La peinture française de la guerre de 1870 à l’épreuve de vérité
p. 117-128
Texte intégral
Qui de nous, qui de ceux qui ont eu le bonheur de n’avoir ni vu ni vécu les heures douloureuses de 70, n’ont été frappés de la pénurie des documents iconographiques vrais ayant trait à ces heures tragiques ? Qui de nous, en compulsant les documents des bibliothèques, n’a regretté que la photographie, alors difficile à faire et encombrante, n’ait pas été d’un usage courant, qui de nous en regardant les illustrations ou les toiles des peintres militaires, n’en a senti le convenu et l’artifice ? À cela, on répond : « C’est de l’interprétation aussi exacte que possible. » C’est vrai, ce n’est que de l’interprétation et nous sommes en droit de demander mieux1.
1Par-delà l’appréhension naïve de l’objectivité supposée de la photographie, la peinture militaire de la guerre de 1870 n’aurait pas échappé à des formes de récit conventionnelles. Et l’auteur de réclamer en creux la vérité en peinture. En contrepoint d’une abondante production ayant tenté de sublimer la défaite, des tableaux ont proposé, avec audace, une représentation vraie de la guerre, se confrontant ainsi à une critique violente au nom du patriotisme.
2On concentrera l’analyse sur un corpus d’œuvres dessinant une autre réalité de la guerre, corpus ignoré lorsque éclate la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, la connaissance de la guerre de 1870 reste un siècle plus tard l’affaire de spécialistes, malgré les commémorations tenues à l’occasion du 150e anniversaire, qui ont mis en valeur des documents iconographiques encore inconnus du public.
Un artiste combattant : Édouard Detaille
3La véritable rupture avec la génération précédente d’artistes actifs sous le Second Empire, c’est la présence de peintres combattant sur les champs de bataille, notamment durant le siège de Paris. Ces jeunes artistes prennent les armes et font l’expérience du feu, éprouvent la nouvelle réalité de la guerre :
Cette guerre-ci particulièrement est brutale, sans âme, sans discernement, sans entrailles. C’est un échange de projectiles plus ou moins nombreux, ayant plus ou moins de portée, qui paralyse la valeur individuelle, rend nulles la conscience et la volonté du soldat. Plus de héros, tout est mitraille2.
4C’est cette nouvelle génération que Gustave Gœtschy regroupe en 1878 dans son livre Les Jeunes Peintres militaires, consacré aux trois artistes qui ont déterminé la représentation de la guerre de 1870 pour leurs contemporains mais aussi pour les générations suivantes : Alphonse de Neuville, Édouard Detaille et Henri Dupray3.
5Édouard Detaille (1848-1912) s’engage dans la garde mobile à la fin du mois d’août 1870 et combat durant le siège de Paris jusqu’en janvier 18714. Il prend part à divers engagements puis, dans le courant de novembre, le général Appert l’attache à son état-major : « C’est à lui que je dois d’avoir pu emmagasiner dans ma mémoire tant d’impressions de combats et notamment celles de la bataille de Champigny5. » Cette bataille lui inspire une série de dessins faite sur le terrain. Sa vision de la guerre moderne se résume dans une scène retranscrite en dessin et en peinture, et intitulée Un coup de mitrailleuse (illustration 4). Detaille expose le dessin au Cercle de l’Union artistique en mars puis au Salon en mai 1872. Il s’agit d’une scène vue lors de la bataille de Champigny qui montre un rang de soldats saxons fauchés par une mitrailleuse française :
C’est un fait absolu, que jamais un peintre jusqu’ici n’a rendu tel qu’il est un champ de bataille couvert de morts. Les cadavres tombés là-bas gardent encore, dans leur rigidité glacée, les apparences de la vie. On en prendrait quelques-uns, demeurés debout, pour des modèles qui posent ou pour des figures de cire. Qu’ils sont différents des morts qu’on nous peint d’habitude tombés à plat et de toute leur longueur ! M. Detaille avait essayé de faire ses cadavres vrais, mais je n’avais point été frappé de cette vérité6.
6Même observation de Jules Claretie à propos de son tableau En retraite lors du Salon de 1873 : « M. Detaille nous montre des cadavres, mais cette fois dans toute leur horreur. Les bras se lèvent raidis, les lèvres découvrent, dans un rictus sinistre, les longues dents du mort7. »
7Quelques années plus tard, et après quelques tableaux qui ont connu un grand succès au Salon – En retraite (1873), Charge du 9e régiment de cuirassiers dans le village de Morsbronn, journée de Reichshoffen, 6 août 1870 (1874), En reconnaissance (1876) –, Detaille s’interroge et se confie à un ami :
Une impression que l’on ne pourra jamais rendre, c’est celle des cadavres défigurés, des blessés sans bras ni jambes, de cette sorte de musée d’anatomie. Jamais l’on ne pourrait se permettre, je crois, de présenter cela au public. J’aimerais faire un tableau de ce genre et essayer de rendre l’idée d’un endroit où ont passé les projectiles8.
8Detaille achèvera son cycle personnel sur la guerre de 1870 avec son tableau Champigny au Salon de 1879, épisode dont il fut un témoin direct, qui présente une scène calme au milieu des combats.
9Cette recherche de vérité par une génération d’artistes combattants trouvera une consécration avec les panoramas réalisés par Alphonse de Neuville et Édouard Detaille, notamment le Panorama de la bataille de Rezonville, réalisé en 1882-1883 et imaginé par Detaille, qui choisit le soir de cette bataille meurtrière :
Dans les panoramas de Champigny et de Rezonville, j’ai voulu montrer un champ de bataille dans sa réalité, sans poses conventionnelles, sans composition outrée, et sans aucune de ces invraisemblances enfantines que le public accueille avec trop de bonne foi. Au panorama de Champigny, je préfère le panorama de Rezonville, comme plus réel, et donnant mieux l’impression de la bataille telle qu’elle est9.
10L’écrivain Léon Bloy, autre témoin de la guerre de 1870, tracera les limites éthiques et esthétiques de la représentation du combat dans Sueur de sang : « Pour ce qui est des blessures, je ne puis vous dire que ceci. Le peintre assez audacieux pour être exact passerait pour une brute immonde et serait infailliblement accusé, même par les soldats, de manquer de patriotisme10. »
Un reporter-illustrateur : Auguste Lançon
11Un autre peintre sera confronté à cette contradiction, Auguste Lançon (1836-1885). En 1870, Lançon entre dans les Ambulances de la presse11 et il assiste au désastre de Sedan avant de combattre durant le siège de Paris comme sergent dans un bataillon de marche. Il publie de nombreux dessins dans L’Illustration, dont il est le correspondant spécial dès juillet, et dans Le Monde illustré en 1871.
12Après Sedan, il publie des dessins de la bataille de Mouzon et de l’incendie de Bazeilles. Comme Lançon est critiqué pour la dureté de ses croquis, Théophile Gautier prend sa défense dans L’Illustration le 19 novembre 1870, à l’occasion de la publication de ses crayonnés de Bazeilles et Mouzon, dont le journal publie un dernier dessin, Route de Mouzon après la bataille :
Pas un objet qui n’ait été vu, pas un trait qui ne soit sincère. Aucun arrangement, nulle composition. C’est la vérité dans son horreur imprévue, dans sa sinistre bizarrerie. De telles choses ne s’inventent pas. [...] Nous allons feuilleter avec vous L’Illustration, et regarder ces images si vraies de l’affreuse chose qu’on nomme la guerre. [...] Nous prenons sans choisir parmi les croquis de M. Lançon, – un coin du champ de bataille de Bazeilles. [...] Sur la terre gisent sept cadavres à la file, avec les poses étranges de l’agonie subite. [...] Rien de plus sinistre et de plus tragique que ces corps couchés sur le sillon comme des épis fauchés. Au fond, l’on aperçoit des fourgons attelés et montés par des artilleurs prussiens. Ce croquis, développé et peint dans son âpre vérité, ferait un beau tableau, d’une nouveauté terrible12.
13Son dessin du champ de bataille de Bazeilles sera tout d’abord transposé en gravure puis en peinture dans un climat difficile : son tableau L’Ensevelissement des morts après Champigny est refusé au Salon de 1873.
14Le tableau réalisé d’après la gravure, Morts en ligne, est exposé au Salon de 1874 (illustration 5) :
La critique a placé bien au-dessous comme valeur, sinon comme intention, le tableau de M. Lançon intitulé Les Morts en ligne. [...] Il y a dans l’ordonnance du sujet, dans le ton général, une trop grande recherche de l’effet et une affectation de l’horrible qui froisse douloureusement le regard. Et cependant, la foule n’est point demeurée indifférente à ce spectacle. [...] Ou je me trompe fort, ou l’impression immédiate qui se dégage de son tableau est un sentiment de profond dégoût pour tout ce qui ressemble à la guerre, dont les aspects poétiques disparaissent ici sous la hideuse réalité13.
15Finalement, le tableau est acheté par l’État et envoyé dans un musée de province, à Verdun.
16L’aboutissement de son œuvre consacrée à la guerre de 1870 sera l’illustration de l’ouvrage d’Eugène Véron, La Troisième Invasion14, qui trace le portrait de l’illustrateur dans l’introduction :
M. Auguste Lançon a résolu d’en avoir le cœur net. Lorsque éclata la guerre de 1870, il commença aussitôt à chercher les moyens d’y assister dans des conditions qui lui permissent de voir les choses comme elles sont, et qui, par conséquent, lui laissassent la liberté de choisir ses points de vue. Après divers essais qui ne le satisfirent pas, il s’engagea dans l’ambulance de la Presse. [...] Son espérance n’a pas été trompée. [...] Il a failli plus d’une fois payer de sa vie cet amour de l’exactitude et de la réalité15.
Un peintre officier : Georges Jeanniot
17Alors que les artistes de la génération de 1870 commencent à abandonner l’évocation de la guerre, l’inspiration des tableaux se modifie sensiblement. Comme dans la littérature, on s’intéresse à de simples anecdotes où l’on exalte le courage et le sacrifice individuel. Cet héroïsme outrancier va souvent de pair avec un portrait de l’Allemand brutal, arrogant, qui joue le mauvais rôle dans des scènes de prises d’otages et d’exécutions sommaires. L’esprit de revanche est alors stimulé par le nouveau ministre de la Guerre, le général Boulanger.
18C’est à cette nouvelle vision de la guerre que Georges Jeanniot (1848-1934) va réagir. Il est d’abord militaire, engagé en 1866 à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, dont il sort sous-lieutenant. Au début de la guerre de 1870, il est présent à la bataille de Rezonville avec le 23e régiment de ligne. Replié sur Metz, il est fait prisonnier le 29 octobre 1870. Il rentre en France après l’armistice du 21 janvier 1871 et il est affecté au 94e régiment d’infanterie qui participe à la répression de la Commune. Nommé en décembre 1871 officier d’ordonnance du général Berthaut, Jeanniot peut développer sa carrière d’artiste. Il démissionnera de l’armée en 1883.
19Il expose au Salon de 1886 ce qu’on peut appeler son testament de combattant de 1870, Ligne de feu : souvenir du 16 août 1870, en réaction à des productions d’un patriotisme cocardier (illustration 6). Son tableau est salué par Octave Mirbeau :
Moi, je vais vous dire mon opinion toute nette : il est superbe ce tableau, et il nous promet un grand peintre militaire, car M. Jeanniot vient de donner un magistral coup de pied dans la convention des petits soldats de plomb. [...] [I]l a su grouper ses soldats sans préoccupation de drame grossier, sans recherche de l’effet vulgaire et poncif, le mouvement en est excellent, la facture très hardie et très libre, et ses types de militaires ont un accent de vérité tout à fait nouveau16.
20Cette approche, qui pourrait s’apparenter au naturalisme des Soirées de Médan17, a été soulignée par des critiques d’art connaisseurs de la peinture militaire, comme Jules Richard :
En 1870, M. Jeanniot était sous-lieutenant au 23e régiment d’infanterie de ligne. [...] [L]e 16 août, à Rezonville, il fut gravement atteint par une balle allemande et décoré pour sa belle conduite pendant l’action. C’est donc un soldat de Rezonville qui peint les soldats de Rezonville. Cette bonne fortune est si rare de rencontrer dans le peintre d’une scène militaire un des acteurs de cette scène, que cela devrait me dispenser d’en dire davantage. [...] Dans le tableau de M. Jeanniot, chacun, au contraire, est simplement, strictement à sa place, faisant de son mieux pour son propre compte et pour le compte de tous. Pas de pose, rien de théâtral ; l’horreur du combat est dans la douleur des blessés, sa majesté dans l’amplitude et la densité de la ligne de feu, que l’on sent se prolonger au loin, si l’on ne voit pas les rangs des tireurs. Cela est fort beau, parce que cela est vrai et qu’on sent que cela doit être ainsi. [...] Si M. Jeanniot nous délivre des clowneries et des exercices de haute école militaire, il aura bien mérité de l’art et de ses contemporains18.
21Même si le tableau fait sensation, il semble qu’il ait été mal placé lors de l’accrochage, comme le laisse supposer la critique de La France militaire, qui n’apprécie pas la facture très moderne de Jeanniot, inspirée de la peinture d’Édouard Manet :
Arrivons enfin à M. Jeanniot, un débutant, je crois, dans la peinture militaire. Sa Ligne de feu est assez remarquable comme composition, mais a un aspect étrange. Groupes très bien dessinés, mais si peu colorés qu’on a quelque peine à distinguer les détails. Est-ce l’effet de la lumière mal placée, est-ce l’absence de reliefs marqués ? Toujours est-il que cette toile est digne d’être étudiée, et nous y reviendrons lors du remaniement du Salon. M. Jeanniot sera sans doute mieux placé, et bien des qualités, inappréciables maintenant, ressortiront et feront valoir ce tableau19.
Un observateur méticuleux : Aimé Morot
22Un autre tableau du Salon de 1886 a trouvé grâce aux yeux de la critique, le Rezonville d’Aimé Morot (1850-1913), qui représente la désormais légendaire « chevauchée de la mort » entre la brigade Von Bredow (cuirassiers, uhlans et dragons) et les brigades Murat (dragons) et Grammont (cuirassiers). Le peintre s’est intéressé très tôt au mouvement des chevaux mis en évidence par le photographe Eadweard Muybridge en 1878. Et il a introduit la vérité des photographies instantanées dans la représentation des chevaux au galop, avancée qui ne fut pas du goût de tous :
Pourquoi faut-il que M. Morot, dans son tableau intitulé Rezonville (30 août 1870 [sic]), qui m’a attiré par le sentiment vrai se dégageant d’une colonne de cavalerie qui opère en chargeant un changement de front, ait assez peu réfléchi pour commettre la faute que certains critiques lui adressent, celle d’avoir fait une véritable charge en montrant des chevaux sans pieds, ce qui paraît pour le moins indispensable dans le cas dont il s’agit20.
23La critique n’est pas toujours clairvoyante en convoquant une « vérité » imprégnée par le patriotisme ambiant pour juger de la peinture militaire :
Ce genre de peinture, fort aimé des Français, a fait de grands progrès parmi nous ; et, au Salon même, quoique Neuville soit mort, que MM. Berne-Bellecour et Detaille soient absents, les bons tableaux de bataille sont nombreux. Ceux qui nous intéressent d’abord ont trait à la dernière guerre, disant des combats ou des épisodes de la campagne : le Rezonville de M. A. Morot, mêlée furieuse de cavaliers, corps à corps d’hommes et de chevaux, peint avec une fougue admirable ; la Ligne de feu de M. Jeanniot, la Bataille de Loigny de M. Grolleron, le Champigny, très mouvementé, de M. Beaumetz, le Bazeille de M. Paris ; [...] enfin l’Espion et les Otages de M. Boutigny, deux drames superbes du patriotisme. Étant chauvin jusqu’au bout des ongles, je ne cache pas l’émotion que me causent ces peintures, et je plains ceux qui raillent l’attention que le public accorde à nos petits soldats. Cette attention est d’autant plus justifiée que le goût des peintres a fait de grands progrès : ils ont renoncé au soldat pimpant et triomphant, et les images qu’ils nous donnent de la guerre sont conformes à la vérité21.
24L’année suivante, Aimé Morot réalise le tableau parfait pour la salle d’honneur du 3e régiment de cuirassiers, tableau destiné à l’éducation des jeunes appelés. L’allure des chevaux au galop est bien dessinée et strictement conforme aux photographies instantanées de Muybridge. Et l’artiste adopte un point de vue inédit, que l’on pourrait qualifier de précinématographique, avec cette charge qui fonce sur le public. Jules Richard, spécialiste de la vie militaire, en a salué les mérites :
Bien que Reichshoffen ne soit point une victoire, c’est un combat trop glorieux pour que l’armée française ne le compte pas parmi ceux qui illustrent nos armes. [...] M. Morot n’est point cependant un de ces rétrogrades auxquels les peintres de la nouvelle école reprochent amèrement d’abuser du vieux jeu ; c’est un oseur, mais un bon oseur qui n’ose pas l’absurdité et qui se contente de chercher le progrès dans le perfectionnement d’effets dont il a reconnu la vérité22.
Des visions antagonistes : Pierre Lagarde et Alexandre Bloch
25Cette iconographie de la guerre de 1870, que l’on peut qualifier de « moderne », est restée très minoritaire, même si le succès du roman d’Émile Zola, La Débâcle (1892) et les nouvelles de Léon Bloy dans le journal Gil Blas (1892-1893) sont révélateurs d’un changement d’une partie de l’opinion. Mais le souvenir, exacerbé par le 25e anniversaire de la défaite, en 1895, est toujours plus cocardier. La dualité de l’opinion publique française, partagée entre les élites pacifistes, antimilitaristes, souvent dreyfusardes, et les partisans, comme Paul Déroulède, d’un patriotisme absolu, s’illustre parfaitement en 1902 avec deux tableaux radicalement opposés et achetés par l’État.
26L’artiste Pierre Lagarde (1853-1910) est surtout connu comme peintre décorateur, directeur de la scène artistique de l’Opéra de Paris et paysagiste, ce qui explique que son tableau est classé à la rubrique « paysages » et non « tableaux militaires ». Louis de Fourcaud fait mention de son caractère militaire mais sans même faire référence à la guerre de 1870, dans son article « Les salons de 1902 » au paragraphe sur les paysages : « M. Lagarde évoque, au milieu d’une forêt enneigée, sous un ciel livide rayé de pluie, une sinistre marche d’armée23. » Le critique d’art du Figaro, Arsène Alexandre, classe, lui aussi, le tableau de Lagarde dans les paysages24. Seul Maurice Hamel fait référence à sa dimension historique : « Nous rentrons dans le domaine de l’imagination avec Lagarde qui, dans La Retraite, montre avec une grandeur tragique, les bataillons pataugeant dans la neige entre les murailles rigides d’une forêt d’hiver25. »
27Pierre Lagarde a pu puiser dans ses souvenirs du siège de Paris pour imaginer cette scène, qui fut fréquente durant l’hiver 1870-1871. Acheté par l’État, le tableau est déposé au musée du Luxembourg. C’est d’autant plus remarquable que la période est peu favorable à la peinture militaire, dominée sur le plan politique par le général André, ministre de la Guerre (1900-1904), favorable à Alfred Dreyfus, et par la diffusion de l’antimilitarisme, que le gouvernement d’Émile Combes est accusé de soutenir.
28Aux antipodes de cette inspiration, l’État passera néanmoins commande à Alexandre Bloch (1857-1919) d’un premier tableau évoquant la guerre de 1870 pour le musée de l’Histoire de France à Versailles26. Si l’épisode est vrai, il est aussi caricatural :
Dans l’atelier d’Alexandre Bloch, devant le superbe tableau historique de Mars-la-Tour qu’attend Versailles, le commandant Chabal nous racontait, hier, l’histoire vraie du seul trophée de 1870 que garde la voûte des Invalides, du drapeau pris par lui dans ce combat27.
29Le musée ne présentant que des tableaux de campagnes victorieuses, il sera finalement mis en dépôt au musée de Verdun.
*
30L’objet de la peinture de la guerre de 1870 fut tout autant de porter témoignage que de sublimer la défaite en rendant hommage au courage malheureux. Les deux démarches s’excluaient l’une l’autre. Comme le faisait remarquer un critique à propos d’un livre publié en 1897, qui cherchait la vérité sur la guerre de 1870, « la légende de 1870 est en train de se créer et en fort bon train. D’ici peu il sera entendu que nous avons fait preuve du plus pur et du plus général héroïsme... L’on ne s’explique plus que tant de victoires particulières aient fourni une défaite au total28... »
31Cependant des peintres ont su porter témoignage et donner une représentation de la guerre exprimant une vérité, exigence perçue et appréciée par certains critiques d’art et une partie du public, mais rejetée par d’autres au nom d’un patriotisme cocardier.
Bibliographie
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Iconographie
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Morot Aimé, Bataille de Reichshoffen, Salon 1887, châteaux de Versailles et de Trianon.
Notes de bas de page
1 E. M. L., « Et le cinématographe ? », Ciné-Journal, no 2, 15 février 1915, p. 25.
2 George Sand, Journal d’un voyageur pendant la guerre, Paris, Michel Lévy Frères, 1871, p. 30.
3 Gustave Gœtschy, Les Jeunes Peintres militaires : de Neuville, Detaille, Dupray, Paris, Baschet, 1878.
4 François Robichon, Édouard Detaille : un siècle de gloire militaire, Paris, Bernard Giovanangeli / ministère de la Défense, 2007.
5 Gustave Gœtschy, Les Jeunes Peintres militaires, op. cit.
6 Jules Claretie, « L’art français en 1872 : les peintres de la guerre », dans Peintres et sculpteurs contemporains, Paris, Charpentier, 1873, p. 212. C’est Claretie qui souligne.
7 Jules Claretie, « Salon de 1873 », dans L’Art et les artistes français contemporains, Paris, Charpentier, 1876, p. 157.
8 Jules Claretie, « Médaillons et profils : Édouard Detaille », ibid., p. 61.
9 Marius Vachon, « Édouard Detaille : lettres et notes personnelles », Gazette des beaux-arts, no 2, 1897, p. 432-433.
10 Léon Bloy, Sueur de sang, Paris, E. Dentu, 1893, p. 146. C’est Bloy qui souligne.
11 Ambulances financées par une souscription nationale lancée par la presse française, actives de septembre 1870 à juin 1871.
12 Théophile Gautier, « Tableau de guerre 1 », L’Illustration, no 1447, 19 novembre 1870.
13 Georges Dufour, Des beaux-arts dans la politique, Paris, Lachaud et Cie, 1875, p. 147-148.
14 Eugène Véron, La Troisième Invasion, 2 vol., Paris, A. Ballue, 1876-1877.
15 Ibid., vol. 1, p. v.
16 Octave Mirbeau, « Le Salon », La France, 16 mai 1886, p. 2.
17 Voir le chapitre d’Alain Pagès, « Les enfants de la défaite » dans le présent ouvrage.
18 Jules Richard, En campagne, Paris, Boussoud, Valodon et Cie / L’univers illustré, 1886, p. 62.
19 Anonyme, « Le Salon II », La France militaire, no 590, 7 mai 1886, p. 2.
20 Anonyme, « Le Salon IV », La France militaire, no 601, 21 mai 1886, p. 3. C’est l’auteur du compte rendu qui souligne.
21 Henry Fouquier, « Le Salon VII », Gil Blas, no 2402, 16 juin 1886, p. 2.
22 Jules Richard, Le Salon militaire de 1887, Paris, Alphonse Piaget, 1887, p. 43.
23 Louis de Fourcaud, « Les salons de 1902 : Société nationale des beaux-arts », Le Gaulois, no 8053, 19 avril 1902, p. 6.
24 Arsène Alexandre, « Les salons de 1902 : Société nationale des beaux-arts », Le Figaro, 48e année, no 109, 19 avril 1902, p. 3-4.
25 Maurice Hamel, Salons de 1902, Paris, Goupil et Cie, 1902, p. 62.
26 L’État avait déjà acheté pour Versailles une Charge de Reichshoffen par Aimé Morot en 1889 et un fragment du panorama de Champigny lors de la vente de 1892.
27 Anonyme, « À travers Paris », Le Figaro, 48e année, no 95, 5 avril 1902, p. 1.
28 Gabriel Syveton, « Livres nouveaux : M. Patry, La Guerre telle qu’elle est (1870-71) », Revue politique et littéraire : revue bleue, no 25, 18 décembre 1897.
Auteur
François Robichon, professeur émérite d’histoire de l’art contemporain, est un spécialiste d’iconographie militaire, notamment sur la guerre de 1870, à laquelle il a consacré une thèse d’État ainsi qu’un livre, L’Armée française vue par les peintres, 1870-1914 (Herscher, 1998). Il a également publié des monographies d’artistes (Édouard Detaille : un siècle de gloire militaire, Bernard Giovanangeli / ministère de la Défense, 2007 et Alphonse de Neuville : 1835-1885, Nicolas Chaudin, 2010). Il est par ailleurs conseiller scientifique de plusieurs musées militaires et membre de la commission d’achat des musées du ministère de l’Armée.
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Biographie & Politique
Vie publique, vie privée, de l'Ancien Régime à la Restauration
Olivier Ferret et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.)
2014