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La double figure du pauvre a-territorial et hyper territorialisé dans la ville néolibérale. L’exemple de Montpellier

p. 279-293


Texte intégral

Introduction

1La compétition inter urbaine, l’internationalisation des villes et la globalisation grandissante des projets urbains participent depuis plus de deux décennies à la définition de nouveaux référentiels de l’action publique. Ces derniers, inscrits dans une dynamique néo-libérale1, produisent des formes inédites de territorialisation des politiques urbaines. Dans une perspective de géographie sociale, nous entendons par territorialisation des politiques urbaines les processus d'appropriation, de contrôle, de transformation physique et symbolique de l'espace et considérons celui-ci dans sa dimension politique (Lefebvre ; Di Méo, Buléon, 2005). L’espace est un objet de luttes et de domination sur lequel s’exercent des pouvoirs, des idéologies et des intérêts cherchant à s'affirmer, se renforcer ou se maintenir en se territorialisant. Notre hypothèse principale est que la territorialisation des politiques urbaines néo-libérales se réalise aux dépens d’autres formes de territorialisation, la territorialisation par les pratiques et les représentations des citadins les plus vulnérables, ceux des quartiers populaires (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Nous défendons la thèse d'une conception urbaine sous-tendue par des visées néo-libérales autour d'un projet de ville internationale, compétitive et performante s’incarnant dans des « processus de destruction créative » (Harvey, 2011) : la création de nouvelles territorialités citadines dans les espaces de la (re)conquête néo-libérale au détriment des espaces et des formes de territorialisation des habitants pauvres.

2La territorialisation des politiques urbaines néo-libérales vise à adapter villes et métropoles aux conditions du capitalisme dans un contexte de globalisation économique (Hackworth, 2007 ; Harvey, 2014 ; Peck, Theodore, Brenner, 2009). Cette territorialisation prend la forme d’un double mouvement qui tend à articuler deux figures de la ville néo-libérale : la ville internationale et la ville socialement mixte. D’un côté, les stratégies de développement économique déployées cherchent à attirer capitaux, entreprises internationales et salariés les plus qualifiés dans des espaces urbains compatibles avec les critères de la compétition économique mondiale. Les centres villes et les espaces supposés attractifs (fronts d’eau, quartiers historiques) font ainsi l’objet d’aménagements donnant la part belle aux mégaprojets et aux opérations dans l’immobilier d’affaires, résidentiel et touristique. De l’autre, dans cette adaptation des espaces urbains à la compétition mondiale, il s’agit de rendre conforme les espaces de la pauvreté aux conditions de la globalisation (Wilson, 2007), notamment par l’éviction et la dispersion des habitants pauvres. Les politiques mises en œuvre relèvent plus largement d’une restructuration de l’État providence et de ses outils traditionnellement à l’œuvre dans la gestion et l’aménagement des quartiers pauvres. En France, la politique de la ville2 a fait l’objet d’importants changements avec la Loi Borloo (2003)3, introduisant les principes de la rénovation urbaine et de la mixité sociale des quartiers dits « sensibles », euphémisation et stigmatisation des quartiers pauvres. Elle participe d’abord d’une reconfiguration institutionnelle et territoriale des modalités d’intervention de l’action publique dans « les quartiers » (Epstein, 2005). Elle considère ensuite les pauvres de façon paradoxale au travers de la double figure du « pauvre a-territorial » (les habitants pauvres représentés à partir d’indicateurs socio-économiques) et du « pauvre hyper territorialisé » (figure fondée sur des représentations fantasmées des pauvres et de leur enfermement dans des quartiers « sensibles »). Cette double acception du « pauvre » élude la question pourtant centrale de la complexité des rapports à l’espace urbain et à la citoyenneté. Ce double déni interroge la place et la voix des pauvres dans les politiques urbaines contemporaines et le poids des représentations à l’œuvre.

3Derrière ces interrogations, il s’agit de questionner l’urbanisme comme idéologie et instrument dans la construction des rapports territorialisés de domination et la reproduction d’intérêts et de valeurs de classes dans le contexte de la mondialisation néo-libérale et simultanément d’une compétition accrue entre les territoires urbains (Smith, 2002). Nos propos se situent dans le courant d’une géographie sociale française renouvelée (Séchet, Veschambres, 2006) qui, à l’instar de géographes anglo-saxons (Harvey, Smith, Marcuse), se veut « radicale » en intégrant une dimension critique dans l’analyse des rapports espace/pouvoir/sociétés. Nous situons aussi le débat sur un plan éthique à travers le réinvestissement de la notion de « droit à la ville » qui, depuis Henri Lefebvre et ses écrits dans les années soixante-soixante-dix, n’a pas perdu de son actualité ni de sa force scientifiques (Harvey, 2015), et celle de « luttes urbaines » travaillée par Manuel Castells (1973). Le « droit à la ville » se manifeste dans des luttes qui expriment à la fois « l’exigence sociale historiquement définie d’une série de droits à la vie (logement, équipement, santé, culture, etc.) » (Castells, 1973), une demande de reconnaissance des formes et rythmes de la vie quotidienne souvent bouleversés sous couvert d’aménagement ou d’organisation de l’espace, et une revendication pour un « droit collectif de produire la ville pour les besoins du peuple et non la dépossession quotidienne par les politiques urbaines menées par l’État et les classes dominantes à leur profit » (Clerval, 2011). Cela pose d’une manière plus générale la question de l’habitabilité du monde, d’un monde humainement habitable, dont l’une des conditions premières passe par la reconnaissance des pauvres en tant qu’habitants et citoyens de ce monde.

4Pour répondre à ces questionnements, nous proposons une analyse en trois temps. Nous aborderons en premier lieu les représentations des pauvres qui sous-tendent les politiques urbaines à travers l’analyse des catégorisations à l’œuvre. Puis nous verrons que ces catégorisations s’expriment tout aussi bien dans le projet de la ville internationale (« Montpellier la surdouée ») que dans celui de la ville socialement mixte. Nous terminerons en illustrant nos propos à travers l’exemple du projet urbain de la ville de Montpellier, qui s’affiche comme une figure syncrétique de la ville internationale et performante (« Montpellier la surdouée ») et de la ville socialement mixte et solidaire. Double affichage certes, mais notre hypothèse est que le projet de la ville socialement mixte (et son bras armé la mixité sociale) sert en premier lieu celui de la ville internationale.

La double figure du pauvre a-territorial et hyperterritorialisé

5De manière paradoxale, les politiques urbaines considèrent les pauvres à partir de deux figures opposées, celle du pauvre a-territorial et celle du pauvre hyperterritorialisé.

6Dans le cas de la figure du « pauvre a-territorial », l’approche de la pauvreté est statistique et quantitative à partir d’« indicateurs socio-économiques clés » (chômage, niveau de revenus, etc.). Cette approche conduit, dans le cadre des politiques sociales de droit commun, à identifier des individus ou des ménages pauvres indifféremment de leur lieu de résidence et de leurs espaces de vie. Dans celui de la politique de la ville en France, fondée sur une géographie prioritaire4, ce sont des « périmètres » qui sont identifiés à partir de ces critères en vue de l’intervention urbaine. Cette politique n’en évince pas moins l’idée de possibles formes de territorialisation par les pauvres. Le « quartier prioritaire » est d’abord statistique, il n’est aucunement approché comme un espace social ordinaire et familier, d’appropriations, construit au quotidien à travers des relations de proximité, d’interconnaissances, des sociabilités, des formes d’attachement et des appartenances, qualifié par l’habiter des hommes et des femmes qui y vivent. « Le pauvre » y est mécaniquement appréhendé sans ancrages, a-territorial.

7La figure du pauvre hyperterritorialisé est particulièrement opérante en France dans la politique de la ville depuis les années quatre-vingt-dix et est largement mobilisée dans la rhétorique des projets de rénovation urbaine. Elle repose sur des représentations simplifiées et fantasmées des habitants des quartiers populaires, largement prégnantes à travers toute une « dramaturgie politique et médiatique » (Vieillard-Baron, 2011). Les quartiers populaires, et en particulier les grands ensembles d’habitat collectif édifiés dans les années soixante-soixante-dix, sont perçus avant tout comme des espaces d’enfermement, de pratiques captives, de repli sur soi. L’enfermement social (associé à un enfermement culturel et « ethnique » dans des quartiers fortement marqués par l’immigration) serait renforcé par un « enclavement spatial », dans une vision spatialisante qui déduit le social des formes urbaines de manière mécanique et déterministe : en l’occurrence ici, un urbanisme de tours et de barres qui enclaveraient le quartier et partant ses populations. Soyons clair, il ne s’agit pas de nier les ségrégations territoriales, mais de sortir de la figure de l’enclavement qui sous-tend largement l’action urbaine dans les quartiers populaires. Pour cela, il importe d’interroger d’une part la production institutionnelle des discriminations sociale et « ethnique » produisant ces ségrégations (Valérie Sala-Pala, 2005, 2013), et d’autre part les amalgames prégnants dans les représentations communes et opérant dans l’action urbaine, qui donnent une large visibilité aux cités de banlieue en les stigmatisant et « s’oppose(nt) largement à l’intelligibilité » (Vieillard-Baron, 2011, p. 39).

8Ces représentations ont largement à voir avec l’ethnicisation des populations issues de l’immigration postcoloniale (Benbessa, 2010). Représentations communes qui réduisent dans un même mouvement habitants et quartiers pauvres à une ethnicité territoriale supposée (Lorcerie, 2009) et dangereuse pour la république française. Nombre de stéréotypes assignent les immigrés post-coloniaux et leurs descendants au rôle d’assisté, de famille à problème, de jeune violent, de terroriste en puissance, de femme voilée et opprimée (Guénif-Souilamas, 2010). La figure du ghetto, instrumentalisée dans les politiques urbaines de manière généralement ambiguë, à profusion et à contre-emploi, syncrétise l’enclavement à la fois social, ethnique et spatial (Wacquant, 2007). Elle trouve un écho dans une autre figure de plus en plus en vogue et banalisée dans le langage politique, les médias et l’action urbaine, celle du « communautarisme » (Nancy, 2002 ; Targuieff, 2008). Cette figure associe le ghetto à un potentiel de dangerosité lié à une volonté des habitants des quartiers populaires de se dissocier du reste de la société autour de valeurs renvoyant à un islam radical justifiant en creux les stratégies d’entre soi des classes moyennes.

Derrière le pauvre, l’habitant et le citoyen

9Alors qu’elles paraissent paradoxales, ces deux représentations du pauvre, a-territorial ou hyperterritorialisé, aboutissent à un même résultat : l’invisibilisation de l’habitant et du citoyen.

10Nous donnons à la notion d’habitant une force théorique alors qu’elle en est souvent dépourvue (l’habitant comme « coquille vide », Neveu citée par Lafaye, 2001) en la rapportant à la notion de l’habiter. Rappelons que dans les années soixante Henri Lefebvre s’est fait le passeur de cette notion de la philosophie (Heidegger, Bachelard) vers les sciences sociales (Paquot, Lussault, Younès, 2007) dans une critique de l’urbanisme fonctionnaliste des trente glorieuses qu’il conçoit comme une forme d’urbanisme d’État au service des intérêts capitalistes (« le jouet d’un pouvoir centralisateur ») et aux dépens de la vie quotidienne (Gintrac, 2012). Expression primordiale constitutive de l’être humain, l’habiter ne peut se réduire à des actes fonctionnels (résider, travailler, se déplacer, se récréer). Cette notion a depuis été largement investie par la géographie sociale dans son interrogation sur les pratiques et les représentations de l’espace, privé ou public, du domicile au monde, en explorant les multiples dimensions de l’habiter (sociales, matérielles, temporelles, identitaires, affectives, mémorielles ou encore sensibles). La géographie humaine anglo-saxonne interroge plus spécifiquement la dimension d’intimité des rapports à l’espace, définissant le lieu comme « une condition existentielle de l’expérience humaine », « homologue et constitutif de soi », impliquant à la fois « la capacité subjective de participer d’un environnement et la capacité objective de pouvoir observer un environnement comme étant externe et séparé de soi (...) » (Entrikin, 2003, p. 556).

11L’invisibilisation des pauvres en tant qu’habitants peut être interrogée en termes de déni de l’habiter. Elle revient à occulter les significations qualifiantes que les habitants pauvres confèrent à leurs espaces de vie — et plus globalement aux espaces urbains — et la hiérarchisation de leurs attentes et de leurs priorités. Invisibiliser les habitants pauvres, c’est donc nier la complexité de leur habiter et nier leur territorialité. Mais simultanément c’est aussi les nier dans leur droit. Cette question du droit peut être considérée plus globalement en convoquant la notion de « droit à la ville » déclinée dans ses trois dimensions : 1 — « droit à la vie » renvoyant aux conditions matérielles de l’existence (logement, équipement, santé, culture, etc.) (Castells, 1973) ; 2 — « droit à l’habiter » pour reprendre l’expression de Michel Sivignon (1993) qu’il interprète comme un droit au lieu (« celui de continuer à vivre dans la terre où on est né et avec laquelle on nourrit des liens matériels et symboliques ») mais qui pose plus largement la question de la reconnaissance des formes et rythmes de la vie quotidienne (Lefebvre, Castells) ; 3 — « droit collectif de produire la ville pour les besoins du peuple » et non pour les besoins du capitalisme, des classes dominantes et leur reproduction (Lefebvre). Poser la question du droit des habitants pauvres revient ainsi à poser la question de leur reconnaissance en tant que citoyen à part entière, dans leur « conscience » et leur « compétence » d’habitants » (Raymond et al., 1966). C’est ainsi poser la question de leur expression politique et de leur participation à la conception des politiques urbaines (Giband, Siino, 2013).

La représentation des pauvres dans la ville internationale et la ville socialement mixte

12Les politiques urbaines croisent deux figures, celle de la ville internationale et celle de la ville socialement mixte, dans lesquelles les deux représentations du pauvre a-territorial et hyper-territorialisé sont opérantes. Et c’est au profit d’une autre figure imaginaire, celle de l’habitant moyen et éduqué, que les politiques urbaines occultent les citadins pauvres, dans leur habiter et leur citoyenneté.

13Dans la ville internationale, les espaces des habitants pauvres sont des espaces concédés, on les y tolère jusqu’à ce que ces espaces deviennent stratégiques dans la mise en œuvre de la compétition urbaine hissée au rang d’intérêt général. Ces espaces sont alors soumis à un urbanisme de reconquête, qu’il s’agisse de quartiers centraux ou péri-centraux, ou encore de zones de friches industrielles, portuaires, urbaines... L’habitant pauvre n’a pas de place dans le projet de la ville internationale, il y est perçu comme un handicap et un risque pour la ville et ses ambitions de rayonnement et de développement économique dans le contexte d’une mondialisation néo-libérale. Dans ces politiques, l’habitant convoqué appartient, au moins pour les pays occidentaux, à une classe moyenne « blanche », éduquée et considérée comme homogène dans ses aspirations, ses pratiques et ses représentations. L’habitant moyen devient un enjeu comme producteur, consommateur, spectateur et supporter de la ville néo-libérale en train de se faire (Tomas, 1995) : il y adhèrerait sans équivoque. Du reste, à la fois imposable et salarié qualifié, considéré comme un acteur de l’innovation et de la croissance économique de la ville (selon la théorie de la « classe créative » développée par Richard Florida, 2002), les aménageurs cherchent à l’attirer en faisant de la qualité du cadre de vie un des enjeux majeurs de l’action urbaine et en créant des espaces qui seraient conformes à leurs attentes : quartiers centraux réhabilités et patrimonialisés, éco-quartiers, nature en ville, transports doux, espaces publics esthétisés, grands équipements culturels, technopôles réservées à l’économie du savoir et de la connaissance.

14Dans ce projet de ville, la promotion de la figure de l’habitant moyen vertueux ne se contente pas d’invisibiliser les pauvres, elle renforce les conditions d’exclusion des habitants les plus en difficultés. Voilà le profil de l’habitant convoité que la ville de Nîmes a rédigé dans son dossier de candidature (2013) pour le concours national du label national « écocité » :

Six heures, Maxime se réveille. Enseignant chercheur en poste à l’université de Nîmes depuis deux ans, il a trouvé à se loger dans ce quartier du centre ville à deux pas de l’université, ce qui lui laisse le temps d’aller faire son jogging avant le démarrage de la journée [...] Martine s’apprête à partir avec sa fille aînée. Elle travaille à Montpellier dans une petite maison d’édition.

15Loin de la réalité d’une ville marquée, avant tout, par la pauvreté et l’exclusion.

16Dans la ville socialement mixte, on pourrait penser que le projet urbain est en total décalage avec celui de la ville internationale. En effet, il affiche une intention de solidarité urbaine à travers l’enjeu de mixité sociale (cohabitation des catégories populaires et moyennes) et donc celui d’une ville pour tous et intégratrice. La mixité sociale est considérée comme vertueuse parce qu’elle permet aux habitants pauvres de côtoyer les classes moyennes éduquées. L’impact serait triple : 1 — l’éducation des classes populaires au contact des classes moyennes (« blanches ») qui incarnent le modèle d’habiter conforme au projet de ville internationale (mobilité, ouverture, consommation, culture.) ; 2 — l’accès à la ressource que représenterait ces mêmes catégories sociales pour les habitants les moins aptes à s’intégrer, en particulier l’accès à l’emploi grâce à leur médiation ; et 3 — l’assurance d’une cohésion sociale.

17Dans ce projet de la ville socialement mixte, le quartier populaire est perçu comme un ghetto, incarnant à la fois l’exclusion sociale et économique, des conditions de vie forcément désastreuses, une forte insécurité, les violences urbaines, et faisant peser un risque sur la société toute entière. L’intervention urbaine vise à y introduire la mixité sociale ; elle prend la forme d’actions de normalisation spatiale pour les rendre séduisants et attractifs auprès des classes moyennes et pour organiser leur accueil (ce que R. Epstein, 2005, qualifie de « mise à la moyenne »). À travers des programmes de réhabilitation de l’habitat ancien (opérations incitatives et coercitives) dans des centres-villes aujourd’hui élargis aux faubourgs des débuts du xxe siècle, combinées à des actions patrimoniales. Ce sont ici plutôt les classes moyennes supérieures qui sont visées. Dans les grands ensembles d’habitat collectif des années soixante-soixante-dix, l’intervention urbaine prend la forme de programmes de démolition et de diversification de l’habitat. Et dans les deux cas, ces opérations impliquent la relocalisation des habitants pauvres, avec ou sans relogement, qui s’apparente souvent à une éviction sous contrainte.

18En France, la « refondation » en 2003 de la politique de la ville, avec le programme national pour la rénovation urbaine (loi « Borloo »), s’est accompagnée de l’affirmation du discours, porté par le ministre même de la ville, autour de l’ambition de « casser les ghettos », de les casser physiquement pour en casser l’image négative, celle d’un modèle urbanistique daté mais surtout stigmatisé parce qu’il est associé aux catégories populaires issues des immigrations post-coloniales. Il s’agit de « casser » plutôt que d’interroger comme dysfonctionnement la production institutionnelle et médiatique de ces images. Une vision largement partagée à droite comme à gauche, Marie-Noëlle Lienemann, nommée en 2001 secrétaire d’État au Logement, dans un gouvernement de gauche, avait déjà affirmé la nécessité de démolir les logements sociaux dans un appel radical à « casser les ghettos » (Houard, 2012, 36) ; récemment, après les attentats de janvier 2015 en France, c’est la même litanie du ghetto qu’il faut casser qui est martelée par le gouvernement de Manuel Valls.

19Cette vision stigmatisante de l’enclavement fait tout autant consensus auprès des élus locaux qui adhèrent largement au programme national et le mettent en œuvre dans leur commune, expliquant sans doute le succès de la rénovation urbaine des quartiers populaires en France, autant que l’inscription du programme dans une logique managériale et de course au financement auprès d’un guichet unique et centralisé (l’agence nationale pour la rénovation urbaine) (Epstein, 2005). Dans ce cadre institutionnel nouvellement défini en 2003, la gestion de la « diversité culturelle » (euphémisation de la réalité socio-ethnique), appréciée sous les oriflammes de « la ville cosmopolite », apparaît comme un objectif vertueux de villes aux ambitions internationales, autant qu’un atout pour la « bonne gestion » du « vivre ensemble » ; euphémisation désignant une vision pacifiée des rapports sociaux dans l’espace urbain.

20En France, l’heure n’est plus, au titre de la politique de la ville, à établir les conditions du développement social urbain mais, depuis la loi Borloo de 2003, à effectuer un « traitement radical » des territoires de la relégation pour lutter contre des processus de « ghettoïsation » et faciliter « le vivre et le faire ensemble ». Dit en d’autres termes, l’obsession du traitement du spatial supplée l’incapacité à penser le social. Accaparé par les politiques de gauche comme de droite, le vivre ensemble est devenue une injonction floue, politiquement correcte, à laquelle on associe des mots valises aux vertus rarement interrogées : proximité, mixité, cohésion sociale, démocratie locale (Giband, 2011). Dans cette dévotion pour la proximité, la mixité ou la cohésion sociale, l’habitant est partout et nulle part, désignant des collectivités imprécises (cité, quartier, communauté) et sert de métaphores au traitement incertain du local. De droite ou de gauche, l’injonction peine à masquer l’indigence des procédures et l’incapacité des acteurs de la politique de la ville à aborder la réalité des changements sociaux et culturels dans ces « territoires de la relégation », particulièrement depuis les émeutes urbaines de 2005. Celles-ci apparaissent à l’analyse comme le symptôme violent d’une inaptitude à comprendre et à agir sur la réalité des changements d’une partie de la société urbaine qui se sent exclue du pacte républicain (Mucchielli et Le Goaziou, 2006).

21On voit bien que la ville socialement mixte, présentée comme gage de solidarité et moyen d’améliorer les conditions de vie des pauvres en ville, s’apparente au projet d’une ville « moyennisée » sous lequel affleure l’enjeu de la ville internationale compétitive, à la fois ville pacifiée, sécurisée et performante. L’image et le marketing urbain dans ce projet de ville comptent au premier plan puisque la performance y est associée à l’attractivité et au rayonnement métropolitains. Les pauvres et leurs quartiers ne peuvent y avoir de place, sinon invisibilisés ou comme faire-valoir d’un cosmopolitisme urbain à travers une mixité sociale qui serait mécaniquement vertueuse et garante de cohésion sociale. Au final, la « moyennisation » de la ville passe par un lissage des différences socio-culturelles aux dépens des habitants pauvres. Ce faisant, le « bien vivre ensemble » prôné dans le modèle de la ville « moyennisée », renvoie à la figure paradoxale d’une citoyenneté pacifiée.

22Double paradoxe puisque la mise en œuvre des politiques urbaines dans les quartiers populaires se réalise sans y associer les habitants, et sans les associer plus globalement à la construction collective d’un projet de ville (le « droit à la ville » au sens d’Henry Lefebvre). Les habitants pauvres ne sont pas écoutés quand ils sont en colère, mobilisés et politisés face à des projets de rénovation urbaine en décalage avec leurs attentes (Deboulet, 2010). Les mobilisations valorisées sont celles qui s’inscrivent dans des actions sans heurts, cadrées et financées par la politique de la ville. La « maîtrise d’usage » de l’habitant (mais aussi l’« expertise populaire », l’« expertise d’usage », ou les « compétences d’usage », Comité d’évaluation et de suivi de l’ANRU, 2008, 2010) est quelques fois convoquée pour identifier des dysfonctionnements ponctuels (voirie, poubelles, etc.) ou concevoir des aménagements temporaires. Des actions mémorielles sont également conduites dans le cadre d’associations intégrées au processus de rénovation urbaine mais déconnectées de la sphère du logement pour mettre en récit l’histoire du quartier ouvrier ou de sa trajectoire migratoire. Mais les habitants ne sont nullement entendus sur les principes mêmes de la rénovation urbaine : à savoir la démolition et le relogement (au nom de la mixité sociale) qui sont pourtant au centre des préoccupations dans la mesure où ils impactent fortement leurs existences et leurs lieux de vie. La logique de la « participation » institutionnelle dans la rénovation urbaine consiste au final en une « mise en acception » des projets pour éviter les blocages et avancer dans les programmes (Noyer Jacques et Raoul Bruno, 2008).

Le projet urbain contre les pauvres ? Montpellier, figure syncrétique de la ville internationale et performante et de la ville socialement mixte

23Montpellier est un exemple intéressant en France et en Europe d’une ville qui, depuis le milieu des années soixante, s’est engagée dans un processus d’internationalisation via son projet urbain tout en affirmant une ambition de mixité sociale. La construction d’un projet de ville internationale, socialement vertueuse, se met en place dès 1977 avec l’arrivée d’une coalition de gauche qui articule le développement des industries à haute technologie (comme IBM puis DELL), l’attraction de travailleurs du savoir et des « classes créatives », à un projet urbain ambitieux reposant sur des stratégies de marketing élaborées couvrant trois décennies ; modèle en quelque sorte de ville idéale qui cumule les attraits d’une Sunbelt city à la française et les caractéristiques d’une ville du savoir (Jones A., Williams L., Lee N., Coats D. & Cowling M. 2006), ville surdouée (comme l’indiquait son slogan dans les années 1980) pour les sciences, la recherche, la culture, l’urbanisme ou encore la qualité de vie.

24Montpellier peut d’abord être appréciée comme une ville paradoxale. Classée seconde en France pour son taux de croissance démographique et première pour l’attraction des travailleurs du savoir (ingénieurs, créatifs, universitaires, artistes, etc.), la ville est également l’une des plus pauvres de France (5e parmi les agglomérations de plus de 300 000 habitants) et l’une dans lesquelles les inégalités sociales sont élevées. En 2010, 25 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté (INSEE, 2010), le taux de chômage des 25-64 ans y est quasiment le double de la moyenne nationale (19,1 %). Les cartes de la répartition des revenus aux échelles municipales et intercommunales donnent à lire une forte segmentation sociale entre riches et pauvres. L’écart entre les plus riches et les plus pauvres y est de 1 à 11 (Algoé, 2012) contre une moyenne nationale de 1 à 8. Ce projet au long cours de ville internationale (aux appellations diverses et changeantes au gré des modes urbanistiques et politiques) articule deux processus inter reliés : un imaginaire politique et un urbanisme narratif. Ces deux processus participent d’une même stratégie qui vise depuis le mi-temps des années soixante-dix à attirer les investisseurs, à répondre aux besoins de ce que Scott qualifie de « capitalisme culturel cognitif » (Scott, 2014), c’est-à-dire un mode de développement capitaliste qui repose sur le développement des emplois hautement qualifiés et sur la croissance de secteurs cognitifs (privés : informatique, pharmaceutique, biomédical, etc., et public : recherche, enseignement supérieur, arts, culture) mêlant haute technologie, recherche publique et secteurs culturels.

25Cette stratégie de ville internationale inscrit les habitants pauvres de Montpelier dans un double processus alternant mise en visibilité et en invisibilité au gré des enjeux du projet urbain et économique.

26L’invisibilité tout d’abord. L’articulation forte, dès 1983, d’un projet urbain aux techniques du marketing territorial (« Montpellier ville surdouée » qui tient lieu de proclamation et d’autocélébration) marque une accélération dans le processus d’internationalisation. Le projet de « Montpellier ville surdouée » inaugure un agenda politique dans lequel la place de la culture, en plus de la recherche et de la haute technologie, devient un élément moteur de la fabrique de la ville ; au moment où les travailleurs du savoir constituent une part significative de la population et de l’électorat de la ville. La construction ou la rénovation de grands équipements culturels (opéra, musée Fabre, le Corum, école des beaux-arts), la transformation du centre historique, la mise en place d’un réseau de tramway associant technologie verte et design (par le recours à de grands couturiers et à des créatifs), la multiplication des éco-quartiers, le projet d’éco-cité5, etc., participent d’une même ambition de « métropolisation » par recours à la transformation des espaces de la ville et à l’attraction de nouveaux résidents. Mais le projet ne se contente pas d’attirer une population de cadres, de chercheurs ou de créatifs, il s’agit de promouvoir via un urbanisme narratif (misant autant sur les réalisations que sur les outils de promotion et de communication à valeur imageante à partir d’un projet urbain scénarisé) un imaginaire urbain (celui d’une ville toujours en devenir dans laquelle « les architectes ne dorment jamais ») où l’on promeut de nouvelles figures de citoyens. Celles de citoyens éduqués et connectés, ouverts à la diversité culturelle, vecteur d’images positives : tolérance, durabilité, culture, innovation, création, etc. (proche de la figure du gentrifieur, Hamnett, 1996-97).

27Les valeurs socialement fortes portées par les différents projets urbains (valeurs de proximité véhiculées par la reconquête des espaces publics, de durabilité des transports en commun, ou de créativité des équipements culturels) construisent depuis près de 30 ans un imaginaire singulier autour de figures d’habitants plutôt jeunes (ville étudiante), branchés, dynamiques dans une ville toujours en mouvement ; soit des images très éloignées de la réalité sociale d’une ville dont un quart de la population est pauvre, stigmatisée dans des quartiers de relégation (La Paillade, Le Petit Bard) et souvent inaudible malgré les conflits et les mobilisations populaires. Cette focalisation sur des figures types de l’habitant (l’étudiant, le chercheur, le créatif, le jeune actif, l’artiste, etc.), politiquement et urbanistiquement construites dans et par un projet urbain, invisibilise les pauvres et les populations considérées comme inaptes à s’intégrer ou simplement à adhérer à un tel projet d’une ville a-conflictuelle. L’utilisation d’outils modernes de communication participe d’un renforcement des formes d’exclusion pour les plus pauvres, notamment celles développées au nom du développement durable : smart grids, écocité, écoquartier, utilisation des téléphones cellulaires pour gérer la domotique ou l’accès aux transports en commun, etc. minorent leur place dans le développement urbain de la ville comme leur capacité collective à s’y projeter. Plus qu’un déni de citadinité, c’est-à-dire d’un droit à vivre et utiliser la ville (et ses ressources, y compris les plus technicisées), c’est aussi en creux un déni de citoyenneté en tant que capacité d’un groupe à se projeter dans l’imaginaire et le devenir collectif de la cité ; imaginaire et devenir qui s’ancrent dans ce qui relève davantage d’une rationalité entrepreneuriale des acteurs publics.

28La mise en visibilité ensuite. La ville internationale dans le projet urbain montpelliérain repose également pour partie sur un discours et un imaginaire promouvant la cohésion, la mixité sociale et la concertation. Cette ambition n’est pas exclusive de celle visant à la transformation des espaces urbains au gré des besoins du capitalisme culturel cognitif. Au contraire, les deux s’additionnent dans un même mouvement visant tantôt à reconquérir des espaces stratégiques au regard du projet urbain (quartiers centraux populaires à gentrifier dans le cadre de l’opération Grand Cœur du centre historique), tantôt à montrer l’action sociale en train de se faire dans les quartiers de relégation de type grand ensemble de banlieue (politique de rénovation urbaine des cités d’habitat social de La Paillade).

29Dans le premier cas, discours et rhétoriques mobilisent un argumentaire se référant à la mixité sociale. Le pauvre est ainsi apprécié dans son « authenticité urbaine », celui de quartiers centraux de cultures populaires compatibles avec le développement d’une économie créative, ancrés dans une épaisseur historique redécouverte. La mixité sociale y est définie comme un vecteur de brassage des identités et du cosmopolitisme urbain. Il s’agit de conserver la place du pauvre (mise en place de ratios et de quotas : 25 % de logements sociaux, quotas de prêts d’accession sociale à la propriété) dans un environnement « nouvellement authentique » où la requalification du patrimoine historique facilite la gentrification de certains quartiers du centre (quartier nord Écusson). Le pauvre (ou plutôt la figure idéalisée du quartier populaire) devient en quelque sorte compatible avec l’artiste ou avec le gentrifieur ! Le pauvre est dès lors réduit à certains attributs spatiaux (quartiers historiques, pittoresque des ruelles de certains quartiers, paysages urbains, etc.).

30Dans le second cas, celui des opérations de rénovation urbaine dans les grands ensembles périphériques, c’est à la figure de « l’habitant mobilisé » à l’occasion de procédures de participation et de concertation des opérations de démolition/reconstruction/réhabilitation que l’on a à faire. Figure également vertueuse de l’habitant, mobilisé, impliqué et engagé aux côtés des acteurs du projet urbain. Figure définie à l’échelon national dans le cadre du PNRU (programme national pour la rénovation urbaine), et reproduite localement dans les opérations de rénovation urbaine financées par l’ANRU (agence nationale pour la rénovation urbaine). Cette figure erronée occulte en grande partie la réalité de la contestation sociale et de l’opposition souvent virulente des habitants à ces projets de rénovation urbaine, comme dans le quartier du Petit Bard (Berry-Chikhaoui, Médina, 2010), qui déstructurent les modes d’habiter, les solidarités de voisinage et ne répondent pas aux problèmes sociaux des habitants (chômage, exclusion, etc.). En donnant l’impression d’agir socialement, ces politiques questionnent la place des pauvres dans la ville internationale et compétitive. Non seulement l’exclusion se décline dans une dimension sociale et ethnique concernant principalement les populations issues de l’immigration (postcoloniale) et les foyers parentaux féminins ; mais elle est aussi politique. La dénonciation par les Verts (parti écologiste) du tracé de deux lignes de tramway (pourtant présentées comme un outil de cohésion sociale) comme un vecteur d’inégalités est reléguée à une vision ringarde, étroite d’esprit de l’urbanisme montpelliérain. Quant aux contestations des habitants des cités, on tente de les contenir dans les pratiques de médiation et de concertation de la rénovation urbaine. Pauvres et habitants des quartiers de relégation participent bien malgré eux d’un urbanisme narratif, construit sur un script urbain qui recèle son lot de pensées bienveillantes (concertation, mixité sociale, authenticité), d’imaginaires urbains (smart city, creative city, green city,...) et de politiques sociales régressives sous les auspices du bien-être collectif.

Conclusion : La territorialisation des politiques urbaines néolibérales ou la part des représentations sociales

31L’exemple de Montpellier n’est évidemment pas un cas isolé dans le concert des villes compétitives et créatives. Toutefois, il recèle des enseignements encore peu abordés dans la littérature consacrée aux effets de la territorialisation des politiques urbaines néo-libérales vis-à-vis des habitants pauvres.

32Tout d’abord, il renseigne sur la diffusion et la banalisation des projets urbains néo-libéraux à destination des villes moyennes et jusque-là apanage des métropoles. Ensuite, il renvoie la question de la territorialisation des politiques publiques (en charge du développement urbain comme de la pauvreté) à celles des représentations sociales et de leurs effets. Ces effets sociaux majeurs, dont l’éviction résidentielle, éviction des « haut-lieux de la vie ordinaire » (de la Soudière, cité par Le Floch, Candau et Deuffic, 2002), recouvrent, au nom de la compétition territoriale dans une économie néolibérale et globalisée, et sous des appellations diverses et sans cesse changeantes (smart city, green city, creative city, etc.), un même projet socialement et politiquement neutralisant pour ces populations pauvres assignées à des territoires invisibilisés de la relégation ou dispersées dans l’espace urbain. Ces représentations permettent de déplacer les pauvres sans que cela soit un problème dans la mesure où leur habiter est occulté ou impensé. Les représentations sociales dominantes, les discours politiques et médiatiques, l’action urbaine font écran à ce qui définit d’abord le lieu (tel qu’il est vécu de l’intérieur) : le quotidien, le routinier, les habitudes, les familiarités, la force et la dimension ordinaire de la communauté et du quartier (solidarités, pratiques sociales, convivialité, consommation...) et les gens qui y vivent, dans leur diversité, d’hommes et de femmes, de jeunes et de vieux, dans la diversité de leurs représentations et de leurs pratiques, et dans leur humanité. Dans ce contexte, les injonctions à « vivre ensemble », régulièrement portées aux échelles nationale et locale, ne sont-elles pas que des simulacres à penser et à panser la réalité sociale de ces territoires urbains ?

33Mais les projets de ville internationale, via la valorisation des activités créatives ou liées à l’économie du savoir, ne produisent pas seulement de l’invisibilisation. Elles tendent à recréer une figure type de l’habitant, comme on l’observe à Montpellier : éduqué, créatif, tolérant, durable, pour une ville à l’image « moyennisée » : ni classe supérieure ni prolétaire ! Il s’agit d’une projection renouvelée de la figure du yuppie, du Bobo (Bourgeois-Bohème) qui, plus que tout autre habitant, par les valeurs et représentations qu’il porte, renforce l’invisibilisation de l’habitant pauvre. Ces représentations des pauvres s’articulent ainsi avec celles du citoyen idéalisé de la ville internationale et socialement mixte, magnifiées dans la figure (largement imaginaire) de l’habitant moyen producteur et supporter de la ville internationale qui serait au final autant un mythe que l’habitant pauvre a-territorial ou hyperterritorialisé. Ces représentations participent aussi d’une occultation de la diversité des pratiques et des représentations au sein de la catégorie moyenne, catégorie qui n’a pas de réalité homogène. Ne peut-on pas voir dans la construction de la figure de « l’habitant moyen » par le projet urbain une forme d’instrumentalisation des classes moyennes pour légitimer et justifier un projet urbain présenté comme une réponse à leurs aspirations, pratiques et de représentations mais satisfaisant avant tout des logiques économiques néo-libérales ?

Notes de bas de page

1 Nous faisons nôtre la définition de la ville néo-libérale proposée par Hackworth (2007) pour qui il s’agit d’une ville dans laquelle les modes de gouvernance, la structure sociale et le développement spatial reflètent la vision néolibérale d’un libre marché urbain. En suivant Peck, Theodore et Brenner (2009), on considère que le néolibéralisme — davantage qu’une « nouvelle » forme de politique économique — est un élément constitutif du capitalisme globalisé avancé qui trouve dans les villes son lieu privilégié d’expression. Les politiques urbaines néolibérales mises en œuvre valorisent l’entrepreneurialisme urbain, la compétition inter et intra urbaine, la privatisation des modes de gouvernance et la marchandisation des aménités urbaines (logement social, éducation, espaces publics, etc.). Ces politiques valorisent le libre choix, les partenariats-publics privés, la construction d’équipements et d’infrastructures en faveur de la croissance économique et l’adoption de règles favorables au marché.

2 La politique de la ville désigne en France depuis les années quatre-vingts un ensemble de politiques sectorielles dédiées au traitement urbanistique et social des grands ensembles des banlieues françaises (Jaillet, 2003).

3 Loi no 2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.

4 Dans le cadre de la politique de la ville, la géographie prioritaire désigne un périmètre d’actions identifiées sur lequel opère une intervention publique ciblée en vue de réduire les inégalités sociales et les écarts de développement dans les quartiers défavorisés (Estèbe, 2001).

5 Projet qui vise à reconquérir les espaces périurbains entre Montpellier et la mer à partir du développement de quartiers durables, connectés et intelligents : la smart city de Montpellier.

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