I – Introduction

1La vigilance est un concept théorique qui s’applique à un individu exécutant une tâche et explique les différences de performances. Il se définit par les caractéristiques de trois éléments : un individu, une tâche, un environnement. La vigilance ne constitue pas un état stable, et dans de nombreuses situations, sa dégradation pose des problèmes en terme d’attention soutenue et donc de performance ou de sécurité.

2Dans le cadre de la conduite automobile, l’objectif est de trouver un moyen de prévenir le conducteur de ses états d’hypovigilance (R.R. Mackie et C.D. Wylie, 1991). Mais avant d’envisager des systèmes d’alarme, il faut évaluer les dégradations de la vigilance et définir un niveau critique. Les travaux de recherche utilisent des paramètres différents en fonction du champ dans lequel ils s’effectuent, en règle générale soit physiologiques, soit de performance. A l’heure actuelle, l’évaluation des dégradations de la vigilance avec un paramètre unique n’a pas fourni de résultats probants. On tend donc vers une analyse simultanée de paramètres recouvrant les différents aspects de la vigilance.

3Une nouvelle voie apparaît avec l’étude du comportement gestuel (N. Devolve, 1987) du conducteur. Une de nos hypothèse de travail est la suivante : le comportement gestuel du conducteur peut être un indicateur à la fois du niveau d’éveil et de l’attention que les sujets portent à la tâche. De plus, nous étudierons les relations qui peuvent exister entre les paramètres physiologiques, de performance et le comportement gestuel des conducteurs automobiles.

4Nous nous proposons ensuite de vérifier la possibilité de maintenir ou de réactiver le niveau de vigilance des conducteurs automobiles, par un autre moyen que les systèmes technologiques d’alarme.

5Notre hypothèse principale est la suivante : l’activité cognitive de type « exercices mentaux » peut permettre aux conducteurs de maintenir leur niveau de vigilance.

6Pour vérifier ces hypothèses, nous réalisons actuellement une première série d’expérimentations en laboratoire, au cours desquelles les sujets effectuent une tâche de poursuite de trajectoire (tracking) dans une cabine de voiture spécialement équipée.

I – Outil expérimental

7Nous conduisons une première série d’expérimentations en laboratoire pour satisfaire plusieurs exigences :

• mettre au point un cadre expérimental qui soit strictement identique pour tous les sujets. Une expérimentation en conduite réelle ne permet pas le contrôle de variables indépendantes telles que l’environnement, le trafic, et chaque expérimentation devient donc unique ;
• proposer une tâche qui soit aussi monotone que possible afin d’accentuer les phénomènes d’hypovigilance pour bien en observer l’amplitude. En laboratoire, nous sommes affranchis des problèmes de sécurité qui peuvent exister en situation réelle de conduite. Nous pouvons donc atteindre des niveaux de vigilance très bas, proches de l’endormissement.

8Nous avons décidé de mettre au point notre propre outil expérimental. Il s’agit d’une cabine de voiture sur laquelle nous avons installé un ordinateur. Les déplacements du curseur sont commandés par le volant grâce à un montage de la souris au niveau de la colonne de direction. L’écran est posé sur le capot face au conducteur. Ni les pédales, ni le levier de vitesse ne sont utilisés dans ces expérimentations.

Schéma simplifié de notre outil expérimental

9Les sujets réalisent une tâche de poursuite de trajectoire (le logiciel nous a été fourni par Monsieur Bernard Thon du Centre de Recherche en Biologie du Comportement de l’Université Paul Sabatier de Toulouse) : une cible se déplace horizontalement sur l’écran et le sujet doit maintenir le pointeur face à son centre, en tournant le volant. La vitesse de la cible est variable, elle est définie dans le programme et n’est pas contrôlée par le sujet.

Graphisme du logiciel de tracking

10La performance est mesurée en terme de nombre d’erreurs. Une erreur est synonyme de franchissement de limites qui ne sont pas visibles à l’écran, mais qui correspondent à la taille de la cible. Nous observons également l’évolution de la précision du pointage.

11II – Protocole expérimental

12Nos expérimentations ont lieu sur 30 étudiants (15 hommes et 15 femmes) de l’Université Lumière-Lyon 2. Il nous semble intéressant de sélectionner un groupe particulier d’individus afin de limiter les variables indépendantes.

13La tâche est effectuée dans trois conditions différentes qui sont, chacune, exécutées pendant 30 minutes :

• n° 1 : Le sujet réalise la tâche sans information sur sa performance. Nous mesurons alors la dégradation de la vigilance, et ses manifestations physiologiques et comportementales. Il s’agit en quelque sorte d’une « condition contrôle ».
• n° 2 : Lorsque le sujet franchit les limites, une alarme retentit.
• n° 3 : Après le retentissement de l’alarme, le sujet met en œuvre une activité de type cognitive : le sujet récite à haute voix une table de multiplication. La valeur du multiplicateur est choisie de manière aléatoire entre 2 et 10 par le logiciel, et affichée à l’écran. Nous ne donnons pas de consignes quant à la durée de la récitation de la table de multiplication ; les sujets récitent la table de multiplication aussi longtemps qu’ils le souhaitent.

14En comparant les résultats aux conditions 2 et 3, nous pourrons évaluer l’efficacité de l’activité cognitive par rapport à une alarme seule.

15Notre plan expérimental comprend deux ordres :

16Les sujets exécutent soit l’ordre A soit l’ordre B sur deux demi-journées, pour éviter une expérimentation trop longue qui pourrait les saturer. Ils doivent choisir deux matinées ou deux après-midi séparés au moins par une journée, ceci afin de contrôler les différences intra-individuelles liées à la variable matinalité/vespéralité.

17Chaque séance se déroule donc comme suit :

III – Données recueillies

Nous recueillons différents paramètres :

1. Les paramètres physiologiques

18Nous enregistrons en continu tout au long des expérimentations F électroencéphalogramme et F électrocardiogramme des sujets. L’EEG est un paramètre cortical, et FECG un paramètre végétatif. Nous devons prévoir dans notre protocole 1 heure à 1 heure 30 pour la pose des électrodes. Ces électrodes ne causent aucun dommage aux sujets puisqu’il s’agit d’électrodes de surfaces non-invasives.

2. Les paramètres de performance

19Nous observons la dégradation de la performance à la tâche de poursuite de trajectoire. Les déplacements de la cible et du pointeur sont enregistrés par l’ordinateur sur lequel se déroule la tâche et directement accessibles ensuite dans un tableur.

20Pour contrôler l’exécution correcte de la tâche cognitive (condition expérimentale n° 3) nous enregistrons les réponses verbales des sujets grâce à un micro. Les erreurs ou omissions qui sont commises par les sujets ne sont pas approfondies ce qui nous importe est l’effet de la réalisation de la tâche sur le niveau de vigilance.

3. Les paramètres comportementaux

21Les sujets sont filmés tout au long des expérimentations. Deux caméras sont employées : la première filme le sujet de profil (des hanches jusqu’à la tête), la seconde filme la face. Sur le premier film nous observons l’évolution des mouvements des membres supérieurs, et sur le second les mimiques faciales et les mouvements des yeux.

22Un point très important pour le traitement de ces 3 paramètres en parallèle est la synchronisation de leur enregistrement. Le problème est résolu avec l’enregistrement du déroulement temporel de tous les paramètres. Un phénomène observé à un instant t sur l’un de ces trois paramètres, pourra être comparé au même instant t sur les deux autres.

4. Les paramètres subjectifs

23Nous proposons aux sujets la méthode des différenciateurs sémantiques d’Osgood (M. Reuchlin, 1984) pour les aider à caractériser leur état général avant et après les expérimentations, et leur vécu de la tâche.

24Il s’agit de paires d’adjectifs antinomiques séparées par une échelle en cinq points. Pour chaque paire d’adjectifs, les sujets doivent positionner une croix plus ou moins près de l’adjectif qui correspond le mieux à ce qu’ils ressentent. Plus la croix est près de l’adjectif, plus il est représentatif de leur opinion.

25Nous avons créé nos propres échelles en veillant à ce que les adjectifs employés dans notre grille soient simples et sans double sens.

5. Questionnaires de personnalité

26Si nous observons des différences inter-individuelles, nous souhaitons pouvoir les confronter à des variables de la personnalité.

27Nous demandons aux sujets de remplir 3 questionnaires :

• le questionnaire d’autoévaluation de la matinalité – vespéralité (Horne J.A. et Ötsberg O., 1976) permet de définir cinq types d’individus ; « nettement du matin », « modérément du matin », « intermédiaire », « modérément du soir », « nettement du soir » ;
• Introversion – Extraversion (Eysenck) (Rathus J.A., 1991) : en résumé, l’introversion est synonyme de repliement sur soi, et l’extraversion signe d’une tendance à extérioriser ses sentiments. Des auteurs ont montré la relation qui existe entre cette dimension de la personnalité et l’ampleur de la baisse de performance.
• l’échelle du locus of control (Rotter) mesure la variable internalité/externalité. Le versant d’internalité veut que l’on se sente responsable de ses succès et de ses échecs, et le versant d’externalité que l’on s’en remette soit au monde de l’aléatoire, soit à des forces politico-religieuses. L’échelle a été traduite par M. Agathon et I. Salehi (1982) en français.

IV – Conclusion

28À l’issue de cette première série d’expérimentations nous espérons les résultats suivants :

• donner des conclusions sur l’existence ou non de relations entre l’évolution des paramètres de performance, des indicateurs physiologiques, et comportementaux ;
• parvenir à dégager une caractéristique générale en ce qui concerne l’évolution du comportement gestuel des conducteurs comme indice de dégradation de la vigilance ;
• vérifier si l’activité cognitive est plus efficace qu’une simple alarme pour maintenir le niveau de vigilance.

29Si nous validons notre hypothèse principale, c’est-à-dire si nous démontrons l’intérêt des recherches dans le domaine cognitif pour aider au maintien de la vigilance, nous procéderons à des tests en situation réelle de conduite.

30Ensuite, nous exploiterons l’idée de s’appuyer sur l’autoévaluation par le conducteur lui-même de son niveau de vigilance pour la mise en oeuvre d’une pratique.

31Dans notre travail de recherche de D.E.A. (Philipps C, 1991), nous avions montré, grâce à une enquête par questionnaires réalisée auprès de 300 conducteurs, que 90 % des personnes interrogées avaient des signes ou symptômes qui leur indiquaient une baisse de vigilance au cours de trajets au volant de leur voiture. Nous n’avions pas pu conclure sur la précocité de l’apparition de ces symptômes.