La maladie du « crunch » est-elle contagieuse ? De la lente émergence de la thématique des conditions de travail des développeurs dans la presse spécialisée américaine et française
p. 117-132
Texte intégral
1La question des conditions de travail dans l’industrie du jeu vidéo, et plus spécifiquement du « crunch1 », a été ces dernières années abondamment mise en lumière par la presse vidéoludique. C’est par exemple principalement en traitant cette thématique que s’est fait connaître le journaliste d’investigation Jason Schreier, dont l’ouvrage présente le crunch comme intrinsèque au processus de développement (2018). En France, Canard PC lançait début 2018 un dossier intitulé « Crunch Investigation », en partenariat avec le pure player Mediapart, reconnu pour la qualité de ses enquêtes. Le terme est ainsi devenu récurrent au sein de l’agenda médiatique, au point que les studios de développement l’intègrent à leur argumentaire communicationnel — ils assurent qu’ils ne « crunchent pas », ou assument l’inverse2 — tandis qu’un site « grand public » comme jeuxvideo.coml’évoque dans ses billets d’humeur3. À première vue, l’émergence d’un tel sujet semble récente : à ses débuts, la presse vidéoludique parle plus volontiers de pixels que de burnout et est connue pour se concentrer davantage sur les jeux vidéo en eux-mêmes que sur les personnes qui les créent (Dozo et Krywicki, 2018).
2À quand l’émergence médiatique du crunch remonte-t-elle et à quels acteurs la doit-on ? Nous posons l’hypothèse qu’une telle thématique ne s’est pas invitée spontanément dans la « routine éditoriale » (Shoemaker et Vos, 2009) de la presse vidéoludique : son arrivée nécessite une rupture radicale avec la logique médiatique dominante priorisant la focalisation sur les jeux vidéo en eux-mêmes, au détriment des aspects « humains » de leur développement. Conditionné par sa représentation de « vilain petit canard » (voir le chapitre « Jouer au journaliste ? »), ce pôle spécialisé a dû, pour réinventer ses pratiques, abandonner son impératif de réactivité et importer des méthodes investigatrices formalisées par le « sous-champ généraliste » du milieu journalistique (Marchietti, 2002). Notre question de recherche est la suivante : la « maladie du crunch » qui gangrénerait l’industrie vidéoludique4 touche-t-elle aussi la presse qui la couvre, en ce que cette dernière ne parlerait des conditions de travail des développeurs qu’au prisme des inconvenances qu’elle occasionne pour les joueurs ? Il s’agit en tout cas du ressenti du journaliste spécialisé William Audureau5 (partagé par plusieurs de ses confrères), qui caractérise la presse vidéoludique par sa « culture du produit » :
On est tellement élevés, dans la culture jeu vidéo, à penser que tout tourne autour du produit que, ce qui a longtemps servi de scoop et d’investigation dans la presse vidéoludique, c’était d’obtenir des leaks ou des informations sur la sortie, sur le concept d’une console avant qu’elle soit annoncée. Et je pense que ça en dit très très long sur le malentendu de ce secteur. […] On ne pense pas au fait que les éditeurs ont réussi à mettre en place une espèce de structure de pensée dans laquelle tout tourne autour de la question du produit. Ça, je pense que c’est un héritage de la presse des années 1990, quand les premières cellules de relations presse vraiment efficaces se sont mises en place, à partir du moment où les couvertures des [magazines de] jeux vidéo ont cessé d’être des couvertures centrées sur les joueurs ou des dessins de presse mais de plus en plus des illustrations de jeux à venir. […] C’est-à-dire que quand on arrive dans [cette] presse on ne se pose même pas la question de ce dont on va parler. C’est une évidence, on va parler de produits commerciaux qui sont toujours déjà là. (Entretien du 19 janvier 2018 avec William Audureau.)
1. Méthodologie
3Pour étayer cette théorie, nous avons effectué deux recherches transversales au sein de corpus distincts. La première remonte à la source en se penchant sur la presse généraliste et vidéoludique américaine. Pour des raisons lexicologiques évidentes6, c’est en son sein qu’émerge le mot « crunch », avant d’être repris par les journalistes français des années plus tard. Au terme d’une recherche exploratoire en ligne7, nous avons retenu trois études de cas successives illustrant la problématique du crunch, datées respectivement de 2004, 2010 et 20188. Pour comparer les discours médiatiques à leur sujet, nous nous sommes appuyés sur la méthodologie de Ringoot (2014) afin de les analyser au prisme des notions de rythme de publication, d’angle, de choix des sources ou encore de genre journalistique9. Notre perspective épistémologique s’est par ailleurs nourrie de travaux sur le traitement médiatique des conflits sociaux10 (Pirotton, 2012), qui ont théorisé la façon dont la presse pose les enjeux d’une situation de conflit, principalement à travers le mécanisme du « cadrage11 ». Pour chaque élément analysé, nous commencerons par contextualiser brièvement l’affaire avant de comparer sa couverture par les neuf médias que compte notre corpus : quatre sites spécialisés (GameSpot12, Kotaku13, IGN14 et, à partir de 2012, Polygon15) et cinq quotidiens d’information généralistes (SF Examiner, LA Times, New York Times, San Jose Mercury News, Wall Street Journal)16. Nous établirons ainsi un premier aperçu de la généalogie du traitement médiatique du crunch à l’aune du pôle des journalistes qui l’ont assuré outre-Atlantique.
4Notre seconde étude adopte moins une perspective historique que compréhensive : comment expliquer la récente exposition médiatique de la problématique du crunch dans la presse française ? Nous nous pencherons ainsi principalement sur l’affaire « Quantic Dream », dont les révélations, émanant de journalistes français, ont connu de nombreuses reprises à l’étranger. Grâce à six « entretiens compréhensifs17 » (Kaufmann, 1999) avec les trois journalistes spécialisés à l’origine de ces investigations (Cécile Fléchon et Sébastien Delahaye de Canard PC ; William Audureau du Monde « Pixels »), nous illustrerons les motivations qui poussent les journalistes à bouleverser leur routine éditoriale pour y implémenter des techniques d’enquête. Comme pour la presse américaine, nous cadrerons cette spécificité des médias vidéoludiques en les comparant ponctuellement, au prisme du traitement du crunch, à leurs homologues généralistes. Nous verrons ainsi que l’apport de ces derniers semble indispensable aux spécialistes souhaitant s’attaquer à des thématiques aussi étrangères à leurs habitudes professionnelles.
2. 2004 : L’affaire « EA Spouse »
Contexte
Le 10 novembre 2004, une lettre ouverte intitulée « EA : The Human Story » (Hoffman, 2004) est publiée sur une page personnelle du portail Livejournal par le pseudonyme EA_Spouse, derrière lequel se cache, à en croire la missive, la conjointe d’un employé d’Electronic Arts soumis au mode de production intense de l’éditeur. Elle rappelle alors la place qu’occupe l’éditeur dans l’industrie vidéoludique de l’époque : l’entreprise peut compter sur des licences populaires telles que James Bond, Harry Potter, Les Sims, Medal of Honor, ainsi qu’un large panel de jeux de sports, tels que FIFA, NFL, NBA, ou encore les jeux officiels du championnat du monde de Formule 1. Ces titres sont publiés de manière régulière sur consoles de salon et ordinateur personnel.
Le même jour, Joe Straitiff (2004), ancien employé du studio Maxis, également propriété d’Electronic Arts, écrit une lettre similaire en son nom propre qui corrobore les accusations d’Erin Hoffman. Suivant ces publications, la presse va révéler l’existence de plusieurs actions collectives lancées par d’anciens employés d’Electronic Arts contre l’entreprise californienne. Ces recours seront réglés à l’amiable en 2005 et 2006, et l’affaire prendra fin le 25 avril 2006, à l’occasion du règlement à l’amiable du dernier recours collectif. Le même jour, le San Jose Mercury News révèle l’identité d’Erin Hoffman et de son compagnon à l’occasion d’une interview.
5D’après les sources académiques, cette affaire marque la première dénonciation publique du phénomène du crunch à connaître suffisamment d’ampleur pour bénéficier d’un écho dans la presse (Williams, 2003). Dyer-Whiteford et De Peuter (2006) considèrent à ce titre que la lettre d’Erin Hoffman dévoile un secret « dont la révélation […] a profondément embarrassé les entreprises de jeux vidéo, et galvanisé beaucoup de leurs employés ». À notre sens, il convient de nuancer ce constat : l’IGDA18 avait en effet publié le 20 avril 2004 son rapport annuel relatif à la qualité de vie des travailleurs de l’industrie. Selon ce document, le crunch était alors omniprésent dans l’industrie19, et 51,7 % des sondés le percevaient comme une pratique normale. Pour nuancer le constat de Dyer-Whiteford et De Peuter, l’on pourrait dire que la lettre d’Erin Hoffman constitue moins la révélation d’un secret que l’entrée de la problématique dans le champ médiatique, rendue spectaculaire par le récit d’Hoffman. Ce témoignage humain semble, aux yeux de la presse spécialisée, bien plus marquant qu’un rapport rédigé par une association professionnelle, et son aura se voit renforcé par la judiciarisation de l’affaire20. Selon Dominique Marchietti (2002), cette prise en charge du conflit par l’État et/ou les tribunaux constitue l’une des conditions nécessaires à la mobilisation journalistique, qui participe alors à revêtir le conflit d’un statut d’enjeu « politique, économique, scientifique et/ ou judiciaire » (2002 : 8).
Fig. 1 : Nombre d’articles publiés par la presse vidéoludique au sujet de l’affaire « EA Spouse », par ordre chronologique.

6Les trois médias vidéoludiques les plus influents retenus pour notre analyse se penchent sur l’affaire de manière inégale : GameSpot en livre la couverture la plus factuellement détaillée (les différentes actions collectives et compensations subséquentes semblent y être recensées de manière exhaustive). Kotaku affiche un suivi très régulier dans les premiers moments de l’affaire, puis l’abandonne au-delà du 8 décembre 2004, pour des raisons que nous ne sommes pas parvenus à identifier. Quant à IGN, nous n’y avons décelé qu’un seul article qui aborde le sujet, adoptant la forme d’un compte-rendu d’une conférence tenue lors de la Game Developper’s Conference de 2005.
7En se penchant de plus près sur la chronologie de la publication de ces articles, il apparaît qu’elle coïncide dans un premier temps avec la publication des lettres de Hoffman et de Straitiff, puis avec les rebondissements judiciaires de l’affaire. La judiciarisation semble ici fondamentale : elle est ce qui maintient ce récit dans l’espace médiatique pendant d’un an et demi, de novembre 2004 à avril 2006, offrant au site GameSpot un véritable feuilleton à narrer, à mesure que s’égrènent les lancements des actions collectives et des compensations accordées par Electronic Arts. Ainsi, les articles dépouillés ne s’ornent pas d’une réflexion sur la pratique du crunch dans l’industrie, l’affaire étant résumée à sa dimension judiciaire.
8A contrario, nous avons repéré de telles remises en question au sein de certains journaux généralistes, qui vont au-delà du simple compte-rendu. Ces derniers relaient le récit d’employés ou de leur entourage sur la façon dont ils vivent concrètement la situation :
Charles Dickens himself would shudder, I should think, were he to see the way young adults are put to work in one semimodern corner of our economy. Gas lamps are long gone, and the air is free of soot. But you can’t look at a place like Electronic Arts, the world’s largest developer of entertainment software, and not think back to the early industrial age when a youthful work force was kept fully occupied during all waking hours to enrich a few elders21.
9Dans la presse vidéoludique, l’intérêt pour cette affaire ne semble jamais provenir des journalistes eux-mêmes, attendant les rebondissements judiciaires avec une « attitude passive22 » (Vanesse, 2020) pour les relayer mécaniquement. Cette implication légère s’illustre d’ailleurs par l’absence de témoignages inédits — c’est-à-dire émanant d’autres sources que les lettres de Straitiff et Hoffman — là où la presse généraliste mobilise par exemple les propos de développeurs anonymes, voire d’Erin Hoffman elle-même, toujours sous couvert d’anonymat23. Les journalistes de ce pôle ayant fait appel à ces sources construisent leurs articles en optant pour un « angle consacré aux acteurs » (Ruellan, 2006) du conflit social. De leur côté, les médias spécialisés se contentent de mobiliser les membres de l’IGDA (fig. 2) qui, dans la plupart des cas, recontextualisent la place du crunch au sein de l’industrie.
Fig. 2 : Répartition des types de sources par organe de presse, excluant les citations de la lettre d’Erin Hoffman ou du billet de Joe Straitiff.

10Avec cette première affaire, le crunch n’est pas perçu par la presse vidéoludique comme un problème en tant que tel : il est surtout cadré par ses enjeux judiciaires et potentiellement économiques. Toutefois, il convient de souligner un début de prise de position explicite sur le sujet de la part de Brian Crecente, auteur des articles de Kotaku sur « EA Spouse ». Celui-ci conclut deux des huit articles par des traits d’ironie sur la situation :
EA’s motto, if you recall, is ‘‘Challenge Everything.’’ Just not EA’s labor standards, wages, or long hours, I guess24.
My favorite quote : you can’t spell exploitation without EA. Nice25.
Fig. 3 : Répartition des « angles journalistiques » (au sens de Ruellan, 2006) construits par les sites vidéoludiques pour couvrir l’affaire « EA Spouse ».

11Ces derniers, en marge de la constitution d’une familiarité entre Kotaku et son lectorat26, permettent de matérialiser indirectement la position du média vis-à-vis de l’affaire, plutôt à charge de l’éditeur Electronic Arts, et empreinte de sympathie par rapport aux plaintes de Straitiff et Hoffman. Enfin, mentionnons l’investissement précurseur de GameSpot et Kotaku : d’après nos recherches, ils semblent être les premiers acteurs du champ médiatique (presse généraliste comprise) à se pencher sur l’affaire — le premier en révélant l’existence de l’action collective et le second étayant les accusations de Straitiff et Hoffman. À ce titre, si la presse généraliste se distingue par son apport en termes d’enjeux humains et relationnels de l’affaire, reste qu’elle intervient de manière secondaire, dans une optique complémentaire au traitement distancié des médias vidéoludiques, davantage pragmatiques.
3. 2010 : Les « Rockstar Spouses »
Contexte
Le 7 janvier 2010, un billet de blog anonyme, titré « Wives of Rockstar San Diego employees have collected themselves », est publié sur le site Gamasutra.com. Les autrices du billet se présentent comme les épouses d’employés du studio Rockstar San Diego, la branche californienne de l’éditeur Rockstar Games, l’éditeur de la saga Grand Theft Auto. Elles évoquent les problèmes liés à la santé mentale des employés de la firme et à la diminution des compensations de leurs heures supplémentaires. Contrairement à celle d’Erin Hoffman, la lettre n’a pas été suivie par d’autres plaintes27.
Il convient également de rappeler que, à l’époque, les employés de Rockstar San Diego finalisaient le développement Red Dead Redemption, un titre à haut « capital médiatique28 », sorti le 21 mai 2010 en Europe. Son budget de développement a été estimé à 100 millions de dollars (jeuxvideo-live, 2015). En août 2015, le jeu comptait 14 millions de ventes (Makuch, 2015).
Fig. 4 : Nombre d’articles publiés par la presse vidéoludique au sujet des « Rockstar Spouses », par ordre chronologique.

12Cette étude de cas vient d’emblée confirmer les conclusions de la précédente : six ans plus tard, la presse vidéoludique se montre toujours la plus réactive, là où le seul article émanant du sous-champ généraliste est diffusé plusieurs jours après la publication de la lettre. Ce délai de publication s’explique par la démarche investigatrice du quotidien en question, le San Diego Reader, dont le reporter Moss Gropen demeure un des seuls journalistes à enquêter lui-même sur les « Rockstar Spouses ». Son implication est d’ailleurs encore observable aujourd’hui au sein des commentaires répondant à la missive originelle :
Fig. 5 : Commentaire de Moss Gropen sous la lettre des « Rockstar Spouses », appelant les internautes à témoigner29.

13D’entrée de jeu, la démarche d’enquête et la quête de sources nouvelles s’avère plus manifeste que dans la presse vidéoludique, qui se contente de relayer les protestations. L’implication de Gropen se retrouve dans l’article publié le 10 février 2010, qui mobilise des témoignages inédits :
I asked a current Rockstar developer who cautiously — and anonymously — agreed to chat with me via email, “Just how bad are the hours at Rockstar San Diego ?” He replied, “Game companies are generally very loose about their hours ; Rockstar is actually the most strict I’ve seen.” […] He noted, however, that, during the past year, as Rockstar has approached completion of the current project, things have deteriorated. “It slowly got worse — at first, we were asked to stay until 8 : 00 p.m. ; Saturday work was supposed to be temporary but it’s now mandatory. Personally, I’m working 10 a.m.– 11 : 00 p.m. these days, but I’m one of the people who stay the longest. Typically, the office starts clearing out at 9 : 00 p.m. Saturdays are about 10 a.m. to 6 : 00 p.m.”30.
14En outre, le travail de Gropen documente l’émergence au sein de la firme d’une culture d’entreprise différente, après la transformation du studio Angel Studios en Rockstar San Diego. Cette origine de la banalisation du crunch incarne une question journalistique centrale, sur laquelle s’interrogera plus tard l’investigateur Jason Schreier (voir notre troisième étude de cas).
But that was before the buyout, which resulted in the rebranding of Angel. According to a longtime former employee (who cautioned me against writing anything that might reveal his identity), when Angel and cofounder Michael Limber gave themselves a golden handshake in late 2002, “The entire culture changed”. The “ex-Rocker” (to use Gamasutra blog parlance) says that, in 2003, what had been a well-run company with a “family atmosphere” turned into a corporate mill — a poorly run one, at that — replete with insanely long hours31.
15Ces particularités font de Moss Gropen un pionnier de l’enquête sur les conditions de travail des développeurs de jeu vidéo. D’autant plus que cette deuxième controverse, contrairement à la première, ne s’est pas traduite en « affaire » politique ou judiciaire. En découle une couverture médiatique quasiment inexistante dans la presse généraliste, pour laquelle il semble complexe de « feuilletonner » un conflit social lorsque ce dernier n’est pas saisi par les tribunaux ou les instances gouvernementales. Pour autant, il ne faut pas oublier l’article de MTV News, signé par Russ Frushtick32, qui, même s’il ne va pas aussi loin que celui de Gropen dans la variété des sources et la corroboration des accusations, mobilise une source inédite pour accréditer les plaintes des « Rockstar Spouses » en adoptant une posture « péri-jeu vidéo ».
16Si la presse vidéoludique se saisit davantage de l’événement, ses journalistes sont loin de faire preuve d’un investissement similaire à Gropen, en ce qu’ils ne collectent aucun témoignage inédit. Ce traitement s’illustre par le choix des angles (fig. 6), qui tiennent ici majoritairement du déroulé des faits ou du relai de la réaction des acteurs impliqués (onze articles sur treize).
Fig. 6 : Répartition des angles journalistiques construits par les sites vidéoludiques pour couvrir le conflit social « Rockstar Spouses ».


17Parmi ces médias, on observe des dynamiques de cadrage différentes. Aux yeux de Gamespot, le crunch n’est toujours pas envisagé comme un enjeu en tant que tel, mais bien mentionné au prisme des conséquences qu’il induit sur le marché vidéoludique. Ce postulat s’observe dès le titre de ses articles, qui relient systématiquement la problématique à la sortie d’un jeu vidéo de l’éditeur :
- « Midnight Club canceled at beleaguered Rockstar San Diego ? » (12.01.2010) ;
- « Rockstar turmoil afflicting Max Payne 3’s launch ? » (14.01.2010) ;
- « Red Dead Redemption on track, Rockstar ‘saddened’ by working-condition claims » (22.01.2010).
18Comme nous pouvons le voir, des noms de jeux sont cités dans les titres de trois des quatre articles. La problématique du crunch est ainsi pensée comme le corollaire d’un développement d’un jeu ou d’une franchise dont l’aspect déterminant serait l’impact qu’il pourrait avoir sur la publication future des œuvres concernées33. En d’autres termes, Gamespot adopte une focalisation que nous qualifierons d’« intra-jeu vidéo » (centrée sur l’industrie et les titres qu’elle publie), plutôt qu’une posture « péri-jeu vidéo » (qui se pencherait plus volontiers sur les conditions de travail des développeurs, ou d’autres éléments périphériques aux jeux vidéo en eux-mêmes)34.
19Du côté de Kotaku et IGN, qui sont les seuls médias du corpus à prendre position vis-à-vis de ce conflit, le traitement s’oriente davantage sur la plainte des « Rockstar Spouses » et le mal-être des travailleurs qu’elle relate, notamment par le biais d’éditoriaux. Si le premier prend le parti des employés, en avançant la piste d’un label qui attesterait d’un développement aux conditions de travail saines (faisant ainsi écho aux saillies ironiques de Crecente en 2004), le second, à l’inverse, met en doute et relativise la parole des épouses. La focalisation péri-jeu vidéo n’est donc pas forcément synonyme d’une posture à charge envers les éditeurs.
The only thing I can do, personally, is refuse to ever work at a studio that operates under such conditions and strongly council others to do the same. If great, experienced developers will only operate at studios with respectful, fair working conditions, and they make this known, that might incentivize certain changes. The passion people have to making games is also a great weakness, because it can be exploited. Game developers will tolerate conditions I can’t imagine someone making accounting software ever would. We cannot allow our passion to be taken advantage of35.
Does crunch time suck from my perspective ? Sure. It certainly doesn’t make me happy to see my husband get home at 4 a.m. and have to be back at work at 10 a.m. the next day. It doesn’t make me happy that on the rare occasion during a crunch when he is home, all he wants to do is sleep. But that’s OK because this isn’t all about me. I knew what I was signing up for when our relationship started, and while it was very difficult in the early days, I’ve now learned how to take crunch times in stride, because I know they’re not going anywhere36.
20Malgré leur opposition en termes d’opinion, ces éditoriaux amorcent la prise en compte du crunch comme une thématique à part entière en ce qu’ils sont publiés respectivement quatre et seize mois après le message des « Rockstar Spouses » (le 25 mai 2010 pour Kotaku et le 2 mai 2011 pour IGN, voir fig. 5). S’ils ne mobilisent pas de techniques d’enquête (les auteurs se contentent de livrer une analyse de la situation), les deux billets illustrent ainsi un choix éditorial délibéré : la thématique du crunch ne s’inscrit plus dans le cycle communicationnel mais est convoquée à l’initiative du média, sans influence de l’industrie, de la presse généraliste ou de la justice. Kotaku et IGN se démarquent ainsi par l’« attitude active » (Vanesse, 2020) de leurs journalistes, symbolisant une mutation progressive de leur « idéologie professionnelle37 » (Deuze, 2005) : le crunch n’est plus simplement rapporté, il se voit également pensé. Le cas suivant illustre le prolongement de ce cheminement.
4. 2018–2020 : La culture du crunch au sein de Rockstar Games
Contexte
Pour cette ultime étude de cas, nous retrouvons Rockstar Games avec la suite d’un des jeux vidéo dont le développement avait été décrié par les « Rockstar Spouses », Red Dead Redemption. Ce deuxième opus bénéficie de tout autant de capital médiatique que le premier, mais la controverse qui l’entoure s’agence différemment : elle ne naît pas d’une plainte des employés, mais du discours d’un patron. Le 14 octobre 2018, Dan Houser, à l’époque co-président de Rockstar Games, se vante auprès du média américain Vulture que ses équipes travaillent « cent heures par semaine38 » sur Red Dead Redemption 2. Suite à cette déclaration, l’interview est reprise dans de nombreux médias qui s’émeuvent de ce rythme inhumain, au point que le capitaine d’entreprise reformule ses propos39, tandis que des journalistes d’investigation français et américains tentent de les vérifier en recueillant le témoignage d’employés.
Fig. 7 : Nombre d’articles publiés par la presse vidéoludique au sujet de la « crunch culture » de Rockstar, par ordre chronologique.

21Comme ce tableau le montre, les sites de presse vidéoludique se sont une fois encore montrés réactifs face à la « révélation » de Dan Houser : la date de publication des articles de Kotaku, IGN et Polygon suit de quelques jours l’interview du chef d’entreprise. Dans un second temps, les médias spécialisés reprennent la clarification d’Houser et relaient les tweets explicatifs de certains développeurs. La couverture s’inscrit ainsi à nouveau majoritairement dans le cycle communicationnel, en particulier sur Gamespot, qui présente de manière systématique le déroulé des faits puis la réplique des acteurs concernés (fig. 8).
22Là encore, cette tendance se voit nuancée par la publication d’éditoriaux qui participent à cadrer le crunch comme une problématique à part entière, déconnectée de ses conséquences sur l’industrie vidéoludique. Par exemple, un article de Polygon mobilise le concept sociologique d’« emotional labor » pour susciter chez les lecteurs de l’empathie vis-à-vis de développeurs aliénés par leur tâche :
Fig. 8 : Répartition des angles journalistiques construits par les sites vidéoludiques pour couvrir la problématique de la culture du crunch au sein de Rockstar Games.


That, in the end, is what fills the void left by material want. In short, the knowledge that you’re, as Houser put it, “on a mission to entertain” is meant to be its own reward, offsetting the hours away from one’s family, the uncompensated overtime and, of course, the emotional performance of the perfectly compliant employee who loves every “customer” equally. You’re making people happy, doing a dream job, bringing digital fantasies to life. And even when you’re not physically at the office for 60 or 100 hours a week, you’re there psychologically40.
23Mais, neuf jours après la déclaration d’Houser, une investigation journalistique vient ajouter des témoignages inédits à cette couverture basée sur la reprise de communiqués et la transmission d’opinions. Elle émane de Jason Schreier41, œuvrant à l’époque pour le site Kotaku. À l’instar de Gropen, Schreier se distingue par sa capacité à récolter le propos de sources anonymes. Fort d’un processus d’enquête de longue haleine42 (plus de septante sources), son article place le récit des employés au centre de son sujet. Résolument péri-jeu vidéo, le texte envisage frontalement les conséquences humaines du crunch et remet en question la stratégie de communication de Rockstar.
Although Rockstar explicitly told employees not to “sugarcoat” any of their stories, outside observers were skeptical that anyone would publicly trash their current employer. Indeed, when I spoke to some of those who tweeted, some who responded said they had been honest but may have left out some parts of their stories — and that they were hoping that this month’s events might lead to change for those Rockstar staff in departments that had it rougher43.
24L’implication de Kotaku dans la polémique semble d’autant plus marquée que ses journalistes réalisent plusieurs articles de « suivi » : dix mois plus tard, Stephen Totilo, un confrère de Schreier, fait le point sur l’évolution de la situation, avant que Schreier ne reprenne les rênes en avril 2020 pour dévoiler les remaniements internes de Rockstar en termes de conditions de travail. L’attitude « active » des journalistes positionne ici le média comme une cheville motrice de la polémique : ils se passent de la communication de l’industrie pour construire leur propre développement, à leur rythme. Au sens de Pirotton (2012), ils s’inscrivent pleinement dans le conflit social, en ce que leurs écrits sont la condition de la revendication : contrairement aux cas précédents, ils ne se contentent pas de la relayer mais permettent son émergence. Ces enquêtes sont également les premières de notre corpus à remettre en question les canaux officiels et à pratiquer la protection des sources, qui incarnent deux des principes constitutifs de l’investigation identifiés par Mark Lee Hunter (2009 : 8). Les travaux de Schreier et Totilo semblent ainsi pleinement compatibles avec l’idéologie professionnelle du journalisme d’investigation.
Last Wednesday, Rockstar told current employees that they were allowed to speak to journalists (so long as they gave HR a heads up), but almost all of the people who spoke to me for this story requested anonymity. Some said they feared retaliation for being candid about their negative experiences at Rockstar, and some said they were worried about coming across as dishonest for sharing positive stories44.
25La couverture de cette polémique par Kotaku ne connaît aucun équivalent au sein du champ. Dans la presse généraliste, d’après nos recherches quasiment aucun média ne fait mention de la problématique de la culture du crunch de Rockstar Games. L’enquête de Schreier, pourtant abondamment reprise en France45, ne connaît que peu d’écho dans les périodiques américains, même en élargissant les frontières de notre corpus : seuls The Guardian, Vice et une critique de Red Dead Redemption 2 par le Washington post en font mention. La presse vidéoludique, elle, relaie davantage les dénonciations de Kotaku… En s’arrêtant sur un point de détail lié à l’intra-jeu vidéo ! En effet, dans la deuxième partie de son enquête publiée le 15 avril 2020, faisant état des changements entrepris au sein de l’entreprise, Schreier note l’information suivante :
One plan that management has laid out for the next game, a new entry in the Grand Theft Auto series, is to start out with a moderately sized release (which, by Rockstar’s standards, would still be a large game) that is then expanded with regular updates over time, which may help mitigate stress and crunch46.
26Ces quelques lignes attestent brièvement que Rockstar travaille sur le développement du sixième épisode de la célèbre saga Grand Theft Auto. Cette révélation sert ici à illustrer un changement de culture d’entreprise et n’est absolument pas instrumentalisée par Schreier comme une révélation, une information en soi qui mériterait un article isolé. Toutefois, ce court passage va concentrer l’attention de ses confrères d’IGN, qui s’empressent de rédiger un article au titre explicite (« New GTA in Development, Rockstar Reportedly Making Changes to Fix Crunch Culture »), avant d’être suivi par d’autres médias concurrents déplorant « une attente plus longue que prévue »… Ce qui ne manque pas de susciter le désarroi de l’investigateur (fig. 947).
Fig. 9 : Tweet de Jason Schreier publié le jour suivant la publication de son dernier article sur les changements de culture au sein de Rockstar Games.

27Nous pouvons entrevoir ici que les différents cadrages ne se contentent plus de cohabiter au sein du champ journalistique, mais peuvent entrer dans une situation de conflit, où une focalisation « intra-jeu vidéo » relèguerait aux second plan les informations relevant du « péri-jeu vidéo ». Cet aspect était déjà entrevu dans la couverture médiatique des « Rockstar Spouses » par Gamespot, mais apparaît ici comme explicité et dénoncé. Le fait que la série Grand Theft Auto jouisse d’un immense capital médiatique, rendant tentante l’opportunité de rédiger une brève à son sujet pour profiter d’un gain soudain d’audience, explique probablement en partie ces reprises sélectives.
28En définitive, si les travaux de Schreier et Totilo (mais aussi, dans une mesure moindre, l’éditorial de Kross pour Polygon) participent à la constitution du crunch comme un sujet d’enquête ou objet de réflexion à part entière, cette perception demeure marginale et tributaire de la façon dont elle est reprise par ailleurs, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur les sites de presse vidéoludique. Si ces articles se démarquent par l’attitude active des journalistes (ils ne sont suscités ni par une saisie du conflit par la justice ni par une enquête de la presse généraliste), ils témoignent en même temps d’une « culture du produit » qui continue de régner en maître sur une majorité de la presse vidéoludique américaine.
5. Le crunch dans la presse française
29Pourrions-nous formuler le même constat à propos des médias de l’Hexagone ? Comme le pressentaient nos hypothèses, ils n’incarnent en tout cas pas des précurseurs du traitement médiatique du crunch. Les magazines spécialisés français des années 1990 et 2000 mentionnent parfois au détour d’une preview l’état de fatigue apparent des développeurs qu’ils rencontrent, sans jamais en faire l’objet de leur article, qui reste chevillé au « produit » à venir. Dans certains cas, l’humour caractéristique de ces titres prédomine tellement qu’il devient même impossible de déterminer si le journaliste révèle un authentique travail aliénant ou s’il s’agit simplement d’une blague :
Un des membres de l’équipe [de développement de Medal of Honor : Bataille du Pacifique] a même été réquisitionné pour bosser sur la végétation à plein temps, il ne fait que ça. Je l’ai vu travailler comme un malade de mes propres yeux, tout pâle, en train de modéliser des arbres et des lianes avec tout un tas de photographies et d’encyclopédies à portée de main… Le type devait avoir une vingtaine d’années environ. S’il continue à ce rythme, dans deux ans, hop, il a des cheveux blancs48.
Hormis des traces de fatigue imprimées au noir sous quelques yeux, l’ambiance est clairement détendue chez les maîtres des lieux. […] On perçoit également, quasi impalpable, un léger trac : après tout, c’est la première fois depuis près d’un an qu’Epic accepte enfin de dévoiler les rouages de sa machine de guerre ! L’ensemble de l’équipe a bossé d’arrache-pied depuis une quinzaine de jours pour réaliser une démo jouable réservée uniquement à notre usage49.
30Ainsi, la première itération du terme que notre recherche transversale50 a identifié remonte à juillet 2012 : William Audureau publie sur Gamekult une enquête nourrie de nombreux témoignages exclusifs51. Quelques années plus tard, le pigiste Nicolas Turcev réalise pour le même site deux investigations sur le sujet des conditions de travail des développeurs : il dénonce les « stages abusifs » pratiqués par le studio Bloomylight (mai 2016), puis les heures supplémentaires intensives des employés de l’éditeur Ankama (février 2017)52. S’ils proviennent d’une attitude « active » des journalistes, ces articles, relativement isolés, ne connaissent que peu de répercussions et de reprises — probablement parce qu’ils ne mobilisent qu’une dizaine de sources au maximum, là où l’enquête de Schreier sur la culture du crunch en rassemble septante.
31Il faut attendre la fin 2017 pour que surviennent plusieurs éléments extérieurs nécessaires à la concrétisation du crunch comme une thématique récurrente de la presse vidéoludique française. D’abord, à partir de la fin août, le premier syndicat des travailleurs du jeu vidéo53 se met en place — Canard PC réalise d’ailleurs un reportage couvrant l’une de ses réunions préparatoires54. Quelques semaines plus tard, fin septembre 2017, une source interne à l’industrie, liée au développeur Quantic Dream, contacte plusieurs médias pour livrer un témoignage contre son employeur55, parmi lesquels la rubrique « Pixels » du Monde, Canard PC et Mediapart56. Sans l’étincelle provoquée par ce témoin en commun, selon Sébastien Delahaye, il aurait été impensable de bousculer suffisamment le fonctionnement de Canard PC pour s’engouffrer dans cette enquête.
[Sans ce témoignage initial, ] je pense qu’on n’aurait jamais fait [ce dossier]. En fait, le rythme de fonctionnement de Canard PC était tel qu’on ne pouvait pas… Il faut le voir de façon différente : là on avait quelqu’un qui nous parlait, qui nous disait « le 20 décembre [2017] on passe aux prud’hommes, je peux vous avoir plusieurs personnes qui vont parler, ça serait bien qu’il y ait un truc, parce que c’est la merde et que personne ne le sait ». Donc on avait une timeline, on avait plusieurs témoins potentiels, […] on avait une source, on avait tout ça, donc on avait des bases. (Entretien du 1er mars 2019 avec Sébastien Delahaye.)
32Comprenant qu’ils ont chacun des ressources à s’apporter, Canard PC et Mediapart décident de travailler ensemble sur le sujet : le premier fournit une expertise de la sphère vidéoludique, à travers Cécile Fléchon, Sébastien Delahaye et Ivan Gaudé ; le second apporte des connaissances sur le droit de travail, les journalistes Dan Israël et Mathilde Goannec étant spécialistes de la question. Cette transmission horizontale des connaissances préalables aide chaque titre de presse à s’emparer dûment de la question :
On s’est apporté beaucoup de choses : nous, on ne connaissait pas grand-chose au droit du travail. On connaissait les bases mais pas le détail, pour ce qui est prud’hommes, licenciements, tous les détails compliqués d’une entreprise en France. Et eux n’y connaissaient vraiment rien du tout en jeu vidéo, donc on a fait un échange de points de vue assez long pour apprendre nos environnements. (Entretien du 1er mars 2019 avec Sébastien Delahaye.)
33Cette combinaison de facteurs (syndicat, source, accès à une expertise) permet aux journalistes de Canard PC d’enfin s’engouffrer dans une thématique pour laquelle ils couvaient un intérêt de longue date. Elle permet de justifier la réduction partielle des tâches routinières (l’intra-jeu vidéo, incarné par les news et les tests) pour se pencher pleinement sur l’affaire Quantic Dream, tout en l’accompagnant de contextualisations générales sur la question des conditions de travail, qui constituent le dossier « Crunch Investigation57 », réalisé en partenariat avec Mediapart.
En fait, ça fait très longtemps qu’on avait pour projet de faire… [entre nous], on l’appelait le « dossier social ». On sait, à force, […] que les conditions de travail dans les studios sont parfois… compliquées. Cela faisait très longtemps qu’on voulait faire un truc là-dessus et ce sont des sujets qui demandent un peu de travail, ne serait-ce aussi parce que y’a un peu d’enquête à faire. […] Et, mine de rien, ces trois dernières années, du temps, je n’en avais pas du tout. Donc c’était resté un petit peu lettre morte [jusqu’à cette combinaison de facteurs]. (Entretien du 20 septembre 2017 avec Cécile Fléchon.)
34Pendant ce temps, William Audureau enquête aussi sur l’affaire Quantic Dream pour « Pixels », la rubrique dédiée à l’actualité numérique du journal Le Monde. Pour ce journaliste spécialisé, également peu coutumier de l’investigation, se pencher sur un sujet d’une telle ampleur a là aussi nécessité l’appui de collègues habitués au processus :
Fig. 10 : Révélations au sujet du studio de développement Quantic Dream par la presse française, publiées le 14 janvier 2018.

J’ai vraiment appris énormément de choses lors de cette enquête, justement parce que j’ai pu travailler avec des journalistes qui sont habitués au journalisme d’investigation. Ils m’ont enseigné des règles déontologiques auxquelles je n’avais jamais eu l’occasion de me former : comment on travaille avec l’anonymat, à partir de combien de sources on accepte de publier l’information. Ça, la question de la source, je peux vous dire que, dans le jeu vidéo, je ne l’ai pas vue souvent posée. On a un rapport à la rumeur qui est quand même plus que léger. Faire ce genre d’enquête sur le jeu vidéo, pour moi, c’est terra incongita. On n’est pas habitué à ça, dans notre secteur. De ce point de vue là, je ne suis pas un journaliste expérimenté, je me suis retrouvé, au contraire, dans la position du débutant complet. Et le fait d’être avec des personnes qui, au contraire, sont très habituées à ça, ont une vraie expérience à partager, qu’elles m’ont transmise, c’était génial. (Entretien du 19 janvier 2018 avec William Audureau.)
35Cette investigation d’une même affaire par trois médias simultanément — du jamais vu dans notre corpus américain — aboutit à des récits très complets et complémentaires. Les révélations concordent, mais les propos rapportés ne sont pas les mêmes : chaque journaliste est doté de sa propre sensibilité et choisit de retenir les aspects qui le marquent et correspondent à la ligne éditoriale de son média. Mediapart, par exemple, est le seul à retranscrire du discours direct des conseillers prud’hommaux, tandis que « Pixels », très attaché à la défense des droits des femmes58, met en exergue les comportements sexistes des patrons de Quantic Dream. Canard PC, de son côté, est le seul titre à publier les photomontages qui motivent la plainte.
36Enfin, précisions que ces révélations ont largement été reprises, y compris à l’étranger. Comme Jason Schreier, William Audureau est parfois dépité par le caractère sélectif de ces récupérations, ici davantage pour des questions d’accès payant aux articles et de barrière de la langue que de culture du produit :
Aux États-Unis, c’est essentiellement par le biais de la traduction incomplète d’EuroGamer que l’information a circulé, il n’y a pas grand monde qui est retourné voir Le Monde, comme c’est payant, parce que personne ne s’est dit « tiens, je vais prendre un abonnement payant sur un site qui est en langue étrangère ». Du coup, il y a des erreurs d’interprétations qui commencent à circuler. Si l’article avait été entièrement gratuit, il y a beaucoup de personnes, je pense, qui auraient pu se faire un portrait complet de l’article lui-même. Mais je comprends tout à fait que mon journal ait décidé de rendre payant une enquête ayant nécessité deux mois de travail, cette logique s’entend. (Entretien du 19 janvier 2018 avec William Audureau.)
37Si Mediapart a ensuite laissé de côté le domaine du jeu vidéo, l’affaire Quantic Dream a également ouvert la porte à d’autres investigations dans Canard PC et « Pixels », au sujet du développeur Eugen System ou encore, comme outre-Atlantique, à propos de la culture du crunch à Rockstar Games59 — chaque média mobilisant ses propres sources plutôt que de reprendre passivement les témoignages collectés par Kotaku.
Conclusions
38Ce premier aperçu de la généalogie du crunch dans les médias américains et français nous permet à la fois d’identifier des conditions d’émergence de la thématique, mais aussi, en parallèle, de pointer les causes potentielles de sa discrétion.
39Dans un premier temps, nous pouvons constater que, dans la presse américaine, les médias généralistes adoptent une position ambivalente vis-à-vis du crunch : ils se montrent moins réactifs que leurs homologues spécialisés, mais aussi plus investigateurs. D’une part, les généralistes se désintéressent progressivement de la question : si les cinq quotidiens d’information du corpus se penchent sur l’affaire de 2004, seulement un seul d’entre eux y consacre un article en 2010, alors qu’aucun ne couvre la polémique de 2018. Au-delà des simples prédispositions des journalistes vidéoludiques à suivre de plus près l’industrie que leurs confrères généralistes, nous expliquons cette réduction de la couverture par l’aspect moins inédit des controverses de 2010 et 2018 : non seulement « EA Spouse » est le seul conflit à avoir été traduit en justice, mais il s’agissait aussi à l’époque d’une curiosité, d’un événement inédit. « EA Spouse » apparaissait exceptionnel là où « Rockstar Spouses » et la crunch culture n’ont aucun élément nouveau pour appâter le journaliste d’information généraliste. En France, c’est également « la faible audience des investigations liées au crunch » qui a conduit Mediapart à ne pas réitérer l’expérience, nous communique une source interne. Les journalistes généralistes ne bénéficiant que de peu de connaissances en jeu vidéo, l’effort investi pour se préparer à l’enquête n’en vaut pas la peine si leur public suit peu le résultat.
40D’autre part, cette réduction de l’espace médiatique alloué se double assez logiquement, au sein du corpus américain, d’un glissement du « poids fonctionnel60 » (Marchietti, 2002) lié au crunch depuis le pôle généraliste vers le spécialisé. En 2004 et 2010, le premier bénéficie de témoignages inédits, là où le second ne fait que relayer les propos collectés ailleurs ou formuler des opinions par le biais d’éditoriaux. Mais, à partir de 2018, ce rapport de pouvoir s’inverse, en ce que Kotaku mène sa propre investigation, tissée d’un étendu réseau de sources personnelles. Cette dominance symbolique du pôle vidéoludique paraît d’autant plus marquée au vu du cloisonnement des deux sous-champs, le généraliste reprenant peu les informations émanant du spécialisé, et vice-versa. En France, la situation est plus contrastée, et à certains égards inversée : même s’ils sollicitent l’aide de leurs confrères généralistes, fin 2017, la saisie de la thématique vient avant tout des journalistes spécialisés, dont l’expertise semble indispensable au traitement de l’affaire Quantic Dream (Mediapart avait d’ailleurs été contacté par la source interne en amont de Canard PC, mais ses journalistes n’osaient pas se lancer seuls). Cependant, de nos jours, certains journaux généralistes français réalisent des enquêtes sur les conditions de travail des développeurs de jeu vidéo sans le concours des médias spécialisés, avec leurs propres sources, à l’instar du quotidien Libération et de ses dénonciations à charge d’Ubisoft61, ce qui laisse présager d’une autonomisation croissante de ce pôle à l’avenir.
41Sur une note moins optimiste, si l’on peut se réjouir de l’apparition croissante d’enquêtes dans la presse vidéoludique américaine et française, synonyme d’une érosion des tabous imposés par l’industrie, nous sommes forcés de constater que « l’uniformité de l’offre », relevée par Pierre Bourdieu en observant la concurrence (1994) reste prégnante au fil du temps. Dans la presse américaine, nos analyses mettent ainsi en évidence la récurrence de l’attitude passive des journalistes, mais aussi celle des angles pour lesquels ils optent. L’enchaînement déroulé-réaction a pour une grande part régi la couverture médiatique des cas étudiés du côté de la presse vidéoludique et, même lorsque Kotaku se distingue en publiant de multiples témoignages inédits, plusieurs de ses concurrents choisissent de cadrer ces révélations afin de n’en retenir que l’essence « intra-jeu vidéo » (les conséquences des remaniements de Rockstar sur la date de sortie de Grand Theft Auto 6). La ressemblance entre les articles incarne ainsi une conséquence du faible temps imparti aux journalistes pour traiter l’information (Degand, 2012), pressés de surcroît par l’impératif de breaking news caractérisant la presse vidéoludique. La mutation de l’idéologie professionnelle ne dépend pas uniquement des journalistes en eux-mêmes, mais aussi de la marge de manœuvre laissée par la rédaction en chef, qui autorisera ou non ses enquêteurs à se pencher sur une question a priori déconnectée des intérêts d’une majeure partie du lectorat62. Comme l’illustre l’affaire Quantic Dream, il y a pourtant un intérêt à ce que plusieurs médias traitent conjointement un même conflit, chacun amenant des informations complémentaires à condition que les journalistes bénéficient de suffisamment de temps pour travailler en profondeur. À ce titre, couvrir le crunch peut paradoxalement amener les journalistes à réaliser eux-mêmes de nombreuses heures supplémentaires, comme le raconte Sébastien Delahaye :
Clairement, on a beaucoup plus bossé que trente-cinq heures par semaine, ça n’avait aucun rapport. Et il n’a jamais été question de prime ou d’augmentation ou quoi que ce soit. Il y avait un déséquilibre, en termes de charge de travail, assez important. Surtout qu’on continuait, pendant ce temps-là, [nos tâches habituelles]. On faisait un peu moins de tests et de pages classiques dans le magazine, je crois qu’au lieu d’en avoir sept on en avait trois ou quatre, mais on en avait quand même. C’était bien chargé63. (Entretien du 1er mars 2019 avec Sébastien Delahaye.)
42La résistance de la culture du produit symbolise également une priorisation du « capital ludique » (Consalvo, 2007 ; Krywicki et Dozo, 2017) sur le « capital journalistique » (Champagne, 2000 ; Duval, 2005) qui peut aboutir à une démoralisation des spécialistes vidéoludiques pratiquant l’investigation. Au critère du temps, des sources et de l’expertise évoqués en amont, il faut ainsi ajouter celui de la motivation. En France, cette dernière a quitté les trois journalistes vidéoludiques ayant révélé l’affaire Quantic Dream, au point qu’ils abandonnent tous leur spécialisation. Cécile Fléchon et Sébastien Delahaye déplorent un manque de conséquences apparentes de leur travail, autant au sein des pratiques de l’industrie, qui évoluent peu, que dans celles de la presse vidéoludique, qui n’a, à leurs yeux, pas offert suffisamment de visibilité à la question du crunch dans ses news et ses tests des jeux concernés (certains médias, comme Jeuxvideo.com, ont même refusé de relayer l’affaire tant que la justice n’avait pas rendu son verdict). William Audureau, pour sa part, condamne les harcèlement dont il a été la cible suite à ses enquêtes sur Quantic Dream et Rockstar Games, commis par certaines communautés de lecteurs… mais aussi par des confrères.
Au début, les cyberharcèlements par le GamerGate glissaient sur moi. Puis j’ai également été attaqué par des anciens confrères. C’était à l’époque de la sortie de Red Dead Redemption 2. Une vague de harcèlement par la communauté d’un youtubeur ; une vidéo « humoristique » par un autre, mettant en scène mon assassinat et celui de mon collègue Corentin, depuis retirée, mais dont je peux dire que ce jour-là, j’ai su que j’avais atteint les limites de ce que je pouvais encaisser. Fin 2018, j’ai demandé à changer de poste et de service ; ce qui est désormais fait64.
Fig. 11 : Tweet de William Audureau dénonçant ironiquement le harcèlement dont il est la cible (posté le 18 octobre 2018).

43À l’issue de ces analyses, nous souhaitons formuler un regard à la fois optimiste et circonspect sur la présence future du crunch en tant qu’objet d’enquête de la presse vidéoludique. Si cette dernière semblait autrefois nécessiter l’apport d’un levier extérieur pour aborder cette question (affaire judiciaire, appui de la presse généraliste…) les journalistes paraissent aujourd’hui plus prompts à s’y intéresser par eux-mêmes — pour peu que soient réunis la complexe combinaison de facteurs nécessaire à l’enclenchement du processus d’enquête. En miroir, le crunch apparaît tellement ancré dans les routines de l’industrie qu’il est difficile d’améliorer la situation, d’autant plus que de nombreux joueurs et journalistes ne voient pas ce que le travail intensif a de problématique (en dehors des retards que subissent la publication des jeux vidéo à venir). En un sens, la « maladie du crunch » et la culture du produit qui la caractérisent rejaillissent alors à la figure des enquêteurs, au point de les dégoûter de l’investigation et de leur spécialisation. À tel point que, si Jason Schreier incarne le dénonciateur des conditions de travail abusives dans la sphère vidéoludique américaine, la France attend encore sa figure de proue.
Notes de bas de page
1 Le « crunch » est défini par Dyer-Whiteford et De Peuter comme « une période de crise apparemment inhabituelle dans l’agenda de production » (2006). Lorsqu’ils « crunchent », les développeurs de jeux vidéo réalisent de nombreuses heures supplémentaires et négligent leur santé au profit de l’avancement de leur création. Certains iraient même jusqu’à réduire drastiquement leur sommeil, ou en viendraient à dormir sur leur lieu de travail pour s’éviter du temps de trajet. Pour une série de cas concrets, voir notamment Schreier, 2018.
2 Voir respectivement pour exemple Graftkrys, « Crunch, work-life balance, and Assassin’s Creed Odyssey : A view from the top », Gamasutra.com, [en ligne] https://www.gamasutra.com/view/news/329130/Crunch_worklife_balance_and_Assassins_Creed_Odyssey_A_view_from_the_top.php, 25 octobre 2018 ; Kate Dale Laura, « Peter Molyneux on the Changing Face of Game Development », Kotaku.co.uk, [en ligne] https://web.archive.org/web/20190801132409/, https://www.kotaku.co.uk/2019/02/19/peter-molyneux-on-the-changing-face-of-game-development, 19 février 2019.
3 Carnbee, « L’ombre du “crunch” dans le jeu vidéo est-elle en train de disparaître ? », Jeuxvideo.com, [en ligne] https://www.jeuxvideo.com/news/1271500/l-ombre-du-crunch-dans-le-jeu-video-est-elle-en-train-de-disparaitre.htm, 12 septembre 2019.
4 Voir notamment le point de vue de cet article : Delahaye Sébastien, « De quoi l’industrie du jeu vidéo est-elle malade ? », Canardpc.com, [en ligne] https://www.canardpc.com/372/de-quoi-lindustrie-du-jeu-video-est-elle-malade, 20 décembre 2017.
5 Voici un résumé de son parcours : en parallèle de ses études de philosophie, William Audureau pige pour Nintendo, Le Magazine Officiel à partir de 2002, puis devient chef de rubrique à Jeux Vidéo Magazine en 2006. Après un licenciement en 2008, William collabore à quelques titres (01.net, SVM, Gamekult…) et publie des ouvrages d’histoire du jeu vidéo. Il est embauché pour la rubrique « Pixels » du journal Le Monde en août 2014. Il la quitte pour le service de fact checking « Les Décodeurs » en février 2020.
6 Mentionnons également une cause socio-démographique : les États-Unis sont le pays comptant le plus de travailleurs dans l’industrie du jeu vidéo. En 2017, le pays comptait environ 220000 employés pour 2457 entreprises (Takahashi, 2017).
7 Cette sélection préalable du corpus s’est opérée par l’intermédiaire du site de mesure d’audience « Alexa Games », dont la sous-catégorie Video Games — News and Reviews compte 121 portails répertoriés. Une recherche par mots-clés au sein de ces derniers a ensuite permis de rassembler 44 articles traitant de la question du crunch publiés par les quatre médias vidéoludiques américains les plus anciens et populaires en termes d’audience : Kotaku, GameSpot, IGN et Polygon (qui n’apparaît qu’en 2012). Pour une justification plus complète de la constitution du corpus, voir Manguette, 2021 : 23–26.
8 Ces affaires ont notamment été sélectionnées grâce à l’appui du portail Gameqol (université de Western Ontario), qui archive les couvertures médiatiques des conflits concernant la qualité de vie des développeurs de jeu vidéo. Voir Gameqol.org, [en ligne] http://www.gameqol.org/igda-qol-survey
9 Pour un état de l’art plus complet de ces notions, voir Manguette, 2021 : 6–20.
10 Koutsouvoulou définit le conflit social comme « [un] affrontement entre deux ou plusieurs groupes interdépendants ayant des intérêts réellement ou symboliquement opposés » (2016).
11 Le cadrage désigne « l’interprétation des significations sociales et politiques du conflit » faite par la presse (Pirotton, 2012).
12 GameSpot a été lancé le 1er mai 1996. Racheté plusieurs fois au cours des années 2000, il appartient depuis 2008 à CBS Interactive, filiale du groupe CBS, actifs dans le secteur des contenus web.
13 Kotaku débute en 2004, en tant que blog du réseau de Gawker media. Devenu site spécialisé, il s’est aujourd’hui exporté en Australie, au Japon ou au Royaume-Uni.
14 IGN débute le 29 septembre 2006 sous le nom de domaine « N64.com », puis devient « IGN64.com » deux ans plus tard, à la demande de Nintendo. Au fil de son développement, ce premier site spécialisé en jeu vidéo s’enrichit de quatre autres, progressivement rassemblés en une page d’accueil unique. À l’instar de GameSpot, le portail IGN a régulièrement changé de propriétaire dans les années 2000. Il appartient depuis 2013 au groupe de presse Ziff Davis.
15 Mis en ligne en octobre 2012 par le groupe Vox media, Polygon est mené par des vétérans du journalisme vidéoludique en provenance de Joystiq, Kotaku ou encore The Escapist. Son ambition de départ était « de se concentrer sur le côté humain du développement, sur les gens ». « Je veux que les [créateurs] ressentent le respect que nous avons pour eux », annonçait alors le rédacteur en chef (Starr, 2012). En 2015, le site élargit son domaine à la culture, la politique, et la « science populaire » (Pearson, 2015).
16 Ces quotidiens ont été choisis en fonction des mentions du crunch dans leurs pages, inventoriées au cours d’une recherche préparatoire.
17 Précisons que ces six entretiens, réalisés dans le cadre de la recherche doctorale de Boris Krywicki, ne portaient pas uniquement sur l’affaire « Quantic Dream » (deux d’entre eux ont d’ailleurs eu lieu avant sa publication) : dans une perspective plus globale, il s’agissait de questionner les journalistes sur leur mobilisation des techniques d’enquête au cours de leur travail.
18 Fondée en 1994, cette association internationale à but non lucratif vise à rassembler les développeurs de jeux vidéo, à les assister dans leur parcours professionnel, et les épauler en cas de litige. L’organisme publie, entre autres documents, des études sur la qualité de vie dans l’industrie du jeu vidéo.
19 Selon ce rapport de l’IGDA, les heures de travail durant les périodes de crunch se chiffraient entre 65 et 80 heures hebdomadaires pour 35,2 % des sondés, et excédaient les 80 heures pour 13 % d’entre eux. En outre, le rapport souligne que, dans 46,8 % des cas, les heures supplémentaires n’étaient pas payées ou compensées par des congés.
20 Pourquoi de tels problèmes n’ont-ils pas été abordés plus tôt par la justice ? Cette interrogation mériterait à elle-seule une recherche plus approfondie. Toutefois, un article du Los Angeles Times (Pham, 2004) souligne que le business du jeu vidéo a, dès ses débuts dans les garages de développeurs, durant les années 1970, été mis en branle par un « mélange de testostérone et caféine ». De plus, l’article stipule que les programmeurs de l’époque se vantaient de dormir sous leurs bureaux ou de ne simplement pas dormir pendant plusieurs jours. Ce mode de vie est probablement devenu problématique dans un second temps, lorsqu’il s’est heurté aux relations et vies de familles de ces travailleurs, comme l’illustre la lettre d’Erin Hoffman. L’hypothèse de conditions de travail soutenues comme constitutives d’un ethos de développeur de jeu vidéo « primitif », ethos qui aurait empêché la problématique des conditions de travail d’être perçues comme telles par les développeurs eux-mêmes, nous semble tout à fait plausible et est partagée par certains journalistes français (voir notamment Delahaye, 2017).
21 Stross Randall, « When a Video Game Stops Being Fun », The New York Times, [en ligne] https://www.nytimes.com/2004/11/21/business/yourmoney/when-a-video-game-stops-being-fun.html, 21 novembre 2004.
22 Marc Vanesse distingue les moments où le journaliste recueille des faits et données de sa propre initiative (« attitude active ») de ceux où les éléments lui arrivent directement, sans effort de sa part (« attitude passive »).
23 Comme mentionné précédemment, son identité et celle de son conjoint, Leander Hasty ne seront révélées que le 25 avril 2006 dans le San Diego Mercury News.
24 Crecente Brian D., « Fear and loathing at Electronic Arts », in Kotaku, [en ligne] https://web.archive.org/web/20051129100950/, http://www.kotaku.com/gaming/industry-news/fear-and-loathing-at-electronic-arts-025405.php, 10 novembre 2004.
25 Crecente Brian D., « Former EA employee speaks out under real name », in Kotaku, [en ligne] https://web.archive.org/web/20050308220733/, http://www.kotaku.com/gaming/industry-news/former-ea-employee-speaks-out-under-real-name-025556.php, 12 novembre 2004.
26 Précisons que Kotaku ne se présentait alors pas comme un site d’information mais comme un blog, ce qui implique un lien affiché avec le lecteur différent de ce qu’on pourrait trouver sur d’autres sites plus « professionnels » comptant plus d’ancienneté, à l’instar de GameSpot..
27 En dehors des témoignages relayés dans un article du San Diego Reader et des corroborations du témoignage publiées dans Joystiq (aujourd’hui engadget) et MTV Multiplayer (cf. infra) Frushtick Russ, « Former Rockstar Games NYC staffer confirms Rockstar San Diego Statements », mtv.com, [en ligne] http://www.mtv.com/news/2460397/former-rockstar-games-nyc-staffer-confirms-rockstar-san-diego-statements/, 1er décembre 2010. Gilbert Ben, « Sources : Rockstar San Diego not working on more Midnight Club games, future games in jeopardy », engadget, [en ligne] https://www.engadget.com/2010-01-11-sources-rockstar-san-diego-not-working-on-more-midnight-club-ga.html?guccounter=1, 11 janvier 2010.
28 Selon Dominique Marchietti, « le capital médiatique est une forme de capital spécifique, qui permet avec une efficacité variable (selon les périodes) d’accéder au champ journalistique. Il concentre différentes espèces particulières de capital (politique, scientifique, culturel, social, etc.) reconverties dans la logique du champ journalistique » (1997 : 26). Appliqué au domaine du jeu vidéo, il désigne les dispositions dont découle la médiatisation d’une œuvre : les titres portés par des budgets conséquents, communément appelés « triple A » par la presse et l’industrie, ont souvent plus de chances d’être couverts que les productions modestes.
29 Rockstar Spouses, « Wives of Rockstar San Diego employees have collected themselves », gamasutra, [en ligne] https://www.gamasutra.com/blogs/RockstarSpouse/20100107/86315/Wives_of_Rockstar_San_Diego_employees_have_collected_themselves.php, 7 janvier 2010.
30 Gropen Moss, « Rockstar San Diego gaming manufacturer accused of shorting pay », San Diego Reader, [en ligne] https://www.sandiegoreader.com/news/2010/feb/10/city-lights-sweat-rockstar/, 10 février 2010.
31 Ibid.
32 Frushtick Russ, « Former Rockstar Games NYC Staff confirms Rockstar San Diego statements », mtvnews.com, [en ligne] http://www.mtv.com/news/2460397/former-rockstar-games-nyc-staffer-confirms-rockstar-san-diego-statements/, 1er décembre 2010.
33 À ce titre, il serait intéressant de soulever la question du marketing et de l’engouement tel que perçu par les journalistes pour un jeu donné. En l’occurrence, les jeux concernés et franchises concernées ici (Midnight Club, Max Payne et Red Dead Redemption) étaient, surtout pour le dernier, pourvus d’un haut capital médiatique. Nous pourrions poser l’hypothèse qu’un conflit social entourant le développement d’une œuvre dotée d’un capital médiatique moindre susciterait un cadrage davantage centré sur les travailleurs que sur le jeu vidéo en lui-même.
34 Bien qu’il soit hors-corpus, nous pourrions ajouter à ce pan de l’analyse un texte du site Joystiq.com (aujourd’hui disparu) sur le sujet : Gilbert Ben, « Rockstar quietly settled class-action lawsuit with “over 100” ex-Rockstar San Diego employees », Joystiq.com, [en ligne] https://static1.squarespace.com/static/551ac4c9e4b0038a33ecc74e/t/5b28f21faa4a996a288f2660/1529410079945/Rockstar+quietly+settled+class-action+lawsuit+with+%27over+100%27+ex-Rockstar+San+Diego+employees+_+Joystiq.pdf, 15 janvier 2010. Cet article démontre une posture et un cadrage similaires à GameSpot, en ce qu’il se concentre sur « l’intra-jeu vidéo », tout en mobilisant des témoignages inédits pour corroborer les accusations. La pratique de l’enquête ne s’accompagne donc pas nécessairement d’une mise en valeur des récits des travailleurs pour leur valeur propre.
35 Orsini Lauren, « Do we need fair trade games ? », Kotaku.com, [en ligne] https://kotaku.com/do-we-need-fair-trade-games-5546208, 25 mai 2010.
36 Tanner Nicole, « Editorial : The Real Housewives of Game Development”, IGN.com, [en ligne] https://www.ign.com/articles/2011/05/02/editorial-the-real-housewives-of-game-development, 2 mai 2011.
37 Mark Deuze conçoit l’idéologie professionnelle (occupational ideology) comme une façon de comprendre « comment les journalistes donnent du sens à leur travail informatif » (2005 : 444) en synthétisant « ce qui est commun et consensuel dans les auto-descriptions des journalistes autour du globe ». L’idéologie professionnelle d’un journaliste est donc à envisager comme le capital culturel spécifique de son champ, tissé de « standards normatifs » (Vos, Craft et Ashley, 2012 : 856) discursivement exprimés.
38 Voir Goldberg Harold, « How the west was digitized — The making of Rockstar Games’s Red Dead Redemption 2 », Vulture.com, [en ligne] https://www.vulture.com/2018/10/the-making-of-rockstar-games-red-dead-redemption-2.html, 14 octobre 2018.
39 Voir Schreier Jason, « “We Were Working 100-Hour Weeks,” Red Dead Redemption 2 Head Writer Says, Then Clarifies », Kotaku.com, [en ligne] https://kotaku.com/we-were-working-100-hour-weeks-red-dead-redemption-2-h-1829758281, 15 octobre 2018. Dan Houser a finalement quitté la co-présidence de Rockstar Games le 11 mars 2020.
40 Cross Katherine, « What will be left of the people who make our games ? », Polygon.com, [en ligne] https://www.polygon.com/2018/10/17/17986562/game-development-crunch-red-dead-redemption-2-rockstar, 17 octobre 2018.
41 Jason Schreier est un journaliste vidéoludique s’intéressant à la question du crunch depuis, au moins, la parution de l’article « The Horrible World of Video Game Crunch » sur Kotaku le 15 mai 2015. En 2017, il publie le livre Du sang, des larmes et des pixels, ayant comme sujet les conditions de travail de l’industrie du jeu vidéo. En 2020, il quitte Kotaku pour rejoindre le site Bloomberg.
42 Dans un appel aux témoignages publié sur Twitter deux jours après les propos polémiques de Dan Houser, le journaliste dit travailler sur un article au sujet de la culture du crunch de Rockstar depuis « un temps certain » (« quite some time »). Voir Twitter.com, [en ligne] https://twitter.com/jasonschreier/status/1052183505843748864
43 Schreier Jason, « Inside Rockstar Games’ culture of crunch », Kotaku.com, [en ligne] https://kotaku.com/inside-rockstar-games-culture-of-crunch-1829936466, 23 octobre 2018.
44 Ibid.
45 Notamment dans la presse spécialisée (Gamekult, Canard PC) mais aussi dans les journaux généralistes (Le Monde, Libération). Nous revenons plus loin sur cette importance de Jason Schreier en France.
46 Schreier Jason, « 18 Months After Red Dead Redemption 2, Rockstar Has Made Big Cultural Changes », Kotaku.com, [en ligne] https://kotaku.com/18-months-after-red-dead-redemption-2-rockstar-has-mad-1842880524, 15 avril 2020.
47 Schreier Jason, Twitter.com, [en ligne] https://twitter.com/jasonschreier/status/1250594286242009088, 16 avril 2020.
48 Blutch, « Medal of Honor : Bataille du Pacifique », Joystick, n° 154, p. 22, décembre 2003. À noter que, au-delà du doute éprouvé par le chercheur qui tente d’épingler les techniques d’enquête, le lecteur de l’époque n’a, lui non plus, aucun moyen à sa disposition pour déterminer s’il s’agit d’une authentique observation ou d’une affabulation. Comme si ce genre d’informations dérivant du jeu vidéo en lui-même étaient considérées anecdotiques, d’un statut différent, requérant moins de sérieux ou de professionnalisme.
49 Brunet Frédéric, « Gears of War », Xbox 360, Le Magazine Officiel, n° 7, p. 48, mai 2006.
50 Ce dépouillement « par carottages » (Kirkpatrick, 2015 : 42–43 ; Kirchane, 2018) réalisé dans le cadre de la recherche doctorale de Boris Krywicki vise à déterminer la place des techniques d’enquête au sein d’une vingtaine de médias spécialisés différents (Consoles +, Joystick, Jeuxvideo.com, Gamekult…) publiant entre 1982 et 2019.
51 Audureau William, « Crunch : attention, développeurs sous pression », Gamekult.com, [en ligne] https://www.gamekult.com/actualite/crunch-attention-developpeurs-sous-pression-102749.html, 9 juillet 2012.
52 Voir respectivement Turcev Nicolas « Stages abusifs : comment en est-on arrivés là ? », [en ligne] https://www.gamekult.com/actualite/stages-abusifs-comment-en-est-on-arrive-la-163751.html, 23 mai 2016 ; Turcev Nicolas, « Marche ou rêve : enquête sur les conditions de travail dans le jeu vidéo », [en ligne] https://www.gamekult.com/actualite/marche-ou-reve-enquete-sur-les-conditions-de-travail-dans-le-jeu-video-172881.html, 6 février 2017.
53 En France, le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) existe depuis 2008, mais ce dernier représente en réalité davantage les patrons du secteur que les travailleurs en bas de l’échelle. Selon Sébastien Delahaye, « le SNJV, c’est juste un lobby et ils ne sont pas là en tant que syndicat, ils sont là pour parler aux députés et faire valoir les droits des studios, mais tout le reste ils s’en fichent » (entretien du 1er mars 2019).
54 Fléchon Cécile, « Un syndicat des travailleurs du jeu vidéo », Canard PC, n° 366, [en ligne] https://www.canardpc.com/366/un-syndicat-des-travailleurs-du-jeu-video, 12 septembre 2017.
55 L’affaire, qui débute, du point de vue juridique, par un premier procès au tribunal des prud’hommes le 20 décembre 2017, met en cause Quantic Dream, principalement à l’aune du droit du travail (heures supplémentaires abusives, diffusion de photomontages dégradants par ses employés, licenciements frauduleux…). En avril 2018, la société porte plainte en diffamation contre Le Monde Pixels et Mediapart. Fin novembre 2019, Quantic Dream est condamné à une amende de 5000 € par le tribunal des prud’hommes (voir Audureau William, « Le studio de jeux vidéo Quantic Dream condamné aux prud’hommes pour des photomontages », Lemonde.fr, [en ligne]https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/12/02/le-studio-de-jeu-video-quantic-dream-condamne-pour-des-photomontages-injurieux_6021367_4408996.html, 2 décembre 2019). Fin février 2020, l’entreprise organise par elle-même une opération de démenti, à travers des contre-enquêtes publiées dans Le Point en France et par Venture Beat aux États-Unis. Voir Rieder Yann, « Quantic Dream, la contre-enquête décryptée », Gamekult.com, [en ligne] https://www.gamekult.com/emission/quantic-dream-la-contre-enquete-decryptee-3050827675.html, 8 mai 2020.
56 Pour l’anecdote, les journalistes de ces trois médias se rendent compte de leur intérêt commun pour l’affaire en se croisant… au tribunal des prud’hommes. Ils se synchroniseront ensuite sur une date de publication commune (le 14 janvier 2018) pour éviter de parasiter leurs révélations respectives. Certains entretiens (notamment le droit de réplique de David Cage et Guillaume de Fondaumière, patrons de Quantic Dream) seront également réalisés avec les trois médias représentés.
57 « Crunch Investigation » compte treize articles au total, dont trois publié par Mediapart. Voir la liste complète que propose Canardpc.com : Gaudé Ivan, « Crunch Investigation, l’enquête de Mediapart et Canard PC » [en ligne] https://www.canardpc.com/online/crunch-investigation, 8 janvier 2018.
58 Voir notamment pour illustration Audureau William, « Une créatrice de jeux vidéo victime d’une vaste campagne de harcèlement en ligne », Lemonde.fr, [en ligne] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/08/22/une-creatrice-de-jeux-video-victime-d-une-vaste-campagne-de-harcelement-en-ligne_4474760_4408996.html, 22 août 2014 ; Audureau William, « Omerta, sexisme ordinaire et “porcs sans vergogne” dans le jeu vidéo, le machisme résiste », Lemonde.fr, [en ligne] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/11/20/omerta-sexisme-ordinaire-et-porcs-sans-vergogne-dans-le-jeu-video-le-machisme-resiste_5217614_4408996.html, 20 novembre 2017.
59 Voir les articles suivants : Audureau William, Lamy Corentin, « Première grève dans l’industrie du jeu vidéo française depuis sept ans », Lemonde.fr, [en ligne] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/02/15/premiere-greve-dans-l-industrie-du-jeu-video-francaise-depuis-sept-ans_5257630_4408996.html, 15 février 2018 ; Fléchon Cécile, Delahaye Sébastien, « Le salaire du labeur », Canard PC, n° 375, [en ligne] https://www.canardpc.com/375/salaire-du-labeur, février 2018 ; Audureau William, « Rockstar Games : plongée dans le rythme infernal des créateurs de “GTA” et “Red Dead Redemption”, Lemonde.fr, [en ligne] https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/10/16/rockstar-games-plongee-dans-le-rythme-infernal-des-createurs-de-gta-et-red-dead-redemption_5370312_4408996.html, 16 octobre 2018 ; Gaudé Ivan, « Rockstar à crunch ouvert », Canard PC, n° 389, [en ligne] https://www.canardpc.com/389/rockstar-crunch-ouvert, décembre 2018.
60 Le poids fonctionnel des différents médias peut, selon Marchetti (2002 : 36), se mesurer par plusieurs indicateurs comme le taux de reprises, le nombre d’exclusivités, les effectifs de journalistes, mais aussi par des critères d’audience. Il permet d’identifier les positions respectives de chaque publication au sein du champ journalistique.
61 Cario Erwan, Chapuis Marius, « Récits de harcèlement et d’agressions sexuelles à Ubisoft : “Les jeux vidéo c’est fun, on peut tout faire, rien n’est grave” », Liberation.fr, [en ligne] https://www.liberation.fr/images/2020/07/01/recits-de-harcelement-et-d-agressions-sexuelles-a-ubisoft-les-jeux-video-c-est-fun-on-peut-tout-fair_1793062/, 2 juillet 2020.
62 C’est d’ailleurs un désaccord sur les priorités stratégiques qui a conduit Jason Schreier a quitter le site Kotaku pour Bloomberg, pour lequel il continue à investiguer sur l’industrie vidéoludique. Voir Tiraxa, « Jason Schreier quitte Kotaku, des désaccords avec G/O Media évoqués », Jeuxvideo.com, [en ligne] https://www.jeuxvideo.com/news/1213062/jason-schreier-quitte-kotaku-des-desaccords-avec-g-o-media-evoques.htm, 20 avril 2020.
63 À ce sujet, notons que « Crunch Investigation » contient un encadré réflexif sur « Le crunch à Canard PC ». Voir Fléchon Cécile, Delahaye Sébastien, « Le crunch — Symbole de l’immaturité de l’industrie et cause de son incapacité à grandir », Canard PC, n° 374, [en ligne] https://www.canardpc.com/374/crunch, février 2018.
64 Billet de départ de William Audureau, Twitlonger.com, [en ligne] https://www.twitlonger.com/show/n_1sr5apr, 21 février 2020.
Auteurs
Université de Liège
Titulaire d’un master en Journalisme obtenu à l’université de Liège en janvier 2021. Pour son travail de fin d’étude, il s’est intéressé au traitement médiatique des conditions de travail dans l’industrie du jeu vidéo américaine par les presses généraliste et vidéoludique Outre-Atlantique, au travers de trois études de cas.
Université de Liège
Assistant au département Médias, Culture et Communication de l’université de Liège et docteur en Information et Communication. Ses recherches portent sur l’utilisation des techniques d’enquête par les journalistes spécialisés en jeu vidéo. Il a par ailleurs corédigé un ouvrage sur l’histoire des magazines vidéoludiques français (Presse Start, Omaké Books, 2020).
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Penser (avec) la culture vidéoludique
Discours, pratiques, pédagogie
Selim Krichane, Isaac Pante et Yannick Rochat (éd.)
2022
Jouer dans l’Antiquité classique/Play and Games in Classical Antiquity
Définition, Transmission, Réception/Definition, Transmission, Reception
Véronique Dasen et Marco Vespa (éd.)
2021
Lire les magazines de jeux vidéo
Couverture(s) de la presse spécialisée française
Sélim Ammouche, Alexis Blanchet, Björn-Olav Dozo et al. (éd.)
2022
Temporalités et imaginaires du jeu
Rémi Cayatte, Audrey Tuaillon Demésy et Laurent Di Filippo (éd.)
2023