1Nous avons vu que les travaux scientifiques publiés sur l’homicide sexuel indiquent qu’il existe principalement deux types de meurtriers : le colérique et le sadique (voir le chapitre 8). À chacun de ces types sont associées différentes caractéristiques particulières à l’infracteur, à la phase prédélictuelle, au mode opératoire et à la phase postdélictuelle. À partir des caractéristiques connues des meurtriers sexuels et de leurs délits, nous nous proposons, dans ce chapitre, de déterminer quelle serait la stratégie d’interrogatoire à préconiser selon le type de meurtriers sexuels en présence. Selon nous, l’interrogatoire est une forme d’entrevue policière dont le déroulement et la teneur devraient être fonction des caractéristiques de l’homicide sexuel et de son auteur1.

Définition et déroulement de l’interrogatoire

2Le grand public a généralement une perception négative de l’interrogatoire. Il faut dire que les médias d’information et les émissions télédiffusées entretiennent les convictions que l’interrogatoire est menaçant pour le suspect2, que le policier est agressif, qu’il a tous les droits sur le suspect (force physique, menaces, chantage, etc.) et que la seule liberté qui est accordée à ce dernier est d’avouer son crime. Or, la réalité d’aujourd’hui dément largement ces perceptions. L’usage de la force et de la contrainte a maintenant été remplacé par l’utilisation de stratégies plus subtiles et sophistiquées (Leo, 1992). Même si, à l’occasion, certains écarts sont dénoncés, la mise en œuvre de « force physique, de menaces de la force ou d’autres abus physiques, mentaux ou psychologiques pour inciter le suspect à avouer son crime3 » n’est vraiment pas la norme.

3De nos jours, l’interrogatoire de police se déroule dans des conditions bien différentes du cadre caricatural véhiculé par le cinéma. Le caractère mystérieux de cette conversation qui tenait au fait qu’elle avait généralement lieu seul à seul, dans un endroit clos, à l’abri des regards indiscrets, appartient dorénavant au passé. Quelques techniques comme la technique en neuf étapes (Inbau et al, 2001), visant à obtenir des informations précises, ont été élaborées et raffinées au cours des dernières années4. De surcroît, depuis les travaux du Home Office5 menés en Angleterre, les interrogatoires sont de plus en plus systématiquement audiofilmés dans les organisations policières6 depuis le début des années 1990, de sorte que les juges, les avocats, les jurés et le public peuvent être témoins des moindres faits et gestes de l’interrogatoire. Finalement, les interrogatoires sont maintenant encadrés par des exigences constitutionnelles très strictes. Nous songeons en particulier à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui prévoit les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, ainsi qu’à l’article 10, qui prévoit les droits, en cas d’arrestation ou de détention, d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de celle-ci, de recourir sans délai à un avocat, d’être informé de ce droit et de faire justifier, par habeas corpus, la légalité de sa détention7. Ces exigences constitutionnelles ont pour corollaire que les éléments de preuve obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte sont considérés comme irrecevables et sont donc écartés quand l’atteinte entraîne une déconsidération de l’administration de la justice.

4Abstraction faite de ces considérations techniques, l’interrogatoire est, à la base, un échange aussi bien verbal que non verbal entre un enquêteur et un suspect, lors duquel le premier tente, par ses attitudes, ses réactions et ses questions, d’éveiller des réflexions chez le second afin d’obtenir de lui des renseignements l’incriminant et, éventuellement, des aveux complets (Inbau et al, 2001). Quelle que soit la stratégie employée par l’interrogateur avec le suspect, ce dernier, coupable ou non de l’infraction reprochée, a toujours le choix de dire la vérité, de mentir ou de demeurer muet.

5Lors de l’interrogatoire, la personne questionnée est inculpée et elle a parfaitement le droit de chercher à dissimuler les informations qui peuvent lui être préjudiciables. Cela dit, le but de cette rencontre est bien de permettre à l’enquêteur d’obtenir de l’information de la part du suspect et non pas tant de procéder à un échange réciproque de renseignements. L’interrogatoire vise, entre autres, à obtenir la version des faits du suspect et à recueillir l’information permettant d’établir son degré d’implication dans le crime (Bennett et Hess, 1998). Pour atteindre ces objectifs, il est important que le suspect accepte de parler et qu’il ne mente pas.

Le déroulement de l’interrogatoire

6Selon Weston et Lushbaugh (2003), tout comme une conversation ordinaire entre deux personnes, l’interrogatoire comporte une introduction, un développement et une conclusion.

L’introduction

7Cette étape est celle de la prise de contact du ou des participants. Le ou parfois les enquêteurs présentent leurs rôles respectifs dans l’enquête. Vient ensuite la lecture des droits à l’inculpé, ce dont dépend l’admissibilité en preuve de l’interrogatoire. L’enquêteur doit indiquer au suspect les objectifs de l’interrogatoire, le crime et la victime dont il sera question, en les situant dans le temps et l’espace. Il doit faire savoir au sujet qu’il est suspect puisque des éléments de preuve recueillis jusqu’ici portent à croire qu’il est impliqué dans le crime en cause. L’interrogateur s’efforce alors d’écouter et d’observer le suspect sous l’angle de ses attitudes et réactions, tout en cherchant à le mettre à l’aise. Les deux personnes se jaugent mutuellement et c’est le moment pour l’enquêteur de faire la connaissance de son interlocuteur. Des questions générales, permettant d’obtenir des informations du suspect sur sa situation présente et passée, devraient idéalement être posées à cette étape. Selon plusieurs auteurs (Bennett et Hess, 1998 ; Cooper, 1997 ; Gudjonsson, 2003 ; Inbau et al., 2001 ; Ressler, Burgess et Douglas, 1988), l’alliance empathique, ou encore l’établissement du contact (humain et professionnel), est la phase la plus importante de l’interrogatoire.

Le développement

8Lorsque le contact est bien établi, l’enquêteur demande au suspect de donner sa version intégrale des faits. Celui-ci peut alors fournir librement des explications, des justifications sur ce qui s’est passé le jour du délit. Il s’agit, dans ce cas-ci, de le laisser parler. L’interrogateur porte attention à l’information fournie dans le but de se faire une idée de ce qui a bien pu se passer et de la séquence des événements. Est alors soulevée la question du lieu et de la nature des activités du suspect au moment de la commission de l’infraction : Qui était avec lui ? Qui l’a vu à ce moment, et où ? C’est à cette étape que l’enquêteur réexamine la pertinence des questions spécifiques qu’il avait prévu poser jusqu’ici et qu’il en prépare de nouvelles. Si le suspect soutient qu’il n’était pas sur la scène de crime au moment du délit, ou encore qu’il n’était pas en contact avec la victime, la seconde partie de l’interrogatoire consistera à vérifier quand il a été pour la dernière fois sur la scène de crime ou en contact avec la victime, et dans quelles circonstances.

9Afin d’obtenir les précisions nécessaires quant à l’implication ou non du suspect dans le délit, l’enquêteur applique à cette étape diverses techniques d’interrogatoire : questions ouvertes/fermées, directes/indirectes, minimisation/maximisation de la gravité du crime, questions suscitant des émotions ou faisant appel à la logique, etc. Des questions précises sont posées dans le but de lever les ambiguïtés et les incertitudes, de clarifier et de détailler les faits saillants, d’exploiter les incohérences que peuvent comporter les explications et les justifications du suspect. Il s’agit aussi d’obtenir des renseignements spécifiques qui peuvent constituer des aveux, de corroborer des éléments d’information obtenus antérieurement par l’enquêteur, ou encore de compléter sa preuve. À présent, c’est l’enquêteur qui a le plein contrôle de l’interrogatoire. Le cas échéant, l’aveu du délit survient généralement à cette étape. D’aucuns peuvent chercher à passer aux aveux en échange de certaines promesses. Pour s’assurer de la crédibilité de ce qui est dit lors de l’interrogatoire, l’enquêteur doit veiller à ce qu’aucune promesse ni menace ne soit formulée ni par le biais des questions posées ni dans le contexte dans lequel elles sont posées. C’est après avoir obtenu toute la version des faits du suspect ou ses aveux que l’enquêteur met fin à la partie centrale de l’interrogatoire. Avant de conclure, il demande au suspect s’il y a d’autres informations dont on n’a pas encore discuté et qui pourraient servir à corriger ou à préciser la version des faits exposée jusqu’ici.

La conclusion

10Pour finir, la déclaration est rédigée et le suspect la signe (dans le cas où l’interrogatoire n’est pas audiofilmé). L’enquêteur explique au suspect la suite des événements, soit le retour à la cellule, le transfert vers un autre établissement, la comparution devant la cour, etc. C’est la clôture de l’interrogatoire.

Préparation et techniques d’interrogatoire

11Comme l’interrogatoire survient généralement à la fin d’une enquête policière (Bennett et Hess 1998), l’enquêteur sait alors quelles sont les informations manquantes et quelles sont celles qu’il possède déjà et qu’il lui faut vérifier. C’est en fonction de cela qu’il lui faudra préparer les questions tout en utilisant certaines techniques d’interrogatoire.

La préparation de l’interrogatoire

12Pour bien se préparer, l’enquêteur8 doit réunir tous les renseignements dont il dispose à propos du crime et de son auteur présumé (résultats de l’examen de la scène de crime, déclarations de témoins, identification de la victime et du suspect, etc.). Il devrait en outre rassembler toute l’information recueillie jusqu’ici sur les motivations du suspect et sur sa personnalité. Il doit aussi s’enquérir des résultats des expertises réalisées à propos des éléments de preuve physiques recueillis sur la scène de crime et sur le corps de la victime lors de l’autopsie.

13L’enquêteur a en outre intérêt à s’informer de la disposition des lieux où doit se dérouler l’interrogatoire et, surtout, du caractère plus ou moins intime de l’endroit. En effet, selon les travaux scientifiques publiés, les caractéristiques de la salle d’interrogatoire peuvent avoir une incidence sur les chances d’obtenir un aveu. Tout comme c’est le cas dans les relations sociales avec la famille, les amis et les collègues de travail, les confidences surviennent généralement à des moments et en des lieux privés. Inbau et al. (2001) établissent un certain nombre de règles relatives à la salle d’interrogatoire. Selon eux, la rencontre doit se dérouler dans un endroit privé et silencieux. Il faut isoler le suspect de toute influence extérieure, s’assurer qu’aucun objet ne puisse le distraire : un téléphone, des fenêtres, des affiches ou des objets inutiles, comme des articles de bureau dont le suspect pourrait d’ailleurs s’emparer. D’après eux, il convient d’éviter qu’une tierce personne (par exemple, un autre policier) puisse entrer dans le local pendant l’interrogatoire. La salle doit également disposer d’un éclairage adéquat d’intensité moyenne : ni trop fort pour éviter d’aveugler le suspect, ni trop faible pour empêcher l’observation du langage non verbal révélateur d’inconfort. Inbau et al. (2001) accordent aussi une place importante à la façon dont sont disposées les chaises du suspect et de l’interrogateur. Selon eux, les deux doivent se faire face, à 1,5 mètre de distance. Aucun meuble, ni bureau, ni table, ne doit se trouver entre eux. Ils vont même jusqu’à spécifier le type de chaise qui devrait être utilisé. Un siège à dossier réglable ou encore très confortable risque de distraire le suspect des objectifs de l’interrogatoire. Finalement, la salle devrait être équipée d’un miroir unidirectionnel et d’un micro, ce qui permet à d’autres personnes d’assister à l’interrogatoire.

14L’observation et l’écoute du déroulement de l’interrogatoire par une autre personne qui reste invisible de l’inculpé permet d’assurer la sécurité des deux interlocuteurs et d’éviter que ne soient déposées abusivement des plaintes pour abus physiques, abus sexuels, menaces, promesses, etc. De plus, l’observation extérieure accroît les chances de déceler les signes de vulnérabilité (verbaux et non verbaux) du suspect, ce qui aide l’interrogateur dans sa stratégie. En outre, lorsque le suspect demeure seul dans la salle, il est possible de le garder à l’œil afin d’éviter qu’il se mutile ou se suicide, tout en permettant de recueillir des commentaires qu’il pourrait spontanément formuler. L’enregistrement audiofilmé des interrogatoires, de plus en plus répandu, permet de renoncer au miroir unidirectionnel puisqu’il offre trois avantages : la possibilité pour des tiers de suivre l’interrogatoire en direct, le fait de rendre accessible les résultats de l’interrogatoire aux individus qui prennent part aux procédures judiciaires tout en leur permettant d’apprécier son caractère légal et, ultérieurement, la possibilité de s’en servir à des fins d’évaluation et de formation continue (en montrant les bonnes interventions et celles à proscrire) pour les autres enquêteurs appelés à interroger des suspects.

15Tout comme Inbau et al. (2001), Irving (1980) a lui aussi observé que l’environnement physique pouvait avoir un impact sur la disposition psychologique des suspects. Les éléments considérés par cet auteur comme étant les plus importants sont le fait, pour le suspect, de ne pas connaître l’environnement dans lequel il est détenu et interrogé, son sentiment d’isolement et l’absence de maîtrise de son environnement physique. Celui-ci peut également influer sur les réactions physiologiques du suspect dans le cadre de l’interrogatoire. La fatigue, la faim, la soif, les craintes, fondées ou non, de souffrances physiques et psychiques sont parmi les éléments qui semblent influencer les suspects et la teneur de leurs déclarations. Ces facteurs auraient un impact sur le jugement de l’inculpé, son degré de confusion mentale, son degré d’anxiété et, finalement, sur son niveau de suggestibilité (Gudjonsson, 2003). Bien que l’enquêteur puisse faire jouer plusieurs facteurs pour chercher à avoir une influence sur l’inculpé, il apparaît important, pour l’admissibilité de l’interrogatoire devant les tribunaux, qu’il s’assure du respect des besoins fondamentaux des suspects avant et pendant l’interrogatoire.

16Même si la rencontre en soi suscite inévitablement un certain niveau de stress chez le suspect, l’enquêteur devrait d’abord vérifier qu’il n’est pas dans un état émotionnel l’empêchant de concevoir un jugement rationnel adéquat et de répondre en toute liberté aux questions posées. Il devrait s’assurer qu’il n’est pas sous l’effet de certains désinhibiteurs ou dans une phase psychotique, ce qui aurait pour effet de compromettre la fiabilité de ses propos et par conséquent l’admissibilité de l’interrogatoire. Il incombe donc à l’interrogateur de veiller à ce que le suspect soit bien en prise avec la réalité et qu’il soit en pleine possession de ses facultés intellectuelles.

Les techniques d’interrogatoire

17Comme nous l’avons déjà vu, l’objectif premier de l’interrogatoire est d’obtenir un aveu de la part d’un suspect ou, à tout le moins, des informations complémentaires à la preuve recueillie par l’enquêteur. Pour ce faire, celui-ci peut légalement utiliser des moyens stratégiques comme la mise sous pression, la duperie, la persuasion et la manipulation (Inbau et al., 2001)9.

18Au cours des dernières décennies, les stratégies d’interrogatoire ont grandement évolué ; elles sont devenues plus professionnelles (Leo, 1992). C’est ainsi qu’on parle de plus en plus souvent, dans les publications scientifiques récentes, de notions comme celles d’entrevue éthique, d’écoute active, de relation empathique, d’ouverture d’esprit, de respect des différences, de rapports empreints d’humanité et de libre choix, qui relevaient traditionnellement des sciences sociales (Baldwin, 1992 ; Holmberg, 1996 ; Holmberg et Christianson, 2002 ; Leo, 1992 ; Milne et Bull, 1999 ; Moston et Stephenson, 1993 ; Sheperd, 1991 ; Williamson, 1993). Malgré ces récentes avancées concernant les attitudes à privilégier par la police lors d’interrogatoires, il n’y a encore que peu d’ouvrages qui proposent des techniques d’interrogatoire systématisées.

19Dans les travaux publiés sur l’enquête policière et l’interrogatoire, la majorité des techniques décrites sont le fruit de l’expérience de certains policiers qui, après avoir passé de nombreuses années à faire des enquêtes criminelles, proposent leurs propres techniques pour interroger les suspects (par exemple, Castleman, 2000). Or, ces techniques ne tiennent pas compte de l’apport des connaissances scientifiques sur l’aveu et l’interrogatoire et elles ne sont pas évaluées empiriquement. La seule technique qui présente une structure explicite et cohérente est celle d’Inbau et al. (2001) intitulée The Nine Steps of Interrogation. C’est celle qui est le plus souvent citée dans les livres et les articles sur l’interrogatoire. Elle est couramment utilisée en Amérique du Nord par les corps policiers et les entreprises de sécurité privées. D’ailleurs, la technique Reid, comme on l’appelle, est reprise dans la majorité des écoles de police en Amérique du Nord.

20Cette technique en neuf étapes a été mise au point sur la base de plusieurs années d’observations d’interrogatoires efficaces et d’entrevues d’individus condamnés à la suite de leurs aveux. Avant de décrire ces différentes étapes, Inbau et al. (2001) tiennent à faire les précisions suivantes :

• Cette technique d’interrogatoire est recommandée dans les cas où l’enquêteur a de nombreuses raisons de croire que le suspect est l’auteur de l’infraction sous enquête.

• Aucune des neuf étapes de cette technique ne vise à obtenir l’aveu d’un suspect innocent.

• La séquence des étapes n’est pas impérative pour tous les interrogatoires ; certains interrogatoires peuvent se dérouler dans un ordre différent de celui proposé ou, encore, on peut faire l’économie de certaines étapes rendues inutiles par les réactions du suspect impliqué.

• À chacune des étapes, l’interrogateur doit être attentif aux réactions verbales et non verbales du suspect dans le but de reconnaître le moment opportun de passer à l’étape suivante.

21Les neuf étapes qui composent cette technique sont les suivantes10 :

Étape 1 : Inculpation et observation des réactions du suspect

22Cette étape découle essentiellement d’exigences légales prescrites, au Canada, par les articles 7 et 10 de la Charte des droits et libertés. L’enquêteur déclare au suspect, après lui avoir lu ses droits, que les résultats de l’enquête indiquent qu’il est vraisemblablement celui qui a commis l’infraction. Après avoir informé le suspect des motifs de son arrestation, l’enquêteur se laisse quelques secondes (5 à 10) pour observer les réactions du suspect. Une réaction passive (fixer le sol, éviter le contact visuel, adopter une position de retrait sur sa chaise) est considérée par Inbau et al. (2001) comme un signe implicite d’acquiescement aux inculpations. Avant de passer à la seconde étape, il est conseillé de répéter les inculpations au suspect une autre fois, en utilisant cette fois-ci le ton approprié aux réactions observées préalablement. Dans le cas d’une première réaction passive du suspect, les inculpations seront formulées avec le même degré de conviction. Si au contraire le suspect nie avec véhémence les inculpations, celles-ci doivent être reformulées sur un ton plus doux dans le but d’abaisser le niveau de tension du suspect avant de passer à l’étape 2. À cette étape, si l’interrogateur n’a pas d’éléments de preuve concrets contre le suspect, il n’est pas tenu de le lui faire savoir ; il peut, au contraire, prétendre qu’il en a (Gudjonsson, 2003).

Étape 2 : Attitudes et propos stratégiques

23À présent, il est important que l’interrogateur adopte une attitude agréable et compréhensive dans le but de gagner la confiance du suspect. L’interrogateur lui propose plusieurs justifications (l’influence d’un complice, le comportement de la victime, la perte d’un emploi, etc.) afin d’atténuer le caractère immoral des crimes reprochés, de lui fournir l’occasion d’adhérer à ces justifications, ou encore de lui permettre de trouver ses propres excuses :

[L]'enquêteur ne doit pas perdre de vue que les excuses psychologiques ou morales qui s’offrent au suspect ne représentent pas la véritable motivation qui sous-tend le crime. De fait, la véritable motivation à commettre l’infraction peut être trop difficile à reconnaître pour le suspect coupable. C’est la raison pour laquelle il est commun que les coupables justifient leurs comportements criminels au travers d’un processus de distorsion de leurs véritables intentions. L’objet de l’interrogatoire consiste en un effort de persuasion de la part de l’enquêteur pour étayer les excuses et rationalisations qui habitent l’esprit du coupable11.

24Dans ces conditions, le suspect est plus enclin à reconnaître sa responsabilité matérielle pour le crime reproché, même s’il en perçoit la gravité et le caractère répréhensible. Les auteurs affirment que lorsque les attitudes et les propos stratégiques de l’interrogateur portent le suspect à réfléchir pendant un court laps de temps, on peut y voir un indice de sa culpabilité. Dans le cas où le suspect exprime fermement son désaccord quant aux justifications proposées par l’interrogateur, il donne plutôt à entendre qu’il est innocent. En fait, selon Inbau et al. (2001), les attitudes et les propos stratégiques sont plus efficaces avec les criminels émotifs parce qu’ils ont un plus grand sentiment de culpabilité. Leur fournir l’occasion de soulager leur culpabilité en adoptant des justifications morales à propos de ce qu’ils ont commis est un puissant facteur favorisant l’aveu.

Les attitudes et les propos stratégiques à privilégier avec les suspects émotifs

25Puisque les suspects émotifs ressentent généralement des remords, de la honte et de la culpabilité pour leurs délits, l’interrogateur devrait faire appel aux mêmes techniques de neutralisation que celles qui sont utilisées par les criminels pour justifier leurs actes. Ces techniques sont, selon Sykes et Matza (1957), les différentes justifications, excuses ou distorsions élaborées par les délinquants dans le but de se faire à l’idée d’avoir agi illicitement et de s’en expliquer auprès des autres. Pour ces auteurs (Matza et Sykes, 1961), le recours à la neutralisation fournit à l’individu et à son entourage des raisons pour les actes commis.

26En effet, le délinquant a une certaine influence sur ses perceptions selon lesquelles un crime est considéré comme acceptable ou inacceptable, désirable ou indésirable, justifié ou injustifié. Une attitude de neutralisation permet notamment d’alimenter l’idée que les actes commis étaient légitimes dans les circonstances. Si les crimes sont généralement perçus par son auteur comme blâmables, il peut se convaincre que, dans la situation où s’est produit le sien, celui-ci était correct, justifié, excusable, nécessaire ou, encore, pas vraiment répréhensible. Il existe de nombreux arguments de neutralisation mis à profit par les délinquants comme : tout le monde commet des actes illégaux ; j’ai grandi dans un milieu où la violence et les abus sexuels étaient la norme ; c’est la faute de la victime, qui était provocante ; j’ai perdu le contrôle de mes émotions ; la victime méritait d’être châtiée ; j’étais intoxiqué et j’ai perdu la maîtrise de mes actes, etc.

27De fait, l’aveu des suspects émotifs peut être encouragé par l’interrogateur qui adopte des attitudes et qui tient des propos relayant ou appuyant les techniques de neutralisation de son interlocuteur. C’est ainsi que, pour favoriser l’aveu de ce type de suspects, Inbau et al. (2001) proposent d’utiliser les moyens suivants : faire en sorte d’abaisser le sentiment de culpabilité du suspect par rapport à l’infraction reprochée ; lui proposer des raisons moralement acceptables pour expliquer la commission de son crime ; tenter d’accuser ou de blâmer d’autres personnes afin de relativiser sa part de responsabilité ; mettre l’accent sur le fait que la participation du suspect au crime est sans doute exagérée. Outre ces arguments de neutralisation, les auteurs suggèrent d’user d’éloges et de flatterie à l’égard du suspect pour le valoriser à ses propres yeux.

Les attitudes et les propos stratégiques à privilégier avec les suspects non émotifs

28Contrairement aux suspects émotifs, les suspects non émotifs ressentent peu ou pas de remords, de honte ou de culpabilité par rapport au délit qu’ils ont commis. Dès avant le passage à l’acte, un tel individu envisage la perpétration de son crime avec une logique où il prend en considération les avantages et les inconvénients pouvant résulter, à ses yeux, de son crime. Autrement dit, il cherche à maximiser ses profits tout en minimisant ses coûts et ses pertes (probabilités d’être appréhendé, sévérité de la peine, autres inconvénients associés à une infraction). On peut donc dire que la théorie du choix rationnel (Cornish et Clarke, 1986) s’applique particulièrement bien au comportement des non-émotifs. Comme ces individus sont calculateurs, il y a fort à parier que leurs actes postérieurs à la commission d’un délit soient eux aussi régis par une anticipation des avantages et des inconvénients pouvant en résulter. C’est la raison pour laquelle la stratégie qu’il conviendrait d’adopter à l’égard d’un suspect non émotif est d’entrer dans cette logique coût-avantage plutôt que de faire appel à ses sentiments. En d’autres termes, l’interrogateur doit chercher à démontrer au suspect l’ampleur des avantages qu’il y a pour lui de passer aux aveux (qui indiquent un certain souci de collaborer avec la justice et un certain repentir). Il doit en outre évoquer les inconvénients qu’il y a à nier les faits (notamment la perte de toute crédibilité face à une preuve accablante) ou à renoncer à s’exprimer. L’enquêteur doit également minimiser les avantages qu’il y a à nier les faits (risques de représailles en cas d’acquittement) et les inconvénients d’un passage aux aveux (relativiser la rigueur des sanctions auxquelles le suspect s’expose).

29Les attitudes et les propos stratégiques recommandés par Inbau et al. (2001) à l’égard des suspects non émotifs sont de prendre ceux-ci en défaut relativement à leur version des faits, de les charger avec des éléments de preuve qui sont accablants, de les persuader qu’il n’y a aucun alibi qui puisse contrer les éléments de preuve obtenus lors de l’enquête ou, encore, quand au moins deux individus sont impliqués dans un même délit, de dresser un complice contre l’autre. Bref, tous ces stratagèmes proposés par Inbau et al. (2001) sont autant de moyens cognitifs et logiques permettant de faire échec aux explications rationnelles avancées par les suspects non émotifs.

Étape 3 : Contrer la dénégation

30Cette étape consiste, pour l’interrogateur, à enrayer la dénégation à répétition dans le but de revenir aux excuses et aux justifications de l’étape 2. La dénégation persistante exclut tout aveu et l’enquêteur doit donc absolument s’employer à la contrer. Cette étape de l’interrogatoire est critique et sans doute la plus difficile. Si l’interrogateur ne parvient pas à surmonter cet obstacle, les autres étapes n’ont plus d’objet. La dénégation répétée ne devrait pas être tolérée longtemps puisqu’elle procure un avantage psychologique au suspect. Plus celui-ci nie son implication dans le délit qui lui est reproché, plus difficiles sont les tentatives de le persuader de dire la vérité. Il est donc proposé d’interrompre rapidement le suspect lorsque celui-ci persiste à nier.

31Inbau et al. (2001) allèguent que les personnes innocentes et les suspects coupables n’ont pas les mêmes réactions verbales et non verbales en exprimant leur dénégation. Par exemple, par rapport aux suspects coupables, les innocents ont généralement des propos beaucoup plus spontanés, vigoureux et directs, et peuvent aller jusqu’à injurier l’interrogateur. Le discours des coupables est beaucoup plus évasif, mitigé et hésitant. De plus, ils éviteront plus souvent le contact visuel avec l’interrogateur, feront basculer leur chaise vers l’arrière ou, encore, déplaceront celle-ci, adopteront une posture corporelle fermée, croisant les bras ou les jambes et, parfois, demeureront muets. L’intensité et la fréquence de la dénégation du suspect coupable diminue au fur et à mesure que l’interrogatoire se poursuit.

Étape 4 : Au-delà des objections

32Devant l’inefficacité de ses dénégations (étape 3), le suspect risque d’opter pour une autre stratégie dans le but de reprendre le contrôle de la conversation. Ce changement d’attitude prend généralement la forme d’objections émotives (par exemple, « Je suis trop anxieux pour commettre ce genre de délit »), factuelles (par exemple, « J’étais ailleurs au moment du crime ») ou morales (par exemple, « Je respecte les femmes, je ne peux donc faire une chose aussi horrible »). En fait, le suspect formule un certain nombre d’objections à la reconnaissance de sa responsabilité, objections que cette étape vise justement à surmonter. Une façon de passer outre aux multiples objections du suspect coupable est de lui démontrer, comme à l’étape 3, qu’elles n’ont aucune pertinence. L’interrogateur s’efforce en plus de proposer des excuses et des justifications pour la commission du délit (étape 2). Le but de l’étape 4 consiste donc, pour l’interrogateur, à lever les objections du suspect afin qu’il finisse par baisser sa garde. Selon Gudjonsson (2003), c’est à ce moment précis de vulnérabilité psychologique que l’interrogateur doit réagir rapidement pour tirer avantage de la situation.

Étape 5 ; Capter l’attention du suspect

33Ayant épuisé plusieurs de ses arguments censés contrer ceux de l’interrogateur, le suspect devient plus passif, plus songeur, il parle moins et laisse à penser qu’il est plus enclin à écouter les propos de l’interrogateur. La question de savoir s’il doit ou non dire la vérité le préoccupe. C’est à ce moment crucial que l’enquêteur doit chercher à réduire la distance psychologique qui le sépare du suspect et à regagner toute son attention. Pour y parvenir, Inbau et al. (2001) lui conseillent de se rapprocher physiquement du suspect, de se pencher vers lui, de le toucher doucement au bras ou à l’épaule, de l’appeler par son prénom et de maintenir un bon contact visuel avec lui tout en observant attentivement ses réactions. C’est dans ces conditions que le suspect coupable sera à nouveau incité à accorder son attention aux propositions de l’interrogateur. Les auteurs émettent d’ailleurs certaines mises en garde importantes à cette étape. Tout d’abord, le moment opportun pour procéder à ce rapprochement physique et psychologique doit être adéquatement choisi. Effectuées de façon prématurée, ces marques d’intimité détruiraient le climat de sympathie, d’écoute et de confidence. Ensuite, certaines précautions doivent être prises à l’égard de certains types de suspects. Par exemple, les auteurs déconseillent de toucher les criminels de carrière, les suspects beaucoup plus âgés que l’interrogateur ou, encore, les personnes vantardes ou vaniteuses. Avec ces types d’individus, plutôt que de favoriser la proximité et l’intimité, ces attitudes risquent d’être perçues comme de l’ingérence et d’indisposer la personne au point de créer un climat de méfiance, ce qui serait contraire à ce qui est justement visé à cette étape de l’interrogatoire.

Étape 6 : Agir sur l’humeur passive du suspect

34Au terme de l’étape 5, l’interrogateur devrait avoir établi un bon contact avec le suspect. Ce dernier est maintenant plus attentif aux propos de l’enquêteur ou lui donne à entendre qu’il le devient. C’est à cette étape que l’interrogateur devrait diriger l’attention du suspect sur le thème central des raisons probables de son délit. Il devrait aussi lui donner des raisons de penser qu’il le comprend, qu’il a pour lui de l’empathie et qu’il est important de dire la vérité. Cette attitude stratégique permet d’amener le suspect à considérer sa responsabilité pour l’inciter, dans la foulée, à se libérer de ce fardeau en avouant son crime. L’interrogateur peut alors susciter l’aveu en proposant des raisons qui permettraient d’expliquer la commission de l’infraction, tout en les assortissant de propos fournissant des justifications psychologiques ou des mécanismes de défense au suspect (par exemple, projection, rationalisation, dépréciation, etc.). L’enquêteur peut, entre autres, faire appel au sens des responsabilités du suspect, à son honneur ou à sa religion, si cela lui semble approprié. Les efforts devraient être voués à intégrer les diverses excuses et justifications résiduelles du suspect dans un ensemble d’explications qui exprime l’idée qu’il se fait du délit commis. Au moment où il présente ses principales justifications, l’interrogateur doit bien observer les réactions non verbales du suspect afin de déterminer son niveau d’adhésion. Ces signaux lui permettent de mettre l’accent sur les justifications qui paraissent acceptables aux yeux du suspect. Lorsque les propos de l’interrogateur sont pertinents, certains suspects, sans même avouer, vont pleurer. À ce propos, Inbau et al. (2001) disent : « C’est aussi un bon indicateur que le suspect a abandonné et est prêt à avouer. L’éruption émotive du suspect est une preuve de remords et est souvent perçue par lui comme la démonstration de ses propres sentiments de culpabilité. Une attitude positive de la part de l’enquêteur amènera le suspect à sentir que l’aveu est attendu de lui à ce moment-là12. » Cette attitude du suspect est l’indice qu’il est mûr pour une question alternative.

Étape 7 : Présenter une question alternative

35À cette étape de l’interrogatoire, une question alternative est posée au suspect pour qu’il admette la commission de son délit. Les deux termes de l’alternative appellent des réponses qui sont toutes deux constitutives d’aveux. L’un est formulé de manière relativement accablante pour le suspect, alors que l’autre l’est dans une bien moindre mesure. Selon les auteurs, l’argument psychologique qui sous-tend cette stratégie de la question alternative est que « Il est beaucoup plus facile d’admettre une faute ou n’importe quelle forme d’inconduite si, au moment de l’admettre, la personne concernée a l’occasion de s’en expliquer13 .» C’est pourquoi il faut qu’un des deux termes de la question alternative fournisse au suspect l’occasion d’avancer une explication ou une excuse toute faite, ce qui devrait l’aider à avouer son délit. Par exemple, au meurtrier sexuel, on peut demander : « Es-tu du genre à tuer sous le coup de l’impulsion, après avoir perdu ton contrôle de toi en réaction à l’attitude de la victime ou, encore, es-tu du genre criminel d’habitude, dont le dernier crime perpétré s’inscrit dans une série de meurtres sexuels qui a débuté il y a longtemps et qui va vraisemblablement se poursuivre ? »

36Le moment auquel est présentée la question alternative semble déterminant. Posée au bon moment, elle a plusieurs avantages. Premièrement, elle peut fournir des détails sur le lieu, le moment, les circonstances et les raisons de l’infraction. Deuxièmement, elle crée un effet de surprise sur le suspect, effet qui favorise l’obtention d’aveux. Troisièmement, elle offre à l’inculpé une occasion de se repentir en lui proposant des excuses et des justifications qui peuvent l’aider à préserver l’image qu’il a de lui. Enfin, formulée en des termes peu stigmatisants14 et exprimée avec une certaine sympathie, la question alternative donne l’impression au suspect que l’interrogateur est avant tout intéressé à comprendre les raisons qui ont motivé ses actes criminels plutôt qu’à obtenir simplement un aveu.

37De plus, Inbau et al. (2001) affirment qu’au moment de présenter l’alternative, l’interrogateur ne doit pas se limiter à poser la question et à attendre la réponse du suspect. Il doit l’encourager et l’inciter à choisir un des deux termes en utilisant des propos invitants : « Une affirmation encourageante est une affirmation par laquelle l’enquêteur étaye la croyance que le bon choix est celui qui semble moralement excusable ou, à tout le moins, constitue la raison morale à la commission de l’infraction qui, dans la société, paraît la moins révoltante15 .»

38À l’occasion, il arrive que certains suspects se cantonnent dans leurs excuses plutôt que de donner une réponse claire. Dans ces cas, l’interrogateur aura généralement peu de problèmes à obtenir plus de détails sur le crime, notamment en soulevant les incohérences de la version des faits fournie par le sujet. Toutefois, si le suspect n’acquiesce à aucun des deux termes de l’alternative et qu’il ne reconnaît d’aucune autre façon son implication dans le crime, l’enquêteur pourra généralement en conclure qu’il convient de mettre un terme à l’interrogatoire.

Étape 8 : Inciter le suspect à parler des détails entourant le délit

39Dès que le suspect a accepté, de façon verbale ou non verbale, l’un des deux termes de l’alternative proposée à l’étape précédente, l’interrogateur s’empressera de lui poser des questions complémentaires et détaillées relatives aux circonstances de l’infraction. Si, au moment où l’inculpé montre des signes d’aveu, l’enquêteur hésite ou est incertain, il risque d’effaroucher son vis-à-vis, qui se rétractera probablement. Par contre, s’il en a l’occasion, l’interrogateur s’efforcera de dissiper les éventuelles incohérences ou invraisemblances de la version proposée par le suspect par ses questions et ses encouragements. En outre, il cherchera à obtenir plus d’informations sur les circonstances, les motivations et la nature du crime commis.

40À cette étape, il est probable que le suspect fournisse une déclaration mensongère à propos de son implication. Si tel est le cas, il n’est pas souhaitable que l’interrogateur confronte le suspect avant que ce dernier ait expliqué l’ensemble des circonstances du passage à l’acte. Lorsque l’enquêteur sentira que l’inculpé est satisfait de la version qu’il aura fournie, il pourra alors en détailler des aspects précis. C’est également à cette étape que le discours de l’interrogateur pourra comporter un vocabulaire plus direct (par exemple, tuer, agresser, pénétrer, poignarder, étrangler, humilier, etc.). Les auteurs mentionnent qu’il est très important à cette étape que l’enquêteur soit seul avec le sujet et qu’il évite de prendre des notes par écrit. Toute son attention doit se porter sur les dires du sujet. Les différentes sources d’interférence qui pourraient inhiber l’inculpé doivent être contrôlées. C’est après avoir obtenu l’aveu et toutes les précisions qu’il croit nécessaires que l’interrogateur aura parfois avantage à demander au suspect de répéter sa version devant un autre enquêteur de manière à éviter ultérieurement, devant les tribunaux, les problèmes pouvant découler du refus du suspect de signer ses aveux. Notons toutefois qu’avec les interrogatoires audiofilmés, la présence de ce second enquêteur n’est plus requise.

Étape 9 : Convertir l’aveu oral en aveu écrit

41Finalement, il s’agit ici de transposer l’aveu oral par écrit. En effet, certains suspects sont tentés de se rétracter après l’aveu et une partie d’entre eux prétendent n’avoir jamais avoué leurs crimes ou, encore, l’avoir fait sous la menace, les promesses ou par dépit. Mais lorsque la déclaration est signée par le suspect, il est beaucoup plus difficile de la contester devant les tribunaux. Comme la pratique des interrogatoires audiofilmés s’est installée, en particulier pour les crimes majeurs, cette étape est de moins en moins nécessaire.

42Analysée par Kassin et McNall (1991), cette technique de Reid en neuf étapes comporte, selon eux, deux opérations importantes, à savoir la maximisation et la minimisation. La maximisation est surtout recommandée pour les suspects non émotifs : elle consiste à favoriser les aveux en amplifiant les éléments de preuve de même qu’en exagérant la gravité de l’infraction commise. À l’opposé, la minimisation serait plus appropriée pour les suspects qui ressentent de la culpabilité. Dans ces cas, l’interrogateur favoriserait l’aveu en démontrant de l’empathie pour le suspect, en lui proposant des justifications plausibles, en attribuant partiellement le blâme à la victime ou, encore, en atténuant à ses yeux la gravité de l’infraction. Selon les mêmes auteurs, il faut faire attention à cette technique subtile d’interrogatoire puisqu’elle renferme des messages dont le caractère trop suggestif risque de rendre irrecevables en cour les aveux obtenus. En effet, les individus particulièrement influençables (les jeunes, les personnes anxieuses, celles ayant une faible estime de soi, etc.) sont à risque de faire de faux aveux (Gudjonsson, 2003). Ainsi, les personnes qui sont vulnérables aux attitudes et aux stratégies suggestives de la police peuvent parfois avouer des crimes qu’elles n’ont, en réalité, jamais commis. Dès lors, lorsqu’un individu admet son implication dans un délit, l’enquêteur devrait toujours se demander si cette confession est véridique et si elle n’est pas le fruit des attitudes ou des stratégies persuasives s’adressant au suspect.

43Un des moyens proposés dans les publications scientifiques pour vérifier la véracité d’un aveu est de demander au suspect de fournir des renseignements dans un ordre chronologique inversé. En effet, les faux aveux sont généralement racontés chronologiquement du début à la fin. Par contre, une personne non coupable a généralement de la difficulté à donner une version logique des faits dans un ordre chronologique inverse : des informations peuvent être escamotées ou les séquences mal ordonnées. Un autre moyen de vérification consiste à poser au suspect des questions portant sur des informations déjà en possession des enquêteurs et qui doivent nécessairement être connues de l’auteur de l’infraction. Par exemple, on peut demander de décrire précisément un lieu ou un objet lié au crime. Dans ces derniers cas, si le suspect fournit des détails exacts, il est fort probable qu’il soit l’auteur de l’infraction en cause. Bref, l’enquêteur devrait demeurer conscient de l’éventualité d’obtenir de faux aveux, surtout s’il applique la technique d’interrogatoire élaborée par Inbau et al. (2001), technique qui invite précisément à la confession (Gudjonsson, 2003).

L’interrogatoire des meurtriers sexuels

44Il paraît évident que le meurtre sexuel est un crime qui se distingue, à plusieurs égards, des autres types d’homicides. Il a notamment en propre qu’il est très rarement perpétré pour des raisons extrinsèques à l’agresseur, mais plutôt pour des motifs qui lui sont intrinsèques et qui relèvent d’une psychologie bien spécifique. Les particularités de l’homicide sexuel ont une incidence manifeste sur les attitudes et les propos stratégiques à privilégier lors de l’interrogatoire du suspect.

45Nous nous efforcerons ici de cerner la stratégie d’interrogatoire, les attitudes ainsi que quelques-unes des caractéristiques personnelles et professionnelles de l’interrogateur qu’il serait judicieux de réserver à chaque type de meurtriers sexuels. Quelques pistes de réflexion au sujet d’éventuelles recherches ultérieures seront proposées en guise de conclusion.

Taxinomie de l’homicide sexuel

46Il existe, selon certains auteurs, plus de deux types de meurtriers sexuels (Beech, Robertson et Clarke, 2001 ; Clarke et Carter, 1999 ; Kocsis, 1999). Toutefois, étant donné que les typologies de meurtriers sexuels répertoriées par Beauregard et al. (2002) comportent toutes, sous différentes appellations, une catégorie d’agresseurs sadiques (Beauregard et al, 2002 ; Becker et Abel, 1978 ; Bromberg et Coyle, 1974 ; Cohen et al., 1971 ; Groth, Burgess et Holmstrom, 1977 ; Guttmacher et Weihofen, 1952 ; Knight et Prentky, 1990 ; Podolsky, 1966 ; Prentky, Burgess et Carter, 1986 ; Rada, 1978 ; Ressler et Burgess, 1985 ; Scully et Marolla, 1985) et une catégorie de meurtriers colériques (Beauregard et al, 2002 ; Cohen et al., 1971 ; Groth, Burgess et Holmstrom, 1977 ; Knight et Prentky, 1990 ; Prentky, Burgess et Carter, 1986 ; Rada, 1978), c’est sur ces deux seuls types que nous nous concentrerons ici. De fait, bien qu’il existe des meurtriers sexuels qui tuent dans le but d’éliminer le témoin-victime (Beech, Robertson et Clarke, 2001) ou encore qui agissent sous l’influence de désordres mentaux (Clarke et Carter, 1999), ceux dont il sera exclusivement question dans ce chapitre sont les meurtriers sexuels colériques et les meurtriers sexuels sadiques.

47Le meurtrier sexuel colérique est caractérisé par une impulsivité marquée et par l’instabilité de ses relations interpersonnelles, de son image de soi et de ses affects. Il a une intelligence moyenne, des antécédents d’emploi limités, une propension à consommer des substances psychoactives et il s’investit peu dans la sexualité. Avant le délit, il est souvent hanté par des pensées désagréables et des idéations suicidaires qui se transforment en affects de rage, de haine, de colère et de mépris souvent dirigés vers une personne de son entourage. Au moment du délit, cet excès de tension est libéré soudainement et sans préméditation en réaction à des gestes, à des paroles ou à des événements anodins. Le délit prend la forme d’une attaque explosive et violente se concrétisant par des coups portés à plusieurs endroits sur le corps de la victime, parfois jusqu’après sa mort. Celle-ci survient généralement par strangulation, et des actes sexuels ou des mutilations post-mortem sont parfois pratiqués. Après le délit, le meurtrier colérique éprouve du soulagement d’avoir pu libérer toute cette tension explosive. Il ne se soucie pas de nettoyer ou de camoufler la scène de crime. Le corps de la victime est laissé presque tel quel et la scène de crime n’est pas modifiée, de sorte qu’elle présente généralement les marques de cette explosion.

48Contrairement au colérique, le meurtrier sexuel sadique est caractérisé par un mépris de la personne et une propension à transgresser ses droits fondamentaux. Il a des idéations grandioses, un grand besoin d’être admiré et un manque d’empathie. Il a une vision utilitaire des relations sociales et des expressions émotionnelles réduites. L’ordre, la perfection et le contrôle le préoccupent. Il est plutôt intelligent, bien scolarisé (études postsecondaires), il a un bon dossier d’emplois et est attiré par des activités professionnelles lui conférant une certaine autorité ou des occasions de côtoyer la mort. Il est fasciné par les domaines de la sécurité et de la police. Sa trajectoire criminelle comporte souvent des délits d’introduction par effraction, des agressions sexuelles et d’autres délits de violence. Avant le crime, il accumule une importante charge d’agressivité. Il est animé par un monde fantasmatique de plus en plus envahissant. Le crime est soigneusement prémédité quant au type de victime, à l’endroit et au mode opératoire. Ce type de meurtrier sexuel se laisse porter par sa mise en scène préalablement planifiée. À cette occasion, il peut notamment attacher et bâillonner la victime, la torturer, insérer des objets dans ses cavités corporelles, mutiler ses organes génitaux, exiger d’elle toutes sortes d’autres activités sexuelles, violentes et humiliantes. Ces actes aboutissent à la mort de la victime, généralement par strangulation. Une fois le meurtre perpétré, le sujet ressent peu de remords pour les actes commis et leurs conséquences. Il tente habituellement d’effacer les traces de son agression en déplaçant et en dissimulant le corps de la victime, en nettoyant la scène de crime et en la dépouillant de ses indices. Pour prolonger le plaisir ressenti lors du meurtre, le sujet peut conserver des objets ayant appartenu à la victime. Celui-ci est attentif à la couverture médiatique de l’événement, il peut se porter volontaire pour participer aux recherches de la police et, dans certains cas, il peut assister aux funérailles de la victime.

49Ces deux types de meurtriers sexuels sont différents l’un de l’autre. Ils présentent des structures de personnalité distinctes dont découlent des cognitions, des émotions et des réactions tout aussi différentes. Ces caractéristiques ont elles-mêmes une incidence directe sur la façon dont est préparé le délit (phase précrime), sur la manière dont il est commis (mode opératoire) et sur la nature des réactions du sujet après le délit (phase postdélictuelle). Le colérique manifeste beaucoup de violence lors de l’homicide. Il vit des affects désagréables : d’abord de la colère durant la phase prédélictuelle et ensuite de la culpabilité, de la honte et des remords au cours de la phase postdélictuelle. Compte tenu de ces affects, le meurtrier colérique sera considéré comme un agresseur de type émotif selon les principes d’Inbau et al. (2001)16. Quant au sadique, qui exprime moins de violence lors du délit mais qui le planifie mieux, qui est plus organisé (par exemple, usage d’une arme et sélection de la victime) et dont les actes sont plus ritualisés (par exemple, mutilation), il vit plutôt des affects agréables avant et après le délit : plaisir, excitation, bien-être, sérénité, etc. De ce fait, il sera considéré, selon Inbau et al. (2001), comme un agresseur de type non émotif17. Ainsi, de façon générale, il est justifié de classer le colérique parmi les émotifs et le sadique parmi les non-émotifs.

Stratégie d’interrogatoire selon le type de meurtrier sexuel

50Lorsque l’enquêteur procède à l’arrestation d’un suspect, c’est qu’il croit, à la lumière de toutes les informations réunies dans le cadre de son enquête, que celui-ci est vraisemblablement l’auteur de l’homicide sexuel. Au moment de l’arrestation, l’enquêteur est en général en possession de nombreux éléments incriminants : il connaît bien les caractéristiques de la victime, il a une bonne idée des circonstances dans lesquelles s’est déroulée l’infraction et il est habituellement en possession de plusieurs informations concernant le suspect qu’il s’apprête à interroger. Avec les renseignements dont il dispose, il peut se faire une idée du type de meurtrier sexuel impliqué dans l’agression.

51La stratégie d’interrogatoire devrait reposer sur tous les éléments de preuve dont l’enquêteur dispose jusqu’à présent, mais elle devrait aussi tenir compte des renseignements manquants. L’interrogatoire aura entre autres pour objectif de permettre de vérifier les éléments de preuve déjà en main et d’obtenir, de la part du suspect, certaines données supplémentaires que l’enquête n’a pas permis d’obtenir jusqu’à maintenant. Pour recueillir ces informations manquantes, l’enquêteur devrait idéalement élaborer une stratégie d’interrogatoire en accord avec le type de meurtrier sexuel à questionner.

52Au vu des informations dont on dispose sur les types de meurtriers sexuels, il semble possible de concevoir une stratégie d’interrogatoire destinée au meurtrier colérique et une autre au meurtrier sadique. Ces tactiques visent à créer des conditions susceptibles de favoriser la communication entre enquêteur et suspect, de susciter la collaboration de ce dernier, d’accroître sa réceptivité aux arguments de l’interrogateur ou à ses déclarations incriminantes et, à la fin, de l’encourager à faire des aveux.

53Nous voyons dans le meurtrier sexuel sadique un individu de type non émotif : manque d’empathie, détachement dans ses relations sociales, restriction dans la variété de ses expressions émotionnelles, etc. Ainsi, la stratégie d’interrogatoire qu’il convient d’adopter avec lui doit reposer sur la logique. L’enquêteur peut se préparer en choisissant des modes de penser par lesquels il estime pouvoir obtenir la collaboration du suspect. Ainsi, des raisonnements, des arguments, des propositions et des explications pourront être formés à l’intention du suspect avec le maximum de soin, de rigueur et de cohérence, de manière à satisfaire ses facultés intellectuelles. La stratégie dominante devrait être axée sur le souci de démontrer la vérité : produire des éléments de preuve ou encore avancer des arguments incriminants difficilement discutables, voire incontestables. Autrement dit, l’interrogateur devrait poursuivre l’objectif de démontrer au suspect qu’il est en possession d’éléments de preuve sans faille et qu’en ce sens il est en mesure de contrer les arguments censés le disculper. Cela aura généralement pour effet de l’amener à conclure qu’il est futile de persister dans sa dénégation ou qu’il doit se résoudre à abandonner toute tentative de disculpation. L’enquêteur s’efforcera de paraître à ce point rationnel aux yeux du suspect que celui-ci renoncera même à présenter tout moyen de défense ou tout alibi qui pourrait être facilement contredit.

54Dans le déploiement de cette stratégie logique, l’interrogateur peut recourir à des raisonnements discursifs, inductifs, hypothéticodéductifs, voire empreints de sophisme. Dans la mesure du possible, les explications avancées par l’enquêteur, et même l’ensemble de ses attitudes à l’endroit du suspect, devraient être placées sous le signe de la raison. Les propos de l’enquêteur devraient comporter une somme d’arguments qui mènent à la conclusion que le suspect est impliqué dans l’homicide sexuel sous enquête.

55Pour interroger un meurtrier sexuel sadique, la stratégie la plus appropriée semble être celle qui consiste à faire appel à ses facultés cognitives, à sa raison et à son bon sens, en lui parlant de manière réfléchie et mesurée. À la moindre hésitation du suspect, l’interrogateur devrait s’empresser de fournir des explications et des arguments, pour appuyer ses thèses ou contrer celles de son vis-à-vis. En réaction aux tentatives de déstabilisation de la part du suspect, l’interrogateur doit demeurer très logique sur le plan des idées et ne pas manifester d’incertitudes. Les aveux ont le plus de chances d’intervenir quand l’enquêteur est parvenu à faire échec à la version des faits du suspect, lorsque celui-ci ressent de l’impuissance et de la résignation devant les éléments de preuve dévoilés par l’enquêteur. Il s’agit donc de susciter chez le suspect l’impression que tous ses arguments mettant en doute son implication dans le délit ont été contrecarrés et que la seule issue logique est d’avouer son crime.

56Contrairement au sadique, le meurtrier sexuel colérique est un individu de type émotif, c’est-à-dire impulsif, instable dans ses relations interpersonnelles, ayant une image de soi négative et possédant une grande variété d’affects. La stratégie d’interrogatoire qu’il convient d’adopter avec ce type de meurtriers est axée sur l’affectivité. Ainsi, l’enquêteur devrait être en mesure de percevoir un large éventail d’affects et de tenir un discours qui les exploite. Il devrait profiter de différentes émotions que peut ressentir le suspect au cours de l’interrogatoire. Parfois, il s’efforcera d’atténuer les émotions qui sont trop envahissantes et qui empêchent le suspect de fournir des explications, alors que d’autres fois il tentera d’exacerber des émotions plus faiblement ressenties pour l’inciter à s’exprimer ou à s’expliquer davantage. Pour ce type de meurtrier sexuel, l’interrogateur doit tenir des propos susceptibles de susciter des réactions affectives tantôt agréables tantôt désagréables. Ce qui apparaît important en ce qui concerne le colérique, ce n’est pas d’user d’un discours logique, cohérent et raisonné basé sur les éléments de preuve recueillis, mais bien d’établir une connivence avec lui dans le but de l’inciter à rendre compte de l’état émotionnel dans lequel il était au moment du passage à l’acte, de manière à le rendre compréhensible. C’est par de tels moyens que l’interrogateur parviendra à obtenir des explications sur l’implication du suspect dans l’homicide. Autrement dit, avec ce type de meurtrier sexuel, l’enquêteur doit appliquer une stratégie d’interrogatoire permettant de susciter des impressions chez le suspect, de l’émouvoir ou de l’affliger pour avoir plus d’influence sur lui. Parmi les sentiments qu’on peut lui faire ressentir, il y a la peine, les remords, la culpabilité par rapport à l’infraction commise et les conséquences qui en découlent. À certaines occasions, l’interrogateur devra exprimer lui aussi des affects, faire preuve d’empathie et donner au suspect l’impression qu’il a trouvé la personne disposée à l’écouter, à le comprendre et à l’aider. Avec ce type de meurtrier sexuel, l’enquêteur devra en quelque sorte jouer le rôle du confident à qui le suspect révélera ses pensées intimes et le plus grand de ses secrets, qui est le crime perpétré. Alors qu’il est souhaitable de faire ressentir au sadique de l’impuissance et de la résignation, il convient plutôt de donner à entendre au colérique que l’aveu peut lui apporter un soulagement de ses tensions internes.

57Finalement, c’est avec ce type de meurtrier sexuel que les attitudes non verbales (par exemple, le toucher, la proximité corporelle, le contact visuel, les mimiques du visage, etc.) peuvent s’avérer le plus utile. Puisque le mode de communication du meurtrier colérique relève plutôt des émotions que des cognitions, il sera généralement réceptif aux tentatives de rapprochement non verbal de l’enquêteur.

58Lorsque l’enquêteur a la conviction qu’il est en présence d’un homicide sexuel et qu’il a identifié le bon type de meurtrier, il peut songer à formuler des arguments lui permettant d’inciter le suspect à faire des aveux. Le tableau 11.118 présente certaines attitudes et propos stratégiques destinés à l’un ou l’autre des deux types de meurtriers sexuels.

Les attributs de l’enquêteur

59Inbau et al. (2001) énoncent une série d’attributs qui sont le propre d’un bon interrogateur. Parmi les qualités personnelles, ils avancent les caractéristiques suivantes :

1. Bonne intelligence ;

2. Bonne compréhension de la nature humaine ;

3. Habileté à entretenir de bons rapports avec autrui ;

4. Patience ;

5. Perspicacité.

60À cela s’ajoute que l’interrogateur devrait notamment faire preuve de persévérance, de calme et d’une bonne capacité d’écoute. De plus, l’enquêteur devrait être très intéressé par l’art de l’interrogatoire et se tenir au courant des derniers développements dans ce domaine. Il faudrait qu’il connaisse l’éventail des techniques d’interrogatoire existantes et celles qui devraient être appliquées selon le type de suspect ; il devrait aussi être informé des règles de procédure qui régissent l’interrogatoire. Une bonne connaissance de la psychologie criminelle, des théories de l’aveu, de la suggestibilité et de la fausse confession est également considérée comme importante. L’enquêteur devrait être en mesure de rassembler les éléments de preuve qui lui fournissent des indications sur le type d’infracteur dont il s’agit et de déterminer la stratégie d’interrogatoire la plus appropriée aux circonstances. Une bonne connaissance des indices de tromperie, aussi bien dans le discours du suspect que dans les signaux non verbaux, apparaît essentielle. À l’instar de la capacité à user des techniques d’interrogatoire avec efficacité, les aptitudes à reconnaître de tels signes et à repérer les attitudes défensives et évasives reposent largement sur les habiletés personnelles de l’interrogateur.

61L’enquêteur devrait aussi s’adapter au type de meurtrier sexuel qu’il s’apprête à interroger19. Il serait bon qu’il connaisse le plus de choses possible sur lui. La compréhension de la personnalité du meurtrier, des émotions qui l’habitent et de ses besoins sont des aspects fondamentaux à maîtriser. L’enquêteur devrait aussi connaître les principales caractéristiques personnelles (qualités, défauts, intérêts, ambitions, etc.) du suspect, ses antécédents personnels, sa formation scolaire et professionnelle, de même que ses sources de revenus et ses antécédents judiciaires. Il devrait également être au courant des caractéristiques personnelles de la victime (fréquentations, attitudes, comportements, tempérament, etc.) de même que de toutes les circonstances de l’arrestation et de la détention du suspect.

62Toutefois, contrairement à ce que semblent croire certains enquêteurs, ce ne sont apparemment pas tant les connaissances techniques qui sont le plus déterminantes dans le succès de l’interrogatoire, mais plutôt les aptitudes personnelles de l’interrogateur (Inbau et al, 2001). Les qualités qui font d’un policier un bon enquêteur n’en feront pas nécessairement un bon interrogateur. Par exemple, l’empressement peut être une qualité chez l’enquêteur mais un défaut pour l’interrogateur (Inbau et al, 2001, p. 65). Selon une étude de Holmberg et Christianson (2002), si une attitude de domination peut parfois s’avérer fructueuse pour les interrogateurs, il est plus souvent avantageux pour eux d’avoir une attitude humaine, empreinte de respect et de compréhension pour le suspect. Lorsque celui-ci se sent respecté et compris, les probabilités d’obtenir ses confidences ou ses aveux augmentent. Pour Baldwin (1992), qui a observé de nombreux interrogatoires, l’enquêteur doit faire preuve de professionnalisme et d’ouverture d’esprit. Les interrogateurs devraient donc être capables de porter une attention particulière aux dires du suspect, d’écouter attentivement ses réponses et de prendre connaissance de ses opinions sans les juger (Baldwin, 1992 ; Ressler et Burgess, 1985 ; Shepherd, 1991).

63Enfin, il serait souhaitable, selon Inbau et al (2001), que les organisations policières disposent de spécialistes de l’interrogatoire. En principe, le recours accru à de tels experts multiplierait les aveux obtenus légalement et ferait baisser le nombre de fausses déclarations. Compte tenu de l’importance des interrogatoires parmi les moyens à notre disposition pour solutionner une affaire, nous estimons qu’il devrait exister des interrogateurs de deux types bien distincts : le type relationnel et le type rationnel. Dans un monde idéal, il serait souhaitable qu’il existe des enquêteurs appartenant à la fois aux deux types. Une telle bivalence étant rare, qu’au moins les policiers réalisant des interrogatoires puissent avoir les qualités personnelles et professionnelles soit du type relationnel, soit du rationnel, types dont les profils respectifs20 sont les suivants :

Profil de l’interrogateur relationnel

64Il est important, dans le cas du meurtrier colérique, que l’interrogateur fasse appel à ses émotions. Pour ce faire, l’interrogateur doit avoir une grande sensibilité. Il doit être en mesure d’établir rapidement des liens relativement étroits avec le suspect, de faire preuve de charisme, de maintenir une certaine proximité avec autrui et de faire montre de chaleur humaine. Il doit être à l’aise avec le spectre des émotions, sensible à la détresse des autres et capable de manifester de la compréhension. Selon les différents cas de figure, ce type d’interrogateur doit être en mesure d’attendrir, de bouleverser, d’ébranler, de troubler ou d’émouvoir le suspect.

Profil de l’interrogateur rationnel

65Avec le meurtrier sexuel sadique, l’interrogateur doit faire appel aux facultés cognitives de celui-ci. Comme s’efforce de le faire le suspect, l’interrogateur doit être capable d’apprécier la valeur de ses éléments de preuve et de convaincre l’autre de leur solidité, au moyen d’une démonstration rigoureuse et cohérente. L’interrogateur de type rationnel doit surtout s’exprimer en termes économiques et parler des coûts et des avantages du crime pour le suspect, des gains qu’il entend retirer des éléments de preuve qu’il détient contre l’inculpé, etc. L’interrogateur devrait être en mesure de faire la démonstration que ses éléments de preuve à charge l’emportent sur les éléments à décharge. En démontrant ainsi le déséquilibre existant entre les éléments à charge et les éléments disculpant le suspect, il est alors possible de lui faire voir l’aveu comme un moyen de rétablir un certain équilibre entre les forces et les faiblesses de sa position. Pour être en mesure de faire ce genre de démonstration, l’interrogateur doit être capable de raisonnements logiques et mathématiques. Pour parvenir à ses fins, il pourra aussi recourir à des analogies avec d’autres événements vécus par le suspect et leurs conséquences. L’interrogateur de type rationnel doit jouir d’une bonne vivacité intellectuelle, être capable de se livrer à des interprétations sensées et de les expliquer au suspect de façon claire. Au meurtrier sadique, il convient donc d’opposer un interrogateur cohérent, méthodique, organisé, rationnel, logique et rigoureux. La pensée discursive et la dialectique sont parfaitement de mise avec ce type de délinquant.

66Nombre de questions politiques, organisationnelles, sociales, juridiques et de formation sont actuellement soulevées par les scientifiques, les décideurs et la police à propos des entrevues policières et des interrogatoires. Les publications scientifiques disponibles sur le sujet sont limitées. De nouvelles recherches pourraient ainsi être réalisées afin d’améliorer, de préciser et d’enrichir les stratégies d’interrogatoire à appliquer avec les différents types de délinquants. Plusieurs variables statiques et dynamiques relatives au processus de passage à l’acte, à l’agresseur, à la victime, au déroulement de l’enquête policière de même qu’à l’interrogateur pourraient être mises en relation avec les comportements du suspect à l’interrogatoire. De telles recherches contribueraient ainsi à enrichir les connaissances des facteurs susceptibles de favoriser l’issue positive de l’interrogatoire et aideraient au développement de nouvelles techniques d’interrogatoire adaptées aux différents types de délinquants. Ces études permettraient donc non seulement de mettre à l’épreuve de l’observation empirique les diverses théories de l’aveu, de la fausse confession ou de la suggestibilité, mais contribueraient à l'amélioration du rendement du travail d’enquête.

67De façon générale, les suspects interrogés sont peu enclins à passer aux aveux et à reconnaître leur responsabilité. Ainsi, il est important que les enquêteurs connaissent bien les diverses formes de criminalité, les caractéristiques de leurs auteurs de même que l’utilité de telles connaissances taxinomiques sur le déroulement de leurs interrogatoires. C’est forts de ces connaissances que les policiers mèneront des interrogatoires plus efficaces. Dans ces circonstances, il serait souhaitable que les organisations policières utilisent les services d’experts pour les aider à réaliser les entrevues policières (victime, témoin, informateur, etc.) et pour concevoir les stratégies d’interrogatoire à adopter avec les différents types de délinquants. Ils pourraient aussi contribuer à déterminer le meilleur pairage possible du suspect et de l’interrogateur au vu de leurs caractéristiques respectives. Ces spécialistes pourraient en outre être appelés à seconder les divisions des enquêtes dans l’identification du type de criminel impliqué et des sources d’informations susceptibles de fournir des éléments de preuve pertinents et efficaces. Ces contributions scientifiques et techniques permettraient ainsi d’augmenter la qualité des enquêtes et d’accroître les probabilités d’obtenir des aveux légalement, autrement dit de façon libre et volontaire.