Saint Antoine, son cochon et ses monstres1

1 Cet article est dédié à la mémoire de mon arrière-grand-père Ernest Richard, passionné d’érudition rouennaise, et qui se souvenait de son propre grand-père Jean-Baptiste Hamelin, montreur de marionnettes à la Foire Saint-Romain vers 1840. Plusieurs des informations reprises ici sont extraites des notes personnelles d’Ernest Richard.

2 « La Tentation de saint Antoine », Gaston Baty, Trois p’tits tours et puis s’en vont. Les théâtres forains de marionnettes à fils et leur répertoire, 1800-1890, Paris, Odile Lieutier, 1942, p. 44.

3 C’est en 1847, lorsque Flaubert a 26 ans, que le Père Legrain ouvre sa baraque de la Foire Saint-Romain : auparavant, il jouait dans de petites salles de la ville, à l’enseigne des Burattines Rouennaises. Le marionnettiste, qui animait aussi un groupe de comédiens amateurs à Sotteville-lès-Rouen, est mort en 1889. On jouait en marionnettes La Tentation de saint Antoine à Rouen depuis 1822. Le premier à la représenter à la Foire Saint-Romain, vers 1837, s’appelait Duchesne. On connaît encore, pour la première moitié du siècle, les noms de Raddoux (les Burattines Italiennes), de Cavelier, de Jean-Baptiste Hamelin, puis à la fin du xix^e siècle celui de Louis Levergeois. La tradition fut reprise par le Théâtre des Lilliputiens de Marie Roussel et Samuel Dulaar jusqu’en 1935.

4 Cité dans Georges Dubosc, Trois Normands, Pierre Corneille, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Rouen, Defontaine, 1917, p. 139.

5 Et non « Albert », comme on l’écrit parfois. Voir G. Dubosc, Par-ci, par-là. Études d’histoire et de mœurs normandes, 1^er série, Rouen, Henri Desfontaines, 1922, p. 185. Le Père Albert était un violoniste qui accompagnait Auguste Legrain dans les représentations de la Tentation de saint Antoine : Louis Bouilhet l’a décrit dans son poème « Une baraque de la foire », daté de novembre 1867 (L. Bouilhet, Œuvres, Paris, Alphonse Lemerre, 1891, p. 364-366).

6 Poire cuite au four dans une enveloppe de pâte feuilletée.

7 Georges Didi-Huberman, L’Image survivante, Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Éditions de Minuit, 2002, p. 55.

8 Par exemple dans G. Baty, Trois p’tits tours et puis s’en vont, op. cit. ; Léopold Delannoy, Théâtres de marionnettes du Nord de la France, Paris, G.P. Maisonneuve et Larose, 1983 ; Robert Dascotte, « La baraque Saint-Antoine, un théâtre de marionnettes ambulant » et Roger Pinon, « Quelques notes sur “La Tentation de saint Antoine” », Enquêtes du Musée de la vie wallonne, tome XVI (n^o 181-185), Liège, 1986 ; La Tentation de saint Antoine et La Malade imaginaire, Reims, Imprimerie de L’Indépendant Rémois, 1920 ; Marie-Claude Groshens, Des marionnettes foraines aux spectacles de variété, Les Théâtres Borgniet, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1995, p. 50-55. Voir aussi la description que donne Victor Fournel (Ce qu’on voit dans les rues de Paris, Paris, Adolphe Delahaye, 1858, p. 116-125).
Gaston Baty a composé une synthèse de six manuscrits, en suivant en particulier celui de Louis Levergeois qui l’avait lui-même reçu du Père Legrain en 1875 : c’est donc cette version qui nous donne l’idée la plus approchante de la pièce qu’allait voir Flaubert (G. Baty, Trois p’tits tours et puis s’en vont, op. cit., p. 33-47).

9 Voir La Vie et les miracles de saint Antoine, abbé, père et patriarche des hermites solitaires (Troyes, Jean Oudot, 1714), plusieurs fois rééditée pendant le xviii^e siècle.

10 Vie de saint Antoine par saint Athanase, trad. Ch. de Rémondange, Mâcon, Émile Protat, 1874, p. 52.

11 Voir par exemple Pedro de Ribadeneyra, Les Nouvelles Fleurs des vies des saints et fêtes de l’année, Lyon, Claude Carteron, 1707, p. 50 ; et, pour la Bibliothèque bleue, La Vie et les miracles de saint Antoine, abbé, avec la vie de sainte Marie l’Égyptienne, Troyes, Pierre Garnier, 1738, passim.

12 Voir Claudine Fabre-Vassas, « Du cochon pour les morts », Études rurales, n^o 105-106, 1987, p. 181-212.

13 C. Fabre-Vassas, « Du cochon pour les morts », article cité, p. 189.

14 Dominique Costantini, « L’Historia sancti Anthonij (ou Mystère de saint Antoine de Vienne) et ses sources », TRANS- [en ligne], 2017, mis en ligne le 3 mars 2017, consulté le 4 novembre 2018. http://trans.revues.org/1470

15 Rappresentazione di Sant’Antonio Abate, Florence, Bartolommeo di libri, vers 1490.

16 Fernando de Zarates [Antonio Enríquez Gómez], San Antonio Abad, Madrid, Domingo Garcia Morràs, 1668. Cette publication est posthume, l’auteur étant mort en 1660.

17 Gwennolé Le Menn, Histoire du théâtre populaire breton, xv^e – xix^e, Saint-Brieuc, Institut Culturel de Bretagne, 1983, p. 50.

18 Charles Magnin, Histoire des marionnettes en Europe depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, Paris, Michel Lévy frères, 1852, p. 121-122.

19 [Michel-Jean] Sedaine, La Tentation de saint Antoine ornée de figures et de musique, Londres, s. n. e., 1791, p. 7. La première édition de ce texte remonte au moins à 1752, dans le recueil Pièces fugitives de M. S*** (s. l.). Selon un contributeur de L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux (20 février 1904), une première version de cette édition date de 1750, sous le titre Recueil de pièces fugitives, au format in-12, mais la Bibliothèque nationale de France n’en possède pas d’exemplaire. L’ouvrage a été réimprimé en 1760, 1782 et 1784, et le texte de Sedaine repris dans les Contes théologiques suivis des Litanies des catholiques du dix-huitième siècle et de poésies érotico-philosophiques, ou Recueil presque édifiant (Paris, Imprimerie de la Sorbonne, 1783). L’atténuation de la dimension érotique de la scène entre Antoine et Proserpine semble s’être imposée progressivement. Victor Fournel, en 1858, rapporte : « Proserpine s’y prenait autrement, jadis, dans ma bourgade natale. Je me souviens qu’elle jouait ici une scène de séduction fort vive, où elle portait l’ardeur et la fougue d’une bacchante ; mais Antoine, comme le chaste Joseph, luttait vaillamment contre cette Putiphar, la terrassait dans la ruelle de son lit et la poursuivait avec un tison enflammé. On conçoit qu’il y ait eu là de quoi effaroucher la pudeur de la censure » (V. Fournel, Ce qu’on voit dans les rues de Paris, op. cit., p. 120). L’auteur, né à Cheppy en 1829, évoque donc ici des représentations des années 1830 en Argonne.

20 Sedaine, La Tentation de saint Antoine, op. cit, p. 9.

21 « La Tentation de saint Antoine », in G. Baty, Trois p’tits tours et puis s’en vont, op. cit., p. 39.

22 Georges Dubosc, « Le Père Legrain », Journal de Rouen, 10 mai 1889.

23 À Rouen, un ballet-pantomime est présenté en 1796 au Théâtre de la République sous le titre La Tentation de saint Antoine : « Plusieurs situations d’une originalité piquante, telles que l’enlèvement du cochon et la comparution du saint devant le souverain du sombre empire, provoquèrent un fou-rire et la pièce atteignit son but » (J.E.B. (de Rouen), Histoire des théâtres de Rouen, depuis leur origine jusqu’en 1876, vol. 4, Rouen, C. Métérie, 1880, p. 47). En 1802, dans les Fantasmagories qu’il présente au Théâtre des Arts, Robertson inclut une scène intitulée « La Tentation de saint Antoine » (Journal de Rouen, 28 avril 1802). En 1812, un nommé Castelli l’imite avec ses propres fantasmagories (Journal de Rouen, 15 novembre 1812), tandis que le sieur Lagoux en fait simultanément le sujet d’un tableau de son Grand spectacle marin, ou Nouveau théâtre de perspective qu’il présente au Bureau des Finances, sans doute une sorte de diorama (Journal de Rouen, 30 novembre 1812). Les représentations en marionnettes, elles, commencent en 1822 (voir ci-dessus, note 4).

24 Le texte est reproduit dans Le Séraphin de l’enfance, Recueil de pièces d’ombres chinoises dédiées à la jeunesse, Metz, Dembour et Gangel, 1843.

25 Jean-Guillaume-Antoine Cuvelier, Les Tentations, ou tous les diables, pantomime allégorique en trois actes précédée du Conseil de Lucifer, prologue en un acte et en vers, Paris, Barba, an VIII de la République [1799].

26 C’est par exemple en 1781 que Jacques Gaudin publie la première édition de ses Inconvénients du célibat des prêtres, prouvés par des recherches historiques. En 1791, l’institution du mariage civil conduit plusieurs prêtres catholiques à se marier. Voir Bernard Plongeron, Théologie et politique au siècle des Lumières (1770-1820), Genève, Droz, 1973, p. 192-198.

27 [Prosper Mérimée], « Une femme est un diable, ou la Tentation de saint Antoine », Théâtre de Clara Gazul, comédienne espagnole, Paris, A. Sautelet et Cie, 1825, p. 131-159.

28 La Tentation, ballet-opéra en cinq actes, musique de Fromental Halévy et Casimir Gide, livret d’Edmond Cavé et Jean Coralli, représenté pour la première fois le 20 juin 1832 à Paris sur le Théâtre de l’Académie Royale de Musique, Paris, J.N. Barba, 1832.

29 Adolphe de Leuven, Auguste Pittaud de Forges, La Tentation de maître Antoine, vaudeville en un acte représenté pour la première fois sur le Théâtre du Palais-Royal, le 21 juillet 1832, Paris, J.N. Barba, 1832.

30 Élisabeth Celnart, « La tentation de saint Antoine », Nouveau manuel complet des jeux de société, Paris, Librairie encyclopédique de Roret, 1867, p. 287-288. Édition originale : 1836.

31 G. Flaubert, La Tentation de Saint Antoine (1849), Œuvres complètes, Paris, Louis Conard, 1910, p. 205.

32 La version publiée par Gaston Baty le fait suivre de l’indication (ter).

33 G. Flaubert, La Tentation de saint Antoine (1849), Œuvres complètes, op. cit., p. 358.

34 « La Tentation de saint Antoine », M.-C. Groshens, Des marionnettes foraines aux spectacles de variété, op. cit., p. 54. Même si Flaubert connaissait le texte de Sedaine dont son père possédait un exemplaire, le « tu riras » montre qu’il cite ici le spectacle des marionnettistes et non le pot-pourri qui dit : » Non ! Tu chanteras, / Tu danseras, / Tu sauteras ! ».

35 G. Flaubert, La Tentation de saint Antoine (1849), op. cit., p. 404.

36 Ibid., p. 213.

37 Ibid., p. 371-372.

38 Ibid., p. 222.

39 Jean Seznec, « Saint Antoine et les monstres : essai sur les sources et la signification du fantastique de Flaubert », PMLA, vol. 58, n^o 1, mars 1943, p. 195-222.

40 Michel Foucault, « Préface » (1964), in G. Flaubert, La Tentation de saint Antoine, Paris, Le Livre de poche, 1971, p. 10.

41 G. Flaubert, La Tentation de saint Antoine (1849), op. cit., p. 298.

42 Gustave Flaubert, lettre du 26 février 1872 à George Sand, citée par Judith Wulf, « Les sciences naturelles dans La Tentation de saint Antoine : entre esthétique et épistémologie », Revue Flaubert, n^o 4, 2004.

43 Paul-Eugène Mesplès, « La Tentation de saint Antoine, ballet de MM. Jaime et G. Duval, musique de M. Georges Auvray, représenté à l’Eden-Théâtre », dessin, Le Théâtre illustré, 1891. http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb44329347m, consulté le 14 novembre 2018.

44 Reproduite in M.-C. Groshens, Des marionnettes foraines aux spectacles de variété, op. cit., p. 8.

45 Louis Bouilhet, "Une baraque de la foire", OEuvres, Paris, Alphonse Lemerre, 1891, p. 364-366.

46 A. Des Tilleuls, Les Marionnettes de Séraphin, Paris, Bernardin-Béchet, 1874, p. 8.

47 Henri Rivière, La Tentation de saint Antoine, Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, s. d.

48 Michel de Ghelderode, La Grande Tentation de saint Antoine, Théâtre VI, Paris, Gallimard, 1982.