57. Correspondance entre le père Georges-Henri Lévesque et l’abbé Lionel Groulx
18 et 24 novembre 1935
p. 414-420
Résumé
La crise économique de 1929 a aussi été une crise intellectuelle et elle a incité à de nombreux réalignements, en particulier parmi les mouvements de jeunesse. L’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (fondée en 1904), les Jeunes-Canada (fondés en décembre 1932), le groupe de la revue La Relève (fondée en mars 1934) et de Vivre (fondé en mai 1934) à Québec sont à la recherche d’un nouvel ordre des choses. Le jeune père Georges-Henri Lévesque et l’abbé Groulx, qui est déjà un maître, vont vivre leur propre crise à propos de la « distinction » que le jeune dominicain propose qu’on opère entre « action catholique » et « action nationale ». En ces temps de « spécialisation » de l’action catholique avec la Jeunesse ouvrière catholique (JOC), la Jeunesse étudiante catholique (JEC), la Jeunesse agricole catholique (JAC), le nationalisme est devenu suspect après la condamnation de l’Action française de Paris en 1926. Henri Bourassa, dont le nationalisme déjà modéré se tempère après son audience avec le pape en 1926, réplique aux Jeunes-Canada en se demandant dans trois articles du Devoir (30 avril, 9 et 15 mai 1935) si « le nationalisme est un péché ». Groulx pointe du doigt les propos de Bourassa (« Le nationalisme de M. Bourassa », L’Action nationale, mai 1935, p. 257-265) et en août Laurendeau publie, dans les Tracts des Jeunes-Canada, son plaidoyer pour un nationalisme renouvelé et pour la Laurentie, Notre nationalisme.
Le débat est significatif, car il reprend en une autre problématique la question de la défense de la foi et de la défense de la langue, thème ancien que Bourassa avait ravivé en 1910 (texte 45). Groulx soupçonne que la « distinction » ne mène à la « séparation ». L’abbé Groulx et le père Lévesque auront d’autres occasions de s’affronter : par exemple à propos du rôle du gouvernement fédéral en matière d’éducation et de culture, dans le sillage du Rapport de la Commission royale d’enquête sur les arts, les lettres et les sciences (1949-1951) dont le père Lévesque fut coprésident.
C’est à cause des pressions exercées par Groulx auprès de l’autorité épiscopale que le texte que le père Lévesque comptait publier en 1936 ne paraîtra qu’en 1941(Revue dominicaine, juillet-août, p. 230-237). Il n’est pas sans intérêt de savoir que Jacques Brassier (« Pour qu’on vive... Action catholique et action nationale », L’Action nationale, septembre 1935, p. 52-63) et André Marais (« Pour vivre... Encore l’action nationale », L’Action nationale, novembre 1935, p. 204-215) sont deux pseudonymes de Lionel Groulx...
Extrait
1Ottawa, le 18 novembre 1935
2Révérend confrère et bien cher ami,
3Vous avez sans doute reçu ma dépêche. Il m’est en effet impossible de vous envoyer, pour la prochaine livraison de la Revue, l’article dont nous avons parlé hier. Du reste, à la réflexion, je crois plus sage d’attendre les réactions que provoquera mon premier article et qui ne seront peut-être pas celles qui, au premier regard, semblent à craindre.
4Notre divergence d’opinion m’est extrêmement pénible. Je me console en pensant que nous nous rencontrons — et très intimement — dans un même amour de la vérité et dans un pareil attachement aux mêmes causes. Je vous l’avoue, j’ai vécu hier après-midi des instants qui compteront parmi les heures douloureuses de ma vie. Il est dur pour un homme encore jeune de se voir un jour obligé — pour rester fidèle à ce qu’il croit être la vérité — d’opposer sa pensée à celle d’un autre qu’il a vénéré depuis son enfance, qu’il suit encore comme un maître, qu’il estime comme un chef
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