L’élite pour un lectorat initié
De la collection à l’occasion
p. 37-52
Texte intégral
1Ce premier chapitre est consacré aux librairies d’occasion indépendantes. Si l’analyse insiste sur la singularité de ces points de vente, compte tenu notamment de leur présence sur des lieux divers (marchés, puces) ou de la spécialisation de leur assortiment, elle met en évidence un élément qui les unit : leur clientèle. Elle regroupe des passionnés du livre, des collectionneurs, des initiés, contrairement à d’autres réseaux de vente au détail examinés plus loin. Une plus fine catégorisation structure ce chapitre. Elle distingue les professionnels pour qui l’occasion constitue une activité secondaire de ceux qui proposent une offre généraliste mais « haut de gamme », et d’autres qui exploitent un assortiment spécialisé.
Une aristocratie : l’offre d’occasion comme activité secondaire
2Une première catégorie regroupe des professionnels spécialisés dans le livre ancien qui possèdent un fonds de livres d’occasion constitué lors de rachats de bibliothèques privées. La « bouquinerie », c’est-à-dire le commerce d’un ensemble de volumes sans grande valeur mais non dénué d’intérêt littéraire et intellectuel, constitue une activité secondaire pour ces professionnels dont le chiffre d’affaires provient quasi exclusivement des ventes de livres anciens.
Le Tour du monde, une plateforme avant Internet
3Parmi ce premier groupe, la librairie tenue par Pierre-François Dutilleux est un cas intéressant à examiner. Né en 1934, Dutilleux appartient de manière évidente aux fractions intellectuelles de la grande bourgeoisie parisienne. Ses origines familiales, ses diplômes, sa localisation dans un quartier coté du 16e arrondissement de Paris, sa résidence secondaire aux Portes-en-Ré, mais aussi plusieurs traits de sa personnalité tels que son assurance et son sens de l’humour caustique1, révèlent une position sociale définie par le cumul de ressources valorisées. Son père était un haut dirigeant de la Société Générale et son grand-père, Jules Dutilleux (1863-1915), était un journaliste reconnu pour ses longues interviews de Zola et de Maupassant. Diplômé de droit et de l’École libre des sciences politiques devenue Sciences Po, Pierre-François Dutilleux soutient une thèse en 1958 consacrée au parcours intellectuel de son grand-père. Il mène ensuite une carrière chez Hachette. Auprès du Baron Charles-Everard de T’serclaes de Wommersom (1923-2007), directeur des entreprises de presse de la Librairie Hachette entre 1969 et 19732, il est l’un des quatre experts marketing de la direction « presse ». Dans ce cadre, il prend en charge la gestion de différents titres parmi lesquels le mensuel Réalités, magazine qui met en avant les sujets de société et les photoreportages confiés à des photographes de renom comme Henri Cartier-Bresson3. En 1970, la direction de Hachette lui demande de procéder au licenciement de 250 employés du journal. Dutilleux applique cette consigne, mais vit très mal cette période. Il donne sa démission à la direction, quitte le groupe en 1973 et se reconvertit dans la librairie (« je me suis demandé où je pourrais être tranquille, j’ai choisi la librairie4 »).
4Pierre-François Dutilleux est à l’origine d’un système de vente de livres original. Le long entretien réalisé avec lui fournit des éléments sur le concept commercial qu’il mit en place. Son récit est empreint d’une modestie quelque peu surjouée (« c’est d’une simplicité évangélique ce que j’ai inventé ! »), mais de nombreux témoignages de professionnels attestent de son caractère novateur.
5Dès 1973, Dutilleux achète de nombreux ouvrages en salle des ventes et aux puces. Il les entrepose dans un local du 16e arrondissement, qui deviendra sa librairie, ainsi que dans des locaux de stockage situés en face du magasin. Parallèlement, il met en place un système de classement astucieux en numérotant, non pas les ouvrages, mais les étagères. Plus de 100 000 livres constituent son assortiment, lesquels sont répertoriés dans un fichier progressivement informatisé au cours des années 1990. Des annonces sont régulièrement publiées dans Le Monde et Le Figaro : « Où trouver un livre épuisé ? Le Tour du monde ». Chaque mois, la librairie répond à 2 000 demandes de lecteurs.
C’est dingue. Il faut dire qu’avant, les gens étaient tout seuls, sans Internet, ils ne savaient pas où trouver les livres. Ils n’allaient pas faire le tour de toutes les librairies de Paris. J’avais aussi sept libraires... enfin, des employés... qui partaient avec le listing et qui allaient chez des libraires qui avaient beaucoup de livres. C’étaient des livres simples, en principe épuisés, pas forcément d’ailleurs. Quand le Net est arrivé, en six mois, c’était fini, j’ai viré tout le monde. Ce qui a été très agréable pendant cette période, c’est que j’avais été un génie ! Tout ça parce que j’avais trouvé un « Que sais-je ? » à neuf francs ! Mais il n’y avait rien de rare... et puis les gens avaient l’habitude de me demander à moi, parce que j’étais le seul à faire ça.
6À la fin des années 1990, Dutilleux, constatant l’arrivée d’Internet, décide de se séparer de l’activité du Tour du monde (100 000 volumes et la base informatique) tout en poursuivant son activité pour bibliophiles qu’il développe en parallèle. Le local où sont stockés les ouvrages est aussi convoité par le propriétaire engagé dans un nouveau projet de parking souterrain dans ce quartier commercial de l’Ouest parisien. Dutilleux écrit à François-Henri Pinault, alors PDG de la Fnac (1997-2000), pour lui proposer Le Tour du monde. Celui-ci se montre intéressé.
J’avais imaginé pour lui une Fnac « livres d’occasion » avec, derrière des téléphones, dix filles pour répondre... Et ils n’ont pas fait ça. Ils voulaient intégrer l’occasion au neuf, ils n’ont rien fait et, au bout de deux ans, ils ont vendu ça à Chapitre. Comme je leur avais vendu cette activité-là, je leur ai vendu aussi le nom de ma librairie, Le Tour du monde, que j’ai rebaptisée la librairie Pierre-François Dutilleux.
7En 2015, Dutilleux, âgé de 81 ans, possède toujours son activité pour bibliophiles. Propriétaire d’un entrepôt à Saint-Cloud, il décide de reprendre la vente de livres d’occasion en ayant recours à un outil classique de la bibliophilie : le catalogue5. Le premier catalogue intitulé « Bons titres à petit prix » est diffusé au mois d’avril 2016. Si les ouvrages proposés sont vendus à un prix inférieur à ceux pour collectionneurs (entre 10 et 30 euros), la diffusion du catalogue, limitée à ses clients bibliophiles, cantonne ce nouveau commerce à un public d’initiés.
Depuis quarante ans, nous publions des catalogues adressés à des bibliophiles. Tout change, le monde du livre comme le reste. Au lieu de critiquer l’évolution des goûts, je vais essayer d’y participer. La librairie va continuer à faire ses catalogues traditionnels. Mais je veux aussi désormais m’adresser à des personnes qui achètent des livres sans être bibliophiles, parce qu’elles sont intéressées par un sujet ou un auteur. C’est pourquoi je crée un nouveau catalogue de livres excellents par le contenu et attrayants par le prix (entre 10 et 30 euros), dont le titre explicite est « Bons livres à petit prix ». Je garde le classement thématique qui permet de présenter les livres par sujet au lieu d’utiliser l’ordre alphabétique des noms d’auteurs.
Ai-je raison ? Suis-je dans l’air du temps ? On verra bien. En tout cas, je suis ravi de mettre aussi en valeur ces livres. Il y a huit ans, j’ai commencé un combat pour les plats historiés. Aujourd’hui, j’en commence un autre. Vive la vie quand elle est en perpétuel changement6 !
Livres de collection en magasin, livres d’occasion sur Amazon
8Chez les libraires d’ancien, la séparation entre l’assortiment de collections destinées aux bibliophiles et les ouvrages d’occasion (la « bouquinerie », le « courant ») est nette. Même si Dutilleux rédige un catalogue pour ses « bons titres à petit prix », en aucun cas les livres pour collectionneurs n’y figurent. Les offres font l’objet de deux catalogues différents.
9D’autres professionnels éditent uniquement un catalogue adressé aux collectionneurs : c’est le cas de la librairie Farfouille, située passage Verdeau dans le 9e arrondissement de Paris, et d’une grande librairie des puces de Saint-Ouen dont nous reparlerons. Cette distinction, qui traverse l’activité, se retrouve dans la localisation des ouvrages. Chez Farfouille, des bacs sont disposés devant l’entrée et au centre du magasin tandis que les ouvrages de collection sont entreposés sur des étagères. Il s’agit de ne pas entretenir de confusion sur la valeur des ouvrages et, pour les bacs situés à l’extérieur, il s’agit également d’attirer les passants – nombreux sous la verrière des passages du xixe siècle – avec des ouvrages à petit prix dont le libraire de collection souhaite se débarrasser.
10La distinction est encore plus poussée chez Dominique Vallet. Né en 1968 d’un père gynécologue-obstétricien, scolarisé dans le 7e arrondissement, à Saint-Louis-de-Gonzague au Trocadéro puis au lycée Fénelon dans le 6e arrondissement, avant de rejoindre la faculté d’histoire de la Sorbonne, Vallet appartient approximativement au même milieu social que Pierre-François Dutilleux, regroupant les fractions culturelles de la bourgeoisie parisienne. Plusieurs générations les séparent, la passion du livre les rassemble. Comme Dutilleux quelques années auparavant, Vallet est à la tête du Syndicat national de la librairie ancienne et moderne (SLAM), organe représentant les intérêts de la profession.
11Au cours des années 1980, il travaille pour Dutilleux et Le Tour du monde. Il appartient à la petite équipe chargée d’aller dans d’autres librairies parisiennes chercher les ouvrages commandés. En 1992, il tient un stand au marché du livre ancien du parc Georges-Brassens à Paris puis devient libraire dans une ville de la banlieue sud pendant trois ans. Quelques années après, il déménage dans le Quartier latin, à deux pas de la Sorbonne, en menant deux activités de front : la vente de livres anciens et la vente de livres d’occasion. À la fin de l’année 2016, il déménage l’intégralité de son stock de livres d’occasion dans une belle propriété du Limousin dont il a hérité. Plusieurs dizaines de milliers d’ouvrages y sont entreposés, ce qui correspond au fonds de bouquinerie qu’il a constitué en vingt-cinq ans d’activité. Seul reste à Paris son fonds de livres anciens. Les volumes d’occasion sont revendus sur Amazon, activité qui ne comporte selon lui « aucun intérêt intellectuel » et pour laquelle il salarie deux collaborateurs en Haute-Vienne, chargés de rédiger les notices pour le référencement et l’expédition d’une dizaine de commandes quotidiennes. Le choix d’Amazon est contradictoire avec les engagements que Vallet défend en tant que président du SLAM : « bon, moi, je suis le premier, je vends sur Amazon, c’est une honte, j’estime que c’est une honte ». Dans deux manifestes qu’il a rédigés pour les 230 adhérents du syndicat, Vallet critique la multinationale américaine et enjoint ses confrères à s’en détourner.
Un label pour sortir de crise. [...] Nous laissons des pans entiers de nos rayons se détacher vers les terres amazoniennes. [...] Car, sans en avoir l’air, nous autres libraires d’ancien sommes bien mieux armés que nos confrères pour résister à l’e-commerce sous toutes ses formes.
Manifeste pour l’autogestion du commerce en ligne des livres d’occasion. [...] Nous sommes les premiers responsables de cet état de fait [l’ubérisation de la librairie] pour avoir « donné nos données ». Amazon a peu à peu siphonné nos bases bibliographiques et, si nous continuons à lui confier la gestion de nos ventes, ce sont nos stocks eux-mêmes qui perdront toute valeur [...] Il est donc urgent de retirer nos livres des plateformes capitalistiques pour les confier à des organisations professionnelles, et ce pourrait être le rôle du SLAM de développer un outil de vente indépendant et qualitatif sur Internet pour permettre à ses adhérents de maîtriser un marché qu’ils aiment et connaissent parfaitement.
12« L’aristocratie » des librairies d’occasion regroupe des professionnels clairement ancrés dans le marché du livre ancien. Faisant l’acquisition de bibliothèques privées complètes, les libraires revendent également des volumes de faible valeur en les distinguant de l’offre pour collectionneurs à laquelle sont appliqués tous les codes de la bibliophilie. L’activité d’occasion est secondaire, parfois reléguée, comme c’est le cas pour Dominique Vallet, au seul canal du commerce en ligne.
Libraires d’occasion haut de gamme
13L’élite des librairies d’occasion rassemble une deuxième catégorie de professionnels, orientés moins vers la bibliophilie que vers les ouvrages d’occasion haut de gamme. Deux types de librairies ont été étudiés : l’une basée au marché aux puces de Saint-Ouen depuis plusieurs décennies, l’autre sur le marché du livre ancien situé aux abords du parc Georges-Brassens dans le 15e arrondissement de la capitale. Deux lieux du livre d’occasion qui attirent des passionnés.
Libraire aux puces : une offre d’occasion pour passionnés
14Les puces de Saint-Ouen, dont les premiers déploiements datent de 1885, regroupent une dizaine de marchés7 et accueillent chaque année près de cinq millions de visiteurs. Les rues « pucières » sont entourées d’autres espaces marchands : camelots, boutiques, bazars, carré des biffins de la porte de Montmartre (coordonné par l’association de travail social Aurore).
15Le commerce du livre y est présent. Le marché Dauphine abrite le carré des libraires spécialisés dans le livre ancien et dans l’occasion. Il s’agit de petits lieux de vente ouverts du vendredi au lundi, jours d’ouverture des marchés. Sur l’une des artères, une vaste librairie d’occasion est quant à elle ouverte tous les jours. Elle regroupe 150 000 ouvrages dans un espace de 1 000 mètres carrés. Un long et large couloir, bordé d’alcôves perpendiculaires, accueille les clients, le long duquel travaillent sept employés. Des demi-étages sont dédiés au stockage des livres. Y pénétrer pour la première fois fait vivre une expérience singulière au visiteur, celle d’être plongé dans une atmosphère à la fois studieuse et apaisée à quelques encablures du boulevard périphérique, et de se voir entouré de quantités d’ouvrages sur un nombre de thèmes considérable (littérature, sciences humaines, jeunesse, arts, architecture, etc.). L’espace réservé aux livres anciens, de taille modeste comparé à celui attribué à l’assortiment général, fut le lieu de tournage de quelques scènes de l’adaptation cinématographique de L’Écume des jours par Michel Gondry en 2013.
16Son fondateur, Jacques Vannier, est ce qu’il convient d’appeler un acteur reconnu du monde du livre. Entré dans la filière en 1959, il fut libraire de neuf, soldeur, éditeur et libraire d’ancien et d’occasion. Né en 1935, Vannier, originaire des Cévennes et ancien étudiant en droit, commence par être employé dans une librairie de nouveautés du 6e arrondissement au cours des années 1950 puis fonde, en 1959, à 24 ans, un commerce pour livres invendus. C’est Vannier qui, entre 1959 et 1980, structure à Paris le commerce de gros du solde autour des rues de Nesle, des Grands-Augustins et du Pont-de-Lodi, entre la Seine et le boulevard Saint-Germain. Les grossistes s’approvisionnent auprès des éditeurs et de leur distributeur avant de revendre, à des détaillants, des lots d’ouvrages neufs invendus. Tout en dirigeant plusieurs librairies, dont celle des puces de Saint-Ouen fondée en 1961 pour écouler ses nombreux achats (300 000 volumes par an)8, Vannier devient éditeur en 1973. Il crée sa propre maison d’édition et lance une collection de beaux livres à vocation encyclopédique sur le cinéma (le western, Gabin, le cinéma fantastique) (Buruiana, 1991, p. 51-54). À la fin des années 1980, il est expulsé de son local des puces pour les travaux nécessaires à la reconstruction du marché Dauphine. Refusant de rejoindre le marché rénové et le carré des libraires, il loue depuis un vaste espace qui fut occupé par une usine à boulons, tout en étant propriétaire d’un entrepôt situé à cent kilomètres de la capitale.
17Son assortiment actuel regroupe des livres d’occasion et des ouvrages soldés. Vannier est un libraire d’occasion généraliste avec la particularité de posséder le plus grand stock de livres d’art de la capitale. Il déclare vendre des livres de qualité et essaie « d’avoir tout ce qu’on ne trouve pas ailleurs. Plus c’est pointu, plus on a » (Le Parisien, 2011). Les longues et passionnantes visites guidées de sa librairie le confirment : il s’agit d’une offre d’ouvrages de qualité destinés à des passionnés.
Jacques Vannier – Ici, nous avons la prétention d’avoir le plus grand stock de livres d’arts de Paris, même peut-être de France. On essaie d’avoir tout, beaucoup de livres d’art et, plus c’est difficile, plus nous achetons. Nous voulons avoir les ouvrages difficiles. Je m’explique. Si vous voulez du Picasso, du Renoir ou du Van Gogh, vous allez à la Fnac, vous allez chez votre petit libraire du coin, mais dès que vous voulez tomber sur d’autres peintres moins connus comme... alors, là, c’est déjà plus difficile ! Et tous ces livres-là, nous essayons de les sauver et de les vendre, c’est un petit peu notre démarche.
[Parcourant un listing répertoriant ses ventes] On vend beaucoup des arts appliqués, ça, c’est notre force, on a un livre sur la porcelaine japonaise ! Et par exemple, on a vendu un livre, Le Voyage autour de ma chambre, Le Lépreux de la cité d’Aoste, qu’est-ce que c’est que ce livre ? Bon, Le Travail du bois, ça, on vend bien, sur l’orgue, on vend bien, Catherine Pozzi, ça, nous le vendons. Mais on vend bien aussi les insectes de Tahiti, vous comprenez ?
Vincent Chabault – Ce sont des choses très pointues.
J. V. – Très pointues, mais ça, ça correspond un petit peu à mon image et... même un livre sur la vannerie, les dissidents de l’Action française, un peu de tout, quoi, l’histoire d’une couleur, Napoléon et l’Empire. Bon Napoléon, je n’aime pas beaucoup cet homme, mais... L’Art rupestre du Sahara, ça, on vend bien. L’Histoire de Saint-Louis...
18Jacques Vannier a cessé de racheter des lots d’invendus au cours des années 1990 pour se concentrer sur l’occasion. À plus de 80 ans, désormais associé à sa fille, il prend encore en charge le rachat de bibliothèques privées parisiennes pour composer son assortiment et fait également des acquisitions de livres auprès des brocanteurs qui viennent vendre directement aux professionnels des puces. Lors du premier entretien réalisé en 2016, il déclare un chiffre d’affaires de 700 000 euros, réalisé, pour moitié, sur les sites de vente en ligne où sont présentes plus de 20 000 de ses références (Amazon et Abebooks).
Le marché du livre ancien et d’occasion du parc Georges-Brassens : le déclin d’un lieu pour « gens lettrés »
19Haut fonctionnaire mondain et acteur de la politique culturelle française des années 1970, Jean Castarède (1934-2015) a consacré un ouvrage à ce marché du livre ancien situé dans le 15e arrondissement de Paris. Niché près du parc Georges-Brassens, chaque fin de semaine, le marché est pour lui un « havre de décompression, une manière d’échapper aux mondanités parisiennes. Il ne s’agit pas, poursuit-il, d’un petit tour en banlieue – comme le font parfois les dirigeants politiques – destiné à prendre le pouls du pays et à se donner bonne conscience [...]. Il s’agit de s’évader de soi en touchant à l’universel » (Castarède, 2014, p. 55).
20Cet espace de décompression culturelle a été créé en 1987 par une association, le Groupement d’information promotion presse édition (GIPPE), rassemblant des libraires d’ancien et d’occasion. En 1988, la lettre de l’association recense 106 professionnels participant, chaque semaine ou de manière plus irrégulière, au marché. Certains sont Parisiens, d’autres provinciaux9. Abrités sous les halles aux chevaux, vestiges des anciens abattoirs de Vaugirard, les bouquinistes sont aujourd’hui une cinquantaine selon nos observations régulières. Deux femmes seulement font partie de la population de libraires. En ce qui concerne l’assortiment global, le marché regroupe pour moitié des livres rares (littérature, sciences humaines, jeunesse, BD) et, pour une autre partie, des livres d’occasion de qualité (littérature, sciences humaines, livres d’art). Des livres de poche, des CD, des DVD, des affiches, des gravures et des cartes postales sont aussi présents sur quelques stands.
21Au moment de l’enquête, un long conflit eut lieu opposant l’association en charge de l’organisation du marché et de l’encaissement des paiements relatifs à la location des emplacements (le GIPPE) et une partie des libraires. Cette franche opposition nous est apparue secondaire pour l’enquête, mais nous avons pu sentir qu’elle occupait l’esprit de certains bouquinistes10. Deux reproches étaient formulés aux personnes du GIPPE : la reconduction peu formalisée de la convention entre la Mairie de Paris, propriétaire de l’espace, et cette association, d’une part ; une gestion opaque et endogamique, d’autre part. Depuis le mois de novembre 2017, le marché est géré par un autre acteur, l’association Marché du livre Paris, composée elle aussi de libraires.
22Un autre sujet a été abordé dans les discussions et entretiens menés avec les libraires du marché11 : le déclin de la clientèle et du nombre de professionnels présents. Les vendeurs rencontrés sont âgés en grande majorité de plus de 60 ans. Tous affirment exercer cette activité par passion du livre, certains sont retraités, et les ventes de livres assurent un complément à leur pension. Outre la division par deux du nombre de stands entre la fin des années 1980 et aujourd’hui, plusieurs professionnels déclarent que leurs recettes issues du marché – sans évoquer celles réalisées par Internet – ne couvrent plus les frais engagés : déplacement, location du stand (15 euros le mètre pour deux jours), régime social des indépendants pour certains (« des journées parfois à 100 euros, ce n’est pas la peine de se déplacer. Avant, il y avait au moins 300 euros d’assurés par dimanche », selon un libraire rencontré).
23Ce constat rejoint celui de Philippe Bradieu, interrogé à trois reprises en 2016 et 2017. Âgé de 42 ans, cet ancien étudiant d’anglais a enchaîné plusieurs petits emplois avant d’être monteur-installateur d’expositions pour une entreprise multinationale organisant des ventes aux enchères. Il s’est ensuite installé au marché du parc Georges-Brassens en 2003, louant un stand de trois mètres, après une première expérience de libraire sur le marché d’Aligre, dans le 12e arrondissement. Il occupe aujourd’hui un stand nettement plus vaste, structuré par de longues et larges tables sur lesquelles sont entreposés des livres d’art et de sciences humaines. Affable et loquace, Philippe s’est prêté très facilement à l’exercice des entretiens. Parmi les contacts pris sur le marché, celui avec Philippe a été le plus approfondi. Ces moments lui donnaient l’opportunité de présenter les enjeux économiques de son métier et d’évoquer avec moi son projet de devenir libraire de nouveautés pour avoir accès à un statut de salarié jugé plus stable et protecteur que celui d’indépendant aux revenus variables et irréguliers.
C’est quand même une galère, c’est irrégulier aussi. Il y a des mois où tu ne fais rien et puis d’autres mois où tu vas cartonner. Mais, c’est galère [...]. Ça va, ça vient, bon, tu as des gosses [il a un enfant], c’est compliqué. Si c’est pour faire trois francs six sous tout le temps, ça ne sert à rien. En plus, ça peut démolir le moral, je veux dire... tu ressors des fois le lundi matin, tu te lèves : tu n’as qu’une envie, c’est de te foutre une balle. Il suffit que tu aies un peu picolé... (entretien réalisé en février 2016).
24« Drogué » au marché, comme il le dit lui-même, il manifeste un rapport à l’activité ambivalent. Soulignant de manière lapidaire l’embarras dans lequel le placent les difficultés économiques, il valorise quelques minutes plus tard les différents aspects positifs de son activité, comme pour justifier son état de dépendance vis-à-vis du marché : « le relationnel », le fait de « travailler dehors », d’avoir « des contacts avec les gens, avec des potes et cette espèce de sentiment de liberté » que lui procure le statut d’indépendant (entretien réalisé en février 2016).
25Nous examinerons plus loin la façon dont il alimente aujourd’hui son assortiment (2 000 à 3 000 volumes) après avoir bâti un fonds « par réseau12 », détermine le prix des ouvrages revendus et gère ses transactions sur Internet (300 références). Concernant l’activité du marché, Philippe déplore la diminution du nombre de libraires – « je suis toujours le dernier arrivé ici » – et le vieillissement de la clientèle : « ici, c’est un vieil arrondissement, notre clientèle, c’est quand même le 14e, le 15e, le 92... » (entretien réalisé en janvier 2016). La raréfaction des clients s’est poursuivie, selon lui, depuis les attentats du 13 novembre 2015. À plusieurs reprises, il émet des doutes quant à l’existence du marché dans dix ans.
26Le fonds de Philippe Bradieu, comme celui des autres libraires d’occasion du marché, regroupe des volumes de qualité. Les livres d’art, de sciences humaines et de littérature composent son assortiment. Philippe attache de l’importance à la maison d’édition, qui est perçue comme un critère de qualité intellectuelle et qui présagerait l’intérêt de sa clientèle.
Philippe Bradieu – Je ne vends pas de romans.
Vincent Chabault – Pourquoi ?
P. B. – Moi, je ne vends pas de romans. Ou alors, il faut que ça soit des auteurs classiques, enfin, classiques, dans le xxe, tu vois. Félicien Marceau, Francis Ponge, Breton, Beckett, voilà... Modiano, si t’as le premier, bien sûr, Place de l’étoile, tous ces trucs-là. Mais il y a des bouquins que tu n’achètes jamais. Il y a des trucs que je n’ai jamais achetés. (entretien réalisé en février 2016)
27Sa connaissance fine de la hiérarchie des auteurs, des maisons d’édition et de leurs collections en matière de prestige est directement liée aux possibilités de revente. Même édités chez des maisons renommées et au sein de collections réputées comme « la Blanche » de Gallimard, certains types de littérature, jugés communs et « grand public », ne possèdent, selon lui, aucun intérêt économique. Le positionnement des libraires du marché Georges-Brassens est alors sans ambiguïté. Leur fonds s’adresse à un lectorat d’initiés, amateur d’une littérature consacrée et d’ouvrages de sciences humaines d’un certain niveau intellectuel. Comme il l’a été analysé par Pierre Bourdieu pour le cas du marché de la maison individuelle, l’ajustement entre l’offre et la demande repose non pas sur une rencontre miraculeuse, mais sur la correspondance entre les caractéristiques sociales des acheteurs et celles des biens revendus et de leurs vendeurs (Bourdieu, 2000, 2014, p. 120). Philippe Bradieu désigne ses clients comme « des gens lettrés », tout en évoquant « les quelques traîne-savates » qui discutent avec les libraires depuis vingt ans et « que l’on n’a jamais vus acheter un livre ! » (entretien réalisé en février 2016)
La librairie de genre : le cas du polar et des sciences humaines
28L’élite des commerces d’occasion regroupe un dernier ensemble constitué par des librairies spécialisées dans un genre littéraire. Nous aurions pu évoquer le cas de la bande dessinée dont une partie des volumes s’écoule en librairie d’occasion et de collection. Leur valeur marchande peut être progressive en raison de la présence d’une dédicace de l’auteur ou de l’illustrateur renommé. Nous avons choisi deux autres cas : le polar et les sciences humaines.
Choc Corridor à Lyon (1978-1997) : du polar pour amateurs
29Fondée en 1978 dans le quartier Saint-Jean à Lyon, Choc Corridor a proposé pendant près de vingt ans un assortiment spécialisé en littérature policière, un genre qui n’avait pas acquis la légitimité dont il bénéficie aujourd’hui. Son nom fait référence à un ouvrage de l’écrivain-réalisateur Samuel Fuller, Shock Corridor, paru puis adapté au cinéma en 1963. Dans un espace de 60 mètres carrés, Choc Corridor commercialisait 17 000 références. Le livre d’occasion pesait 80 % du fonds et entre 75 % et 80 % du chiffre d’affaires. Son cofondateur, Jacques Dugrand, s’approvisionnait dans des brocantes et en faisant l’acquisition de bibliothèques privées contenant, comme il le précisait, « tout le haut de gamme de la littérature policière » (Damour, 1984, p. 11-13).
30La spécialisation et la rareté de l’assortiment attiraient un lectorat initié. Par ailleurs, Choc Corridor a développé la vente par correspondance, service pour lequel les libraires rédigeaient un catalogue regroupant 15 000 des 17 000 références disponibles. La vente à distance représentait 20 % du chiffre d’affaires de la librairie (p. 46-47).
31La librairie a fermé ses portes en 1997. Dugrand s’est installé dans le sud de la France et a poursuivi la vente de son fonds par Internet avant de revenir à Lyon dix ans plus tard, dans le 1er arrondissement, pour ouvrir L’Ultime Razzia, en référence au film de Stanley Kubrick, une boutique dédiée au polar, aux BD et aux disques. « On trouvera que du rare », précise le gérant qui justifie son retour par le goût du contact et des longs bavardages avec les clients (Crouzet, 2007).
Le Plaisir du texte : « pour les gens qui savent »
32L’offre de niche, visant un lectorat adepte d’un genre littéraire, est aussi celle de la librairie de Christophe Delage, située dans le 1er arrondissement de Lyon, à quelques centaines de mètres de la place des Terreaux. Le magasin est très encombré, les étagères sont surchargées de livres, quelques rayons sont inaccessibles. Le local ne peut accueillir qu’une ou deux personnes à la fois, car on peut difficilement se déplacer à l’intérieur. Christophe stocke aussi des livres dans son appartement, lui aussi encombré par les cartons. Il est évident que cette librairie, localisée à distance des rues commerçantes mais qui constitue une véritable caverne d’Ali Baba pour tout amateur de sciences humaines, n’est pas destinée à accueillir une autre clientèle que celle des habitués. Christophe, âgé d’une quarantaine d’années, a été libraire de nouveautés pendant trois ans avant d’être bouquiniste sur le quai de la Pêcherie. Son fonds comprend des titres de sciences humaines, d’art, de théâtre et provient essentiellement de bibliothèques privées.
33Christophe Delage admet que très peu de gens fréquentent Le Plaisir du texte. Il « communique peu » et n’est pas sûr « d’être référencé sur les pages jaunes ». Il vend, dit-il, « par connaissance ». La présence de sa librairie sur Internet se résume au référencement d’une partie de son fonds sur le site pionnier Livre-rare-book.com. Fondée en 1995 par le libraire lyonnais Pascal Chartier, cette place de marché donne accès à l’assortiment de 500 libraires (livres rares et anciens, livres d’occasion, gravures, autographes). Si cette plateforme a évolué, que ce soit par le nombre de références proposées (1 million en 2003 contre 4 millions aujourd’hui) (Chabault, 2013 b) ou par son ergonomie, elle reste avant tout l’outil des bibliophiles passionnés.
Moi, je suis sur livre-rare-book.com, ce n’est pas très visible. Ce site, c’est un peu l’équivalent de la rue Royale ici ! Abebooks et Amazon, ce sont les Champs-Élysées ou la rue de la République à Lyon (rire). C’est pour les gens qui savent, des passionnés. Sinon, ils passent par Amazon, les gens ignorent livre-rare. [...] En vendant un peu ici, un peu sur le Web, on vend, mais c’est de la micro-économie.
34Cette faible visibilité et la réticence que Christophe semble manifester à l’égard de son rôle commercial (Miller, 2006) positionnent là encore ce type de librairie parmi les commerces culturels réservés aux initiés, aux « gens qui savent », comme Christophe le dit lui-même.
L’identité de métier des brocanteurs du livre
35Nous reviendrons dans une troisième partie sur ces librairies indépendantes pour examiner notamment les conséquences de la plateformisation du marché sur les aspects centraux de leur activité : l’approvisionnement et la formation des prix. À ce stade de notre analyse, il convient de réfléchir au rapport au travail et à l’identité professionnelle que manifestent ces acteurs traditionnels du marché.
36Si nous avons identifié plusieurs figures selon la localisation de l’activité ou le type d’assortiment proposé (livre ancien / occasion, général / spécialisé), tous les cas évoqués partagent un ensemble de propriétés. L’écrasante majorité des libraires sont des hommes. Parmi les 230 librairies adhérentes du SLAM, 37 sont dirigées par des femmes (16 %). Deuxième caractéristique : elles s’adressent toutes à un lectorat d’initiés composé de passionnés du livre – ancien et / ou d’occasion –, connaisseurs et habitués de ces endroits. De ce point de vue là, ces acteurs indépendants se distinguent des enseignes Gibert et Boulinier, détaillants importants sur le marché et connus de nombreux lecteurs. Ces libraires ont également des pratiques communes. Nous verrons plus loin que l’approvisionnement et le travail de construction des prix de revente suivent des routines et des repères collectifs qui sont aujourd’hui remis en cause par de nouveaux concurrents.
37Plus généralement, c’est la découverte d’une « identité de métier » (Dubar, 2000, p. 116) comme mode d’identification par le travail qui paraît émerger de l’analyse des entretiens réalisés. Cette identité professionnelle repose sur « des manières de faire, de sentir et de penser » qui constituent à la fois des valeurs collectives et des repères personnels.
38Une enquête menée sur l’identité professionnelle des libraires de jeunesse montrait les différents aspects du métier par lesquels les professionnels se définissaient (la sélection du « bon » livre, la transmission du goût de la lecture, la production du conseil personnalisé ; Chabault, 2017). Ces éléments sont nettement moins visibles dans les propos des libraires d’occasion. Seule une libraire lyonnaise, Muriel Fanon, 43 ans, manifeste un engagement d’ordre strictement culturel pour justifier son activité. Pour elle, son travail de revente vise à démocratiser l’accès au livre. Cette motivation serait, selon elle, bien plus rare chez ses confrères, attirés par le profit.
Ce qui m’intéresse, c’est de faire circuler le livre, c’est d’avoir des livres à prix accessibles pour que les parents, par exemple... – on dit « les jeunes ne lisent plus », c’est faux –, que les parents puissent en acheter. Bon, je veux bien aussi gagner ma vie ! Quand je vous dis que je ne suis pas une vraie bouquiniste, c’est que j’essaie de mettre le prix le plus bas pour que le livre circule.
39Sans pouvoir généraliser, faute de disposer de cas plus nombreux, nous pouvons toutefois considérer que la posture de Muriel Fanon, qui s’assimile à un engagement culturel, est à rapprocher des investissements observés dans un lieu non marchand, en bibliothèque, en faveur de l’accueil du public et de la médiation culturelle. Ces tâches prescrites, assignées au genre féminin, étant réalisées par un groupe professionnel féminisé à 87 % (Cléron & Patureau, 2007).
40Le métier de libraire d’occasion ne semble pas uniquement animé par la quête du profit mais, à l’image de celle des brocanteurs motivés par la création d’opportunités de gains (Sciardet, 2003, p. 45), la rhétorique professionnelle ne rend pas visible sa dimension intellectuelle ou politique, comme chez Muriel Fanon.
41Leur identité reste toutefois éloignée de celle d’autres métiers exercés par les cols blancs du commerce. L’expérience du monde social des libraires semble par exemple moins structurée par une logique lucrative que celle des agents immobiliers (Bernard, 2017, p. 18). Face à l’enquêteur, il s’agit aussi de présenter un métier, certes commercial, mais dont le contact avec un bien à haute valeur symbolique peut difficilement se doubler de l’affichage de la cupidité, en raison du penchant manifesté par les professions intellectuelles consistant à mettre en avant le désintéressement.
42Une autre dimension de « l’identité de métier » concerne la transmission informelle des règles propres à l’activité. Philippe Bradieu admet à demi-mot que son fonds d’ouvrages initial a été constitué de volumes collectés lors de son expérience dans une maison de vente aux enchères, sans forcément en faire l’acquisition13. S’il n’a pas détaillé précisément les modalités de conception de son assortiment, il a ensuite déclaré que, sur le marché Georges-Brassens, il a été formé par d’autres professionnels qui lui ont transmis les règles du métier : « On a été chapeauté ici, j’ai eu de la chance, je suis tombé sur des mecs vraiment sympas qui m’ont appris le métier. Voilà, j’ai appris petit à petit. » (entretien réalisé en février 2016).
43L’identité de métier repose enfin sur l’existence d’intérêts communs. Bien que concurrents du point de vue économique, les libraires manifestent des intérêts communs, en particulier lorsqu’il s’agit de dénoncer le caractère prédateur des plateformes. Les critiques sont partagées de tous, même si les mobilisations collectives sont inexistantes.
44Les différents aspects de cette identité de métier sont aujourd’hui malmenés par la plateformisation du marché du livre d’occasion. Nous verrons plus loin comment ces professionnels assurent une présence – à la fois vitale économiquement mais rejetée intellectuellement – de leur assortiment sur les plateformes. Ces difficultés économiques et ces tensions identitaires se retrouvent chez une autre figure de libraire, proche de ceux auxquels nous venons de consacrer ce premier chapitre, les bouquinistes des quais de Seine.
Notes de bas de page
1 Revenant au cours de l’entretien sur le départ de Ithier de Roquemaurel (1914-1996), dernier héritier de Louis Hachette et PDG du groupe de 1966 à 1977, il ajoute : « Quand même, un marquis à la tête du groupe, il fallait passer à autre chose... un marquis, vous rendez-vous compte ? ».
2 Source : Who’s who in France.
3 Jugé bourgeois, démodé et à court de recettes publicitaires, Réalités disparaît en 1978 (De Mondenard & Guerrin, 2008).
4 Le tableau récapitulatif des entretiens en fin d’ouvrage permet de retrouver la fonction occupée par la personne interrogée ainsi que la date à laquelle a eu lieu l’entretien dont nous citons l’extrait.
5 Le catalogue est un dispositif d’information et de fidélisation. Il est aussi un gage de sérieux dans la mesure où il témoigne d’un degré de professionnalisme et d’inscription dans le monde des bibliophiles (Goujet, 2010, p. 260). Dutilleux juge aussi le catalogue comme un bon outil pour racheter des livres à « la veuve » : « Mon catalogue, je l’envoie gratuitement et si, au bout de cinq catalogues, la personne n’a pas commandé, je supprime. Il y a des libraires d’ancien qui continuent de l’envoyer à tout le monde. Il y en a un qui me disait un jour : “le jour où le client meurt, c’est rentable car la veuve vous téléphone”. Ce n’est pas idiot, c’est une forme de publicité. »
6 « Bons titres à petit prix », catalogue nº 1, avril 2016.
7 Vernaison, Malassis, Biron, Dauphine, Cambo, Paul-Bert-Serpette, Entrepôt, Usine, Jules-Vallès, Le Passage, Malik, Antica, des Rues. Pour une brève histoire des puces, voir Sciardet, 2003, p. 6-9.
8 Jacques Vannier réalise une « belle affaire » avec l’édition en fascicules, qui eut son heure de gloire dans les années 1970-1980. Il rachète 1 million d’exemplaires des 44 titres d’une série éditée par Hachette et intitulée Les Grands peintres. Il les a intégralement revendus à des libraires, des kiosquiers et des revendeurs, dont quelques-uns se postaient à la sortie des Galeries Lafayette et entreposaient les fascicules sur le trottoir. Sur l’édition en fascicules et le succès de ces encyclopédies découpées en « tranches », voir Chiflet, 2017, p. 311.
9 « La lettre du marché du livre ancien et d’occasion – Parc Georges-Brassens », lettre nº 1, 21 janvier 1988, 8 pages.
10 En 2016 et 2017, malgré nos demandes répétées, nous n’avons pas pu rencontrer la personne qui était à la tête du GIPPE. Le conflit et la volonté de ne pas le médiatiser en constituent probablement les raisons.
11 Nous avons eu des discussions informelles sur le marché avec six libraires (entre 10 et 45 minutes) et avons mené trois entretiens enregistrés dans un café avec un autre libraire, Philippe Bradieu (entre 1 h et 2 h 30).
12 « J’ai travaillé chez S... donc, là, j’avais rentré pas mal de came. Comme ça ! Par réseau, beaucoup de réseau » (entretien réalisé en février 2016).
13 Dans le commerce de brocante, Hervé Sciardet observe que le premier fonds est rarement acheté mais prélevé dans l’environnement personnel immédiat du vendeur (« part d’héritage, collection personnelle, objets relégués dans le patrimoine familial, récupération du contenu d’une cave ou d’un grenier auquel on a accès par proximité de résidence, de lieu de travail, amicale ou familiale »). Un brocanteur débutant peut aussi parfois obtenir son premier stock d’un parrain (Sciardet, 2003, p. 151-152).
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