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    Plan détaillé Texte intégral Une réputation ancestraleUn savoir-faire de qualitéLa réglementation d’un produit d’exceptionCaractéristiques des VDNLes VDN languedociens et roussillonnais en état de défense Annexe Notes de bas de page Auteur

    Clio dans les vignes

    Ce livre est recensé par

    • Olivier Faure, Ruralia, mis en ligne le 7 décembre 2002. URL : https://journals.openedition.org/ruralia/284
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    Table des matières

    Les vins doux naturels en Languedoc-Roussillon : un savoir-faire ancestral de qualité

    Geneviève Gavignaud-Fontaine

    p. 217-229

    Note de l’auteur

    Note portant sur l’auteur1

    Texte intégral Une réputation ancestraleUn savoir-faire de qualitéLa réglementation d’un produit d’exceptionCaractéristiques des VDNLes VDN languedociens et roussillonnais en état de défense Annexe Annexes Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Des moûts provenant de cépages nobles – Muscat, Grenache, Malvoisie et Maccabeo – additionnés d’alcool et un produit in fine d’une richesse alcoolique totale d’au moins quatorze degrés constituent l’apanage des vins doux naturels, lesquels constituent une variante de qualité des mistelles2. Les vins doux naturels produits en Languedoc et en Roussillon sont les héritiers des vins naturellement édulcorés, fleuron de la civilisation gréco-latine qui a marqué de son sceau les rives du golfe du Lion, entre Rhône et Pyrénées3. Là, se sont perpétués, en raison de conditions naturelles favorables et d’un savoir-faire transmis de génération en génération, les cépages de grande qualité venus de Campanie, de Corinthe, ou de plus loin encore (Alexandrie) : le « muscat romain » constitue encore de nos jours le cépage producteur du muscat de Lunel, déjà réputé au temps des Pline ; le vignoble de Frontignan était planté en muscats comme en témoignent les documents de l’époque carolingienne.

    2Dans les vignes de muscat blanc, les sarments sont étalés, plutôt courts ; les feuilles moyennes à cinq lobes, à fortes dents aiguës et allongées, protègent des grappes moyennes, cylindriques, à grains petits, ronds, un peu aplatis, d’une couleur jaune ambré doré par le soleil ; la peau est ferme, sucrée, au goût nuisqué délicieux. Avec les sols, les produits varient de qualité, les meilleurs raisins étant récoltés sur des sols rocailletix, un peu forts et sains tels les grès où le raisin peut mûrir et se dessécher sans être atteint de pourriture. Le vin obtenu à partir de ces raisins est de qualité supérieure, son parfum ne se trouve dans aucun autre vin de liqueur.

    Une réputation ancestrale

    3Le Moyen Âge sut, en ce domaine comme en bien d’autres, faire fructifier et transmettre l’héritage antique généralement recueilli par les clercs. Les vins doux, réputés chauds et puissants, étaient alors considérés comme fort précieux : utilisés en petite quantité et surtout avec beaucoup de précaution, ces « vins à part », « pas comme les autres » en raison de leur goût sucré et de leur part d’alcool, étaient sollicités par les médecins contre les refroidissements et les mélancolies. Recommandé par temps froid et humide, un verre de grenache ou de malvoisie était déconseillé lors des journées estivales par crainte d’innombrables désordres, tant physiques que moraux. Ainsi témoigne Tommaso del Garbo, dans son Traité contre la peste, composé vers 1350. De Villeneuve, professeur à la Faculté de médecine de Montpellier et inventeur de l’alambic, assurait boire deux verres de Frontignan quotidiennement, sans nous préciser en quelle saison.

    4La libération des mœurs qui s’opère à la fin du Moyen Âge sert la consommation des vins fins. Lors des fêtes organisées par le roi de Navarre en l’honneur de son gendre, le comte de Foix, les vignerons de Rivesaltes envoient leurs meilleurs crus à la cour, geste qu’ils reproduisent longtemps d’années en années. Quelques décennies plus tard, Rabelais, montpelliérain pour raisons d’enseignement médical, introduisait le muscat de Frontignan dans ses œuvres et, par-delà, la littérature française. La liste des chantres de ces « élixirs de vie » que constituent ces vins nobles, issus de cépages jalousement protégés, aligne des noms prestigieux. Olivier de Serres, agronome réputé, Locke, célèbre penseur britannique, Jefferson, ambassadeur américain et futur président des Etats-Unis, chacun entretint à sa manière et en son temps la réputation du muscat de Frontignan : ainsi, après avoir visité ses caves et dégusté son vin, Jefferson resta le client assidu du propriétaire Lambert à qui il adressa régulièrement ses commandes tandis que Voltaire s’adressait à son fournisseur pour obtenir « un petit quart du meilleur vin de Frontignan » destiné à lui « conserver la vie ».

    5De telles remarques prouvent qu’il existait un commerce de vins fins, en partance de Frontignan et remontant aux temps les plus anciens. La tradition locale veut que du commerce effectué à destination de Venise, via Gênes et Livourne, soit venue la bouteille dite de Frontignan, inspirée des procédés de fabrication alors en vogue à Murano et reprise ultérieurement par les Bordelais.

    6Le muscat de Lunel connut, lui, son heure de gloire au XVIIIe siècle, sous la houlette de l’abbé Bouquet, propriétaire de la Côte du Mazet, commune de Lunel-Viel. Son prodigieux breuvage, découvert par Jean-Jacques Rousseau à l’auberge du Pont-de-Vidourle, ne manqua pas d’être perpétué par les héritiers pour faire les délices, un siècle plus tard, de Karl Marx en exil au château de la Tour de Fage. Les plantations de Maraussan, Cazouls, Maureilhan complétaient celles de Frontignan et Lunel, faisant de l’Est méridional du Languedoc la terre d’élection du cépage muscat.

    7Quant au Rivesaltes, toujours en vogue, il sut enchanter Arthur Young qui visitait la France en pleine tourmente révolutionnaire ; Julien, dans sa Topographie de tous les vignobles connus, lui donna la médaille du meilleur vin de France, ouvrant la voie à la très britannique Gazette des vins et des alcools qui, à Londres, n’eut de cesse de vanter les mérites des vins du Roussillon dits alors « Porto français ». Les négociants de Port-Vendres redoublèrent d’efforts pour propager et affermir, tout au long du XIXe siècle, la réputation des vins de Banyuls.

    8Tant de publicité et de réussite affichée ne manquèrent pas de nourrir les envies ni de provoquer la concurrence déloyale de breuvages grossièrement imités mais en mesure de trouver preneurs chez une clientèle au goût peu développé. Le temps était venu de définir, avec clarté et précision, la nature et les qualités de ces vins dits doux, fins ou nobles, et qui, de siècle en siècle, s’étaient imposés comme « vins des papes et des rois ». Pour cela, il fallait s’intéresser à leur origine et à leurs conditions d’élaboration.

    Un savoir-faire de qualité

    9Une lente et savante adaptation de cépages nobles aux conditions climatiques et pédologiques des rives occidentales de la Méditerranée, associée à de savantes techniques d’élaboration avaient présidé au succès pérenne de ces vins. Un fort ensoleillement, une exposition en gradins surplombant la mer, en coteaux protégés des intempéries ou en terrasses édifiées de main d’hommes, voilà le premier secret de la qualité garantie des vins doux.

    10De tels terroirs, composés généralement d’éboulis argilo-calcaires aux éléments plus ou moins épais et plus ou moins denses ne peuvent fournir qu’une production limitée : la rareté du produit est la caution de son authenticité. Les cépages les mieux adaptés aux sécheresses estivales sur sols pierreux sont les muscat, grenache, malvoisie, maccabeo qui se cultivent en cépage unique (le muscat) ou mixte. La coutume veut que le nom du cépage, s’il s’agit de muscat, suivi du nom de la ville sise sur le terroir de production désigne le breuvage qui en est issu. La législation reprendra ultérieurement cette pratique.

    11Les raisins arrivés à maturation possèdent naturellement un degré alcoolique élevé qui leur donne une couleur miel et une saveur fruitée. Pinçage des grappes et passerillage des récoltes utilisés ailleurs ne sont pas ici nécessaires. En revanche, l’addition d’alcool, utilisée d’abord pour garantir la tenue des vins destinés à l’exportation, s’est imposée également pour arrêter la fermentation et conserver au vin la saveur fruitée du raisin : elle s’est alors faite au moment du mutage, à l’aide de 3/6, sans goût, à la différence de l’eau-de-vie utilisée dans la fabrication du Porto ou du Pineau des Charentes. Le moût utilisé est un moût de raisins frais, ce qui différencie les vins doux des vins cuits préparés à partir d’un moût concentré à chaud. Le Roussillon a développé, au XIXe siècle, une production de tels vins d’apéritifs tels le Byrrh. Ils ne sauraient se confondre avec les vins doux naturels.

    12Production artisanale de qualité s’il en est, la spécialité languedocienne et roussillonnaise des muscats et autres vins doux contrastait fortement avec la production de masse et des grands marchés qui s’affirma dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Conscients de la spécificité de leurs terroirs, et donc de leurs conditions de travail particulièrement pénibles, de la richesse de leur savoir-faire ancestral et de la qualité exceptionnelle des produits qui en résultent, les producteurs méridionaux des muscats et autres vins doux réclamèrent leur part de protection législative afin de ne pas disparaître, corps et âme, dans un marché regorgeant de produits plus ou moins naturels et qu’il s’agissait de définir comme licites ou pas. Les députés roussillonnais Arago, Brousse et Pams redoublèrent d’efforts et de vigilance pour obtenir une réglementation précise et efficace dans le but de protéger les vins nobles de leurs concitoyens.

    La réglementation d’un produit d’exception

    13Avec la Troisième République, s’ouvre une intense phase de législation viticole dont les lois de 1889 et 1905 constituent les textes fondamentaux : la première, dite loi Griffe, oblige à mentionner sur l’étiquette la nature du produit livré à la consommation, la seconde organise la répression des fraudes dans la vente des marchandises, des denrées alimentaires, des produits agricoles. Cette armature d’ensemble destinée à barder la viticulture française afin de sauvegarder l’existence de la société vigneronne de l’époque est minutieusement et inlassablement peaufinée de textes multiples et non moins utiles dans le but recherché.

    14Alors qu’il paraîtrait fastidieux de procéder à l’énumération exhaustive des lois et décrets concernant la production et le commerce des vins, il convient ici de mentionner les textes relatifs aux vins doux naturels. Dans un premier temps, ces vins font l’objet de dérogations. Ainsi la loi du 2 août 1872 stipule-t-elle que ces vins échappent à celle du 1er septembre 1871 établissant que tous les vins de plus de 21 degrés seraient imposés en raison de leur volume en alcool pur et que tous ceux compris entre 15 et 21 degrés seraient imposés du double droit de consommation. En 1871, l’État avait besoin d’argent et savait où en trouver. Les producteurs de vins doux méridionaux n’entendaient pas se laisser tondre. Ils reviennent à la charge dans les années 1890, moment où la viticulture méridionale sombre dans l’abîme commercial et les vignerons dans le désarroi. La loi Pams institue en 1898 une deuxième exception en faveur des vins doux naturels titrant 14 degrés et maintenus sous le régime fiscal des vins ordinaires. Le rapporteur avait su plaider en faveur des vignerons d’un terroir particulièrement sec et accidenté, à la production parcimonieuse, d’après l’exemple de Banyuls qu’il connaissait bien. La loi du 30 janvier 1907 devait cependant soumettre l’alcool de mutage à la totalité des droits : la détaxe fiscale sur cette catégorie d’alcool ne sera acquise qu’ultérieurement.

    15Dans un premier temps, les producteurs méridionaux de vins doux avaient donc cherché à bénéficier d’un régime fiscal particulier destiné à ne pas entraver une production par ailleurs grevée de conditions naturelles astreignantes. Dans un deuxième temps, ils surent prendre en marche le train législatif viti-vinicole afin de protéger leur activité. C’est ainsi qu’ils entrent de plain pied dans le cadre de la loi du 1er août 1905 sur le respect de l’indication de provenance, et du décret du 24 août 1907 organisant le Service de la répression des fraudes dans le but d’exercer une action enfin efficace sur le terrain. Indication de la nature du produit livré à la consommation, mention de l’origine du dit produit : les fraudes n’en seront que plus faciles à déceler.

    16Les premières délimitations d’origine se produisent dès 1908, mais il faut attendre la loi du 6 mai 1919 pour obtenir un règlement des dénominations d’origine constituant les appellations d’origine simple. L’érection, l’année suivante d’un tribunal chargé de définir les conditions au droit à l’appellation d’origine sur requêtes des comités de défense des producteurs est censée garantir l’objectivité des décisions prises. L’utilisation ainsi permise d’un nom géographique dans la désignation d’un produit prend donc la forme de l’appellation d’origine. Elle remonte aux temps les plus anciens, mais la nouveauté, au XXe siècle, réside dans sa réglementation de plus en plus stricte. Désormais, non seulement les producteurs d’une région déterminée se voient conférer les caractères de qualité et d’originalité dus au milieu naturel et humain dans lequel ils sont élaborés, mais ils sont assurés d’être protégés contre toute fraude et utilisation abusive. L’appellation d’origine correspond à un droit d’usage collectif lié au terroir, inaliénable et imprescriptible. Il est légitime, en conséquence, que la protection de l’appellation d’origine implique la détermination exacte des conditions qui doivent être remplies par ceux qui en ont la charge, et leur respect par ceux qui s’en prévalent.

    17Les vins doux naturels bénéficient de définitions de plus en plus strictes et précises. Après que la loi Arago de 1872 se soit limitée à codifier les procédés traditionnels de vinification, que la loi du 15 juillet 1914 ait précisé les cépages exigés pour l’obtention des vins doux naturels4, le décret du 11 septembre 1920 vient limiter à 10 % du volume de vin à obtenir la quantité d’alcool à incorporer en cours de mutage. L’année suivante, ces vins sont affranchis du double droit de consommation pour une teneur en alcool acquis comprise entre 15 et 18 degrés, et soumis, en conséquence, au droit de circulation des vins ordinaires, au droit de consommation de l’alcool incorporé et, éventuellement, au double droit de consommation au dessus de 18 degrés (abrogé en 1921).

    18La seconde vague de crise vinicole des années 1930 accentue le raidissement de la législation relative à la définition et à la protection des produits mis en circulation. Le 30 juillet 1935, un Comité national des appellations d’origine contrôlée est institué, chargé de veiller avec la plus grande rigueur à la délimitation des aires d’origine. Il est chargé de définir, pour chacune d’entre elles, les règles viti-vinicoles correspondantes : limites géographiques, nature des terrains, caractères des cépages, rendements, pratiques de vinification...

    19Les vins doux naturels roussillonnais se plient à la discipline. Sensible aux attentes des zones économiquement en difficultés et susceptibles d’être aidées, le Comité national des appellations d’origine, en accord avec le ministère de l’Agriculture, leur consent l’appellation « Grand Roussillon » : elle regroupe les appellations Banyuls, Maury, Rivesaltes, Côtes-d’Agly, Côtes-du-Haut-Roussillon, soit quelque 70 000 hectares. Des syndicats de défense du cru se forment, visant à garantir l’appellation de toute tentative de pratiques frauduleuses ou de concurrence déloyale : l’application de sanctions fiscales ou pénales est automatiquement prévue en cas de contrevenants et de contrefaçons.

    20D’autres attributions d’appellations surviennent en 1936 dont le « Muscat de Frontignan ». La production s’élargit aux communes avoisinantes : Vie, Mireval et Balaruc tandis que Maraussan ou Cazouls-les-Béziers ne retrouvent pas leur réputation d’antan5. Dans l’ensemble du département de l’Hérault, la production de muscat varie entre 2 500 et 3 000 hectolitres. La coopérative des Producteurs de Muscat en centralise les deux tiers dans ses chais. Le procédé de fabrication de ces vins de liqueur reste simple, leurs hautes qualités étant obtenues par la conservation en fûts de bois, pendant deux ou trois ans : au cours de la première année, les fûts pleins sont exposés en plein soleil, dans la cour des chais, afin que s’évapore l’eau et l’alcool surabondants ; le liquide restant est emmagasiné dans des fûts de bois mis en cave, pendant plusieurs années soumis à des filtrations, et à des soutirages successifs, il n’est mis en bouteilles qu’au moment de la livraison6.

    21« Le Muscat de Lunel » obtient, lui, son décret, de délimitation en 1943, le « Muscat de Beaumes de Venise » en 1945, le « Muscat de Saint-Jean de Minervois » en 1949, le « Muscat de Rivesaltes » en 1956, le « Muscat de Mireval » en 1959, au terme d’enquêtes de terrain scrupuleuses. Quelque 30 000 hectares de vignes sont ainsi appelés à conserver des méthodes de production et de vinifications artisanales de qualité. Entre-temps, la législation avait encore encouragé les producteurs de vins doux naturels.

    22La loi du 21 mars 1936, dite loi Parayre, admet la vente dans les débits de boissons hygiéniques, dispensés de l’impôt de la licence, des VDN – vins doux naturels – jouissant d’une appellation et des VDN produits et élaborés depuis huit années consécutives sur le même territoire. L’article 9 du décret-loi du 31 mai 1938 fait bénéficier du régime des vins ordinaires les VDN provenant de vignes au rendement inférieur à 40 hectolitres à l’hectare et ayant reçu au moins 5 % d’alcool pur à 90 degrés. Revenant en arrière, la loi du 28 août 1942 stipule qu’il ne peut s’agir que des VDN bénéficiant d’une appellation d’origine (loi abrogée par celle du 13 août 1947 revenant à celle de 1938).

    23Par la loi du 23 août 1940, l’État Français restreint ou interdit la vente et la consommation dans les cafés de certains apéritifs ; il favorise, en conséquence, la consommation des VDN maintenus sous le régime ordinaire des vins (article 240 du Code des contributions directes). La mise en place, par la loi du 2 avril 1943, du Comité interprofessionnel des vins doux naturels et des vins de liqueur vise à mieux coordonner encore leur production et leur commercialisation. La conjoncture était favorable aux producteurs languedociens et roussillonnais détenteurs d’appellations, les plantations de vignes à cépages nobles allèrent bon train à Rivesaltes comme à Maury où la prospérité s’avérait contagieuse.

    24L’après-guerre ne désavoue pas les producteurs de VDN : la carte des appellations d’origine se complète tandis que les VDN sans appellation sont restaurés. Par le décret du 16 juillet 1947, le Comité national des appellations d’origine devient Institut ; par celui du 20 octobre 1956, le Comité interprofessionnel des vins doux naturels et des vins de liqueur est doté de moyens aptes à le rendre le plus efficace possible dans le rôle qui lui est assigné, le contrôle du marché. Celui-ci passe par le blocage de certains contingents (décrets du 13 avril 1951 et du 23 novembre 1953). Le calendrier est précisé dans le décret du 9 décembre 1965 qui stipule que pour chaque récolte, et après avis du Comité interprofessionnel, un arrêté, pris au plus tard le 1er janvier, fixe le volume des vins susceptibles d’être mis sur le marché au cours des douze mois suivant la date du déblocage de chaque appellation. Si la loi du 6 juillet 1966 inclut, rétroactivement la définition de l’AOC dans celle du 6 mai 1919, le décret du 19 mai 1972 redéfinit les aires des muscats et VDN roussillonnais et enrichit la gamme méridionale du « Rasteau rancio ». L’essentiel de la législation étant ainsi rappelé, le moment est venu de définir les VDN.

    Caractéristiques des VDN

    25Plusieurs textes définissent les VDN : le décret du 19 août 1921 revenant sur celui du 11 septembre 1920 et constituant la référence en la matière, l’article 9 du décret-loi du 30 juillet 1935, l’article 166 du décret du 1er décembre 1936, l’article 240 du Code des contributions indirectes, l’article 416 et 417 du Code des Impôts généraux.

    26Les vins doux naturels constituent une qualité strictement définie des vins de liqueur. Ils sont obtenus avec des moûts issus de vignes au rendement limité – celui-ci a varié avec une nette tendance à la baisse passant généralement de 40 hectolitres à l’hectare à moins de 30). Ainsi selon le décret du 5 mai 1972 définissant l’appellation contrôlée « Banyuls » (cf. annexe, article 5), celle-ci n’est applicable que dans la limite de 30 hectolitres de moût par hectare de vigne en production, limite modifiable chaque année en fonction de la qualité et de la quantité de la récolte par décision du comité directeur de l’INAO. Ces vignes doivent être complantées entièrement au tout au moins dans la proportion de 90 % du nombre total de pieds, en cépages spéciaux : muscat, grenache, maccabeo ou malvoisie. Les moûts doivent posséder naturellement une richesse alcoolique acquise ou en puissance d’au moins 14 degrés et recevoir chez le récoltant, en cours de fermentation et en présence du Service des contributions directes, une affusion d’alcool de vin à 90 degrés de 5 % au minimum et 10 % au maximum du volume des moûts mis en œuvre. Ce mutage doit se faire avant le 31 décembre de l’année de la récolte afin de limiter le recours à l’anhydride sulfureux sur certains VDN à appellation contrôlée. Un complément de mutage peut intervenir à toutes les époques sur les vins de la dernière et des précédentes récoltes. Un surmutage est encore possible pour l’amélioration du produit. Une telle addition n’est possible qu’avec des eaux-de-vie contrôlées ou réglementées et lorsque les affusions précédentes d’alcool pur à 90 degrés ont déjà porté les VDN à 21,5 degrés et ne dépassent pas 8,5 % du volume des moûts de base. L’alcool utilisé bénéficie d’une détaxe fiscale.

    27L’élaboration des VDN est uniquement réservée aux producteurs ou à leur cave coopérative et exclusivement avec leur propre vendange. Les régions d’élaboration sont donc exclusivement soit les régions productrices de VDN à appellation contrôlée, soit les régions productrices de VDN admis au régime fiscal des vins parce qu’elles produisaient ces boissons avant 1942.

    28Tout mutage doit être précédé d’une déclaration souscrite à la recette buraliste et énonçant le numéro du plan cadastral et la situation des parcelles ayant produit les raisins, le jour et l’heure du mutage, la quantité de moût à traiter, la quantité d’alcool à utiliser. Sont bloqués à la propriété jusqu’au 15 novembre de l’année de la récolte et aux fins de contrôle de la qualité : les VDN à appellation contrôlée obtenus exclusivement avec le cépage « muscat », et aux fins de vieillissement jusqu’au 1er mai de l’année suivant la récolte ; les VDN à appellation contrôlée ne provenant pas de cépages muscat (Banyuls, Rivesaltes, Rasteau...). A partir du 1er mai, le déblocage est ainsi échelonné : 30 % à cette date, 30 % au 1er septembre qui suit, 20 % au 1er janvier de la seconde année qui suit celle de la récolte et 20 % au 1er septembre de cette même année. Bloqués ou non, les VDN peuvent faire l’objet de transferts à destination de coopératives de vieillissement ou de chais de négociants.

    29La réglementation, fort pointilleuse et digne d’un pays de droit écrit hérité du droit romain, permet donc de distinguer très clairement parmi les VDN soumis au régime des vins les VDN à AOC des VDN visés par la loi de 1947. Parmi les premiers, s’individualisent les crus en raison du cépage producteurs (muscat ou mixte) et du degré alcoolique – 21 degrés acquis et en puissance dont 15 degrés au moins d’alcool acquis pour les Maury, Banyuls, Rivesaltes, Rasteau... et 15 degrés d’alcool acquis plus 125 grammes de sucre non transformé par litre pour les Muscats de Frontignan, Lunel, Beaumes de Venise, Saint-Jean-de-Minervois. Ils se distinguent des vins de liqueur restés soumis au régime général des alcools. La loi du 13 avril 1898 les a en effet exclus du régime privilégié des vins (article 21) et celle du 25 juin 1920 les a alignés sur celui des alcools. Cependant, un droit de consommation réduit de moitié par rapport à celui fixé pour les alcools est consenti aux vins de liqueur d’origine française assortis d’une appellation contrôlée. C’est le cas du Pineau des Charentes. L’exception est étendue par décision ministérielle du 5 août 1949 aux vins de Porto et de Madère.

    30Il ressort de la définition donnée en matière de douane par la loi du 2 mars 1928 et reprise par le décret du 31 janvier 1930 puis complétée par le décret-loi du 30 juillet 1935, que la production des vins de liqueur est bien moins strictement limitée que celle des VDN. Il s’agit de vins naturels obtenus avec des moûts de raisins frais, crus ou cuits, partiellement concentrés ou non, et additionnés soit avant, soit pendant, soit après leur fermentation, d’alcool titrant ou 86 ou 45 degrés suivant qu’il est rectifié ou non, en quantité telle que le vin fini titre au moins 15 degrés sans toutefois dépasser 23 degrés. L’adjonction d’alcool doit être au moins égal à 5 % du volume des moûts. Ces vins, dont la saveur peut aller du doux au sec, unissent à une richesse alcoolique élevée une proportion de sucre non transformé. Les traitements autorisés dans le but d’améliorer la qualité et la conservation sont énumérés par l’article 4 du décret du 30 juillet 1930. La réglementation du mutage, très stricte, vise à éviter les mouillages déguisés que pourrait produire toute dilution des alcools. L’addition d’alcool avant toute fermentation donne un produit appelé « mistelle » ou « muté » utilisé dans la préparation des apéritifs.

    Les VDN languedociens et roussillonnais en état de défense

    31L’accent mis sur la recherche de la qualité des vins dans le cadre viti-vinicole défini par la Communauté économique européenne a encouragé les vignerons installés sur des aires dotées d’appellations à utiliser la législation précédemment obtenue en faveur des VDN dans sa plus grande extension. L’unification des VDN roussillonnais sous l’étiquette « Rivesaltes », exceptés les « Banyuls » et les « Maury », a permis d’entreprendre une large campagne de publicité pour la conquête des marchés. Un véritable pari est tenté par ceux qui concrétisent ainsi leur volonté de survivre dans leur pays. Ils ont accepté les strictes définitions apportées à leurs produits, les limitations draconiennes faites à leurs rendements, persévéré dans leurs efforts de plantations nouvelles et d’amélioration des qualités.

    32Lorsqu’ils ont appris, en 1993, que les producteurs de vins de liqueur, dotés de plus larges libertés de rendement et de production, bataillaient pour obtenir leur alignement sur le régime fiscal des VDN, le ton est monté dans les réunions de professionnels : tous redoutent de voir la production de garrigues méditerranéennes submergée par celle des plaines océaniques. Des comités de défense s’organisent, s’expriment haut et fort dans la presse et les meetings tenus sous le patronage d’hommes politiques de tous bords, tant la défense des intérêts vitaux d’une population sait faire surgir l’union sacrée. Les plus optimistes affirment que seule la qualité paiera, mais les plus pessimistes répondent qu’il est difficile d’éduquer le goût dans un marché de masse. Ensemble, Languedociens et Roussillonnais se préparent à affronter une nouvelle phase de cette guerre du vin qui les mobilise depuis le siècle dernier.

    33Quelle qu’en soit l’issue, le savoir-faire, précoce et continu, des producteurs de vins doux naturels sur les terroirs de la Méditerranée septentrionale, a entretenu une culture viti-vinicole tissée de qualité et de plaisir, au service du bon goût et de la fête. Une telle culture, présente même lorsque le Languedoc-Roussillon bascula dans la production de quantité, ne peut que se renforcer alors que la région retrouve ses labels de qualité : désormais, les vins doux naturels s’inscrivent, à l’instar des autres AOC, dans une viti-viniculture ordonnée autour d’une exigeante sélection de produits et de production, en quête d’un label de prestige.

    Annexe

    Annexes

    Appellation

    date

    Frontignan

    21 mai 1936

    Muscat de Frontignan

    21 mai 1936

    Vin de Frontignan

    21 mai 1936

    Muscat de Lunel

    27 octobre 1943

    Muscat de Beaumes de Venise

    1er juin 1945

    Muscat de Saint-Jean de Minervois

    10 novembre 1949

    Muscat de Mireval

    28 décembre 1959

    Banyuls

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    Banyuls Rancio

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    Banyuls Grand Cru

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    Grand Roussillon

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    Grand Roussillon rancio

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    Maury

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    Maury rancio

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    Muscat de Rivesaltes

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    Rivesaltes

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    Rivesaltes rancio

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    Rasteau rancio

    19 mai 1972. Nouvelle délimitation

    VDN à AOC et décrets de délimitation

    crise

    1903-1907

    –

    reprise

    1908-1914

    2,2 %

    prospérité

    1915-1919

    2,9 %

    euphorie

    1920-1931

    18,2 %

    crise

    1931-1936

    24 %

    pénurie

    1940-1945

    47 %

    relance

    1946-1950

    18,6 %

    % des plantations en cépages nobles en Roussillon

    1925

    346 hl

    1927

    1 102 hl

    1934

    2 849 hl

    1938

    2 714 hl

    1939

    6 027 hl

    1940

    8 678 hl

    1945

    8 653 hl

    1952

    16 000 hl

    1955

    19 000 hl

    Production des VDN à Rivesaltes

    Image 10000000000002C8000002345CF1692991A00835.jpg

    Quantité de produits fabriqués Volume et quantités d’alcool (richesse naturelle + alcool de surforce)7

    Notes de bas de page

    1  Avec la participation de Jacques Fontaine, Université de Montpellier I, Institut d’histoire du Droit.

    2  Les mistelles sont des jus naturels, produits par des raisins frais dont la fermentation a été stoppée par l’addition d’anhydride sulfureux ou d’alcool. Le vin de liqueur est aussi une mistelle dont la fermentation a été arrêtée par de l’alcool. Sa richesse alcoolique, sucre et alcool, peut atteindre jusqu’à 23 degrés.

    3  Orientation bibliographique : Jean CLAVEL et R. BAILLAUD, Histoire et avenir des vins en Languedoc, Toulouse, Privat, 1975 ; Roger DION, Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe siècle, Paris, Flammarion, réédition 1977 ; Henri ENJALBERT, Histoire de la vigne et du vin, l’avènement de la qualité, Paris, Bordas, 1975 ; Jean-François GAUTIER, Le vin à travers les âges, de la mythologie à l’œnologie, Bordeaux, Éditions LCF, 1989 ; Geneviève GAVIGNAUD, Propriétaires-viticulteurs en Roussillon, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1983, 2 volumes ; Jules GUYOT, Etude des vignobles français, Paris, Imprimerie nationale, 1868, 3 volumes ; Marcel LACHIVER, Vins, vignes et vignerons, histoire du vignoble français, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1988 ; Gilbert CARRIER [dir.], Le vin des historiens. Actes du 1er symposium vin et histoire, 19-21 mai 1989, Suze-la-Rousse, Université du vin, 1990 ; Pierre VIDAL, Vignes en Roussillon, Perpignan, 1959 ; A. de VLETIAN, Appellations d’origine, indications de provenance, indications d’origines, J. Delmas et Cie, 1988.

    4  Aux vendanges des quatre cépages dit « nobles », Muscat, Grenache, Malvoisie et Maccabéo, peuvent être incorporés quelques raisins d’autres variétés, mais seulement dans une proportion ne dépassant pas 25 % du poids total ou du volume total.

    5  Statistique agricole de la France, annexe à l’enquête de 1929, Montpellier, Ministère de l’agriculture, 1937, p. 170.

    6  Ibidem.

    7  Monographie agricole de l’Hérault, ouv. cité, p. 172.

    Auteur

    • Geneviève Gavignaud-Fontaine

      Professeur d’histoire contemporaine Université Paul Valéry-Montpellier 3

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    Table des matières

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    1  Avec la participation de Jacques Fontaine, Université de Montpellier I, Institut d’histoire du Droit.

    2  Les mistelles sont des jus naturels, produits par des raisins frais dont la fermentation a été stoppée par l’addition d’anhydride sulfureux ou d’alcool. Le vin de liqueur est aussi une mistelle dont la fermentation a été arrêtée par de l’alcool. Sa richesse alcoolique, sucre et alcool, peut atteindre jusqu’à 23 degrés.

    3  Orientation bibliographique : Jean CLAVEL et R. BAILLAUD, Histoire et avenir des vins en Languedoc, Toulouse, Privat, 1975 ; Roger DION, Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe siècle, Paris, Flammarion, réédition 1977 ; Henri ENJALBERT, Histoire de la vigne et du vin, l’avènement de la qualité, Paris, Bordas, 1975 ; Jean-François GAUTIER, Le vin à travers les âges, de la mythologie à l’œnologie, Bordeaux, Éditions LCF, 1989 ; Geneviève GAVIGNAUD, Propriétaires-viticulteurs en Roussillon, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1983, 2 volumes ; Jules GUYOT, Etude des vignobles français, Paris, Imprimerie nationale, 1868, 3 volumes ; Marcel LACHIVER, Vins, vignes et vignerons, histoire du vignoble français, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1988 ; Gilbert CARRIER [dir.], Le vin des historiens. Actes du 1er symposium vin et histoire, 19-21 mai 1989, Suze-la-Rousse, Université du vin, 1990 ; Pierre VIDAL, Vignes en Roussillon, Perpignan, 1959 ; A. de VLETIAN, Appellations d’origine, indications de provenance, indications d’origines, J. Delmas et Cie, 1988.

    4  Aux vendanges des quatre cépages dit « nobles », Muscat, Grenache, Malvoisie et Maccabéo, peuvent être incorporés quelques raisins d’autres variétés, mais seulement dans une proportion ne dépassant pas 25 % du poids total ou du volume total.

    5  Statistique agricole de la France, annexe à l’enquête de 1929, Montpellier, Ministère de l’agriculture, 1937, p. 170.

    6  Ibidem.

    7  Monographie agricole de l’Hérault, ouv. cité, p. 172.

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    Gavignaud-Fontaine, G. (1998). Les vins doux naturels en Languedoc-Roussillon : un savoir-faire ancestral de qualité. In J.-L. Mayaud (éd.), Clio dans les vignes (1‑). Presses universitaires de Lyon. https://doi.org/10.4000/books.pul.40685
    Gavignaud-Fontaine, Geneviève. « Les vins doux naturels en Languedoc-Roussillon : un savoir-faire ancestral de qualité ». In Clio dans les vignes, édité par Jean-Luc Mayaud. Lyon: Presses universitaires de Lyon, 1998. https://doi.org/10.4000/books.pul.40685.
    Gavignaud-Fontaine, Geneviève. « Les vins doux naturels en Languedoc-Roussillon : un savoir-faire ancestral de qualité ». Clio dans les vignes, édité par Jean-Luc Mayaud, Presses universitaires de Lyon, 1998, https://doi.org/10.4000/books.pul.40685.

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    Mayaud, J.-L. (éd.). (1998). Clio dans les vignes (1‑). Presses universitaires de Lyon. https://doi.org/10.4000/books.pul.40530
    Mayaud, Jean-Luc, éd. Clio dans les vignes. Lyon: Presses universitaires de Lyon, 1998. https://doi.org/10.4000/books.pul.40530.
    Mayaud, Jean-Luc, éditeur. Clio dans les vignes. Presses universitaires de Lyon, 1998, https://doi.org/10.4000/books.pul.40530.
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