Corps et genre dans la presse de mode masculine
p. 97-116
Texte intégral
Que deviendrait cette foule de jeunes dandys aux épaules évasées, à la taille souple et onduleuse sans l’art du tailleur ? Ô génie ! [...] Nous voyons le client [...] venir lui dire : Faites de moi un Apollon du Belvédère. Ô prodige ! ô merveille de l’art ! Est-ce un nouveau débarqué, un gentilhomme campagnard aux formes trapues et disgracieuses, en deux coups de ciseau, le Prométhée moderne aplanit la gibbosité de ses omoplates, infléchit la roideur de ses jambes, qui prennent une tournure toute parisienne [...]. Quand on rencontrera le métamorphosé, on ne manquera pas (surtout s’il a de l’or) de le complimenter sur la souplesse et la minceur de sa taille, l’évasement de ses épaules, et l’on ne songera pas le moins du monde aux innombrables ressources que le tailleur a dû mettre en œuvre pour pétrir et modeler cette matière brute et informe1.
1Alors que le corps est spontanément perçu comme étant du côté de la nature, le genre2 – autant que le langage ou le vêtement – apparaît comme une marque culturelle, une manifestation du social. La relation entre ces deux réalités ne va donc pas de soi. Qu’est-ce que le genre en regard du corps ? Le genre se définit-il entièrement, en partie ou pas du tout par rapport au corps ?
2Pour répondre à ces questions, définissons les deux notions. Objet concret, délimité, le corps est un lieu, un système, un outil. Le genre, quant à lui, est une notion plus fluctuante, plus « discutable » : on peut le définir, au choix, comme un comportement, une appartenance, un ensemble de signes ou d’actes, un processus social ou peut-être même comme le résultat de ce processus3. Dans un ouvrage fondateur devenu depuis un classique4, la philosophe Judith Butler montre que, loin d’être une donnée incontestable, le genre est une construction sociale qui s’élabore par une série d’actes, de phénomènes, de « performances ». « Le genre, écrit-elle, est toujours un faire, mais non le fait d’un sujet qui précéderait ce faire », et elle précise : « Il n’y a pas d’identité de genre cachée derrière les expressions du genre ; cette identité est constituée sur un mode performatif par ces expressions, celles-là mêmes qui sont censées résulter de cette identité5. » Réfutant la vision selon laquelle le genre serait construit sur la seule différence sexuelle, Judith Butler fait du genre une invention personnelle, qui n’advient que par l’acte qui, de ce fait, le nomme. À la conception naturaliste et conceptuelle du genre, elle oppose ainsi une vision culturaliste et empirique, qui suppose que chaque genre peut être créé et se vivre indépendamment des déterminations organiques.
3C’est de cette « mise en genre » qu’il sera question ici. La présente étude s’apparente en effet à une mise à l’épreuve des hypothèses de Judith Butler dans le corpus que l’on s’est fixé : la presse de mode masculine du xixe siècle6. A priori peu enclins, pour des raisons qui tiennent autant à leur statut qu’à leur époque, à témoigner d’une conception du genre comme construction, ces journaux constituent pourtant une matière à réflexion intéressante pour qui se penche sur les enjeux et les modalités d’une invention du genre. Le genre, dans ces journaux, est-il réduit au corps, à l’anatomique ou s’y offre-t-il comme une notion culturelle, un processus social ? En d’autres termes, en quoi la représentation du corps dans cette presse témoigne-t-elle d’une éventuelle élaboration du genre ?
Publications étudiées
4L’appellation « presse de mode masculine » figurant dans notre titre est quelque peu trompeuse, car elle recouvre une double réalité. On trouve, d’une part, les revues destinées aux clients, hommes du monde qui cherchent à être à la mode, à se tenir informés de ce qui se porte ; de l’autre, on trouve les revues destinées aux professionnels du vêtement, les tailleurs. Ces deux types de revues ne possèdent pas le même contenu ni le même ton. Dans celles pour les clients (Le Fashionable, Le Dandy), on ne parle pas seulement de mode vestimentaire, mais aussi de tout ce qui forme la vie élégante : spectacles, nouvelles mondaines, causeries littéraires. Dans celles pour les tailleurs (Fashion-théorie, L’Écho des tailleurs), le contenu est plus rebutant : on n’y parle que du vêtement, presque exclusivement de la coupe, qu’on aborde sous un angle technique7.
5Au-delà de ce clivage, qui tend d’ailleurs à s’estomper au cours du siècle, les revues ont pour point commun – c’est là leur objectif premier – de donner à voir le vêtement masculin par les mots et l’image. Autre facteur qui les réunit : leur propos se recoupe souvent, d’autant plus qu’il leur arrive de fusionner, ce qui donne naissance à des revues hybrides empruntant à celles pour tailleurs leur contenu technique et à celles pour « fashionables » un aspect général séduisant8.
6Les titres que nous avons consultés sont les suivants9 :
- Le Fashionable : journal des modes, album de musique, de poésie et de danse (1828-1829).
- Journal des tailleurs (1830-1896).
- Le Capricieux : journal des tailleurs (1837-1838).
- Le Dandy : journal spécial de la coupe pour messieurs les tailleurs (1838). Texte en partie identique à Réunion des modes et au Journal des dames et des modes.
- La Fashion : guide-journal des gens du monde (1839-1864). A paru pendant quelques années sous le titre Fashion-théorie.
- Le Lion : journal des nouveautés et des modes d’hommes (1842-1850). Fusionne avec L’Élégant et paraît ensuite sous ce dernier titre (1850-1862).
- Le Coupeur : journal des tailleurs (1842-1881). Absorbe L’Élégant.
- L’Écho des tailleurs : journal de modes pour hommes (1856-1864). Fusionne en 1864 avec La Fashion pour devenir Journal des modes d’hommes : organe des tailleurs (1864-1871).
- La Haute Fashion : revue mensuelle illustrée des modes masculines (1894-1896).
7La plupart de ces revues sont mensuelles ou bimensuelles. Elles sont composées de six à huit pages en général et, dans la majorité des cas, sont agrémentées d’une gravure en noir et blanc ou en couleurs représentant plusieurs modèles en situation (en visite, au bal, à cheval, etc.) et, pour certaines, d’un patron dépliable. Les revues comportent souvent deux sections, sans qu’un ordre prime l’autre. On trouve d’abord une partie descriptive intitulée « Modes » ou « Modes d’hommes » et organisée en deux rubriques : un article au ton éditorial, plein d’esprit, où l’on brosse le portrait de la mode masculine du mois, puis un autre, plus détaillé, qui consiste en une description méthodique de la gravure accompagnant la revue. La deuxième partie est technique : on y donne des instructions pour la coupe, on y décrit méticuleusement le patron joint à la revue. Cette section, aux titres variables – « De la coupe des vêtements » (Journal des tailleurs), « Coupe et confection » (Le Lion) ou « Théorie » (Fashion-théorie) –, donne à lire un discours plus aride, mais non exempt d’intérêt pour notre propos.
Le masculin rêvé : une norme anatomique
8Le constat de départ ne surprend guère : la presse de mode masculine conforte l’idée que le masculin se définit essentiellement selon des critères anatomiques. Le genre s’y conçoit comme une donnée naturelle, que le vêtement confirme. À la question « qu’est-ce qu’un homme ? », nos revues répondent d’une seule voix : celui qui est anatomiquement un homme, c’est-à-dire qui donne à voir un corps d’homme et, en conséquence, s’habille et se comporte socialement comme tel. Le sexe détermine ici le genre, et cette équation paraît d’autant plus impossible à contester que le discours qui émane de ces revues est prescriptif.
9La place prééminente du corps dans les critères du masculin s’explique en partie par une différence entre mode masculine et mode féminine. Si le féminin se fonde tout autant sur un diktat corporel contraignant, la mode féminine n’a pas pour unique visée de mettre en valeur le corps : elle est aussi pur ornement, chatoiement des matières, vertige des couleurs10. À l’inverse, les hommes se voient offrir un choix plus restreint dans les types de vêtement, d’étoffe et de ton, sans compter celui des accessoires, qui se limite au chapeau, aux gants et à la canne. Dans l’une des revues, on lit :
Dans la coupe des vêtements d’homme, les accessoires d’un habit ne peuvent pas être changés aussi souvent que les accessoires des vêtements de femme [...]. Tous les changements [...] ne proviennent que de la perfection apportée dans la coupe et la confection11.
10Pour les hommes, le seul véritable élément de variabilité est donc la coupe. Or celle-ci est intimement liée au corps puisque, à travers elle, c’est le corps qui parle en creux. En témoignent ces cols qui « ont l’avantage de laisser voir la forme du haut du buste12 », ces vestes sans poches qui « dessin[ent] mieux la taille13 » tandis que d’autres « dessin[ent] faiblement le creux du torse14 » ou encore ce pardessus « dont le dos accuse assez bien la taille15 ».
11Seconde raison qui contribue à fonder le masculin en nature : l’omniprésence d’un idéal physique, d’une norme anatomique. De manière attendue, puisqu’on se situe ici dans un discours prescriptif, la beauté du corps masculin réfère constamment à un modèle univoque. La vision de la masculinité ou de la virilité (les deux termes étant ici, pour une fois, synonymes), surtout dans la première moitié du siècle, est encore très plastique : c’est celle de la statuaire antique16. Même si elle se trouve sublimée dans un idéal esthétique, c’est bien l’anatomie qui fonde le masculin. Un article raille ainsi les hommes « que la nature a oublié d’achever ou bien qu’elle a perfectionnés dans une forme qui n’est pas, comme ils disent pour se consoler, la forme vulgaire17 ». La raillerie à l’égard des hommes mal bâtis témoigne de l’autorité du canon anatomique.
12Ce conformisme corporel est renforcé, dans la seconde section des revues, par la présence de patrons, accompagnés de mesures, les chiffres accentuant ici la dimension contraignante du canon physique. Les mesures figurant dans L’Écho des tailleurs en sont un bel exemple : « Demi-grosseur du bas du buste : 40 ; De la nuque marquant le tendon du bras à la cambrure : 30 ½, 66 ½ [...] ; Longueur du devant, de la nuque au nombril : 60 ; Grosseur d’omoplate depuis le tendon du bras : 2918. » Réduit à des mensurations, le corps masculin se retrouve confisqué par une norme, d’autant que l’on précise toujours qu’il s’agit d’un corps idéal : « Les proportions, lit-on, sont celles d’un homme bien fait, de vingt-cinq à trente ans, d’une stature de 170 c.19. » Notons que, dans la première section cette fois, l’usage du présent (« Le gilet [...] est coupé de forme dite droit à l’anglaise », « ce paletot a la coupe d’une redingote », « la longueur du bas se dessine carrément sur les hanches20 », etc.), qui fait du corps de l’homme un corps atemporel, accentue la fonction modélisante du corps dans la construction du genre21. Le témoignage (sur le modèle de « on a vu tel élégant portant tel vêtement »), autre choix discursif que l’on trouve dans la première partie des revues et qui accorde une place à la singularité et au contexte, s’efface ainsi au profit de l’expression brutale d’une norme22.
13Au cours du xixe siècle, l’idée d’un masculin aligné sur la seule perfection anatomique est confortée par la généralisation de l’exercice physique. Évoquée dans nos revues à partir des années 1860, la pratique sportive conforme – au sens propre – le corps : elle le modèle, le moule, le façonne tout en le rendant correct, c’est-à-dire apte aux relations sociales23. La norme sportive prend le relais du modèle plastique auquel les revues des premières décennies du siècle référaient. Un article commente ainsi l’importance du sport :
Nous nous en réjouissons franchement au point de vue de notre art [l’art de la coupe], car rien ne développe le physique de l’homme comme l’exercice, et nous espérons bien que d’ici à quelques années, ce nouveau genre de vie nous débarrassera d’une foule de tailles déviées et de natures rachitiques qui nous donnent tant de mal, et dont souvent même avec les ressources de la science, nous ne parvenons qu’avec peine à masquer les difformités24.
14L’affirmation d’un standard anatomique possède incontestablement une valeur politique. Pour la théoricienne du genre Eve Kosofsky Sedgwick, le mépris dont la doxa fait preuve envers l’homme efféminé (mais on peut élargir son propos à tout homme « non conforme » – le lien n’est pas seulement lexical, dans le passage que nous venons de citer, entre « tailles déviées » et « déviances ») remplit une visée de contrôle politique. Stigmatiser systématiquement une minorité permettrait de souder la communauté et de rendre les hommes (c’est-à-dire, au xixe siècle, les citoyens) plus dociles, parce que groupés autour d’un modèle unique25.
15La conception du masculin à partir du seul critère anatomique est manifeste dans les articles et les planches consacrés aux vêtements d’adolescents. Les critères de définition du masculin, d’ordinaire si difficiles à cerner, y apparaissent en pleine lumière, parce qu’il y est question d’adolescents, chez lesquels le masculin est précisément en construction. Dans une livraison de La Fashion de 1841, une gravure représentant plusieurs garçonnets et, parmi eux, un adolescent, est ainsi décrite :
L’aîné de nos petits personnages est revêtu d’une veste longue à point devant et derrière, d’un pantalon droit à sous-pieds. Cette toilette est bien simple, comme on voit ; mais c’est que notre jeune homme est arrivé à un âge bien embarrassant. Ce n’est point un costume d’homme qui lui convient, et les charmants colifichets que l’on fait pour les premiers âges, le rendraient, lui, passablement ridicule. Laissons-le donc faire l’homme en jouant avec sa canne, nous aviserons à changer son costume quand le duvet de son menton aura disparu26.
16Alors que la gravure suggère, au vu de son costume, que l’adolescent est un homme, donc que le masculin tient au vêtement, à l’usage, au fait culturel, le commentaire met en doute cette masculinité (il « fai[t] l’homme ») en montrant qu’il ne suffit pas d’une pratique sociale (le vêtement, l’accessoire, la pose) pour que le genre advienne, mais que ce dernier ne saurait s’incarner autrement que par le corps – et le corps pubère (« quand le duvet de son menton aura disparu »). On retrouve dans cet extrait la vision d’un masculin associé au seul critère anatomique27.
17Un ultime phénomène, plus lié à l’évolution historique du vêtement mais dont nos revues se font largement l’écho, confirme le fait que le critère anatomique définit de manière quasi exclusive le masculin. On sait qu’à partir des années 1850 – c’est là le seul changement significatif dans l’histoire de la mode masculine au xixe siècle – l’habit masculin évolue d’une coupe cintrée (en 1839, les habits sont « ajustés » afin de « réprimer le ventre28 ») à une coupe plus large, plus flottante (voir ill. 1 et 2) : « Maintenant, constate-t-on en 1852, on demande plus de confortable29 » et l’on précise, en 1859, que « [les pardessus] sont emples [sic], car les vêtements étriqués ont perdu tout le prestige qu’ils ont eu, il y a quelques années30 ». Cette évolution s’explique par la nécessité pour les hommes, qui apparaît au cours du siècle, de travailler. La coupe étranglée des élégants de 1830 (dont certains allaient jusqu’à porter le corset) n’aurait guère été pratique trente ans plus tard, les hommes de la grande bourgeoisie exerçant pour la plupart une activité professionnelle. Désormais, le vêtement ne doit plus gêner le mouvement, comme le souligne un article qui, après avoir donné une leçon de coupe pour un pantalon, conclut que « de cette façon, le pantalon gêne moins l’articulation du genou31 ». Et l’on souligne ailleurs que les pantalons larges visent dorénavant « la facilité de se baisser et de s’asseoir32 ». Néanmoins, loin de faire disparaître le critère du corps dans le processus de constitution du masculin, la coupe large le confirme. Alors que, chez les femmes, le corps se trouve « empêché » (les corsets et les crinolines entravent le mouvement et interdisent la participation de celles qui les portent aux activités économiques33), chez les hommes, le corps est libéré du vêtement pour remplir son rôle d’outil socioéconomique. Une telle vision est fort coercitive car elle proclame l’inégalité sociale des sexes en s’évertuant à maintenir une filiation entre corps et genre, contribuant ainsi à fonder en nature le modèle dualiste. L’effacement relatif du corps masculin sous le vêtement large ne signe donc en rien une disparition du paramètre « corps » dans la construction du masculin, puisque c’est bien la relation au corps, l’usage du corps, qui continue de distinguer les hommes des femmes.
Le masculin vécu : l’expérience de la pluralité
18Dans ce bel édifice, où le corps demeure l’unique critère du genre, où, en d’autres termes, le masculin ne peut se concevoir autrement qu’en se superposant au sexe, des phénomènes surgissent, qui viennent perturber, voire remettre en cause, le rôle du corps dans l’élaboration du genre. Pour Judith Butler, on l’a dit, l’identité de genre ne va pas de pair avec la sexuation : même dans le cas où sexe et genre correspondent, ce dernier reste à construire, à (ré)inventer. Cette rupture de l’axe corps-genre ou sexe-genre n’est évidemment pas théorisée comme telle dans nos revues, mais on en trouve deux marques intéressantes.
19La première est la façon dont le discours sur le vêtement contribue à une atténuation de la sexuation, comme en témoigne la présence de caractéristiques communes aux hommes et aux femmes, qu’il s’agisse de matériaux (la crinoline, une étoffe dont on « fait des redingotes, des habits ou vestes de chasse, des pantalons », mais qu’on « emploie aussi pour différents articles de femmes34 »), d’une coupe (un pardessus est coupé « ainsi qu’on le fait assez souvent aux robes et vêtements de dames35 »), d’une pratique (les « robes de chambre » – le substantif robe jouant ici de son ambiguïté – qui sont « souvent à grandes rayures, car les hommes, ainsi que les dames, ont remarqué que les rayures amincissaient la taille36 »), d’une méthode (un nouveau mode de prise des mensurations « a le double avantage de pouvoir s’appliquer aux corsages de dames37 ») ou d’une terminologie (le « corsage » pour désigner le haut de la veste masculine, la « jupe » pour signifier les basques de la veste).
20Cette prise en compte indifférenciée des usages, sans qu’elle prenne pour autant l’allure d’une transgression de la différence des sexes, peut aussi s’étendre à la perception générale de la mode. Dans les revues étudiées, il arrive en effet souvent que le propos sur la mode ne soit pas genré. On y parle alors indifféremment des femmes et des hommes, rassemblés sous la bannière unique du « monde élégant ». C’est le cas, par exemple, dans cet article de Fashion-théorie de 1847, qui présente sous forme de chronique mondaine la mode des gens du monde. De manière attendue, le propos commence par affirmer une partition selon les sexes :
Une grande fête a eu lieu au milieu du bois de Vincennes. [...] Que pouvait-on y recueillir pour les modes, si ce n’est pour les dames, dont les costumes étaient aussi éblouissants que leurs attraits ; mais les détails de ces brillantes toilettes rentrent dans le domaine des journaux de modes de dames, qui sont bien plus favorisés que nous, car la coquetterie féminine pour parer ses attraits a tout le temps d’inventer ces mille petits riens dont la source est inépuisable et prête aux écrivains des sujets pour remplir leurs colonnes.
Le luxe est à son comble chez les femmes : nous les en félicitons et le commerce leur en sait gré. Il serait à désirer, pour notre profession, qu’il en fût de même pour les hommes, mais les hommes sont plus graves ; la femme est ambitieuse de tout ce qui peut l’embellir, l’homme est ambitieux de tout ce qui peut l’enrichir.
21Les usages masculin et féminin du vêtement sont ici distingués l’un de l’autre. Mais le texte s’engage ensuite dans une dénonciation du « goût du commerce et de la spéculation », ennemi du style et de l’élégance. Or la cible de cette diatribe est le bourgeois, quel que soit son sexe. Le propos n’oppose alors plus les hommes aux femmes, mais les bourgeois aux aristocrates, seuls détenteurs du goût. L’article se clôt ainsi :
Pendant que nos financiers spéculent et que nos amateurs de chasse se disposent à parcourir les champs, Paris conserve toujours un assez grand nombre d’élégants et d’élégantes qui ne désertent jamais la bannière du bon goût et de la mode38.
22Alors que, lorsque s’ouvre l’article, hommes et femmes paraissent antinomiques, ils se trouvent à présent mêlés par l’appartenance à un même milieu social et par la possession du monopole du goût. Nul doute que se trouve ici l’expression d’un discours idéologique, fondé sur un prestige aristocratique encore vivace : la sexuation s’estompe au profit d’un critère de classe, voire d’une conscience de classe, un déterminisme chassant l’autre. Une autre explication tient au fait que le magazine de mode masculin, encore de nos jours mais dans une moindre mesure, ne possède pas la même légitimité ni la même autonomie que son pendant féminin. S’il y a un propos sur la mode masculine, il n’est vécu que comme « satellite » du discours sur la mode féminine. Autrement dit, tout se passe comme si, l’univers de la mode étant « saturé » de féminin, parler de mode masculine revenait à parler encore du monde féminin. Mais le fait que surgisse un discours sur le vêtement commun aux hommes et aux femmes du monde implique aussi que la différence des genres ne tient plus – ou seulement en partie – au sexe. Parler de la même manière des hommes et des femmes suppose que la différence, sans la nier pour autant, ne se loge plus seulement dans le critère tangible qu’est l’anatomie, mais dans quelque chose de plus diffus : une pratique, une façon d’être au monde.
23Un autre phénomène, plus « moderne », va dans le même sens : la prise en compte des multiples déclinaisons du masculin. Nos revues, en effet, mettent régulièrement les tailleurs en garde contre l’erreur qui consiste à ne considérer le corps masculin que de manière théorique, c’est-à-dire selon un modèle unique. Un article de L’Élégant souligne l’importance du patron, avant de préciser :
Il est superflu d’ajouter que ce dessin doit avant tout s’appliquer aux proportions régulières du genre humain ; aucun vêtement ne peut être convenablement taillé sans cette étude préalable ; mais nous voudrions qu’après s’être bien pénétrés des proportions radicales, prises sur la plus belle nature, sur l’Apollon par exemple, ou sur l’Antinoüs, nos jeunes élèves étudiassent la nature accidentée, les courbures, l’obésité, le rachitisme, etc. Ainsi nous trouverions très bien qu’après avoir reconnu les lignes des modèles que nous venons de citer, ils se consacrassent quelques heures à étudier l’Hercule Farnèse, aux larges épaules, aux cuisses colossales, le Sylène au dos voûté, à l’abdomen proéminent, le Vulcain aux bras arqués, le joueur de flûte au corps fluet, à la démarche adolescente, etc. De la sorte, ils sauraient modifier tous les patrons, et les adapter à toutes les conformations, tout en dissimulant par le double prestige de la coupe et de la confection tout ce qu’une nature capricieuse aura pu créer d’incomplet ou d’irrégulier39.
24De même, dans un numéro de L’Écho des tailleurs, on lit que le tailleur doit connaître
non pas précisément les coupes géométriques, mais la géométrie vraie, la géométrie raisonnée, celle qui fait comprendre que, pour habiller un corps, il faut une certaine mesure, et que pour telle autre conformation il faut telle autre mesure, car un corps difforme exige naturellement d’autres mesures que celles qui ont servi pour l’homme régulièrement constitué, appelé par la plupart des méthodistes l’homme bien fait, ce qui est très rare40.
25De manière similaire, dans plusieurs numéros successifs de 1870 du Journal des modes d’hommes, la partie technique, intitulée « Leçon de coupe », est consacrée, dans chaque numéro, à un type de conformation différent, bien loin de l’harmonie du modèle antique. Jugeons-en par les titres : « Ceinture forte », « Trapu », « Élancé », « Voûté », « Renversé », etc.41. À chaque fois, des conseils sont donnés pour la coupe de vêtements correspondant au type physique étudié. D’unique, le modèle devient pluriel. Dans Le Coupeur, en 1880, la multiplicité des types physiques masculins est même théorisée par le recours à des termes techniques : le tailleur doit désormais prendre en compte la largeur (mince ou grosse) et la taille (« élancé », « régulier » ou « trapu »), d’où la présence de « six combinaisons, donnant plus ou moins de montant, plus ou moins de ceinture42 ».
26Le propos est capital, car la prise en compte de la diversité des morphologies bouleverse le masculin, non plus désormais perçu à travers un paradigme unique, mais vécu comme une réalité plurielle. En d’autres termes, puisque le masculin se fonde sur le corps, mais que ce corps se révèle multiple et diffracté, c’est le masculin lui-même qui se dissémine, se diversifie. Si le corps, dorénavant, s’ouvre aux possibles du réel, il signe par la même occasion une perception du masculin plus mobile et plus pragmatique. Certes, le critère qui fonde le masculin demeure anatomique, mais il se retrouve pour ainsi dire « écorné » par l’acceptation de la pluralité physique. Désormais, chaque corps, avec ses imperfections, s’instaure comme une déclinaison légitime du masculin. Mise à l’épreuve du réel, la norme anatomique se dilue.
27Nous faisions plus haut le constat que les revues pour les clients du grand monde paraissaient plus « modernes » que celles destinées aux tailleurs, parce qu’elles étaient moins sexuées. En réalité, il s’avère que ce sont davantage ces dernières qui modernisent la conception du genre, non plus par la sublimation de la sexuation dans une conception élitiste de l’élégance, mais par la prise en compte d’une pluralité qui redéfinit le rapport entre le corps et le genre. Cette vision plus réaliste, plus relative aussi, du corps masculin – conséquence directe de l’observation des hommes par les tailleurs – permet une élaboration du genre moins autoritaire, moins contraignante, plus ouverte au défectueux, au singulier, à l’altérité – bref, plus abordable. Organisé autour de plusieurs modèles, le genre devient dès lors plus aisé à élaborer, à « fabriquer ». Notons, au passage, que ce sont précisément ceux qui fabriquent le vêtement – les tailleurs – qui défendent l’idée d’une pluralité du corps masculin, comme si, désormais, le vêtement faisait l’homme.
28Ce passage du corps rêvé au corps vécu, du « corps-formule » au « corps-usage », transforme le rôle du corps dans la construction du masculin. Le corps étant moins un modèle auquel le genre se conforme qu’une pratique, moins une norme qu’une réalité, le genre ne peut plus se contenter de s’aligner docilement sur un canon physique aussi diffracté. La nouveauté est que le genre ne se conjugue plus sur ce paradigme qu’est le corps, mais résulte d’une expérience concrète du corps, ce qui constitue une différence sensible. Être un homme, ce n’est donc plus se conformer à un modèle corporel, mais vivre une pratique du corps, quel que soit ce corps. On pressent ici à quel point ce changement est porteur de modifications importantes quant aux rapports entre les sexes : si le corps n’est plus modèle mais usage, cela suggère qu’il peut accueillir en son sein toutes sortes de corps, beaux et laids, mais aussi, de manière plus radicale, cette forme particulière de « corps autre » qu’est le corps féminin. Nos revues n’affirment en aucun cas la possibilité du masculin de dépasser la sexuation, mais la reconnaissance d’une pluralité physique tempère indéniablement l’importance du critère anatomique dans la définition du masculin.
29Cependant, cette pluralité physique peut aussi être interprétée dans le sens opposé à celui que nous venons de dégager. Dans un article éclairant portant en partie sur les mêmes objets (les patrons figurant dans les revues pour tailleurs), Manuel Charpy montre que, au cours du xixe siècle, l’apparition, par opposition au sur-mesure, des coupes standards et des tailles fixes réparties en cinq catégories signe l’avènement de nouvelles normes. Ainsi, et c’est nous, cette fois, qui l’affirmons, loin d’assouplir la norme qui avait prévalu jusque-là, elle la conforte. L’étude de Manuel Charpy analyse en effet avec précision comment le développement de la statistique et de l’anthropométrie ainsi que l’essor de l’orthopédie ont fait émerger un « nouveau corps-type qui veut condenser ce qu’est l’homme contemporain moyen43 ». Cette quête d’un corps homogène et standardisé ne ferait donc que reprendre, certes dans une version plus rationnelle et systématisée, la norme anatomique et plastique qui avait prévalu tout au long du premier demi-siècle. En passant de la statuaire à la science, la norme change et se vulgarise, mais, en tant que norme, elle demeure tout aussi contraignante. Ainsi, la primauté du critère anatomique dans la constitution du masculin ne s’effacerait pas autant que nous l’affirmions. En vérité, il semble difficile d’opter pour une interprétation ou une autre (assouplissement ou confirmation de la norme anatomique) et l’on reconnaîtra prudemment avec Manuel Charpy que « la tension entre les singularités des corps et la quête d’une standardisation industrielle traverse tout le siècle44 ».
30Quoi qu’il en soit, et bien que la norme anatomique ne disparaisse pas des paramètres qui fondent le masculin, le rôle qu’elle joue semble devenir moins important au fur et à mesure du siècle. Nous en voulons pour preuve cette réflexion dans un article de Fashion-théorie de 1847 :
Nous rencontrons souvent de ces tenues renversées, aux épaules hautes, particulièrement chez les tailleurs, les écrivains, et d’autres professions encore qui obligent à être constamment dans une attitude courbée, et qui, hors de leurs travaux, se tiennent renversés et cambrés45.
31Quelques mois plus tard, dans la même revue, on évoque « telle ou telle conformation qui ne sont pas régulières [...], qui ont dévié, soit par l’âge, soit par l’embonpoint ou par une profession quelconque46 ». Dans ces deux exemples, la diversité anatomique est perçue comme une conséquence de la profession exercée par l’individu : tailleur ou écrivain. Le propos est aisément transposable à la grande bourgeoisie : parce qu’il travaille, le bourgeois de la seconde moitié du siècle ne peut plus s’abriter derrière une norme physique immuable. Soumis aux aléas de la vie de bureau, de la surveillance des chantiers, de l’agitation des affaires, le corps masculin bourgeois se transforme, fait désormais montre d’une durée (puisqu’il se déforme) – bref, il cesse de ressembler à un modèle pour s’affirmer dans sa singularité (dont l’inscription dans une temporalité est l’une des manifestations). Tout se passe comme si les déformations physiques résultant de l’exercice d’une profession excusaient les hommes de ne plus correspondre au canon physique et plastique séculaire fondé sur une anatomie fantasmée et contraignante. La pluralité des canons, plus en accord avec les réalités morphologiques, témoigne donc d’une prise en compte d’un masculin non plus rêvé mais vécu. Plus accessibles, moins intimidantes pour les hommes du fait de leur pluralité, les nouvelles normes anatomiques déplacent ainsi le critère du masculin d’un type anatomique à des pratiques, qu’elles soient corporelles (voix, gestes) ou sociales (discours, actions). En s’interposant entre l’idéal anatomique et les hommes, des mécanismes sociaux (en l’occurrence, le métier exercé) contribuent à assouplir cet idéal, à en minorer la portée. Ainsi, le genre n’est plus indexé exclusivement sur le corps, mais peut être déterminé par des pratiques sociales47.
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32Nous terminerons par un bilan et deux pistes en guise de conclusion de cette brève exploration. Nous espérons avoir montré comment, dans la presse de mode masculine du xixe siècle, le corps joue un rôle essentiel dans la constitution du masculin, mais que cette prééminence se trouve remise en cause par la prise en compte de la diversité physique (et aussi parce qu’elle résulte de pratiques sociales) qui pose – timidement – les prémices d’une constitution du masculin sur des critères culturels.
33Une fois de plus, on constate que les revues de mode (masculine ou féminine) sont plus loquaces qu’on ne le croit. Elles nous apprennent beaucoup, divulguent un savoir sur le corps, façonnent des modes de construction du genre. Mais il faudrait, pour donner plus d’ampleur à cette étude, étendre la réflexion aux revues sportives, médicales et d’hygiène, dans lesquelles le corps est tout aussi présent. On y verrait notamment que l’idéal sanitaire contribue lui aussi à estomper la sexuation : le critère médical dépasse le dimorphisme sexuel, hommes et femmes étant égaux devant la santé et la maladie.
34Il reste enfin à interroger, dans nos revues de mode, la « mise en genre » elle-même. Une fois atténué le lien entre le corps et le genre, comment le genre masculin se construit-il ? Ce qui apparaîtrait sans doute est que cette mise en genre est inséparable d’une mise en scène, que nous n’avons guère abordée ici. Songeons aux gravures que nous avons évoquées, où les hommes posent comme sur une scène de théâtre – scène qui serait le cadre de la gravure elle-même, lieu clos d’une exacerbation du masculin. Sur l’une d’elles (voir ill. 3), six modèles masculins, en costume de ville, prennent la pose dans un musée, contemplant paresseusement les tableaux exposés en présence de quelques visiteurs, essentiellement des femmes, qui évoluent en arrière-plan. Ce bel exemple, jusqu’à la caricature, d’une « performance » du masculin, d’une dramatisation du genre, même si celles-ci demeurent limitées au cadre prescriptif du discours sur la mode, suggère qu’à côté du musée véritable, où l’on admire surtout des nus féminins, il y a ce musée secret du masculin, dans lequel les hommes peuvent se dire, se montrer, se découvrir, bref réinventer les mille et une manières d’être un homme.
Notes de bas de page
1 Le Capricieux, 25 janvier 1838.
2 On entendra ici par genre la construction sociale, anthropologique et culturelle du sexe.
3 Cette définition floue est volontaire au seuil de cette étude. Elle permet de conserver à la notion de genre tous ses possibles.
4 Judith Butler, Trouble dans le genre : pour un féminisme de la subversion [1990], Cynthia Kraus (trad.), Paris, La Découverte, 2005.
5 Ibid., p. 96.
6 Signalons d’emblée une limite à notre travail : le « masculin » dont il est question ici est restreint au cadre du « monde élégant », c’est-à-dire de l’élite sociale, économique, parfois artistique du temps. Si, après les revues du premier tiers du siècle, clairement destinées à l’aristocratie et au grand monde, on assiste à une sensible démocratisation des publications, nul doute ne subsiste sur les origines (ou les prétentions) sociales de ce lectorat.
7 Cette opposition est bien visible dans l’iconographie. Les revues pour les clients ne contiennent que la gravure, qui procure un plaisir visuel immédiat, propre à les séduire, tandis que, dans les revues professionnelles, la gravure coexiste avec le patron, qui a une utilité évidente pour les tailleurs qui les lisent.
8 Ainsi, La Haute Fashion, dans son premier numéro de janvier 1894, prévient qu’elle est une revue « utile aux tailleurs », tout en affirmant plus loin qu’« elle ne [...] soumettra pas [à ses lecteurs] des plans de coupe dont ils n’ont que faire, mais des données précises sur les modes parisiennes » et qu’elle s’offre à lire « sous une forme littéraire et artistique à la fois ».
9 Nous indiquons après chaque titre ses dates de création et de disparition, qui ne sont pas exemptes d’éventuelles erreurs, la fusion des revues rendant la datation malaisée. Par ailleurs, précisons que notre consultation est loin d’être exhaustive.
10 Dans les revues de mode féminine, la coupe et donc le corps sont peu décrits, cédant la place au matériau et aux accessoires. Dans cette description d’une toilette féminine, le corps disparaît sous la profusion ornementale : « Robe de taffetas lilas glacé, à corsage à taille ronde et ceinture à boucle, ouvert sur la poitrine, froncé du haut et plissé du bas de chaque côté ; doubles jupes très amples, festonnées à grandes côtes mates ; manches demi-justes, ornées de jockeys festonnés comme la jupe ; chapeau de pou de soie blanc, orné d’une branche de lilas ; chemisette et fichu de dentelle à rubans verts ; bottines de satin français ; gants tapir. » Le Petit Messager des modes, 1er avril 1846. Même absence notable des mots du corps dans la description d’une robe dans le numéro de mai 1861 de L’Écho du moniteur de la mode, où toute l’attention se porte sur le matériau (« popeline », « soie », « taffetas », « mousseline », « barège »), l’ornement (« broderies », « soutache », « pattes », « dessins contrariés », « bouquets de violettes », « berthe de guipure », « volant », « passementerie », « glands », « rubans ») et la couleur (« vert », « lilas », « havane », « marguerite », « mauve », « noir », « blanc », « or »).
11 Journal des tailleurs, 16 mai 1830.
12 Ibid., nous soulignons.
13 Ibid., nous soulignons.
14 Journal des modes d’hommes, septembre 1865, nous soulignons.
15 Journal des modes d’hommes, mars 1865, nous soulignons. Pour l’historien du corps et du vêtement Philippe Perrot, le bourgeois du xixe siècle cache son corps sous l’habit noir : voir Philippe Perrot, Le Travail des apparences : le corps féminin, xviiie-xixe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1984, p. 159. Il n’y a qu’à observer les gravures de nos revues pour être convaincu du contraire : on y voit des coupes qui mettent en valeur les formes (torse, taille, jambes).
16 Ce vestige, à l’âge bourgeois, d’une « virilité héroïque » est véhiculé par l’art néoclassique, peinture et – surtout – sculpture confondues.
17 La Fashion, 20 mars 1840.
18 L’Écho des tailleurs, juillet 1859.
19 Le Coupeur, 15 mars 1842.
20 Le Lion, 1er mars 1855.
21 Il en est de même du recours systématique au pronom personnel indéfini on, qui dénote une forte charge prescriptive : « on porte aussi des vestes sacs boutonnées... », « on aime assez le piqué et la toile anglaise... », L’Écho des tailleurs, juin 1859, nous soulignons.
22 Le paramètre anatomique est si déterminant dans la définition du masculin qu’il efface parfois le critère social. Dans l’un de nos journaux, un article porte sur les différents types de pantalons : pantalon à plis, pantalon du matin, culotte longue, culotte courte, culotte de livrée. Par son costume, mais aussi par son corps d’homme, le laquais se retrouve placé dans la même catégorie que ses maîtres : dans cette même page, on parle, dans un discours égalisé par le critère anatomique, de la « cheville » de l’homme du monde et du « genou » du domestique (Journal des modes d’hommes, février 1866).
23 Voir Georges Vigarello, Le Corps redressé : histoire d’un pouvoir pédagogique [1978], Paris, Armand Colin, 2002 ; Georges Vigarello & Richard Holt, « Le corps travaillé : gymnastes et sportifs au xixe siècle », dans Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine & Georges Vigarello (dir.), Histoire du corps, 2. De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Éditions du Seuil, 2005, p. 313-377.
24 L’Écho des tailleurs, septembre 1859.
25 « Nous voyons dans l’homophobie un mécanisme pour réguler le comportement de la majorité par l’oppression spécifique d’une minorité. » Eve Kosofsky Sedgwick, Between Men. English Literature and Male Homosocial Desire, New York, Columbia University Press, 1985, p. 88, nous traduisons.
26 La Fashion, 20 février 1841.
27 Même si l’expression « faire l’homme », pour condescendante qu’elle soit, prouve aussi malgré elle que le genre est une entité culturelle que l’on peut « faire », c’est-à-dire façonner, inventer.
28 La Fashion, 20 octobre 1839.
29 Le Coupeur, 15 août 1852.
30 L’Écho des tailleurs, juin 1859. Un passage rend bien compte – avec humour – de cette évolution de la mode : « Il est un fait acquis que les vêtements d’hommes aujourd’hui sont loin d’être aussi gracieux, aussi dégagés que dans un temps plus reculé ; mais aussi quelle aisance dans toutes les parties, ce confortable qui donne à l’homme le plus maigre l’aspect d’un homme passable ! Eh ! n’est-il pas possible de bien habiller sans nous mettre en prison dans un coupon de drap taillé en pièces ? Qui de nous ne se rappelle encore l’époque où le satin de laine était encore inconnu, seulement le casimir ; alors que l’on portait des pantalons collants à sous-pieds bien tendus ; des habits ne boutonnant pas, pourvus de manches tellement étroites que, pour passer le bras, on était obligé de pratiquer une fente dans le bas, que l’on fermait par trois, quatre, jusqu’à cinq boutons ; se moucher devenait presque impossible. » Le Coupeur, 15 septembre 1852.
31 Journal des modes d’hommes, 1er janvier 1866.
32 Fashion-théorie, 1er septembre 1849.
33 Philippe Perrot a cette belle formule paradoxale : le vêtement féminin au xixe siècle signe un « épanouissement [du corps] canalisé », Philippe Perrot, Le Travail des apparences, op. cit., p. 161. Impossible en effet pour les femmes du monde de travailler, ni même d’échapper au rituel de la parade auquel on les assigne.
34 Journal des tailleurs, 1er juin 1830.
35 Le Coupeur, janvier 1880.
36 Fashion-théorie, 6 août 1850.
37 L’Écho des tailleurs, 1er avril 1856.
38 Fashion-théorie, 1er août 1847, nous soulignons.
39 L’Élégant, 20 juillet 1839.
40 L’Écho des tailleurs, juillet 1859.
41 Journal des modes d’hommes, respectivement février-mars, avril, mai, juin et juillet 1870.
42 Le Coupeur, juin 1880.
43 Manuel Charpy, « Ajustements : corps, vêtements à tailles fixes et standards industriels au xixe siècle », Modes pratiques : revue d’histoire du vêtement et de la mode, nº 1, 2015, p. 112.
44 Ibid., p. 109.
45 Fashion-théorie, 1er décembre 1847.
46 Fashion-théorie, 1er février 1848.
47 D’aucuns diraient par des contraintes sociales, ce qui nous porte loin de l’idée de la construction du genre comme un choix.
Auteur
François Kerlouégan est maître de conférences en littérature française du xixe siècle à l’Université Lumière Lyon 2 et membre de l’Institut d’histoire des représentations et des idées dans les modernités (IHRIM, UMR 5317). Il travaille sur le roman du premier xixe siècle. Il a récemment publié, avec Olivier Bara, George Sand comique (Université Grenoble Alpes Éditions, 2020) et, avec Marion Mas, Le Code en toutes lettres : écriture et réécritures du Code civil au xixe siècle (Classiques Garnier, 2020).
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Féminin/Masculin dans la presse du XIXe siècle
Christine Planté, Marie-Ève Thérenty et Isabelle Matamoros (dir.)
2022