863. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART

1Cuverville

2Criquetot-L’Esneval – Tel. 27

3Seine-Inférieure

4Mercredi [23 janvier 1935 ? 1].

5Cher ami.

6Je rentre ce soir à Paris et serai heureux de te revoir avant ton départ. Il est possible que moi aussi2 j’aille à Fès très prochainement3. Peux-tu, au reçu de ce billet, me téléphoner Littré 57 19 – heureux si nous pouvions prendre rendez-vous.

7Affectueusement,

8André Gide.

864. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART

9Hôtel Albert I^er

Bruxelles

10[Jeudi] 4 février [19354].

11Mon cher Eugène,

12Que tu serais gentil si tu voulais bien m’envoyer, au plus tôt, à l’adresse ci-dessus5 – l’adresse nouvelle de Si Haddou (et son nom français qui m’échappe). Je m’attarde en Belgique pour visiter le Borinage6.

13Bien affectueusement,

14André Gide.

865. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART

15Rue Vaneau, VIT

16Littré 57-19

17Le 7 mars 19357.

18Cher ami,

19Combien je te remercie de ton intervention auprès du général de division et de la communication de cette lettre de lui qui me rassure8. J’en avais grand besoin car je m’attendais au pire.

20Rentré de Cuverville dans la nuit d’hier, je pense ne m’attarder que peu de jours (le moins possible à Paris) et à me diriger vers le Maroc (je ne sais encore par quelle voie) vers la fin de la semaine prochaine9. Si d’ici là je pouvais te revoir, je serais heureux. Tu n’aurais qu’à me téléphoner un matin : Invalides 79.27 pour prendre rendez-vous.

21Bien amicalement ton

22André Gide10.

23Telle est la dernière lettre de celles qui ont été retrouvées. Mais ce n’est pas la dernière de la correspondance Gide-Rouart : voir notre Introduction, pp. 91 -3.

LA DÉPÊCHE DE TOULOUSE
8 juillet 1936, p. 4
Mort de M. Eugène Rouart
sénateur de la Haute-Garonne

24C’est dans son important domaine de Bagnols, situé dans le territoire de la commune de Castelnau d’Estrétefonds, que vient de mourir M. Eugène Raouart sénateur de la Haute-Garonne, officier de la Légion d’Honneur, commandeur du Mérite agricole, conseiller général du canton de Fronton, terrassé en quelques mois par une maladie implacable et douloureuse.

25M. Eugène Rouart, ingénieur agricole, avait fait de brillantes études à l’Ecole nationale de Grignon, dont ilprésidait l’Association des anciens élèves.

26Né à Le Mée (Seine-et-Mame) le 22 août 1872, il vint, quelque temps après de solides études et muni de tous ses diplômes, se fixer dans le canton de Fronton, sur le vaste domaine de Bagnols, dont il avait fait depuis de longues années déjà une exploitation modèle et un véritable centre d’expérimentation et de rayonnement.

27Profondément attaché à sa profession d’agriculteur où il déployait ses dons remarquables de technicien et de pionnier du progrès, sûr dans ses conseils, bienveillant à tous, toujours prêt à aider les autres de ses vastes connaissances, foncièrement démocrate dans ses actes comme dans ses sentiments, il s’acquérait bien vite la considération, l’estime, la confiance de ses concitoyens, nouant autour de lui un faisceau de solides amitiés.

28Comme il ne séparait pas les problèmes économiques des problèmes politiques, il ne tardait pas à accepter des fonctions cantonales qui tout naturellement s’offrirent à lui.

29Elu conseiller d’arrondissement du canton de Fronton en 1907, il devenait conseiller général en 1910 et fut constamment réélu depuis cette époque. Au cours du premier ministère Clemenceau, il avait occupé les fonctions de chef de cabinet auprès de M. Cruppi, ministre du Commerce.

30Durant plusieurs années, ilfut vice-président du conseil général de la Haute-Garonne. Il présidait une des plus importantes commissions, celle chargée des questions économiques, de l’agriculture, des travaux d’électrification, de l’enseignement technique, du travail et de la prévoyance sociale.

31Il était président de l’Office régional agricole du Sud-Ouest et membre de la chambre d’agriculture de la Haute Garonne.

32Agriculteur, éleveur, viticulteur, arboriculteur, M. Eugène Rouart avait obtenu de nombreux prix dans les concours. Il avait été lauréat de la prime d’honneur de l’arboriculture de la Haute-Garonne et remporté de loin le prix culturel du concours de prime d’honneur des Pyrénées-Orientales pour ses travaux de remise en valeur des terres abandonnées, et pour ses cultures de raisins de table.

33Ses qualités de technicien, dont la notoriété avait dépassé les limites de notre région, l’appelèrent à de hautes fonctions. Il était membre du Conseil supérieur de l’Agriculture, du Conseil supérieur de l’Elevage, du Comité consultatif des Chemins de fer, du Comité consultatif des Forces hydrauliques, du Conseil de l’Université de Toulouse.

34En véritable pionnier du progrès mesurant la nécessité d’améliorer les cultures afin de les rendre plus rémunératrices, il s’attacha à la sélection des semences les mieux adaptées à notre climat. Il avait été l’initiateur des stations de Monion et de Villefranche dont l’influence se révèle tous les jours plus féconde sur les méthodes de culture de notre région.

35Il se préoccupa beaucoup de la culture fruitière, qu’il réussit à développer dans la région, en organisant une équipe de moniteurs chargés de la démonstration des soins à donner aux arbres fruitiers.

36Pénétré de l’esprit coopératif, il avait senti avant l’heure le besoin de grouper les agriculteurs dans de nombreuses coopératives spécialisées, dont il fut l’animateur et souvent le fondateur.

37Il était président de la Société civile de la ferme extérieure de Grignon. Il faisait partie du Conseil d’administration de l’Ecole d’Agriculture de Grignon, qui a permis l’établissement du Centre national d’expérimentation, de l’Institut agricole de la Faculté des Sciences de Toulouse, de l’Ecole régionale d’agriculture d’Ondes, des conseils de perfectionnement de l’école de Tonneins et de l’école des métiers de Gourdan-Polignan. Il était également président de la Fédération des ingénieurs agricoles, de la Fédération des producteurs de fruits et primeurs de la région et vice-président du Comité national permanent de l’exportation des fruits et primeurs.

38Depuis quelques années il avait été élu membre de l’Académie d’agriculture, en remplacement de M. Albert Vemeuil, président de la Fédération des viticulteurs charentais.

39Fin 1932, il fut élu sénateur de la Haute-Garonne, au deuxième tour de scrutin, avec toute la liste radicale socialiste, et MM. Lucien Saint, Savignol, Carrère comme colistiers.

40Fout de suite, à la Haute Assemblée, il devint un membre influent de la commission d’agriculture. Ses collègues le chargèrent de présenter un rapport sur le statut de la viticulture, rapport remarquable, dans lequel il eut l’occasion de donner toute la mesure de ses compétences et de sa technicité.

41C’est dans la plus stricte intimité que ses obsèques ont été célébrées hier, à 10.15, à Saint-Caprais.

42Le deuil était conduit par Mme Eugène Rouart, entourée de ses deux fils et des deux frères du défunt.

43M. Frédéric Atger, préfet de la Haute-Garonne, accompagné de M. Vivant, son chef de cabinet, représentait le gouvernement.

44M. Lucien Sarraute, conseiller général, représentait l’assemblée départementale, et M. Mauré, président du conseil d’arrondissement de Toulouse, directeur de l’Ecole d’Agriculture d’Ondes, représentait le conseil d’arrondissement.

45Le maire et le conseil municipal de Castelnau-d’Estrétefonds au complet avaient tenu à suivre la dépouille de leur compatriote et conseiller général.

46On pouvait noter également la présence de M. Mougniard, conseiller d’arrondissement du canton de Fronton ; M. Catpiubon, maire de Grenade ; M. Castex, directeur des services agricoles de la Haute-Garonne ; M. Naudinat, vétérinaire départemental.

47Tous les habitants de Saint-Caprais suivaient le cortège.

48C’est dans le petit cimetière de la commune, au milieu de ses fidèles ouvriers et serviteurs, qu’il aimait si profondément, que très modestement, sans discours, sans couronnes, M. Eugène Rouart a voulu reposer dans cette terre de Bagnols qu’il avait su si prodigieusement fertiliser.

49La perte de M. Eugène Rouart se fera cruellement sentir dans les nombreuses assemblées où l’on n’entendra plus ses fréquentes interventions, inspirées par une compétence reconnue de tous et par un souci constant de l’intérêt général et du bien des populations rurales.

50Nous prions Mme Eugène Rouart, ses enfants et sa famille d’agréer les condoléances émues de La Dépêche qui s’honorait de compter le sénateur Eugène Rouart parmi ses amis.