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Radioscopie de l'information télévisée au Canada

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Denis Monière
, 
Julie Fortier

5. La répartition géographique de l’information

Texte intégral

1 Une des conditions de l’être ensemble et du sentiment d’appartenance, c’est la connaissance des différentes composantes culturelles et géographiques de l’entité nationale. Savoir ce qui arrive aux diverses parties de la communauté crée l’identification, l’attachement et la solidarité nécessaires à la formation d’une nation. Ce problème est particulièrement sensible au Canada en raison de la grande dispersion des communautés humaines et du clivage linguistique qui caractérise la population. On a d’ailleurs dans le passé reproché aux deux chaînes publiques de ne pas refléter adéquatement la réalité canadienne. Les travaux d’Arthur Siegel avaient mis au jour la sous-visibilité des diverses régions du Canada dans l’information de la SRC, ce qui avait eu pour effet d’inciter la société d’Etat à développer un réseau d’antennes régionales. Il reprochait entre autres au réseau français d’être trop québéco-centré puisqu’il y avait six fois plus de nouvelles consacrées au Québec qu’aux autres provinces canadiennes. Le réseau anglophone, quant à lui, donnait une meilleure représentation de la diversité des régions canadiennes, mais négligeait toutefois quelque peu la réalité québécoise, ne lui consacrant que 13 % de ses nouvelles.

2En 1987, Jean de Bonville et Jacques Vermette remarquaient qu’à la SRC, 40 % des nouvelles traitaient du Canada, 50 % provenaient du Québec et que seulement 10 % s’intéressaient aux autres provinces. À la CBC, ces proportions étaient de 50,8 % pour le Canada, de 18,1 % pour le Québec et de 31,1 % pour les autres provinces. La carte géographique des nouvelles télévisées que nous dressons en 1998 est sur plusieurs points différente de celle de de Bonville et Vermette. En raison des différences méthodologiques, nous ne nous avancerons pas dans une étude comparative entre les deux recherches. Il est cependant intéressant de constater que la place du Québec à l’intérieur des nouvelles à la chaîne française de Radio-Canada s’est considérablement accrue au cours des dernières années. Deux facteurs peuvent expliquer ce changement. Premièrement, depuis 1991, la chaîne publique n’est plus tenue de promouvoir l’unité nationale à l’intérieur de sa programmation. Deuxièmement, la forte concurrence avec le réseau TVA oblige la SRC à jouer la carte de la proximité. Nous nous attarderons donc dans ce chapitre à la place que prend chaque région du Canada dans les journaux télévisés.

Les provinces

3Afin de voir si la carte du Canada a changé aux différents réseaux au fil des ans, nous avons identifié le lieu où l’événement se déroulait. La place du Québec a-t-elle gagné en importance ou a-t-elle diminué aux deux chaînes françaises ? Quel est l’intérêt de la CBC pour le Québec et celui de la SRC et de TVA pour le reste du Canada ? Comment la SRC s’acquitte-t-elle de son mandat de représenter la diversité régionale ?

4Pour toutes les nouvelles se déroulant au Canada, nous avons identifié la ou les provinces où se déroulait l’événement et dont il était question dans la nouvelle. Concernant les nouvelles en provenance d’Ottawa et celles d’intérêt national — par exemple, le taux de chômage ou les nouvelles ne touchant pas une province en particulier — nous les avons classées dans la catégorie « Canada », tout en gardant à l’esprit qu’une nouvelle peut concerner plus d’une région (pour les résultats détaillés, voir le tableau 3 de l’annexe 1).

5Le Québec est omniprésent dans les nouvelles télévisées aux deux chaînes françaises. Plus de 80 % des nouvelles proviennent du Québec à TVA et plus de 60 % à la SRC. Cette proportion n’est que de 16,2 % à la CBC. Le Canada fait l’objet de 18 % des nouvelles à la SRC, de 28 % à la CBC et de 12 % à TVA. Parmi les provinces canadiennes hors Québec, c’est l’Ontario qui reçoit le plus d’attention de chacune des trois chaînes. La différence entre la proportion des nouvelles sur le Québec et l’Ontario n’est pas énorme à la CBC, le Québec étant la région la plus représentée dans The National après le Canada et l’Ontario. La Colombie-Britannique et l’Alberta récoltent les plus hauts pourcentages aux deux chaînes publiques, après le Québec et l’Ontario. Les autres provinces n’attirent que très peu d’attention. Toutes les provinces anglophones reçoivent une plus grande couverture à la CBC qu’à la SRC. Mis à part l’Ontario, les provinces anglophones sont négligées à TVA. Rappelons cependant que TVA était au moment de l’enquête une chaîne régionale et qu’elle ne diffusait pas à la grandeur du pays comme ses deux homologues. Son auditoire était donc exclusivement québécois.

6Nous avons examiné plus particulièrement la représentation des provinces en recensant les nouvelles politiques consacrées aux différentes provinces. Nous avons regroupé les trois niveaux d’activité politique (gouvernement, parlement et partis) et nous avons divisé le Canada en quatre régions : Québec, Ontario, provinces de l’Est et celles de l’Ouest (tableau 8).

7Nous remarquons une fois de plus la forte présence du Québec dans les nouvelles politiques à la SRC et à TVA. La CBC a pour sa part accordé une plus grande importance aux provinces de l’Ouest qu’aux autres régions dans le traitement de l’information politique. Le Québec arrive toutefois en deuxième place, loin devant l’Ontario. Ce résultat s’explique par la candidature de Jean Charest à la direction du Parti libéral du Québec qui, à elle seule, a fait l’objet de 24 reportages à la CBC. Ce sont les provinces de l’Est qui sont les plus négligées dans les nouvelles politiques de la CBC puisque prises ensemble, elles récoltent le même nombre de nouvelles que l’Ontario.

  • 1 Société Radio-Canada, Normes et pratiques journalistiques, Montréal, 1993, p. 30.

8Ces résultats démontrent clairement que la SRC applique dans sa représentation des régions la logique du marché plutôt que celle du mandat. La représentation des régions autres que le Québec y est très faible. Nous ne pouvons par contre affirmer que le Québec est sousreprésenté dans les nouvelles anglaises puisque la province obtient plus de visibilité que l’Ontario. Mais sans l’exceptionnelle couverture accordée à l’éventuelle arrivée de Jean Charest à la tête du PLQ, le nombre de nouvelles en provenance du Québec aurait été beaucoup moins élevé. La politique québécoise en temps normal n’attire que très peu l’attention de la CBC. Sur un total de 28 nouvelles politiques, 24 concernaient la chefferie du PLQ. La SRC de son côté accorde dans ses nouvelles politiques une place équivalente à l’Ontario, aux provinces de l’Est et à celles de l’Ouest. Cependant, en raison du nombre de nouvelles, cette attention reste marginale. La couverture de la vie politique québécoise à TVA est encore plus importante qu’à la SRC. Nous pouvons donc en conclure qu’en raison de la logique du marché et de la forte concurrence entre TVA et la SRC, la couverture de l’activité politique provinciale à la chaîne publique française se rapproche beaucoup plus de la chaîne privée que de la chaîne publique anglaise. Or, le guide des normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada stipule « [qu’] on ne doit pas accorder un poids indu aux points de vue d’une région particulière du pays. La programmation ne peut se limiter à ce que veulent savoir les auditoires les plus importants ; elle doit comprendre ce que le public a le droit et le besoin de connaître. Cela n’implique pas une indifférence à l’égard des attentes des auditoires mais la reconnaissance de la nécessité d’une information complète1. »

  • 2 Arthur Siegel, Une analyse de contenu : similitudes et différences entre les nouvelles des réseaux (...)

9Nos résultats montrent que l’information diffusée par la SRC reflète plus la réalité québécoise que la globalité canadienne. La représentation des provinces, bien que plus équilibrée à la CBC, est également sensible à l’importance des auditoires puisque les provinces les plus importantes font l’objet de plus de nouvelles. L’intérêt pour le Québec dans les nouvelles anglaises n’est certes pas relié aux cotes d’écoute mais plutôt à la question nationale. En 1977, Siegel croyait qu’en raison de l’importance du Québec pour l’avenir constitutionnel du pays, cette province était négligée dans les nouvelles télévisées anglaises : « En considérant la très grande proportion des nouvelles traitant de politique et l’importance des affaires du Québec dans la politique canadienne actuelle, on peut prétendre que la couverture du Québec est faible dans les bulletins en anglais2. »

Tableau 8 La couverture de l'activité politique provinciale

Tableau 8 La couverture de l'activité politique provinciale

N : nombre de nouvelles ; % : proportion en pourcentage

10Selon nos résultats, cette conclusion s’applique toujours aujourd’hui, dans la mesure où la chaîne anglophone s’est intéressée au Québec en raison de l’espoir suscité par Jean Charest qui devait sauver le Canada de la menace séparatiste. Il ne faut cependant pas perdre de vue que tout comme la SRC, la CBC est motivée par la logique du marché et qu’une trop grande attention accordée au Québec et surtout aux forces souverainistes pourrait paraître injustifiée aux yeux des téléspectateurs anglophones. Tout comme trop d’intérêt pour le reste du Canada irriterait l’auditoire francophone de Radio-Canada.

11L’attention accordée par chaque réseau à l’autre communauté linguistique est sensiblement la même, la SRC consacrant 17,6 % de ses nouvelles aux autres provinces canadiennes et la CBC accordant 16,5 % de ses nouvelles au Québec. Il est vrai par contre que le réseau privé s’intéresse beaucoup moins que la SRC aux provinces anglophones (6,4 %). Le statut public de la SRC explique donc cette différence de 10 points avec le réseau TVA. Il justifie également la différence de pourcentage pour les nouvelles en provenance de la capitale fédérale, la couverture accordée à la scène fédérale étant plus importante à la SRC (18 %) qu’à TVA (12 %).

12Si nous comparons la représentation du Québec par rapport à celle du reste du Canada pour l’ensemble des nouvelles, nous constatons que la SRC se démarque plus nettement de TVA en accordant 36 % de ses nouvelles au reste du Canada alors que TVA n’en consacre que 18 %. À l’inverse, la CBC consacre seulement 16 % de sa couverture au Québec. La SRC est donc la chaîne qui s’acquitte le mieux de son mandat consistant à refléter la globalité canadienne. Son schéma de représentation géographique se démarque à la fois de sa concurrente francophone et de son homologue anglophone.

Notes

1 Société Radio-Canada, Normes et pratiques journalistiques, Montréal, 1993, p. 30.

2 Arthur Siegel, Une analyse de contenu : similitudes et différences entre les nouvelles des réseaux anglais et français de la Société Radio-Canada, Ottawa, CRTC, 1977, p. 35.

Table des illustrations

Titre Tableau 8 La couverture de l'activité politique provinciale
Légende N : nombre de nouvelles ; % : proportion en pourcentage
URL http://books.openedition.org/pum/docannexe/image/12411/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 88k

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