4. Meurtriers sexuels et violeurs : l'intention et la situation
p. 109-135
Texte intégral
1Contrairement à la plupart des études sur l’homicide sexuel, qui mettent l’accent sur des facteurs explicatifs de personnalité (voir chapitre 3), notre étude a la particularité de mettre l’accent sur la situation. Cette approche s’inspire des travaux de Felson et Steadman (1983) et de ceux de Cusson (1998a et 1998b). Ainsi, Felson et Steadman (1983) ont réalisé une étude dans laquelle ils comparent des homicides et des voies de fait. Leur objectif était de comprendre pourquoi les voies de fait se terminent parfois par un homicide. Leur échantillon comprend des criminels incarcérés pour voies de fait et d’autres pour homicide. Ils s’intéressent particulièrement aux variables suivantes : l’utilisation d’une arme par l’agresseur et par la victime, la consommation d’alcool ou de drogues de l’agresseur et de la victime, le nombre de coups portés à la victime par l’agresseur. Felson et Steadman (1983) se sont aperçus que le comportement de la victime durant le crime n’était pas le même selon qu’il s’agissait d’un homicide ou de « simples » voies de fait. Le comportement de la victime semble influer sur le comportement de l’agresseur au cours du délit. Leur étude montre qu’une victime agressive et armée court plus de risques de se faire tuer. Par ailleurs, les agresseurs sont plus enclins à tuer leur victime si celle-ci est intoxiquée (alcool ou drogue). Felson et Steadman (1983) arrivent à la conclusion qu’un type de réaction de la victime entraîne le même type de réaction chez l’agresseur : si la victime est agressive à son endroit, celui-ci sera encore plus agressif ; si la victime lui résiste par des coups, il lui infligera aussi des coups.
2Cusson (1998a) parle d’une « réciprocité négative » : la conduite de l’agresseur est déterminée par la conduite de sa victime. Ceci nous amène à penser que la victime a un rôle actif dans l’agression et, par conséquent, elle a une part de responsabilité dans le déroulement du crime1. Tenir compte du comportement de la victime au cours de l’agression est, selon nous, un élément important pour comprendre le déroulement de l’acte criminel, scène par scène, étape par étape.
3Par sa définition de l’acte criminel, Gassin (1998) nous apporte une précision supplémentaire. Il le conçoit comme l’aboutissement d’un processus d’interaction entre un acteur et une situation qui se déploie dans le temps, avec un commencement, un déroulement et une fin. Ainsi, nous pensons que le déroulement de l’acte criminel dépendra de l’interaction entre les acteurs dans une situation particulière. Chaque sujet sera amené à faire des choix tout au long de cet événement. Ces choix sont vus par le criminel comme des moyens d’adaptation à la situation et ils lui semblent rationnels au moment de sa prise de décision. Il peut paraître choquant de parler de rationalité lorsqu’on étudie des crimes aussi graves que le viol et l’homicide sexuel, pourtant il y a derrière tout crime une certaine rationalité.
4Cusson (1998b) nous explique la pertinence de tenir compte de cette rationalité quel que soit le crime dont il est question :
Poser que le délit recèle une rationalité à découvrir, c’est inviter le chercheur à aller au-delà des apparences, au-delà de ce que le crime a de condamnable et de déraisonnable pour s’enquérir, non de ses causes, mais de ses raisons. Et il s’agit moins de constater qu’un délit est rationnel que de dire en quoi il l’est. Il est fécond de postuler que les crimes les plus divers et les plus graves procèdent de choix qui ne sont pas totalement dépourvus de raison. (p. 76)
5C’est bien dans cette perspective de rationalité que notre étude s’inscrit. Étudier le déroulement du crime, scène par scène, pour tenter de comprendre le processus d’aggravation du viol au meurtre sexuel, c’est chercher la rationalité qui se cache derrière ces crimes, c’est-à-dire saisir ce qui a poussé l’agresseur à choisir de faire tel geste à tel moment précis.
6Le choix de l’agresseur dépendra de la situation mais aussi de ses intentions, de ses sentiments avant la perpétration du crime. Ce sont ces variables que nous insérerons dans nos analyses. Une interaction s’opère entre ce qu’est l’agresseur au moment du crime en tant qu’être intentionnel et ce qu’est la situation en tant qu’environnement direct. Cohen (1966), qui reprend cette notion d’interaction, explique ce processus avec une image intéressante : « L’acte déviant ressemble à la réaction qui s’opère lorsque deux substances chimiques sont mises en présence. » (p. 94)
7Il ajoute :
Dans la poursuite d’un intérêt ou d’un but, un individu prend une direction[.] [L]e pas suivant qu’il accomplira (la continuation dans la voie choisie) n’est pas entièrement déterminé par l’état des choses au point de départ. Il peut choisir entre deux ou plusieurs directions possibles. Ce que sera son choix dépendra de l’acteur et de la situation à ce moment précis : avec le temps, l’acteur, la situation, ou les deux peuvent avoir connu des changements. (p. 94)
8Ce passage nous montre l’importance d’analyser le crime scène par scène pour en comprendre la dynamique. C’est dans cette direction que nous nous dirigeons pour repérer les éléments explicatifs du processus d’aggravation du viol au meurtre sexuel. Afin de poursuivre une approche situationnelle, il est nécessaire de contextualiser l’homicide sexuel et de le rendre intelligible. Car si l’homicide sexuel paraît absurde en raison de son extrême gravité, cette absurdité n’implique nullement que nous ne puissions le rendre intelligible. De quelle façon le faire ? Y a-t-il quelque chose dans la situation même du crime qui pousse l’agresseur à tuer sa victime ? L’agresseur s’adapte-t-il aux différentes circonstances du crime et aux comportements de sa victime ? Quels sont les facteurs explicatifs du viol et du meurtre sexuel qui pourraient nous guider dans la compréhension du processus d’aggravation du viol au meurtre sexuel ?
Les facteurs intentionnels et situationnels de l'agression sexuelle
9Les premiers travaux sur l’agression sexuelle notent qu’il existe un seul facteur précipitant qui conduit certaines personnes à commettre un viol : une excitation sexuelle déviante (Bond et Evans, 1967). Barlow et Abel (1976) précisent que l’excitation sexuelle n’est pas le seul facteur explicatif du viol. Il y aurait à la fois déficience de l’excitation sexuelle et des habiletés sociales. Aubut (1993) parle d’une « pathologie sexuelle » et propose une « approche bio-psycho-sociale » pour expliquer le passage à l’acte.
10Yates, Barbaree et Marshall (1984) ont réalisé une étude montrant que la colère a pour effet d’accentuer le niveau d’excitation pour une sexualité violente lors d’une évaluation phallométrique. Marshall et Barbaree (1990) mentionnent que des facteurs situationnels transitoires peuvent être de bons facteurs explicatifs du viol. Ainsi, la présence de sentiments hostiles, par exemple, la colère, constitueraient des facteurs précipitants du viol. Groth, Burgess et Holmstrom (1977) approfondissent la question du pouvoir. Ils ont établi que la majorité des violeurs veulent démontrer leur pouvoir en cherchant à dominer leur victime. Pour cela, ils l’intimideront avec une arme, par la force physique ou la menace.
11Hall et Hirshman (1991) ont inséré les distorsions cognitives dans leur modèle de l’agression sexuelle. Ils précisent que celles-ci permettent aux agresseurs de justifier leur passage à l’acte. Elles se manifestent par des pensées telles que « la victime le voulait », « elle le méritait », « elle était consentante », etc. Ouimet, Guay et Proulx (2000) montrent que la croyance « elle le méritait » a pour effet d’augmenter la gravité de l’agression. Cette distorsion cognitive renvoie plus particulièrement à un sentiment de vengeance. Il peut s’exprimer spécifiquement envers la victime ou à l’égard des femmes (Bénézech, 1995 ; Knight et Prentky, 1990).
12Par ailleurs, Marshall et al. (1983) ont constaté que de nombreux violeurs étaient sous l’effet de l’alcool au moment du crime. Ils émettent l’hypothèse que cette substance réduirait le contrôle de l’excitation sexuelle. Par ailleurs, elle conduirait certains hommes à ne plus tenir compte des prohibitions sociales usuelles et les amènerait ainsi à passer à l’acte plus facilement. Dans une autre étude, Marshall et Barbaree (1990) démontrent que la consommation d’alcool et de drogues est un facteur précipitant du viol. Finalement, dans une recherche plus récente, Ouimet, Guay et Proulx (2000) ont noté que l’ingestion d’alcool avant le délit augmente la gravité des blessures chez la victime. Par contre, la consommation de drogues n’aurait pas d’impact sur l’aggravation de l’agression.
13Block et Skogan (1985, 1986) se sont interrogés sur la résistance de la victime et ses conséquences sur le déroulement du crime. Leurs analyses démontrent que la résistance de la victime augmente le risque de blessures. Ainsi, au cours d’un viol, plus la victime résiste, plus importante sera l’attaque physique de son agresseur. Par ailleurs, Felson et Krohn (1990) ont réalisé une étude sur les motivations qui mènent au viol. Ils s’inspirent essentiellement des écrits sur la violence criminelle. Ils justifient ce cadre théorique en stipulant que le viol est une forme de violence criminelle. Ils se réfèrent aux écrits sur le vol pour légitimer l’importance de la situation lors d’une agression sexuelle. Ainsi, ils émettent l’hypothèse que le comportement de la victime a un impact sur le déroulement du crime. Il se pourrait que le comportement de la victime suscite la colère de l’agresseur, et que cette colère puisse inciter ce dernier à utiliser plus de violence que nécessaire. Les résultats de cette étude montrent, en effet, que les victimes qui résistent augmentent le risque qu’elles soient blessées.
14Dans leur étude basée sur la violence criminelle, Felson et Krohn (1990) ont aussi établi que l’utilisation d’une arme a un impact sur le déroulement du crime. En effet, ils ont constaté que les violeurs munis d’une arme blessent plus fréquemment leur victime. De la même façon, Felson et Messner (1996) ont montré que l’utilisation d’une arme dans une agression sexuelle augmentait le risque de conséquences négatives pour la victime.
15Les résultats de Felson et Krohn (1990) ont également démontré que les agresseurs qui sont les conjoints ou les ex-conjoints de leur victime, et ceux qui la connaissent bien, sont plus portés à la blesser que les autres agresseurs. De la même façon, Ouimet, Guay et Proulx (2000) ont constaté que ce sont les agressions intrafamiliales (conjoint, ex-conjoint, parent, frère, parent adoptif) qui comportent les blessures les plus sérieuses. Par ailleurs, les agressions sexuelles entre connaissances (collègues de travail, amis) sont celles où la gravité des blessures est moindre.
Problématique
16Cette recension des écrits nous amène à penser que le processus d’aggravation conduisant du viol au meurtre sexuel serait gouverné par des facteurs intentionnels d’abord, situationnels ensuite. D’une part, la colère de l’agresseur, sa soif de vengeance2, son désir d’assouvir des pulsions sadiques apparaissent comme des éléments de nature intentionnelle propres à faire monter l’agression vers un sommet de violence. D’autre part, l’intoxication, l’usage d’une arme, la résistance de la victime, le lien de connaissance et la durée du délit pourraient être des facteurs situationnels d’aggravation.
17L’impact des facteurs situationnels et intentionnels sera vérifié statistiquement en retenant deux manières distinctes de considérer le processus d’aggravation : premièrement, en tenant compte de l'issue fatale ou non de l’agression (viol versus homicide sexuel), deuxièmement, par un continuum. Ce continuum s’étend sur cinq paliers de gravité : viol sans blessure, viol avec blessures légères, viol avec blessures graves, viol avec meurtre et viol avec meurtre et mutilation (échelle créée par Quinsey et Chaplin, 1982).
18Notre problématique s’articule autour de deux axes : les intentions de l’agresseur et la situation dans laquelle il se trouve au moment des faits. Ainsi, nous nous intéressons à des variables intentionnelles (liées à l’agresseur) et situationnelles (liées au contexte de l’agression) pour expliquer le processus d’aggravation du viol au meurtre sexuel.
19Dans une première section, ce chapitre présentera succinctement la méthodologie adoptée. Nous présenterons ensuite les analyses statistiques multivariées qui permettront d’isoler les facteurs précipitants de l’aggravation au cours d’une agression sexuelle. Finalement, des « arbres de décision » et la présentation d’un récit délictuel affineront la compréhension du processus d’aggravation.
Méthodologie
Les données
20Dans la banque de données du Centre régional de réception, nous avons exclu les cas d’agressions sexuelles homosexuelles et les cas de pédophilie. Par ailleurs, nous avons conservé les cas d’agressions intrafamiliales. Ainsi, dans notre échantillon, nous trouvons essentiellement des crimes impliquant un homme qui agresse ou qui agresse et tue une victime de sexe féminin âgée de 14 ans ou plus. Une fois ces critères d’exclusion appliqués, un total de 289 crimes sexuels (246 viols et 43 homicides sexuels) ont été retenus pour la réalisation de cette étude.
Les variables
21Nous avons retenu 13 variables indépendantes. Elles relèvent des phases précriminelle ou criminelle, ou encore de la victimologie. Dans le cadre de notre étude, nous distinguons : les variables intentionnelles (colère prédélictuelle et délictuelle, désir de vengeance, excitation sexuelle prédélictuelle et délictuelle, fantaisies déviantes, humiliation de la victime) et les variables situationnelles (consommation d’alcool et de drogues, lien de connaissance entre l’agresseur et la victime, résistance de la victime, utilisation d’une arme, durée du délit). La mesure de chacune d’entre elles est présentée à la fin de ce chapitre (voir annexe I).
22Nous aborderons le processus d’aggravation du viol au meurtre sexuel à l’aide de deux variables dépendantes : l’issue de l’agression et la gravité de l’agression. Ce choix nous amène à présenter deux modèles du processus d’aggravation du viol à l’homicide sexuel (voir figure 4.1).
Analyses statistiques
23Des analyses préliminaires3 nous ont conduits à sélectionner les variables, ou une de leurs dimensions, les plus significatives. Ainsi, les variables testées lors des analyses multivariées sont les suivantes : colère avant le délit, colère pendant le délit, sentiment de vengeance, consommation d’alcool avant le délit, humiliation verbale et physique de la victime, lien agresseur-victime (familial ou intime), résistance verbale et physique de la victime, utilisation d’une arme (objet contondant) et durée du délit (moins d’une heure).
figure 4.1. Modèles du processus d’aggravation

24En réalisant des analyses multivariées, soit une régression logistique4 pour l’issue de l’agression et une régression multiple5 pour la gravité de l’agression, nous mesurerons l’effet de chacune des variables tout en contrôlant l’effet des autres variables.
tableau 4.1. Régressions logistique et multiple du processus d’aggravation (coefficients R et ß)
Issue de l'agression | Gravité de l’agression | |
Colère avant le délit | 0,149* | 0,125 |
Colère pendant le délit | 0,000 | 0,076 |
Désir de vengeance | 0,000 | 0,067 |
Consommation d’alcool avant le délit | 0,114* | 0,163** |
Humiliation verbale et physique de la victime | 0,000 | 0,143* |
Lien agresseur-victime : familial ou intime | – 0,200** | – 0,196** |
Résistance verbale et physique de la victime | 0,000 | 0,227*** |
Utilisation d’une arme : objet contondant | 0,230** | 0,244*** |
Durée du délit : moins d’une heure | 0,000 | – 0,101 |
Chi carré | 42,8 | |
Signification | 0,000 | |
Pourcentage de bonnes classifications | 87,4 % | |
R au carré | 0,370 | |
Signification | 0,000 |
* p < 0,05 ** p < 0,01 *** p < 0,001
25La régression logistique portant sur l’issue de l’agression sexuelle est significative au seuil de 0,001 (voir tableau 4.1). Nous obtenons un pourcentage de bonnes classifications de 87,4 %. Ce résultat indique que 12,6 % des événements qui ont reçu la prédiction « viol » ont été observés « homicide sexuel », ou inversement. Par ailleurs, nous remarquons que certaines variables n’ont pas été retenues dans la régression logistique. C’est le cas de l'affect de colère au cours du délit, du désir de vengeance, de l’humiliation verbale et physique, de la résistance verbale et physique et de la durée du délit. Par contre, un sentiment de colère avant la perpétration du crime est associé positivement au résultat de l’agression (R = 0,149 ; P = 0,017). Cela signifie qu’une agression impliquant un agresseur en colère avant le crime augmente les risques qu’elle se termine en homicide sexuel. Nous observons la même relation concernant la consommation d’alcool. Cette relation reste assez faible (R = 0,114 ; P = 0,042). Par contre, le fait que l’agresseur et la victime soient de la même famille ou amis intimes est fortement lié au résultat de l’agression (R = – 0,200 ; p = 0,003). Cette relation est négative, ce qui implique qu’une agression sexuelle entre personnes de la même famille ou entre intimes se termine rarement en un homicide sexuel. Lorsqu’un objet contondant (majorité des cas dans la catégorie « autres armes ») est utilisé, la probabilité que l’agression soit un homicide sexuel augmente sérieusement (R = 0,230 ; p = 0,001).
26Au sujet de la gravité de l’agression, la régression multiple, qui y est associée, est significative au seuil de 0,001. Nous obtenons un pourcentage de variance expliquée de 37 %. Ceci indique qu’il y a 37 % de la variance du niveau de gravité de l’agression qui est expliqué par le modèle. Par ailleurs, nous observons que certaines dimensions n’ont pas été retenues en raison de leur seuil non significatif. C’est le cas des affects de colère prédélictuelle et délictuelle, du désir de vengeance et de la durée du délit. Par contre, la consommation d’alcool est faiblement associée à la gravité de l’agression (P = 0,163 ; P = 0,010). Cette relation étant positive, nous sommes en mesure d’affirmer qu’une consommation d’alcool accroît la gravité de l’agression. L’humiliation verbale et physique de la victime augmente aussi faiblement la gravité de l’agression sexuelle (p = 0,143 ; P = 0,022). Par ailleurs, une victime réduit modérément son risque de blessures si elle a un lien familial ou intime avec son agresseur (P = – 0,196 ; p = 0,002). La gravité de l’agression est fortement liée à la résistance verbale et physique de la victime (p = 0,227 ; P = 0,001). Cette relation indique qu’une agression sera d’autant plus grave si la victime résiste de façon verbale et physique. Finalement, la gravité de l’agression est fortement associée à l’utilisation d’un objet contondant (p = 0,244 ; p = 0,000).
27En somme, le résultat des régressions (logistique et multivariée) nous permettent de considérer la pertinence des deux modèles de prédiction du processus d’aggravation. Les trois variables clés à retenir, à la fois pour l’issue et la gravité de l’agression, sont la consommation d’alcool, le lien familial ou intime et l’utilisation d’un objet contondant. Ces trois dimensions ont globalement un lien statistique plus fort avec la gravité qu’avec l’issue du délit. Ce constat montre que notre modèle est mieux adapté à un continuum de gravité qu’à l’issue de l’agression (viol versus homicide sexuel). Le meurtre semble plus aléatoire, moins prévisible. Par ailleurs, il est intéressant de noter que la colère prédélictuelle est davantage liée à un geste fatal (tuer ou non sa victime) qu’à une échelle de gravité de l’agression. Par contre, l’humiliation verbale et physique, comme la résistance verbale et physique, sont des facteurs notables dans la prédiction de la gravité d’une agression sexuelle. Afin de mieux saisir nos deux modèles de prédiction du processus d’aggravation, nous allons présenter des « arbres de décision ». Cette démarche permettra d’affiner la compréhension du processus d’aggravation.
Analyses séquentielles
28Comprendre le processus d’aggravation du viol au meurtre sexuel nécessite la compréhension de l’acte criminel étape par étape. Il nous paraît alors pertinent de nous éloigner d’un raisonnement statistique pour nous diriger vers une compréhension séquentielle. Nous voulons parvenir à saisir les choix de l’agresseur par rapport à différentes situations. Construire des scénarios d’agressions sexuelles à l’aide d’un arbre permet, justement, de poser les choses clairement. Nous nous plaçons tel un observateur extérieur centré sur le déroulement du crime dans le but de le rendre intelligible. Nous partons du principe que tout n’est pas forcément prévu d’emblée ; des choix sont faits au fur et à mesure que la situation progresse. L’élaboration d’arbres de décision permet donc d’étudier le crime étape par étape et de comprendre les choix effectués par l’agresseur au cours du déroulement de son crime. Cohen (1966) a préconisé cette technique de l’arbre qui permet de mieux représenter le modèle théorique et la stratégie de recherche.
29Afin d’établir des arbres de décision du processus d’aggravation du viol au meurtre sexuel, nous avons procédé à la sélection de certaines variables clés issues des analyses multivariées. Cette sélection s’est faite en fonction du poids statistique et théorique de chaque variable. Par ailleurs, nous voulions aussi présenter des variables qui aient une cohérence chronologique. Nous sommes arrivés à considérer quatre variables pour comprendre le cheminement d’une agression sexuelle : la colère prédélictuelle, le lien de connaissance familial ou intime, l’utilisation d’une arme6 et la résistance verbale et physique de la victime. Ces quatre variables ont un enchaînement chronologique : avant de commettre son crime, l’agresseur était en colère ; celui-ci est un proche de la victime ; lors du crime, il a utilisé une arme ; et la victime a résisté ou non.
30La procédure a consisté à calculer, pour chaque aspect7, la fréquence des viols et des homicides sexuels pour ce qui est de l’issue de l’agression. Puis, nous avons utilisé la même logique pour la gravité de l’agression, sauf que dans ce cas nous calculions une moyenne. À partir de 4 variables dichotomiques, nous arrivons à un total de 16 schèmes différents d’agressions sexuelles.
Selon l’issue de l’agression
31Nous tenons à préciser que le nombre total de viols et d’homicides sexuels inscrits à la figure 4.2 ne correspond pas au total initial (à savoir 246 viols et 43 homicides sexuels) en raison de certaines valeurs manquantes pour une ou plusieurs des variables indépendantes.
32La figure 4.2 révèle différents schèmes d’agressions sexuelles. En observant la distribution des homicides sexuels et des viols, des schèmes spécifiques se dégagent pour chacun de ces crimes. Pour ce qui est des homicides sexuels, on semble distinguer un schème principal. Il se présente de la façon suivante :

33Ce schème vient clairement appuyer nos analyses statistiques. Avant même la commission du crime, un sentiment de colère chez l’agresseur a une répercussion sur le déroulement de l’agression. Ensuite, comme nous le montraient nos analyses statistiques, s’il n’a pas de lien familial ou intime avec sa victime, s’il utilise une arme et si sa victime résiste, il sera plus enclin à la tuer.
34Concernant les viols, un schème en particulier se distingue :

35Cependant, nous pouvons présenter un autre schème du viol. Sa fréquence est moindre, mais tout de même relativement proche du précédent. Il se déroule ainsi :
figure 4.2. Arbre de décision de l’issue de l’agression


36Ce deuxième schème mérite une attention particulière : si nous faisons abstraction de la résistance de la victime, il se déroule exactement comme le précédent. Ainsi, dans certaines situations d’agressions sexuelles, l’effet de la résistance de la victime sur le déroulement du crime paraît moins décisif.
37Le crime finit le plus souvent par un homicide sexuel lorsque la victime résiste. Ce constat n’implique pas nécessairement que la résistance provoque l’homicide dans l’agression sexuelle. Il est possible que ce soit plutôt une adaptation de la victime à une agression extrêmement violente. D’ailleurs, les seuls schèmes où nous retrouvons le plus de victimes de viol qui résistent (comparativement à celles qui ne résistent pas), c’est lorsque l’agresseur est en colère. Cet affect annonce que l’agression sera très violente. La victime réagit en exerçant une résistance adaptée à la violence de l’agression. Ainsi, sa réaction apparaît davantage comme étant un indice qu’une des causes d’une agression brutale. Ceci n’enlève rien au fait que l’agresseur s’adaptera lui aussi à la résistance de la victime. Selon le choix posé par l’agresseur, le crime pourra conduire à des blessures fatales pour la victime.
Selon la gravité de l’agression
38La figure 4.3 montre l’arbre de décision du degré de gravité de l’agression. Dans ce cas, ce ne sont plus des pourcentages que nous présentons mais des moyennes. Rappelons que la gravité de l’agression s’étend sur une échelle de 1 à 5 (1 correspond à « aucune blessure » et 5 à « décès et mutilation »). Nous considérons qu’une moyenne supérieure à 2 correspond à une agression grave. Lorsque le niveau de gravité de l’agression excède une moyenne de 3, nous nous dirigeons vers un homicide sexuel.
39La figure 4.3 permet de repérer l’évolution de la moyenne du degré de gravité de l’agression selon différents schèmes. Le schème conduisant au crime le plus grave se présente de la manière suivante :

40La gravité la plus faible s’inscrit selon le schème suivant :

41Cela dit, un autre schème entraînant un faible degré de gravité se présente comme suit :

42Ces deux schèmes (faible gravité) montrent que la non-résistance de la victime a un impact important sur l’agression. En effet, dans ces deux cas, peu importe si l’agresseur est armé, le fait que la victime ne résiste pas conduit à une agression de moindre gravité (1,11 et 1,00).
43L’ensemble des schèmes du degré de gravité de l’agression (sans tenir compte de la résistance de la victime) révèle que l’utilisation d’une arme accroît la gravité du crime, que l’agresseur soit en colère ou non et qu’il ait ou non un lien familial ou intime avec sa victime (moyenne totale de 1,85 si l’agresseur n’est pas armé, et moyenne totale de 2,97 dans le cas contraire). Par ailleurs, en regardant la moyenne du degré de gravité des 16 schèmes (extrémité droite de la figure 4.3), il est intéressant de souligner que les schèmes impliquant un agresseur en colère ont une moyenne totale de gravité de 2,21 et, lorsqu’il n’est pas en colère, la moyenne atteint 1,72. Ceci montre l’importance d’un sentiment de colère avant la perpétration du crime sur son déroulement.
figure 4.3. Arbre de décision du niveau de gravité de l’agression

Application à un récit délictuel
44Afin de mieux cerner notre question centrale, à savoir pourquoi certains agresseurs vont jusqu’à tuer leur victime, nous avons sélectionné une agression sexuelle en particulier8. Celle-ci permettra d’illustrer en partie les conclusions établies par les analyses statistiques et séquentielles. Une présentation sommaire de l’auteur des faits précédera la version du crime inscrite au dossier criminel (version de l’agresseur, rapport de police, rapport d’autopsie et articles de journaux). Les prénoms utilisés sont fictifs.
Denis
Denis, âgé de 38 ans, est condamné pour agression sexuelle et meurtre au premier degré (sentence à perpétuité). Il se serait engagé dans des conduites délinquantes dès l’adolescence (délits contre les biens). Son dossier criminel dévoile des antécédents de vols (vols qualifiés et vols simples) et de crimes sexuels. Lorsqu’il était âgé de deux ans, ses parents ont péri dans un incendie. Il a alors été placé dans diverses familles d’accueil. Il dit avoir été victime d’abus sexuels répétitifs jusqu’à l’adolescence.
À l’âge de 29 ans, il aurait planifié de mettre fin à ses jours à la suite de son divorce. Il se serait procuré le combustible nécessaire pour incendier son appartement en espérant y périr. Il n’a pas été en mesure d’expliquer ce qui a fait obstacle à ses plans. Au moment des faits, Denis n’avait pas de partenaire sexuelle stable. Une partenaire l’avait récemment quitté en apprenant ses antécédents d’attouchements sexuels (elle craignait pour la sécurité de ses propres enfants). Il ne déclare aucun problème de drogues et il affirme consommer occasionnellement de l’alcool. Au moment des faits, Denis était sans emploi ; il vivait de l’aide sociale et travaillait au noir. Toutefois, Denis précise qu’il n’avait pas de soucis financiers. Il explique qu’il avait surtout un problème social dans le sens où il avait peu de contacts avec autrui.
Denis quitte son domicile avec l’intention de « se faire une amie ». Avant son départ, il se munit d’un vibrateur, objet qu’il utilise fréquemment lors de ses relations sexuelles. Cet objet pallie les troubles érectiles qui l’affligent lors de ses rapports sexuels. Arrivé dans la ville où il espère rencontrer une femme, il erre dans les rues. Il entre dans un bar vers 21 h 30. Il commande un verre et va s’asseoir. Ensuite, il danse avec une fille et commande un autre verre. « Je me sentais réchauffé par la boisson, je ne suis pas habitué de boire », précise-t-il. L’envie de « se faire une femme » est de plus en plus grande.
Deux jeunes femmes accompagnées d’un homme font leur entrée. Il observe le trio pendant quelque temps : « La plus belle, pour moi, c’était Sophie. Je me suis levé pour aller lui demander une danse. » À ce moment, il dit avoir déjà en tête le désir d’avoir des rapports sexuels avec elle. L’arrivée de l’homme accompagnant les deux jeunes femmes fait obstacle à ses projets. Il retourne au bar et observe toujours Sophie jusqu’à ce que celle-ci quitte le bar avec ses amis. Devant la porte du bar, Denis les voit se séparer et il décide de suivre Sophie. Plus il gagne du terrain sur elle, plus le projet de la prendre de force l’anime. Il sait qu’elle refusera ses avances et il se sent incapable d’assumer un refus. Le quartier est particulièrement calme à ce moment de la nuit. « Je la rejoins sur le trottoir, je la prends par derrière, lui remonte le bras gauche dans le dos, ma main droite sur le sein gauche, le genou droit accoté à elle, je la penche et je lui serre le cou. Elle crie : “Lâche-moi ! Lâche-moi !” Je la traîne vers moi, puis là elle tombe à terre et moi aussi. Là, quand elle est à terre, je la reprends le mieux possible en passant mes deux bras autour de ses seins. » Elle résiste violemment. Il la gifle et lui donne des coups de poing. Elle serait devenue plus ou moins inconsciente, à la suite d’une chute, lorsque sa tête a heurté un mur de pierre. Denis déplace la victime en la traînant le long du mur. Il déshabille le haut de son corps et lui caresse la poitrine. Il enlève son pantalon et tente une pénétration. Incapable d’obtenir une érection, il saisit le vibrateur et l’insère dans son vagin. Il dit avoir placé ses mains autour de son cou et avoir serré pour la contrôler. Ensuite, il place la victime sur le ventre et tente une pénétration anale avec le vibrateur. Il constate alors que la victime est « souillée » et qu’elle ne bouge plus. Il est cependant certain qu’elle respire encore. Denis recouvre la victime de ses vêtements et quitte les lieux en courant. Il est convaincu d’avoir laissé la victime vivante. Il déclare avoir paniqué en apprenant qu’on l’avait trouvée morte. L’autopsie réalisée conclut que la victime est décédée d’une asphyxie par compression du cou.
45Denis n’était pas en colère avant de commettre son crime. Par ailleurs, il ne possédait pas d’objet contondant. Ces deux variables sont des facteurs précipitants de l’homicide sexuel. Le fait d’y répondre négativement a conduit la régression logistique à prédire le crime de Denis comme étant un viol.
46Quels sont les éléments qui peuvent nous aider à comprendre le déroulement du crime ? Denis était bien décidé à avoir, ce soir-là, une relation sexuelle avec une femme. Il met en place toutes les conditions favorables à la réalisation de son projet. Tout d’abord, il n’oublie pas de prendre son vibrateur. Ensuite, il va dans un lieu où il a de fortes chances d’entrevoir des partenaires sexuelles potentielles. Finalement, il consomme plusieurs verres d’alcool, qui permettent la levée de ses inhibitions. Denis affirme qu’il n’est pas à l’aise avec la gent féminine par crainte d’essuyer un refus. L’alcool active et entretient son idée d’avoir une relation sexuelle. Il repère une jeune femme qui lui plaît. Il veut l’inviter à danser, mais un ami de cette jeune femme fait obstacle à son projet. Nous pouvons émettre l’hypothèse que cet empêchement frustre Denis. Il l’observe. Lorsqu’il la voit partir, il la suit. Il s’aperçoit qu'elle quitte ses amis et qu’elle se retrouve toute seule dans la rue. Il se dit alors qu’il a une dernière chance. Il est déterminé à avoir une relation sexuelle avec elle et rien ne pourra l’en empêcher. Sa victime résiste verbalement et physiquement. Il utilise alors la force nécessaire pour la contrôler et il ne se rend sans doute pas compte de la brutalité qu’il peut exercer. Il se sent excité sexuellement. Ayant obtenu ce qu’il désirait, il quitte les lieux sans se soucier de l’état de sa victime. Il ne pense à aucun moment qu’il a peut-être été trop violent et que ses coups ont pu être fatals. Nous pouvons croire que Denis n’avait pas l’intention de tuer sa victime ; il voulait avoir une relation sexuelle. Nous voyons dans le déroulement de ce crime un effet d’escalade où l’agresseur ne démord pas de son idée initiale au risque d’utiliser une force excessive qui, dans cette situation, a été fatale à la victime.
47Au regard de l’arbre de décision de l’issue de l’agression, nous remarquons que le crime de Denis s’inscrit dans un des deux schèmes les plus courants de l’homicide sexuel (absence de colère, aucun lien intime avec la victime, pas d’arme, résistance de la victime). Cela dit, c’est un schème qui est très proche de celui qui mène le plus souvent au viol. La seule différence est la résistance de la victime. Ce constat est particulièrement intéressant : il vient expliquer un certain nombre d’homicides sexuels qui ne sont pas d’emblée intelligibles, car absolument non prévisibles. Les premières données du crime semblent indiquer que nous nous dirigeons vers un viol plutôt que vers un homicide sexuel. Seulement, la victime résiste violemment, l’agresseur, sans doute par sa détermination et sa force physique, ne se laisse pas intimider et poursuit son idée de départ. Certaines agressions auraient pris fin à ce moment pour différentes raisons : force physique insuffisante, peur de la réaction violente de la victime, incapacité d’arriver immédiatement à ses fins et découragement, etc.
48Le récit délictuel de Denis souligne les éléments de compréhension du viol qui « tourne mal ». Il montre jusqu’à quel point la situation du crime est importante à considérer. Les intentions de départ influent sur la perpétration du crime, mais les imprévus doivent être gérés au moment même où ils se produisent.
49Les analyses multivariées ont montré que la consommation d’alcool, l’absence de lien familial et intime et l’utilisation d’un objet contondant sont responsables du processus d’aggravation du viol au meurtre sexuel (issue et gravité de l’agression). Par ailleurs, la colère prédélictuelle apparaît comme un prédicteur de l’issue fatale de l’agression ; en revanche, elle n’a aucune incidence sur la gravité. Par contre, l'humiliation verbale et physique comme la résistance verbale et physique sont des prédicteurs importants du degré de gravité de l’agression ; par ailleurs, elles n’ont pas d’impact sur l’issue de l’agression.
50Un dernier élément reste à préciser sur les analyses statistiques au sujet des deux dimensions du processus d’aggravation. En effet, nous avons souvent été amenés à remarquer que la force des liens statistiques associée au degré de gravité de l’agression était plus élevée que celle associée à l’issue de l’agression. Ou encore, certaines variables sont liées à seulement une des deux dimensions. Ces remarques démontrent que les deux dimensions ne sont pas soumises aux mêmes lois, même si elles sont toutes les deux liées au processus d’aggravation. L’ensemble de nos analyses indique aussi que le meurtre est plus aléatoire, moins prévisible que le degré de gravité. En effet, les analyses statistiques ont montré que certaines agressions n’avaient au départ aucune raison de se terminer par un homicide sexuel, et pourtant, c’est le résultat auquel elles ont conduit. Le récit délictuel présenté en est une illustration. L’agresseur n’était pas en colère avant de commettre son crime et il ne possédait pas d’objet contondant. Ces deux variables étant des facteurs précipitants de l’homicide sexuel, la régression logistique a classé cet événement dans « viol ».
51Les arbres de décision ont montré que le schème menant le plus systématiquement à l’homicide sexuel est aussi celui correspondant au degré de gravité le plus élevé. Cela montre une certaine constance des caractéristiques associées à l’agression grave, quelle que soit la méthode utilisée (issue de l’agression ou degré de gravité de l’agression). Il faut tout de même noter que nos deux variables dépendantes ne sont pas de même nature : l’une est dichotomique et l’autre est une échelle. Ainsi, il y a trois degrés de gravité s’appliquant au viol : (1) aucune blessure ; (2) blessures légères ; (3) blessures graves ; et deux niveaux de gravité correspondant à l’homicide sexuel : (4) décès ; (5) décès et mutilation. Cette remarque justifie le fait que le schème conduisant le plus souvent au viol ne soit pas le même que celui correspondant au niveau de gravité le plus faible. Le niveau de gravité le plus faible se rapporte à une agression sans blessure, ce qui ne couvre pas les autres niveaux du viol.
52Concernant la résistance de la victime, nous voulons apporter une précision. La majorité des victimes d’homicide sexuel ont résisté. Cela n’implique pas nécessairement que la résistance de la victime conduit à une aggravation de l’agression, mais plutôt que l’agression grave provoque la résistance. Ainsi, dans bien des cas, l’agression grave conduit à la résistance plutôt que la résistance ne provoque l’agression grave.
53Finalement, cette étude montre que le meurtre dans l’agression sexuelle n’est pas systématiquement la résultante des intentions de l’agresseur, et que la situation dans laquelle se déroule le crime joue un rôle central dans l’issue de l’agression. Comme il n’y a pas de lien systématique entre les variables intentionnelles et l’issue du crime, nous pensons que l’agression sexuelle où la victime est décédée parce que l’auteur des faits avait la volonté ferme de la tuer, avant même de l’agresser sexuellement, n’existe que dans des proportions limitées. L’homicide sexuel peut être le résultat d’un « accident » ou d’une escalade. De la même façon que Felson et Steadman (1983) ont démontré que les homicides peuvent être des voies de fait qui tournent mal, nous pensons qu’un certain nombre d’homicides sexuels sont des viols qui tournent mal.
Annexe
annexe i. la mesure des variables indépendantes
Les variables intentionnelles
La colère prédélictuelle et délictuelle : tout indice qui dévoile que l’agresseur se sentait enragé, frustré ou agressif avant ou pendant le délit.
Le désir de vengeance : toute remarque montrant que l’agresseur en voulait à sa victime ou aux femmes en général. La vengeance, dans le cadre de notre étude, renvoie à la distorsion cognitive « elle le méritait ».
L’excitation sexuelle prédélictuelle et délictuelle : l’agresseur dit qu’il se sentait excité sexuellement. Par exemple, il affirme qu’il « avait une érection » avant ou pendant le délit.
Les fantaisies déviantes : 48 heures avant le délit, l’agresseur avait envie d’attacher une femme, de la fouetter, ou l’idée même de violer une femme l’excitait. Ces fantaisies pouvaient concerner la victime ou non.
L’humiliation de la victime9 : tout geste ou parole pouvant humilier la victime. L’agresseur a injurié sa victime (humiliation verbale). Il l’a sodomisée puis lui a demandé une fellation, il a uriné sur elle (humiliation physique).
Les variables situationnelles
La consommation d’alcool et de drogues : l’agresseur a consommé de l’alcool ou de la drogue dans les heures précédant le délit. Cette information se retrouve aussi dans la déposition du sujet faite à la police.
Le lien de connaissance : si l’agresseur dit qu’il connaissait sa victime, l’intervenant lui demande comment il l’a connue. Est-elle une voisine, un membre de la famille, quelqu’un dont il était proche, qu’il voyait souvent, etc. ?
La résistance de la victime : la victime n’a pas répondu aux demandes de son agresseur (résistance passive), elle a crié, pleuré (résistance verbale), elle l’a frappé, elle a essayé de le pousser pour s’échapper (résistance physique).
L’utilisation d’une arme : l’information se trouve dans les documents officiels (rapports de police et dossiers médicaux).
La durée du délit : est calculée à partir du moment où l’agresseur est entré en contact avec sa victime. Par exemple, il la rencontre dans un bar, il lui propose de venir chez lui, ils discutent et il finit par la violer. La durée du délit est calculée dès la rencontre dans le bar jusqu’à la fin de l’agression.
Notes de bas de page
1 Nous considérons cette responsabilité comme un facteur précipitant du passage à l'acte et non comme une responsabilité à part entière. De plus, il ne faut pas oublier que dans le cas d’un homicide sexuel, il ne reste plus qu’un témoin, l’agresseur lui-même.
2 Renvoie à la distorsion cognitive « elle le méritait ».
3 Ces analyses, de type bivarié, ne sont pas présentées dans ce chapitre (voir Chéné, 2000).
4 Dans une régression logistique, le coefficient qui nous indique le poids de la variable est le coefficient R. Ce coefficient est associé à un taux de signification (p) qui doit être inférieur à 0,05 pour que la relation soit significative. Par ailleurs, la régression logistique nous indique le pourcentage de bonnes classifications des cas prédits et des cas observés.
5 Dans une régression multiple, le coefficient qui détermine le poids de la variable est le coefficient (B (bêta) ; c’est le coefficient de régression standardisé. Le pourcentage de la variance expliquée (c’est-à-dire le pourcentage d’explication du modèle) est déterminé par le R au carré, lui-même associé à un degré de signification.
6 Nous pensions retenir l’utilisation d’un objet contondant en raison de sa force statistique. Cela dit, le nombre d’événements étant petit, nous avons préféré garder la dimension générique « utilisation d’une arme ».
7 L’agresseur était-il en colère ? Si oui, à quelle fréquence pour les viols et les homicides sexuels ? Sinon, à quelle fréquence ? Ensuite, s’il était en colère, était-il un proche (famille ou ami intime) de la victime ? Si oui, à quelle fréquence ? Sinon, à quelle fréquence ? S’il n’était pas en colère, était-il un proche de la victime ? Si oui, à quelle fréquence ? Ainsi de suite.
8 Cette sélection s’est faite à l’aide de la classification des événements prédits et observés par la régression logistique ; le crime retenu a été prédit « viol » par la régression logistique mais observé « homicide sexuel ». Il sera intéressant de comprendre pourquoi cet événement a été mal classifié.
9 L’humiliation aurait pu être mise dans une catégorie distincte. Cela dit, nous trouvions pertinent de l’insérer dans les variables intentionnelles, car elle en dépend. Elle est associée au fait que l’agresseur soit en colère ou non, qu’il ait des fantaisies déviantes ou non, qu’il ait un désir de vengeance ou non, etc.
Auteurs
-
Sabine Chéné
M.Sc. criminologie. Criminologue à l’École Nationale d’Administration Pénitentiaire, Agen, France.
-
Maurice Cusson
Ph.D. criminologie. Professeur titulaire à l’École de criminologie et chercheur au Centre international de criminologie comparée et ce, à l’Université de Montréal.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'éducation aux médias à l'ère numérique
Entre fondations et renouvellement
Anne-Sophie Letellier et Normand Landry (dir.)
2016
L'intégration des services en santé
Une approche populationnelle
Lucie Bonin, Louise Belzile et Yves Couturier
2016
Les enjeux éthiques de la limite des ressources en santé
Jean-Christophe Bélisle Pipon, Béatrice Godard et Jocelyne Saint-Arnaud (dir.)
2016
La détention avant jugement au Canada
Une pratique controversée
Fernanda Prates et Marion Vacheret (dir.)
2015
La Réussite éducative des élèves issus de l'immigration
Dix ans de recherche et d'intervention au Québec
Marie McAndrew (dir.)
2015
Agriculture et paysage
Aménager autrement les territoires ruraux
Gérald Domon et Julie Ruiz (dir.)
2014