5. La seconde victimisation et les besoins des victimes
p. 79-89
Texte intégral
1Dès les années 1970, on commence à étudier les expériences des victimes dans le système pénal. Ces études indiquent que plusieurs d’entre elles sont mécontentes de la façon dont les instances du système pénal, telles que la police, les traitent, et que le pourcentage des victimes qui sont insatisfaites de la police est comparable au taux de mécontentement des délinquants (Junger-Tas et Zeefkens, 1978 ; Tufts, 2000) ! Ainsi, les personnes qui font appel à la police pour de l’aide sont aussi mécontentes de celle-ci que les personnes arrêtées.
2L’introduction du sondage de victimisation indique que la coopération des victimes au système pénal est faible. De nombreux crimes ne sont pas signalés à la police. Cette faible coopération a fortement motivé le développement de la recherche sur les besoins des victimes en matière de justice et l’introduction de changements en leur faveur dans le système pénal. Cependant, selon Alan Young (2001), le Canada a édifié une législation sur les droits des victimes sans avoir au préalable réalisé de recherche globale sur leurs besoins, sur la relation qui existe entre leur satisfaction et leur participation, ainsi que sur les répercussions que le processus pénal peut avoir sur leur bien-être. Il conclut que, de façon générale, la documentation canadienne aborde trop peu la question du rôle de la victime au sein du processus judiciaire. En effet, la majorité de la recherche disponible est faite à l’extérieur du Canada, surtout en Europe. Les rares études canadiennes sur ce sujet, dont plusieurs ont été faites par Micheline Baril, datent des années 1980.
la seconde victimisation
3Le concept de la seconde victimisation est introduit par Martin Symonds (1980), ancien policier et psychiatre. Dans sa recherche auprès des victimes, Symonds remarque que ces dernières passent par certaines phases, comme nous l’avons effectivement décrit dans le chapitre 4. Dès que la menace représentée par l’agresseur a disparu, la victime veut réduire son sentiment d’impuissance. Souvent, lorsqu’elle est en contact avec des policiers ou avec d’autres intervenants, elle leur transfère ce besoin. Au moment de ce contact, il arrive souvent que la victime soit encore en état de choc ; elle sera alors soumise et aura souvent des attentes qu’elle sera incapable d’exprimer. Selon Symonds, c’est cette situation qui la prédispose à une seconde victimisation.
4La seconde victimisation fait référence à une perception de la victime, selon laquelle la victime n’est pas acceptée ni soutenue par les autres. Les victimes recherchent un appui et de la chaleur humaine, mais elles sont incapables de l’exprimer, ce qui fait que ces attentes ne seront pas toujours comblées. Selon Symonds, il s’agit d’une réaction normale succédant à tout sentiment imprévu d’impuissance. La perception fautive de la victime est souvent accentuée par le comportement professionnel et distant des intervenants. La victimisation secondaire est la réaction de la victime dont les attentes, qui restent sous-jacentes, ne sont pas comblées. Elle provoque un sentiment de rejet et d’isolement.
Les victimes d’agression sexuelle
5L’une des premières études concernant le traitement des victimes dans le système pénal est la recherche d’Anne Burgess et Lynda Holmstrom sur les victimes d’agression sexuelle. Elle a été présentée au Premier Symposium international de victimologie en Israël, en 1973, et a été publiée dans le livre d’Emilio Viano et Israel Drapkin, Victimology : A New Focus (1975), sous le titre de « Rape : The Victim and the Criminal Justice System ».
6Burgess et Holmstrom ont mené des entrevues auprès de nombreuses victimes de viol et ont constaté qu’elles étaient traitées comme des coupables dans le système pénal, surtout lors du contre-interrogatoire. Selon les auteures, la tâche de l’avocat de la défense est de faire douter de la culpabilité du délinquant et d’introduire la possibilité de la culpabilité de la victime. S’il convainc le jury que la victime est coupable, il peut faire innocenter son client. Selon Burgess et Holstrom, cette approche est celle que préfèrent les avocats. Leur rapport de recherche fourmille d’exemples allant dans ce sens.
7Elles ont notamment observé, que, dans 10 des 14 cas étudiés, le comportement sexuel de la victime est discuté par la défense. Dans 9 cas, le caractère de la victime en général est relevé. Ainsi, une femme prestataire de l’aide sociale et souffrant d’un problème d’alcoolisme n’est pas considérée comme un témoin sérieux. Un autre exemple est celui d’une femme attaquée par un inconnu dans la rue. L’agresseur force la femme à le suivre dans une ruelle, puis dans une salle crasseuse et abandonnée. La victime crie et la police intervient, trouvant l’homme sur elle. Malgré tous ces faits et la présence de blessures sur le corps de la victime, l’avocat de la défense plaide qu’elle s’est prostituée. L’accusé affirme avoir donné 20 $ à la femme. Celle-ci proteste et le policier confirme ses dires en assurant qu’il n’a trouvé que 7 $ sur elle. Néanmoins, l’avocat réussit à obtenir un verdict d’acquittement de l’accusé par un jury partagé. Une autre approche populaire, selon les auteures, est de faire comprendre que la victime a inventé le crime afin d’éviter une réaction négative de la part de sa famille ou de son conjoint.
8Sous l’influence du mouvement en faveur des femmes et des recherches en victimologie, plusieurs pays ont modifié leurs lois sur l’agression sexuelle dans les années 1980. Toutefois, malgré les changements législatifs, le traitement des victimes de viol dans le système pénal est encore un enjeu. Par exemple, une étude de Susan Lees publiée en Angleterre en 1997 indique que le contre-interrogatoire est souvent dégradant ou humiliant pour la victime. Le taux de déclaration à la police reste donc faible pour ce type de crime très grave.
Les victimes d’autres délits
9Dès les années 1980, il devient clair que la réaction des autorités n’est pas seulement importante pour les victimes de crimes graves, mais également pour les victimes de délits mineurs. Par exemple, la recherche de Mike Maguire (1980) sur les victimes de cambriolage indique qu’un tiers d’entre elles sont peu satisfaites du travail de la police. Il note les principales plaintes des victimes :
- la police manifeste un manque d’intérêt ;
- elle traite la victime comme si cette dernière n’était pas importante ;
- elle traite la victime comme si cette dernière lui avait fait perdre son temps ;
- elle n’offre pas à la victime l’information concernant l’évolution de son cas.
10De plus, Maguire relève que la résolution du crime par la police ne satisfait pas les victimes. La façon dont la police les traite est plus importante que le résultat de son enquête. Plusieurs études, comme celle de Joanna Shapland et al. (1985) ainsi que celles de Cees Van de Vijver (1983 ; 1993), arrivent aux mêmes résultats : les victimes comprennent qu’il est difficile de retrouver le délinquant et que la police ne peut pas résoudre tous les délits. Cependant, si les policiers sont courtois et respectueux envers la victime, celle-ci sera satisfaite.
les besoins des victimes
11Pour éviter la seconde victimisation, il faut connaître les besoins des victimes. La recherche en victimologie indique que les victimes éprouvent différents besoins. De façon générale, on peut les regrouper en six catégories : 1) besoin d’information ; 2) besoins pratiques ; 3) besoin de réparation ou de dédommagement ; 4) besoin d’un soutien psychosocial ; 5) besoin d’un statut dans le système pénal ; 6) besoin de protection (Baril et al, 1983 ; Maguire, 1985 ; Shapland, 1985).
12La recherche concernant les besoins des victimes pose des problèmes importants. Ainsi, Maguire (1985) souligne que ces besoins ne peuvent être directement déduits des conséquences du crime. Il faut tenir compte de la perception des victimes pour éviter de faire des recommandations qui ne les satisfassent pas. Par exemple, le développement d’assurances publiques semble une solution aux pertes financières des victimes. Cependant, il est possible que ces dernières considèrent que ces pertes soient une facette de la violation par le contrevenant plutôt que de simples pertes matérielles. Dans ce cas, l’assurance publique ne répond pas au besoin des victimes et la réparation par le contrevenant est préférable. Le deuxième problème souligné par Maguire est le fait que les besoins exprimés par les victimes sont en partie déterminés par leurs attentes et par leur culture. Si la victime ignore que les effets psychologiques du crime sont normaux et qu’il existe des centres d’aide aux victimes, sera-t-elle capable d’exprimer son besoin de fréquenter de tels centres ? Malgré ces problèmes, on peut identifier quelques besoins auxquels il faut généralement répondre.
Le besoin d’information
13De l’enquête policière jusqu’à la libération du détenu, les victimes veulent être informées de la progression de leur dossier et des décisions prises. Elles ont besoin de comprendre le fonctionnement du procès judiciaire et de connaître leurs droits et les recours possibles (Baril et al, 1983). Un suspect a-t-il été arrêté ? Le procureur poursuivra-t-il le détenu ? Y a-t-il une négociation de la peine ? L’accusé est-il libre ou en détention ? A-t-il été reconnu coupable ? Quelle sentence a été rendue ? Ce sont là des informations que les victimes cherchent à connaître.
14Les victimes ont également besoin d’être préparées au témoignage. En général, les victimes et les témoins peuvent souffrir d’anxiété par rapport à leur participation au procès. De plus, l’interrogatoire et le contre-interrogatoire peuvent engendrer de nouveaux traumatismes (Baril et al., 1983). Ainsi, il est important qu’ils soient bien informés et préparés.
15Selon Maguire (1985), le besoin d’information est universel. En outre, les victimes n’ont pas seulement besoin d’être informées sur le processus judiciaire, mais aussi sur la prévention de la criminalité et sur le remboursement par l’assureur. Selon Baril et al (1983), le besoin de renseignements, et particulièrement celui qui est relatif à leur cas spécifique, est fondamental, car c’est à partir de lui que s’articulent les autres besoins des victimes. Maguire (1991) stipule que c’est le besoin qui devrait recevoir le plus d’attention, puisque sa satisfaction peut favoriser le rétablissement de la victime. Au contraire, un manque à ce niveau risque d’accentuer l’anxiété et la peur chez les victimes.
Les besoins pratiques
16Les victimes ont besoin d’aide ponctuelle pour certaines tâches, comme mettre de l’ordre, réparer les biens endommagés et remplacer les biens volés, compléter des formulaires compliqués pour les assurances et remplacer des cartes de crédits ou des documents volés (Baril, 1984 ; Maguire, 1985). Si elles ont des problèmes financiers causés par le délit, elles auront un urgent besoin de dépannage financier (Shapland, 1985). En général, ces besoins concrets se manifestent immédiatement après le crime. La victime doit donc être rapidement informée des services qui s’offrent à elle.
17Si le cas est présenté devant les tribunaux, la victime et les témoins peuvent être obligés de se présenter afin de témoigner. Il faut alors leur offrir des services pour les aider à concilier leurs obligations personnelles (par exemple, la garde des enfants, le travail et le transport) et le témoignage.
Le besoin de réparation
18Nous avons déjà parlé des coûts de la victimisation. Les pertes directement reliées au délit posent la question de la réparation par l’infracteur. Souvent, les victimes souhaitent la restitution des biens volés ou un dédommagement équivalent à leur valeur monétaire. La participation au procès constitue une autre source de pertes financières. La victime et les témoins dont la présence en cour est requise font des dépenses qui peuvent être substantielles. En effet, les indemnités versées aux témoins ne couvrent pas nécessairement la totalité des pertes encourues. Depuis 2002, les victimes et les témoins peuvent demander une indemnisation de 45 $ pour une demi-journée, en plus des frais de déplacement, du repas et, si nécessaire, d’une allocation pour l’hébergement (Ministère de la Justice, Québec, 2002b).
19La réparation par l’infracteur n’est possible que lorsque la police trouve le coupable. Dans la majorité des cas, elle en est incapable. Pour chaque tranche de 100 victimisations signalées à la police, 34 auteurs présumés sont trouvés, dont seulement 15 sont condamnés (Du Wors, 2000). La majorité des victimes n’ont donc pas l’occasion de demander un remboursement au délinquant. Même quand ce dernier est connu, il arrive souvent qu’il n’a pas l’argent nécessaire à l’indemnisation de sa victime. Dans ce cas, la réparation par l’État peut être une solution aux difficultés financières de celle-ci.
20Cependant, on peut voir l’indemnisation par le contrevenant comme un acte symbolique ; il ne sera alors pas nécessaire qu’il rembourse tous les dommages causés à la victime, mais seulement qu’il fait le geste de l’indemniser. Shapland (1985) découvre que c’est ainsi que les victimes voient l’indemnisation par le contrevenant. Treze van Hecke et Jo-Anne Wemmers (1992), quant à elles, constatent que la majorité des victimes, si on leur donne le choix, préfèrent être indemnisées par le contrevenant plutôt que par l’État ou par leur assureur. Pour ces victimes, l’indemnisation par le contrevenant a une valeur symbolique : elle représente un signe de reconnaissance du crime contre elles de la part du contrevenant.
Le besoin d’un soutien psychosocial
21Nous avons déjà constaté que la victime peut être traumatisée par sa victimisation. Souvent, sa famille et ses amis lui offrent de l’aide (Denkers, 1996). Cependant, ceux-ci peuvent être eux-mêmes traumatisés par l’événement. Une aide structurelle est donc nécessaire aux victimes directes et indirectes.
22Les individus traumatisés par l’événement ont besoin d’aide professionnelle. Il est difficile de connaître le pourcentage des victimes qui ont besoin d’une aide affective : la présence de ce besoin dépend du délit, du caractère de la victime et de son environnement. De plus, la méthode de recherche peut avoir des conséquences sur les résultats : les entrevues faites en personne permettent de trouver plus facilement les effets psychologiques du crime que les sondages menés par téléphone (Maguire, 1985). Les délits graves, comme l’agression sexuelle, sont traumatisants pour les victimes, mais il arrive souvent que le cambriolage, le vol à main armée, la voie de fait et la violence conjugale le soient aussi (Kilpatrick et al, 1987). En général, les femmes, les gens qui vivent seuls, les gens divorcés et les personnes âgées ont plus souvent besoin d’aide sur le plan affectif (Denkers, 1996).
Le besoin d’un statut au sein du système de justice pénale
23Nous avons déjà parlé du rôle de la victime dans le processus de justice pénale : il se limite au droit de signaler le délit à la police et à l’obligation de témoigner si le cas est présenté devant le tribunal. Plusieurs études indiquent que les victimes voudraient participer au système pénal ; or, elles ont l’impression d’être un objet du procès plutôt qu’un sujet. Le type de participation que la victime souhaite est toutefois moins clair : désire-t-elle participer de façon active ou passive ?
24Dans le cas de la participation passive, la victime veut être informée du processus et de l’évolution de son cas. Elle veut également être consultée pour toutes les décisions importantes, comme la décision de la Couronne de poursuivre le cas, la négociation de la peine, etc. (Kelly, 1984 ; Shapland et al, 1985). Elle a besoin de recevoir de la considération (Baril et al, 1983). Cependant, elle ne désire pas faire des demandes ou prendre des décisions, droit perçu comme un fardeau.
25Dans le cas de la participation active, le besoin de s’exprimer s’avère le plus important chez les victimes qui souhaitent parler devant le tribunal (Baril, 1984). Elles désirent également faire des demandes (Umbreit, 1994) et influencer la peine (Campeau et Gravel, 1996 ; Kelly, 1984). La participation active est clairement plus controversée que la participation passive. De plus, il n’est pas certain qu’elle corresponde aux besoins des victimes.
26Il est évident que les victimes désirent au moins participer de façon passive. Elles veulent être informées, consultées et entendues à toutes les étapes du processus : procès, sentence, libération conditionnelle. En bref, elles souhaitent un traitement courtois et respectueux de leur situation. Elles veulent raconter leur histoire, pas nécessairement pour influencer la décision du juge, mais pour l’informer, afin qu’il puisse rendre une décision appropriée et bien informée (Tyler, 1990 ; Wemmers, 1996).
Le besoin de protection
27Après avoir subi un crime, la victime peut avoir peur et se sentir vulnérable. Certaines victimes craignent surtout leur agresseur. Elles ont peur des représailles. Pour d’autres, la liberté et le sentiment de sécurité sont perdus (Baril, 1984).
28Le besoin de protection constitue une raison importante de rapporter le crime à la police. Selon le sondage de victimisation canadien de 1999, 44 % des victimes signalent le délit à la police « pour mettre fin à l’incident ou pour être protégé[es] » (Besserer et Trainor, 2000). Ces victimes cherchent l’aide de la police et la protection du système pénal.
29Cependant, selon quelques auteurs, comme Ashworth (2000), la protection des victimes et des témoins dans le système pénal est inadéquate. Le contre-interrogatoire est, par exemple, une source importante de peur et de stress pour elles. Aussi, les mesures comme la libération conditionnelle et les injonctions sont critiquées par les défenseurs de leurs droits. Quelques cas tragiques de victimes de violence conjugale tuées par leurs ex-conjoints après que des accusations ont été portées contre ces derniers ont augmenté l’urgence de la question de la protection.
l’importance d’un traitment respectueux
30Plusieurs études indiquent que les victimes jugent important le traitement qu’elles reçoivent des autorités judiciaires. Il est même plus important pour leur satisfaction que le résultat du processus (Kelly, 1984 ; Maguire, 1980 ; Shapland et al, 1985 ; Van der Vijver, 1993 ; Wemmers, 1996). Par exemple, les victimes de cambriolage, dans la recherche de Mike Maguire, comprennent qu’il est peu probable que la police puisse retrouver les infracteurs. Toutefois, si les policiers se rendent sur les lieux du crime et parlent avec la victime de manière à lui donner l’impression que sa plainte est prise au sérieux, cette dernière est satisfaite (Maguire, 1980). Cette conclusion est très importante pour la justice pénale. Les autorités ne peuvent jamais garantir des résultats positifs (si c’était le cas, le procès ne serait pas nécessaire), mais elles peuvent garantir un traitement respectueux. Quand elles contactent la victime et qu’elles l’informent des développements de son cas, celle-ci est plus satisfaite de son traitement.
31Selon Wemmers (1996), le traitement des victimes dans le processus pénal contribue à leur donner confiance et à leur inspirer le respect de la loi. L’étude se fonde sur des entrevues auprès de victimes d’actes criminels au début de leur processus, puis quelques mois plus tard. Il en ressort qu’un traitement respectueux de la part des autorités (la police et le procureur) a un impact positif sur la confiance que les victimes accordent au système pénal et sur leur respect de la loi. Cependant, quand les autorités ne respectent pas les victimes, on remarque une diminution de ces deux aspects. En d’autres mots, un manque de respect des autorités envers les victimes peut nuire à la légitimité du système pénal.
32Pourquoi les victimes sont-elles importantes ? La satisfaction des victimes est cruciale pour le fonctionnement du système pénal. La victime joue un rôle essentiel dans la mise en route de la machine judiciaire, mais elle perd très vite le contrôle du traitement de sa plainte. Les victimes qui sont peu satisfaites de la police affirment quelles seront moins promptes à signaler un éventuel délit ultérieur (Shapland et al, 1985 ; Van Dijk, 2001). Les individus ayant déjà été victimisés ont moins tendance à rapporter le crime que ceux pour lesquels il s’agit d’une première victimisation (Van Dijk, 2001). Ils affirment généralement avoir gardé le silence parce que « la police ne pourrait ou ne voudrait rien faire » plutôt qu’en raison d’un manque de gravité du délit. En plus, les victimes multiples ont des attitudes plus négatives par rapport à la police (Van Dijk, 2001). Il semble que des expériences négatives puissent miner la confiance que les victimes accordent aux institutions sociales. Le sondage de victimisation canadien datant de 2000 indique que 59 % des incidents ne sont pas signalés à la police. Ce pourcentage est plus haut que celui des autres années (Besserer et Trainor, 2000). Pour certains délits, telle l’agression sexuelle, ce taux de déclaration à la police est encore plus bas. Cette tendance sape le taux de criminalité.
33Pour éviter le risque d’une seconde victimisation et pour répondre aux besoins des victimes directes et indirectes, le modèle d’administration de la justice pénale aurait avantage à changer. Selon Baril et al. (1983), on doit humaniser le processus judiciaire. Ainsi, il faut prendre en considération les risques de victimisation secondaire tout au long de la procédure. Selon Baril et al. (1983) et Shapland (1986), les obligations suivantes se dégagent de la recherche :
- Il faut créer un service qui puisse répondre aux besoins pratiques et immédiats des victimes. Il s’agit surtout de dépannage financier, qui devrait être accessible facilement à tous ceux qui en ont besoin.
- Il faut mettre sur pied un système d’aide psychosociale, c’est-à-dire un système qui offre un soutien informatif, pratique et affectif aux victimes. De plus, il doit être accessible aux victimes directes et indirectes.
- Dans le système pénal, il faut instaurer un moyen d’informer les victimes de la progression de leur cas.
- Il faut créer dans le système pénal une façon d’aider les victimes à obtenir la restitution de la part du contrevenant. Il est évident que les victimes souffrent souvent de pertes financières. Le contrevenant a la responsabilité de les dédommager.
- Il faut créer un système agissant comme un filet de sécurité dans les cas où le contrevenant est introuvable ou insolvable. Ce système offrirait une aide financière aux victimes ne pouvant pas obtenir une indemnisation ailleurs.
- Les autorités doivent être sensibles à l’impact affectif, mais aussi financier, de la victimisation sur la victime, afin de réduire ses conséquences négatives.
***
34Les recherches sur ce que vivent les victimes au sein du système de justice mènent toutes à la même conclusion : les victimes sont déçues, désabusées, désillusionnées et parfois même traumatisées de leur contact avec le système judiciaire. Elles ressentent un fort sentiment d’impuissance et d’exclusion. Certains auteurs avancent même que l’expérience que font les victimes de la justice est vécue comme une seconde victimisation. En effet, les réactions insensibles des autorités envers les victimes augmentent la souffrance de celles-ci. Cette expérience peut même détruire la confiance de la victime dans l’institution.
Bibliographie
lectures recommandées
Baril, M., S. Durand, M. M. Cousineau et S. Gravel (1983), Mais nous, les témoins..., Montréal, École de criminologie, Université de Montréal.
Shapland, J. (1986), « Victim Assistance and the Criminal Justice System: The Victim’s Perspective », dans E. Fattah (dir.), From Crime Policy to Victim Policy: Reorienting the Justice System, London, MacMillan Press, p. 218-233.
Wemmers, J. (1996), Victims in the Criminal Justice System, Amsterdam, Kugler Publications.
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