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    Plan détaillé Texte intégral PORTRAIT DE RENÉ CREVEL EN OUTSIDER DU SURRÉALISME UNE ADHÉSION RETARDÉE UNE AUTHENTICITÉ ADMIRÉE L’OUTSIDER COMME ÉLÉMENT DE LA DYNAMIQUE COLLECTIVE Notes de bas de page Auteur

    La dynamique des groupes littéraires

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Du rôle des outsiders dans la dynamique du groupe surréaliste français. L’exemple de René Crevel

    David Vrydaghs

    p. 119-128

    Texte intégral PORTRAIT DE RENÉ CREVEL EN OUTSIDER DU SURRÉALISME UNE ADHÉSION RETARDÉE UNE AUTHENTICITÉ ADMIRÉE L’OUTSIDER COMME ÉLÉMENT DE LA DYNAMIQUE COLLECTIVE Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Nos recherches sur le premier groupe surréaliste français (1924-1929) s’inscrivent dans le cadre d’une sociologie de l’adhésion, définie par Alain Viala comme un processus « qui fait passer de l’opinion à la croyance, […] d’une diversité de façons de voir et de faire à la certitude qu’il n’y en a qu’une qui vaille1 ». Une telle approche de l’adhésion conçoit ce phénomène non plus comme un réflexe, un accord immédiat et magique2, mais comme un processus graduel, nécessitant différents soutiens et produisant différentes modalités d’adhésion : l’adhésion peut être feinte, contrainte, réservée, passagère, etc. Notons encore que l’adhésion ainsi définie se différencie de l’affiliation. Il ne s’agit pas d’examiner les facteurs qui conduisent un individu à intégrer un groupe (ou à demeurer à distance de celui-ci), mais d’étudier le phénomène au cours duquel un individu finit (ou non) par souscrire à une série de valeurs — en l’occurrence, les valeurs esthétiques et éthiques du groupe surréaliste (celles-ci n’étant pas données une fois pour toutes, mais s’élaborant le plus souvent au cours du processus d’adhésion lui-même, et en partie grâce à lui).

    2Dans cette perspective, on a souligné, dans nos précédents travaux, l’importance de la dynamique groupale comme soutien aux phénomènes d’adhésion. On a pu montrer que s’était formé, au sein du groupe surréaliste français, dès l’époque du « mouvement flou3 » (1922-1924), ce que nous avons appelé, Denis Saint-Amand et moi, une conduite de vie, soit un mode de régulation du collectif fondé sur la valorisation implicite d’une série de comportements et, partant, sur la mise au ban des attitudes dévalorisées4. L’examen de cette conduite de vie5 a mis en évidence que ce type de régulation des comportements était bien un soutien essentiel aux adhésions, dans la mesure où il rendait sensibles les comportements valorisés au sein du groupe mais aussi les valeurs esthétiques promues par ce dernier6. Dans ces deux domaines, il convient de souligner que la régulation des comportements s’est faite essentiellement au coup par coup, en particulier lors de conflits ou de crises, dont on sait qu’ils émaillèrent l’existence du groupe depuis ses débuts.

    3Aussi a-t-on accordé une attention particulière, dans l’analyse de la dynamique du groupe surréaliste, au cas des outsiders. Selon Howard S. Becker, est considéré comme outsider (« étranger », dans la traduction française de ses travaux) l’individu qui transgresse une norme du groupe et « auquel on ne peut plus faire confiance pour vivre selon les normes sur lesquelles s’accorde le groupe7 ». Mais cet individu, observe Becker, « peut voir les choses autrement. Il se peut qu’il n’accepte pas la norme selon laquelle on le juge ou qu’il dénie à ceux qui le jugent la compétence ou la légitimité pour le faire. Il en découle un deuxième sens du terme : le transgresseur peut estimer que ses juges sont étrangers à son univers8. »

    4On comprendra, à l’énoncé de cette double définition, que Becker ne souscrit pas à une approche essentialiste de la déviance et du déviant, selon laquelle certains actes sont nécessairement transgressifs, et certaines personnes inévitablement déviantes. Le sociologue américain fait au contraire de la déviance un processus contingent et circonstanciel, « produit d’une transaction effectuée entre un groupe social et un individu qui, aux yeux du groupe, a transgressé une norme9 ». Une telle conception implique une grande plasticité de la déviance, dans la mesure où « le même comportement peut constituer une transgression des normes s’il est commis à un moment précis ou par une personne déterminée, mais non s’il est commis à un autre moment ou par une autre personne10 ». Ce cas de figure est assez fréquent dans le surréalisme français : qu’on pense, par exemple, à l’interdiction de pratiquer le journalisme, que Breton impose avec force à Aragon et Soupault alors qu’au même moment il tolère cette pratique chez Crevel.

    5Pour montrer l’intérêt de ce concept d’outsider dans l’analyse des dynamiques des groupes littéraires, on proposera ici une étude de cas : l’adhésion au surréalisme de René Crevel, problématique dans la mesure où, selon les périodes, Crevel fut tour à tour désigné comme outsider ou admiré par le groupe, quand il ne se considéra pas lui-même comme un outsider.

    PORTRAIT DE RENÉ CREVEL EN OUTSIDER DU SURRÉALISME

    6Les études sociologiques du mouvement surréaliste ont mis en évidence les raisons objectives de l’affiliation de Crevel à ce dernier. Norbert Bandier a ainsi souligné les intérêts objectifs que les deux parties pouvaient trouver à cette alliance, « les articles de Crevel contribu[a]nt à l’accroissement du capital symbolique du surréalisme dans le champ littéraire » et « le rôle d’avant-garde scandaleuse, que le surréalisme tend à incarner à l’automne 1924, […] offr[ant] l’occasion à ce jeune lettré homosexuel, fasciné par les univers sociaux les plus éloignés de celui de son origine familiale, de “collectiviser” une partie de sa révolte contre la famille et sa morale, mais aussi de singulariser sa carrière littéraire en l’associant à cette nouvelle tendance “antilittéraire” tout en bénéficiant des avantages de son capital symbolique11 ».

    7S’il est indéniable que l’activité journalistique de Crevel servait le groupe, si son caractère révolté, souligné par de nombreux témoignages, a sans doute trouvé dans le surréalisme naissant un lieu propice à son développement, l’analyse des motifs d’affiliation n’épuise pas toutes les questions que pose la participation de Crevel au surréalisme. On peut ainsi se demander pourquoi cet écrivain proche des milieux mondains et cosmopolites, lié à plusieurs éditeurs et prétendant doué à la carrière littéraire n’a pas quitté le groupe quand d’autres, qui partagent avec lui ce profil, l’ont fait plus ou moins rapidement (Soupault, Artaud, Desnos, Queneau, Leiris, ou encore Aragon). Ou pourquoi Crevel, mis au ban du groupe à plusieurs reprises — comme on le rappellera plus loin — et fréquemment absent de Paris dans la seconde moitié des années 1920 en raison de séjours répétés en sanatorium, revient chaque fois vers le groupe surréaliste et ne le quitte plus de 1929 à sa mort en 1935. L’engagement de René Crevel dans le surréalisme, intermittent mais passionné, échappe en effet pour partie à l’analyse sociologique des groupes littéraires telle qu’elle est menée généralement, à travers l’étude des trajectoires individuelles de leurs membres, qui rendent compte à la fois des raisons objectives des affiliations et des causes, également objectives, de dissolution12. Elle demande, pour être comprise, que soient interrogées en même temps les modalités de son adhésion au surréalisme et les dynamiques groupales qui en firent parfois un outsider et parfois, selon l’éloge posthume de Breton, « l’un de ceux dont les émotions et les réactions avaient été vraiment constitutives de notre état d’esprit commun13 ».

    UNE ADHÉSION RETARDÉE

    8Crevel fréquente les futurs surréalistes dès 1921, lorsque s’opère la jonction entre le groupe de Breton, encore dadaïste, et les membres de la revue Aventure (qui ne comptera que 3 numéros). Resté dans un premier temps fidèle à Dada — lors des querelles entre Tzara et Breton du printemps 192214 —, Crevel fréquente pourtant toujours la rue Fontaine, où, en septembre 1922, il initie le groupe aux sommeils hypnotiques. L’expérience sera renouvelée régulièrement pendant plusieurs mois, avec ou sans Crevel, et jouera un rôle fondamental dans l’émergence d’une conduite de vie au sein du futur groupe surréaliste, comme le fait remarquer Simone Breton dans une lettre à sa cousine Denise Lévy datée du 9 octobre 1922 : « Ceux qui se récusent, comme Vitrac, ou se montrent indifférents comme Baron sont immédiatement mis en quarantaine. On n’appartient plus au même monde. Toute autre préoccupation que de l’infini paraît ici si dérisoire15. »

    9Si Desnos accapare le plus souvent l’attention par ses prouesses verbales lors de ses endormissements répétés, Crevel n’est pas en reste et est considéré par certains comme le rêveur le plus authentique du mouvement naissant. Ainsi, dans Une Vague de Rêves, qu’Aragon rédige durant l’été de 1924, René Crevel apparaît-il encore comme celui qui « ne s’est jamais aperçu que cette planète est fixée solidement à l’aide des méridiens et des parallèles ; il est plus qu’aucun somnambule16. » Et c’est encore sous les traits d’un rêveur qu’il est dépeint dans la « Nomenclature » dressée par Jacques-André Boiffard en juillet 1925 : « René Crevel — les ravins du crâne et du réveil17. »

    10Mais, en 1923, Crevel préfère encore aux futurs surréalistes les dadaïstes, avec lesquels il participe à la soirée du Cœur à gaz, en juillet. L’épisode est bien connu, qui verra les surréalistes interrompre la représentation et se battre avec certains participants. Si Crevel cherche ensuite à revoir Breton, ce sera pour être éconduit :

    Et les disputes contre Baron, surexcitées d’ailleurs par Desnos qui se trouve aussi à son fait dans la haine qu’Aragon dans l’amour, se réveillent à toute occasion, et André lui en a voulu deux jours pour avoir été d’un avis opposé au leur. Crevel est venu un soir. André était disposé à le traiter gentiment. Mais D. a jugé bon de lui adresser ses injures coutumières, ce qui a entraîné André à l’appuyer en partie, Crevel à ne plus revenir, les autres à discuter une fois de plus de ce cas amer18.

    11Crevel se fera ensuite, dans divers articles, plus critique envers Breton et le surréalisme naissant19. Il rejoindra même la revue Surréalisme de Goll et Dermée, dont le premier et unique numéro, daté d’octobre 1924, cherchait à faire concurrence au groupe de Breton. Après avoir affiché son scepticisme envers l’écriture automatique et le rôle de l’inconscient comme moteur de la création, Crevel y conclut : « Je cherche la rue, le boulevard, le gouffre qui me tenteront assez pour que je m’y précipite tête-bêche et sans regarder quel nom, au coin du mur, fleurit blanc sur l’émail bleu20. » Pourtant, le 1er novembre 1924, il laisse ce mot au Bureau de recherches surréalistes : « Si je viens ici, en dépit de toutes mes pudeurs […] c’est que j’attends que parte de cette maison autre chose qu’une offensive littéraire21 » ; il est également un des signataires du premier Manifeste du surréalisme et, on l’a vu, un des rêveurs cités par Aragon dans Une vague de rêves, considéré aujourd’hui par certains critiques comme le premier manifeste du groupe22.

    12Ces divers éléments laissent entendre que, comme d’autres dadaïstes, Crevel n’adhéra pas rapidement, ni sans nuances, à la dissidence surréaliste incarnée à ses débuts par Breton et Aragon, puis par une dizaine de personnes. Sans doute l’hostilité que lui manifesta très tôt Desnos n’y fut-elle pas étrangère. Sans doute les tâtonnements de Breton ne constituaient-ils pas encore « la rue, le boulevard, le gouffre » que Crevel appelait de ses vœux dans le premier (et unique) numéro de Surréalisme. On tiendra également compte, pour expliquer cette adhésion problématique, de la dynamique collective du groupe naissant : en l’absence d’un projet esthétique et éthique bien défini23, c’est une conduite de vie, alors en émergence, qui tient lieu de ciment, de facteur de cohésion. Jacques Baron l’a bien souligné rétrospectivement : « […] les jeux naquirent au hasard des rencontres et des propos. Ils nous unissaient mieux que les concepts24. » En somme, l’adhésion des uns et des autres aux valeurs du groupe en constitution dépend moins de leurs choix esthétiques respectifs que des goûts et des détestations qu’ils affichent. Sur ces points, Crevel n’offre pas toutes les garanties. Son homosexualité en particulier, et les fréquentations que cette dernière entraînait, posaient problème au groupe, si l’on en croit Soupault :

    Je regrettais certaines de ses relations, équivoques et même douteuses. C’est ainsi qu’à cause de ses goûts homosexuels il fréquentait Marcel Jouhandeau, qui m’était particulièrement antipathique, […]. Crevel ne parlait jamais de ses « amitiés » ni de ses rencontres car il ne pouvait ignorer que tous les surréalistes étaient hostiles à ce qu’on appelait alors des déviations sexuelles, dont Cocteau, notre bête noire, était le propagandiste25.

    13D’après ce témoignage, il apparaît aussi que Crevel lui-même perçoit ce décalage entre ses comportements et ceux que valorise le groupe. Désigné outsider par son orientation sexuelle26 et ses fréquentations — ou, plus exactement, par la réprobation qu’elles soulèvent dans le groupe27 —, Crevel cherche à échapper à cette qualification par le silence sur celles-ci.

    14L’enquête sur le suicide, dont les résultats furent publiés dans le deuxième numéro de La Révolution surréaliste, daté du 15 janvier 1925, laisse entrevoir d’autres différences. Estimant que le suicide peut être une solution, écrivant aussi qu’il ne trouve « point de solution dans la vie28 » — quand Breton, dans le Manifeste, venait de proclamer : « C’est vivre et cesser de vivre qui sont des solutions imaginaires. L’existence est ailleurs29 » —, Crevel s’éloigne à nouveau des positions de la plupart des surréalistes. En elle-même, cette distance ne porte pas à conséquence. Mais, à partir du moment où elle est perçue par d’autres surréalistes comme « étrangère » aux valeurs du groupe, elle devient critique. Or, c’est justement ce qui arrive ici — si l’on en croit Naville : « Cette conclusion d’honnête homme est loin d’être partagée par tout le monde. Même ceux dont l’existence vacillante, décervelée, tourne en angoisses inextinguibles, rejettent ce qui leur apparaît tout de même comme une fuite et un abandon30. »

    15Depuis sa visite au Bureau en octobre 1924 jusqu’à ses premières participations à la Révolution surréaliste, l’adhésion de Crevel au surréalisme, conçu par lui comme seul lieu de révolte et de possibles, semble effective, mais est rendue problématique par la position d’outsider que tendent à lui assigner certains de ces comportements — non par eux-mêmes, mais à partir du moment où ils sont dévalorisés par les autres membres du groupe.

    UNE AUTHENTICITÉ ADMIRÉE

    16Le refus des groupes Clarté et Philosophie de discuter avec Crevel lors du rapprochement, pendant l’automne de 1925, entre ces groupes et La Révolution surréaliste n’augurait pas une suite plus favorable31. Les séjours en sanatorium à partir de 1925, en éloignant régulièrement Crevel de Paris — et donc du groupe — auraient pu agrandir encore le fossé entre eux ; la publication de Mon corps et moi en janvier 1926 chez Kra aussi, dans la mesure où l’auteur de Détours y affichait sa bisexualité. Lui-même était conscient de prendre un risque avec ce livre, qu’il dédicaça au leader du surréalisme en ses termes : « À André Breton dont je sais trop le mal qu’il pourra penser, mais ce mal peu m’importe au fond s’il croit vraiment à ma vraie amitié32. » Pourtant, Crevel chercha, à plusieurs reprises, à atténuer les effets d’éloignement en refusant le caractère d’outsider, visible à travers la multiplication des gages d’adhésion. Ainsi, après les critiques que son premier roman, Détours, paru en 1924, lui avait valu de la part du groupe33, Crevel souligne, dans Mon corps et moi, son dédain (nouveau) pour la fiction : « J’ai le goût de la vérité. J’aime les spectacles où n’entre aucune fiction34. » L’« autobiographie » qui accompagne ce texte lors de sa parution, sans renoncer aussi ouvertement à la fiction, manifeste une adhésion envers l’attitude antilittéraire du premier surréalisme, considéré comme « le moins littéraire et le plus désintéressé des mouvements35 » :

    A horreur de tous les esthétismes, qu’il s’agisse de celui d’Oxford et des pantalons larges, de celui des remords de cinéma avec leurs maisons de guingois, de celui des nègres et du jazz, des bals musettes et des pianos mécaniques…, etc. Voudrait bien pour des romans futurs retrouver des personnages aussi nus, aussi vivants que les couteaux et les fourchettes qui figuraient les hommes et les femmes dans les histoires destinées à demeurer inédites qu’il se racontait enfant36.

    17Par ce type de déclaration, Crevel entend bien combler la distance qui s’était établie entre le groupe et lui sans renoncer pour autant à ses spécificités. Le choix de l’écriture autobiographique, à laquelle il confère une valeur d’authenticité — également sensible lorsqu’il parle de ce livre à des correspondants étrangers au surréalisme37 —, contribue plus encore à ce rapprochement. On se souvient que Breton avait très tôt manifesté son goût pour une littérature éloignée des travestissements de la fiction :

    La spéculation littéraire est illicite dès qu’elle dresse en face d’un auteur des personnages auxquels il donne raison ou tort, après les avoir créés de toutes pièces. « Parlez pour vous, lui dirai-je, parlez de vous, vous m’en apprendrez bien davantage. Je ne vous reconnais pas le droit de vie ou de mort sur des pseudo-êtres humains, sortis armés et désarmés de votre caprice. Bornez-vous à me laisser vos mémoires ; livrez-moi les vrais noms, prouvez-moi que vous n’avez en rien disposé de vos héros. » Je n’aime pas qu’on tergiverse ni qu’on se cache38.

    18Breton restera fidèle à ce principe. Qu’on se souvienne seulement du début de Nadja : « Je persiste à réclamer les noms, à ne m’intéresser qu’aux livres qu’on laisse battants comme des portes, et desquels on n’a pas à chercher la clé39. » Crevel, à première vue, n’aura pas cette constance. Il retrouvera en effet le chemin du roman dès La Mort difficile, publié en 1926. La dimension autobiographique de ce récit, souvent soulignée aujourd’hui40, n’y changera rien ; elle ne suffisait pas à éviter l’écueil du roman à clé honni de Breton. Pourtant, dans la presse littéraire de l’époque, c’est la sincérité de l’auteur qui est louée, comme dans cet article que l’on doit à Philippe Soupault : « Il n’y a pas à craindre de malentendu. Crevel ne cherche pas à jouer au plus fin. Il risque tout. Il ose de toutes ses forces et jusqu’au bout. Avez-vous déjà lu un livre absolument sincère41 ? » Et, dans sa correspondance, Crevel reste très attaché à cette valeur. En témoigne cette lettre à Jouhandeau, de juillet 1927, où Crevel critique vertement le manque de sincérité de Rousseau :

    Je relis Rousseau. Quels mensonges que les Confessions. Je n’aime pas ce masturbé. […] Et je gage que l’histoire des 5 enfants abandonnés c’est du mensonge. Rousseau, c’est un bronze de Barbedienne. Il s’appelle Jean-Jacques comme les femmes qui mettent de la lingerie exagérément innocente42.

    19À nouveau, l’équilibre est fragile entre liberté créatrice, qui pousse Crevel vers la fiction, et adhésion aux valeurs esthétiques et comportementales du surréalisme, qui l’enjoint à l’authenticité. Afin d’éviter l’exclusion ou la mise au ban, Crevel affiche souvent une adhésion aux valeurs surréalistes ; mais celle-ci n’est pas toujours suivie d’effets. Serait-elle purement formelle ? On peut y penser en lisant L’Esprit contre la raison, essai rédigé durant l’automne 1926 et publié en 1927 dans Les Cahiers du Sud, tant les essais fondateurs du surréalisme — le Manifeste de Breton et Une Vague de rêves d’Aragon — y sont donnés en exemple et couverts d’éloges, tant aussi est grande l’adhésion de Crevel au canon littéraire surréaliste (sont ainsi cités Rimbaud, Lautréamont et Jarry)43.

    20Mais, au-delà de l’adoption d’un langage « surréaliste », Crevel est aussi en rapports de plus en plus étroits avec le groupe : s’il reste distant de Breton44, il voit de plus en plus régulièrement Éluard et, dans une moindre mesure, Aragon45. Sans renoncer totalement à l’homosexualité, il a des relations plus suivies avec des femmes — Mopsa Sternheim46 dans un premier temps, puis Tota Cuevas. Enfin, ses engagements politiques, de plus en plus fermes, rejoignent ceux du nouveau groupe surréaliste, formé sur les cendres du premier, lors de la parution du Second Manifeste du surréalisme.

    L’OUTSIDER COMME ÉLÉMENT DE LA DYNAMIQUE COLLECTIVE

    21L’exemple de René Crevel témoigne à la fois de la nécessité d’étudier les dynamiques collectives à l’œuvre au sein des groupes littéraires et de l’importance de ne pas réifier celles-ci en des principes arrêtés une fois pour toutes. Ces logiques collectives jouent en effet un rôle fondamental en ce qu’elles créent, à côté des spécificités esthétiques qui définissent le groupe, des conduites de vie dont le rôle cohésif est aussi fort et aussi décisif que celles-là. Mais ces normes comportementales ne sont jamais pleinement efficaces, ni d’ailleurs définitives. Les positionnements des uns et des autres par rapport à ces normes peuvent en effet contribuer à renforcer leur poids — lorsque l’outsider accepte cette (dis) qualification et rompt avec le groupe (c’est, par exemple, le cas d’Antonin Artaud, étudié ailleurs47) — ou, au contraire, à atténuer les tensions — c’est, exemplairement, ce que fit régulièrement Crevel au sein du surréalisme français.

    Notes de bas de page

    1 Alain Viala, « L’éloquence galante, une problématique de l’adhésion », dans Images de soi dans le discours : la construction de l’ethos, sous la direction de Ruth Amossy, Paris-Lausanne, Delachaux & Niestlé, 1999, « Textes de base en sciences du discours », p. 178.

    2 Comme le faisait Pierre Bourdieu. Voir notamment Le Sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, « Le Sens commun », 1980, p. 113-115.

    3 L’expression est d’Aragon, dans la préface du Libertinage (Œuvres romanesques complètes, I, éd. Bougnoux, Paris, Gallimard, 1997, p. 283).

    4 Voir Denis Saint-Amand et David Vrydaghs, « La biographie dans l’étude des groupes littéraires. Les conduites de vie zutique et surréaliste », COnTEXTES, [en ligne], n° 3, 2008. URL : http://contextes.revues.org/2302.

    5 On devrait plutôt écrire, s’agissant du surréalisme, « de ces conduites de vie », dans la mesure où le mouvement de Breton peut être envisagé, dans la seconde moitié des années 1920, comme la réunion plus ou moins réussie de différents sous-groupes aux modes de sociabilité et aux logiques différents, sous-groupes que l’historiographie désigne habituellement par leurs lieux spécifiques de rassemblement (rue Fontaine, rue Blomet et rue du Château).

    6 Voir, sur ce point, David Vrydaghs, « La concurrence des adhésions : nietzschéisme et surréalisme chez André Masson », Sociologie de l’art — OPuS, n° 15, pp. 159-185.

    7 Howard S. Becker, Outsiders, Paris, Métaillié, 1985 [1963], p. 25.

    8 Ibid.

    9 Ibid., p. 33.

    10 Ibid., p. 37.

    11 Norbert Bandier, Sociologie du surréalisme, Paris, La Dispute, 1999, p. 187.

    12 Pour une présentation détaillée de ce modèle d’analyse, voir Jean-Pierre Bertrand, Jacques Dubois et Pascal Durand, « Approche institutionnelle du premier surréalisme (1919-1924) », Pratiques, n° 38, juin 1983, p. 27-53 ; Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, Paris, Éditions du Seuil, « Points », 1998 [1992], p. 439-444.

    13 André Breton, Entretiens avec André Parinaud, Paris, Gallimard, « Idées », 1969 [1952], p. 178.

    14 Voir l’étude de ces querelles par Jean-Pierre Bertrand, Jacques Dubois et Pascal Durand, art. cité.

    15 Simon Breton, Lettres à Denise Lévy, éd. Colville, Paris, Gallimard, 2005, p. 108.

    16 Louis Aragon, Une vague de rêves, dans Œuvres poétiques complètes, I, éd. Barbarant, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, p. 94.

    17 Jacques-André Boiffard, « Nomenclature », La Révolution surréaliste, n° 4, 15 juillet 1925, p. 22.

    18 Simone Breton, Lettres à Denise Lévy, op. cit., p. 140.

    19 On renverra notamment à son compte rendu des Pas perdus qui s’achevait sur ces mots : « L’auteur des Pas perdus est un excellent critique, je veux dire qu’il sait fort bien fausser les valeurs et vendre pour de l’or son cuivre. » Voir René Crevel, « Les Pas perdus, par André Breton (N.R.F. éditeur) », Les Feuilles libres, n° 36, mars 1924 ; repris dans Mon corps et moi, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1974 [1925], p. 190-192, ici p. 192.

    20 René Crevel, « Je ne vendrai pas la commode de mon grand-père… », Surréalisme, n° 1, octobre 1924, p. XVIII.

    21 Bureau de recherches surréalistes. Cahier de la permanence (octobre 1924-avril 1925), éd. Thévenin, Paris, Gallimard, « Archives du surréalisme (n° 1) », 1988, p. 41.

    22 Voir Marie-Thérèse Eychart, « Une vague de rêves : premier manifeste du surréalisme ? », dans Une vague de rêves, de Louis Aragon, Paris, Seghers, « Poésie d’abord », 2006, p. 39-51.

    23 Voir Marguerite Bonnet, André Breton. Naissance de l’aventure surréaliste, Paris, José Corti, 1975.

    24 Jacques Baron, L’An I du surréalisme, Paris, Denoël, 1969, p. 76-77.

    25 Philippe Soupault, Mémoires de l’oubli, 1923-1926, Paris, Lachenal & Ritter, 1986, p. 26.

    26 Pour mesurer l’importance que les mœurs sexuelles avaient au sein du groupe, il faut se souvenir de ce propos de Pierre Naville : « À cette époque, nous étions plutôt portés à voir dans le comportement extérieur, la relation sexuelle matérielle, une donnée qui parlait pour elle-même, et précisément comme conscience. » (Le Temps du surréel, Paris, Galilée, 1977, p. 146) Naville précisait ensuite que cette conception s’opposait à la recherche psychanalytique, qui voyait dans les pratiques sexuelles des manifestations de l’inconscient. La sexualité étant pensée dans le groupe comme un choix, elle pouvait devenir un critère d’élection décisif. Quant aux attitudes du groupe face à l’homosexualité, les recherches sur la sexualité de 1928, menées en collectif, laissent voir de nettes différences entre les surréalistes les plus homophobes — Breton, Éluard ou encore Noll — et les plus tolérants — Aragon et Queneau principalement. Voir Recherches sur la sexualité, janvier 1928-août 1932, éd. Pierre, Paris, Gallimard, « Archives du surréalisme (n° 4) », 1990, p. 67-68 et p. 171-173.

    27 Cocteau en particulier. Ainsi, lors d’une discussion relative à un article que Michel Leiris consacre à la conversion de celui-là au catholicisme, Desnos soutient l’attaque de Leiris par ces termes : « Cette attaque touche un des points les plus importants de notre activité. Nous ne dirons jamais assez ce que nous pensons de ce personnage. » Et si Breton s’oppose à cet article, c’est parce qu’il est « insuffisant. Il semble accorder à Cocteau des circonstances atténuantes et lui fait la part trop belle. On peut le traiter comme on traite une ordure […]. » Voir Adhérer au Parti communiste ? (septembre-décembre 1926), éd. Bonnet, Paris, Gallimard, « Archives du surréalisme (n° 3) », 1992, p. 48.

    28 René Crevel, « Enquête : le suicide est-il une solution ? », La Révolution surréaliste, n° 2, janvier 1925, p. 13.

    29 André Breton, Manifeste du surréalisme, dans Œuvres complètes, I, éd. Bonnet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 346.

    30 Pierre Naville, Le Temps du surréel, op. cit., p. 90-91.

    31 Vers l’action politique (juillet 1925-avril 1926), éd. Bonnet, Paris, Gallimard, « Archives du surréalisme (n° 2) », 1988, p. 50.

    32 Cité par François Buot, René Crevel, Paris, Grasset, 1991, p. 128.

    33 Le biographe de Crevel signale qu’en 1925, « les reproches les plus graves [de Breton à l’encontre de Crevel] tiennent à l’activité littéraire » de celui-ci ; le premier roman de Crevel, Détours, est notamment visé. Voir François Buot, René Crevel, op. cit., p. 149.

    34 René Crevel, Mon corps et moi, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1974 [1925], p. 90.

    35 René Crevel, « Autobiographie », dans La Mort difficile, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1974, p. 238.

    36 Ibid., p. 237.

    37 Crevel écrit ainsi à Marcel Jouhandeau : « Dites-moi aussi si les coupures […] sont utiles, exagérées ou insuffisantes. J’ai peur de ce livre que Soupault aime, mais qu’il trouve, je crois, scandaleux. J’aime la franchise, je déteste le scandale. » Voir Lettres de désir et de souffrance, éd. Le Bouvier, Paris, Fayard, 1996, p. 22.

    38 André Breton, « Introduction au discours sur le peu de réalité », dans Point du jour ; cité d’après Œuvres complètes, II, éd. Bonnet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 266. Ce texte parut initialement dans la revue Commerce de l’hiver 1924, publiée en fait en mars 1925.

    39 André Breton, Nadja, dans Œuvres complètes, I, éd. Bonnet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 651.

    40 Voir notamment François Buot, p. 169 et Michel Carassoul, « Dossier », dans Crevel (René), La Mort difficile, op. cit., p. 235-236.

    41 Philippe Soupault, « La Mort difficile, par René Crevel », dans Littérature et le reste, 1919-1931, éd. Lachenal, Paris, Gallimard, « Les Cahiers de la nrf », 2006, p. 276.

    42 René Crevel, Lettres de désir et de souffrance, op. cit., p. 64.

    43 René Crevel, « L’esprit contre la raison », dans L’Esprit contre la raison et autres écrits surréalistes, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1986, p. 41-64.

    44 Voir François Buot, René Crevel, op. cit., p. 218-219.

    45 Ibid., p. 219-224 et René Crevel, Les Inédits : lettres, textes, Paris, Éditions du Seuil, « Fiction & Cie », 2013, pp. 73-88.

    46 Michel Carassou a bien souligné qu’il s’agissait en fait surtout d’un ménage à trois, avec le compagnon de Mopsa Sternheim, Carl von Ripper. Voir René Crevel, Paris, Fayard, 1989.

    47 Voir David Vrydaghs, « Les surréalistes sont-ils des poètes maudits ? Les réécritures surréalistes du mythe de la malédiction littéraire », dans Deux siècles de malédiction littéraire, sous la direction de Pascal Brissette et Marie-Pier Luneau, Liège, Presses Universitaires de Liège, « Situations », 2014, pp. 153-166 ; « Quand un conflit esthétique est aussi un combat des corps : l’adhésion d’Artaud au surréalisme », COnTEXTES, n° 15, Des vies à l’œuvre, 2015, [En ligne], URL : http://contextes.revues.org/6017.

    Auteur

    • David Vrydaghs

      Professeur à l’Université de Namur, où il enseigne les théories de la littérature et la littérature française des XXe et XXIe siècles. Membre du groupe de contact FNRS COnTEXTES, il a publié Michaux l’insaisissable (Genève, Droz, 2008) et mène actuellement des recherches en sociologie de la littérature sur les logiques d’adhésion au groupe surréaliste. Dans ce cadre, il a publié plusieurs articles et chapitres de livres et dirigé, avec Denis Saint-Amand, un dossier de la revue COnTEXTES intitulé « Nouveaux regards sur l’illusio » (2011).

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    1 Alain Viala, « L’éloquence galante, une problématique de l’adhésion », dans Images de soi dans le discours : la construction de l’ethos, sous la direction de Ruth Amossy, Paris-Lausanne, Delachaux & Niestlé, 1999, « Textes de base en sciences du discours », p. 178.

    2 Comme le faisait Pierre Bourdieu. Voir notamment Le Sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, « Le Sens commun », 1980, p. 113-115.

    3 L’expression est d’Aragon, dans la préface du Libertinage (Œuvres romanesques complètes, I, éd. Bougnoux, Paris, Gallimard, 1997, p. 283).

    4 Voir Denis Saint-Amand et David Vrydaghs, « La biographie dans l’étude des groupes littéraires. Les conduites de vie zutique et surréaliste », COnTEXTES, [en ligne], n° 3, 2008. URL : http://contextes.revues.org/2302.

    5 On devrait plutôt écrire, s’agissant du surréalisme, « de ces conduites de vie », dans la mesure où le mouvement de Breton peut être envisagé, dans la seconde moitié des années 1920, comme la réunion plus ou moins réussie de différents sous-groupes aux modes de sociabilité et aux logiques différents, sous-groupes que l’historiographie désigne habituellement par leurs lieux spécifiques de rassemblement (rue Fontaine, rue Blomet et rue du Château).

    6 Voir, sur ce point, David Vrydaghs, « La concurrence des adhésions : nietzschéisme et surréalisme chez André Masson », Sociologie de l’art — OPuS, n° 15, pp. 159-185.

    7 Howard S. Becker, Outsiders, Paris, Métaillié, 1985 [1963], p. 25.

    8 Ibid.

    9 Ibid., p. 33.

    10 Ibid., p. 37.

    11 Norbert Bandier, Sociologie du surréalisme, Paris, La Dispute, 1999, p. 187.

    12 Pour une présentation détaillée de ce modèle d’analyse, voir Jean-Pierre Bertrand, Jacques Dubois et Pascal Durand, « Approche institutionnelle du premier surréalisme (1919-1924) », Pratiques, n° 38, juin 1983, p. 27-53 ; Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, Paris, Éditions du Seuil, « Points », 1998 [1992], p. 439-444.

    13 André Breton, Entretiens avec André Parinaud, Paris, Gallimard, « Idées », 1969 [1952], p. 178.

    14 Voir l’étude de ces querelles par Jean-Pierre Bertrand, Jacques Dubois et Pascal Durand, art. cité.

    15 Simon Breton, Lettres à Denise Lévy, éd. Colville, Paris, Gallimard, 2005, p. 108.

    16 Louis Aragon, Une vague de rêves, dans Œuvres poétiques complètes, I, éd. Barbarant, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, p. 94.

    17 Jacques-André Boiffard, « Nomenclature », La Révolution surréaliste, n° 4, 15 juillet 1925, p. 22.

    18 Simone Breton, Lettres à Denise Lévy, op. cit., p. 140.

    19 On renverra notamment à son compte rendu des Pas perdus qui s’achevait sur ces mots : « L’auteur des Pas perdus est un excellent critique, je veux dire qu’il sait fort bien fausser les valeurs et vendre pour de l’or son cuivre. » Voir René Crevel, « Les Pas perdus, par André Breton (N.R.F. éditeur) », Les Feuilles libres, n° 36, mars 1924 ; repris dans Mon corps et moi, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1974 [1925], p. 190-192, ici p. 192.

    20 René Crevel, « Je ne vendrai pas la commode de mon grand-père… », Surréalisme, n° 1, octobre 1924, p. XVIII.

    21 Bureau de recherches surréalistes. Cahier de la permanence (octobre 1924-avril 1925), éd. Thévenin, Paris, Gallimard, « Archives du surréalisme (n° 1) », 1988, p. 41.

    22 Voir Marie-Thérèse Eychart, « Une vague de rêves : premier manifeste du surréalisme ? », dans Une vague de rêves, de Louis Aragon, Paris, Seghers, « Poésie d’abord », 2006, p. 39-51.

    23 Voir Marguerite Bonnet, André Breton. Naissance de l’aventure surréaliste, Paris, José Corti, 1975.

    24 Jacques Baron, L’An I du surréalisme, Paris, Denoël, 1969, p. 76-77.

    25 Philippe Soupault, Mémoires de l’oubli, 1923-1926, Paris, Lachenal & Ritter, 1986, p. 26.

    26 Pour mesurer l’importance que les mœurs sexuelles avaient au sein du groupe, il faut se souvenir de ce propos de Pierre Naville : « À cette époque, nous étions plutôt portés à voir dans le comportement extérieur, la relation sexuelle matérielle, une donnée qui parlait pour elle-même, et précisément comme conscience. » (Le Temps du surréel, Paris, Galilée, 1977, p. 146) Naville précisait ensuite que cette conception s’opposait à la recherche psychanalytique, qui voyait dans les pratiques sexuelles des manifestations de l’inconscient. La sexualité étant pensée dans le groupe comme un choix, elle pouvait devenir un critère d’élection décisif. Quant aux attitudes du groupe face à l’homosexualité, les recherches sur la sexualité de 1928, menées en collectif, laissent voir de nettes différences entre les surréalistes les plus homophobes — Breton, Éluard ou encore Noll — et les plus tolérants — Aragon et Queneau principalement. Voir Recherches sur la sexualité, janvier 1928-août 1932, éd. Pierre, Paris, Gallimard, « Archives du surréalisme (n° 4) », 1990, p. 67-68 et p. 171-173.

    27 Cocteau en particulier. Ainsi, lors d’une discussion relative à un article que Michel Leiris consacre à la conversion de celui-là au catholicisme, Desnos soutient l’attaque de Leiris par ces termes : « Cette attaque touche un des points les plus importants de notre activité. Nous ne dirons jamais assez ce que nous pensons de ce personnage. » Et si Breton s’oppose à cet article, c’est parce qu’il est « insuffisant. Il semble accorder à Cocteau des circonstances atténuantes et lui fait la part trop belle. On peut le traiter comme on traite une ordure […]. » Voir Adhérer au Parti communiste ? (septembre-décembre 1926), éd. Bonnet, Paris, Gallimard, « Archives du surréalisme (n° 3) », 1992, p. 48.

    28 René Crevel, « Enquête : le suicide est-il une solution ? », La Révolution surréaliste, n° 2, janvier 1925, p. 13.

    29 André Breton, Manifeste du surréalisme, dans Œuvres complètes, I, éd. Bonnet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 346.

    30 Pierre Naville, Le Temps du surréel, op. cit., p. 90-91.

    31 Vers l’action politique (juillet 1925-avril 1926), éd. Bonnet, Paris, Gallimard, « Archives du surréalisme (n° 2) », 1988, p. 50.

    32 Cité par François Buot, René Crevel, Paris, Grasset, 1991, p. 128.

    33 Le biographe de Crevel signale qu’en 1925, « les reproches les plus graves [de Breton à l’encontre de Crevel] tiennent à l’activité littéraire » de celui-ci ; le premier roman de Crevel, Détours, est notamment visé. Voir François Buot, René Crevel, op. cit., p. 149.

    34 René Crevel, Mon corps et moi, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1974 [1925], p. 90.

    35 René Crevel, « Autobiographie », dans La Mort difficile, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1974, p. 238.

    36 Ibid., p. 237.

    37 Crevel écrit ainsi à Marcel Jouhandeau : « Dites-moi aussi si les coupures […] sont utiles, exagérées ou insuffisantes. J’ai peur de ce livre que Soupault aime, mais qu’il trouve, je crois, scandaleux. J’aime la franchise, je déteste le scandale. » Voir Lettres de désir et de souffrance, éd. Le Bouvier, Paris, Fayard, 1996, p. 22.

    38 André Breton, « Introduction au discours sur le peu de réalité », dans Point du jour ; cité d’après Œuvres complètes, II, éd. Bonnet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 266. Ce texte parut initialement dans la revue Commerce de l’hiver 1924, publiée en fait en mars 1925.

    39 André Breton, Nadja, dans Œuvres complètes, I, éd. Bonnet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 651.

    40 Voir notamment François Buot, p. 169 et Michel Carassoul, « Dossier », dans Crevel (René), La Mort difficile, op. cit., p. 235-236.

    41 Philippe Soupault, « La Mort difficile, par René Crevel », dans Littérature et le reste, 1919-1931, éd. Lachenal, Paris, Gallimard, « Les Cahiers de la nrf », 2006, p. 276.

    42 René Crevel, Lettres de désir et de souffrance, op. cit., p. 64.

    43 René Crevel, « L’esprit contre la raison », dans L’Esprit contre la raison et autres écrits surréalistes, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1986, p. 41-64.

    44 Voir François Buot, René Crevel, op. cit., p. 218-219.

    45 Ibid., p. 219-224 et René Crevel, Les Inédits : lettres, textes, Paris, Éditions du Seuil, « Fiction & Cie », 2013, pp. 73-88.

    46 Michel Carassou a bien souligné qu’il s’agissait en fait surtout d’un ménage à trois, avec le compagnon de Mopsa Sternheim, Carl von Ripper. Voir René Crevel, Paris, Fayard, 1989.

    47 Voir David Vrydaghs, « Les surréalistes sont-ils des poètes maudits ? Les réécritures surréalistes du mythe de la malédiction littéraire », dans Deux siècles de malédiction littéraire, sous la direction de Pascal Brissette et Marie-Pier Luneau, Liège, Presses Universitaires de Liège, « Situations », 2014, pp. 153-166 ; « Quand un conflit esthétique est aussi un combat des corps : l’adhésion d’Artaud au surréalisme », COnTEXTES, n° 15, Des vies à l’œuvre, 2015, [En ligne], URL : http://contextes.revues.org/6017.

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