionnelle, permet à l’enfant d’explorer librement et d’élargir progressivement son univers, le contrôle favorise la socialisation, l’intériorisation des règles et des codes de conduite.

28Le second axe, horizontal, relève des relations avec les pairs : les relations sont caractérisées par la réciprocité des échanges et des attentes. Les relations d’amitié sont volontaires, l’interdépendance est la règle dominante, puisque chacun peut rompre une relation jugée inéquitable (Hartup et Laursen, 1991). Ces relations s’avèrent également vitales dans le développement, puisqu’elles assument des fonctions spécifiques qui ne relèvent pas des relations parentales, notamment l’acquisition des habiletés qui régissent les liens de proximité, comme les amitiés ou les relations amoureuses : la capacité d’entrer en relation avec les autres, l’engagement dans des relations de proximité et d’intimité, de même que la gestion des conflits interpersonnels.

FIGURE 5. Les relations interpersonnelles et le développement

FIGURE 5. Les relations interpersonnelles et le développement

29Ces deux relations sont fondamentales et complémentaires. L’une ne peut compenser les lacunes de l’autre. Dans les recherches portant sur l’adolescence, on a longuement considéré la famille et le groupe des pairs comme des réalités antagonistes et les modèles qui ont tenté de rendre compte des rapports entre ces deux univers ont le plus souvent mis l’accent sur les oppositions et les différences. Cette façon de voir n’est pas conforme à la réalité : en effet, ces deux instances sont intimement imbriquées et les rapports entre la famille et le groupe des pairs sont définis aujourd’hui en termes de continuité et d’influence mutuelle plutôt qu’en terme d’opposition et de conflits (Cooper et Cooper, 1992).

30Pour Collins et Luebker (1994), la question de la régulation des relations familales au cours de l’adolescence se définit par une constante négociation des droits et des devoirs. Ce modèle intègre les relations avec les pairs et les relations familiales : d’une part, les pairs alimentent une revendication constante d’indépendance et l’octroi de pouvoirs, d’autre part, les parents réévaluent périodiquement leur système de droits et d’obligations, favorisant ainsi l’autonomie progressive et la prise en charge des décisions personnelles.

31Catron et Winnykamen (1999) relèvent plusieurs études qui confirment l’existence de liens entre la qualité des relations avec les parents et la qualité des relations avec les pairs. Les enfants et les adolescents qui entretiennent des relations parentales affectueuses et sécuritaires se font plus facilement des amis, ont des interactions plus nombreuses avec les pairs et des relations mieux adaptées avec les adultes. En revanche, ceux dont les parents ont eu recours à des pratiques éducatives défaillantes éprouvent plus de problèmes dans les relations amicales et sont plus souvent rejetés par les pairs (Patterson et Bank, 1990). Catron et Winnykamen (1999) estiment qu’il faut prendre en compte les pratiques éducatives des parents pour comprendre l’intériorisation précoce des mécanismes de régulation qui régissent les relations avec les autres. L’enfant apprend également, toujours au contact des parents, d’autres modalités d’interaction, comme la maîtrise de l’agressivité et de l’impulsivité, de même que la régulation des émotions, ce qui lui permettra, comme enfant et comme adolescent, d’entrer en contact avec ses pairs et de nouer avec eux des relations satisfaisantes et gratifiantes.

Table des illustrations

Titre FIGURE 1. La cartographie du réseau social de Catherine (17 ans)
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Titre FIGURE 2. Le recouvrement des sous-réseaux sociaux de Catherine (17 ans)
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Titre FIGURE 3 Un réseau social dépourvu de recouvrement : François (16 ans)
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Titre FIGURE 4. Les différents systèmes sociaux
Légende Source : Bronfenbrenner, 1979.
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Titre FIGURE 5. Les relations interpersonnelles et le développement
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