1933
p. 568-571
Texte intégral
1 Du 20 mars au 12 avril 1933, eut lieu à Paris, à la galerie Paul Pjssenberg, une exposition de Peintures et aquarelles par Henri Rouart, 1833-1912, avec un catalogue préfacé par Valéry. Sur papier à en-tête du Sénat, Kouart écrivit à Valéry, le 17février 1933 : « Louis m’a lu hier tes lignes consacrées à mon père – merci très profondément de l’hommage rendu, des souvenirs évoqués, du temps où nous avons eu plaisir à nous connaître » (BNJ. Rouart veillera à ce que ce texte soit publié dans L’Archer (4’ année, n° 4, avril 1933, pp. VllI-X).
859. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
2Cuverville
3Criquetot-L’Esneval – Tél. 27
4Seine-Inférieure
524 août 19331.
6Cher Eugène,
7Intéressé par ta lettre2 et ce que tu me dis de ton voyage au Danemark ; me déciderai-je, vers la fin de ma vie, à goûter moi aussi aux pays du Nord ?... Je me propose auparavant d’aller rejoindre Marcel de Coppet3 à Porto Novo, puisque le voici gouverneur du Dahomey. Je viens de passer, dans les Ardennes belges, une courte semaine qui m’a remis de ma cure à Vittel4. Et maintenant, bain de famille à Cuverville. Je t’envie tes vergers. Rien ne m’intéresserait davantage, et je peste contre les rigueurs du climat normand qui fait désespérer tous les fruits.
8J’ai reçu la visite de l’associé d’André5 Allégret, qui m’a fait une fort bonne impression. Je crois que leur entreprise de bananeraie est en bonne voie et mérite d’être aidée, comme ils nous invitent à le faire. Je me propose d’y remettre une dizaine de mille francs, pour répondre à leur nouvel emprunt à 7 %, qui leur permettra d’assurer et d’étendre leur culture.
9T’avais-je dit que j’avais reçu de Ruijters une lettre très affectueuse, se donnant tous les torts dans notre... différend et me demandant de ne point lui en garder rancune6. Fort heureux de pouvoir le revoir, à son retour, sans arrière-pensée.
10Bien ton
11A. G.
860. ANDRÉ GIDE À EUGÈNE ROUART
12Lausanne, Hôtel Royal
26 novembre HJ337.
13Cher Eugène,
14Oui, je serais bien désireux de te revoir et de causer avec toi à mon retour à Paris. Sitôt rentré, je te ferai signe.
15Pour ce qui est des lettres en question, je crains que tu ne te surfasses leur importance. Je me souviens vaguement d’avoir ressorti la liasse d’un tiroir, il y a deux ou trois ans, et d’avoir été fâcheusement surpris par leur insignifiance. Je crois bien en avoir détruit un certain nombre. A mon retour, je regarderai ce qui reste et nous en reparlerons. De toute manière crois-moi fort touché par le souvenir que tu gardes de ce frémissant passé8.
16Sans nouvelles d’Alibert depuis longtemps9 ; je partage ton inquiétude au sujet de ses entreprises théâtrales ; mais sa vie est si monotone, si vide de joies. Je comprends qu’il se rattache à ce qui lui apporte, à côté de probables déboires, d’irremplaçables émotions10.
17Possible que je m’embarque bientôt pour le Dahomey, où m’appelle le gouverneur de la colonie, mon ami Marcel de Coppet. Peut-être te demanderai-je à cette occasion de bien vouloir pressentir le ministre, et de me dire si je puis espérer son appui...
18Bien affectueusement,
19André Gide.
20Retenu ici par les étudiants Belletriens qui vont bientôt jouer une pièce tirée de mes Caves du Vatican, dont je dirige les répétitions. Bonne occasion d’entrer en rapport un peu étroit avec la jeunesse d’ici11.
Notes de bas de page
1 SIU. Lettre aimablement communiquée par la Morris Library, Southern Illinois University at Carbondale. Des fragments de cette lettre avaient été publiés, d’après un catalogue de libraire, dans le bAAG n° 17, octobre 1972, p. 13.
2 Cette lettre n’a pas été retrouvée.
3 Marcel de Coppet (1881-1968), de l’ami intime de Roger Mardn du Gard est devenu son gendre. Administrateur des colonies à Fort-Archambault, c’est lui qui en les y invitant avait poussé Gide et Marc Allégret a faire leur voyage en Afrique. En 1929 il avait été nommé gouverneur du Tchad. En 1936, nommé gouverneur de la Mauritanie, il accueillit Gide pour un séjour de deux mois à Saint-Louis.
4 Gide écrivit une lettre de Bruxelles à Paul Valéry le 1er du mois (VAL, p. 516) ; c’est le 7 août qu’il rentra à Paris. Il avait fait sa cure à Vittel, après avoir longuement hésité et attendu le conseil du médecin, du 15 juin au 6 juillet.
5 Sic, pour Eric (voir supra lettre du 18 septembre 1931). Gide avait reçu dernièrement une lettre d’Eric Allégret, que celui-ci écrivit de la « Plantation Guy Delaunay & Éric Allégret / Kolenté (Guinée française) » le 30 juin 1933, avec un plan qu’il prie son « oncle André » de transmettre à Schlumberger pour qu’ensuite Delaunay puisse le communiquer à « M. Rouart » (AMA).
6 La lettre de réconciliation doit être celle du 16 avril 1933, où Ruyters écrivit que la lecture de Divers, et l’attitude de Gide vis-à-vis de l’évolution russe, avaient « fini par rétablir le contact », mettant fin au « divorce » en indiquant que le propre de Gide avait été « d’obéir longtemps et dans la même direction ». Mais quant à se donner tous les torts, Ruyters n’en était pas là, semble-t-il... Gide répondit le 15 mai (RUY II, pp. 227-9), et les deux amis se revirent à Paris en mai 1934. À cette époque Gide dit à Maria van Rysselberghe : « Je l’ai retrouvé avec plaisir, c’est tout de même un vrai ami, c’est curieux de le voir tout à coup bien plus proche de mes idées, au point de vue social, que je ne pouvais m’y attendre » (CPD II, p. 379).
7 HRHRC.
8 Rouart a sans doute remarqué que dans le deuxième volume de ses Œuvres complètes, achevé d’imprimer le 5 janvier 1933, Gide a reproduit six lettres qu’il avait lui-même reçues de l’auteur en 1897-98. Rouart craint-il de voir revivre ses fureurs antidreyfusardes auxquelles répondent certaines de ces lettres de Gide ? Ou bien songe-t-il déjà à une publication en volume de cette correspondance ? L’accusation d’insignifiance, et l’aveu que Gide fait d’avoir détruit certaines lettres de Rouart, semblent destinées à rassurer celui-ci sur le premier point ; ils auraient sinon de quoi le blesser...
9 La dernière lettre que Gide a reçue d’Alibert date du 21 janvier 1933 : le poète remercie Gide de l’envoi des deux premiers volumes des Œuvres complètes, mais se plaint de l’« état d’atonie » où il se trouve ; Gide y a répondu le 9 février.
10 Alibert s’était rendu à Paris au début de 1930, chercher un soutien financier pour l’organisation de « cycles » théâtraux à Orange. Eugène Rouart, qu’il alla voir à Bagnols le dimanche 16 février 1930, lui laissa envisager alors « la possibilité de [/a/] faire faire par la Banque nationale de Crédit une ouverture de crédit de 50 000 frs, remboursables au lendemain des “fêtes” » ; Alibert lui écrivit à ce sujet le 17 février 1930 (lettre inédite citée par Claude Martin, ALI p. 371 n. 2). En mai 1933 Yvonne Rouart avait écrit deux lettres cordiales et très enjouées à Paul Valéry, pour lui demander de soutenir le festival théâtral qu’Alibert montait à Carcassonne, en y prêtant son nom et, si possible, en y contribuant de l’argent (BN).
11 La pièce adaptée de sa sotie par Yvonne Lartigaud avait eu sa première, montée par le groupe « Art et Travail », « petite troupe rouge », le 21 octobre, au Studio des Champs-Elysées. Daniel Simond, qui était dans la salle, obtint de Gide l’autorisation de monter cette adaptation pour la Société des Belles-Lettres de Lausanne. Gide partit le 10 novembre pour Lausanne, où il suivit les répétitions, et remania considérablement l’adaptation, qui lui avait beaucoup déplu à Paris. Gide se lia avec plusieurs Belletriens. Voir Jean Claude, André Gide et le théâtre, t. I, pp. 156-65, et CPD II, pp. 329-44 et 354-63.
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