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L'interaction professionnelle

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Yves Saint-Arnaud

Deuxième partie. La coopération

4. La concertation

Texte intégral

Rien ne sert de courir, il faut partir ensemble.

1L’importance accordée traditionnellement à la compétence disciplinaire au cours de la formation professionnelle a pour effet d’axer l’attention de l’acteur presque exclusivement sur le contenu de la rencontre au cours de laquelle il est appelé à exercer sa profession. La compétence relationnelle suppose que l’on s’intéresse également à la relation en tant que processus. Le chapitre 3 décrit les bases de la coopération : l’acteur prend la responsabilité d’établir une structure de coopération en examinant si le but qu’il poursuit (structure de pression) ou le but proposé par son interlocuteur (structure de service) peut devenir un but commun. S’il ne réussit pas, la coopération n’est plus à l’ordre du jour. Le plus souvent cependant, l’acteur réussit à trouver un terrain d’entente où chacun des partenaires trouve avantage à collaborer avec l’autre. Le plus difficile reste à faire : maintenir la structure de coopération. Il faut pour cela accorder une attention constante au processus de la relation. En plus de la règle du partenariat, objet du chapitre précédent, les praxéologues se sont donné quatre autres règles susceptibles de les aider à gérer le processus de manière à ce qu’il contribue au maintien du partenariat.

2Dans les ateliers de praxéologie, l’analyse de centaines de dialogues inefficaces a conduit à repérer les éléments du processus auxquels peut être attribué le peu d’efficacité. Le tableau 4.1 met en parallèle les erreurs les plus courantes qu’on a observées et les moyens proposés, dans ce livre, pour les éviter. Les chapitres précédents ont déjà fourni les moyens d’en prévenir deux, celui-ci et ceux qui suivront traiteront des quatre autres.

TABLEAU 4.1. Les erreurs les plus courantes

ERREURS COURANTES

PRÉVENTION

• Ne pas tenir compte des indices d’inefficacité qui permettraient de rectifier la trajectoire.

Utilisation du test personnel d’efficacité (chapitre 2).

• Demeurer dans une structure de pression ou de service : absence de but commun.

Application de la règle du partenariat (chapitre 3).

• Traiter la résistance ou la passivité sans avoir préparé le terrain.

Application de la règle de la concertation (chapitre 4).

• Cesser d’inviter son interlocuteur à réagir lorsqu’on éprouve des difficultés.

Application de la règle de l’alternance (chapitre 5).

• Tenter d’affaiblir le pouvoir de son interlocuteur.

Application de la règle de non-ingérence (chapitre 6).

• Voir dans son interlocuteur quelqu’un qui doit exécuter les avis professionnels.

Application de la règle de la responsabilisation (chapitre 7).

3La règle de la concertation, objet du présent chapitre, est particulièrement utile pour prévenir ou résoudre les deux grandes difficultés décrites au chapitre 3 : la résistance et la passivité. Même si la structure de coopération offre de meilleures conditions pour traiter ces difficultés, celles-ci ne disparaissent pas pour autant. Le danger qui guette l’acteur, même s’il a pris grand soin de s’assurer qu’il propose un but commun, est d’être ramené plus ou moins consciemment aux structures de pression ou de service lorsqu’il fait face à la résistance ou à la passivité de son interlocuteur. La règle de la concertation souligne à quel point il est important de gérer le processus de communication. Elle introduit deux concepts clés : l’entrée et la cible commune, concepts qui aident l’acteur à rester dans le champ de la structure de coopération tout au long de la rencontre. Elle se formule comme suit :

Tout au long de la rencontre, une partie de mon attention est axée sur le processus : je prends le temps de préparer le terrain par une entrée où j’associe mon interlocuteur à la structuration de la rencontre, puis je préviens ou supprime les obstacles en m’assurant qu'à tout moment, au cours du dialogue, nous poursuivons une cible commune.

4Après avoir précisé en quoi consiste la différence entre but commun et cible commune, après avoir expliqué ensuite la notion d’entrée, une réflexion sur la gestion du processus nous aidera à comprendre la règle de la concertation.

La cible commune

5La cible commune concerne le déroulement même de la relation, c’est ce qui la distingue du but commun dont il été question au chapitre précédent. Elle invite l’acteur à se demander si on continue à parler de la même chose à chaque étape du déroulement de la rencontre. La notion de but commun, objet de la règle du partenariat, précise le résultat que l’on cherche à obtenir au cours de la rencontre ; elle ne dit rien des étapes à franchir ni des moyens à utiliser pour atteindre ce résultat. Deux partenaires peuvent s’entendre, par exemple, sur la nécessité de rechercher une solution à une difficulté du client, comme dans le cas de Maurice, présenté au chapitre 3 (tableau 3.5). Le dialogue cité se termine lorsque enfin on a réussi à se donner un but commun. Mais qu’arrive-t-il ensuite ? L’acteur et l’interlocuteur n’auront pas nécessairement les mêmes attentes concernant la façon d’atteindre le résultat visé. La notion de cible commune oriente l’attention de l’acteur sur le pas à pas, l’invitant à s’assurer qu’à tout moment, au cours du dialogue, on sera sur la même longueur d’onde. Dans l’application de la règle de la concertation, l’acteur propose une façon de travailler, précise les étapes à franchir dans un ordre particulier, consacre du temps au règlement d’une difficulté particulière, etc. Par la suite, il s’assure que son interlocuteur accepte la cible de chaque séquence du dialogue, sinon il s’adapte de façon à maintenir le partenariat.

6Dans le deuxième dialogue entre Doris et madame T, présenté au chapitre 3 (tableau 3.4), l’acteur réussit finalement à définir un but commun lorsque son interlocuteur commence à discuter des difficultés de son fils, le résultat visé étant que madame T fasse un choix éclairé concernant la consultation en orthophonie pour son fils. Mais la première réaction de l’interlocutrice indique qu’il y a une résistance : « Qu’est-ce qui est si compliqué que ça ? Pourquoi est-ce que vous ne lui apprenez pas à parler en classe ? » (I.5). Bien des acteurs non avertis se jetteraient d’emblée dans la discussion, surtout s’ils attendent impatiemment ce moment depuis le début de la rencontre. Ils risqueraient de se retrouver rapidement en escalade. Pour éviter de commettre pareille erreur, Doris applique la règle de la concertation en proposant que l’évaluation constitue une cible commune : « Je vais vous expliquer ce que j’ai observé en classe ; mais j’aimerais aussi que vous me disiez ce que vous avez vu à la maison. » (A.6). Pour continuer à être considérée comme une partenaire, Doris propose que l’évaluation se fasse à deux.

L’entrée

7La notion d’entrée peut être illustrée simplement par la précaution que l’on prend en présentant ainsi des informations qui peuvent être pénibles à entendre : « J’ai de bonnes nouvelles et de mauvaises nouvelles ; par quoi voulez-vous que je commence ? » Essentiellement, il s’agit de préparer le terrain. Tout le travail de Facteur qui cherche à définir un but commun pour établir une structure de coopération fait partie de l’entrée. On verra plus loin que l’entrée comporte trois éléments : l’acteur s’assure que l’on s’entend sur la façon de définir la situation initiale, sur le résultat visé et sur la façon de travailler pendant la rencontre. On peut parler de l’entrée initiale lorsqu’on structure l’ensemble de la rencontre. Si on applique bien la règle de la concertation, on ne devrait pas commencer à discuter du contenu sans avoir atteint toutes les cibles de l’entrée.

8On utilise aussi la notion d’entrée pour décrire les procédés particuliers qui permettent à l’acteur d’annoncer ce qu’il va faire, de dévoiler son intention, de vérifier si son interlocuteur est disposé à l’écouter sur un sujet particulier, etc. Par exemple, si le client d’un thérapeute vient de faire une attribution du genre : « Je sais que vous allez me trouver lâche, mais... », l’acteur qui ne pense pas cela peut répondre d’emblée à cette remarque en corrigeant l’attribution. Il peut aussi procéder à une entrée en vérifiant si le client souhaite entendre ce qu’il pense : « Voulez-vous savoir si c’est ce que je pense de vous ? »

9Pour distinguer ce procédé de l’entrée que l’on effectue au début de la rencontre, on peut parler ici d’un « toc, toc », par analogie avec le bruit que fait celui qui toque à la porte. Le toc, toc prend parfois la forme d’une demande d’accès : il consiste à solliciter la permission d’entrer dans l’univers de l’interlocuteur, surtout lorsqu’on craint que ce qu’on dira puisse être menaçant pour lui. Nombre d’acteurs se sont rendu compte, par exemple, qu’ils ne réussissent pas à présenter leur point de vue à un interlocuteur qui parle sans arrêt : l’autre continue sans donner aucun signe qu’il prend en considération ce que l’acteur vient de dire. On réussit mieux, par contre, si on utilise un toc, toc du genre : « Puis-je vous interrompre un instant ? » Tel autre acteur sera efficace en annonçant ses couleurs, par exemple en affirmant : « J’aurais des choses à dire là-dessus si vous souhaitez les écouter. » Il est probable que si l’interlocuteur accepte explicitement que l’acteur donne son point de vue, il sera plus attentif à ce qui suivra, au cas où on lui imposerait un point de vue qu’il ne souhaite pas entendre.

10Dans la reprise du dialogue entre Doris et madame T (chapitre 3, tableau 3.4), l’acteur procède à une entrée initiale lorsqu’il annonce ses intentions pour toute la rencontre : « Je comprends vos réticences. Écoutez, j’ai une proposition à vous faire. Je vais vous expliquer ce qui peut se passer si vous décidez d’accepter une évaluation en orthophonie ; vous me parlerez de vos objections et nous chercherons ensemble à trouver quelle est la meilleure décision pour votre fils et pour vous. Êtes-vous d’accord avec ça ? » (A4). Un peu plus loin, l’acteur fait face à une nouvelle réaction défensive : « Il n’est pas malade ; le pédiatre m’a dit que le jour où il va se décider à parler, il n’aura plus de problème » (I.9). Doris poursuit son plaidoyer en ignorant l’argument présenté par l’interlocuteur. Elle aurait pu utiliser un toc, toc, en disant par exemple : « Madame T, si cela vous intéresse, je pourrais vous dire comment je réagis à cet argument. »

11Le principe qui justifie l’importance d’un toc, toc, c’est qu’une argumentation avancée sans que l’interlocuteur soit disposé à l’entendre risque de demeurer sans effet. C’est un peu comme de s’adresser à un malentendant dont l’appareil auditif est fermé. Le toc, toc est une invitation à ouvrir les oreilles. Si la fermeture de la part de l’interlocuteur ne représentait qu’une perte de temps, ce serait un inconvénient mineur, mais elle a habituellement des effets plus nocifs sur la relation. L’acteur qui ne se sent pas écouté aura tendance à blâmer son interlocuteur, à lui attribuer la responsabilité de l’échec de l’intervention. L’interlocuteur sera quant à lui privé des avis professionnels. Si un argument est perçu comme une agression, il active les réactions défensives de l’interlocuteur, tout comme l’apparition d’un microbe dans l’organisme active le système immunitaire contre la source de l’infection (St-Arnaud, 1983). Dans un atelier de praxéologie, un participant caricaturait ainsi la réaction défensive d’un l’interlocuteur : « Tout se passe comme si tu disais à l’autre : “Je ne suis pas d’accord avec ce que tu vas dire, dis-le, tu vas voir !” » Il soulignait que toute l’énergie d’une personne qui se sent mise en cause sans l’avoir accepté est mobilisée pour détruire a priori l’argumentation qu’on lui sert, sans prendre le temps de l’examiner. Avant même d’entendre ce que l’acteur avait à dire, cet interlocuteur se préparait à dire non. On dit les choses très justement lorsqu’on parle d’un dialogue de sourds.

La gestion du processus

12Les notions de cible commune et d’entrée constituent des clés pour comprendre la règle de la concertation, mais celle-ci se définit plus globalement. Elle concerne l’ensemble de la gestion du processus ; elle affecte toutes les décisions de Facteur dans sa façon de structurer et d’encadrer la rencontre. De nombreux acteurs qui ont eu des difficultés sur le plan de la relation ont reconnu qu’ils accordaient peu d’importance à la gestion du processus. Après coup, leur analyse révélait qu’il y avait des divergences entre eux et leurs interlocuteurs sur la façon de voir la situation, sur le résultat visé ou sur la manière d’atteindre ce résultat. Le problème ne venait pas de la divergence elle-même, mais du fait que cette divergence était ignorée et, par conséquent, de l’impossibilité dans laquelle on se trouvait d’en discuter et d’établir une structure de coopération. D’autres acteurs sont sortis déçus d’une rencontre parce que leur interlocuteur s’objectait à toutes leurs suggestions ; les deux protagonistes se sentaient frustrés, le client ayant l’impression qu’on ne l’avait pas aidé et l’expert déplorant qu’on n’ait pas accepté ses conseils. C’est pour éviter de se trouver face à des conséquences de ce genre que les praxéologues en sont arrivés à formuler la règle de la concertation, qui essentiellement exige de l’acteur qu’il gère le processus même de la rencontre. Cette gestion sera facilitée si on utilise une approche systémique et si on s’accorde le temps de présenter à l’interlocuteur trois cibles prioritaires au cours de l’entrée initiale.

Une approche systémique

13L’utilisation de plus en plus répandue d’une approche systémique dans les sciences humaines a contribué à faire découvrir à quel point il est l’important de gérer le processus de communication (voir Lescarbeau, Payette et St-Arnaud, 2003). Cette approche invite à tenir compte d’un ensemble d’éléments qui sont tous reliés les uns aux autres. La figure 4.1 représente l’ensemble des éléments à gérer pour qu’il y ait une concertation entre les partenaires. Le grand rectangle marque la frontière du système qui s’établit entre l’acteur et l’interlocuteur. D’une part, il représente une frontière matérielle, soit le lieu où s’effectue l’interaction ; d’autre part, il définit une frontière psychologique en fonction de l’objet qui réunit les partenaires. La frontière psychologique est définie par un ensemble de règles du jeu qu’il est utile de préciser au point de départ.

14Dès qu’une relation s’établit entre un acteur et son interlocuteur, le système est créé. Déjà il y a un input, autrement dit un traitement qui se manifeste dans le dialogue qui s’engage entre l’acteur et l’interlocuteur, et un output qu’on recherche implicitement, c’est-à-dire le but commun que la règle du partenariat a permis de définir.

15L’information qui entre dans le système est de deux ordres. Avant même que le système ne soit créé, il existe des ressources qui ne sont pas en relation les unes avec les autres, celles de Facteur et celles de l’interlocuteur. L’interaction entre ces deux types de ressources est suscitée par une situation particulière qui conduit à une rencontre ; on la désigne comme la situation initiale pour souligner ce qui, dans cette situation, est à l’origine du système acteur/interlocuteur. Les flèches en trait plein indiquent la trajectoire que l’on poursuivra pour atteindre le but commun que la règle du partenariat a permis de définir en partant du but de celui qui a pris l’initiative de la rencontre. Le but commun, lorsqu’il aura été atteint, deviendra l’output du système.

FIGURE 4.1. Le système acteur-interlocuteur

FIGURE 4.1. Le système acteur-interlocuteur

16Les façons de gérer la relation pourront varier selon les modèles utilisés par l’acteur et les situations qu’il rencontre. On peut cependant considérer que l’on facilite la coopération si on prend le temps de présenter les différentes cibles dans l’ordre indiqué dans la partie droite du schéma : les cibles de l’entrée devront être atteintes avant que l’on ne commence à traiter la situation ; les cibles du traitement seront ensuite proposées selon les étapes que les partenaires auront décidé de franchir et, finalement, les cibles de la terminaison permettront de maximiser les effets positifs de l’intervention ou d’en atténuer les effets négatifs en cas d’échec. La règle de la concertation consiste non seulement à présenter ces différentes cibles, mais à s’assurer que l’interlocuteur en voit la pertinence et qu’il accepte d’en faire une cible commune. Il est fréquent, par exemple, que l’acteur doive inviter son interlocuteur à faire preuve de patience et à prendre le temps de bien évaluer la situation avant d’amorcer la discussion des solutions possibles. Dans une gestion coopérative, même si l’acteur assume la responsabilité de gérer le processus, il le fait en partenariat et prend en considération les réactions de son interlocuteur pour s’assurer que, à tout moment, on est sur la même longueur d’onde, concentrés sur une cible à la fois.

17Une fois l’entrée terminée, l’acteur peut maintenir la concertation s’il fait le point de temps en temps, s’il présente chaque étape du traitement, annonce qu’il est prêt à passer à l’étape suivante, vérifie que son interlocuteur le suit, etc. Enfin, il veille à ce que l’interaction se termine bien, proposant, s’il y a lieu, un bilan de la rencontre et un bref échange sur les suites à lui donner.

Les cibles de l’entrée

18Les cibles dites de l’entrée sont particulièrement utiles pour établir une structure de coopération dès le point de départ, comme l’indique le texte en exergue à ce chapitre : Rien ne sert de courir, il faut partir ensemble. Faire une entrée signifie qu’avant même d’aborder le sujet de la rencontre, l’acteur invite son interlocuteur à échanger de l’information sur les trois éléments suivants : leur perception de la situation initiale (l’input), le résultat escompté de la rencontre (l’output) et la façon de procéder pour atteindre ce résultat, ce qui fait appel à la responsabilité de chacun (le traitement).

19La règle de la concertation concerne la gestion de l’ensemble du processus, mais elle accorde une importance toute spéciale aux cibles de l’entrée. Elle exige même que l’on diffère le traitement de la situation initiale (évaluation, recherche de solution, références) tant que l’entrée n’a pas été menée à bien. La comparaison entre les dialogues efficaces et ceux qui ne le sont pas a révélé l’importance des cibles de l’entrée. Plus souvent qu’autrement, on pourra dire du professionnel qui sort insatisfait d’une rencontre qu’il a raté son entrée. L’acteur avisé aura avantage à appliquer cette partie de la règle de la concertation et à s’abstenir de passer au traitement de la situation s’il n’a pas obtenu les indices suivants lui permettant de croire qu’une structure de coopération a été établie :

  • La situation initiale a été formulée ou recadrée à la satisfaction des deux protagonistes.

  • L’objectif de l’interaction a été formulé à la satisfaction des deux protagonistes.

  • La façon de travailler et les responsabilités de chacun ont été décrites à la satisfaction des deux protagonistes.

20Même si les explications qui précèdent semblent fort complexes, l’entrée peut se faire très rapidement, comme on le voit dans les dialogues cités au chapitre 3. La reprise du dialogue entre Doris et madame T (tableau 3.4) et le dialogue entre Maurice et Camille (tableau 3.5) contiennent des indications précises de ce que Facteur poursuit les trois cibles de l’entrée. Le lecteur est invité à effectuer l’exercice proposé au tableau 4.2 en indiquant pour chacun des cas les réparties qu’on peut relier à chacune des trois cibles de l’entrée. Dans la dernière ligne, il est invité à indiquer le numéro de la répartie de Facteur qui indique que l’entrée est terminée. Un corrigé présentera à l’annexe 2 une liste exhaustive des indices présents dans chaque dialogue.

21Le fait d’appliquer la règle de la concertation ne garantit pas que l’on réussira toujours à atteindre chacune des cibles de l’entrée. Parfois, l’interlocuteur sera trop fébrile ou trop troublé pour se concentrer sur les cibles de l’entrée. L’acteur devra commencer à traiter la situation sans avoir pleinement terminé son entrée ; il pourra y revenir au moment opportun si des difficultés surgissent par manque de concertation. Il arrive aussi que Facteur s’engage prématurément dans la poursuite de l’objectif sans avoir terminé son entrée et vérifié si les deux protagonistes se trouvent sur la même longueur d’onde. S’il constate alors que ce n’est pas le cas, il poursuit explicitement les cibles de l’entrée. Celles-ci sont considérées comme prioritaires, mais pas nécessairement selon l’ordre chronologique. L’acteur vise avant toute chose à maintenir la concertation et, au moindre indice de divergence à ce sujet, il invitera son interlocuteur à effectuer les changements nécessaires, en collaboration avec lui.

TABLEAU 4.2. Les indices de l’entrée

CIBLES DE L’ENTRÉE

CAS DE DORIS (tableau 3.4)

CAS DE MAURICE (tableau 3.5)

Réparties de Doris

Réparties de Maurice

Formulation de la situation initiale

Numéro :

Numéro :

Formulation d’un objectif

Numéro :

Numéro :

Précision sur la façon de travailler

Numéro :

Numéro :

L’entrée se termine par la répartie...

Numéro :

Numéro :

22Le cas de relation d’aide présenté au tableau 4.3 servira à illustrer comment un acteur peut favoriser la coopération en procédant à une entrée relativement courte dans une situation où l’interlocuteur a beaucoup de difficulté à formuler une demande qui pourrait faire l’objet d’un partenariat. Régis travaille dans un CLSC au programme Enfance, jeunesse et famille. Daniel a obtenu un rendez-vous pour une consultation. Les informations contenues dans la colonne de gauche indiquent comment l’acteur applique le principe de l’autorégulation.

23Bien qu’il soit difficile pour Daniel de parler ouvertement de son problème, Régis estime, à la fin du dialogue, qu’il a suffisamment de précisions pour amorcer les étapes du traitement. La première cible de l’entrée est proposée dès le début. L’acteur n’arrive pas d’emblée à savoir en quoi consiste le problème ; il est facile de supposer que Daniel pose une question très abstraite pour dissimuler une question très personnelle, mais tous les procédés employés par Régis ne lui permettent même pas de savoir si l’idylle qui menace le couple est celle de Daniel ou de sa conjointe. Régis décide néanmoins de se servir de cette situation très imprécise comme point de départ, se disant sans doute que le fait de reformuler la situation initiale fera très rapidement surgir les précisions souhaitées. Avant de se lancer dans l’exploration, on voit que Régis cherche à mettre en place un accord sur la façon de travailler : « Je suggère alors que tu me dises comment tu vis le problème dans ton couple à toi. Puis, à partir de ça, je pourrai t’aider à voir plus clair en toi, puis à faire des choix s’il y a lieu » (A.7). La réponse indique que Daniel ne vise pas immédiatement cette cible : « Il n’y a pas de problème actuellement, mais ça pourrait arriver... » (I.7). Régis persiste et finit par amener son interlocuteur à acquiescer. La cible est atteinte lorsque Régis obtient un « oui » (I.9) à la question suivante : « Es-tu d’accord avec la façon de travailler que je te propose ? » (A.9). La formulation de l’output désiré demeure implicite dans la phrase placée à la fin de la répartie A.7 : « [...] je pourrai t’aider à voir plus clair en toi, puis à faire des choix s’il y a lieu. » Il est probable qu’en raison de la difficulté qu’il éprouve à définir la situation initiale, Régis juge qu’il n’y a pas lieu d’insister sur l’output désiré. Il présume qu’en cours de route Daniel aura des choix existentiels à faire et que cela suffit comme formulation implicite de l’output.

TABLEAU 4.3. Le cas de Régis

TABLEAU 4.3. Le cas de Régis

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24Un praticien est souvent victime de son besoin de se sentir utile. Il a souvent hâte de mettre en œuvre sa compétence et ses habiletés à solutionner un problème. Il s’engage dans la discussion pour s’apercevoir en cours de route que son interlocuteur ne le suit pas. La règle de la concertation lui permet d’économiser tout le temps qu’il perdrait en escalade et de le consacrer à la gestion du processus. La gestion préventive demande de procéder à une entrée : les trois cibles spécifiques de cette première étape de toute intervention permettent de tout mettre en œuvre pour qu’on se concerte sur la formulation de situation initiale, sur une façon de travailler et sur le résultat souhaité (un but commun). Par la suite, la gestion courante consiste à s’assurer, tout au long du dialogue, surtout lorsque l’interlocuteur donne des signes de résistance ou de passivité, que l’un et l’autre se concentrent sur une seule et même cible. De plus, l’acteur prend soin de préparer le terrain lorsqu’il prévoit donner de l’information qui serait menaçante pour son interlocuteur ; en lui demandant la permission d’exprimer une divergence (toc, toc), il accroît la probabilité que celui-ci soit attentif à ce qu’il a à dire.

25Le tableau 4.4 rappelle la définition de la règle de la concertation, la maxime qui lui est associée, telle qu’elle apparaît en exergue au chapitre, et les indices que les praxéologues se sont donnés pour reconnaître que cette règle est bien appliquée dans un dialogue.

TABLEAU 4.4. La règle de la concertation

Gérer le processus de communication

Tout au long de la rencontre, une partie de mon attention est dirigée vers le processus : je prends le temps de préparer le Rien ne sert de courir, il terrain par une entrée où j’associe mon interlocuteur à la structuration de la rencontre ; puis je prévois ou supprime les obstacles en m’assurant qu’à chaque instant du dialogue nous poursuivons une cible commune.

Rien ne sert de courir, il faut partir ensemble

Les indices suivants indiquent que l’acteur utilise la règle de la concertation :

• Il ne discute pas du contenu avant d’avoir structuré la rencontre.

• Il présente sa perception de la situation initiale.

• Il parle des règles du jeu, des rôles de chacun, de ce qu’ils accompliront ensemble...

• Il annonce ses intentions.

• Il sollicite la permission d’entrer avant de s’opposer à son interlocuteur.

Table des illustrations

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Titre TABLEAU 4.3. Le cas de Régis
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