« Jouer au journaliste » ? Contre la violence symbolique à l’égard de la spécialisation vidéoludique
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Texte intégral
En général, quand je commence à dire que je suis critique de jeux vidéo aux gens qui ne savent pas trop ce que c’est, très vite, j’enchaîne en disant : « Mais vous savez, avant, j’ai aussi été critique de cinéma. » Ce n’est pas que j’ai franchement honte, mais l’idée que l’on imagine que je passe mes journées à faire des tours dans les rues de [la ville imaginaire du jeu Grand Theft Auto, ] Liberty City, ou à élever des pokémons, même si ce n’est pas complètement faux, ça me gêne un petit peu. Mais c’est signe aussi que je pense que, en écrivant dans la presse généraliste sur les jeux vidéo, il y a une position d’entre-deux, un petit peu inconfortable, une sorte de combat pour la légitimisation du jeu vidéo qui est à refaire sans arrêt1.
1La presse spécialisée en jeu vidéo incarnerait-elle le vilain petit canard du journalisme ? D’un point de vue académique, elle est en tout cas rarement envisagée épistémologiquement en tant que sous-champ journalistique : les travaux la convoquent en tant que source historique2, ou pour évoquer les usages qu’en font les joueurs-lecteurs3. La presse de jeu vidéo occupe au sein de ces sources une posture secondaire, en tant qu’elle se fait le support de la construction d’une culture vidéoludique partagée (Consalvo, 2007) ou encore d’un « gamer habitus » (« habitus du joueur » ; Kikpatrick, 2015 : 67). La figure du journaliste de jeu vidéo, elle, est ainsi principalement étudiée du point de vue de son rôle de prescripteur, d’évaluateur d’œuvres culturelles charriant des enjeux commerciaux (Noyer, 2001 ; Carlson, 2009 ; Zagal, Ladd et Johnson, 2009). À ce titre, les chercheuses et chercheurs rappellent la proximité économique avec l’industrie qui sous-tend cet espace spécialisé, la comparant directement à la presse féminine (Consalvo, 2007 : 22) ou « lifestyle » (Ribbens et Steegen, 2012 : 3)
2Lorsque ces travaux se font le porte-voix des journalistes spécialisés, il s’agit de redoubler les critiques internes de la profession, qui appellent à y injecter plus d’exigence et de créativité (Gillen, 2004 ; McCrea, 2007 ; Costikyan, 2008). Qu’ils proviennent de billets de blog ou d’entretiens, ces témoignages se plaignent du manque de profondeur (Stuart, 2005) et de la pauvreté d’écriture (Buffa, 2006) des médias vidéoludiques, de leur dépendance envers les « relations presse » de l’industrie (Jenkins, 2010). Pour David Nieborg et Tanja Sihvonen, il s’agit, sur base du constat de ces critiques internes et au prisme de comparaisons avec les « core principles » du journalisme généraliste, de démontrer en quoi la presse vidéoludique déploie une idéologie professionnelle basée sur « une nouvelle conception du journalisme : les journalistes ne visent pas à travailler comme des chiens de garde des institutions, mais plutôt comme des médiateurs d’évaluations qui délivrent du capital ludique » (2009 : 7–8). En se basant sur des types de textes en particulier4 ou sur des entretiens avec des « critiques » de jeu vidéo professionnels, la littérature académique conclut du journalisme vidéoludique qu’il incarne une « enthusiast press » (Carlson, 2009 : 12), « une extension, un porte-voix, disons, des éditeurs de jeux vidéo » (Nieborg et Sihvonen, 2009 : 6) qui « défie les notions journalistiques traditionnelles d’objectivité et de dépendance » (Ribbens et Steegen, 2012 : 3 vers. num.) ; ou encore un champ professionnel dans lequel « la frontière floue entre les départements de l’éditorial et du marketing est considérée comme inhérente [au champ et aux standards professionnels] » (ibid. : 28).
3Partant de ce constat épistémologique, cette contribution va tâcher de s’inscrire à contre-courant de cette tendance académique à dévaluer symboliquement la presse spécialisée en jeu vidéo. Nous allons commencer par identifier l’origine de cette définition par la négative des rédacteurs de magazines vidéoludiques, qui provient à la fois d’une volonté de leur part et de traditions académiques externes. Nous étudierons ensuite quelques cas de figure où, à l’inverse, ces travailleurs embrassent l’ethos de journaliste professionnel, et chercherons à expliquer ces changements de posture au prisme de leur contexte socio-économique et éditorial. Enfin, nous conclurons en avançant que cette revendication du titre de journaliste par les rédacteurs spécialisés en jeu vidéo constitue aujourd’hui un corollaire de la quête d’une valeur ajoutée informationnelle, de la volonté de se distinguer du reste des producteurs de contenus, dont les statuts se sont considérablement diversifiés au cours des dernières années (Flichy, 2010).
4Pour illustrer ces différents points, nous nous appuierons sur des entretiens compréhensifs (Kaufmann, 2011) réalisés dans le cadre de notre recherche doctorale. Ces derniers s’inscrivent dans la théorisation ancrée (Lejeune, 2014) et ont été réalisés entre 2017 et 2020, dans un double objectif : cartographie historique des pratiques et caractérisation de l’expérience du journaliste spécialisé en jeu vidéo. Enfin, ces entretiens seront ponctuellement secondés par des prises de parole en public (extraits de podcast, conférences…) des acteurs issus du milieu étudié. Nous assumons ainsi de partir du ressenti de ces informateurs pour mieux comprendre les origines de leur dévaluation symbolique et la façon dont ils négocient ponctuellement avec celle-ci.
1. L’ostracisation académique du journalisme spécialisé
5Commençons par préciser d’emblée que le sous-champ vidéoludique est loin d’être le seul à se voir dévalué symboliquement par les discours académiques et professionnels. Une partie de la sociologie française du journalisme considère en effet les secteurs de l’information spécialisée comme des « sous-espaces […] qui sont en relation les uns avec les autres et fonctionnent d’une certaine manière comme des microcosmes » (Marchietti, 2002 : 23). Pour comparer ces franges de la profession entre elles, une série de critères ont été développés, résumables par la notion, protéiforme et parfois confuse, de « capital journalistique » (Champagne, 2000 ; Duval, 2005). En pointant comment certains sous-champs comptent davantage de journalistes récompensés par des prix que d’autres, ou encore les écarts d’audience entre les secteurs, ces mesures — sur lesquelles on ne pourra s’attarder ici — produisent de puissants effets de hiérarchisation. Ces derniers renforcent les disparités symboliques, au point d’aboutir à la caractérisation de certaines spécialisations comme relevant d’un journalisme « à part », voire d’un « sous-journalisme ». Avant la presse vidéoludique, celle dédiée au sport a connu un sort similaire.
6Le journalisme sportif est ainsi dans un premier temps peu étudié : quand il n’est pas dépeint en quelques lignes dans des ouvrages généraux sur la presse (Charon, 1991), il est documenté dans une perspective historienne (Seidler, 1964 ; Marchand, 1989 ; Combeau-Mari, 2007). Loin d’être abordé en tant que pratique journalistique légitime, le traitement du sport est souvent décrit comme « porté sur le superlatif et l’exceptionnel » (Attali, 2018 : 182), sous influence des acteurs du milieu (Ohl, 2000) et producteur d’une information ayant « un rôle à part » (Leseney et Pallix, 1984 : 25). Cette mise à l’écart relève du constat, mais elle se voit aussi, d’une certaine manière, renforcée par les conclusions des travaux académiques. Nous observons des dynamiques similaires dans les analyses concernant les sous-champ des journalismes sportif et vidéoludique : en dépit d’une volonté des chercheurs de se pencher sur leurs particularités, ces deux secteurs sont la plupart du temps davantage étudiés comme des curiosités, des espaces secondaires où les valeurs déontologiques seraient par défaut différentes ou moindres que celles des acteurs primaires du champ, dominé symboliquement par les « généralistes » ou les « investigateurs ». Ce manque de prise en considération nous semble d’autant plus regrettable que le jeu vidéo comme le sport incarnent des objets dont la légitimité scientifique a longuement été mise en doute, et continue de l’être dans une certaine mesure.
Si la légitimité professionnelle [du journalisme sportif] est souvent mise en cause, c’est avant tout parce qu’il est considéré « comme un professionnel d’un type particulier, un peu marginal, parfois dédaigné comme la matière qu’il traite5 ». Dans le journalisme comme dans bien d’autres domaines, le sport, notamment dans ses formes les plus populaires, n’est pas considéré comme un objet noble. Ainsi, les journalistes sportifs ont toujours été mis un peu « à part », traitant d’un genre mineur à l’opposé des valeurs cardinales (indépendance, revendication de l’autonomie, esprit critique, information sérieuse, etc.) qui fonderaient le « vrai » journalisme. (Dargelos et Marchietti, 2000 : 75.)
7Les journalistes sportifs eux-mêmes, si leur Union syndicale (USJFS) résiste dès 1961 à leur stigmatisation sous certains aspects — refusant par exemple le qualificatif « sportif » pour lui préférer celui de « journaliste de sport » — se réclament à l’époque d’une « vraie spécificité : celle d’écrire sur la passion sportive » (Siedler, 1964 : 53). Karim Souanef rapporte ainsi l’émergence d’une « identité professionnelle hybride : inspirée par l’éthique journalistique tout en restant inlassablement imprégnée de la morale sportive » (2013 : 27), institutionnalisée par le livre blanc de l’USJFS (Union syndicale des journalistes sportifs de France) de 1975. Les années suivantes, différentes affaires mettent au jour des dérives du sport et de sa marchandisation et conduisent les membres de l’Union à rédiger un second livre blanc dont l’analyse « dévoile une revendication beaucoup plus affirmée de l’identité de journaliste » (Souanef, 2013 : 30). De plus en plus de spécialistes sportifs expriment le souhait d’être considérés en tant que journalistes « comme les autres », revendiquant leur polyvalence et leur professionnalisme.
Lors des attentats de mars 2016, tous les journalistes de RTL-TVI, spécialistes ou non, ont été amenés à couvrir l’évènement, moi y compris. […] Je suis journaliste sportif mais je ne reste jamais deux années d’affilée sans faire de l’information généraliste. Le sport, c’est aussi de l’actualité : des notions de droit ou d’économie, par exemple, peuvent y intervenir. Je suis avant tout journaliste. (Entretien du 28 novembre 2017 avec Emiliano Bonfigli, journaliste à RTL Sport.)
8Ainsi, les journalistes sportifs ont mis plusieurs décennies à enclencher cette mouvance de leur « occupational ideology » (Deuze, 2004), à rejeter les dévaluations symboliques pour revendiquer l’appartenance au champ journalistique dans son ensemble. La revendication du caractère professionnel de certains de ces spécialistes a été motivée par des dérives du milieu couvert. La suite de ce chapitre va montrer qu’il existe un parallèle à dresser entre ce phénomène et la situation des spécialistes vidéoludiques. Eux aussi ont commencé par nier tout lien à une posture professionnelle, avant de l’accepter progressivement.
2. Être payé pour jouer : le rêve éveillé d’une génération
9Au-delà des sources académiques, la dévaluation symbolique du journalisme spécialisé en jeux vidéo trouve également son origine dans les discours et positionnements des acteurs du sous-champ eux-mêmes. Pour comprendre comment s’est constitué cet « habitus journalistique », il faut savoir que, durant les années 1990, la presse vidéoludique a vécu une forme d’« âge d’or » (Dozo et Krywicki, 2018) : explosion du nombre de titres, intérêt public croissant pour son objet, conditions de travail idéales des rédacteurs… Lors de cette période, les consoles de jeux commencent à s’installer en France et les magazines dédiés profitent de la popularité de ces machines, déclencheuses d’un nouveau lectorat (Dupuy-Fromy, 2012 : 519). Un grand nombre de nouveaux titres sont lancés pour profiter de cet engouement, dont certains sont spécialisés dans les machines d’un unique constructeur. Entre septembre 1990 et juillet 1992, nous répertorions ainsi huit nouvelles revues majeures, issues de quatre éditeurs différents (voir fig. 1).
10Cette profusion éditoriale favorise l’institutionnalisation d’une collaboration bienveillante entre les magazines spécialisés et les éditeurs de jeu vidéo, allant parfois jusqu’à la mise en place de partenariats officiels entre revue et constructeur (Megaforce, Nintendo Player). L’activité de rédacteur, rémunéré pour jouer et parler de sa passion, est vécue, d’après les témoignages, comme un véritable rêve éveillé par une grande partie de ceux qui la pratiquent, d’autant plus que ces derniers sont parfois mineurs6. Dès lors, le recul critique à l’égard du jeu vidéo et les enquêtes riches en informations recoupées7 qu’accueillait le magazine pionnier Tilt, lancé en septembre 1982, sont abandonnés au profit d’une célébration décomplexée du médium, à mille lieues de revendiquer la posture professionnelle.
Soyons clairs : si, dans un[e critique de jeu], on a cinq fautes d’orthographes par ligne, ce qui est à peu près le niveau des journalistes que j’engageais à l’époque, le public, ça ne le gêne pas. […] Par contre si vous dites qu’il y a sept coups spéciaux alors qu’en fait il y en a huit, vous recevez 3000 lettres d’insultes ! C’est le problème de la presse spécialisée : la seule chose qui compte véritablement, c’est la connaissance du sujet […] si on écrit bien, c’est un bonus8.
Fig. 1 : Principaux magazines jeux vidéo dédiés aux consoles au débuts des années 1990 (tirage moyen de 50000 à 120000 exemplaires).

11À l’orthographe irréprochable, les employeurs préfèrent la connaissance pointue des systèmes de jeu. De même, le capital ludique psychomoteur (Dozo et Krywicki, 2017) est davantage valorisé que la maîtrise des règles journalistiques.
3. La posture de « journaliste amateur » chevillée à la « passion »
12Dans le milieu spécifique des magazines de jeu vidéo, le terme « journaliste » a longtemps été chargé d’une connotation négative par les membres de rédaction se considérant avant tout comme « passionnés ». Il s’agit de se détacher de la presse « traditionnelle », voire de parodier ses espaces canoniques, par exemple en utilisant l’ours, normalement destiné à accueillir le dépôt légal ou la liste des collaborateurs du numéro, comme le réceptacle de farces potaches entre copains9.
Fig. 2 : Ours de Super Power, n° 11, p. 5, juillet 1993. Chaque nom ou pseudonyme (en gras) est affublé d’une plaisanterie, par exemple à propos des régimes de Jean-Marc Demoly ou de le conduite du « Chef des Nains ».

13Ce rejet de la figure du journaliste par les spécialistes en jeux vidéo s’explique par deux facteurs. Tout d’abord, dans la presse généraliste des années 1990 et jusqu’à la première moitié des années 2000, le jeu vidéo est majoritairement traité comme une activité pour enfants ou pour adolescents (Maître, 2017), comme une « culture spécifique à une génération » (Fichez et Gellereau, 2001). Aux États-Unis, les journalistes non-spécialisés emploient régulièrement un « langage de pathologisation » (Williams, 2003) pour décrire les joueurs10. En 1999, le massacre de Littleton11 « marque un tournant décisif dans le traitement médiatique des jeux vidéo en les inscrivant dans une problématique sociale » (Mauco, 2008 : 20). Ainsi, Olivier Mauco souligne le recours quasi-systématique des journalistes français, après cet incident charnière, à des interviews de psychologues, « entraînant un cadrage normalisé du sujet [des jeux vidéo] en terme de violence, puis plus tard d’addiction » (ibid. : 22). De manière générale, « au tournant des années 2000, le discours sur la violence liée au jeu vidéo devient particulièrement présent dans les médias » (Delbouille, 2017).
14Or, les rédacteurs des magazines spécialisés, pour s’affirmer en tant qu’amateurs-connaisseurs et se désolidariser de cette convocation du savoir exogène par les médias généralistes, n’ont aucun intérêt à se définir en tant que « journalistes », qu’ils identifient comme « ceux qui n’y connaissent rien ». Citons les ressentis d’Ivan Gaudé (en tant que rédacteur) et de Jean-Marc Demoly (en tant que lecteur ensuite devenu rédacteur) :
À Joystick à la fin des années 1990, le credo était plutôt : « on ne se revendique pas comme journaliste », parce que les journalistes, c’était ceux qui racontaient n’importe quoi sur les jeux vidéo. On était plutôt dans la position consistant à dire : « On est des sales gosses, on fait ce qu’on a envie de faire, et vous nous suivez si vous voulez12. »
Je reprochais [au magazine Tilt] d’être fait plus par des journalistes que par de vrais passionnés. Ce manque de passion se ressentait notamment au niveau des critiques, qui étaient loin d’atteindre les standards que j’attendais. (Demoly, 2018 : 75.)
15Le second facteur de rejet de la figure du journaliste tient à la critique qu’en font les acteurs du champ. De fait, la fonction critique des journalistes spécialisés est loin de bénéficier d’une réception uniformément positive. En ce qui concerne les critiques cinéma, par exemple, il est fréquent que les lecteurs soupçonnent les journalistes professionnels de dénigrer les films populaires, mettant ainsi en doute leurs rôles de prescripteur (Tillinac, 2012). Dans le secteur des technologies et des jeux vidéo, la professionnalisation serait davantage perçue par les communautés destinataires les plus exigeantes comme un indice de potentielle corruption de l’auteur d’une critique (les soupçons portant ici sur l’indépendance financière de ce dernier). Lorsque ce rapport de confiance entre prescripteur et public est mis à mal par une perte de singularité ou d’identification liée à la concentration des médias ou que des contenus partenaires entachent l’indépendance d’apparence de l’instance prescriptrice dans son ensemble, il peut devenir délicat, pour les journalistes, de trouver un terrain d’entente avec leurs lecteurs, ce qui peut pousser certains acteurs médiatiques à récuser la rémunération pour rester vierge de tout soupçon. Ainsi, par exemple, lorsque Samuel Demeulemeester crée en 2001, à l’âge de vingt ans, le site spécialisé en hardware « X86-secret.com », il n’envisage volontairement pas cette activité comme rémunératrice et professionnelle, dans l’optique de paraître irréprochable :
Ce n’était pas quelque chose dont je voulais faire mon métier. Je voulais le faire en plus, sur le côté, pour pouvoir garder cette liberté d’expression, ne pas être inféodé au fabriquant [des composants hardware que je testais]. […] On ne se qualifiait pas de journalistes, à l’époque. [On revendiquait le statut de bénévole passionné] parce que, dans l’esprit des gens, à l’époque, être journaliste c’était être corrompu. Pour dire les choses comme moi en tant que lecteur et les autres lecteurs les ressentaient. C’est-à-dire qu’au moment où on avait une étiquette professionnelle, professionnel égal être payé pour ça, égal être payé par qui, par les constructeurs donc être corrompu. Le cheminement, c’était ça, dans l’esprit des lecteurs de l’époque. Mais c’est parce que les lecteurs de l’époque, par rapport à ceux de maintenant, c’étaient des spécialistes, des geeks, alors qu’aujourd’hui c’est le commun des mortels qui peut aller voir un test d’appareil photo en ligne. (Entretien du 16 novembre 2017 avec Samuel Demeulesteer, à l’époque rédacteur en chef de Canard PC Hardware.)
16Ainsi, une majorité des pionniers de la presse vidéoludique a construit son « idéologie professionnelle » par opposition à celle de la figure du journaliste traditionnel pour se définir en tant que « passionné ». Celui-ci aime le jeu vidéo et mobilise des connaissances à son sujet (pour ne pas « raconter n’importe quoi » à l’instar des journalistes généralistes) et souhaite transmettre cet attachement (avec le plus de liberté possible, pour éviter les soupçons de corruption). La posture invite à exacerber l’humour, l’enthousiasme, et tout autre ingrédient à contre-courant du « sérieux » journalistique, y compris certains éléments académiques (diplôme) ou corporatistes (carte de presse). Ce rejet trouve écho jusque dans les récits de carrière de la plupart des journalistes spécialisés en jeux vidéo français : ils seraient arrivés dans ce milieu « par hasard », profitant d’un « coup de bol » ou d’une « opportunité », souvent provoqué par l’ardent souhait de fréquenter assidûment un univers qui les captivait (Breem et Krywicki, 2020 : 36–43).
J’ai commencé la presse jeux vidéo totalement par hasard. Mais ça a été un peu une évidence. À l’âge de 16 ou 17 ans, j’ai passé une annonce dans un magazine Amiga pour faire un tournoi de tennis informatique, sur Great Courts 2 (Amiga). J’ai croisé un autre passionné de ce jeu-là, qui était plus fort que moi. Il venait de créer un fanzine dans son lycée, qui s’appelait Furax Fanzine. Il faisait 4–5 pages, était diffusé à 10–15 exemplaires. Ça m’a rappelé les guides des meilleurs logiciels que je réalisais avec un ami quand j’avais 13 ans, j’ai trouvé ça incroyable, ça m’a vraiment donné envie de les rejoindre. J’avais déjà touché à la mise en page et je les ai aidés à refondre complètement la revue. […] Des investisseurs nous ont contactés pour nous transformer en magazine national. Mais, en y réfléchissant, on s’est dit qu’on pouvait le faire nous-mêmes, en autofinancement. Voilà comment sont nés le magazine Amiga Concept et notre boîte, Delta Publishing Group, alors que j’avais 19 ans, et mon associé, 17. (Entretien du 12 mars 2020 avec Imré Antal, ex-rédacteur en chef de CD-ROM Magazine et PC Jeux.)
4. Glissements d’ethos
17En se contentant de feuilleter les revues spécialisées des années 1990 et en écoutant certains journalistes jeu vidéo se sentir inférieurs à leurs confrères généralistes13, la recherche pourrait opérer un constat rapide, et en venir à elle-même ostraciser ce sous-champ, à l’instar de Nierborg et Sihvonen (2009) ou Carlson (2009). Mais cette stratégie de rejet de la profession de journaliste par les spécialistes vidéoludiques semble aujourd’hui évoluer, comme en attestent plusieurs signes.
18D’abord, il y a le plus évident : certains médias attribuent ostensiblement ce titre à leurs prestataires, à l’instar de Gamekult.com14. De même, Jeuxvideo.com, dont l’équipe se révèle plus fournie, installe une distinction entre les « rédacteurs », qui écrivent des articles peu dotés en « valeur ajoutée » (brèves, astuces…), et les « journalistes », qui déploient fréquemment des techniques d’enquête (interviews approfondies, reportages fouillés…). Si ces appellations émanent de l’instance éditrice, elles reflètent un souhait de reconnaissance de certains spécialistes, qui estiment qu’un traitement en profondeur de l’actualité requiert de plus en plus d’efforts, quitte à brandir l’étiquette professionnelle :
J’essaie de revendiquer, sans non plus le crier sur tous les toits, le poste de journaliste. « Rédacteur », je pense que c’est un peu limité. Il y a une époque où, effectivement, je pense que mon activité se limitait à celle d’un simple rédacteur, c’est-à-dire que je faisais des news de flux et des tests de temps en temps, ça ne cassait pas non plus trois pattes à un canard. Aujourd’hui, je pense qu’avec le travail que je fais, de recherche, de créations de contacts, d’échanges avec des sources à gauche et à droite, le « titre » n’est pas usurpé. […] J’essaie de le revendiquer parce que je pense que c’est important, dans la mesure où on est arrivé à une époque — ça fait un petit moment qu’on y est, cela dit — où tout le monde peut donner son avis, dire et écrire des trucs sur internet. C’est vrai que, quand j’ai commencé à lire Jeuxvideo.com ou autres, les gens qui faisaient ce métier, ils avaient « mérité » le droit de s’exprimer, de donner leur avis. Aujourd’hui, un petit peu tout le monde peut écrire, sur le web, notamment. J’ai l’impression que, à certains, ça donne l’impression que tous les avis se valent. Tous les avis ou tous les écrits, tous les machins, se valent. […] Je pense que [le travail que produisent les journalistes de jeu vidéo] est à valoriser et si, pour ça, il faut absolument se battre pour qu’ils aient placardé sur le front ou, n’importe où, sur leur bureau, une petite plaque sur laquelle il y a écrit « journaliste », eh bien, écoutez, ce n’est pas quelque chose qui me dérange. (Entretien du 14 janvier 2019 avec Loïc Ralet, journaliste pour Jeuxvideo.com.)
19À l’intérieur du sous-champ, ce revirement assez récent15 de l’ethos des professionnels se couple, à un glissement sémantique du terme de « passion », autrefois embrassé par les médias vidéoludiques. Dans une majorité de discours issus des journalistes ou de certains de leurs lecteurs, la « passion » est désormais associée à des soupçons de corruption : ces derniers usent de dérision pour mettre en doute l’indépendance des locuteurs se revendiquant de cette passion16. La posture de l’amateur et l’enthousiasme qu’elle charrie semblent être aujourd’hui davantage l’apanage des vidéastes sur YouTube qui, dans le cas des influenceurs de grande audience, réalisent régulièrement des contenus sponsorisés par les éditeurs de jeux vidéo17. Autrefois identifiée comme ingrédient constitutif de la presse vidéoludique, la « passion » polarise désormais le champ des producteurs de contenus au sujet du jeu vidéo entre journalistes et influenceurs. Julien Chièze, naguère principal défenseur de la posture de « ménestrel18 » passionné (par opposition à celle de journaliste) a d’ailleurs été écarté du site Gameblog et est aujourd’hui « youtubeur19 ».
20Enfin, il convient de souligner l’éclosion récente de nombreuses enquêtes journalistiques approfondies autour du jeu vidéo, hébergées20 par les médias spécialisés21, pluri-spécialisés ou généralistes22. L’affaire « Quantic Dream23 » et les investigations qui gravitent autour, au sujet des conditions de travail dans les entreprises de jeu vidéo, sont emblématiques de la revendication nouvelle de l’intérêt, voire de la nécessité, de lever le voile sur les coulisses du secteur. À ce titre, la spécialisation vidéoludique embrasse l’une des caractéristiques définitoires de l’investigation journalistique, relevées par Mark Lee Hunter, en ce qu’elle « se sert des armes de l’objectivité, en ce qui concerne la collecte et la vérification des informations, pour rejeter la réalité de son époque et enfin pour la changer. […] En enquêtant, même le journalisme le plus objectif devient activiste contre son gré » (1997 : 3). Notre informatrice Cécile « Maria Kalash » Fléchon, qui a co-signé le dossier « Crunch Investigation » et participé à la révélation de l’affaire « Quantic Dream », illustrait la pertinence de ce constat en novembre 2018 en tenant une conférence à destination des éditeurs et développeurs de l’industrie du jeu vidéo en vue d’« essayer de rendre les choses (un petit peu) moins terribles », pour paraphraser son intitulé :
Even if you are perfectly happy with your job and do not recognize your own situation at all in [problems] I have discussed so far, […] you can still make things better for the others. The first thing would be : unionize. Meet people who have the same problems as you do and fight together. […] If you hate unions (I don’t know, maybe some of you do), there are other ways of joining forces. All of them imply that you are going to talk with people with the same set of problem as you. Don’t hesitate to do it24.
5. Conclusion : affiner la compréhension des habitus
21Il y aurait bien des voies à explorer pour prolonger l’explication de ce phénomène de glissement des ethos, tant le chantier des travaux sur la presse vidéoludique semble encore à ses débuts : sociographie des acteurs (de plus en plus nombreux à détenir un diplôme de journaliste), institutionnalisation du jeu vidéo par les médias généralistes25, scandales éthiques26 qui poussent les journalistes à se désolidariser du milieu couvert, comme ça a été le cas dans le champ sportif, analyse des « déclics » poussant à la redéfinition de l’idéologie professionnelle… Quelles que soient les pistes investiguées à l’avenir, ce chapitre visait surtout à appeler les approches sociologiques à reconsidérer la spécialisation vidéoludique en tant que part intégrante du champ journalistique, ce qui doit s’accompagner d’une réactualisation robuste des constats académiques au sujet de cette branche. Cette déconsidération épistémologique provient en effet selon nous de classifications trop hâtives, basées sur des synchronies figées occultant la variété des profils actuels.
22La chercheuse Ida Schultz initie une compréhension plus fine de la pluralité des habitus journalistiques en formulant la proposition suivante :
Le jeu [journalistique] peut être joué depuis différentes positions, et des dispositions différentes pointent différentes façons de maîtriser le jeu. […] Il est donc possible d’imaginer qu’il y a des formes plus spécifiques d’habitus journalistiques à l’intérieur des champs journalistiques, tels que « l’habitus d’éditeur », « l’habitus de reporter » […] mais aussi des formes d’habitus journalistiques différenciés en fonction des genres journalistiques tels que « l’habitus du correspondant à l’étranger », « l’habitus du journaliste d’investigation », ainsi que des formes d’habitus relatives au média [telles que] « l’habitus de magazine », l’« habitus du journal », « l’habitus de la télévision », etc. (2007 : 193–194.)
23Ce premier élargissement nous paraît encore trop mince et déterministe. D’après plusieurs témoignages et travaux récents (notamment Degand, 2012 ; Simonson, 2014 ; Loncin, 2018), la plupart des journalistes actuels ne semblent pas cantonnés à un seul rôle (alternance entre tâches de desk et de terrain, précarité du métier qui pousse à multiplier les partenariats et les types de mission27…), ni même à un unique support (passage à la vidéo des médias imprimés28, politiques d’« information 36029 » des rédactions consistant à traiter un même sujet sur plusieurs canaux…). De même, comme leurs confrères des autres sous-champs, la plupart des journalistes vidéoludiques ne se bornent pas à pratiquer un seul genre : les tests de jeux vidéo côtoient des portraits de créateur30 ou des reportages empreints de questionnements sociaux31, tandis que certains auteurs réalisent des ouvrages retraçant l’histoire des séries qui les passionnent32. Enfin, il s’agit de prendre en compte la manière dont les journalistes vidéoludiques interagissent et communiquent avec des acteurs issus d’autres sous-champ, à l’instar de Cécile Fléchon et Sébastien Delahaye (ex-Canard PC), qui ont collaboré avec Mediapart, ou William Audureau (Le Monde), qui a bénéficié de l’appui de spécialistes de l’investigation pour enquêter sur Quantic Dream. Tous ces facteurs tissent des habitus bien plus riches, variés et complexes que celui qui caractérisait la profession durant les années 1990.
24Ce décloisonnement induit une diversité d’habitus, bien plus foisonnante que ce que propose Schultz. À notre sens, cette pluralité impose aux chercheurs de davantage scruter les moments de rupture avec la « routine éditoriale » (Shoemaker et Vos, 2009) que les périodes de conformisme. Ce sont bien durant les épisodes où les journalistes se sentent en danger, mis à mal dans la pertinence de leur fonction, qu’ils cherchent à élargir leurs intérêts et leurs méthodes, en quête de l’apport d’une « valeur ajoutée ». À ce titre, le métier n’a probablement pas fini de se réinventer… Et, les sciences humaines, de le cartographier.
Je pense qu’il y aura toujours des journalistes de jeux vidéo dans dix ans, contrairement à ce que certains peuvent penser. Par contre, […] il faudra justifier, à un moment, qu’on a des journalistes dans le jeu vidéo, dès l’instant où certains métiers peuvent être pris par des amateurs, […] par des joueurs, en fait (je dis « amateur » dans ce sens-là) ou par des influenceurs. Au contraire, je pense que ça va forcer les journalistes à être plus dans le journalisme encore. Là où, peut-être, les journalistes ont été définis pendant quelques années comme des amuseurs, […] là pour faire de l’infotainment, je pense que cette fonction-là du journaliste a été un peu prise par les influenceurs et par les jeunes qui font des supers vidéos sur YouTube. […] Ce qui va rester aux sites de jeux vidéo, c’est leur travail sur l’actualité, leur analyse de l’actualité et puis aussi d’aller parfois dénicher des jeux, dénicher des sujets. […] La nécessité de rester journaliste viendra de la mission qu’il se donnera. […] C’est un métier qui a une noblesse et il faut garder cette noblesse, et parfois même la lui redonner, parce qu’on n’a pas toujours fait du grand journalisme dans la presse de jeu vidéo, il faut l’admettre33.
Notes de bas de page
1 Higuinen Erwan, « Écrire sur les jeux vidéo dans la presse aujourd’hui : à quoi bon ? », afjv.com, [en ligne] https://www.afjv.com/news/10021_ecrire-sur-les-jeux-video-dans-la-presse-a-quoi-bon.htm, à partir de 0m30s, 8 janvier 2020. Erwan Higuinen est journaliste spécialisé en jeu vidéo pour Les Inrockuptibles et a notamment écrit pour les magazines Ig et Games.
2 Parmi les travaux qui utilisent la presse vidéoludique comme une source historique, citons notamment Dupuy-Fromy, 2012 ; Chollet et al., 2012 ; Sidre, 2015 ; Perron, 2017 ; Krichane, 2017.
3 Voir à ce sujet Ivory, 2006 ; King, 2007 ; Joeckel, 2007.
4 Notamment les articles catégorisés comme « previews » pour Carlson (2009) et les « tests » (« reviews ») pour Zagal, Ladd et Johnson (2009), Ribbens et Steegen (2012) et Gursoy (2013).
5 Dominique Marchietti et Bertrand Dargelos citent ici un extrait d’un texte de l’Union syndicale des journalistes sportifs de France : L’essai sur les responsabilités des journalistes dans les déviations du sport, USJFS, préambule, 1975.
6 Notons que, selon les témoignages que nous avons rassemblés (Breem et Krywicki, 2020 : 43–45), ces jeunes collaborateurs ne pouvaient pas être payés. Les directions les dédommageaient en… jeux vidéo et en périphériques (consoles, télévisions…), ce qui en dit long sur l’attachement à leur objet de ces apprentis journalistes (parmi lesquels on compte Grégoire Hellot ou Julien Chièze, qui ont connu d’importantes carrières dans le milieu).
7 Nous pensons principalement ici à la rubrique « Actuel », présente de 1983 à 1989, qui contient de longs dossiers convoquant la plupart du temps plusieurs dizaines de sources issues de milieux différents. Elle explore divers sujets liés à l’informatique, comme le développement des microprocesseurs à l’étranger, les dangers potentiels des jeux électroniques ou encore les difficultés du métier de distributeur. Voir respectivement Chazoule Olivier, « La chasse aux cerveaux a commencé », Tilt, n° 3, p. 18–22 et 72, janvier 1983 ; Chazoule Olivier, « Apocalypse-vidéo », Tilt, n° 5, p. 28–30, 46, 48 et 82, mai 1983 ; Ilous Joëlle, « Pas de panique ! », Tilt, n° 7, p. 16–17, 21–22, 32, 56 et 61, septembre 1983.
8 Huyghues-Lacour Alain, « Play Paris — Évolution de la presse JV » (conférence enregistrée à la Play Paris Powered by PAX le 21 avril 2018), Youtube.com, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=FK_LjSXZ8WM (à partir de 8m20s).
9 On retrouve une tradition similaire sur certains sites spécialisés en jeux vidéo. Ainsi, en février 2007, la page « Informations légales » de Gameblog.fr annonce : « Gameblog (.fr) est un site Internet édité par la société Presse Start, société à responsabilité limitée au capital de 10000 euros. Fondée et majoritairement détenue par la rédaction de Gameblog, la société est entièrement dédiée à l’édification du plus grand empire financier que la Terre ait jamais porté » ([en ligne] https://web.archive.org/web/20070222082640/, http://www.gameblog.fr/80/legal.php, snapshot du 22 février 2007). Une plaisanterie du même ordre est affichée en bas de chaque page du site officiel de la revue Canard PC : « Copyright 2000–2980 (au moins on est peinards). » Voir Canardpc.com, page consultée le 10 mars 2020.
10 Andy Maître (2017) donne de nombreux exemples, issus dans son cas d’un corpus de médias généralistes suisses-romands entre 1988 et 1999. Il constate que le jeu vidéo est souvent lié au champ lexical de la maladie : « virus », « épidémie », « fièvre », etc. Il existe bien sûr des contre-exemples qui s’arrêtent sur les vertus de certains jeux, notamment des logiciels éducatifs comme Mario Paint.
11 Le Massacre de Littleton, aussi appelé « Fusillade de Colombine », désigne une tuerie en milieu scolaire s’étant déroulée le 20 avril 1999 dans le comté de Jefferson (Colorado), aux États-Unis. Ce jour-là, deux élèves ont ouvert le feu sur leurs condisciples et professeurs. La fusillade se solde par une douzaine de victimes et vingt-quatre blessés. Par la suite, plusieurs éditeurs de jeux vidéo (Sony, Activision…) ont été la cible de poursuites judiciaires infructueuses : leurs œuvres, considérées comme violentes, auraient inspiré les actes meurtriers du duo d’adolescents.
12 Entretien du 22 janvier 2016 avec Ivan Gaudé, in Blandin, 2018 : 285.
13 C’est le propre de la violence symbolique, dont les journalistes vidéoludiques sont victimes à notre sens, que de contenir un arbitraire insoupçonnable : ces acteurs méconnaissent « les rapports de force qui sont au fondement de sa force » (Bourdieu et Passeron, 1970 : 18). Dès lors, certains hésitent à se qualifier en tant que journaliste (évoquant un « syndrome de l’imposteur »), font preuve d’une humilité exacerbée : « J’ai l’impression que dans la presse jeu vidéo, […] on a tous plus ou moins le même âge et je crois qu’on a tous beaucoup de respect pour le journalisme en tant que tel, […] on a toujours du respect pour les grands reporters, les grands journalistes et se retrouver indirectement mis dans la même boîte, forcément, c’est un petit peu intimidant et c’est parfois presque gênant » (entretien du 14 janvier 2019 avec Loïc Ralet, à l’époque journaliste spécialisé à Jeuxvideo.com).
14 Voir pour illustration sa page de présentation de l’équipe du site : [en ligne] https://www.gamekult.com/equipe.html (page consultée le 4 juin 2020).
15 Dans un documentaire à propos du fonctionnement interne de Jeuxvideo.com, le rédacteur en chef de l’époque du site déclare : « il faut l’admettre, il y a quatre-cinq ans, on n’avait pas grand chose de journalistes ». Goyon Frédéric, « Presse play : Documentaire sur la rédaction de Jeuxvideo.com », Jeuxvideo.com, [en ligne] http://www.jeuxvideo.com/news/788302/presse-play-documentaire-sur-la-redaction-de-jeuxvideo-com.htm (à partir de 14m00s), 2 février 2018.
16 Voir pour exemple le compte Twitter @independanceJV, qui retweete les vidéastes YouTube Carole Quintaine et Julien Chièze avec le commentaire suivant : « Surtout pensez bien à leur faire de la pub hein. La passion (du pognon) avant tout ! », [en ligne] https://twitter.com/independanceJV/status/1055402897557602305, 25 octobre 2018. Voir également cet article et ses commentaires : Lefebvre Martin, « Les ambianceurs », Merlanfrit.net, [en ligne] http://www.merlanfrit.net/Les-ambianceurs, 29 octobre 2012.
17 Voir pour exemple ces vidéos de Cyprien Iov, Lucas Hauchard et Norman Thavaud, respectivement sponsorisées par les éditeurs de jeux vidéo Electronic Arts et Ubisoft : « On s’fait un Fifa ? – Clip », Youtube.com, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=AA-gbKy_ke4, 14 novembre 2014 ; « Norman — Assassin des templiers (ft Squeezie) 4K », Youtube.com, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=4qGAjgUZwsk, 23 octobre 2015. Si les médias vidéoludiques publient également des contenus partenaires, rappelons que ces derniers ne sont pas directement réalisés par leurs journalistes, contrairement aux vidéos sponsorisées des « youtubeurs », confectionnées par l’influenceur (et son équipe, le cas échéant).
18 En octobre 2012, Julien Chièze publie sur son blog la « charte des ménestrels anti-blasitude ». Un mois plus tard, il défend cet idéal de sa profession face à des confrères circonspects (Gaël Fouquet, alors rédacteur en chef de Gamekult, et Ivan Gaudé, directeur de la rédaction de Canard PC) sur le plateau de l’émission Arrêt Sur Images. Voir respectivement Chieze Julien, « Les Ménestrels anti-blasitude : ensemble réveillons l’enthousiasme », Gameblog.fr, [en ligne] http://www.gameblog.fr/blogs/JulienC/p_76110_les-menestrels-anti-blasitude-ensemble-reveillons-l-enthousi, 26 octobre 2012 ; « Parfois, il m’arrive de faire un travail journalistique », Arrêtsurimages.net, 30 novembre 2012, [en ligne] https://www.arretsurimages.net/emissions/cest-pas-quun-jeu/parfois-il-marrive-de-faire-un-travail-journalistique.
19 Depuis le 14 avril 2017 et son départ de Gameblog, Julien Chièze anime une chaîne YouTube avec, en moyenne, deux vidéos par jour ([en ligne] https://www.youtube.com/channel/UCRXcryyD7dzNQzd0Zkbj3ug). Il y publie régulièrement des contenus sponsorisés.
20 Turcev Nicolas, « Marche ou rêve : enquête sur les conditions de travail dans le jeu vidéo », Gamekult.com, [en ligne] https://www.gamekult.com/actualite/marche-ou-reve-enquete-sur-les-conditions-de-travail-dans-le-jeu-video-172881.html, 6 février 2017.
21 Linossier Héloïse, « “Ils avalent des pilules comme des Skittles” : enquête sur le dopage à l’Adderall dans l’e-sport », Numerama.com, [en ligne] https://www.numerama.com/politique/537896-adderall-esport.html, 3 août 2019.
22 Goanec Mathilde, Israël Dan, « Les errements de Quantic Dream, pépite française du jeu vidéo », Mediapart.fr, [en ligne] https://www.mediapart.fr/journal/economie/140118/les-errements-de-quantic-dream-pepite-francaise-du-jeu-video?onglet=full, 14 janvier 2018.
23 Dévoilée par Le Monde, Canard PC et Mediapart en janvier 2018, cette affaire met en cause le développeur français Quantic Dream, notamment à l’aune du droit du travail (heures supplémentaires abusives, diffusion de photomontages dégradants par ses employés, licenciements frauduleux…). En novembre 2019, l’entreprise est condamnée par le tribunal des prud’hommes à une amende de 5000 euros. Début 2020, le média américain Venture Beat et la revue française Le Point publient une contre-enquête basée sur la défense de Quantic Dream. Pour un résumé plus complet de l’affaire et les points de vue des deux parties, voir Rieder Yann, « Quantic Dream, la contre-enquête décryptée », Gamekult.com, [en ligne] https://www.gamekult.com/emission/quantic-dream-la-contre-enquete-decryptee-3050827675.html, 8 mai 2020.
24 Fléchon Cécile, « A terrible Talk about trying to make things (slightly) less terrible ! », chaîne YouTube de R/O Incubator, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=3Y5n5vHlsLo (à partir de 12m05s), 22 janvier 2019.
25 Voir l’exemple du quotidien Libération qui consacre sa « Une » du 25 octobre 2018 au jeu vidéo Red Dead Redemption 2. Auparavant, le journal avait fait de même pour Grand Theft Auto IV (26 avril 2008) et la saga The Legend of Zelda (12 novembre 2011). On peut également citer la rubrique « Pixels » du journal Le Monde, présente depuis 2014.
26 C’est probablement l’affaire du « Doritos Gate » qui reste la plus célèbre. Fin octobre 2012, dans une vidéo devenue virale à cause de son decorum publicitaire, Geoff Keighley, un journaliste canadien spécialisé, répond à une interview au sujet de la Comic-Con entouré de boissons Mountain Dew, d’un roll up à l’effigie du jeu Halo 4 et de paquets de Doritos — qui donnent son nom à la polémique. Ce « ménage » entre journalisme et publicité est alors brandi par de nombreux confrères de Keighley pour illustrer les limites déontologiques du journalisme de jeu vidéo et inviter à reconsidérer ses pratiques. Il s’agit de revendiquer la posture de journaliste, par opposition à celle de l’amateur-influenceur, qui bâtit sa propre déontologie, charrie des droits et des devoirs ancrés par des textes légaux.
27 Voir notamment Pilmis, 2013 ; Leteinturier, 2014 ; Frisque, 2014.
28 Voir à ce titre l’exemple de Canard PC, qui a lancé son émission vidéo en décembre 2018, après quinze ans de presse imprimée (Gaudé, 2019).
29 Voir à ce sujet cette émission-débat en présence de trois rédacteurs en chef : « L’info 360 — Conférence », Facebook.com/48fm105, [en ligne] https://www.facebook.com/48fm105/videos/322468471741727/, 26 mars 2019.
30 Voir pour exemple Cebo, 2018, ou encore la sélection de portraits parue dans « JV – L’anthologie » (JV, Hors-série n° 7, p. 100–159, 2020).
31 Voir pour exemple ce reportage sur le jeu vidéo en prison : Le Baron Julie, « Le jeu vidéo en prison — La grande évasion », Canard PC, n° 385, [en ligne] https://www.canardpc.com/385/jeu-video-en-prison, août 2018.
32 Voir pour exemple Ralet, 2019. Au sujet des livres de journalistes sur le jeu vidéo, voir également Dozo et Krywicki, 2017.
33 Cusseau Thomas, « [GK LIVE replay] Appelez-moi le directeur ! Yukishiro répond à vos questions avant son départ », Youtube.com, [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=lb4S4oDKa8c (à partir de 27m02s), 22 mars 2019. Thomas Cusseau a été rédacteur en chef de Gamekult de 2014 à 2019. Il a lancé la formule « premium » du site (un abonnement paywall) à l’été 2015 puis l’a étendu à la majorité de ses contenus en septembre 2018.
Auteur
Université de Liège
Assistant au département Médias, Culture et Communication de l’université de Liège et docteur en Information et Communication. Ses recherches portent sur l’utilisation des techniques d’enquête par les journalistes spécialisés en jeu vidéo. Il a par ailleurs corédigé un ouvrage sur l’histoire des magazines vidéoludiques français (Presse Start, Omaké Books, 2020).
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