Interactions locales et histoire du projet
p. 81-174
Texte intégral
1 Contourner ce qui sépare les acteurs
1.1 Un projet possible grâce à la capacité de l’acteur à créer son réseau
1De quelle façon se sont rencontrés les acteurs, et comment se sont-ils formés en groupes d’action ou d’affinité ? Quelles sont leurs perceptions, leurs actions, leurs rôles et leurs stratégies dans le déroulement du projet ?
2Sur le terrain, les interactions mobilisent des individus qui insistent sur leurs différences. Un effort de schématisation et de simplification de la carte des acteurs peut s’effectuer en s’inspirant de la théorie du « je » (le rôle joué par les acteurs) et du « moi » (le statut des acteurs) de George Herbert Mead. Même si la réalité est plus complexe, deux groupes principaux évidents sont distingués par les acteurs eux-mêmes : le collectif des chercheurs et celui des producteurs. Le collectif des chercheurs est divisé selon trois déterminants de l’individu, divisés en deux pôles principaux1 : son statut (chercheur ou étudiant), sa discipline (sciences techniques ou sciences sociales) et son origine (locales ou extérieures).
3Pour le collectif des producteurs, nous disposons de trois catégories : le délégué du GIC, les membres du bureau, et les producteurs membres du GIC.
Tableau 2 — Contraintes liées au statut des chercheurs et des étudiants
| STATUT | Chercheur | Étudiant |
| Contraintes individuelles liées au « je » | - Doit faire en sorte que la RAP fonctionne. - Doit faire son travail scientifique, diriger les étudiants et servir de médiateur auprès des producteurs. | - Doit obtenir son diplôme. - Doit s’adapter à la vie professionnelle. - N’a pas les facilités fonctionnelles d’un chercheur (véhicule, matériel). |
| Contraintes collectives liées au « moi » | - Doit répondre aux demandes des producteurs et des étudiants. - Est respecté de par son statut, ce qui crée une distance avec les autres acteurs. | - Le sérieux de son travail est remis en cause par les producteurs. - L’étudiant est moins respecté, créant une proximité qui peut être « dangereuse ». |
Tableau 3 — Contraintes liées à la discipline des chercheurs et des étudiants
| DISCIPLINE | Sciences sociales | Sciences techniques |
| Contraintes individuelles liées au « je » | - Lacunes concernant les aspects techniques de l’activité productive. | - Lacunes concernant les aspects sociaux et les méthodes d’investigation. |
| Contraintes collectives liées au « moi » | - Doit faire reconnaître l’utilité de sa discipline. | - Doit faire son possible pour gagner la confiance des acteurs à travers l’action et les expérimentations. |
Tableau 4 — Contraintes liées aux origines des chercheurs et des étudiants
| ORIGINES | Locale | Extérieure |
| Contraintes individuelles liées au « je » | - Avoir la capacité de remettre en cause les connaissances déjà acquises. | - S’adapter à une autre culture. - Comprendre un système que l’on ne connaît pas. |
| Contraintes collectives liées au « moi » | - Supporter le poids des « on dit » venant des membres de sa société. - Domination hiérarchique qui impose le respect ou le rejet. | - Risque de se faire manipuler par une mauvaise connaissance des règles locales. |
4Une classification plus complexe des acteurs est également possible, et met en avant une hétérogénéité. Cette dernière est visible suivant les critères géographiques, fonctionnels et d’engagements.
5Le premier critère est d’ordre géographique. La RAP est née d’une coopération entre le CIRAD localisé en France (Montpellier) et l’IRAD localisé au Cameroun (Yaoundé). Certains acteurs travaillant sur l’équipe de terrain au Cameroun viennent de France, d’autres exercent leur fonction au sein du projet à distance, ou bien en se rendant au Cameroun lors de très courtes missions. Les acteurs travaillant sur le projet et vivant au Cameroun proviennent de différentes régions du pays. Les acteurs localisés à la capitale camerounaise appartiennent principalement à l’université de Yaoundé et sont chargés d’encadrer les mémoires d’étudiants travaillant sur le projet. D’autres acteurs travaillent à la station expérimentale de l’IRAD à Foumban. Bafoussam est le lieu d’où provient l’ONG tenant la fonction d’expert extérieur au projet et d’appuis aux producteurs sur la gestion administrative des GIC. La ville est alors le point de rencontre géographique d’une grande partie des acteurs du projet, bien que les expérimentations se déroulent sur les hautes terres et en plaine.
6Le deuxième critère d’hétérogénéité des acteurs provient de leurs différentes fonctions, qu’elles soient sociales ou administratives. Certains sont chercheurs, coordinateurs de projets, directeurs d’ONG, techniciens de l’État, délégués de GIC, VIE, producteurs, pêcheurs, pisciculteurs, professeurs d’université, étudiants etc.
7Le troisième critère est plus délicat à mesurer, puisqu’il est relatif à l’engagement des acteurs dans le projet. Cet engagement ne dépend pas forcément de la proximité géographique avec les deux localités où se déroule le projet. Les acteurs les plus engagés dans le projet sont ceux qui y consacrent le plus de temps et qui tiennent des fonctions qui les poussent à prendre des décisions importantes concernant le déroulement de l’action. L’engagement ne dépend également pas du statut plus ou moins élevé de l’acteur (par exemple chercheur senior ou étudiant).
8Six groupes d’acteurs sont identifiés suivant ces trois critères et sont décrits dans les parties suivantes.
1.1.1 Une volonté des chercheurs de légitimer leurs pratiques de recherche
9L’équipe de recherche « théorique » est basée au CIRAD de Montpellier. Elle se compose des acteurs qui travaillent au sein du projet qui contribue aux réflexions théoriques autour de la méthodologie de la RAP Fabrice est l’acteur principal de ce groupe, et tient les principales responsabilités scientifiques du projet de par son expérience et son savoir sur la Recherche-Action. Fabrice obtient une thèse dans une faculté de sciences économiques sur les pratiques de trésorerie des agriculteurs :
[...] mes premiers travaux ont été sur l’étude du fonctionnement de l’économie des exploitations agricoles à travers un outil qui s’appelle la programmation linéaire (des outils très mathématiques2). (M. Fabrice)
10Mais ce chercheur ne s’arrête pas à cet aspect très mathématique. Au cours de son travail, il décide de prendre ce qu’il appelle une posture anthropologique3 afin de comprendre la rationalité des agriculteurs et d’identifier quelles étaient leurs pratiques et leurs besoins en matière de gestion de la trésorerie. Il définit, entre autres, cette posture comme passer du temps avec les agriculteurs (collectivement ou individuellement).
11En cherchant des références bibliographiques relatives à l’anthropologie, Fabrice rencontre un professeur en gestion des organisations à l’École des Mines. Au cours de leurs nombreuses discussions, ce professeur oriente la posture anthropologique de Fabrice vers les notions de Recherche Intervention et de démarche clinique4.
[...] dans le sens où il y avait une relation privilégiée qui s’établissait entre les chercheurs et les agriculteurs. C’est un peu la relation qui s’établit entre patient et médecin5. (M. Fabrice)
12De 1982 à 1987, Fabrice fréquente successivement des collègues de l’École des Mines travaillant sur la Recherche Intervention et d’autres d’un centre de sociologie des organisations travaillant sur le Recherche-Action.
13En 2001, des agronomes du CIRAD proposent une ATP pour comprendre l’adoption des technologies. Le conseil scientifique du CIRAD ne trouve pas la proposition satisfaisante et débloque des fonds pour que les chercheurs améliorent la proposition. Par conséquent, les chercheurs mobilisent ces fonds pour organiser un séminaire de réflexion autour de la question, séminaire dans lequel Fabrice est invité. Par la suite, un collègue du CIRAD fait appel à lui pour animer l’ATP, et la même année, Fabrice est mis à disposition du CIRAD pour trois ans.
14Par la suite, il décide de travailler avec Nicolas et Igor, suivant les critères d’idées partagées, de disponibilité et de volonté, pour formaliser la version finale de l’ATP.
15En 2002, date à laquelle l’ATP est présentée au comité scientifique du CIRAD, Pierre fait appel à Fabrice pour participer à une réunion d’équipe. C’est à ce moment-là que Pierre expose à Fabrice son souhait de voir le Cameroun constituer l’un des terrains « vivants » de l’ATP En même temps, Pierre mène un diagnostic sur les exploitations familiales agricoles au Cameroun. La restitution de ce diagnostic s’est faite lors d’un séminaire au Cameroun, organisé par une plateforme d’échange franco-camerounaise. Fabrice est invité à ce séminaire en 2004 pour présenter la démarche de Recherche-Action.
16Fabrice est le concepteur de la démarche de RAP appliquée sur les terrains « vivants ». Son engagement dans le projet se fait à distance géographique, mais c’est lui qui guide principalement les grandes orientations à prendre. Il a une vision globale du projet, une distance avec le Cameroun parfois nécessaire à la réflexion, et il détient les clés méthodologiques de la RA. Il se rend une fois par an dans les villages pour former les différents acteurs de terrain à la RAP et participe à la conception organisationnelle du projet.
17Les autres chercheurs de l’équipe de recherche « théorique » participent aux réflexions autour de la démarche de RAP, mais sont moins impliqués sur place. Ceci s’explique par une présence moindre sur le terrain, et se conclut par une moindre réactivité face aux événements qui exigent une prise de décision et une intervention rapides.
18Fabrice représente, pratiquement à lui seul, l’équipe de recherche « théorique ». Il tiendra ce rôle jusqu’au désengagement effectif. Il faut relever qu’il est à la fois mobilisé au Cameroun et au Burkina Faso. Ses courtes missions sur les deux terrains et un suivi à distance des événements locaux à travers les rapports d’expériences des chercheurs de l’équipe de terrain, font de lui un acteur du projet aux réflexions davantage théoriques que pratiques. Par conséquent, ses priorités ne sont pas forcément les mêmes que celles des acteurs de terrain.
1.1.2 Des chercheurs qui travaillent pour l’action
19L’équipe de recherche de terrain se constitue de trois acteurs principaux : Pierre du CIRAD de Montpellier, William de l’IRAD de Foumban, et Nadia de l’université camerounaise. Pierre obtient dans les années soixante-dix une thèse d’hydrobiologie sur la gestion des cours d’eau d’une chaîne montagneuse française. Dans la continuité de cette thèse, il participe à la réalisation du plan de gestion piscicole des cours d’eau d’un Parc National français. Par la suite, il est associé aux premiers enseignements sur la pisciculture mis en place par le ministère de l’Agriculture. Dans les années quatre-vingt, il est chargé par la Food and Agriculture Organization (FAO) d’organiser une formation supérieure d’ingénieurs en halieutique malgaches. Durant cette période, il crée, avec deux associés, un bureau d’étude pour accompagner le développement local de la pisciculture. Ce bureau d’étude, qui associe des pisciculteurs, sera à l’origine de la mise en place d’un système d’élevage innovant en cages flottantes dans un barrage hydroélectrique géré par Électricité de France (E.D.F.) dans le cadre d’une concertation élargie avec les collectivités territoriales, les autorités administratives, et des associations de protection de l’environnement.
20Pierre est embauché au CIRAD en 1992 pour prendre en charge la troisième phase du projet de développement de l’aquaculture au Niger. Cette phase a pour objectifs de transférer les compétences du projet en matière de production à une ONG, et de mettre en place des recherches d’accompagnement au sein de l’Institution nationale de la recherche gronomique du Niger. D’après Pierre, le projet de développement était « mal conçu », et c’est pour cette raison qu’il commence à s’intéresser aux diagnostics de projets effectués par les anthropologues du développement comme Jean-Pierre Olivier de Sardan. Pierre reste au Niger jusqu’en 2000 en menant des travaux de Recherche Développement participatifs, portant sur la cogestion des plans d’eau à vocation piscicole.
21Par la suite, il coordonne une ATP au CIRAD sur des systèmes piscicoles. Cette A.T.P. associe aux aquaculteurs un anthropologue de l’INRA et des économistes du CIRAD et d’une université anglaise. Dans cette dynamique, il obtient un Diplôme d’Études Approfondies à l’Institut national d’agronomie Paris-Grignon (INA-PG). C’est au Brésil qu’il va effectuer le terrain de son mémoire de DEA. Sur place, il participe à l’encadrement d’une thèse d’un chercheur brésilien qui analyse l’impact des politiques publiques sur le développement de la pisciculture. En cherchant des références bibliographiques pour ce travail, son attention se porte sur les écrits de Fabrice, qu’il convie à une réunion de travail autour de cette thèse et de l’A.T.P. qu’il coordonne sur les systèmes piscicoles.
22Pierre a également pour motivation de développer la pisciculture en Afrique. Il décide de rechercher un pays où la pisciculture serait propice au développement. Avec un collègue du CIRAD, ils décident de partir, séparément, en mission exploratoire dans plusieurs pays d’Afrique, afin de trouver celui qui serait le plus apte à développer la pisciculture. Il constate que le plus adéquat est le Nigéria, mais déplore que le pays soit « trop difficile6 ». Pierre était en contact avec un professeur nigérian qui n’a pas laissé ses étudiants se rendre seuls aux villages dans lesquels ils devaient effectuer leurs mémoires de fin d’étude. Même chose, lorsque Pierre a souhaité se rendre sur le terrain nigérian, ce professeur lui demandait de rester à l’hôtel pour des raisons de sécurité. C’est pour ces raisons que le Nigéria a été écarté des choix de terrain. Peu après, Pierre est sollicité par les coordinateurs du projet REPARAC. Ce projet comporte également un volet sur la diversification, et c’est pour lui l’occasion de défendre la pisciculture comme une activité possible au sein des exploitations à base de cultures pérennes, de participer à la conception du projet et par la suite, de trouver des financements pour travailler au Cameroun. Le contenu du projet sera révisé de manière approfondie dans le cadre de la mise en place d’un Pôle de compétence en partenariat (P.C.P.), nouveau mode de coopération proposé par le CIRAD à ses partenaires nationaux.
23La première mission exploratoire de Pierre au Cameroun en 2003 est organisée conjointement avec William, qui a fait sa thèse de doctorat avec l’appui de l’UR Aquaculture du CIRAD. William lui fait visiter la région Ouest, la station de recherche de Foumban (IRAD), et lui présente Nadia, nouvellement chargée d’enseignement à l’université. Ils participent à différents ateliers de travail portant sur la mise en place du PCP et sur la conception des thématiques de recherche. Ces deux nouvelles rencontres sont fructueuses puisque ces trois acteurs seront, par la suite, les acteurs principaux de l’équipe de recherche de terrain.
24Un an plus tard, inscrits dans la dynamique du PCP du Grand Sud Cameroun (PCP-GSC), ces trois chercheurs bénéficient d’une Opération de recherche participative (ORP) pour mener un diagnostic sur l’insertion de la pisciculture dans les agro-systèmes au Cameroun.
25L’ATP cofinancera l’étude anthropologique effectuée sur la plaine où les pratiques piscicoles sont empreintes de pratiques traditionnelles. Les restitutions du diagnostic aux producteurs enquêtés se déroulent dans trois arrondissements, et le choix des deux arrondissements, sur lesquels le projet RAP a pris corps, s’est décidé de la manière suivante.
Suite à ces restitutions on leur [les producteurs] a dit « maintenant vous vous organisez en GIC ». On peut dire, de toute façon, que le délégué [des hautes terres] était déjà organisé. Ensuite, c’est la venue de l’étudiante en anthropologie qui a permis la formation du GIC [de la Plaine] parce qu’ils attendaient. Ils avaient commencé, mais ils ne voyaient rien venir, donc ils ont laissé tomber. Par contre, [dans le troisième arrondissement] ils n’ont pas réussi à s’entendre, il a manqué un leader, donc on n’a pas travaillé avec [eux7].(M. Pierre)
26Le deuxième acteur important appartenant à l’équipe de recherche de terrain est William de l’IRAD. Il réalise dans les années quatre-vingt-dix une thèse de doctorat dans le domaine des sciences halieutiques dans une école d’agronomie française sur l'alimentation du Tilapia. Le travail d’analyse est conduit avec l’appui de l’INRA et les expérimentations se déroulent dans des étangs camerounais.
27Face au désengagement de l’État camerounais de l’agriculture, il souhaite mettre ses compétences scientifiques directement au service des producteurs. Son objectif principal est de contribuer à améliorer et développer la production piscicole pour qu’elle ait un réel impact positif sur la société. Cet objectif l’a motivé à répondre positivement à la demande de Pierre, et à initier une collaboration avec l’équipe de la RAP.
Je me suis rendu compte que les apports scientifiques que je me mettais à produire allaient rester dans les tiroirs s’il n’y avait pas d’autres stratégies à mettre en œuvre. Sinon, j’ai le sentiment de rester au niveau universitaire8. (M. William)
28Nadia est la troisième personne à intégrer l’équipe de recherche de terrain. Elle fait connaissance avec William à l’université où chacun enseigne la pisciculture. Dans les années quatre-vingt-dix, elle soutient sa thèse en Russie dans une ville réputée pour ses pratiques de pêche. Tout comme William, elle a pour fonction principale dans le groupe d’encadrer les mémoires des étudiants pour qu’ils correspondent aux exigences de l’université.
29La motivation de ces trois acteurs à travailler dans le projet est celle de développer la pisciculture au Cameroun, dans le but d’améliorer le niveau de vie des paysans. Par la suite, un autre acteur est coopté, il s’agit d’Urbain, professeur en production animale à l’université. Son rôle est également d’encadrer les étudiants, notamment dans le cadre d’un master. Il devient un partenaire important du projet.
30Le reste du groupe se compose des étudiants et des professeurs qui les encadrent. Ces acteurs sont spécialistes de disciplines différentes et travaillent sur les problématiques identifiées au fur et à mesure avec les producteurs.
1.1.3 Les producteurs des hautes terres dans l’ombre de leur délégué
31Le GIC des hautes terres est créé en 2004, principalement grâce aux efforts du délégué, Umar, du groupe qui a su convaincre certaines personnes de son village de rejoindre le GIC. Le siège du GIC se situe dans le centre d’un des villages des hautes terres mais regroupe des membres de villages et arrondissements voisins. Nombreux sont les qualificatifs pour décrire le délégué du groupe, qui fait beaucoup parler de lui. Dynamique, disponible et engagé pour faire fonctionner le GIC, ses pratiques sont pourtant souvent critiquées. Son attitude laisse croire à ses collaborateurs qu’il n’agit que dans son propre intérêt.
32Tel un courtier en développement (Blundo, 1995 ; Bierschenk et al., 2000), il fait partie des premiers à accueillir les étrangers arrivés dans son village. Il a même hébergé, durant toute une année, une volontaire américaine appartenant aux Peace Corps américains. Cette proximité le rend très fier et lui apprend, selon lui, la manière de se comporter avec les étrangers qui viennent proposer des projets de développement dans le village. Il se revendique volontiers comme quelqu’un de mieux éduqué que les autres membres de son groupe.
Il s'est trouvé à la tête du groupe pas parce qu’il était un bon leader mais simplement parce que tout malin comme il était, il avait vite compris qu'on peut créer un GIC et faire légaliser, ce que les autres membres n'avaient pas vite compris, et se trouvaient obligés d'adhérer au groupe pour bénéficier aussi des opportunités qui se signalaient autour de la pisciculture dans les hautes terres9. (M. Tristan)
33Hors entretiens, je comprends que la figure d’Umar évoque simultanément la royauté, le pouvoir politique et la sorcellerie, choses sur lesquelles il reste discret, mais qu’il aborde lors de négociations difficiles avec un interlocuteur. Le titre honorifique de Mo’o, placé devant le nom d’Umar signifie son appartenance à la famille des notables. Pour « ceux qui croient », les notables ont des connaissances et des pouvoirs magiques qui leur confèrent un certain pouvoir au sein de la communauté. Tout d’abord, le notable a un pouvoir décisionnel important, puisqu’il fait partie des conseillers les plus proches du chef. De plus, il est très respecté par la population puisqu’il « détient certains secrets qui échappent à l’Homme ordinaire » (Hamani, 2005). En effet, la sorcellerie accroit le pouvoir d’un individu, même s’il est d’une autre nature, notamment politique (Adler, 2004). Cette figure crée chez « ceux qui croient » une crainte et chez ceux qui ne croient pas une méfiance superstitieuse (dans le doute). Certains acteurs sur place diront même, comme pour se rassurer, que « les sorts ne traversent pas les frontières », autrement dit, qu’il vaut mieux rester éloigné d’une telle figure.
34D’après certains acteurs du projet, la crainte ou la mésentente que l’on peut avoir envers un individu, peut être une conséquence sociale de la guerre civile de 1948-1971. Cette « guerre totale » et hécatombe aurait été provoquée par l’État français qui décide de mener une répression contre l’Union des populations du Cameroun (U.P.C.), un parti politique qui mettrait en péril le maintien de la mainmise française au sortir de la dépendance coloniale.
C’est surtout dans la région Bamiléké, l’Ouest-Cameroun, que les combats sont les plus acharnés. Entrées en dissidence, les populations de la région participent massivement à l’insurrection. Les autorités françaises, qui ne sont théoriquement plus « chez elle » depuis le 1er janvier 1960, optent alors pour les représailles collectives : les bombardements aveugles sur des villages entiers (Deltombe et al., 2019 : 33).
35Cette guerre, violente, méconnue et taboue aurait divisé les populations locales, et marquerait encore très fortement les esprits et les comportements.
36Avant de créer le GIC des Hautes Terres, Umar avait déjà une longue expérience dans un GIC et, dès la première réunion avec les chercheurs, il se positionne comme membre fondateur. Par la suite, il décide d’inscrire le GIC de Hautes Terres à la COOPGIC de Bafoussam. Il faut au minimum cinq membres pour que le GIC soit reconnu officiellement par l’État. D’après l’un des premiers membres contacté par Umar, ce dernier sait trouver les arguments pour inscrire les pisciculteurs dans son GIC malgré ce projet fou de se lancer dans une activité à l’abandon pour certains, et complètement nouvelle pour d’autres. Ceci n’empêche pas que certains producteurs présents aux restitutions refusent d’entrer dans le GIC, parce qu’ils ne comprennent pas les objectifs du projet, par manque de moyens et de temps, ou par peur de s’investir dans une activité qui n’est pas rentable.
37Durant le projet, une douzaine de producteurs est effectivement active dans le groupe, mais une trentaine de producteurs sont inscrits dans le document initial du GIC. Lors des réunions, il est facile de constater que les producteurs qui ne viennent pas du même village qu’Umar affirment plus facilement leur opinion au délégué. Ceci vient peut-être du fait qu’ils ne vivent pas dans le même village. Les producteurs des hautes terres disent respecter Umar parce qu’il fait partie des personnes les plus dynamiques du groupe.
[Umar] a été nommé délégué parce qu’il était disponible. C’est lui qui regroupe les gens. Il se donne trop ! Ça lui plait de regrouper les gens. Il est capable de cela10. (Mme Nabila)
38Quelquefois, certains producteurs s’essaient à faire une critique de leur délégué disant qu’il a tendance à profiter seul des avantages donnés au groupe. Certains producteurs ont même le sentiment que le projet se déroule uniquement entre les chercheurs et Umar, et que son pouvoir est constamment entretenu par les chercheurs. L’un des producteurs donne l’exemple d’une lettre transmise directement au délégué plutôt qu’au secrétaire, dont c’est initialement la fonction de réceptionner les écrits. Dans le groupe, Umar est le personnage principal aux influences fortes, tant positives que négatives. D’après la majorité des acteurs, la plupart des transactions entre le groupe et l’équipe des chercheurs passent par lui.
Encadré 4 — La RAP au Burkina Faso
Le passage de l’information, ou de la désinformation, par les membres du groupe des producteurs ou du collectif des chercheurs, est souvent une des raisons que les producteurs avancent pour expliquer le manque de suivi de leur thème de travail. D’autres se portent volontaires, espérant que le projet leur donnera des avantages financiers — cette mauvaise information, paraît-il, était véhiculée par un acteur influent du groupe des producteurs — et doivent abandonner en cours de route par manque de moyens.
[Cet acteur influent] s’accaparait tout. Il ne diffusait pas trop l’information. Il ne laissait pas les jeunes prendre la parole, s’exprimer. Il contrôlait tout. Du coup, les gens l’ont compris assez vite, et comme ils étaient privés du rôle qu’ils auraient pu jouer, ils se sont un peu retirés11. (M. Florent)
L’une des tâches les plus difficiles pour les membres du bureau est de trouver le mode de communication adéquat qui permettra de rassembler le plus grand nombre de producteurs lors des activités du projet. Les circulaires, les tournées, les convocations, l’envoi de SMS, le téléphone, la visite à domicile, le grillot, le tam-tam et même payer quelqu’un pour transmettre un message sur place, sont les différentes méthodes de rassemblement qu’ils ont testé au cours de ces six années de pratique. Mais ils ne savent toujours pas quel est le moyen le plus efficace. Ils doivent également prendre en compte les lignes budgétaires que leur remet le projet pour les frais de communication. Mais les membres du bureau ne remettent pas en cause uniquement leur moyen de communication, mais aussi ce qu’ils appellent la « mentalité des gens d’ici12 », qu’ils qualifient comme involontaire et irresponsable. Ils évoquent alors une certaine résistance sociale au projet qu’ils portent, mais il serait plus juste de parler de « poids social » :
Ici, dès que tu es responsable on dit que tu as l’argent. Tu n’as même pas le droit de porter quelque chose d’important13 ! (M. Cédric)
Une grande majorité des producteurs Mbwaba considèrent que l’appartenance des membres du bureau à ce projet fait d’eux des hommes riches ou corrompus. C’est un « poids social » difficile à porter pour les membres du bureau et qui freine également la cohésion du groupe en ce qui concerne les cotisations pour le groupe de producteur. D’après Benjamin, certains producteurs font la réflexion suivante :
On ne va pas cotiser 2 000 francs CFA et les donner aux membres du bureau, ils vont les bouffer14 !
1.1.4 Le groupe des producteurs de la plaine partagé entre une volonté de modernité et de tradition
39Créé après le GIC des Hautes Terres, en 2005, le premier délégué du GIC, se démet de ses fonctions en 2007, car il n’est pas assez disponible et que ses attentes ne sont pas satisfaites. Ce groupe n’a pas beaucoup d’expérience dans le travail collectif. La constitution du GIC se fait en réponse à la sollicitation des chercheurs qui ont signalé que le travail avec la recherche ne pouvait pas se faire individuellement.
40Aujourd’hui, le nouveau délégué est le plus jeune du groupe, et fait souvent remarquer sa position délicate dans le GIC. Olympe, alors qu’il suit des études en classe de seconde, se retrouve face à des responsabilités notamment familiales. Alors qu’il passe son baccalauréat, il est successivement secrétaire en 2005, puis délégué du GIC en 2007. Il est élu grâce à sa disponibilité et son fort engagement, notamment, pour travailler avec l’équipe des chercheurs et encadrer les étudiants qui viennent dans la plaine. Cet engagement de la part du délégué « arrange » les producteurs qui ne consacrent pas énormément de temps à la vie du GIC. Ceci leur permet de ne pas trop s’engager, tout en bénéficiant de certains avantages que peut obtenir le délégué du partenariat avec la recherche. Son plus grand collaborateur est le producteur Carl, pêcheur d’alevins, passionné par son activité, et très intéressé et curieux des actions menées avec la recherche.
41De son côté, la motivation d’Olympe est de grimper les échelons sociaux par les études et la reconnaissance de son travail, certainement pour compenser le fait qu’il n’ait pas pu se consacrer pleinement à ses études, à cause de ses responsabilités familiales prises trop précocement.
42Le GIC de la Plaine est un groupe très éclaté. Peu de gens se rendent aux réunions, et peu sont au courant des actions menées avec les chercheurs. Finalement, il est très difficile d’identifier de réels membres actifs.
Tant qu’on est en groupe, il faut d’abord savoir miser sur les intérêts collectifs. Les personnes qui sont là vont me donner l’illusion qu’elles sont avec moi, mais seul le temps doit le définir, c’est une question de temps. Donc moi, présentement, je crois que je suis seul15. (M. Olympe)
43Cette présentation non-exhaustive des groupes des pisciculteurs, relève que leur point commun est la forte présence du délégué du groupe qui donne le sentiment de porter seul toutes les responsabilités, malgré l’élection de membres du bureau du GIC.
1.1.5 Une O.N.G. mobilisée pour résoudre les problèmes organisationnels des GIC
44En 2007, Pierre prend contact avec le directeur d’une ONG et l’invite à prendre connaissance de l’organisation des GIC des Hautes Terres et de la Plaine.
45Le directeur de l’O.N.G. (Tristan) est ingénieur agronome. Il détient une formation en management. Il tient le rôle de consultant en développement organisationnel au sein de l’ONG. L’intervention de Tristan est importante pour le projet RAP. D’après Pierre, il y a un double objectif, celui de mettre en contact les producteurs avec les agents du développement locaux pour prévenir du désengagement de la recherche, et celui de résoudre les problèmes organisationnels des deux GIC.
[...] pendant que Pierre travaillait avec ces groupes, il y a eu un aspect qui a créé des problèmes [...] où il n’arrivait pas tous les jours à maîtriser les membres. [...] Pierre me connaissant avec ce profil de consultant en développement organisationnel et m’a approché pour que je fasse d’abord un diagnostic organisationnel et institutionnel des deux GIC16. (M. Tristan)
46La méthode de diagnostic de Tristan est de rencontrer les membres lors de réunions plénières, puis individuellement, hors du contexte du travail, pour identifier les décalages entre les discours officiels et non-officiels.
47Tristan donne une formation aux deux groupes sur la gestion des GIC. Par la suite, il effectue des suivis dans les deux groupes, en particulier dans le GIC des Hautes Terres, davantage demandeur que le GIC de la Plaine.
48Par la suite, Tristan se charge de suivre les groupes pour qu’ils bénéficient de l’appui de projets de développement. Il a suivi notamment le GIC de la Plaine pour qu’il bénéficie du Projet de développement rural du bassin agricole Moungo Nkam (PDRBA-MN), projet dont la commune du GIC de la Plaine est bénéficiaire. L’ONG est chargée, notamment, de l’élaboration du plan de développement des communes bénéficiaires pour ce projet financé par l’Union Européenne. Malgré l’appui de Tristan, les producteurs ne se mobilisent pas pour obtenir ce financement.
49Lorsque Tristan ne peut pas intervenir dans l’obtention des financements, il fait la démarche d’informer les producteurs de l’existence de tel ou tel projet et les met en relation.
1.1.6 Des acteurs institutionnels et étatiques peu visibles
50Pierre a pour objectif de rapprocher les groupes de producteurs avec les techniciens agricoles de l’État. Quatre acteurs sont identifiés, dont le chercheur Octave, coordinateur du projet REPARAC.
51Les agents et techniciens de l’État sont difficiles à identifier par leur diversité des fonctions, des projets et des administrations auxquels ils se rattachent. De plus, ils ne sont intervenus que sporadiquement au sein du projet RAP. Seulement deux ont été impliqués sur une courte durée et ont joué un rôle ponctuel auprès des groupes, ou bien se sont complètement sentis spectateurs de l’action menée par le projet.
52Un premier technicien est impliqué dans le projet lors du diagnostic mené sur les exploitations familiales agricoles dans le département de la Menoua. Il se rattache à la délégation départementale de l’élevage, des pêches et des industries animales, et a fait ses études en aquaculture au Centre national de formation zootechnique et vétérinaire (CNFZV) de Foumban. Technicien Supérieur, référent au niveau du département en aquaculture dans le Programme national de vulgarisation et de recherche agricole (PNVRA), William fait appel à ses services pour établir le diagnostic, dans la mesure où il a déjà une bonne connaissance des producteurs. Il est invité aux premiers comités de pilotage de la RAP, contribue au montage d’un microprojet de développement pour le GIC, et participe à quelques réunions, notamment celle de fin de convention. Bien qu’un contact régulier soit maintenu entre Pierre et lui, il ne semble pas s’être impliqué davantage dans la RAP.
53Un autre technicien, Umberto, appartient également au PNVRA Il travaille depuis 2000 sur les hautes terres. En 2008, il postule pour travailler sur le projet ACEFA porté par le MINEPIA et le MINADER. Après trois années à la faculté de mathématique et d’informatique, il passe un diplôme de vétérinaire, et s’intéresse à l’aquaculture en participant à des ateliers sur le sujet.
Mon plus grand rôle en tant que conseiller, c’est d’accompagner les paysans, les GIC, ou ce qu’on appelle les groupements dans leurs différentes activités en terme de conseils techniques, d’appuis techniques et de gestion économique17. (M. Umberto)
54Parallèlement au projet RAP, il accompagne le GIC des Hautes Terres depuis 2009, dans le but de monter un projet susceptible d’être financé par le projet ACEFA.
55Trois projets sont discutés entre le délégué du GIC des Hautes Terres et Umberto. Le premier projet suggéré par le délégué est de construire une écloserie pour produire des alevins sur place. Mais ce projet n’a pas abouti.
Ils font la mise à l’eau des alevins entre février et mars, et une fois que l’on a fait cela, toute l’année il n’y a plus rien d’autre à faire. Est-ce qu’on peut monter une écloserie pour l’exploiter une semaine par an18 ? (M. Umberto)
56Ensuite, se pose le problème de l’accessibilité aux aliments pour les poissons. Umberto pense qu’il serait judicieux d’équiper le GIC des Hautes Terres d’une machine pour produire les aliments pour les poissons et les porcs. Mais, selon lui, le délégué du GIC refuse cette proposition en déclarant que la gestion de cette machine posera des problèmes au sein du GIC.
57Finalement, la dernière idée arrêtée entre Umar et Umberto est de créer un étang communautaire qui permettrait de reproduire, sur place, les alevins de carpes et de tilapia. Mais ce projet n’a pas abouti.
58En conclusion, la formation des groupes d’acteurs identifiés et des équipes au sein des chercheurs, s’est faite au niveau institutionnel par des réseaux de connaissances personnelles et professionnelles. Chaque acteur au degré d’engagement élevé est porteur d’un objectif fort, lié à ses convictions profondes, mais aussi aux méthodes de travail qu’ils ont développées au cours de leurs expériences professionnelles.
59L’éloignement géographique d’un acteur tel que Fabrice semble être un avantage dans la mesure où sa fonction et son degré d’engagement dans le projet sont importants. Sa capacité à conceptualiser et théoriser la démarche de RAP fait de lui un acteur-clé en ce qui concerne la conception des dispositifs de gouvernance qui sont mis en place dans les localités tout au long du projet.
60Pour tous les acteurs de l’équipe de recherche de terrain, le degré d’engagement se mesure surtout à la volonté d’agir de chacun ainsi qu’à sa disponibilité. Chaque acteur tient finalement sa place et son rôle dans ce projet, chacun étant complémentaire dans ses fonctions et ses compétences, ce qui dès le départ, présage d’un bel échange interdisciplinaire. Mais ces acteurs vont très rapidement être confrontés à des perceptions différentes, qui seront difficilement surmontables.
« En voiture pour la plaine »
Lundi 7 avril 2009
Le repos que je pense avoir ce matin avant mon rendez-vous avec le délégué de la plaine se termine en une course infernale, à devoir taper et imprimer des documents à la hâte pour le délégué des hautes terres passé chez Pierre à l’improviste. Je cours pour mon rendez-vous, posé depuis plus d’une semaine en pestant. Prendre la voiture pour se rendre en plaine est quand même très particulier ! Je suis assise sur le siège du conducteur, le pied gauche sous la pédale de frein et l’autre pied sous la pédale d’accélérateur, et pourtant, je ne conduis pas ! Le chauffeur est assis à ma gauche, collé contre la portière. Lorsque nous roulons, il faut que je pense à bouger mon genou pour libérer le levier lorsque le chauffeur doit changer de vitesse. Le nez collé contre le chauffeur, mon sac sur le bébé de ma voisine, et mon bras droit qui passe derrière sa nuque, nous roulons sous la pluie, sur une route de montagne très sinueuse. Je vois le grand-père se cramponner au tableau de bord de la voiture. Si j’avais pu me cramponner quelque part j’en aurais fait autant. En comptant bien, nous étions dix (le grand père, le chauffeur, ma voisine et son bébé, deux grand-mères, deux petites filles, une chèvre dans le coffre et moi), le tout dans une Toyota Corolla qui, d’après le bruit des roues, a des problèmes de rotules ou de roulement. Le chauffeur est prudent, malgré sa manie de rouler sur la voie de gauche et de couper le moteur dans les descentes pour économiser du carburant. Une douloureuse crampe aux jambes plus tard, je sors enfin de la voiture ! Arrivée en plaine, nous mangeons avec le délégué, et un ami qu’il a invité pour l’occasion. Nous marchons ensuite pour aller à la rencontre des pisciculteurs de la plaine et prendre des rendez-vous. Pour le retour, le délégué m’oriente vers un minibus. Ici, pas de sac sur le bébé, juste une vitre ouverte, un bras au soleil, les cheveux lâchés et une petite brise fraîche alimentée par notre rythme de croisière de 25 km/h, je savoure ce moment de détente ! Les rendez-vous sont pris pour dimanche et lundi toute la journée. Dimanche soir, je prévois de dormir à l’auberge de la plaine, il paraît qu’ici beaucoup de pisciculteurs se retrouvent le soir pour manger et discuter. Ce sera l’occasion de faire plus ample connaissance. Demain, une rude journée m’attend. J’ai rendez-vous à 8 heures du matin pour voir deux pisciculteurs sur les hautes terres. L’après-midi, j’ai un rendez-vous avec un économiste dans une ville voisine.
1.2 Un même projet aux perceptions et objectifs différents
61Les perceptions ou les représentations des acteurs ne permettent pas toujours de tirer à grands traits l’identité d’un groupe, tant elles sont différentes suivant les acteurs et les situations dans lesquelles elles se construisent. Pourtant, elles sont importantes à relever pour rentrer au cœur de la description d’une situation spécifique, notamment au niveau microsocial. Chaque groupe d’acteur a des perceptions différentes et des objectifs différents vis-à-vis du projet. Les perceptions et les objectifs peuvent également être perçus différemment au sein d’un groupe, même si une tendance générale est souvent visible pour chaque groupe d’individus relativement homogènes par leur statut.
62Tous les acteurs rencontrés sur le terrain portent le poids de leurs institutions et des directives relatives à ces dernières. Le poids institutionnel est difficile à mesurer tant il est muet et abstrait au niveau de l’échelle qui nous intéresse. Cette relation qu’entretient l’acteur avec son institution est primordiale et secondaire. Primordiale au regard de la façon dont cet acteur est perçu grâce à l’institution à laquelle il appartient et, secondaire dans le sens où chaque acteur agit suivant ses propres motivations, quelle que soit l’institution à laquelle il appartient. Il semble que dans ce projet l’influence de l’institution à laquelle appartient l’acteur est plus importante au niveau du « moi » que du « je ».
63Les trois acteurs principaux que l’on peut mettre au même niveau décisionnel dans le projet sont Fabrice de l’équipe « théorique », Pierre de l’équipe de terrain et Octave de l’administration et de l’État. William a également un poids décisionnel important au sein du projet mais il est moins visible et sollicité par les producteurs, les étudiants, et tout individu interagissant avec l’équipe. Finalement, sans la rencontre et la mise en place d’un partenariat entre les trois premiers acteurs principaux, le projet RAP n’aurait pas vu le jour. Les institutions auxquelles ils appartiennent leur fixent essentiellement un budget et un temps à ne pas dépasser pour le projet, ceci se résume principalement à des moyens matériels. Mais pour tout ce qui a trait au domaine de l’éthique, de la méthode de travail, de l’orientation scientifique du projet, finalement, les trois acteurs principaux disposent d’une marge de manœuvre relativement importante pour développer et mettre leurs compétences personnelles au service du projet.
64La longue expérience scientifique de Fabrice l’emmène peu à peu vers la Recherche-Action. Cette approche scientifique devient sa « spécialité », avec comme principale motivation, celle de produire des connaissances et des apprentissages actionnables par les acteurs avec lesquels il travaille. Alors qu’en 2002, les premières propositions d’ATP pour le CIRAD s’orientent sous un angle diffusionniste19. Fabrice, également chercheur à l’INRA, réussit à faire entendre sa démarche de recherche lors du séminaire organisé dans le but d’améliorer la proposition d’ATP pour le CIRAD. L’orientation scientifique de cette ATP prend un tournant suite à l’intervention de ce chercheur et à sa capacité à mobiliser et convaincre d’autres acteurs de la pertinence de cette démarche de recherche. L’association des trois chercheurs principaux de cette équipe de recherche « théorique », encore une fois, n’a pas été imposée par l’institution.
Au sein de l’ATP [...] je me suis appuyé sur [Nicolas] et [Igor] pour formaliser les choses. C’était ceux qui avaient les idées les plus proches de celles que j’avais, ceux qui étaient les plus volontaires (dans le sens où ils voulaient travailler) et ils étaient les plus disponibles, à chaque fois que j’envoyais quelque chose, ils réagissaient dans les dix minutes qui suivaient20. (M. Fabrice)
65Mais aussi vite que cette équipe se forme, elle éclate pour des raisons personnelles (pour l’un des deux chercheurs), et pour l’autre à cause d’une trop grande surcharge de travail et d’un éloignement géographique trop important. Cette surcharge de travail se traduit souvent au CIRAD par la difficulté de certains chercheurs à se focaliser sur un seul projet. Ceci ne s’explique pas seulement par une volonté des chercheurs à se mobiliser sur de multiples projets à la fois, mais aussi et surtout, aux multiples rôles qu’un chercheur doit tenir au sein de son institution. De plus, sa réputation professionnelle dépend également de son engagement, de sa visibilité, du temps de travail consacré à son activité etc. Les tâches d’un chercheur, notamment au CIRAD, sont diverses : participer à la vie de l’équipe, monter et diriger des projets, produire des articles et les publier, rendre des comptes à l’institution, gérer les aspects administratifs de la recherche, organiser et suivre des séminaires, organiser les départs en mission de ceux qui travaillent sur le terrain etc. Ces difficultés sont évidemment plus grandes lorsqu’un chercheur travaille sur plusieurs projets à la fois.
66Finalement, Fabrice devient le principal décideur de l’équipe de recherche « théorique ». Pour tester et valider la démarche de RAP, il s’associe à Pierre. D’un côté, le terrain au Cameroun est trouvé pour tester la démarche de RAP développée par l’ATP De l’autre, Pierre trouve un appui théorique au projet de développement sur lequel il travaille au Cameroun. L’objectif principal de Pierre de développer la pisciculture au Cameroun est possible par l’élaboration d’un partenariat avec Fabrice pour ce qui est du volet théorique, mais aussi en répondant à l’appel à projet lancé par le coordinateur du REPARAC (Octave), pour ce qui est du terrain et du financement.
Pour moi, [...] l’idée c’était que les deux financements arrivent ensemble, que l’A.T.P. [...] soit la partie RAP proprement dite, et que la partie REPARAC finance le travail d’expérimentation de manière à co-construire la pisciculture21. (M. Pierre)
67Parallèlement, Pierre a su s’entourer d’acteurs locaux lui permettant une meilleure insertion et un appui technique et scientifique sur place.
68Des différences de perceptions évidentes et incontournables sont à retenir, en particulier entre l’équipe des chercheurs et celles des producteurs. La seule apparition du projet dans la plaine et les hautes terres influence grandement les producteurs à prendre la décision d’y participer, malgré la condition complexe posée par les chercheurs, celle de former des GIC pour bénéficier du projet.
Les chercheurs sont venus nous faire savoir qu’il fallait qu’on forme un groupe de pisciculteurs pour qu’on nous indique comment conduire des gros poissons. C’est en arrivant [au village des hautes terres] un jour de marché qu’on m’a fait savoir qu’un Blanc est venu et qu’il voulait rencontrer les producteurs de poisson. On s’est retrouvés ici, à un carrefour. Ils ont dit que si quelqu’un veut être un vrai pisciculteur, il ne suffit pas de faire un petit trou et de mettre les poissons, et qu’avec un étang de 400 mètres carrés, on peut gagner facilement sa vie22. (M. Gabriel)
On a signé la convention avec les chercheurs parce qu’on en avait besoin. On voulait faire grandir l’activité. On était contents de voir des gens venir pour nous apporter un support pour faire grandir cela23. (M. Théodore)
Les chercheurs sont venus et ont fait appel à tous les pisciculteurs et nous étions les premiers à répondre à cet appel. Donc on est venus et ils nous ont bien sensibilisés sur ce qu’ils voulaient qu’on fasse. On nous a dit que pour que les choses aillent, il fallait créer directement un GIC de pisciculteurs. On était d’accord sur l’idée puisqu’on a compris qu’avec eux on devrait avoir beaucoup d’idées et qu’on pourrait obtenir beaucoup de résultats dans l’exploitation, c’est pour ça qu’on a été d’accord24. (M. Ulysse)
69Au premier abord, il est important de souligner que lorsqu’une équipe de chercheurs (dont l’un est blanc) arrive dans un village avec des signes extérieurs de richesse (ordinateurs, jeep, argent) la plupart des villageois pense et espère que quelque chose de bien va leur arriver. Peu sont ceux qui refusent de répondre aux attentes des nouveaux venus dans le village. Les raisons évoquées par les producteurs des hautes terres pour s’engager à travailler avec les chercheurs, reposent sur plusieurs critères. Sept pisciculteurs sur onze émettent le souhait de rendre leur activité rentable. Cette rentabilité passe, notamment par l’espoir d’obtenir des gains financiers en s’associant avec une équipe de recherche ayant des moyens conséquents. En quelque sorte, s’associer avec eux devrait forcément enrichir l’activité. En deuxième position, quatre producteurs évoquent leur besoin de connaissance sur l’activité, et l’importance pour eux d’apprendre de nouvelles choses. Au troisième rang des raisons évoquées, se situe l’envie de travailler collectivement, de s’associer avec d’autres pisciculteurs, plutôt que de mener seul son activité.
Ici nous sommes dans un milieu rural, quand on voit l’expatrié, pour nous c’est au moins un début de solution à nos problèmes. On attendait beaucoup de choses au départ25. (M. Baptiste)
[Pierre] a quand même été clair au départ : « il n’y aura pas de subvention », mais chacun a sa manière d’analyser. Peut-être qu’ils croyaient qu’il peut dire ça et après qu’à un moment quelque chose arrive, ils se sont dit « attendons, essayons de voir, peut-être que l’argent va arriver26 ! » (M. Charlie)
Certains venaient parce qu’ils savaient que le Blanc apporte l’argent27. (Mme Nabila)
Lorsqu’on sait que le Blanc est là, on sait que de bonnes choses vont arriver. Parce qu’ils maitrisent les choses. Nous pensions que les chercheurs allaient nous ouvrir au monde28. (M. Quentin)
70Comme le précise Benjamin Rubbers, « la contribution de l’anthropologie à l’étude du racisme est restée assez marginale ». Pourtant, cet anthropologue évoque également les perceptions réciproques Noirs/Blancs en République démocratique du Congo.
À leurs [les Lushois] yeux, la principale caractéristique de la catégorie du « Blanc » est une richesse matérielle extraordinaire qui se donne à voir par la consommation de biens de prestige ainsi que par des déplacements à l’étranger. [...] Cette réputation de richesse est indissociable du statut prestigieux du « Blanc » et des privilèges que celui-ci confère sur la masse des Congolais : il occupe un poste de travail tel qu’il est toujours celui qui donne les ordres aux employés congolais ; il emploie une armée de domestiques à la maison qui lui épargne la sale besogne (jardinage, cuisine, garde des enfants etc.) ; et il roule dans une grosse voiture, ce qui lui permet de ne pas se confondre dans la foule des piétons et des cyclistes.(2009 : 66-67).
71Selon cet auteur, ces perceptions sont ressassées constamment durant les interactions réciproques et quotidiennes depuis l’époque de la colonisation. La visibilité immédiate phénotypique et matérielle contribue à fixer ces perceptions et à donner des caractères particuliers aux individus, mais qui varient tout de même en fonction des situations (professionnelles, domestiques etc.) et des « traits secondaires de l’identité sociale des individus (âge, genre etc.). Ce qui est certain, c’est que cette distinction « Noirs/Blancs » semble être fréquente au Cameroun et en République démocratique du Congo, alors qu’elle est davantage taboue en France.
72Dans le GIC de la Plaine, beaucoup de producteurs se sont rendus aux premières réunions avec les chercheurs, et beaucoup abandonnent le projet en cours de route. Dans le peu de producteurs qui travaillent avec la recherche, la majorité (quatre producteurs sur sept) dit s’être engagée dans l’espoir d’obtenir un appui financier pour l’activité. Le reste des enquêtés évoque le désir de modernité, c'est-à-dire de se défaire du poids de la tradition qui pèse sur les pratiques piscicoles. D’autres pêcheurs, davantage éveillés29, et en quête de nouvelles techniques et d’outils de pêche, s’engagent dans le désir d’apprendre de nouvelles pratiques. Une minorité de personnes conscientes que l’Homme mbô30 est un être individualiste et solitaire, souhaite travailler collectivement grâce à l’aide de l’équipe des chercheurs. Enfin, une des dernières raisons de cet engagement est le désir d’ouverture de certains producteurs au reste du monde, se faire connaître, et découvrir d’autres pratiques piscicoles. La venue des chercheurs est l’opportunité pour ces pisciculteurs de répondre à leurs besoins. Ces derniers sont-ils provoqués par la venue des chercheurs au village ? Ou bien étaient-ils déjà présents avant leur arrivée ? Il est difficile de l’évaluer, puisque la simple apparition des chercheurs suffit à modifier les perceptions et les désirs des producteurs.
73Au début de la RAP, les perceptions des producteurs envers les chercheurs semblaient positives et pleines d’espoir. Au fur et à mesure, ces perceptions évoluent. Pour les pisciculteurs du GIC de la Plaine, travailler avec la recherche constitue la promesse d’une évolution positive de leur activité piscicole. La majorité des entretiens avec les producteurs des deux GIC révèlent que les producteurs ne différencient pas forcément les termes de « recherche » et « développement ». Jusque-là, les deux collectifs ont le même objectif, celui de développer l’activité. Mais ce terme de développement n’a pas la même signification pour le collectif des chercheurs et celui des producteurs. Pour les producteurs de la plaine, le développement signifie l’extension et la multiplication des étangs, l’augmentation de leur mise en charge, et l’extension du marché. Pour les chercheurs, le développement de l’activité dépend de variables que les producteurs ne prennent pas forcément en compte, par exemple la capacité des producteurs à travailler collectivement et à améliorer leur technique, plutôt que leur accès aux moyens financiers. Pour les producteurs, il s’agit plus directement d’accroître leurs revenus. Selon cette logique, ils ont confiance en la recherche car ils pensent qu’en s’associant avec elle, ils vont réduire les incertitudes liées à la réussite de l’activité. Ils se laissent guider par les chercheurs, et face à des échecs d’expérimentations sur les étangs, ils ne comprennent pas que cela puisse se produire. Pour eux, la recherche est sûre et prévisible. Les chercheurs pourtant savent bien, que leur science n’est pas toujours exacte et que toute expérimentation peut échouer. Au cours des trois années de travail avec la recherche, les producteurs réalisent qu’ils ne partagent pas les mêmes objectifs, et l’espoir qu’ils ont de se développer laisse place à la déception et au désengagement31 des producteurs du projet. Cela conduit au développement de la méfiance à l’encontre des chercheurs. La plupart évoquent le fait que la recherche leur fait perdre leur temps et ne sert qu’à palabrer et écrire des livres32. Ceci s’explique aussi par une différence de temporalité entre le travail de recherche et celui des producteurs.
74À l’issue des trois années de RAP, les producteurs se plaignent que les chercheurs ne se sont pas assez engagés personnellement et financièrement sur le terrain. Du point de vue des producteurs, l’engagement des chercheurs à titre personnel n’est pas assez fort car la plupart réclament des liens plus forts avec eux. C’est tout particulièrement le cas pour les producteurs du GIC des Hautes Terres, déjà habitués à entretenir d’étroites relations avec les Peace Corps. Au moment où les chercheurs se désengagent, les producteurs disent se sentir abandonnés et ne pas avoir assez d’expérience pour assurer eux-mêmes leur avenir. Ils regrettent que le projet n’ait duré que trois années, et déplorent un manque de suivi de la part des chercheurs et des étudiants de passage ou pour une courte durée. Les producteurs disent souvent : « ne nous oubliez pas en rentrant », « vous penserez à nous » ? Ou de façon plus directe : « de toute façon, vous prenez ce que vous voulez et ensuite vous nous oubliez une fois rentrés33 ».
75Les différences de perceptions et de représentations de la recherche entre les deux collectifs sont fortes, et l’on constate que les producteurs n’ont pas une visibilité assez importante pour comprendre les objectifs de la recherche, parce que le déroulement du projet, notamment au niveau institutionnel, est complexe et flou — certains étudiants eux-mêmes travaillant sur ce projet, avouent ne pas savoir comment il fonctionne et ce qu’il vise — et parce qu’ils idéalisent la recherche occidentale « l’innovation vient forcément des Blancs34 ». La déception des producteurs est d’autant plus grande qu’ils surestiment l’importance du mot « action » dans l’intitulé de la « Recherche-Action en Partenariat ». Suivant la récurrence des discours, les producteurs souhaitent davantage d’action que de recherche.
Encadré 5 — La RAP au Burkina Faso
Le contexte dans lequel s’insère le projet de RAP au Burkina Faso est le même qu’au Cameroun dans le sens où, dans les deux localités, des projets antérieurs ont existé, sous plusieurs formes, et dirigé par des organismes différents. Cependant, des points communs à ces projets sont à relever dans les deux pays et ces façons de faire engendrent des réactions communes de la part des producteurs burkinabais et camerounais. Dans le village Mbwaba, par exemple, le ministère de l’agriculture met en place plusieurs projets consécutifs qui consistent à distribuer gratuitement aux producteurs, des intrants, des semences, ou bien des matériels. Des informations concernant de nouvelles cultures, ou bien de nouvelles techniques culturales, circulent parfois à travers ces projets. D’après les témoignages des agents de suivi, ces projets n’améliorent pas l’activité des producteurs par manque de suivi et de formation. Cette succession de projets, n’est pas favorable à l’acceptation du projet de RAP, car d’après le trésorier Benjamin : « quand on entend le mot “projet” directement on pense à l’argent35 ». À cette époque, lorsque des matériels sont distribués dans le but d’améliorer l’activité agricole, ils sont revendus plutôt qu’utilisés, c’est ce que Benjamin décrit comme la bienvenue de la gratuité36. Les conséquences de ces échanges unilatéraux mettent le producteur dans une position de demandeur et de receveur passif, posture inadaptée à la démarche de RAP qui nécessite, pour fonctionner, d’un certain engagement de la part de tous les acteurs. Pour gagner la confiance de ces producteurs, habitués à toucher des aides ponctuelles, le chercheur Florent a dû se montrer insistant auprès des producteurs pour leur démontrer qu’il ne s’agissait pas d’un projet à distribution unilatérale. À partir du moment où Florent s’engage avec les producteurs autour d’un cahier des charges — l’équivalent d’un protocole expérimental au Cameroun — celui-ci demande aux producteurs un engagement similaire. Cette confiance permettant de travailler en commun avec les producteurs prend plusieurs mois pour se construire.
Les choses ont beaucoup changé au début de la deuxième année. Les gens ont vu que contrairement à d’autres projets, on tenait nos engagements jusqu’au bout. La deuxième année, il y a eu 100 % de réussite. C’est vrai qu’on leur met un peu la pression, mais à partir du moment où on est parti sur un engagement de départ, où chacun est libre de s’engager ou non, on estime être en droit de leur demander un certain travail. Et nous on s’engage à faire le suivi. Je pense que les gens ont apprécié qu’on tienne nos engagements et que le travail soit fait sérieusement37. (M. Florent)
Cependant, même si un cadre partenarial est posé entre les producteurs et le collectif chercheur, les producteurs gardent, en partie, leur fonctionnement et leurs règles sociales. Il est difficile de concevoir qu’ils puissent en faire abstraction. Pourtant, pour que le projet puisse fonctionner, les techniciens et les chercheurs doivent avoir accès à des informations difficiles à collecter dans certaines situations locales. C’est le cas, par exemple, pour les éleveurs peulhs qui n’ont pas l’habitude de dire à leur prochain le nombre de bêtes qu’ils possèdent. Cette difficulté pour les Peulhs à dévoiler cette information — qui est une donnée scientifique pour l’agronome — viendrait du fait que les Peulhs ont longtemps eu à cacher la taille de leur cheptel dans le but de ne pas payer la taxe qui était en vigueur avant le mandat du président Thomas Sankara. Les habitudes de comportement et de fonctionnement des acteurs locaux sont prises en compte par les chercheurs fonctionnant suivant une démarche de RAP, et incitent le chercheur à élaborer une stratégie d’adaptation pour faire fonctionner le projet. Cette adaptation prend du temps, et ne peut se faire qu’à travers la confiance et la mise à l’épreuve de l’engagement des chercheurs auprès des producteurs.
1.3 Identifier les objectifs et contraintes pour comprendre les actions
76Les perceptions des acteurs les guident dans leurs actions et leurs démarches. Les objectifs et les contraintes de chacun sont des facteurs qui aident à la compréhension de l’action. Quels sont les objectifs et les contraintes de chacun ? Quelle est la tension entre les objectifs communs et individuels des acteurs ? Quel est le rôle des dispositifs mis en place pour gérer cette tension ?
77Chaque acteur dépend de contraintes, qu’elles émanent du domaine familial, professionnel et institutionnel. Dans le projet étudié, les acteurs sont tellement hétérogènes qu’il est vraiment difficile de caractériser ces contraintes par groupe d’acteurs. Pourtant, suivant certaines catégories d’acteurs, certaines contraintes sont identiques. C’est le cas des étudiants du projet. Contrairement aux chercheurs qui témoignent d’une volonté éthique et humaine, d’améliorer la vie des paysans, ou bien de faire progresser l’activité piscicole au Cameroun, les étudiants ont un objectif principal, celui d’obtenir leur diplôme. Pour les étudiants camerounais, cet objectif est d’autant plus fort qu’il est difficile à atteindre étant donné la situation économique du pays. Sur onze étudiants enquêtés, dix sont camerounais. Cette catégorie d’acteur est primordiale au sein du projet, puisque ce sont eux qui sont en contact le plus fréquent avec les producteurs. Ce sont également eux qui produisent le plus de connaissances, et qui sont en quelque sorte, les « ouvriers » de la création des connaissances scientifiques et de la résolution des problèmes des producteurs.
78Pris entre les exigences académiques de leur université imposées par leurs maîtres ou directeur de mémoires, et les besoins techniques des producteurs guidés par Pierre, ils sont souvent prêts à beaucoup de choses pour décrocher leur diplôme. Pour tous, leur aventure au sein de la RAP commence par une proposition de stage de fin de master. Les volontaires rencontrent Pierre pour un entretien. La RAP en tant que démarche de recherche est expliquée à ce moment-là, ainsi que le thème de recherche sur lequel l’étudiant devra travailler, et ses conditions matérielles. La plupart des étudiants acceptent de s’engager, car d’après eux, il est difficile au Cameroun d’obtenir un stage rémunéré.
Quand je suis tombé dessus [la proposition de stage] je n’avais même pas à réfléchir à d’autres opportunités. Ça m’a enlevé l’angoisse et le stress, car chez nous ce n’est pas très facile de trouver un stage de cinquième année. En plus, c’est l’un des rares stages qui est rémunéré (cinquante mille francs [CFA] par mois38).(M. Sigmund)
79La rédaction de leur protocole de travail devient alors la première étape à réaliser. Avant d’aller sur le terrain, l’étudiant doit rédiger ce protocole de façon à ce qu’il convienne à son directeur de mémoire (garant de la recherche), à Pierre (garant de la recherche et de l’action) et aux producteurs (garants de l’action). La validation de ce protocole par ces trois groupes d’acteurs présage déjà de la difficulté pour l’étudiant d’allier les connaissances théoriques nécessaires pour l’université, et les connaissances pratiques nécessaires pour la résolution des problèmes des producteurs. Ensuite, l’étudiant doit être capable de vulgariser son travail scientifique auprès des producteurs de façon claire et synthétique lors d’une réunion. La situation est d’autant plus difficile que les étudiants n’ont jamais été dans une situation professionnelle en rapport avec leurs études, et n’ont généralement assisté qu’aux cours de l’université. Les producteurs valident en général le protocole, mais l’étudiant peut se retrouver « coincé » tout au long de son stage entre les prescriptions du directeur de mémoire — pas toujours conscient des réalités du terrain — et de Pierre.
La méthodologie adoptée par [Pierre], ne respectait pas le canon du département de zootechnie. Il s’agissait d’une RAP, et c’était [Urbain] qui était mon superviseur. Dans la méthodologie, les producteurs devaient collecter certaines données. [Urbain] disait que si le producteur était fatigué ou malade, il ne va jamais le faire, ce qui fait que le résultat sera biaisé, et le travail n’a pas été accepté par [Urbain39]. (M. Tom)
80Les difficultés de l’étudiant à allier les craintes et exigences de l’université à celles du projet sont révélatrices de la tension qu’il existe entre les connaissances théoriques et pratiques dans un contexte de RAP. En enquêtant les chercheurs universitaires locaux du projet et les membres de l’équipe de terrain, on se rend compte que la coordination et l’entente mutuelle entres ces acteurs ne sont pas évidentes. Leurs perceptions et leurs objectifs sont différents, ce qui peut perturber l’étudiant dans l’élaboration de son travail. Ce qui explique que souvent, l’étudiant est considéré comme appartenant à un seul chercheur à la fois et non comme appartenant au groupe dans lequel il serait libre de se référer à tel ou tel chercheur senior.
81Une autre contrainte importante pèse sur tous les acteurs du projet. Il s’agit de la convention générale signée entre l’équipe des chercheurs et les producteurs. Avant le démarrage de la phase d’expérimentation, ce cadre écrit et moral est fixé au préalable. Matérialisé par la convention générale, il permet d’enrôler40 tous les acteurs autour de mêmes idées et objectifs, d’officialiser le partenariat, et de fixer le rôle de chacun et les règles de fonctionnement du collectif. Il est également censé réduire les conflits entre les deux collectifs en fonctionnant comme un cadre juridique écrit. Des protocoles expérimentaux sont également rédigés pour traiter des questions spécifiques à l’arrivée de chaque nouveau chercheur/étudiant sur le terrain. Ils s’élaborent généralement par le collectif chercheur et se valident par les producteurs avant que toute action ne soit menée.
82Il faut également respecter les quatre piliers41 de la RAP destinés au collectif chercheur, y compris aux étudiants, et qui définissent les objectifs à atteindre. Ainsi, la recherche doit permettre aux producteurs de résoudre les problèmes qu'ils rencontrent au sein de leur activité. Elle doit faire en sorte que les producteurs deviennent autonomes, une notion d’empowerment importante pour les concepteurs de la RAP et qui pourrait émerger par « la procéduralisation du traitement des disputes de la vie quotidienne, en prise avec des considérations pratiques et des milieux, et la remise en discussion des injonctions et des règles issues des batailles politiques permettent à ces dispositifs de jouer un rôle clé dans la production des prises collectives » (Chateauraynaud, 2011).
83Autre point, le sujet de recherche doit être pertinent au niveau scientifique et doit permettre la production de nouvelles connaissances tout en s’inscrivant dans un cadre éthique qui décrit ce à quoi les deux parties s'engagent.
Tableau 5 — Engagement des chercheurs et des producteurs. Source : document de convention signé entre les chercheurs et les GIC.
| Engagement des chercheurs | Engagement des producteurs |
| — Mettre au service du projet toutes les connaissances. — Restituer les résultats régulièrement dans un langage simple. — Développer les investigations décidées collectivement avec les acteurs. — Faciliter les contacts avec d’autres institutions et organismes susceptibles d’aider à la réalisation du projet. — Informer les producteurs de tout changement dans les protocoles de recherche. — Maintenir des contacts réguliers via les dispositifs de la RAP. — Mentionner dans les publications l’origine des données. | — Travailler collectivement et participer aux réunions de travail. — Mettre en commun les savoir-faire. — Mettre en œuvre les nouvelles techniques élaborées en commun. — Mettre à disposition de la recherche les étangs et ne pas « cacher » les informations. — Partager avec l’ensemble des acteurs de la RAP les informations techniques, financières, susceptibles de faire avancer le projet. — Permettre aux chercheurs d’utiliser les données, de façon anonyme, dans des publications scientifiques ou de développement . |
84C’est à l’intérieur de ce cadre tenus par ses piliers que se jouent les stratégies individuelles et les interactions entre les acteurs. Quelles sont — dans un premier temps et dans ce cadre — les stratégies individuelles des délégués des producteurs ?
85Du côté du collectif des producteurs, la hiérarchie entre les différents membres du GIC est très marquée. Dans le GIC des Hautes Terres, le délégué est très respecté par les autres membres du groupe. C’est par lui que passe chaque action. Il est, en quelque sorte, le principal (pour ne pas dire unique) médiateur entre le collectif des producteurs et celui des chercheurs. Son rôle est pourtant remis en question par un nombre important d’acteurs qui ne se sentent pas toujours respectés et parfois même abusés. Certains producteurs semblent se sentir dominés lors des réunions de groupe, et les membres du bureau du GIC ne semblent pas en totale autonomie pour exercer leur fonction. Le pouvoir du délégué est-il permis par sa fonction de délégué et sa collaboration avec la recherche ? Ou bien son pouvoir était-il déjà très présent dans le village avant l’apparition du projet de RAP ? Certains acteurs se plaignent également de sa position dans le projet qui lui a permis d’obtenir des petits avantages matériels et financiers, et une visibilité auprès de l’administration locale. D’après les témoignages, lorsqu’un financement est obtenu, il peut en être le principal gestionnaire et en assurer la répartition, selon ses propres critères.
86Suivant les fonctions à assurer des membres du bureau — composé d’un trésorier, d’un commissaire aux comptes et d’un secrétaire — ces derniers sont censés travailler de concert avec le délégué. Mais dans les faits, il semble que cela n’a pas été le cas. Les membres du bureau semblent ne pas être systématiquement au courant de toutes les actions menées au sein du GIC, peut-être par désinformation ou par choix. Ce fonctionnement complexe et opaque n’empêche pourtant pas le GIC de fonctionner, et ses membres de rester fidèles et participatifs. Les membres du GIC craignent que le délégué, moteur principal du groupe, ne se désengage et que le groupe devienne alors inactif. Aujourd’hui, le délégué du GIC des Hautes Terres a appris de ces interactions avec la recherche, notamment en utilisant les techniques piscicoles apprises pour devenir maître d’œuvre de construction d’étangs. Il œuvre également pour que la pisciculture et le poisson frais deviennent une source de prestige social et de revenu monétaire plus important à travers la vente, le développement et la promotion, y compris dans d’autres localités. Ainsi, il s’emploie à sensibiliser les autorités des hautes terres (par exemple, le sous-préfet et le préfet). En tant que bon courtier en développement, il tire parti et profit, de la RAP, malgré la marge de manœuvre a priori étroite dont il disposait.
87Le groupe des hautes terres semble particulièrement marqué par les rapports hiérarchiques entre ses membres et tous ceux qui interagissent avec eux. Cette forte hiérarchie, qui repose autant sur le statut que sur l’âge de ses membres, s’explique peut-être par la culture que l’on prête aux Bamiléké. François Kéou Tiani explique dans son ouvrage la forte stratification de la société bamiléké qui repose notamment sur des valeurs de vaillance, d’exemplarité et d’âge (Tiani, 2014). On pourrait comprendre alors aisément, à travers un prisme certes culturel et donc contestable, la difficulté pour ses membres de vivre une situation de RAP qui aurait pour objectif d’horizontaliser les rapports sociaux.
88De son côté, le délégué du GIC de la Plaine, voyant le groupe de producteurs passif devant le travail à effectuer avec les chercheurs, tente d’utiliser cette opportunité, pour s’accomplir professionnellement. Son but n’est plus uniquement de développer la pisciculture dans la plaine, mais de réussir sa carrière professionnelle, et de démontrer aux chercheurs qu’il est un délégué compétent, notamment en ce qui concerne l’organisation d’un groupe. Par exemple, il n’exclut pas l’éventualité de tenter de décrocher une place dans une école en France n’ayant aucun rapport direct avec son métier de pisciculteur. « Pourquoi pas travailler dans la physique, la chimie, ou bien l’étude des moustiques42 ? » À travers ces deux cas de figure, il est possible d’avancer que le rôle de délégué conduit ceux qui en sont investis à développer des stratégies différentes, de préférence en fonction de leur « moi » plutôt que de leur « je ». Elles les conduisent pourtant à rechercher une certaine valorisation personnelle de leurs investissements auprès des chercheurs et de leur communauté. C’est ainsi que petit à petit, alors qu’un projet commun est en développement, les acteurs sont mutuellement déçus de constater un fort individualisme. Une attitude qui décourage certains producteurs, et ralentit la construction d’une innovation technique piscicole viable pour tous.
89Le terme de « partenariat » couramment employé sur le terrain, sous-entend que cette démarche de recherche se déroule en accord avec les populations locales de manière compréhensive (Chia et al., 2008). Les acteurs de la recherche et les producteurs locaux sont alors prétendus partenaires à « part égale » du projet, c’est en tout cas ce que comprennent les délégués des GIC. Pour l’un des chercheurs, il ne s’agit pas d’entretenir des rapports égalitaires avec les producteurs, mais de faire en sorte de renforcer leurs capacités, c’est-à-dire de favoriser leur autonomie. Malgré la signature d’un contrat écrit et d’un engagement moral des parties, les modalités du partenariat laissent relativement libre de toute action. C’est ce que les auteurs de l’article « La recherche en partenariat : entre fiction et friction » démontrent (Soulard et al., 2007). Le partenariat est à la fois une fiction et un statu quo, qui permettent de travailler ensemble et d’éviter les confrontations. Il est également une friction dans la mesure où cette situation de partenariat pose le cadre des jeux d’interactions entre les acteurs. Cette fiction, évoquée par les auteurs cités, se vérifie sur le terrain au Cameroun.
90C’est de la recherche qu’émane l’idée de s’associer aux producteurs. Celle-ci repose sur le fait que la recherche maîtrise partiellement la démarche mise en œuvre à travers les modalités de déroulement du projet qu’elle compte maîtriser. De leur côté, les producteurs sont nombreux à accepter celles-ci car ils idéalisent la recherche. Ils sont tout d’abord flattés d’être sollicités par la recherche qu’ils considèrent à la pointe du savoir, du progrès et de la technique. Cependant, en occident, l’on est globalement dans une remise en cause de plus en plus forte du progrès, de la modernité et du modèle capitaliste. Il y a de ça quelques décennies, l’on pensait que l’évolution de la science et des techniques réduirait — ou nous protègerait — des incertitudes liées au futur. Or, Michel Callon et al. (2014) soutiennent que les experts et les politiques — avec ou sans l’aide des citoyens concernés — ne sont pas forcément capables de prévenir les dégâts liés aux innovations scientifiques.
91Les stratégies individuelles déployées dans une situation de RAP ayant un cadre relationnel défini par la convention écrite et le cadre éthique, s’apparentent à une innovation organisationnelle sous la forme bottom-up. Tout individu est capable de manœuvrer dans le cadre auquel il appartient malgré le déterminisme social. Ce dernier est relatif, car l’individu dispose toujours d’une liberté d’action (Lahire, 1998).
92Durant le montage du projet, tous les acteurs de la recherche utiles à son élaboration et à son bon déroulement, se sont impliqués ou ont été impliqués par les premiers arrivés. Chacun a une fonction bien définie, une motivation propre et une mission à remplir vis-à-vis de l’institution à laquelle ils appartiennent. Un but commun à tous ces acteurs de la recherche est défini suivant la démarche de la RAP, et la marche à suivre est clarifiée. Par la suite, les chercheurs identifient les producteurs avec lesquels ils comptent travailler et s’entretiennent grâce à la signature de la convention générale fixant un cadre juridique au sein de ce partenariat. Les différences de perceptions entre les acteurs sont importantes dès le moment où les producteurs rencontrent les chercheurs. L’engagement des producteurs dans le projet est facilité par les perceptions qu’ils se font de la science, du progrès et de la modernité. La convention est établie comme cadre de l’action dans le but de sceller un commun accord qui permettrait aux acteurs de poursuivre leurs propres objectifs malgré les raisons diverses de leur engagement dans le projet. C’est alors que se jouent dans ce cadre, les actions qui se sont déroulées durant le projet, révélées à travers l’étude des principaux moments-clés divisés en deux catégories : les dispositifs et les événements.
Encadré 6 — La RAP au Burkina Faso
Le projet de RAP propose aux producteurs de travailler sur plusieurs thèmes d’activité : les fosses fumières43, le travail du sol à sec, la production de lait, l’alimentation du bétail et l’embouche44. Chaque thème se déroule de façon inégale, malgré cela, nous en tirons plusieurs points communs.
Les prédispositions des producteurs à postuler pour devenir expérimentateur volontaire du projet de RAP ne sont pas toujours identifiées. Par exemple, sur le thème de l’embouche, plusieurs producteurs se présentent comme volontaires, sans disposer de moyens financiers, ou sans avoir l’animal disponible pour emboucher. Ceci repose sur un malentendu ou un manque de communication entre l’acteur qui propose et celui qui postule pour ce thème. L’identification des producteurs capables de travailler dans le projet est un problème également rencontré sur le projet du Cameroun, et suppose que la phase d’engagement, de diagnostic, et d’identification des acteurs est déterminante dans le cadre d’un projet de RAP. Au Burkina Faso, les chercheurs s’attachent à fournir des critères de sélection des producteurs expérimentateurs qu’ils communiquent aux groupes de producteurs. Ce n’est pas l’équipe des chercheurs qui sélectionne les producteurs. Florent justifie ce choix.
Quand il s’agit de choisir des producteurs pour faire une expérimentation, on va définir un certain nombre de critères. Et ensuite les producteurs, qui se connaissent mieux entre eux, suivant ces critères, sont à même d’identifier les producteurs qui pourront participer aux activités. Souvent ça permet d’avoir des résultats plus intéressants, que si tu commandites ce choix à un technicien qui est payé par l’équipe de recherche qui va faire un certain travail et qui va faire le choix en fonction de certains critères à lui qui sont parfois implicites et qui ne t’orientent pas forcément sur les personnes qui sont les mieux à même d’expérimenter ces méthodes45.
Le risque de cette méthode, qui favorise l’autonomie du groupe de producteur, peut laisser le pouvoir décisionnel à des acteurs locaux capables de s’approprier le projet à mauvais escient, et/ou d’appliquer des principes qui ne correspondent pas à ceux de la RAP. D’après Florent c’est ce qu’il se passe dans le village Senoufo.
Au niveau du choix des producteurs, on fixait des critères pour identifier tel ou tel type de producteur, sur tel ou tel type d’activité. Et en fait, ces critères n’étaient pas retenus par les personnes. C’était en fonction de leur réseau d’affinité. »
Pourtant, lors du terrain au village Senoufo, la plupart des producteurs affirment qu’ils sont choisis par tirage au sort, justement pour éviter qu’un producteur soit favorisé en fonction de son réseau social. C’est le cas notamment d’un membre de la famille d’un acteur important du groupe de producteur qui a été choisi tardivement comme producteur expérimentateur car : « dans les tirs au sort mon nom n’était pas sorti46 (M. Usam)
L’agent de suivi, Pape, également membre du groupe de producteurs se justifie :
C’est-à-dire que le nombre de personnes qu’on voulait était déjà atteint. [Cet acteur important du groupe] aussi a peur. Il ne peut pas venir directement sur [un membre de sa famille], c’est le comité qui décide47 !
Il semble qu’un effort soit fait pour ne pas favoriser un producteur plutôt qu’un autre en fonction de son appartenance familiale.
2. Principaux éléments de l’histoire du projet
93Ce chapitre développe une chronologie du projet. Il s’appuie sur la lecture d’une grande partie des documents produits par l’équipe de recherche de terrain à savoir ; des rapports de missions, des comptes rendus de réunions, des listes de présence des acteurs aux réunions, des mémoires d’étudiants, des communications présentées dans des colloques, des articles publiés dans des revues scientifiques, des protocoles éthiques et d’action etc. La plupart des écrits mobilisés ne sont pas publiables. Je les mobilise uniquement lorsqu’ils ont fait l’objet de discussions lors d’entretiens informels avec les acteurs de terrain et lors de l’entretien formel mené avec l’un des chercheurs senior du CIRAD présent sur le terrain durant les trois années du projet. Dans cette partie, le choix délibéré est de ne rapporter que les actions et les points d’histoires partagés avec les producteurs. Tous les événements concernant uniquement l’équipe des chercheurs sont mentionnés dans les parties suivantes. Il s’agit principalement des entretiens et échanges entre les chercheurs et les producteurs. Quelques rares éléments critiques y sont rapportés tout en essayant de retranscrire fidèlement les faits tels qu’ils sont écrits dans la documentation du projet.
2.1. Un engagement mutuel qui se scelle sur des perceptions différentes
94L’histoire de la RAP au Cameroun débute en 2004, par une étude-diagnostic. Lors de ces six mois de diagnostic, il s’agit d’analyser l’insertion de la pisciculture dans les exploitations familiales agricoles. Ce travail est effectué par un chercheur appartenant à l’IRAD de Foumban (William, zootechnicien, spécialisé en pisciculture), une professeure de l’université (Nadia, zootechnicienne, spécialisée en pisciculture), un chercheur du CIRAD (Pierre, zootechnicien), un technicien supérieur (spécialisé en pisciculture) du Ministère de l’Élevage des Pêches et des Industries Animales (MINEPIA), deux ingénieurs (agronomes et zootechniciens) et une stagiaire du CIRAD (étudiante à l’ENSAT48). Initialement, est prévu l’insertion d’un sociologue dans l’équipe. Cela n’aura pas lieu. Les participants sont tous issus des sciences agronomiques et biologiques. Le travail de diagnostic repose sur des enquêtes technico-économiques et des restitutions faites auprès des pisciculteurs. Celui-ci ne traite pas des dimensions sociales, culturelles ou historiques des localités enquêtées, hormis par le biais de quelques citations fragmentaires de discours de pisciculteurs. Cette étude fait suite au choix du MINEPIA de faire de la pisciculture l’une des priorités de son plan stratégique. La province de l’Ouest est l’une des zones du Cameroun où il existe le plus grand nombre d’étangs (Oswald et Pouomogne, 1999). Cependant, le rapport indique un fort taux d’abandon des étangs : 56,6 % dans le village des hautes terres et 64,9 % dans le village de la plaine. Les raisons émises par la majorité des pisciculteurs enquêtés pour expliquer ces abandons sont une forte mortalité du poisson et un manque d’encadrement technique. Dans ce même rapport, un tableau indique le souhait des pisciculteurs d’améliorer leur activité et pour une partie significative celui d’obtenir une aide financière (36,1 %). Seulement 19,6 % pensent avoir besoin de conseil et d’encadrement technique. 24 % d’entre eux ont reçu des formations des Peace Corps, du Programme national de vulgarisation et de recherche agricole (P.N.V.R.A.49) et de l’université, alors que 65 % des producteurs ont bénéficié de « conseils techniques autres » qui ne sont pas spécifiés dans le rapport. Il ressort également de ce travail que les pisciculteurs s’engagent dans cette activité pour trois raisons : 40 % par « imitation », 15 % par « tradition », et 13 % par « l’influence des institutions ». 54 % des pisciculteurs déclarent pratiquer cette activité dans le but de nourrir la famille, contre 32 % dans un but commercial. À ce moment-là, la pisciculture n’est donc pas une activité de rente. Dans le rapport d’ORP, l’auteure ne précise pas la façon dont les pisciculteurs ont imité ou été influencés par les institutions ou la tradition pour s’engager dans cette activité. En effet, certains pisciculteurs se lancent dans cette activité pour « imiter » des pratiques observées dans d’autres régions du Cameroun, ou bien pour « imiter » leurs voisins. Mais ce terme peut avoir une connotation négative. De plus, même si l’imitation peut être un processus de transmission d’une tradition, l’item « imitation » pourrait avoir été séparé de celui de « tradition » pour différencier les pratiques piscicoles dites « modernes » et « traditionnelles ». La tradition pourrait être alors définie dans ce rapport comme une pratique piscicole transmise de génération en génération d’une même famille. Quant à l’item « influence des institutions », il semble définir les pratiques piscicoles transmises par les Peace Corps ou les techniciens piscicoles venus apprendre l’activité aux pisciculteurs.
Tableau 1 — Principales attentes des pisciculteurs en vue d’améliorer leur activité (Libeyre, 2004)
| Attentes | % | |
| Encadrement-Conseil | 19,6 % | |
| Conception, aménagement, gestion... | ||
| Disponibilité Intrants | 35,2 % | |
| Alevins | 18,3 % | |
| Aliments | 16,9 % | |
| Aide financière | 36,1 % | |
| Subvention | Générale | 18,3 % |
| Construction | 6,4 % | |
| Équipement | 4,0 % | |
| Accord Crédits | 7,4 % | |
| Débouché | 1,0 % | |
95D’après ce même document, une deuxième phase de diagnostic a permis de sélectionner 17 exploitations sur les villages des hautes terres et de la plaine, sur 133 initialement approchées. Cet affinage est prévu pour mieux comprendre la place et le rôle de la pisciculture dans l’Exploitation Familiale Agricole. Cette sélection repose sur cinq critères annoncés mais non précisés dans les documents, à savoir : la diversité agro-écologique, la taille de la pisciculture, l’engagement et la motivation des pisciculteurs, l’accessibilité des exploitations, et l’approche genre.
96S’ensuit, un approfondissement de la part de l’équipe des chercheurs des connaissances des deux localités sélectionnés pour comprendre comment se conduisent conjointement les différents systèmes de culture et d’élevage, pour caractériser les différents systèmes de production et pour finir, appréhender les pratiques et les logiques des agro-pisciculteurs. En plaine, c’est le seul village du département qui pratique une activité « traditionnelle » que les chercheurs situent entre la pêche et la pisciculture. L’abandon des étangs est en grande partie lié à ces pratiques traditionnelles jugées au départ par certains producteurs comme obsolètes. Les causes développées par les producteurs au sujet de l’abandon de leur étangs sont l’implantation par les autorités coloniales de cultures de rentes telles que le café et le cacao, la perte des techniques et des savoir-faire ancestraux, le refus par la nouvelle génération de sacrifier des vies humaines comme le prescrit la tradition et donc la volonté d’accroître la population dans la plaine, et pour finir, la volonté de développer une pisciculture « scientifique » susceptible d’être maîtrisée par tous. Le rapport précise des éléments de la tradition piscicole de la plaine qui sont tabous. « Les contraintes liées à la topographie, au climat et à l’hydrologie, auraient rendu complexe l’accès et la gestion des ces étangs et donné lieu, par conséquent, à des pratiques mystiques réservées aux seuls initiés ». Ces étangs seraient entretenus par des génies et/ou totems prenant notamment la forme de serpents. « L’activité de ces “génies” était induite par une herbe fétiche plantée sur les bords des étangs. De ce fait, les initiés se devaient d’enlever toutes les autres herbes présentes autour de ceux-ci » (Libeyre, 2004). Cependant, les initiés disent que ces génies permettent la production de grandes quantités de poissons en échange de sacrifices humains.
97Le constat des agronomes sur les deux localités est clair, le poisson rapporte au pisciculteur 1,3 fois plus que le prix d’investissement de départ, et cette pisciculture peut être rentable à condition d’approfondir les connaissances des pisciculteurs.
98En novembre 2004, des restitutions sont faites aux pisciculteurs dans trois lieux stratégiques visant à réduire la distance à parcourir pour les pisciculteurs. Les restitutions se déroulent de la même façon dans ces trois localités. Les différents participants sont présentés, le résumé du résultat des enquêtes est distribué avant une présentation orale des données, suivis de questions et d’échanges entre les différents acteurs. Le but de ces restitutions est, entre autres, de démontrer l’importance de la pisciculture au sein des exploitations pour valoriser les sous-produits et générer des revenus. En plaine, 15 pisciculteurs sur 33 se sont rendus à la restitution.
99Ces producteurs formulent leur besoin de réussir à maîtriser la pisciculture stagnante50 et empêcher les inondations, et d’utiliser des techniques plus conventionnelles. Pour les participants à cette réunion, leur but est de rompre avec les traditions. Lors de ces échanges entre chercheurs et pisciculteurs, des problèmes et des solutions commencent à émerger. Les producteurs formulent quelques problèmes techniques précis qu’ils souhaitent résoudre et demandent conseil aux chercheurs. Voici un extrait de leurs échanges :
— Les producteurs : Comment accéder à une motopompe pour vidanger les étangs de nappes ?
— Les chercheurs : Ce matériel peut être acheté en commun par tous les pisciculteurs.
— Les producteurs : Parfois lorsque nous vidangeons nos étangs, on ne trouve aucun poisson.
— Les chercheurs : Ceci peut venir de la prédation des alevins, lorsqu’ils sont trop petits ils sont la proie des loutres et des oiseaux. Il y a également le cannibalisme, car par manque de nourriture, les gros mangent les petits. Mais une nouvelle espèce vorace vient d’arriver [en plaine], le poisson vipère, celui-ci mange aussi les poissons de grosse taille.
— Les producteurs : Notre cycle d’élevage dure entre deux et trois ans, nous aimerions raccourcir le cycle à un an, comment faire ?
— Les chercheurs : Il faut nourrir les poissons pour qu’ils grandissent plus vite. [À ce moment-là les chercheurs donnent la formule d’un aliment que l’on fabrique sur la base de dix ingrédients différents51].
100Pour clore les restitutions, l’équipe de recherche propose aux producteurs de s’organiser en GIC pour ceux qui veulent élaborer ensemble un projet commun qui pourra être soumis aux bailleurs de fonds. Les pisciculteurs acceptent mais ce projet ne verra jamais le jour.
101Sur les hautes terres, la restitution se déroule de la même façon qu’en plaine à ceci près que le futur délégué des producteurs du GIC des Hautes Terres commence par une allocution sur l’histoire de la pisciculture dans son village. Sur 45 personnes invitées, 35 sont présentes. Les principales contraintes évoquées par les producteurs sont leurs difficultés à se fournir en alevins bon marché et de bonne qualité, le manque d’encadrement, de formation et de conseil, ainsi que le manque de financement. Leur souhait est d’être formés à la reproduction des poissons ou bien de disposer d’une écloserie de proximité. En réponse, les chercheurs proposent aux producteurs de se fournir en alevins à l’écloserie de l’un des enquêteurs du MINEPIA qui se situe dans la ville la plus proche du village des hautes terres. Un film sur la reproduction des poissons est alors diffusé par les chercheurs pour montrer la complexité de cette pratique. À l’issue de cette réunion/restitution l’équipe de recherche propose aux producteurs de s’organiser en GIC, chose que les producteurs appliquent immédiatement. Ce GIC sera formé officiellement en novembre 2004.
102Suite au constat que la pisciculture en plaine fonctionne majoritairement suivant des techniques traditionnelles, l’équipe de recherche décide de mener une étude socio-anthropologique des exploitations dans la plaine des Mbô. Celle-ci s’effectue sur dix jours par deux socio-anthropologues, l’une, stagiaire au CIRAD et l’autre, chercheur et enseignant à l’université de Yaoundé. Les pisciculteurs de la plaine qui se sont rendus à la restitution du diagnostic sont pour une grande partie ouverts à la modernité52, alors que la majorité des exploitations familiales de l’arrondissement opte pour une pratique traditionnelle. L’étude des socio-anthropologues se focalise sur les aspects socio-culturels techniques de la pisciculture. Dix pisciculteurs sont sélectionnés pour des entretiens individuels approfondis dans le groupe qui se formera officiellement en GIC en juin 2005. Lors d’une réunion avec tous les membres du GIC, les enquêteurs demandent aux pisciculteurs de se positionner comme exploitants ayant : (1) abandonné, (2) conservé les pratiques traditionnelles, (3) changé leurs pratiques ou (4) repris l’activité.
103Quatre discussions collectives approfondies sont effectuées avec chaque groupe ainsi formé. Les thèmes de recherche sont, l’histoire et la construction de l’identité des Mbô, la place de la ressource poisson dans leur activité, et leurs souhaits pour demain. Il ressort de ces enquêtes la difficulté pour les pisciculteurs d’envisager des objectifs collectivement, l’importance de gérer les stocks d’alevins présents en grande quantité dans le milieu naturel, la compatibilité et la complémentarité du mode d’exploitation traditionnel et moderne ainsi que « l’intérêt d’une formation directe des exploitants de la ressource poisson, calquée sur le mode de transmission traditionnelle des savoirs » (Vander Stuyft et Essomba, 2005). L’objectif de l’étude était de « contribuer à l’émergence d’un dialogue et d’un mode d’ethno-communication [qui permettent] la construction d’innovations piscicoles dans le cadre de la RAP, tenant compte du système de sens et des croyances dans lequel s’inscrit cette activité dans cette zone53 ». Répondre à cette question revient à comprendre les motivations des Mbô, leurs besoins et leurs attentes vis-à-vis du projet, formuler, contextualiser et traduire leur demande en question de recherche, ainsi que de produire une première cartographie de l’activité sur la zone. Le terme d’ethno-communication n’est utilisé qu’une fois dans le rapport, et n’est pas explicité, mais pourrait laisser entendre qu’il s’agirait d’une tentative de faire de l’ethnologue dans une situation de RAP, un chercheur-médiateur spécialiste de la culture locale entre les pisciculteurs et les chercheurs du projet. « La culture des Mbô peut-elle favoriser la construction d’innovations piscicoles ? », ou bien « comment les savoirs et les pratiques des Mbô peuvent-ils favoriser la construction d’innovations piscicoles54 ? », sont les principales questions de recherche des deux socio-anthropologues. Les hypothèses spécifiques devant répondre à ces questions consistent à dire que la construction des innovations piscicoles constitue chez les Mbô une valorisation des savoirs traditionnels acquis d’une part, et d’autre part une réponse concrète aux contraintes des pratiques magico-religieuses soulevées par certains d’entre eux. Le rapport ne précise pas si ces questions de recherche ont été formulées en présence de tout le collectif de RAP, ou bien seulement entre les producteurs et les auteurs. Mais ce qui parait sûr, c’est que les auteurs sont partis des interrogations des producteurs pour formuler leur question de recherche. L’une des interrogations était de savoir s’il fallait (ou non) poursuivre la pisciculture traditionnelle, moderniser totalement ou hybrider la pratique. En toile de fond, apparait également l’idée que la tradition, porteuse de la culture mbô, serait un frein à la modernisation de la pratique, autrement dit, à l’innovation socio-technique.
104Les enquêtes offrent la connaissance des perceptions, croyances et représentations des Mbô dans plusieurs domaines : les étangs, les hommes, l’eau, les poissons, les dieux et les sirènes, la faune terrestre, la flore et les ancêtres. La bibliographie de cette enquête indique la mobilisation de théories culturalistes et de notions de tradition, et d’initiations, extraites de dictionnaires d’ethnologie et d’anthropologie ainsi que d’un ouvrage de Mbonji Edjenguèlè55, anthropologue et chef traditionnel Camerounais spécialiste de la culture. Ces dernières sont mobilisées pour décrire et expliquer les pratiques magico-religieuses des producteurs. Ces références sont complétées par l’analyse des réseaux d’Alain Degenne et Michel Forsé56 mobilisés pour comprendre la structure du système social par l’analyse des expérimentations magico-religieuses.
105Quatre types d’étangs sont identifiés selon l’hérédité et les pratiques : les Beuths57, les étangs tradi-modernes, les étangs à tendance moderne et les Olam-Machoue58. Chez les Mbô, l’eau a un rôle important. Elle est une sorte de canal entre les hommes et leurs ancêtres, comme par exemple au Niger (Renard-Toumi et De La Croix, 2013). L’eau est également synonyme de faste. Le poisson, quant à lui, est perçu comme un être mystique communiquant entre soi et avec les humains. Il est également considéré comme un être très structuré socialement. « [...] selon la majorité des Mbô de la plaine, la première loi à respecter est la « tradition » et les interdits qui y sont attachés » (Vander Stuyft et Essomba, 2005). La modernité59 à l’inverse, est perçue par certains comme synonyme de paresse et de faiblesse. Pourtant, certains considèrent que la tradition est un frein au développement. Selon certaines idées reçues, pour qu’une activité économique soit rentable il faut qu’elle soit moderne. D’autres disent qu’une tradition fermée à tout apport extérieur est un frein au développement économique. Simultanément, la maîtrise des savoirs traditionnels fait de plus en plus défaut. Pour cette catégorie d’individus qui sont pour la modernité, cette dernière est synonyme de facilité, de richesse, de développement et permet d’améliorer les conditions de vie. Concrètement, ils souhaitent accéder à la modernité grâce à l’acquisition d’une motopompe, à l’apport d’aliments pour les poissons, au réaménagement et à la consolidation des étangs.
106Une autre partie de l’étude porte sur l’approfondissement de la connaissance des savoirs et des savoir-faire traditionnels des Mbô. Les chercheurs constatent l’utilisation d’herbes protectrices autour des étangs, la présence d’un gardien sous la forme d’un serpent totem60, la présence et le rôle d’un poisson chef, ainsi que la pratique d’un rite de demande d’autorisation de pêcher.
107Les enquêteurs déterminent pour chaque type d’étang identifié, les inconvénients, les risques, les difficultés et les avantages de chacun. Ils font également ressortir les besoins et les attentes des producteurs, ainsi que les raisons qui sont à l’origine de leurs choix de stratégies productives. Ces résultats n’ont cependant pas fait l’objet d’une analyse de données et d’un approfondissement plus conséquent. Ils s’apparentent à des constats et des conseils. L’un des éléments qui paraît central à l’issue de cette étude socio-anthropologique est que le GIC de la Plaine peine à fonctionner collectivement. Identifié dès l’origine, ce constat n’est pas davantage analysé. Or, cet aspect essentiel va entraver le déroulement des activités durant les deux années suivantes.
108En novembre 2005, lors d’une mission effectuée au Cameroun par deux chercheurs du CIRAD (Fabrice et Nicolas), se met en place la RAP sur les hautes terres et en plaine par la signature de la convention. Les dispositifs de la RAP sont mis en place, au cours de trois réunions61, et déterminent la nature des rapports à venir entre le collectif des pisciculteurs et celui des chercheurs.
109Ces réunions aboutissent à la co-construction d’une question spécifique à chaque situation vécue par les producteurs. Sur les hautes terres, ils se demandent comment disposer d’alevins de qualité et rendre viable l’activité piscicole ? En plaine, la question formulée est la suivante : comment valoriser la collecte d’alevins de silures62 issus du milieu naturel et rendre viable l’activité piscicole ?
110Un plan d’action pour répondre à ces questions est mis en place dans chaque localité. Une fois les questions et les actions à mener définies, une charte éthique est élaborée. Cette dernière indique ce à quoi les producteurs et les chercheurs s’engagent. La convention est signée par les GIC des Hautes Terres et de la Plaine en novembre 2005. Cette convention indique de quelle façon seront menées et suivies les activités, ce à quoi les chercheurs et les producteurs s’engagent, la durée de la convention, ainsi que l’attitude à adopter en cas de litiges (cf. Annexe IV : Convention générale). La signature de la convention avec le GIC des Hautes Terres a nécessité « plusieurs réunions63 pour clarifier les engagements réciproques et lever un certain nombre de malentendus portant sur la démarche de Recherche-Action en Partenariat. En particulier, il a fallu éclaircir des accusations de « mauvais comportements » portées à l’encontre d’un chercheur et de deux membres du GIC par une partie de la direction du GIC. Bien que ces malentendus aient été levés au cours d’une réunion exceptionnelle entre le bureau du GIC et l’équipe chercheurs, il n’en demeure pas moins qu’il reste encore à établir un climat de confiance entre certaines fractions du GIC64 ». Cependant, pour le GIC de la Plaine, la négociation du cadre éthique n’a pas posé de problème particulier.
111Pendant ce temps, en novembre 2005, des séminaires ont également lieu avec les membres des deux GIC pour approfondir la compréhension des pratiques piscicoles des producteurs. La visite d’un chercheur zootechnicien brésilien est organisée pour faciliter la mise en place d’une coopération tripartite entre la France, le Brésil et le Cameroun dans le but d’élargir à d’autres continents. Mais cette coopération ne verra jamais le jour. Par contre, suite à cette mission, le chercheur brésilien rédige un rapport. Il y indique que le dispositif de RAP mis en place peut permettre aux chercheurs d’être à l’écoute des pratiques des producteurs pour ainsi les aider à résoudre leurs problèmes. Par ailleurs, il relève le manque de soutien de la part de l’État en vue de développer cette activité et donc, un manque d’unification des actions à mener pour développer la pisciculture au Cameroun.
112C’est dans la phase d’engagement que se décident les modalités du projet. Le diagnostic, la sélection des exploitations, le choix des producteurs, la connaissance du milieu socio-culturel concerné par le projet sont pris en compte par l’équipe de recherche. Cependant, certains points importants sont à relever et peuvent expliquer les difficultés à venir. Six mois de diagnostic sont effectués sur le thème de l’insertion de la pisciculture dans les exploitations familiales. La mobilisation d’un sociologue ou d’un anthropologue pour participer à ce diagnostic a échoué, ce qui explique une prise en compte partielle du fonctionnement du milieu socio-culturel local. À la suite de ce diagnostic, l’engagement du projet avec certains acteurs enquêtés s’appuie sur plusieurs critères. Le premier critère est technique. Les exploitations sélectionnées doivent correspondre à certaines exigences techniques sur lesquelles les chercheurs du projet vont travailler. L’autre critère est celui de la motivation des acteurs à s’engager dans le projet. L’équipe des chercheurs s’attache à être vigilante aux besoins des producteurs. Ils constatent que 19 % d’entre eux désirent des conseils techniques et un encadrement dans l’activité, contre 36 % qui souhaitent une aide financière, et cependant, ce projet ne prévoit pas d’en apporter. Autre point, deux localités sont sélectionnés, et seulement une fera l’objet d’une étude socio-anthropologique censée apporter des réponses à la méconnaissance des chercheurs de ce milieu culturel considéré comme traditionnel. Pourtant, cet approfondissement socio-anthropologique aurait été également utile sur les hautes terres et aurait peut-être permis de comprendre le fonctionnement du groupe de producteurs, ou encore l’impact du projet sur la société locale. À l’issue de cette phase, les acteurs s’engagent à travers la signature de la convention générale. La question de recherche est co-construite et la phase d’expérimentation peut alors commencer.
« Sur le marché des hautes terres »
Mercredi 9 avril 2009
Le délégué des hautes terres me donne rendez-vous à 8 heures du matin sur le marché. Il me dit qu’à ce moment-là, je n’aurai pas de mal à trouver tous les pisciculteurs pour prendre mes rendez-vous pour les entretiens individuels. Arrivée au village, le délégué me dit que je suis en retard alors que je suis à l’heure. Je ne comprends pas, mais je prends sur moi. Je le suis en pensant qu’il m’amène directement au marché. Finalement, il s’arrête tous les deux mètres pour saluer et causer avec les gens que nous croisons. Il parle en patois, je me sens un peu transparente. Je patiente à ses côtés dans l’espoir de comprendre des bribes de conversation. Puis il me dit que tout d’abord l’on doit rencontrer une piscicultrice à une heure de marche d’ici, une personne qui ne va jamais au marché, et que de toute façon tous les gens du marché ne sont pas encore arrivés. Sur le chemin, il me parle avec nostalgie d’une Américaine avec qui il a travaillé dans le temps, et qui marchait des kilomètres avec lui dans les montagnes. Arrivés au village voisin, la personne que nous devons rencontrer n’est pas chez elle. Nous lui laissons un mot, puis nous faisons demi-tour. Arrivés au marché, le délégué cause de nouveau en patois avec les villageois qu’il croise. Petit à petit nous rencontrons les pisciculteurs de son groupe. Pendant que je prends mes rendez-vous, le délégué me dicte un peu la façon dont je dois m’y prendre. Entre les deux heures de marche, les gens qui m’interpellent et le délégué qui s’arrête pour causer avec tout le monde, je trouve le temps long et laborieux bien qu’il soit précieux pour mon travail. À 13h30, il m’indique alors un restaurant, nous mangeons, je repère un motard, puis nous repartons sous la pluie. Suivant l’intensité des averses, nous sommes obligés de nous arrêter régulièrement sous les auvents des maisons pour nous abriter.
2.2 Une phase d’expérimentation au cœur du projet
113En novembre 2005, un séminaire avec le GIC des Hautes Terres réunit 22 pisciculteurs dans le but de comprendre leurs pratiques. À cette occasion, les chercheurs font des commentaires à propos de ces pratiques. Par exemple, concernant la préparation des étangs, les pisciculteurs les laissent à sec durant une semaine, ils curent la boue sèche, fabriquent une compostière qui fait 5 % de la superficie de l’étang qu’ils chargent essentiellement en herbes, la mise en eau et la vidange se font par gravité via des tuyaux, par digue ouverte ou par nappe. Par rapport à ces pratiques les chercheurs conseillent de doubler la taille de la compostière, de vérifier s’il faut clôturer l’étang, s’il ne fuît pas et si sa profondeur est suffisante. Autre pratique abordée, les pisciculteurs introduisent les poissons lorsque l’eau est verte. Ils introduisent d’abord les tilapias65 puis, trois mois plus tard, les clarias66 achetés en écloserie ou capturés dans le milieu naturel. Au vu de ces pratiques, les chercheurs se demandent si les producteurs ont véritablement des difficultés pour se fournir en alevins ou bien s’ils ont plutôt des scrupules pour consacrer de l’argent à une activité qu’ils ne jugent pas ou peu rentable. Autre point abordé, l’alimentation que les producteurs mobilisent pour la pisciculture se constitue de feuilles, d’herbes, de déchets de cuisine et de déjections de porcs. Les chercheurs remarquent qu’un seul pisciculteur a acheté des intrants pour nourrir ses poissons.
114Les derniers thèmes abordés sont la vidange, la récolte et la vente du poisson. Les femmes déclarent gagner de l’argent avec cette activité et n’ont pas besoin de mobiliser trop de main d’œuvre lors de la vidange de l’étang. Le matériel se constitue essentiellement d’épuisettes et de paniers. Les poissons sont vendus au bord des étangs et sur les marchés locaux. Le prix d’un tilapia varie entre 800 et 1 000 francs CFA le kilogramme, et celui d’un silure entre 1 000 et 1 200 francs CFA le kilogramme. Les chercheurs pensent que les prix d’achat des alevins sont trop élevés et que la densité de mise en charge67 est à revoir.
115Le séminaire du GIC de la Plaine qui s’est déroulé fin novembre 2005 est l’occasion de faire état de certaines pratiques recueillies auprès des pisciculteurs, mais ne montre pas l’apport des chercheurs face à ces pratiques. Ces dernières sont peu sujettes à des commentaires immédiats, car peu connues des chercheurs. Le séminaire aborde le choix du site pour creuser les étangs, l’aménagement et la préparation des étangs, l’introduction des poissons et leur maintien, la vidange, la récolte, le curage, les rites associés à chacune de ces activités, et le but recherché par cette pisciculture. La validation du premier plan d’action s’effectue sur deux jours de travail.
116En décembre 2005, est mis en place avec le GIC des Hautes Terres, le plan d’action devant répondre aux problèmes rencontrés par les producteurs. La question posée est, comment produire des poissons marchands ? Les chercheurs vérifient certaines voies possibles pour y répondre, par exemple, en évaluant un modèle de polyculture à base de tilapia, en calculant la mise en charge adéquate, et en évaluant les ressources mobilisées par l’exploitant pour charger la compostière de son étang et leur impact sur le rendement piscicole.
117Certains thèmes sont développés par des étudiants en vue de rédiger leur mémoire de master. Le plan d’action est également validé avec le GIC de la Plaine. La question de travail porte sur l’augmentation de la production des étangs hérités du père. Les actions à mener pour répondre à ces questions sont de caractériser les sites, les étangs et la récolte. Ces thèmes font également l’objet de deux mémoires d’étudiants.
118Le premier comité de pilotage se déroule en janvier 2006. Il réunit Pierre du CIRAD, Nadia de l’université, les deux délégués des GIC accompagnés de deux piscicultrices de chaque GIC. La réunion débute par un mot de bienvenue, une présentation des participants, et un rappel du rôle du comité de pilotage et des principes de la démarche de RAP. Elle se poursuit par l’état d’avancement des actions programmées, la présentation de nouveaux chercheurs dans le collectif et l’énumération des règles du comité de pilotage. L’état d’avancement de la valorisation des alevins par le GIC de la Plaine est évoqué lors de ce comité, ainsi que l’état d’avancement de la négociation de la vente d’alevins entre les deux GIC. Ces derniers se sont entendus sur un prix lors d’une réunion précédente, mais cette négociation n’a pas abouti. Le délégué du GIC de la Plaine refuse de vendre les alevins au prix négocié et justifie sa décision en disant qu’il suit le règlement intérieur du GIC. De plus, il explique que les anciens68 ne fixent pas de prix car tout se joue dans la négociation. La question du prix de vente des alevins est alors à reprendre. C’est ce que propose Pierre. Durant ce comité, est également calculée la quantité d’alevins dont le GIC des Hautes Terres a besoin pour sa prochaine campagne. Pierre propose que les alevins soient stockés chez deux membres du GIC en attendant de les introduire dans les étangs, mais le délégué, Umar, s’oppose à cette idée. Il préfère qu’une livraison directe des alevins soit faite dans chaque étang, et propose de réunir les membres de son GIC pour décider des modalités financières d’achat des alevins. Pierre propose une première livraison dans les quinze prochains jours, puis une seconde le mois suivant.
119En plaine, la première action programmée consiste à évaluer la production des étangs d’inondation. Un calendrier des récoltes est mis en place par les chercheurs et les producteurs. Les chercheurs précisent qu’ils s’adapteront au calendrier des producteurs. Deux nouvelles questions se posent concernant le fonctionnement organisationnel des GIC. Comment réunir ensemble dans le même projet tous les pisciculteurs des hautes terres ? Comment favoriser une dynamique collective au sein du GIC de la Plaine ? Le collectif des chercheurs prend conscience qu’il y a des problèmes de gestion (de nature différente) dans les deux GIC. L’un fonctionne, mais les pratiques des membres du bureau ne sont pas transparentes. L’autre a du mal à se rassembler et à penser collectivement. Pour clore la discussion, les chercheurs rappellent la nécessité que maximum trois membres par GIC doivent assister au comité. Ensuite, que toute personne invitée doit obtenir l’accord des trois parties. Puis, sont offerts à chaque participant 5 000 francs CFA pour les frais de transport et les repas, taux variable en fonction des moyens du projet.
120Le comité de pilotage suivant se déroule en mai 2006 à l’université. Il réunit trois membres du GIC de la Plaine et des Hautes Terres, Pierre, William et Nadia. Quatre étudiants sont également présents en tant qu’observateurs, dont un chargé d’écrire le compte rendu du comité. Ce dernier débute par un réajustement de l’ordre du jour par William, une prière par un membre du GIC des Hautes Terres, une présentation individuelle et un état d’avancement des travaux. L’un des points principaux de discussion reste la négociation des alevins de silures entre les deux GIC. Concernant le protocole de terrain sur les hautes terres, William demande à Umar s’il autorise la venue d’étudiants sur le terrain. Celui-ci autorise l’accès. Sur le volet traitant de l’organisation des pêches de contrôle sur les hautes terres, Pierre propose qu’un pêcheur de la plaine vienne sur les hautes terres pour faire la pêche de contrôle dans le but d’assurer une bonne pêche, de faire connaître les activités des pisciculteurs des hautes terres aux pêcheurs de la plaine, et de former un pisciculteur des hautes terres au lancement du filet épervier. Il propose pour cela des dates en mai 2006. Cette proposition reçoit l’accord des membres des GIC et se déroulera comme prévu. Aucun chercheur ne sera présent lors de cette rencontre.
121Le collectif des chercheurs propose également deux dates pour préparer le travail de restitution des producteurs durant l’atelier d’échange du projet REPARAC qui se déroulera en juin 2006. Le collectif des chercheurs demande également aux producteurs de les tenir au courant lorsqu’ils prennent connaissance d’autres projets, dans le but de se concerter avec eux pour mener des actions conjointes. En ce qui concerne les travaux à mener dans le courant des années 2006-2007, la priorité sera donnée à l’organisation de la collecte et la distribution des alevins. Avec le GIC de la Plaine il s’agira de travailler sur la collecte d’alevins, et pour le GIC des Hautes Terres, sur la conduite de l’élevage. Pour finir, le compte rendu du conseil scientifique de l’A.T.P. datant de mars 2006 est restitué aux producteurs ainsi que d’autres points divers.
122En mai 2006, suite à une réunion collective, Pierre écrit et envoie un courrier au GIC des Hautes Terres dans le but de formaliser la cession d’alevins de clarias devant servir à des expérimentations. Les alevins doivent être calibrés en présence d’un étudiant avant d’être livrés chez les producteurs. Ces alevins ne peuvent pas être mis dans des étangs contenant déjà des alevins pêchés en plaine. Il y précise également les conditions d’aménagement de l’étang nécessaires pour accueillir ces derniers, ainsi que leur prix et leur densité de mise en charge. Il demande également à ce que les pisciculteurs du GIC proposent un plan de mise en charge relativement précis pour pouvoir bénéficier de cette cession. Il établit ensuite les conditions à suivre lors des pêches de contrôle qui auront lieu ultérieurement en y précisant le matériel nécessaire ainsi que la hauteur de l’eau pour faciliter cette pêche.
123En novembre 2006, les pisciculteurs des hautes terres sont invités à la station expérimentale de l’IRAD de Foumban pour leur montrer de quelle façon se déroule le fonctionnement d’une écloserie, chose que les producteurs des hautes terres désirent avoir à proximité de leurs étangs.
124Pendant ce temps, une future ingénieure en travaux agricoles mène des expérimentations avec un producteur de la plaine. Son travail porte sur les performances zootechniques des clarias en polyculture avec l’Oreochromis niloticus69 et sur l’aptitude des deux espèces à contrôler la production d’alevins de tilapias. Cette expérimentation est supervisée par le chef du département « productions animales » de l’université. L’expérimentation échoue à cause d’un matériel trop fragile et l’étudiante est obligée de terminer son étude à la station expérimentale pour obtenir son diplôme universitaire.
125En janvier 2007, une restitution finale des travaux de deux étudiants se déroule en plaine, à la suite d’une précédente à mi-parcours en mai 2006. Trente-cinq personnes sont présentes dont vingt-quatre producteurs. Ces restitutions intermédiaires permettent de prendre en compte le point de vue des producteurs, de récolter de nouvelles informations, de valider les données et de les partager. Lors de la restitution finale, la problématique du premier étudiant préparant son diplôme d’ingénieur des eaux et forêts et de la chasse, tient en deux questionnements. Quelles sont les particularités de ces étangs d’inondation en termes de fonctionnement et de rendement ? Quelle est l’influence de l’environnement immédiat sur la production de ces étangs ? Les données collectées au cours de cette étude permettent la délimitation des sites en fonction des formations végétales et de leur positionnement dans le village. Elles mentionnent les relevés des altitudes, la morphométrie des étangs, l’identification des espèces végétales aux abords des étangs, le comptage et le tri des poissons suivant leur taille. Les résultats sont exposés sous forme de tableaux, schémas et photos. En conclusion, l’étudiant identifie douze sites sous-divisés en quatre types de formations végétales : la forêt, la prairie, la plantation sur bas-fonds et le champ de culture. Les étangs de la plaine des Mbô se caractérisent par une alimentation par nappe phréatique, une taille réduite, une absence de canal d’alimentation ou de vidange ainsi que des rendements élevés. Les facteurs qui influencent la production de ces étangs varient selon les conditions hydrologiques, le nombre et la qualité des abris confectionnés ainsi que les caractéristiques du couvert végétal. Il émet des recommandations aux chercheurs d’un côté et aux producteurs de l’autre. Aux chercheurs, il conseille d’approfondir l’étude de l’écologie des plans d’eau ainsi que l’étude du régime alimentaire et du comportement des poissons. Aux pisciculteurs, il conseille de réhabiliter les étangs abandonnés et de protéger les couverts forestiers qui assurent une meilleure production piscicole.
126La deuxième étudiante qui restitue ce jour-là est socio-économiste et propose une analyse des pratiques piscicoles ainsi que de la gestion des productions des étangs de la plaine. Le but de cette étude est de proposer des mesures visant à accroître le revenu des producteurs. Elle détermine deux types de productions piscicoles, l’une traditionnelle et l’autre semi-moderne. Elle constate que la majorité de la production est destinée à l’autoconsommation, et le reste, au don et à la vente. Ces données varient selon les villages. Elle émet la même recommandation que son collègue étudiant pour les producteurs, c'est-à-dire, la réhabilitation et la construction de nouveaux étangs pour accroître la production. Elle propose également que la vente s’effectue au kilogramme à l’aide d’une balance, plutôt qu’à l’unité. Pour finir, elle propose aux producteurs de rejoindre le GIC de la Plaine dans le but d’unifier les prix de vente et d’éviter que certains ne cassent les prix. Enfin, elle propose aux chercheurs de nommer des agents pour apprendre aux pisciculteurs les techniques modernes de production. Cette proposition n’entre pourtant pas dans la logique de l’équipe de recherche, qui considère déjà que les pratiques traditionnelles sont performantes en plaine. Ceci explique peut-être pourquoi cette proposition n’aura pas obtenu de réponse. Elle suggère également un appui financier du gouvernement par l’acceptation de crédit pour augmenter la production. Aux chercheurs de l’équipe, elle propose un axe à développer concernant le comportement des clarias pour prévenir ses mouvements entre les étangs.
Fig. 4 — Construction d’un étang traditionnel dans la plaine, 2010

127Ensuite, une restitution des travaux de deux étudiants s’effectue sur les hautes terres. Vingt-huit personnes sont présentes, dont dix-neuf producteurs. À noter que, tout comme en plaine, une restitution intermédiaire de ces travaux s’est déroulée en mai 2006. Le premier étudiant, futur ingénieur des eaux, forêts et chasses est chargé de caractériser les compostières intra-étangs et d’analyser la production piscicole sur les hautes terres. Les objectifs de son étude sont d’identifier les personnes impliquées et le temps de travail nécessaire à la gestion des compostières, de préciser les types, les natures, les lieux de collectes et la quantité des intrants utilisés, d’estimer la productivité piscicole et la rentabilité des exploitations, et de recueillir les points de vue des producteurs sur la démarche de la RAP. Cet étudiant mène un travail de suivi sur dix exploitations du GIC des Hautes Terres, et participe à plusieurs activités, par exemple à la mise en charge des alevins, à la collecte des intrants, au chargement des compostières, à la vidange des étangs, à la pesée des récoltes, ainsi qu’à la vente des poissons. Au cours de ces activités, il recueille les perceptions que les producteurs ont de la RAP. Le résultat de ses enquêtes sur ces dernières est divisé en deux pôles, positif et négatif. D’un côté, la démarche de RAP et la proximité des chercheurs avec les pisciculteurs apporte à ces derniers le sentiment d’être écoutés et que sont pris en compte leurs intérêts, leurs pratiques, et leur environnement socio-économique et culturel. Ils apprécient les échanges de points de vue et de connaissances avec les chercheurs. La présence de ces derniers dynamise et valorise l’activité. L’autre côté concerne les réunions jugées trop nombreuses. L’étudiant constate également que les producteurs font une confusion entre les projets de développement subventionnés et la RAP, qui est non-subventionnée et regrettent le manque de disponibilité des chercheurs. L’étudiant clôt sa restitution par des recommandations à faire aux producteurs. L’un des résultats de son étude montre que les rendements sont amoindris par l’infiltration d’eau dans les étangs. Il préconise de réduire les infiltrations en colmatant le fond des étangs avec des fèces70 de porcs qui sont les intrants les plus utilisés pour charger la compostière. Par conséquent, il préconise de rapprocher les porcs des étangs pour réduire le temps de transport et de collecte des ces intrants. Il conseille également d’augmenter la taille des cheptels porcins afin d’assurer une meilleure fertilisation des étangs. Il éclaire également sur les façons de réduire les infiltrations d’eau. Pour finir, il préconise la mise en place d’un conseil de gestion auprès des exploitations pour optimiser l’utilisation des intrants pour les compostières, mais sans en dire davantage à ce sujet.
128Le même jour, un autre étudiant expose les résultats de son étude sur l’intégration de la production de porc à celle du poisson sur les hautes terres. Ces résultats proviennent d’une enquête par questionnaires menée de mars à août 2006 auprès de quarante-six producteurs des hautes terres. Il expose quelques résultats et prodigue quelques recommandations très précises. D’après ces résultats, moins d’un quart des éleveurs ont reçu une formation en production porcine. L’élevage s’effectue majoritairement dans l’objectif de vendre ou d’épargner en cas de coup dur. Les types de logements pour les porcs se font majoritairement sur pilotis, et la base d’alimentation des cheptels est composée en majorité de déchets de cuisines et d’herbes diverses. Il recommande un meilleur encadrement technique des producteurs et une limitation du coût de la provende71 en proposant des rations alimentaires bon marché. Pour les maladies, principale contrainte de l’élevage du porc, il conseille aux chercheurs l’organisation de campagnes de vaccination et aux producteurs la réduction de la taille du cheptel durant les périodes les plus propices au développement de la peste porcine. Pour récupérer les fèces des porcs, il propose de construire les porcheries sur pilotis au dessus des étangs afin qu’elles se déversent directement dans l’eau. Cette technique réduit le temps de travail des pisciculteurs.
Fig. 5 — Un producteur des hautes terres nourrit ses poissons avec du pain depuis sa porcherie sur pilotis, 2009.

129En février 2007 sont adoptés sur les hautes terres cinq protocoles supplémentaires entre étudiants et producteurs sur les thèmes de la réduction des infiltrations des étangs, de l’amélioration de la production d’alevins de tilapia, du diagnostic de la RAP sur les hautes terres, du suivi et de l’évaluation des pratiques piscicoles, et de l’évaluation du rendement agro-écologique de la pisciculture en étangs.
130En mars 2007, des travaux s’effectuent sur les hautes terres par des étudiants de la Faculté d’agronomie et des sciences agricoles (FASA) de l’université. Il s’agit de mettre en pratique ce qu’ont appris les étudiants sur la construction des étangs, et de permettre aux producteurs de bénéficier de nouveaux étangs à moindre coût.
131Ce mois-ci, a également lieu l’élection du nouveau bureau du GIC de la Plaine suite à la démission du premier délégué. C’est le secrétaire adjoint qui est élu comme nouveau délégué. À la lecture du procès verbal, l’élection s’est déroulée sans problème particulier.
132En avril 2007, une visioconférence est organisée dans les bureaux de la Banque Mondiale à Yaoundé. Elle consiste à exposer la démarche de RAP aux conférenciers. Un document de présentation est produit préalablement par Nadia. Durant la conférence, Claire doit poser des questions au délégué des producteurs des hautes terres pour orienter son intervention.
133En septembre 2007 est présenté aux producteurs des hautes terres un protocole socio-organisationnel mis en place par Claire, Pierre et Fabrice. Ce protocole fait suite au constat que le collectif a du mal à construire un sens et des engagements communs pour atteindre les objectifs du groupe. Ce protocole a pour but de construire un acteur collectif dans un contexte où la démarche de RAP entraîne des engagements professionnels originaux et nouveaux, accompagnés d’une prise de risque importante, puisque les résultats ne sont pas garantis. Pourtant, le collectif doit travailler de concert pour répondre à la thématique commune. Comment rendre viable la pisciculture dans cette région ? Mais le processus de la RAP se heurte à des difficultés car tous les acteurs n’ont pas les mêmes objectifs. Les raisons de l’engagement sont multiples suivant les ressources, les représentations, et les enjeux individuels et collectifs de chaque membre. Le manque de confiance paraît être le frein principal à l’action collective. La problématique à laquelle cette étudiante veut répondre est la suivante : « à quelles conditions les différentes stratégies individuelles peuvent-elles coexister dans un groupe et les contributions de [chacun] doivent être harmonisées dans la poursuite d’un objectif commun72 ? ». L’objectif est de renforcer l’action collective, y compris dans le collectif des chercheurs, en limitant les malentendus et les rapports de force, en définissant les rôles de chacun et les règles à suivre, et en construisant des dispositifs organisationnels et des outils d’échanges. Claire s’engage à pratiquer les méthodes d’observation participante et d’entretiens. Des objets intermédiaires sont mis à disposition des producteurs pour faciliter le passage entre la technique et le social. Pour le GIC des Hautes Terres, une senne73 est mise à disposition et pour le GIC de la Plaine, une motopompe. Pour les deux GIC, sont mis en place des Journées d’échanges thématiques qui permettent aux producteurs d’échanger sur le terrain et de visiter les étangs des autres afin de faciliter les échanges entres les différents membres. Le protocole spécifique au GIC des Hautes Terres indique dans ses principales clauses ce à quoi le CIP (l’équipe des chercheurs) s’engage, à savoir, à organiser une formation sur le fonctionnement des GIC et des animations thématiques entre les membres des GIC pour faciliter les échanges. Il est demandé aux membres du GIC des Hautes Terres de participer de manière active à toutes les activités à venir.
Fig. 6 — Utilisation d’une senne lors d’une pêche sur les hautes terres, 2010.

134En novembre 2007, une motopompe est mise à disposition du GIC de la Plaine dans le cadre du protocole de Claire.
135Ce même mois, le socio-économiste de l’O.N.G. (Tristan) dispense au GIC des Hautes Terres une formation pour renforcer les capacités techniques et organisationnelles du GIC. Une restitution de ce travail est effectuée durant l’atelier du REPARAC. Le GIC de la Plaine bénéficie également de cette formation.
136Fin novembre 2007, Denis (étudiant en foresterie) et Claire font une restitution aux pisciculteurs des hautes terres sur le thème des Journées d’échanges thématiques. Trois journées étaient, en effet, organisées chez trois pisciculteurs différents identifiés selon leur spécialité dans l’activité piscicole. Le concept de ces journées était de créer un dialogue entre les producteurs, sur un thème, au bord des étangs. Chez Théodore, les producteurs discutent de la question de la construction des étangs. En effet, ce producteur possède des étangs à flanc de montagne, dans un milieu qui n’est pas favorable à l’implantation de ces équipements. Un étudiant en génie civil, Charles, a travaillé avec ce producteur pour construire un étang exemplaire et démontrer qu’il est possible d’en creuser un, même dans des conditions difficiles. Ce travail semble être un succès. Théodore, lors de cette Journée d’échanges thématiques, explique aux autres producteurs quels sont les apprentissages qu’il a acquis lors de ce travail avec Charles. Quelques questions font l’objet d’éclaircissements. « Comment reconnaître un bon étang ? Comment identifier un site adéquat pour construire un étang ? Quel rôle le GIC peut-il tenir pour aider ses membres dans la construction de bons étangs74 ? »
137Une visite est ensuite organisée au bord des étangs de Nabila, sur le thème de la production et de la gestion des alevins. Toutes les questions abordées concernent la gestion des alevins, leur commercialisation, les lieux où les producteurs s’en procurent, ainsi que du rôle du GIC dans ces problématiques. Cependant, dans le compte rendu de la restitution, il n’est pas mentionné la visite de l’étang d’Oscar sur le thème des intrants et de l’alimentation. Un extrait de journal de terrain de Claire apparaît dans son rapport et montre des dialogues riches entre les producteurs autour des aspects techniques de la pisciculture. Claire facilite le dialogue, alors que Denis pose des questions techniques aux producteurs. Lors de sa restitution, Claire conclut, à propos de ces Journées d’échanges thématiques, que la pisciculture n’est pas encore perçue comme un phénomène global par les pisciculteurs et qu’il y a une attente passive du groupe vis-à-vis des chercheurs, liée à « un manque de volonté collective d’avancer ensemble ». Elle constate également que la formation dispensée par l’ONG sur la gestion des GIC a un impact sur le groupe, sans pour autant préciser la nature de cet impact.
138En janvier 2008, le collectif des chercheurs et des producteurs des hautes terres effectue un bilan de l’année qui s’achève, et élabore les questions à traiter pour l’année 2008.
139En mars 2008, deux ingénieurs en agroforesterie font la restitution de leurs travaux menés entre novembre 2007 et mars 2008, et intitulés « amélioration de la collecte, du stockage et de la commercialisation d’alevins africains issus du milieu naturel : cas de la plaine des Mbô (Cameroun75) ». Les méthodes de travail utilisées sont les questionnaires, les interviews76 et l’observation directe auprès de six producteurs de la plaine. Les principaux résultats concernent la localisation des lieux de collecte des alevins dans le milieu naturel, les modes de vidanges (67 % des producteurs utilisent la motopompe), le mode de conservation des juvéniles et les mortalités relatives aux différentes méthodes, ainsi que les contraintes relatives à cette activité. Ces dernières sont d’ordre technique (stockage encore mal adapté) et organisationnel (les pêcheurs collectent les alevins avant même d’avoir trouvé les clients). En revanche, l’ingénieur met le doigt sur le problème de partage des étangs et des ressources liées au domaine du public et du privé. Il mentionne que les sites publics de collecte engendrent « des comportements de compétition pour la ressource77 ». Ainsi, les revenus sont plus élevés chez les propriétaires de sites privés. Il indique également qu’il était convenu avec les chercheurs que leur rôle était uniquement de mettre en relation les membres du GIC avec la clientèle, mais que l’équipe des chercheurs ne s’immiscerait pas dans la négociation des prix. Il constate qu’apparemment, les producteurs restent encore passifs face à cet engagement. Côté technique, le résultat de son étude, qui servira pour la suite, est que le bac de stockage des alevins est le mode de conservation des alevins le plus adapté à la production en plaine.
140En mai 2008, Pierre récupère la motopompe du site de la plaine et provoque une incompréhension chez les producteurs. À l’origine de ce prêt, l’objectif était qu’au fur et à mesure, les producteurs achètent cette motopompe. Mais les producteurs n’ont pas atteint cet objectif, ce qui, selon Pierre, justifie le retrait.
141En juin 2008, se déroule l’assemblée générale annuelle du GIC des Hautes Terres. Cette dernière a lieu dans le cadre du suivi de la formation de l’ONG. À cette occasion, seulement quatre postes sont soumis au vote pour renouvellement, ceux du trésorier, du commissaire au compte, du censeur, et du responsable des travaux publics. Le vote se déroule à bulletin secret avec un total de treize électeurs.
142De juillet à décembre 2008, deux étudiants (un agroéconomiste et un anthropologue) ainsi qu’un ingénieur en foresterie, mettent en place un protocole pour la réalisation d’un manuel de pisciculture. Ce dernier devra indiquer tous les acquis techniques de la pisciculture sur les hautes terres, en vue de munir les producteurs d’un manuel leur permettant de s’y référer en l’absence d’appui et de conseils sur le terrain. Ce document pourra également être transmis à leurs enfants et aux jeunes qui souhaiteront poursuivre l’activité.
143En décembre 2008, le GIC de la Plaine se rassemble lors de l’Assemblée Générale annuelle dont le but est de mettre en conformité le GIC pour qu’il puisse bénéficier d’appuis financiers extérieurs. En effet, ces derniers ne sont pas donnés individuellement mais aux groupes conformes à la législation des GIC.
144Durant le mois de juillet, un étudiant en anthropologie travaille sur la question suivante, « les poissons issus des étangs piscicoles arrivent-ils à satisfaire les besoins et les attentes des consommateurs de l’Ouest Cameroun78 ? ». Sa méthodologie de recueil des données est qualitative et quantitative. Des entretiens individuels sont menés auprès de dix-huit producteurs et des focus groups discussion79 sont formés. Une dizaine de ménages de la plaine, consommateurs de poissons, sont enquêtés. Malheureusement, les focus groups discussion n’ont pas abouti à des éléments utilisables. Des observations participantes sont effectuées, de la production à la vente du poisson. Une restitution intermédiaire est faite auprès des producteurs pour valider et analyser les premières données recueillies. La phase suivante est de nature quantitative, et consiste à faire remplir des questionnaires à cent consommateurs de poissons en zone rurale et urbaine des hautes terres. Les données recueillies aboutissent à des résultats statistiques concernant les variables d’appréciation des consommateurs des poissons issus des étangs des hautes terres. Les résultats révèlent que la taille et le poids du poisson comptent dans le choix des consommateurs. En effet, les gros poissons sont davantage appréciés. Les petits poissons (par exemple, les tilapias) sont considérés comme des poissons qui ne sont pas arrivés à maturité. La morphologie du poisson est un critère de qualité, car l’aspect serpent du silure repousse certains consommateurs. L’étudiant constate une grande différence concernant la préparation du poisson entre la zone urbaine et rurale. Les populations urbaines originaires d’autres régions du Cameroun, et consommant des poissons d’eau douce, sont davantage à l’aise dans sa préparation. Les consommateurs préfèrent largement que le poisson soit vendu vivant, ce qui représente pour eux un critère de qualité. La proximité sociale entre le consommateur et le producteur est également un facteur favorisant son achat. Cependant, certains points apparaissent comme des contraintes à la commercialisation du poisson. Le poisson d’eau douce n’est pas présent continuellement sur le marché, et les consommateurs ne peuvent pas le consommer de façon régulière. Autre point négatif, la plupart des consommateurs ruraux ne savent pas préparer le poisson. Dernier point, les consommateurs ignorent la façon dont le poisson est produit, et le déplorent. Pour autant, le poisson des étangs des hautes terres trouve des acheteurs malgré son prix plus élevé que celui du poisson congelé, consommé habituellement. Ainsi, l’étudiant fait quelques recommandations au collectif pour améliorer sa commercialisation. Il propose de rendre visible de façon permanente le poisson d’eau douce sur le marché, de pratiquer des pêches intermédiaires pour écouler de façon progressive la production, d’augmenter le nombre d’étangs, de mettre à disposition des producteurs du matériel de pêche, de sensibiliser les producteurs sur la vente de leurs poissons, et d’apporter des explications aux consommateurs sur la production des poissons dans les étangs et sur la façon de les préparer.
Fig. 7 — Un enfant des hautes terres caresse un silure adulte, 2009.

145En conclusion, durant la phase d’expérimentation, les réunions sont des lieux d’échanges entre les producteurs et les chercheurs pour traiter l’organisation du projet et les techniques piscicoles. Au cours de cette phase, les problèmes des producteurs rencontrés durant leur activité piscicole, sont traduits en questions de recherche. Des hypothèses sont tirées de la question de recherche et sont traitées sous forme d’expérimentations, généralement menées par des étudiants. La somme des résultats obtenus au cours de ces expérimentations, concourt progressivement à obtenir une réponse scientifique et applicable pour résoudre les problèmes des producteurs. Les dispositifs mis en place au cours de cette phase sont nombreux, divers, et permettent l’avancée technique de l’activité piscicole et organisationnelle du projet. Certains dispositifs sont abandonnés en cours de route à l’initiative des producteurs et/ou des chercheurs. Les expérimentations demandent un investissement important des producteurs alors qu’ils ont, par ailleurs, un travail et des obligations qui les rendent difficilement disponibles. Les premières problématiques autour des questions sociologiques se posent en septembre 2007, presque deux ans après l’engagement des acteurs dans le projet, à travers la mise en place du protocole de Claire. Cette prise en compte tardive des aspects sociologiques de la réalité empirique du projet est une lacune dans son déroulement et dans la compréhension mutuelle des acteurs.
« Rencontre avec les chefs »
Samedi 12 avril 2009
À chaque arrivée dans les villages, les délégués monopolisent toute mon attention. Ils ne me laissent pas le temps de réfléchir. Le délégué de la plaine est particulièrement actif, et m’a organisé au moins sept rendez-vous dans la journée. C’est le soir, à 20 heures, alors que nous attendons un dernier pisciculteur, que j’ose lui dire que je ne suis pas une machine à faire des entretiens, et qu’il me faut également le temps d’assimiler chaque rencontre. Alors que le délégué et moi sommes en train de faire le point de la journée, un pisciculteur se présente et prend place à notre table. Il est l’ancien délégué du groupe des producteurs. Il entame la discussion en me disant qu’il ne compte pas me prendre dans le sens du poil, et qu’il en a marre que des chercheurs blancs viennent lui faire perdre son temps. Il revendique également le fait que les producteurs doivent être payés pour répondre à mes questions. Et comme si cette critique, déjà désagréable dès mon premier soir au village, n’était pas suffisante, il ajoute être agacé encore plus de voir des Blanches comme moi qui font des tresses pour copier les Africaines. Fatiguée, et vraiment pas ouverte à négocier quoi que ce soit, je réponds que ce n’est pas une façon de me parler, et que si je dérange, je n’ai qu’à partir. Olympe, qui assiste à la discussion semble gêné. Il me regarde avec bienveillance comme pour me dire d’accuser le coup, mais ne dit rien. Je réponds en essayent de donner l’impression de ne pas flancher et fais mine de partir. Je me demande alors ce qu’ont bien pu faire les chercheurs qui sont passés avant moi pour mettre autant les gens en colère. J’ai été impressionnée par cet homme qui s’adressait à moi sur un ton si agressif, mais je me suis justifiée, j’ai persévéré dans mes arguments avec honnêteté, et nous sommes finalement restés des heures à discuter ensemble.
2.3 Une phase de désengagement qui durcit les revendications des producteurs
146Février 2009 marque la fin officielle de la RAP. C’est au cours de la réunion de fin de convention qu’a lieu le bilan des trois années de travail. Elle réunit les trois chercheurs seniors (Pierre, William, et Nadia) et trois membres de chaque GIC. La réunion débute par une prière de William, se poursuit par la présentation de chaque participant et une synthèse des différents collectifs, et s’achève par les perspectives de consolidation des acquis. Le bilan émis par le GIC de la Plaine révèle qu’il y a bien eu livraison des alevins au GIC des Hautes Terres. Ses membres font face également à des vols dans leurs étangs. Un désenchantement de plus, l’un des étudiants chercheurs de la RAP ayant travaillé en plaine est entré en compétition lors d’un comice agro-pastoral avec les alevins du GIC de la Plaine, sans préciser la provenance de ces derniers. Le délégué du GIC parle de concurrence, car ce chercheur n’aurait pas du concourir pour obtenir un prix du meilleur alevin sans préciser qu’il n’était pas de son propre élevage. Le représentant du GIC de la Plaine exprime également son incompréhension au sujet du retrait de la motopompe alors qu’il dit avoir respecté la convention d’utilisation.
147C’est au tour du GIC des Hautes Terres de faire un bilan de ces trois ans d’activités. Le délégué du GIC dit qu’ils ont dû chercher leurs alevins ailleurs, car ils sont déçus de la négociation des alevins avec le GIC de la Plaine. Le problème du manque d’alevins est donc toujours présent selon lui. Le délégué précise l’acquisition réelle de nouvelles techniques piscicoles qui ont fait progresser l’activité, mais il exprime les difficultés rencontrées concernant les aspects organisationnels. Il demande des financements pour faire progresser l’activité. Pierre s’exprime, et dit qu’il regrette de s’être concentré dès le départ sur les aspects techniques de l’activité, en laissant les aspects organisationnels et sociologiques de côté. Il remarque également une avancée positive pour la pisciculture sur les hautes terres, valorisée selon lui par un manuel de pisciculture qui est en cours de rédaction, et qui sera distribué aux producteurs. Les chercheurs ont mis les GIC en contact avec d’autres projets. Il annonce qu’un concours de pisciculture va être organisé prochainement. Il constate également qu’aucune sollicitation n’est venue du GIC de la Plaine, alors que le GIC des Hautes Terres l’a largement fait. Il traduit cela par un manque d’engagement de la part du GIC de la Plaine. Il regrette de ne pas avoir passé assez de temps en plaine mais relève quand même un point positif, puisqu’un article sur la pisciculture en plaine a été rédigé et diffusé mondialement. Il constate également qu’il y a des difficultés en ce qui concerne la négociation des prix des alevins entre les deux GIC, et que le GIC de la Plaine n’est pas parvenu à adopter le nouveau mode de stockage des alevins, expérimenté collectivement. Concernant la motopompe, il exprime son incompréhension, car le GIC de la Plaine ne l’a pas réclamé aux chercheurs pour la récolte de la troisième année. Les deux autres chercheurs mettent l’accent sur le fait que c’est maintenant aux deux GIC de s’ouvrir aux acteurs extérieurs qui leur sont présentés depuis ces trois dernières années comme l’IRAD, l’université, ainsi que les autres projets.
148Alors que la réunion de fin de convention annonce la fin officielle du partenariat entre les chercheurs et les producteurs, les activités continuent avec la préparation du concours de pisciculture et de l’atelier final du REPARAC qui se tiendra au mois de juin 2009.
149Le premier terrain au Cameroun s’est fait à ce moment-là, de mars à juin 2009, afin d’assister à la mise en place du concours de pisciculture et de participer à la préparation avec les producteurs de la plaine et des hautes terres de l’intervention pour l’atelier REPARAC.
150Le règlement du concours de pisciculture indique que le but recherché est d’évaluer la capacité des producteurs à réfléchir de façon autonome sur les principes de base de la pisciculture tout en s’appuyant sur les consignes compilées dans le manuel. Les conditions de participation au concours reposent sur des critères techniques tels que « posséder un étang d’au moins deux-cent mètres carrés de surface localisé en dehors de raphias et à un endroit propre et ensoleillé80 ». D’après ce document, des contrôles techniques sur la qualité de l’élevage seront effectués tous les deux mois par un membre de l’équipe de recherche. Les vidanges sont prévues en novembre 2009 par les pisciculteurs sans la présence obligatoire des chercheurs. À l’issue du concours, des prix seront décernés aux pisciculteurs suivant des critères de qualité différents, par exemple, celui qui va obtenir le poids moyen le plus élevé va être récompensé par cinquante kilogrammes d’aliments complets pour le porc.
151Un an plus tard, en 2010, lors du deuxième séjour au Cameroun, le lien est encore présent, à distance et par des intermédiaires sur place, entre Pierre et les producteurs, et se manifeste autour de la négociation de l’utilisation des dons à titre personnel qu’il a décidé de faire aux deux GIC. En 2012, les dons étaient remis aux GIC et les négociations étaient interrompues. Vraisemblablement, seul Ulrich, devenu docteur depuis décembre 2011, et enseignant à l’université, continue de rendre visite régulièrement aux producteurs du projet.
152Aux dernières nouvelles prises en 2017 auprès d’une chercheure post-doctorante du CIRAD qui a effectué une « évaluation de la capacité à innover dans les organisations paysannes au Cameroun » auprès de cinq organisations paysannes, dont le groupe des hautes terres, celui-ci aurait diminué. Certains producteurs ont abandonné leurs étangs, et les activités de groupe sont peu nombreuses. Néanmoins, des producteurs très motivés poursuivent leur activité piscicole.
153Les dernières nouvelles du délégué du groupe de la plaine sont bonnes. Il est devenu animateur conseiller piscicole en 2013 et a travaillé pour l’APDRA Pisciculture Paysanne dans le cadre d’un projet qui se déroule dans la région Est du Cameroun jusqu’en 2019. Originaire de la région Ouest, il a dû déménager sa famille à Yaoundé pour qu’elle se rapproche de son lieu de travail, mais ne souhaite pas qu’elle s’installe dans la région Est réputée dangereuse. Son rôle au sein de ce projet est d’installer, d’animer et de suivre un groupe de vingt pisciculteurs. D’après le délégué, aucun autre chercheur n’est venu visiter les pisciculteurs de la plaine. Les étudiants de l’université continuent de descendre au village pour mener leurs travaux d’études et de recherche. Toujours selon lui, quelques pisciculteurs, de plus en plus rares, viennent toujours acheter des alevins, mais individuellement. Le groupe des hautes terres ne vient plus du tout acheter leurs alevins au GIC de la Plaine.
154Ce récit du déroulement du projet, quasiment mois après mois, est une première lecture des façons de faire des différents acteurs. Les aspects techniques sont abordés et leur déroulement chronologique permet aux non-pisciculteurs de comprendre les bases techniques de la pisciculture. Il est intéressant de comprendre, dans cette partie, de quelle façon est traité le problème des producteurs et de saisir le passage de ce problème en question de recherche. D’ores et déjà, l’identification de quelques moments forts est possible, en particulier les dispositifs mis en place par l’équipe de recherche dans le but de traiter les problèmes techniques et organisationnels. Une description plus fine de ces dispositifs va être traitée dans les parties suivantes, dans le but d’en comprendre le processus et le déroulement.
3 Les dispositifs et événements évoqués par les acteurs
155Ce chapitre passe en revue les moments marquants du projet les plus abordés par les acteurs durant le recueil de données, dans le but de mieux comprendre la façon dont ils ont vécu les actions passées et leurs conséquences. Ces moments-clés, identifiés en deux catégories (dispositifs et événements), sont supposés être les outils et actions et/ou réactions des acteurs dans un contexte de changement qui permettrait d’aller vers une plus grande autonomie des acteurs locaux. En effet, favoriser et accompagner le changement est l’un des objectifs de la RAP. Dans un premier temps, nous distinguons deux types de dispositifs : les dispositifs classiques et les dispositifs émergeants.
3.1 Les dispositifs classiques de la RAP qui visent à s’adapter à toute situation
156Ces dispositifs sont pensés par les concepteurs de la RAP et conçus à partir d’expériences passées dans d’autres pays et d’autres situations. Ils constituent, de ce fait, des dispositifs a priori efficaces dans toutes situations, quelle que soit la situation locale et l’objet technique de la recherche. D’une part, ils permettraient de gérer les tensions entre la production des connaissances scientifiques et la résolution des problèmes, et d’autre part, entre les intérêts individuels et le projet collectif.
3.1.1 Une convention générale qui scelle l’engagement entre les acteurs
157La convention générale de la RAP est signée en novembre 2005 par tous les acteurs en phase d’engagement. Elle se décline en protocoles expérimentaux pour traiter de chacune des questions identifiées, discutées et validées entre les producteurs et les chercheurs du projet. La convention générale permet de fixer les règles de la RAP et de tenter de formaliser les interactions entre les acteurs. L’élaboration de la convention peut prendre du temps à la négociation, le temps qu’il faut pour qu’il y ait une entente entre tous les acteurs concernés. Cependant, cette convention écrite n’empêche pas certains acteurs de la remettre régulièrement en question, comme certains producteurs ou délégués qui réclament régulièrement des subventions. Au cours du projet, lors des négociations, les uns et les autres reviennent sur certains actes pour se justifier.
158La majorité des étudiants ne connaissent pas forcément l’existence de la convention sur laquelle repose le projet. Seuls les étudiants de longue durée, imprégnés de la démarche de RAP, connaissent sa fonction. Cependant, pour ceux-là, la convention reste un cadre administratif utilisé uniquement par les chercheurs et dont les producteurs ne reconnaissent pas forcément la valeur, celle-ci étant celle de l’engagement qu’induit la signature d’un tel document.
Sur le terrain, le producteur ne se sent aucunement obligé de faire ce qu’il s’était engagé de faire. Il fait ce qu’il a envie de faire et comme il l’entend81. (M. Denis)
159Selon ces mêmes étudiants, l’utilité de la convention n’est visible qu’en réunion, lorsque les chercheurs rappellent aux producteurs que le projet n’est pas subventionné.
C’est surtout [William] qui sait bien utiliser la convention. Quand [Umar] dit : « on attend toujours les subventions ! », [William] ressort la convention et dit : « montre-moi dedans, quelle ligne ici parle de subvention82 ? » (Mme Brigitte)
160Pour Fabrice, concepteur de la RAP, l’existence de cette convention est indispensable puisqu’elle permet de garder une trace écrite des engagements pris entre les acteurs. L’élaboration de cette convention est le fruit d’un long travail avec les producteurs, au cours duquel les acteurs se mettent d’accord sur un langage commun dans le but d’atteindre un même objectif. Pour autant, il assume le fait que ce dispositif ne peut pas éviter entièrement les désaccords entre les acteurs.
161Effectivement, pour William et Pierre, la convention est régulièrement remise en cause par les producteurs à propos des termes concernant la non-subvention.
162Pour les producteurs, la convention est soit inexistante, soit vécue comme un piège tendu par les chercheurs. Les avis sont divers et tournent toujours autour du fait que le projet ne donne pas de subvention. Certains disent ne pas avoir été prévenus de cette condition, d’autres se sont sentis obligés de signer le contrat, « on ne peut pas refuser83 », d’autres encore sont au courant de la non-subvention, mais pensent qu’elle viendra plus tard, ou bien qu’elle sera modifiée au cours du projet.
[Umar] était tranquille, il disait que c’était des hommes qui avaient écrit la convention et qu’elle pouvait évoluer. Il espérait toujours quelque chose qui pouvait rentrer, notamment des subventions84. (Mme Brigitte)
163Seul Olympe, le délégué de la plaine, a retenu de la convention le schéma partenarial, celui qui met son groupe directement en relation avec le collectif des chercheurs et celui des hautes terres. Il s’est attaché au mot « partenariat », qu’il définit ainsi : « chaque groupe s’engage à mener des actions de façon proportionnelle85 ». Son avis à l’issue du projet est que le partenariat annoncé dans la convention générale n’est pas égalitaire. Malgré son engagement important dans le projet, il se sent abandonné par son groupe et impuissant dans les négociations avec les chercheurs.
164Finalement, la convention générale est largement visible par la majorité des acteurs à travers l’article sur la non-subvention. Malgré la signature mutuelle de la convention, celle-ci est constamment remise en cause par la majorité des producteurs. Cette mésentente concernant la subvention révèle que l’une des fonctions premières de cette convention n’est pas remplie. En effet, d’après les chercheurs, la signature de cette convention a, entre autres objectifs, pour but de sceller une entente commune, et d’éviter des négociations permanentes. Les constantes revendications de la part des producteurs démontrent le contraire. Cette mésentente révèle un malaise plus profond, c'est-à-dire un décalage entre l’expérimentation de la recherche et la vie réelle des producteurs. Le projet semble débuter sur un désaccord qui reste vif, à tel point que la convention est utilisée, par l’un des trois chercheurs uniquement pour se défendre des demandes régulières des producteurs.
165Les multiples tensions et types d’échanges — que ce soit entre « ethnies » différentes, entre Noirs et Blancs, entre délégués des producteurs et producteurs, entre délégués et étudiants, entre délégués et chercheurs — ressemblent à ce que l’anthropologie « traditionnelle » nomme « les relations à plaisanterie ». En effet, cette supposition vient du fait que les rapports sont ouvertement conflictuels, se répètent souvent sur le même sujet, et sont parfois violents. Ils donnent l’impression que c’est un jeu qui permet d’entretenir et de maintenir une relation, malgré les critiques régulières entre acteurs. Malgré tout cela, le lien ne semble pas se rompre totalement, mais au contraire, semble se consolider lorsqu’un acteur identifie que l’autre acteur est toujours présent malgré les pièges tendus. Toutes ces situations d’interactions semblent avoir pour but de consolider les relations entre acteurs, et peuvent se décliner de diverses façon et dans différentes situations (Canut et Smith, 2006).
3.1.2 Les réunions régulières comme scène publique des interactions entre les acteurs
166Deux réunions par mois sont prévues entre les chercheurs et les producteurs. Ces réunions permettent de garder un contact régulier entre tous les acteurs, chose que Pierre considère comme essentielle pour établir des liens de confiance entre les chercheurs et les producteurs. En effet, tous les producteurs s’accordent à dire que ces réunions les motivent et les encouragent à continuer l’activité. Elles sont également le lieu de tous les sujets de discussion, qu’ils soient organisationnels ou techniques. Les producteurs exposent leurs problèmes qui sont traduits en questions de recherche par l’équipe des chercheurs. C’est ici que l’on aborde les thèmes des expérimentations à suivre et que l’on présente les nouveaux étudiants arrivés dans le projet, leur travail à venir, et les engagements mutuels à prendre.
167Ces réunions se déroulent comme convenu avec le GIC des hautes terres durant la première année du projet. Ensuite, le dispositif est allégé d’un commun accord entre les chercheurs et les producteurs à cause du manque de disponibilité des producteurs. En effet, ils ont du mal à consacrer du temps aux réunions, puisque pour eux, ce temps n’est pas rentable et devrait être mis à profit dans leurs activités quotidiennes.
Si l’on ne vient pas en réunion, c’est parce que c’est une journée où l’on ne travaille pas et où l’on ne gagne pas d’argent. Puis lorsque les autres apprennent qu’on a été avec le Blanc toute la journée et que l’on n’a pas rapporté de l’argent, c’est mal vu86. (M. Gabriel)
168De plus, les réunions sont jugées trop longues et trop monotones par la plupart des étudiants et des producteurs. Leur caractère trop théorique et les débats leur donnent souvent l’impression qu’elles sont inutiles.
169La réunion du quinze de chaque mois devient une réunion uniquement destinée aux membres du bureau du GIC, la réunion du trente restant fixée comme antérieurement. Les réunions du GIC des Hautes Terres se déroulent souvent avec de nombreux éclats de voix et controverses qui laissent penser aux spectateurs, dans un premier temps, que tout se dit sans retenue, et que chacun peut prendre la parole librement. C’est en tout cas ce que préconise la RAP en créant ces espaces de discussions. Pourtant, ces réunions sont également une scène qui donne à voir un groupe qui s’accorde et communique, conformément aux objectifs de la RAP. Umar peut s’opposer souvent à Pierre et dire qu’il va rompre le contrat avec les chercheurs et le GIC. Mais dès le lendemain, Umar peut revenir sur sa décision, comme ce jour où il revient sur sa décision par une lettre destinée au chercheur et signée par les membres du GIC.
Le jour où [Umar] a chassé [Pierre], j’étais là assis, j’ai dit : « mais quand on parle encore des gens rebelles de ce siècle, [Umar] en fait partie ! » Tu connais l’histoire du colonialisme, ce n’est pas toujours facile de voir un Noir qui dit « non » à un Blanc, et que vous voyez [Umar] qui se lève et qui dit : « partez ! » à une réunion importante, où il a ses sujets87 ! » (M. Sigmund)
170Umar ne doit pas perdre la face devant ses sujets88 et assoit son autorité au sein de ces réunions. Sigmund utilise le terme de « sujet », un vocabulaire fort qui renvoie à la position dominante effective d’Umar, reconnue par les autres acteurs. En même temps, Pierre sait qu’Umar tient au projet. Et Umar sait que Pierre a tout intérêt à mener le projet au terme des trois années. Ces difficultés de prises de parole en réunion ne sont pas seulement dues aux vestiges du colonialisme comme le dit l’étudiant Sigmund, mais aussi aux statuts que l’on confère aux différentes catégories sociales au Cameroun. Les producteurs semblent prendre difficilement la parole pour contredire Umar. Avant de commencer la réunion, Umar peut rencontrer ses membres individuellement pour se mettre d’accord sur les sujets à débattre et sur les décisions à prendre. Une réunion entre producteurs peut se dérouler avant et après la réunion entre tous les acteurs. Par ailleurs, les membres du GIC se rendent souvent en réunion de façon passive. C’est ainsi que l’interprète Claire, mais n’est-ce pas parce que les producteurs délèguent volontairement la parole à Umar à la suite de ces réunions informelles de préparation du GIC ?
Les pisciculteurs, ce n’est même pas qu’ils n’ont pas leur mot à dire, mais globalement ils écoutent le Blanc parler89.(Mme Claire)
171Les étudiants, quant à eux prennent difficilement la parole devant les professeurs, par timidité et par respect pour la hiérarchie. L’étudiante Claire l’a également noté à travers les remarques qui lui ont été faites concernant sa facilité de prise de parole.
Les Camerounais ils le prenaient mal parce qu’ils me disaient : « non tu ne peux pas faire ça, tu n’es pas en France, au Cameroun on respecte les chefs90 ! » (Mme Claire)
172Finalement, nombreux sont les chercheurs et étudiants à avoir des discussions informelles avec les producteurs de façon individuelle, en coulisse, après la réunion. Il peut arriver que les accords établis lors des réunions soient contredits, parfois même dans l’heure qui suit, de façon informelle. La notion de scène est alors pertinente, car un dialogue se fait entre les acteurs, des décisions sont prises, des accords sont signés et, une fois sortis de cette scène qu’est la réunion, les acteurs peuvent encore se prononcer et exprimer un désaccord.
Pour faire le diagnostic j’ai fait des réunions avec eux, mais il y a des choses qu’on ne dit pas en plénière mais qu’on dit dans les coulisses et qui permettent de comprendre les problèmes du groupe91. (M. Tristan)
173Dans le GIC de la Plaine, les réunions sont moins régulières à cause de l’absence de nombreux producteurs lors de ces dispositifs de discussion. Au départ, les producteurs sont très nombreux, mais pour de mauvaises raisons, d’après Pierre et Olympe.
Quand [Pierre] faisait un repas, tout le monde venait parce qu’on voit la peau blanche et à un moment donné on dit : « non ça crée beaucoup trop de dépenses ». Il a arrêté et les gens ont commencé à arrêter92. (M. Olympe)
174Pierre réussit à rassembler un petit groupe de producteurs intéressés par la thématique de recherche portant sur la gestion des alevins de la plaine. Mais les chercheurs se découragent peu à peu de ce manque d’affluence. Par conséquent, les réunions se déroulent prioritairement dans l’esprit de faire passer une information précise, plutôt que dans celui de garder un contact régulier avec les producteurs.
175Malgré le caractère individualiste prêté à la population de la plaine, beaucoup de producteurs interrogés disent comprendre l’intérêt de travailler en groupe, en particulier les pêcheurs dits « traditionnels », habitués au règne d’un certain tabou autour des pratiques de pêche de leurs parents. Ils souhaitent connaître les pratiques des autres familles, et enseigner les leurs, basées sur une expérimentation personnelle et motivée par la recherche de méthodes de pêche toujours plus efficaces et rentables. Les producteurs ont également intégré le fait qu’ils ne pourront bénéficier de projets ou de financements qu’en se rassemblant.
176L’espace des réunions créé par les chercheurs dans le but d’établir une confiance mutuelle et de prendre des décisions communes ne fonctionne que partiellement. Les décisions se prennent plus facilement en dehors de ce cadre qui reste très contraignant pour une majorité des acteurs qui ne s’y sentent pas forcément à l’aise. C’est le cas d’une grande partie des étudiants et des producteurs qui se sentent limités par la hiérarchie et leur statut social.
3.1.3 Les protocoles expérimentaux comme cadre de recherche pour les étudiants et d’action pour les producteurs
177Le protocole expérimental est élaboré par l’étudiant, révisé par les chercheurs, puis présenté aux producteurs. Au cours de cette présentation, qui se déroule lors des réunions régulières, les chercheurs, les producteurs et les étudiants se mettent d’accord sur les questions de recherche que devra traiter le protocole. Le protocole est également travaillé durant les Journées d’animation mensuelles (JAM), réunions destinées uniquement aux chercheurs. Il est, par la suite, travaillé et ajusté suivant les exigences des producteurs d’un côté, et de l’université de l’autre. Ils permettent de travailler sur un aspect particulier du projet de RAP qui pose problème aux producteurs. Ce protocole doit résoudre les problèmes techniques et organisationnels, et produire des connaissances scientifiques. Ces dernières seront, par la suite, compilées dans un mémoire, puis un article scientifique.
178Les protocoles sont donc conçus et mis en place par les étudiants. Le thème, la méthodologie et l’objectif à atteindre sont pensés par les chercheurs avant l’arrivée de l’étudiant qui doit s’intégrer en accord avec ces premières données et imaginer sa propre façon de faire93.
J’avoue que j’ai beaucoup appris avec [Pierre], parce que contrairement à d’autres projets où tu arrives, on te donne des aides, tout est cadré — un sujet, une façon de faire — et là c’était à nous d’imaginer notre façon de faire94. (M. Denis)
179La majorité des étudiants aiment cet exercice libre95 qu’ils trouvent très formateur, tant sur les idées à apporter pour concevoir le protocole, que sur la rédaction de celui-ci, ou la négociation avec les autres acteurs concernant leur propre façon de faire. Pour l’un des étudiants, le protocole expérimental est même un objet intermédiaire de communication entre les chercheurs, les producteurs et lui-même.
[...] Le protocole de recherche, je considère ça comme un langage. Parce que nulle part ailleurs on a dit que le protocole de recherche est un langage, mais je classe ça dans les outils de communication entre le chercheur, le paysan, et le partenaire. [Il permet] de s’assurer à chaque fois que le langage est le même96. (M. Sigmund)
180À relever que Claire, en tant qu’étudiante en sociologie, a du mal à concevoir l’utilité de son protocole de travail. En effet, l’utilité d’un travail de sociologie n’est pas nécessairement visible directement sur le terrain et pour les producteurs. Son utilité est souvent questionnée, pas uniquement sur ce projet de RAP, au Cameroun, mais aussi par ce que Bernard Lahire appelle « les débutants » et même ses propres étudiants. « Quel enseignant de sociologie n’a pas déjà entendu dans la bouche de ses étudiants l’interrogation : “ Mais à quoi sert donc la sociologie ?” » (Lahire, 2004 : 6). Et en effet, les travaux du sociologue ne peuvent pas directement traiter de la résolution des problèmes des producteurs. Malgré son effort pour transformer son protocole sur le modèle d’un protocole technique, cet exercice a partiellement échoué, le but étant pour elle et les chercheurs de l’introduire dans le groupe des producteurs et de formaliser sa présence.
181Pour les producteurs, le protocole en lui-même n’est pas un objet existant. Ils prennent part à la discussion lors des réunions, sans vraiment prendre conscience de l’utilisation de ces négociations dans l’élaboration du protocole. Une confusion est souvent faite entre les différents dispositifs de la recherche.
Il y a eu d’autres [étudiants] qui ont commencé des protocoles et ils se sont arrêtés au milieu ! On ne sait pas pourquoi ! C’est les chercheurs qui les amenaient, on ne sait pas les arrangements entre eux. Nous, on était naïfs au départ. On ne sait pas comment ces choses-là fonctionnent97. (M. Théodore)
182Du côté des chercheurs, ils ne relèvent rien de particulier quant à la conception des protocoles avec les étudiants.
183Les étudiants effectuent donc ce travail de recherche de façon semi-autonome et directement sur le terrain avec les producteurs. Pour la plupart d’entre eux, ce travail est formateur et leur permet de progresser scientifiquement.
3.1.4 L’exercice des restitutions pour former les étudiants à la vulgarisation scientifique
184Une restitution intermédiaire et finale, au milieu et à la fin de chaque protocole expérimental, doit avoir lieu. Les restitutions intermédiaires ont pour but de présenter aux producteurs l’avancée technique et de recadrer le travail de l’étudiant suivant leurs recommandations, de valider ou d’invalider certaines données récoltées. La restitution finale permet de valider les résultats et de les modifier, si besoin, suivant les recommandations des producteurs. Les restitutions finales ont toujours eu lieu, sauf une fois où Umar a refusé à cause d’une mésentente avec l’étudiante qui devait restituer. Pour ce qui est des restitutions intermédiaires, il semble que celles-ci aient toujours eu lieu.
185Les restitutions sont surtout l’affaire des étudiants. Pour une grande majorité d’entre eux, la restitution est vécue comme un contrôle de la qualité de leurs données, par les chercheurs et les producteurs. Ceci leur permet de valider leurs résultats et de les modifier si besoin.
Je crois que les pisciculteurs se retrouvaient généralement dans ce que disaient les étudiants, et quand il y avait des petits écarts, les pisciculteurs étaient là pour dire : « non, ce n’était pas exactement ça, il faut plutôt dire ceci ! » C’est leur contribution98. (Mme Brigitte)
Je lui [au producteur] disais : « j’étais dans ton étang, voici ce que l’on a fait », et le pisciculteur confirme, améliore, ou bien modifie. Après tu es sûr des informations que tu as reçues, et tu synthétises pour faire une restitution finale99. (M. Emmanuel)
186Les producteurs semblent plus à l’aise pour discuter, ou remettre en question ce que l’étudiant va livrer lors de sa restitution. Ceci peut s’expliquer par le fait que le producteur se sent aussi légitime que l’étudiant de par son statut moins élevé que celui de chercheur, et par le fait qu’il présente des résultats concrets élaborés ensemble.
187Pour une minorité d’étudiants, la restitution est le moyen privilégié de donner les résultats de leurs recherches aux producteurs, dans le but de leur faire des recommandations pour faire progresser leur activité. Les autres vivent les restitutions comme un passage obligé, contraignant et stressant. La plupart d’entre eux ont des difficultés pour traduire leurs termes de recherche en mots simples et intéressants pour les producteurs. Ils remarquent que les producteurs trouvent un intérêt aux restitutions, surtout lorsque l’on parle de leur cas individuel et si possible en image, à l’aide de photographies par exemple.
Au départ ce n’était pas facile, il fallait préparer les power point et les amener à un niveau accessible pour les paysans, ne pas utiliser les gros mots [des mots scientifiques], les grosses expressions pour pouvoir se faire comprendre par les paysans100. (M. Denis)
188D’après les étudiants, les producteurs sont également davantage intéressés par les restitutions de résultats techniques et concrets, plutôt que par les aspects sociaux ou organisationnels de leur activité.
Ce qui leur est commun, c’est le poisson. Si tu ne sais pas entrer dans le langage du commun, tu risques de ne pas te faire comprendre, et c’est un moment qui fatigue, si tu n’es pas doué pour éveiller quelqu’un par rapport à un problème dont il n’est pas concerné101. (M. Sigmund)
189Du point de vue des étudiants, les restitutions permettent également de déclencher un dialogue avec les producteurs, et de les informer des pratiques piscicoles des uns et des autres. Tous les étudiants sortent grandis de cet exercice qui leur permet, au fur et à mesure de leurs recherches, de poser des mots sur leurs actions, de surmonter leur timidité en s’exprimant à l’oral, et d’apprendre à s’adresser en des termes simples à des acteurs qui n’appartiennent pas à leur milieu.
À force de vous lever un peu en public, et de faire des comptes rendus, ça pousse à devenir plus responsable102. (M. Sigmund)
190La majorité des producteurs associent les restitutions au travail des étudiants, et donc, comme quelque chose qui ne les concerne pas directement. Certains sont sensibles aux apprentissages techniques que les étudiants leurs apportent, à condition que leur cas personnel soit abordé. Cependant, tous relèvent que ces restitutions les encouragent à continuer l’activité.
191Du côté des chercheurs, les restitutions sont une façon d’impliquer tous les acteurs dans les actions menées sur les étangs, dans un esprit d’ouverture et de partage des résultats. Lors de ces réunions, les questions de recherche sont alors identifiées selon les demandes des producteurs comme suit.
[Les producteurs] : « comment on doit faire pour avoir de bons alevins ? » et donc on [les chercheurs] a pensé qu’il faut qu’il y ait des gens qui se spécialisent dans la production d’alevins. C’est là que [Nabila] s’est positionnée pour produire les alevins, et ça a été l’objet du travail de [Denise]. [Nabila] a commencé à vendre les alevins, et tout de suite, on a vu qu’elle gagnait beaucoup d’argent, et d’autres ont dit : « j’irai aussi produire les alevins comme elle ». Il y avait vraiment une progression, et chaque fois il y avait les restitutions. On parlait, on discutait bien103 ! (M. William)
192Elles permettent également de valider les résultats et, par moment, d’inviter les autorités pour faire connaître le projet et les producteurs.
3.1.5 Le nécessaire réajustement des comités de pilotage
193Quatre comités de pilotage par an sont prévus. L’objectif est de rassembler les chercheurs et les représentants des producteurs pour faire un bilan de l’avancée du travail, réorienter les pistes d’investigation techniques, et discuter de l’organisation du projet.
194Effectivement, trois comités de pilotage se sont déroulés en janvier, mars et juillet 2006. D’après Pierre, ce dispositif a cessé après juillet 2006, parce que ces réunions étaient centrées uniquement sur les discussions de négociation des alevins entre les délégués des deux GIC. Il ajoute qu’aucun des membres du GIC des Hautes Terres n’a réclamé leur maintien et que les réunions régulières entre les chercheurs et les producteurs étaient suffisantes pour traiter les questions nécessaires à l’évolution du projet.
195Dans Le GIC des Hautes Terres, les personnes présentes sont Umar, Gabriel (devenu trésorier du GIC en juin 2008), Nabila, Gaia et Oscar (dont le rôle de trésorier n’a jamais été clairement défini).
196Dans le GIC de la Plaine, les producteurs présents sont Olympe, Quentin et Flora (trésorière du GIC).
197Les trois chercheurs senior sont présents et convient parfois des invités qui ne prennent pas forcément part aux discussions. Fabrice a participé au troisième comité de pilotage. Il est intervenu à la fin de la réunion pour rappeler le rôle des comités de pilotage. Il a également effectué un petit bilan analytique des échanges lors de cette réunion, ce qui a contribué à la décision de Pierre de ne pas convoquer le prochain comité de pilotage si personne ne réclamait sa tenue.
198Les trois thèmes de discussion les plus importants lors de ces réunions sont les négociations d’échanges d’alevins entre les GIC de la Plaine et des Hautes Terres, l’organisation des GIC et la « non-subvention ». D’après Pierre, les comités de pilotage ont été interrompus après la première année du projet car la fonction de ces comités n’a pas été respectée par les membres. D’après les comptes rendus de ces réunions, les discussions tournent effectivement essentiellement autour de la négociation du prix des alevins que le GIC de la Plaine devait vendre à celui des hautes terres. En décembre 2005, une réunion entre les deux groupes est organisée pour fixer un prix d’échange entre les deux GIC. Un accord est signé ce jour-là. Le délégué du GIC de la Plaine a pourtant revu cet engagement, disant qu’il avait eu une longue discussion avec ses membres et qu’ils avaient revu le prix à la hausse. À partir de là, l’engagement d’Olympe n’étant pas tenu, Umar n’a plus confiance dans leurs échanges, et ceux-ci ne fonctionnent, par la suite, que par l’intermédiaire des chercheurs. Les échanges sont d’autant plus compliqués que les dates de mise en charge des étangs des hautes terres ne sont pas les mêmes que celles des récoltes des alevins de la plaine.
199Le deuxième sujet le plus abordé est l’organisation des GIC. Umar clame son incapacité à réunir de nouveaux membres dans son groupe car, dit-il, le fait qu’il n’y ait pas de subvention fait fuir les gens. Les chercheurs justifient encore une fois ce choix d’absence de subvention par le fait que la distribution d’argent n’est pas durable et que c’est meilleur de faire en sorte de rendre l’activité piscicole durable, et donc rentable. Du côté du GIC de la Plaine, l’ancien délégué reconnaît le manque de mobilisation des membres du groupe car ils sont nombreux à s’inscrire sans vraiment être fidèles104 au groupe. Les chercheurs reconnaissent en effet une démotivation de travailler avec ce groupe qui n’est pas assez demandeur. Ceci dit, ils gardent espoir dans l’avancée des travaux sur la gestion des alevins, et pensent, par ce biais, créer et développer un nouveau métier, celui de producteur d’alevins.
200Pour le groupe des chercheurs, les réunions de comité de pilotage ont une fonction scientifique et méthodologique claire et définie. Mais chacun a sa propre définition. Pour Nadia, les comités de pilotage sont un lieu où les femmes des deux groupes peuvent s’exprimer car le collectif des chercheurs exige que les producteurs intègrent des femmes. D’après cette chercheure, l’idée est bonne et fructueuse, puisque les femmes sont entreprenantes et actives. Les autres fonctions qu’elle attitre aux comités sont de valider, orienter et programmer les activités des chercheurs avec les deux groupes. Le comité est également un lieu propice pour faire connaître les activités de la RAP à des invités locaux, comme par exemple, le doyen de l’université, dans le but d’obtenir d’éventuels appuis. Pour William, la fonction principale du comité de pilotage est de décider de la reconduction du projet en jaugeant et en entretenant la motivation des groupes de producteurs.
Dans le comité de pilotage, on rend les gens à l’aise, on leur donne un peu d’argent, c’est comme une perfusion que l’on donne à un malade. Si tu as la capacité de faire cette perfusion jusqu’à ce que le malade soit entièrement guéri c’est bien105 ! (M. William)
201Pour Pierre, le comité de pilotage est un lieu pour planifier et organiser les expérimentations à venir au sein des deux groupes. Lorsque sa fonction est détournée par les producteurs invités, il prend la décision unilatérale106 de ne pas convoquer une nouvelle réunion en attendant qu’elle soit réclamée par les producteurs. En l’absence de réclamation, il supprime le dispositif.
202Pour les producteurs, l’utilité et la fonction de ce dispositif ne sont pas les mêmes que pour la recherche. Souvent, ils ne font pas la différence entre les types de réunions et leurs fonctions. Seuls les producteurs ayant assisté aux comités de pilotage connaissent vraiment leur existence. Pour le groupe des hautes terres, ceux qui ne partent pas en ville pour le comité se sentent lésés parce qu’ils ne bénéficient pas des per diem et de la nourriture prévus pour cet occasion. D’autant plus que ceux qui partent avec le délégué partagent encore les frais avec ce dernier, considérant qu’ils ont été choisis par son biais.
Au sein du GIC, quand le délégué avait choisi trois personnes et en avait laissé dix, les dix autres se plaignaient de ne pas avoir été prises. Ce n’était même pas le problème des poissons, c’était la lutte des intérêts107. (M. Tom)
203Du côté du GIC de la Plaine, il y a un désir exprimé d’ouverture et d’échange avec l’extérieur du village. Ces comités en ville sont pour eux un lieu de curiosité et d’ouverture.
204Le comité de pilotage n’est pas perçu de la même façon par tous les acteurs. Il n’a pas la même fonction pour chacun, même si suivant chaque groupe d’acteur, une ressemblance dans les intérêts est palpable. Concrètement, ces réunions permettent de programmer les activités en cours. En tant que lieu de négociation entre les deux GIC, il n’est pas très concluant, car les chercheurs ne lui ont pas assigné cette fonction là.
3.1.6 Un conseil scientifique totalement transformé
205Le conseil scientifique se constitue de Fabrice, Nicolas et Norbert. Il a pour but de suivre et d’assurer l’évolution de la démarche de RAP. Le conseil scientifique se déroule sur deux jours durant lesquels les chercheurs de l’équipe théorique aident les chercheurs de l’équipe de terrain à prendre de la distance vis-à-vis de leurs actions. D’après le compte rendu de ces réunions, le conseil scientifique permet également de « réfléchir à la production de connaissances scientifiques génériques et aux conditions d’engagement des acteurs » (Chia et al., 2007 : 3).
206Une réunion du conseil scientifique est prévue chaque année. L’objectif de ce dispositif est de faire prendre du recul à l’équipe des chercheurs de terrain, en interagissant avec d’autres chercheurs travaillant sur le sujet. C’est donc une réunion uniquement scientifique.
207Effectivement sur le terrain, le dispositif ne s’est déroulé qu’une seule fois, à mi-parcours, en mai 2007. Finalement, pour les uns, ce manquement a été compensé par des discussions régulières entre Pierre et Fabrice, ainsi que par les visites annuelles de ce dernier sur le terrain. Pour d’autres, c’est un obstacle au bon déroulement du projet. Dix-huit chercheurs se réunissent lors de ce conseil scientifique. Il permet de rappeler aux participants la démarche de RAP et de faire un bilan des évolutions scientifiques sur le terrain.
208Il y a clairement au cours du projet une modification, une interruption ou un abandon des dispositifs classiques de RAP au profit de ce qui peut-être nommé des dispositifs émergeants.
« Balade sur les hautes terres »
Mardi 15 avril 2009
Je vais au bar du coin chercher du crédit pour mon téléphone. Je croise une connaissance qui m’offre un jus. Je reste longtemps à discuter avec les gens du village. Ils essaient de m’apprendre des mots en patois. Les mots du jour : Mitssaké : bonjour. Ndégué : La Blanche. Siné : Le Noir. Meché : merci. Meché Tissa : merci beaucoup. Aujourd’hui, le délégué des hautes terres me balade dans le village avant de m’amener chez quelqu’un pour un rendez-vous. Je me retrouve finalement à discuter au bureau de poste avec les deux policiers qui m’ont arrêtée sur la route la fois dernière. Depuis mon arrivée au village, la même chose se reproduit à chaque fois que je pars pour faire quelque chose de précis, cela prend toujours plus de temps. Je croise toujours quelqu’un qui vient me parler. La météo (averses) et les problèmes matériels (panne de moto, coupure d’électricité etc.) viennent également souvent s’ajouter aux obstacles à franchir pour atteindre son but. Sans compter les propositions de mariage incessantes. Parfois, la fatigue me prend à devoir justifier ma venue à tout le monde, à supporter les remarques des uns et des autres qui me rappellent constamment que je suis étrangère. Mais les gens sont plutôt sympathiques avec moi parce que j’essaie de prendre les choses avec le sourire, et me contiens. J’aimerais passer inaperçue, mais impossible. J’essaye de rester détendue et de me dire que c’est aussi mon travail, de me rendre à des rendez-vous manqués, de négocier constamment la moindre chose, d’attendre. Mais parfois, j’ai envie de me promener sans que l’on m’interpelle, de sympathiser simplement avec des gens sans répondre tout le temps aux mêmes questions.
3.2 Des dispositifs qui émergent au cours de l’action
209Ils constituent les dispositifs pensés et mis en place par les chercheurs au cours de l’action dans le but de s’adapter à la situation locale. L’analyse de ces dispositifs devrait mettre en lumière la capacité de réaction et d’adaptation de la recherche dans une situation de RAP.
3.2.1 Les ateliers REPARAC tournés vers d’autres groupes de recherche participative
210Plusieurs ateliers organisés par le REPARAC se déroulent dans plusieurs villes du grand sud du Cameroun. Ces ateliers réunissent tous les chercheurs des PRP du REPARAC et se déroulent de façon à ce que chaque PRP présente ses activités, partage ses expériences, et fasse part de ses attentes vis-à-vis du REPARAC. Des formations entre chercheurs sont également organisées sur les thèmes de la RAP, de l’innovation, des Organisations Paysannes et de la Recherche Participative. Les formateurs sont pour la plupart des Ciradiens. Lors de ces ateliers, les chercheurs et étudiants du projet présentent des communications relatives à leur thème de recherche sur le terrain. Certaines d’entre elles sont ensuite valorisées sous forme d’articles scientifiques et soumises à publication.
211Les acteurs du projet sont principalement questionnés au sujet de l’atelier final REPARAC et de la visioconférence à Yaoundé, parce qu’ils sont des lieux d’expression pour les producteurs en dehors de l’équipe de recherche habituelle. En effet, ces événements sont prévus pour que les producteurs interviennent directement auprès d'institutions locales et pour qu’ils se fassent connaître par des O.N.G., des instituts de recherche, et autres.
212Les étudiants sont ravis d’exposer leurs travaux lors de ces ateliers.
C’est toujours bien de se retrouver dans le milieu des gens qui réfléchissent ! Étant élève, tu apprends. Et ce qui était assez frappant, c’est que les gens étaient intéressés par ce qu’on présentait, il y a eu assez de discussions, les gens voulaient comprendre108. (M. Emmanuel)
213Les échanges sont fructueux. Une grande partie des étudiants présents, mais aussi des chercheurs, disent apprendre des choses, en particulier concernant la démarche de recherche participative. Cependant, ce travail qui regroupe des chercheurs de disciplines différentes n’est pas évident comme certains le constatent. Entre autres, un étudiant en anthropologie dit être gêné par l’intervention de chercheurs « novices » dans cette discipline. D’après lui, il ne réussit pas à se faire comprendre et à rendre son travail intelligible.
214Dans un autre registre, Emmanuel a quelques difficultés à faire comprendre à des chercheurs ne pratiquant pas la démarche de RAP, que l’écoute et la compréhension des savoirs des paysans fait partie intégrante de son travail. C’est un fait que relève également Fabrice.
Les questions des collègues en sciences techniques c’était toujours : « comment travailler avec les producteurs ? " Ces questions venaient du fait qu’ils ont du mal à comprendre et à reconnaître que les acteurs locaux ont des savoirs et qu’on peut essayer de comprendre ces savoirs pour faire un certain nombre de choses109. (M. Fabrice)
215Quant à Pierre, très pris par les contraintes organisationnelles et techniques du terrain, il reconnaît que la formalisation de son travail lors de ces ateliers est utile et même nécessaire à son bon déroulement.
216Lors de l’atelier final du REPARAC à Mbalmayo en juin 2009, deux représentants des deux groupes de producteurs sont invités à faire part de leur expérience avec la recherche. La première mission a permis de travailler sur cette restitution avec les deux groupes. La deuxième mission a permis de recueillir leurs impressions au sujet de cet atelier. Les producteurs présents à cet atelier sont réceptifs aux enseignements, mais ils ont tous le sentiment de comprendre trop tardivement les tenants et les aboutissants de ce projet dans lequel ils travaillent depuis plusieurs années. En ressort donc une sorte de frustration, due à cette compréhension un peu tardive. Certains se demandent pourquoi ils n’ont pas été invités aux premiers ateliers qui auraient pu leur permettre de comprendre le projet plus tôt.
L’atelier REPARAC était bien, c’était une bonne initiative. Ceux qui ont pensé cela ont bien fait. [...] Là-bas on nous a révélé beaucoup de choses sur les contrats, c’est même là-bas qu’on nous a défini les termes du contrat, comment signer un contrat, et même les rapports entre les chercheurs et les producteurs110 [...]. (M. Théodore)
217L’atelier final du REPARAC permet à tous les acteurs du projet d’échanger avec des acteurs extérieurs. Malgré une ouverture apparente aux méthodes participatives et à la pluridisciplinarité, cet espace de discussion est encore un lieu de confrontations d’opinions concernant la pertinence d’être à l’écoute des savoirs locaux lors d’un processus de recherche.
3.2.2 Une visioconférence comme tentative de visibilisation du projet
218Une visioconférence est organisée dans les bureaux de la Banque Mondiale de Yaoundé en avril 2007, et intitulée « Innovation agricole en Afrique de l’Ouest : dialogue entre chercheurs-enseignants et praticiens-utilisateurs, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Sénégal ». Le projet de RAP décide d’y faire participer Claire, Nadia et Umar, en présentant leur projet, et en organisant un dialogue entre Claire et Umar. La mise en place d’un dialogue entre ces deux acteurs permet de guider Umar dans son intervention par les relances de l’étudiante, et de rendre le discours moins monotone.
219Cette visioconférence réunit également des représentants d’Organisations Paysannes, des professeurs d’université et des responsables du ministère de l’agriculture.
220Le dialogue entre Claire et Umar est retranscrit par l’étudiante. C’est à partir de ses notes de terrain qu’il est possible d’en faire un bref compte rendu. L’intervention relate l’état de la pisciculture sur les hautes terres avant la venue du collectif des chercheurs et du projet RAP, et décrit progressivement les avantages et les inconvénients inhérents à cette démarche de recherche.
221Suite à cette présentation, un débat est mené entre tous les acteurs présents pour la visioconférence. Dans son compte rendu qui restitue presque mot à mot les différentes interventions, quelques problématiques se posent et mettent en évidence le caractère encore réfractaire de certains acteurs à ce type de démarche de recherche. Les questions posées et les remarques coïncident effectivement avec certaines difficultés auxquelles les chercheurs doivent faire face sur le terrain.
222Le travail tel qu’il est présenté, suscite quelques interrogations de la part des acteurs présents, particulièrement, concernant les avantages que les producteurs peuvent tirer de cette démarche. Pour certains, la démarche de RAP n’est pas assez longue pour que les producteurs puissent adopter de nouvelles techniques. Pourtant, cette démarche demande aux producteurs un grand investissement dans le projet, particulièrement, en termes de temps, pour participer aux réunions et autres activités. La question est clairement posée : la zone d’expérimentation est-elle réellement pour les producteurs ? Cette dernière n’est-elle pas tout simplement une zone d’expérimentation pour l’université dans le but de former les étudiants ? La méthode est-elle réellement interventionniste ? Cadre-t-elle vraiment avec les besoins des producteurs ? Autant de questions auxquelles Nadia tente de répondre en expliquant la finalité du projet RAP, c'est-à-dire qu’il s’agit d’une démarche durable et qui permet à terme, de créer un réseau de pisciculteurs et un nouveau métier viable.
3.2.3 Un protocole spécifique pour les sciences sociales
223Claire met en place un protocole basé sur les objets intermédiaires en août 2007. Il s’agit d’introduire des objets nécessaires à l’activité piscicole des producteurs dans le but de les initier à échanger et partager autour d’un outil au sein de leur groupe, de s’organiser autour de la gestion de cet outil, et d’acquérir cet outil. Une senne est donc confiée au GIC des Hautes Terres. Claire doit ensuite observer et analyser la façon dont le groupe s’organise pour la gestion de cet objet. Techniquement, d’après Denis, cet outil est important. Il doit permettre aux producteurs de se familiariser avec la senne dans le but d’effectuer des pêches de contrôle. En effet, les producteurs récoltent les poissons en vidant entièrement l’étang, au minimum une fois par an, une pratique d’épargne alimentaire qui peut faire penser à des greniers aquatiques pratiqués également au Niger (Renard-Toumi et De La Croix, 2013). L’utilisation de cet objet leur permet de prélever des poissons tout au long du cycle d’élevage, soit pour contrôler la croissance du poisson, soit pour le vendre, au fur à mesure et à la demande des clients. Économiquement, ceci permet également aux producteurs d’étaler leurs revenus sur toute l’année. Malgré le scepticisme de l’étudiante en sociologie, disant que les producteurs ne réclament pas cet outil et qu’ils n’en ont pas l’utilité, une senne est tout de même confiée au groupe. Cet outil est utilisé par Denis depuis le début du projet, dans le cadre de son protocole. Il empruntait la senne pour les expérimentations, puis la ramenait à l’université après utilisation. À un moment donné, les chercheurs ont donc laissé cette senne au GIC des Hautes Terres, mais elle a été perdue. Par conséquent, les expérimentations avec cet objet ont été compromises.
224Un dispositif équivalent est mis en place au sein de du GIC de la Plaine. Une motopompe leur est confiée pour diminuer la dureté du travail des pisciculteurs durant la vidange des étangs. Claire, qui suivait ce protocole, travaillait déjà avec le groupe des hautes terres et n’est pas intervenue en plaine. Le protocole est donc repris et remanié par deux agronomes qui en font une application technique.
225Ces deux « échecs » ont pour conséquence la mise en place des Journées d’échanges thématiques sur une suggestion de Pierre, toujours dans le but de permettre à Claire de travailler avec les producteurs.
3.2.4 Une tentative de résolution des problèmes organisationnels des GIC
226Une formation est dispensée en novembre 2007 par une ONG locale. Cette formation s’impose au collectif chercheur voyant que la gestion d’un GIC n’est pas évidente pour les producteurs. Fabrice a identifié le problème dès le départ.
Je ne pense pas qu’il y ait eu un déclic particulier. J’avais identifié dès la première fois qu’on y est allé qu’il y avait un problème d’organisation, un problème de fonctionnement du collectif111. (M. Fabrice)
227Pierre décide donc de faire appel à Tristan, consultant de l’ONG Ce dernier se rend sur les hautes terres et en plaine pour identifier les problèmes des GIC. Pour Tristan, sur les hautes terres, les problèmes principaux se situent au niveau d’une mauvaise gestion des conflits, du leadership, et de la transparence dans le groupe, en particulier concernant le fonctionnement financier. En plaine, le problème se situe davantage dans la vision d’inutilité que les producteurs se font du travail de groupe et du domaine associatif.
Comme on doit travailler avec le groupe [de la plaine], il fallait réfléchir à comment le garder. Ce sont des gens qui ne sont pas trop habitués à travailler ensemble. Les GIC et les groupes, ce n’est pas trop dans leur culture. Les gens ne voient pas trop l’intérêt de résider dans un groupe, ou n’ont pas l’habitude d’aller dans un groupe112. (M. Emmanuel)
228Suite à ce diagnostic, Tristan prend deux journées pour faire une formation aux producteurs, en insistant sur les points faibles des GIC. Il commence la formation par un rappel sur les modes d’associations traditionnels tels que les tontines, qu’il considère comme un système d’épargne et de crédit bamiléké efficace. Il en profite ensuite pour donner quelques notions sur les intérêts communs, ainsi que les avantages de se former en groupe. Il explique la mise en place de ce nouveau mode associatif créé en 1992 qu’est le GIC, et énonce ses normes légales. Les rôles de chaque membre — du délégué, du secrétaire, du commissaire aux comptes, du trésorier ainsi que les tâches qu’ils ont à effectuer — et leur fonction sont décrits un par un. Tristan n’hésite pas à donner des détails sur la tenue des réunions, ainsi que leur déroulement (ordre du jour, présidence de la réunion, rédaction d’un compte rendu). Il explique également de quelle façon le groupe peut s’organiser pour faire des achats groupés d’alevins, ainsi que la commercialisation groupée des poissons.
229La formation se clôture par la mise en place d’un suivi par Tristan, avec, pour les hautes terres, l’organisation d’une Assemblée Générale pour la réélection des membres du bureau. Pour la plaine, le suivi doit permettre l’élaboration d’un projet de développement.
J’ai voulu aider [la plaine] car ils étaient dans les environs d’un projet financé par l’union européenne [...]. [Le GIC de la Plaine] était dans une des communes qui bénéficient de ce financement. J’ai voulu les aider pour obtenir ce financement, mais toujours ce laxisme a fait que je leur dit : « est-ce qu’on peut se retrouver tel jour ? » on convoque des réunions, on se retrouve là-bas et c’est à peine si on trouve deux personnes113. (M. Tristan)
230Ce que les membres du GIC des Hautes Terres retiennent de la formation, c’est la définition des rôles de chacun, ainsi que tous les aspects légaux, en particulier concernant le fonctionnement du poste de trésorier. Ils reconnaissent avoir eu du mal à appliquer les enseignements de la formation, en évoquant notamment le manque de moyens financiers.
On avait demandé à [Tristan] : « si on dit à quelqu’un de contribuer et qu’il ne contribue pas, qu’est-ce qu’on doit faire ? » et il nous a dit qu’il fallait qu’on le ramène à comprendre. Mais ça c’est difficile ! Parce que contribuer dans le GIC, c’est quelque chose de conscient. Si on te demande d’investir c’est que tu sais que demain tu peux avoir quelque chose. Il y en a qui n’ont pas d’espoir. Des personnes disent qu’on joue à la tombola. C’est ça qui nous divise toujours114 ! (Mme Nabila)
231Chaque membre du groupe, en particulier ceux qui sont assignés à un poste, connaît l’importance de son propre rôle dans le collectif. Même s’il n’est pas délégué du groupe, une tâche lui est quand même confiée. Malgré la prise en compte de cette formation par les membres du GIC des Hautes Terres, la totalité des producteurs interrogés disent que cette formation n’a rien changé dans l’organisation du GIC. Le leadership est encore très présent, et les membres du bureau ont une marge de manœuvre toujours très limitée.
232Du côté de la plaine, la formation permet d’ouvrir un compte bancaire pour le GIC.
Le GIC a évolué, parce qu’au début, quand on avait créé notre GIC, nous n’avions pas d’éléments concrets. Par exemple, on nous demandait de tout faire pour trouver un compte, mais on n’avait jamais pu ouvrir un compte, c’est par rapport à l’intervention de [Tristan] que nous avons ouvert un compte, et nous avons mis tous les éléments nécessaires en place. Donc je peux dire que son intervention a beaucoup travaillé dans le GIC115. (M. Carl)
233Le groupe essaie également de faire une tontine, comme l’indiquait la formation, mais ce système ne fonctionne pas d’après Olympe.
234La formation est comprise et acceptée par tout le monde, mais l’application de ses enseignements est difficile.
3.2.5 La visite de la station de Foumban pour expliquer un refus
235En novembre 2007, trois membres du GIC des Hautes Terres sont invités à visiter la station expérimentale de Foumban (antenne de l’IRAD) sur la suggestion de Pierre. C’est à l’occasion d’une formation pratique animée par un chercheur du CIRAD. Cette formation est destinée aux chercheurs de l’IRAD et aux étudiants de l’université. Elle associe également deux producteurs d’alevins de Batié.
236La visite de la station de Foumban n’a pas marqué les mémoires de tous les acteurs. Du côté des étudiants, Denis est le seul à connaître le contenu de la formation (sur la production des alevins de carpes et de silures). Denis identifie également un autre but à cette visite, alors que le groupe des hautes terres aimerait implanter une écloserie chez eux.
Ça a permis à [Pierre] de les convaincre que la mise en place d’une écloserie, comme ils souhaitaient, n’était pas une chose facile. [...] Je pense que ça a permis à [Umar] de mettre un peu de l’eau dans son vin, et d’être un peu moins exigeant vis-à-vis de l’écloserie qu’il réclamait. [Pierre] les a amené là pour leur montrer la complexité du montage d’une écloserie et ça leur a apporté des connaissances au niveau scientifique qu’ils ne connaissaient pas116. (M. Denis)
237Pour Denis, cette expérience apporte des éléments concrets de réflexion aux producteurs à propos d’un souhait que les chercheurs pensent irréalisable.
238Seule Nabila — productrice qui s’est spécialisée dans l’élevage des alevins — retient des apprentissages positifs de cette expérience, en particulier en ce qui concerne la reproduction des carpes et la construction des étangs de barrages.
3.2.6 Des Journées d’échanges thématiques conçues pour les sciences sociales
239Les Journées d’échanges thématiques sont organisées en novembre 2007, uniquement avec le groupe des producteurs des hautes terres à la suite des difficultés de mise en œuvre du protocole de l’étudiante en sociologie sur les objets intermédiaires. Elles sont conçues et réalisées par cette dernière, avec le concours d’un étudiant de longue durée, recruté pour le projet, Denis. Ces journées dont le contenu est validé par tous les acteurs au cours d’une réunion régulière, se déroulent sur trois thèmes : la construction des étangs chez Théodore, les alevins chez Nabila, et l’alimentation chez Oscar. Les producteurs désignés sont ceux qui ont le dispositif le plus adapté pour échanger autour de ces thématiques. Théodore est le seul à avoir des étangs à flanc de montagne. La démonstration de la construction d’un étang chez lui est alors riche en informations. Nabila possède déjà deux étangs, dont un qu’elle met à disposition uniquement pour la reproduction des alevins, elle détient donc des connaissances sur cette thématique. Et pour finir, le travail sur l’alimentation et la compostière, se fait chez Oscar qui travaille depuis l’époque des Peace Corps dans le domaine de la pisciculture et peut partager des connaissances au niveau de la gestion de l’alimentation des poissons. Les producteurs du GIC se regroupent lors de ces journées pour visiter les étangs de leurs voisins. Ces lieux de rencontres et d’échanges autour d’un thème précis sont alors source d’informations pour l’étudiante en sociologie qui devra identifier de quelles façons les producteurs communiquent entre eux, et relever la pertinence de ce dispositif d’échange.
240Ce dispositif n’est pas uniquement destiné à créer un groupe d’échange de connaissance entre les producteurs, mais aussi à légitimer la présence de l’étudiante en sociologie dans le projet. Sa présence et sa fonction dans le groupe ne sont pas claires, autant pour les chercheurs et les étudiants que pour les producteurs, dont certains allaient même jusqu’à dire qu’elle était une espionne.
Le but c’était de légitimer la place de [Claire] dans l’équipe. Parce qu’[Umar] nous disait : « [Denis] nous aide à faire ça, [Tristan] nous aide à faire ci, [Pierre] nous aide à faire ça, mais [Claire] elle nous sert à quoi ? » [...] Moi-même j’ai toujours eu du mal à savoir exactement sur quoi elle travaillait. Comme [Pierre] dit : « autant les protocoles beaucoup plus techniques étaient carrés, autant la sociologie, ce n’est pas évident ! » Avec [Claire] des fois ce n’était pas facile de comprendre exactement son boulot. Même les chercheurs avaient du mal à comprendre son boulot117. (M. Denis)
241Le rôle et la fonction de Claire suscitent une controverse entre les chercheurs de l’équipe. Tantôt on lui assigne le rôle de sociologue à tout faire118 — c'est-à-dire d’observatrice privilégiée des échanges dans le groupe — mais il faut également qu’elle participe à la résolution des problèmes des producteurs. Tantôt on lui demande de travailler sur son propre sujet de recherche, sujet qui ne répond pas directement et suffisamment rapidement à la demande de l’équipe de recherche au cours de l’action. La nature de l’utilité de la sociologie sur le terrain est alors difficile à définir.
[...] si la sociologie doit avoir une quelconque utilité, quelle doit en être la nature : politique (sociologue-expert, sociologue-conseiller du prince, sociologue donnant des armes de luttes aux dominés de toute nature), thérapeutique (la sociologie comme socio-analyse et moyen de diminuer ses souffrances au moyen de la compréhension du monde social et de ses déterminismes), cognitive (la sociologie comme savoir n’ayant d’autre objectif que celui d’être le plus rationnel et le plus largement fondé empiriquement) (Lahire, 2004 : 10).
242Le temps et la disponibilité de la sociologue font défaut, puisqu’elle a des difficultés à tenir parallèlement tous ces rôles que l’on lui assigne, ou qu’elle pense devoir tenir.
243Pour Denis et Claire, le travail en binôme qu’ils effectuent lors de ces journées est riche en apprentissages grâce aux nombreux échanges entre leurs disciplines. La veille de ces journées, les deux étudiants travaillent conjointement pour préparer le guide d’entretien qui servira le lendemain de fil conducteur aux échanges entre les producteurs et les étudiants.
244Denis dit avoir appris de la sociologie, ce qui lui permet par la suite d’être plus à l’écoute des perceptions, des représentations et des points de vue des producteurs. Il se dit aujourd’hui être capable d’adapter sa technique aux besoins des producteurs. Claire, de son côté, comprend progressivement les aspects techniques de la pisciculture, connaissance qu’elle peut mobiliser par la suite pour échanger directement avec les producteurs.
245Les producteurs apprécient ces visites sur les étangs de leurs collègues. Pour certains, c’est l’occasion de discuter autour des aspects techniques de l’activité. Pour d’autres, c’est une opportunité pour corriger leur façon de faire et pour découvrir les savoirs des autres. Certains producteurs sont en possession de connaissances utiles qu’ils n’ont jamais partagé, comme l’utilisation d’herbes ou de pain pour l’alimentation des poissons.
246Par la suite, l’évolution de la perception des producteurs concernant le rôle de Claire dans le projet n’a pas beaucoup changé comme peut le témoigner Ulysse.
Est-ce que [Claire] a une connaissance sur les exploitations ? Non ! Elle nous assistait pour voir comment les choses fonctionnent. Elle-même sait pourquoi elle nous assistait119.
247La restitution qui doit clore ce dispositif ne s’est pas faite car Umar a refusé que Claire restitue les résultats. Pierre, présent ce jour-là, décide de quitter le village et de suspendre le projet tant qu’Umar ne demande pas le retour des chercheurs sur le terrain. Ce refus émanerait du fait que Claire et Umar avaient noué des liens hors du projet et qu’une mésentente est apparue au fil du temps.
248D’après Pierre, un courrier « d’excuses » signé par tous les membres du GIC lui a été adressé en présence du délégué et d’un membre du bureau.
3.2.7 Un concours de pisciculture pour un désengagement progressif des chercheurs
Fig. 8 — Un chercheur senior fait le suivi du concours de pisciculture au bord de l’étang d’un producteur, 2009

249Ce concours se déroule durant la phase de désengagement des chercheurs du terrain et commence en novembre 2008. Il est justifié par les chercheurs comme un moyen de se retirer progressivement, et d’identifier les apprentissages acquis par les producteurs durant les trois années de RAP. Pour gagner le concours, il faut que les producteurs respectent un cahier des charges contenant les recommandations émises par les chercheurs durant les années du projet. Pour ce faire, les producteurs des hautes terres doivent utiliser le manuel de pisciculture co-construit avec les chercheurs, dans la perspective de les rendre autonomes.
250Le concours permet d’évaluer les nouvelles connaissances des pisciculteurs, et de s’assurer que ces connaissances sont durables. En pratique, les producteurs et les chercheurs établissent, lors d’une réunion, un contrat indiquant les conditions du concours. Durant les treize mois du concours — qui englobent un cycle d’élevage dont la durée est moins d’un an — les producteurs sont entièrement autonomes dans toutes les étapes du processus technique et organisationnel de leur activité. Durant le cycle d’élevage, un suivi est effectué par Pierre sur tous les étangs des participants pour vérifier où en sont les producteurs dans leur cycle d’élevage. Cela permet au chercheur d’identifier les étangs qui sont hors normes et les producteurs qui ne poursuivent pas le concours. Arrivés à la fin du cycle et au moment de la restitution des résultats du concours, une autre réunion est organisée durant laquelle les producteurs restituent aux chercheurs les résultats du concours. Les prix du concours sont distribués par un étudiant qui n’a pas conceptualisé, ni suivi le concours. Les deux autres chercheurs seniors ne sont pas présents lors du déroulement de ce dispositif. Les acteurs ne sont pas les mêmes durant les différentes étapes du concours et il n’y a pas de suivi régulier de l’activité par les mêmes acteurs.
251Le déroulement de la dernière réunion permettant la restitution des résultats m’est décrite par Ulrich chargé de distribuer les lots aux producteurs gagnants. Il est convenu dès le départ que plusieurs lots priment les producteurs en fonction de critères tels que le meilleur poids, ou bien la meilleure commercialisation des poissons. La récompense suivant ces critères doit être la quantité d’alevins permettant de charger les étangs pour le prochain cycle d’élevage. Cette quantité d’alevins se calcule par rapport à la superficie de l’étang du producteur. Plus l’étang du producteur est grand, plus la quantité d’alevins offerte sera importante. Cependant, les chercheurs prévoient également de laisser le choix au producteur de gagner la somme en espèces du prix des alevins gagnés.
252La première controverse, lors de cette réunion, intervient au moment de déterminer celui à qui sera attribué le prix de la meilleure commercialisation. Pour ce faire, les chercheurs demandent aux producteurs de leur donner le prix et la quantité de poissons vendus. Cependant, Umar refuse de donner le prix de vente de ses poissons. Comme Umar ne veut pas dévoiler le prix de vente de ses poissons lors de la réunion, les chercheurs proposent d’attribuer le prix de la meilleure commercialisation à Oscar, qui figure deuxième au classement. La majorité des producteurs des hautes terres conteste cette décision, mais après une large discussion, ils décident de lui attribuer le prix. Cette controverse au sein du groupe dévoile encore les difficultés d’Umar à s’intégrer au dispositif de la RAP au même titre que les autres membres du groupe.
253L’autre grande controverse porte sur l’attribution des lots de consolation. C’est lors de cette dernière réunion que les chercheurs abordent réellement la question de ces lots, alors que le contrat du concours ne les mentionne pas. Les producteurs ne sont pas d’accord sur la nature de ces lots, puisqu’il s’agit de seaux et d’épuisettes. Pour eux, ce lot de consolation n’est tout simplement pas suffisant.
C’est à la fin qu’on nous a dit que c’était les seaux. Mais moi je n’étais pas au courant ! Moi je me plains ! Ça nous a divisés ! Si tu te mettais à notre place ça allait t’énerver ! Tu fais de la recherche avec quelqu’un pendant cinq ans, et à la fin il te donne un seau de 800 [francs CFA120] ! (Mme Nabila)
254Sur le contrat de départ, les épuisettes et les seaux sont des lots prévus pour récompenser la meilleure organisation de vidange.
255Au contraire, d’autres producteurs — autant ceux qui n’ont que des lots de consolation, que ceux qui sont primés — contestent le fait de primer tout le monde. D’après eux, les règles du concours ne sont pas respectées. Dans leur conception, un concours entraîne forcément une compétition entre les participants, et donc, des gagnants et des perdants.
Il y avait des conditions à respecter ! Certains devaient être hors course parce qu’ils n’ont pas suivi les conditions de départ. Certains n’ont pas fait de vidange. Mais à la fin on a primé tout le monde121. (M. Théodore)
256De leur côté, les chercheurs sont dans un esprit d’égalité. Ils mettent en place un lot de consolation pour ne pas exclure certains producteurs. Faut-il récompenser tout le monde ? Ou bien faut-il honorer le concours, et faire ressortir l’esprit de compétition et la fierté de gagner ?
257Lors de cette dernière réunion, les chercheurs proposent le 15 février comme date de restitution des lots, mais selon les chercheurs, ces lots ne doivent être distribués qu’à une seule condition : que la vieille senne perdue par le groupe soit restituée à l’université. À l’annonce de cette condition, certains producteurs ont l’air de ne pas être au courant que cette senne est dans le GIC depuis des mois. Umar refuse alors de la restituer prétextant qu’elle est vieille et qu’elle n’a pas de valeur financière. Après une longue discussion entre Ulrich et les producteurs, ces derniers finissent par accepter la condition.
[Baptiste] a dit : « pourquoi vous ne nous laissez pas un vieux truc comme ça [la senne] ? » Je lui ai répondu : « vous étiez directeur d’école non ? » Il dit : « oui » Je lui réponds : « quand vous êtes partis à la retraite, vous avez ramené chez vous la vieille chaise qui est cassée dans votre bureau que l’État avait acheté ? » Il a dit : « non » Je lui dis : « alors pourquoi veux-tu la vieille senne qui se trouve dans le fichier comptable de l’État et la ramener [sur les hautes terres] ? Même si elle est gâtée, qu’est-ce qu’on fait de ça ? » Et il a dit : « vraiment, ce que vous dites là, vous avez raison122 ! » (M. Ulrich)
258Le jour de la restitution des lots, Ulrich se rend au village pour décharger les lots aux producteurs. Mais le groupe ne restitue toujours pas la senne. Ulrich décide de retourner en ville et de mettre en place un dispositif écrit pour éviter les dérives suite à la restitution de ces lots. Pour la remise de l’argent, il décide de glisser les billets dans une enveloppe indiquant le nom et le montant, accompagné d’un avis de décharge certifiant le retrait du lot par le producteur.
Parce que je leur ai dit : « je vous connais, si quelqu’un détourne, j’ai les preuves pour le poursuivre. Demain, je vous laisse ici seul, vous allez prendre et vous n’allez pas décharger, et vous allez dire que vous n’avez jamais rien vu ! Mais j’ai ma fiche de décharge, j’ai ma preuve123. » (M. Ulrich)
259Cette preuve écrite doit couvrir l’étudiant, certifiant qu’il a bien confié tel lot à tel producteur pour éviter toute contestation de la part de quiconque, mais ce dispositif doit également protéger les producteurs au sein de leur propre groupe. Malgré cette précaution, cette restitution ne se passe pas comme prévu. Les contestations des producteurs sont nombreuses. Certains se plaignant de ne pas avoir reçu leurs lots, d’autres disent qu’ils se sont fait voler sur la route en rentrant au village car chaque producteur doit se rendre seul en ville pour récupérer son lot. D’autres producteurs n’ayant pas l’argent, le temps, ou la santé de se déplacer, demandent à d’autres de retirer les lots pour eux. D’après la majorité du groupe des producteurs, le fait de ne pas déposer tous les lots au village a causé le désordre124 dans le groupe. Mais de son côté, Ulrich, face à la non restitution de la senne, préfère faire une distribution individuelle des lots en ville.
260La description de ce dispositif reflète les difficultés quotidiennes des chercheurs à atteindre les objectifs qu’ils mettent en place, et le caractère laborieux de certaines interactions. Les accords pris en commun peuvent être friables au profit de stratégies individuelles. La confiance dans le travail à élaborer en commun est fragile voire inexistante, car plus les chercheurs mettent en place des dispositifs policés pour éviter les dérives, plus les producteurs perdent confiance. Au fur et à mesure que la confiance se perd, la mise en place de dispositifs de plus en plus nombreux est alors nécessaire, et boucle le cercle vicieux dans lequel les acteurs sont pris sur le terrain.
« Traitement des entretiens »
Vendredi 25 avril 2009
J’ai passé ma journée à travailler pour peaufiner mes écrits pour ma thèse. Je suis en train d’analyser mes premiers entretiens. Les délégués des hautes terres et de la plaine considèrent que j’ai rencontré tout le monde et que mon travail est terminé, mais en réalité, il ne fait que commencer, et je compte bien revoir certaines personnes. J’ai également envie de comprendre davantage le système camerounais, les décideurs du pays, et les gens engagés dans la pisciculture à un niveau plus élevé. Je n’ai pas encore pris de contacts ni de rendez-vous, mais il faut que je me dépêche de les rencontrer avant que mon séjour ne se termine. Il me semble que pour développer la pisciculture, comme c’est le vœu de nos producteurs, il faut un coup de pouce de l’État. Alors, que pense l’État ? C’est ma question aujourd’hui. Ce soir, Ulrich m’a invitée chez lui pour que je me détende et me présenter sa nièce, après une journée à cogiter devant mon ordinateur. Nous avons évoqué des histoires de la plaine.
3.3 Des événements en réponse aux dispositifs
261Les événements sont identifiés suivant la redondance de leur apparition dans le récit que font les acteurs de la RAP au Cameroun. Ils symbolisent également certains marqueurs temporels du déroulement des trois années du projet. Les événements peuvent être perçus comme une déviance ou une résistance des acteurs à tel ou tel dispositif. Il est important de comprendre quels sont les facteurs qui déclenchent un événement. Ces derniers ne sont pas choisis de façon arbitraire, mais suivant l’intensité avec laquelle ils restent vivants dans la mémoire des acteurs.
3.3.1 L’assemblée générale du GIC de la Plaine provoquée par la démission de son premier délégué
262Le délégué de la plaine, Olympe était le secrétaire de l’ancien délégué (Quentin). À cette époque, c’est déjà Olympe qui exécute toutes les tâches du GIC, car très vite, Quentin se montre plutôt absent car très occupé dans ses activités professionnelles.
263Le producteur Carl était commissaire aux comptes dans le premier bureau, avant de devenir trésorier dans le deuxième. D’après les producteurs, l’AG pour réélire le bureau s’est tenue à cause d’un fort désengagement de l’ancien délégué et de ses membres. En effet, les chercheurs ont fait comprendre au GIC qu’il n’y aura pas de subvention et que le projet ne peut leur apporter que des enseignements sur des pratiques piscicoles. Quentin a trouvé ce type de partenariat inintéressant. Au départ, il pensait que l’argent serait disponible et qu’il n’aurait plus qu’à le gérer.
[Quentin] disait qu’il n’aimait pas comprendre ces enseignements [de la recherche], qu’il avait besoin de matériel et qu’il voulait qu’une subvention arrive pour servir son GIC125. (M. Carl)
264De leur côté, les producteurs se sont réunis dans le même but que Quentin, dans l’idée que la fonction première d’un GIC est de se réunir pour toucher des subventions et pour creuser de nouveaux étangs.
Beaucoup disaient et croyaient que peut-être on pouvait avoir une subvention qui pourrait amener quelqu’un à multiplier ses étangs. Il n’y a jamais eu de subvention et beaucoup se sont découragés126. (M. Carl)
265L’ancien délégué ne venant plus aux réunions, il devient donc démissionnaire. De son côté, Olympe prend le relais pour tenir ces réunions.
Le GIC ne pouvait pas mourir127 ! (M. Carl)
266Une AG est convoquée en mars 2007 pour réélire le bureau. En vue de l’engagement d’Olympe, les producteurs trouvent logique de l’élire comme délégué.
267D’après Pierre, il a fallu réélire le bureau car beaucoup d’anciens membres désireux de toucher des subventions pour creuser de nouveaux étangs ont suivi l’ancien délégué. Peu restent pour traiter de la question de recherche relative à la gestion des alevins. Pour Pierre, cette AG ne signifie pas simplement un changement de bureau, mais aussi un renforcement de la cohésion de ses membres et un approfondissement du thème de travail choisis.
3.3.2 Le refus de vidanger de la part des pisciculteurs des hautes terres
268L’étudiant Denis, dans le cadre de son protocole expérimental, doit programmer la vidange et la récolte des poissons dans les étangs des hautes terres en fonction de la fin de son stage prévue en août 2006. Au moment de la vidange, les producteurs des hautes terres refusent de vidanger des étangs, prétextant qu’ils ne veulent pas la faire en l’absence du chercheur Pierre. Pourtant, une réunion s’est tenue pour programmer les vidanges.
Ils ont dit : « si [Pierre] n’est pas là, on ne vide pas nos étangs128 ! » (M. Denis)
269À ce moment-là, Pierre est en France pour l’été. Les chercheurs William et Nadia interviennent pour convaincre les producteurs de vidanger. William décide de mettre Pierre et Umar en contact téléphonique pour tenter de le convaincre de maintenir son engagement. Finalement, personne ne réussit à convaincre le groupe de vidanger en août. Les producteurs vidangent en novembre comme ils l'avaient prévu.
Du coup, on s’est pliés129. (M. Denis)
270Les producteurs disent à Denis qu’ils refusent parce qu’ils veulent que la vidange soit un événement pour inviter le sous-préfet ainsi que d’autres personnalités locales. Dans l’optique des producteurs, l’événement aurait-il eu le même poids en l’absence de Pierre ? Les producteurs voulaient-ils vraiment que Pierre soit présent pour assister à cet événement ? Si oui, pour quelles raisons ?
271De son côté, Denis doit vidanger en août pour bénéficier des résultats de vidange afin de soutenir son mémoire à temps. Par chance et par hasard, la soutenance de son mémoire est repoussée, et il soutient finalement grâce aux résultats de la vidange effectuée en novembre. Selon Pierre, Umar voulait que la vidange des étangs soit annoncée à la radio et que ce soit le chercheur qui paye le coût de cette annonce, d’où le souhait qu’il soit présent. Il associe les vidanges à la fête et à l’événementiel dans le but de faire connaître son GIC dans l’arrondissement, considérant que c’est le meilleur moyen pour vendre une grande quantité de poisson. Selon Pierre, les producteurs sont également convaincus qu’il faut effectuer les vidanges à l’approche des fêtes de fin d’année, c'est-à-dire en novembre, et que sa présence ce jour-là n’est qu’un prétexte pour repousser la vidange à cette date. Cet exemple illustre la difficulté pour faire coïncider la recherche et l’action, ainsi que les intérêts divergents des acteurs.
3.3.3 La controverse de la compensation matérielle suite à l’échec d’une expérimentation sur un étang
272Kevin est le producteur de la plaine qui est le seul à pratiquer une technique piscicole dite « moderne », c’est-à-dire proche de celle des producteurs des hautes terres. Très intéressé par la RAP, il s’investit beaucoup dans le processus. En octobre 2007, une étudiante a mené un protocole expérimental sur son exploitation, mais celui-ci a échoué suite à des difficultés techniques. D’après Pierre, cette expérimentation est un échec et n’aurait pas dû avoir lieu, ne serait-ce que pour le principe que dans un travail de RAP on ne doit pas travailler avec un seul producteur, sur un sujet qui n’intéresse qu’un seul producteur et qui ne fait pas partie du questionnement central. Kevin semble être l’un des producteurs de la plaine montrant le plus son mécontentement vis-à-vis de la RAP. C’est pourquoi l’échec de son expérimentation est identifié comme un événement marquant par la plupart des acteurs.
273De plus, face au mécontentement de Kevin, Pierre décide de lui laisser le matériel qui a servi à l’expérimentation (téléphone, roue de pousse etc.). Cette mesure prise par Pierre est exceptionnelle, puisque le projet doit normalement récupérer le matériel utilisé pour les expérimentations. Cette faveur faite au producteur pour compenser l’échec de l’expérimentation est perçue par les autres producteurs comme une injustice, d’autant plus que ce don prouve aux producteurs que le projet est dans la possibilité de leur laisser du matériel. Cet événement montre les difficultés pour sortir du cadre d’un dispositif une fois mis en place. Son échec entraîne des actions hors du dispositif qui peuvent être mal interprétées mais difficilement prévisibles. De même, si l’échec d’un dispositif n’entraîne pas d’action hors du dispositif, celui-ci sera jugé comme trop rigide. Quoi qu’il se passe, le dispositif fera de toute façon toujours l’objet de négociations entre les acteurs.
Encadré 7 — La RAP au Burkina Faso
Les aléas du quotidien et du climat peuvent être des obstacles au déroulement des thèmes de travail. Certains producteurs ne peuvent pas mener à bien leurs expérimentations pour cause de maladie. D’autres disent être obligés de revendre les fournitures du projet (sacs de ciment par exemple) pour soigner un enfant malade, ou bien continuer à construire leur maison. D’autres sont surpris par le climat, en particulier par la pluviométrie, que les producteurs considèrent comme de plus en plus imprévisible.
3.3.4 Quand le délégué des hautes terres annule un dispositif pour exprimer un mécontentement
274L’étudiante en sociologie, Claire, doit faire une restitution aux producteurs du GIC sur les trois Journées d’Échange Thématiques en février 2008. Le jour de la restitution, Claire a une altercation avec le délégué, Umar, qui refuse que cette restitution ait lieu. Selon le chercheur Pierre, Umar disait qu’il ne voulait pas que l’étudiante en sociologie restitue son travail sous prétexte qu’elle aurait pris la défense d’un producteur face à lui. Mais certains acteurs pensent que le délégué et Claire ont des différends concernant un projet personnel qu’ils ont développé ensemble en dehors du cadre de la RAP. Le refus qu’elle fasse sa restitution aurait donc été une façon pour le délégué d’exprimer son mécontentement vis-à-vis de l’étudiante sur un tout autre sujet que celui de la RAP. L’étudiante, vivant au Cameroun durant plusieurs mois a forcément eu d’autres activités en dehors du dispositif de la RAP et a créé des relations privilégiées qui surgissent au cœur du dispositif. L’équilibre entre engagement et distance sur le terrain est difficile à trouver. Faut-il cantonner les échanges entre les acteurs à l’intérieur des dispositifs ? Ces derniers assurent-il bien une fonction protectrice du déroulement des interactions ? Est-ce vraiment différent d’interagir en dehors et à l’intérieur d’un dispositif ?
À un moment donné il y a eu une réunion, et [Umar] a dit qu’il n’était pas question que [Claire] expose : « elle n’exposera pas ! On ne comprend pas ce qu’elle fait ! En plus elle se mêle de tout et elle nous prend pour des singes ! » Je n’ai pas rigolé au départ, mais après j’ai rigolé, lui a rigolé, parce qu’il a fait son cinéma, moi j’ai fait mon cinéma, et puis à un moment j’ai dit : « si c’est comme ça on suspend, pour moi [Claire] c’est ma fille, elle doit exposer, donc ça ne peut pas se passer comme ça et on s’en va ! » Donc on est parti et on a dit : « et maintenant si vous voulez qu’on revienne faites le savoir ! » Donc ils nous ont recontacté, et elle a continué à travailler. Donc c’était difficile. Il l’accusait de s’être moquée d’eux. Elle a pris position, c’était [Laurent] qui menaçait [Umar], ils se sont engueulés, et elle a pris position130. (M. Pierre)
Tu ne peux pas t’engueuler avec quelqu’un avec qui tu es distant, donc du coup avec [Umar] je pense que j’ai créé des liens, mais c’est vrai qu’après, du coup, c’était difficile de s’en dépêtrer131. (Mme Claire)
275Globalement, l’expérience sur le terrain montre que les liens entre les chercheurs et les producteurs (surtout les décideurs) doivent être assez forts pour que le travail en commun puisse se faire. Mais ce lien ne doit pas être trop intrusif. Il faut trouver un équilibre entre engagement et distanciation. La création exclusive de liens professionnels ne peut pas fonctionner et créer des liens personnels peut devenir très complexe.
3.3.5 Un chercheur fait concurrence à un producteur lors d’un concours de pisciculture
276En mars 2008, un technicien/chercheur se présente à un comice agropastoral en tant que producteur avec des alevins achetés au GIC de la Plaine. Le délégué des producteurs, Olympe, se présente lui aussi à ce concours et se plaint d’être concurrencé par le chercheur qui n’est pas producteur d’alevins. Par la suite, Olympe demande à convoquer un comité de pilotage pour régler ce problème. Les chercheurs mettent en place une réunion tripartite pour expliquer l’événement. Le technicien ayant fait concurrence s’est excusé. Pierre regrette cet incident disant que le technicien n’avait pas entièrement pris en compte les principes et l’éthique de la RAP. La mise en place d’un dispositif pour éclairer le déroulement d’un événement est nécessaire et bénéfique, mais ne redonne pas toujours la confiance perdue puisque plusieurs mois après les faits, Olympe n’était pas serein face à cet événement. Olympe a usé du dispositif de façon exceptionnelle en convoquant un comité de pilotage pour communiquer aux acteurs son mécontentement. Cela signifie que cet acteur a assimilé ce dispositif.
3.3.6 Quand les chercheurs vont jusqu’au bout d’un engagement
277Le retrait d’une motopompe mise à disposition par les chercheurs pour le GIC de la Plaine, pour vidanger les étangs d’inondation constitue un événement marquant en mai 2008.
On [les chercheurs] voulait savoir comment on pouvait faire pour que les gens [les producteurs] profitent. Les gens se plaignaient qu’ils ne gagnaient rien de nous. Donc c’est là qu’avec eux on a réfléchi que le projet pouvait peut-être acheter la motopompe au cas où ils définissaient une procédure de remboursement pour éviter l’idée qu’on vient pour donner132. (M. Emmanuel)
278En 2007, les chercheurs acceptent de fournir une motopompe, sous réserve qu’elle soit associée à la mise en place d’un protocole socio-technique visant à étudier le rôle de l’action collective dans la résolution des problèmes communs133. Finalement, ce protocole n’est pas mis en place, et lui succède un nouveau protocole, uniquement technique, portant sur l’amélioration de la récolte, de la conservation et de la commercialisation des juvéniles de poissons chats. Un contrat rédigé par le bureau du GIC de la Plaine est établi par les producteurs, et validé par les chercheurs concernant l’usage de la motopompe. Suivant les termes du contrat, les producteurs s’engagent à utiliser la motopompe collectivement, tout en remboursant son prix d’achat (300 000 francs CFA). À défaut, la motopompe sera retirée. Dans les faits, à chaque utilisation, chaque pisciculteur doit verser 1 000 francs CFA au GIC (pour l’entretien de la motopompe) et 10 % de la recette de la vente des poissons (pourcentage consacré au remboursement graduel de la motopompe). D’après les membres du bureau du GIC chargés de la gestion du matériel, les ventes de poissons se sont révélées insuffisantes pour permettre le rachat de la motopompe, et ce, malgré le respect du protocole d’utilisation. Pourtant, sur dix producteurs rencontrés, un seul semble au courant de l’utilisation payante de la motopompe, ce qui signifie que la plupart des membres du GIC ne sont pas informés des clauses du contrat d’utilisation. D’après le délégué, un chercheur devait établir un bilan de l’utilisation de la motopompe, avant de la retirer. Du point de vue des chercheurs, les producteurs n’ont pas engagé la procédure de remboursement de la motopompe, ce qui constitue un critère suffisant pour la leur soustraire.
Je me suis dis que derrière les modalités de gestion de la motopompe, ils se sont dit que les chercheurs allaient l’abandonner. Ils se disaient qu’elle allait leur revenir, et que ça ne valait pas la peine de donner l’argent. Je pense bien que ça a dû faire un scandale quand on a dû retirer la motopompe ! Ils ne s’attendaient pas à cela. Même si c’était bien mentionné dans le protocole que l’on devait la retirer, si rien n’était fait134. (M. Emmanuel)
279Les producteurs ne comprennent pas ce retrait soudain, tout comme les membres du bureau, pourtant informés des clauses du contrat.
280Cet événement illustre les désaccords profonds entre l’équipe des chercheurs et celle des producteurs, que l’on rencontre souvent à travers l’analyse d’autres dispositifs. Pour les chercheurs, le retrait de la motopompe s’explique par le non-respect du contrat (dispositif) mis en place avec les producteurs, qui eux revendiquent leur difficulté à vidanger sans cet outil, stigmatisant un manque d’empathie des chercheurs.
La motopompe nous allégeait un peu la tâche. Beaucoup de pisciculteurs comptaient vraiment sur cette motopompe. Donc, quand on nous l’a retirée, beaucoup ont dit que ça ne valait plus la peine de continuer avec les chercheurs. C’est vrai que l’engagement qu’on avait signé, on n’a pas pu le régulariser, mais avec l’esprit chrétien, ils auraient dû en laisser une ici pour qu’elle nous serve en attendant135. (M. Carl)
281L’utilité des expérimentations visant à favoriser un apprentissage — ici, celui d’appendre aux producteurs à gérer et acquérir un outil collectif par le remboursement progressif d’un emprunt — n’est pas toujours bien acceptée par les producteurs tournés vers des problématiques quotidiennes et courtermistes, comme celle de trouver une motopompe à moindre coût. Une vision incompatible avec celle des chercheurs, mus par des objectifs à long terme.
3.3.7 L’Assemblée générale du GIC des Hautes Terres comme tentative d’équilibrage du pouvoir
282Cette AG est mise en place en juin 2008 dans le cadre du suivi de la formation de l’O.N.G. effectuée par le consultant Tristan. Dans sa formation, il explique qu’il y a deux volets : l’un théorique et l’autre expérimental. Cette AG est organisée pour donner l’opportunité aux membres du GIC d’élire les personnes qu’ils désirent au bureau. Les chercheurs demandent aux producteurs quels sont les postes qu’ils veulent pourvoir. Ce sont les postes de secrétaire, de trésorier et de commissaire aux comptes qui sont pourvus.
283Deux jours après la tenue de cette AG, le GIC se rend compte qu’Ulysse (élu commissaire aux comptes) a déjà un autre GIC, et que cela n’est pas légal, bien que ce GIC ne fonctionne plus depuis longtemps. Par conséquent, Tristan intervient et accompagne les deux hommes à la COOPGIC de Bafoussam pour supprimer l’ancien GIC du commissaire aux comptes et résoudre ce problème. Umar montre ici encore sa capacité à comprendre et utiliser les dispositifs mis à sa disposition.
284L’élection du poste de trésorier crée également des difficultés. Certains acteurs pensent que ce n’est pas le trésorier élu officiellement qui gère effectivement les comptes du GIC. Peu d’acteurs du terrain connaissent la gestion des comptes du GIC, malgré cet effort d’officialisation à travers la mise en place d’un dispositif. Globalement, les questions financières dans les deux groupes sont souvent obscures et délicates à aborder.
3.4 Le dialogue et les tensions entre les dispositifs et les événements
285Nous proposons, dans cette partie, une lecture aller-retour entre les dispositifs et les événements, que nous considérons comme les moteurs du déroulement du projet.
286Un certain nombre de questionnements découlent de cette révision chronologique des dispositifs qui sont établis par les chercheurs au fur et à mesure du déroulement de la RAP. Partant du principe que les dispositifs de cette démarche sont supposés s’adapter à la situation locale pour répondre au plus près aux préoccupations des acteurs locaux, il est important d’identifier les événements, qui succèdent à la mise en place de ces dispositifs. Ceux-ci permettent de dégager le niveau d’intégration du dispositif à la situation locale. Ainsi, nous pourrons émettre des éléments de réponse quant à la pertinence de l’utilisation d’un tel outil pour s’adapter au contexte local, ainsi qu’à sa capacité de réactivité face à des événements imprévus ou non souhaités. Cela suppose également qu’un événement soit identifié comme il se doit, au cours de l’action. Pour ce faire, il faut identifier un acteur compétent et disponible pour prendre ce recul. Cet acteur doit-il être au cœur de l’action ? Doit-il prendre du recul pour adapter son prochain dispositif ? La notion de temporalité entre l’action et la réflexion devient essentielle. Le chercheur doit tirer des leçons des conséquences de ses actions de façon régulière et rapide pour être le plus réactif et précis possible.
287La vocation première d’un dispositif est de poser des règles de fonctionnement afin de prévoir de potentielles stratégies d’acteurs néfastes au déroulement collectif du projet. C’est un outil de prévention. La méconnaissance du contexte local et des stratégies des acteurs vers qui le dispositif se tourne, peut avoir des conséquences qu’il est important d’identifier. Cependant, dans la littérature sur cette notion de dispositif, ce caractère prévisible et policé est gommé pour laisser la place à l’autonomie des acteurs impliqués. Le dispositif deviendrait un cadre idéal pour favoriser l’apprentissage et l’autonomie des acteurs. Est-ce réellement le cas sur le terrain ?
288Certains traits de caractère des dispositifs sont équivalents à des règles de fonctionnement, sous forme de contrôle imposé par un acteur sur un autre. Les rapports de pouvoir et de domination peuvent être exacerbés par ce caractère policé qui peut également provoquer la perte de confiance des acteurs les uns envers les autres. Initialement, à la signature d’un protocole, ou bien à la fin d’une réunion invitant tous les acteurs à émettre leur avis, tous les acteurs s’engagent ensemble dans le but de construire quelque chose en commun. C’est à ce moment-là qu’une confiance devrait s’établir entre les acteurs à travers la signature du protocole. Signer est un geste qui entame un pas vers la confiance. Mais est-ce suffisant ? La signature d’un protocole, en particulier lorsqu’il a un caractère policé, peut également supposer que l’acteur qui a conceptualisé ce dispositif part d’emblée du principe que des dérives sont possibles, et donc, que la confiance n’est pas assez forte. Lorsque des dérives apparaissent après la signature du dispositif policé, le dispositif est renforcé, et tel un cercle vicieux, le dispositif se renforce en même temps que la confiance décroît.
289La phase d’engagement des acteurs est cruciale, et pose les bases dès le départ de la nature de leurs relations. Dans ce cas de RAP, cette phase émerge à la suite d’un diagnostic sur l’intégration de la pisciculture dans les exploitations familiales. C’est sur des critères techniques et logistiques que les chercheurs sélectionnent les zones dans lesquelles ils vont intervenir. Ils identifient les exploitations familiales techniquement capables de développer une activité piscicole, c'est-à-dire ayant des étangs (abandonnés ou non). La seule présence des chercheurs sur le terrain lors du diagnostic attire l’attention des producteurs, qui pour la plupart, désirent travailler avec eux.
290C’est lors de la première réunion de restitution du diagnostic des chercheurs que tout se joue. Les restitutions se déroulent dans trois zones différentes, et c’est à ces endroits précis que sont sélectionnés les futurs participants. Leur sélection se fait sur deux critères principaux. Le premier repose sur la capacité des producteurs à s’organiser collectivement. Les chercheurs, exposent directement cette condition comme primordiale à la mise en place d’un partenariat entre les producteurs et les chercheurs. Une fois les deux critères principaux réunis (la capacité technique et organisationnelle des producteurs à travailler dans le projet) les chercheurs s’engagent et décident de mettre en place leur premier dispositif, c’est-à-dire la convention. Dès l’identification des producteurs, les chercheurs sont conscients que la plupart d’entre eux s’engagent dans le but de toucher des subventions. Pourtant, les chercheurs suivant les conditions de la démarche de la RAP émergeant d’une controverse exclusivement scientifique et inhérente à leur statut, partent du principe qu’ils ne doivent pas distribuer de subvention sur le terrain. Pour eux, l’avantage de leur démarche est de privilégier l’apprentissage et la durabilité des savoirs construits, plutôt que la distribution de subvention considérée comme peu durable. La première controverse arrive à ce moment-là, lorsque les producteurs ne refusent pas cette idée d’acquisition de connaissances techniques, mais comprennent mal le blocage des subventions. Dans la conception des producteurs, l’acquisition de connaissances et de subventions ne sont pas incompatibles. Cette controverse durera tout le temps du projet.
291La convention générale, qui signe le début de la RAP entre les chercheurs et les producteurs, mentionne que le projet fonctionne sans subvention. Malgré le désaccord des différentes parties sur cet article, la convention est signée pour plusieurs raisons. Du côté des chercheurs, le projet est présent et il faut le faire vivre. Ils trouvent cette zone où techniquement il est possible de développer la pisciculture. Du côté des producteurs, ils considèrent avoir de la chance de pouvoir travailler au sein d’un projet, et s’engagent en espérant avoir des retombées favorables sur leur activité. La majorité s’engage en pensant qu’au fur et à mesure, la convention évoluera vers la distribution de subvention.
292Cinq événements sont identifiés comme directement issus des dispositifs qui sont mis en place par les chercheurs. Le refus de vidanger de la part du délégué des producteurs des hautes terres est un exemple riche en enseignements en ce qui concerne la tension qui existe entre les dispositifs et les événements. La vidange des étangs était programmée en août, notamment pour que l’étudiant puisse disposer de ses données à temps pour rendre son mémoire d’ingénieur. Au moment de la signature du protocole, les chercheurs minimisent sans doute l’importance pour les producteurs de vidanger à l’approche des fêtes de fin d’année. À la suite des négociations entre l’équipe de recherche et le délégué des producteurs, un compromis est trouvé, repoussant les vidanges au mois de novembre. Les deux parties trouvent leur compte, puisque par chance, la date de soutenance du mémoire de l’étudiant est retardée. Les producteurs quant à eux, peuvent repousser la date des vidanges à l’approche des fêtes de fin d’année. Cet événement permet aux chercheurs de se rendre compte que la finalité d’un dispositif ne peut pas reposer sur le seul objectif de l’équipe des chercheurs, sans prendre en compte les habitudes des producteurs. Il pose également le problème des perceptions, des représentations et des non-dits lors des négociations entre groupes hétérogènes, et appelle à la prudence. Les producteurs se rendent également compte que les vidanges peuvent se faire à un autre moment de l’année, et que les ventes de poissons ne doivent pas nécessairement être un événement local pour qu’elles soient rentables. En effet, au lieu de faire venir le client sur place pour qu’il achète le poisson, les producteurs reconnaissent maintenant qu’il est possible d’aller vers le client plusieurs fois dans l’année, et de mieux valoriser leur production. L’expérience et l’expérimentation permettent aux producteurs de changer leur perception de la vente. Malgré ce savoir acquis, nous constatons lors de la deuxième mission, que les producteurs maintiennent les habitudes prises avant le projet de RAP.
293Deux événements qui se déroulent en plaine (le retrait de la motopompe et l’échec de l’expérimentation chez Kevin) ne permettent pas de créer des dynamiques et des apprentissages mobilisables dans le processus de la RAP puisqu’ils engendrent une perte de confiance des producteurs vis-à-vis de l’équipe de recherche. Toutefois, les liens entre les chercheurs et les producteurs ne sont pas rompus et des leçons sont tirées.
294Deux événements sont déclenchés par des chercheurs, de leur propre initiative, sans tenir compte du dispositif dont l’un des principes repose sur la transparence entre les membres. La participation, par un technicien appartenant à l’équipe des chercheurs, à un comice avec les alevins du GIC de la Plaine marque fortement le délégué des producteurs de la plaine, et entraîne une perte de confiance. Par la suite, cet événement déclenche la mise en place d’un dispositif, c'est-à-dire une réunion exceptionnelle entre les producteurs et les chercheurs pour clarifier l’événement. Celle-ci aboutit à des excuses de la part du technicien, mais n’apaise pas totalement le délégué trahi.
295Les tensions non-constructives entre les dispositifs et les événements sont souvent dues à un dispositif ou un protocole préparés sans une prise de recul suffisante sur l’action, et ne notifiant pas clairement les perceptions des deux parties. Il faut rappeler que les dispositifs doivent favoriser le dialogue avant de constituer des « garde-fous ». Nous parlons ici de malentendus et des choses qui sont évidentes pour un groupe, mais pas forcément pour un autre. La mise en place d’un protocole écrit, relatant précisément les actions qui seront menées, ne permet pas d’éviter l'arrivée d’un événement imprévu. Cependant, il permet à chaque acteur de s’y référer pour se justifier. L’événement, quant à lui, permet de réajuster les dispositifs, ce qui suppose qu’il soit identifié au cours de l’action et mis en scène.
296Les actions des chercheurs en dehors des dispositifs peuvent avoir des conséquences négatives sur le groupe. Leur implication personnelle auprès des producteurs peut parfois déteindre sur le bon déroulement des dispositifs. Sortir de ce cadre reste toujours un exercice d’équilibre pour les chercheurs. La confiance entre les acteurs semble davantage fructueuse lorsque les uns et les autres honorent et suivent le protocole établi et les engagements pris. La confiance doit également exister entre les membres de l’équipe de recherche, grâce au partage des valeurs de la RAP, telles que la transparence et la circulation de l’information.
297Les dispositifs qui semblent les plus adaptés aux besoins des producteurs sont ceux basés sur le concret et l’expérience. L’événement du refus de vidanger est un bel exemple, et démontre que malgré certains blocages qui paraissent insurmontables, les producteurs ont besoin d’expérimenter pour se rendre compte du bienfait d’une nouvelle technique proposée par les chercheurs. Ceci confirme que les producteurs, et donc potentiellement les futurs acteurs (bénéficiaires) de la RAP, sont sensibles et réceptifs à cette logique d’expérimentation du savoir qui dépasse celle, plus « classique », de la transmission du savoir (Peeters et Charlier, 1999 : 18).
« Distribution des biscuits »
Vendredi 3 mai 2009
Nous allons en plaine dans la famille d’Ulrich. Il doit récupérer des sacs de cendres au village pour son expérimentation sur les poissons. Nous y allons avec le chauffeur. Mais on se rend compte que l’unique route qui accède au village est barrée. Le passage est trop étroit pour la Jeep. Nous abandonnons le chauffeur et la voiture, pour négocier une moto et passer le barrage. À trois sur la moto, nous contournons les flaques et les bosses sous un soleil de plomb. Arrivés au village, nous nous rendons compte que personne n’attendait sa venue avec les sacs de cendres qu’il avait demandés. Les gens du village ne l’attendaient pas à tel point qu’ils ont même oublié de lui dire que la route était barrée pour les voitures. Pourtant, Ulrich reste très content de retourner au village. Il a acheté 50 paquets de biscuits qu’il a mis dans mon sac et qu’il m’a demandé de distribuer à tous les enfants. Je suis gênée de faire la distribution des biscuits aux enfants. Ulrich s’adresse au petit près de moi : « Tu as salué la maman-ci ? » Pas de réponse.
Ulrich : « Si tu veux un biscuit tu salues la maman-ci ! » L’enfant n’ose pas s’approcher de moi et s’accroche à la jambe d’Ulrich. C’est le silence.Ulrich : « C’est de son sac que sortent les biscuits non ? Ce n’est pas moi ! »
L’enfant s’approche encore d’Ulrich et tend ses deux mains vers lui. Ulrich dépose le paquet de biscuits dans sa main et l’enfant tourne le dos, intimidé et content.
Notes de bas de page
1 Cette carte des acteurs est définie par les perceptions réciproques des acteurs eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’une construction méthodologique effectuée par l’auteure.
2 Entretien formel enregistré à Montpellier en juin 2011.
3 Même source.
4 Même source.
5 Entretien formel enregistré à Montpellier en juin 2011.
6 Entretien formel enregistré à Montpellier en février 2011.
7 Entretien formel enregistré à Montpellier en février 2011.
8 Entretien par correspondance écrite en novembre 2019.
9 Entretien formel enregistré sur les hautes terres en octobre 2010.
10 Entretien formel mené sur les hautes terres entre mars et juin 2009.
11 Entretien formel enregistré à Montpellier entre janvier 2010 et septembre 2010.
12 Même source.
13 Même source.
14 Entretien formel enregistré au village Mbwaba entre novembre 2009 et janvier 2010.
15 Entretien informel mené en plaine en octobre 2010.
16 Entretien formel enregistré à Bafoussam en septembre 2010.
17 Entretien formel enregistré à Dschang en octobre 2010.
18 Même source.
19 Le modèle diffusionniste étant précisément remis en question par ceux soutenant la démarche de Recherche-Action.
20 Entretien formel enregistré à Montpellier en juin 2011.
21 Entretien formel enregistré à Montpellier en janvier 2011.
22 Entretien formel mené dans les hautes terres entre mars et juin 2009.
23 Entretien formel enregistré dans les hautes terres entre septembre et novembre 2010.
24 Entretien formel enregistré dans les hautes terres en octobre 2010.
25 Entretien formel enregistré dans les hautes terres entre octobre et novembre 2010.
26 Entretien informel mené en plaine entre octobre et novembre 2010.
27 Entretien formel enregistré dans les hautes terres entre octobre et novembre 2010.
28 Entretien formel enregistré en plaine entre octobre et novembre 2010.
29 Terme local pour qualifier quelqu’un d’ingénieux, d’intelligent ou de dégourdi.
30 Terme local.
31 Ici, le désengagement se manifeste davantage par une perte de motivation et un investissement moindre dans et pour le GIC. Ce qui explique qu’aucun membre du GIC des Hautes Terres n’ait quitté complètement son statut de membre officiel.
32 Entretiens informels menés auprès des producteurs des hautes terres et de la plaine durant les deux missions.
33 Entretiens informels menés auprès des producteurs des hautes terres et de la plaine durant les deux missions.
34 Entretien formel enregistré avec l’ancien délégué, Quentin, en plaine entre avril et mai 2009.
35 Entretien formel enregistré au village Mbwaba entre novembre 2009 et janvier 2010.
36 Même source.
37 Entretien formel enregistré à Montpellier entre janvier 2010 et septembre 2010.
38 Entretien formel enregistré à Bafoussam en septembre 2010.
39 Entretien formel enregistré à Yaoundé en septembre 2010.
40 Terme utilisé par les théoriciens de la RAP.
41 Terme utilisé par les théoriciens de la RAP.
42 Entretien informel mené en plaine entre septembre et novembre 2010.
43 Fosses pour y déposer les déchets organiques et fabriquer un fertilisant naturel.
44 Engraissement du bétail, surtout bovin, sur prairies (source : dictionnaire encyclopédique Larousse, 1979).
45 Entretien formel enregistré à Montpellier entre janvier 2010 et septembre 2010.
46 Entretien formel enregistré dans le village Senoufo entre novembre 2009 et janvier 2010.
47 Même source.
48 École nationale supérieure agronomique de Toulouse.
49 Programme sous la tutelle du ministère de l’agriculture.
50 Les étangs de pisciculture en plaine se remplissent d’eau par inondation, les pisciculteurs considèrent donc que leurs étangs ne sont pas stagnants. Ceci entraîne une non maîtrise de l’alimentation des étangs en eaux et les mettent donc dans une situation d’incertitude concernant leur pisciculture.
51 Source : littérature grise et documents de travail.
52 Terme employé par les producteurs.
53 Ibid.
54 Op. cit.
55 Mbonji Edjenguèlè, 2005, L’ethno-perspective ou la méthode du discours de l’ethno-anthropologie culturelle, Yaoundé, Presses universitaires de Yaoundé, 138 p.
56 Degenne Alain et Forsé Michel, 1994 : Les réseaux sociaux : une analyse structurale en sociologie, Paris, Armand Colin, 288 p.
57 Étangs traditionnels.
58 Trous creusés par les éléphants.
59 Terme employé par les pisciculteurs de la plaine comme synonyme de rentabilité, de développement économique, de maîtrise des savoirs, de facilité, de richesse, d’amélioration des conditions de vie, et de mécanisation via l’utilisation d’une motopompe pour vidanger les étangs par exemple.
60 « On entend par totem [pî] tout animal qui, de manière mystique, porte une partie de l’âme humaine [...] À travers son totem, une personne peut agir, voyager, faire de la chasse ou rester en faction, etc. » (Toukam, 2016 : 205).
61 Une réunion est effectuée dans chaque village, ainsi qu’une autre réunion réunissant les deux villages.
62 Poisson d’eau douce portant six longs barbillons autour de la bouche. Le poisson-chat est un silure (source : dictionnaire encyclopédique Larousse, 1979).
63 Cinq réunions ont été effectuées en novembre 2005 avec les deux GIC.
64 Source : « Rapport d’avancement 1 » de l’ATP, 2005.
65 Poisson végétarien des eaux douces tropicales, souvent élevé en étangs pour l’alimentation humaine (source : dictionnaire Larousse en ligne).
66 Poisson du Nil et des fleuves de l’Inde, qui peut respirer hors de l’eau. Famille des siluridés (source : dictionnaire encyclopédique Larousse, 1979).
67 « La densité optimale d'empoissonnement d'un étang de pisciculture est la quantité de poisson placée dans le milieu en début d'élevage qui permet d'obtenir en fin de cycle le meilleur résultat économique. » (Source : encyclopédie Aquatrop CIRAD, en ligne).
68 Terme employé par le délégué de la plaine pour faire référence aux générations précédentes de pisciculteurs dits « traditionnels ».
69 Terme scientifique du tilapia du Nil.
70 Matières fécales (source : dictionnaire encyclopédique Larousse, 1979).
71 Mélange de grains et de fourrages hachés, pour bestiaux (source : ibid.).
72 Source : Littérature grise et documents de travail.
73 Nappe de filets de pêche formant une muraille et délimitant sur le fond un demi-cercle (source : dictionnaire encyclopédique Larousse, 1979).
74 Source : littérature grise et documents de travail.
75 Source : littérature grise et documents de travail.
76 Même source.
77 Même source.
78 Source : littérature grise et documents de travail.
79 Groupe de discussion collective (même source).
80 Source : littérature grise et documents de travail.
81 Entretien formel enregistré à Yaoundé en septembre 2010.
82 Entretien formel enregistré à Yaoundé en septembre 2010.
83 Entretiens informels menés auprès des producteurs de la plaine et des hautes terres durant les deux périodes de mission.
84 Même source.
85 Entretien formel enregistré en plaine entre septembre et novembre 2010.
86 Entretien formel enregistré sur les hautes terres en mars 2009.
87 Entretien formel enregistré à Bafoussam en septembre 2010.
88 Même source.
89 Entretien formel enregistré à Paris entre juin et novembre 2009.
90 Même source.
91 Entretien formel enregistré à Bafoussam en septembre 2010.
92 Entretien formel enregistré en plaine entre septembre et novembre 2010.
93 Entretien formel enregistré à Dschang entre octobre et novembre 2010.
94 Entretien formel enregistré à Yaoundé entre septembre et octobre 2010.
95 Entretien formel enregistré à Dschang entre octobre et novembre 2010.
96 Entretien formel enregistré à Bafoussam en septembre 2010.
97 Entretien formel enregistré sur les hautes terres entre octobre et novembre 2010.
98 Entretien formel enregistré à Yaoundé en septembre 2010.
99 Entretien formel enregistré à Dschang entre octobre et novembre 2010.
100 Entretien formel enregistré à Yaoundé en septembre 2010.
101 Entretien formel enregistré à Bafoussam en septembre 2010.
102 Même source.
103 Entretien formel enregistré à Yaoundé entre septembre et octobre 2010.
104 Entretien formel enregistré en plaine en octobre 2010.
105 Entretien formel enregistré à Yaoundé entre septembre et novembre 2010.
106 Entretien formel enregistré à Montpellier en février 2011.
107 Entretien formel enregistré à Yaoundé entre septembre et octobre 2010.
108 Entretien formel enregistré à Dschang entre octobre et novembre 2010.
109 Entretien formel enregistré à Montpellier en juin 2011.
110 Entretien formel enregistré sur les hautes terres entre octobre et novembre 2010.
111 Entretien formel enregistré à Montpellier en juin 2011.
112 Entretien formel enregistré à Dschang entre octobre et novembre 2010.
113 Entretien formel enregistré à Bafoussam en septembre 2010.
114 Entretien formel enregistré sur les hautes terres entre octobre et novembre 2010.
115 Entretien formel enregistré en plaine entre octobre et novembre 2010.
116 Entretien formel enregistré à Yaoundé en septembre 2010.
117 Entretien formel enregistré à Yaoundé en septembre 2010.
118 Terme employé par Pierre.
119 Entretien formel enregistré à Dschang entre octobre et novembre 2010.
120 Entretien formel enregistré sur les hautes terres entre octobre et novembre 2010.
121 Même source.
122 Entretien formel enregistré à Rennes en décembre 2010.
123 Même source.
124 Terme employé par les producteurs.
125 Entretien formel enregistré en plaine entre octobre et novembre 2010.
126 Même source.
127 Même source.
128 Entretien formel enregistré à Yaoundé en septembre 2010.
129 Même source.
130 Entretien formel enregistré à Montpellier en février 2011.
131 Entretien formel enregistré à Paris entre juin et novembre 2010.
132 Entretien formel enregistré à Dschang en octobre 2010.
133 Intitulé du protocole mis en place.
134 Entretien formel enregistré à Dschang en octobre 2010.
135 Entretien formel enregistré en plaine en octobre 2010.
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