I – Les données disponibles sur les déplacements dans plusieurs pays

1Nous cherchons les données détaillées sur les déplacements pendant un minimum de 24 heures. Les données sur la gestion et le contrôle des camionneurs par les tachographes et les carnets sont une excellente source pour cette catégorie de conducteurs mais l’échantillonnage n’est pas idéal. Pour les automobilistes, les enquêtes Origine-Destination sont généralement focalisées sur les réseaux urbains plutôt que les comportements et elles sont peu utiles pour la recherche sur la vigilance. Cependant, il y a de nombreuses enquêtes par carnet sur une période de 1 à 7 jours qui nous offrent des indicateurs importants.

2Le carnet de déplacements est connu depuis les années 60, par exemple en Australie, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en France et en Allemagne (2). Certains carnets sont conçus pour les enquêtes nationales multi-modes, mais d’autres focalisent sur le kilométrage et l’exposition aux risques d’accident. En dépit du degré de détail dans la plupart des carnets, sauf exception (3) les analyses publiées touchent peu les attributs des déplacements automobiles. A l’Université Laval, nous avons construit des archives de nombreuses banques de données désagrégées provenants des carnets, surtout pour permettre les analyses comparatives des attributs de déplacements.

II – Méthodes d’analyse a priori

3Nous avons normalisé autant que possible les banques de données pour comparer la quantité et la nature du kilométrage parcouru, ainsi que la répartition des déplacements sur une période d’une ou plusieurs journées. Nous construisons les profils des journées de conduite sur une base individuelle avec les logiciels SAS sur le plate-forme UNIX et JMP sur Macintosh.

4Nous étions à la recherche des groupes qui connaissent des circonstances de conduite qui sont, a priori, associées à un risque d’accident élevé. Notre premier essai a porté sur une banque de données sur les carnets de déplacements réalisée par la Société de l’assurance automobile du Québec en 1984/ 1985 (4). Notre étude était un élément d’un projet de modélisation économétrique de la mobilité et du risque d’accident automobile (5). L’enquête avait été réalisée par l’envoi postal de questionnaires incluant un carnet d’un jour (20-64 ans) ou de trois jours (16-19 et 65+ ans). L’échantillon utilisable comportait 8160 répondants qui ont enregistré 32727 déplacements ; le taux de réponse était de près de 40 %. L’échantillon a été stratifié avec une sélection inégale pour sur-échantillonner les jeunes et les personnes âgées et pour permettre la comparaison entre régions administratives quelle que soit la taille de la population. Les hommes de 20-64 ans étaient aussi sur-sélectionnés pour augmenter l’efficacité de l’échantillon. Les analyses que nous présentons ici sont séparées par les strates d’âge et de sexe, mais elles ne sont pas pondérées pour la stratification : cela a pour effet de biaiser modestement nos résultats vers les régions rurales et possiblement exagérer la proportion des déplacements de longues distances. Nous présentons ici les résultats des analyses essentiellement indicatifs sous forme de statistiques descriptives sans tests de signification.

5Avant d’examiner les conducteurs québécois, il est aussi utile d’établir le contexte d’une journée de conduite en profitant de quelques chiffres internationaux.

III – Chiffres Jalons sur une journée de conduite automobile

6Comme point de départ, il faut comprendre que la durée cumulative des déplacements effectués par un individu dans une journée est modeste et semblable dans plusieurs pays et dans des périodes différentes. Considérons par exemple les durées moyennes de conduite suivantes (6) :

7Or, la distance et la vitesse moyenne d’une journée de conduite varient beaucoup selon les conditions routières. Par exemple (vitesse moyenne) :

8Dans les pays industrialisés, environ 30 % des conducteurs sont inactifs au cours d’une journée donnée. Une fois actifs, ils font généralement plus qu’un déplacement en voiture pendant la journée. Moins de 10 % font un seul trajet, environ 15-20 % en font deux et environ 40 % en font plus de deux. Les femmes sont moins actives que les hommes mais lorsqu’elles sont actives, les quantités de conduite (temps et distance) par personne se rapprochent. Au Québec, on peut compter une moyenne de près de deux déplacements par jour par conducteur ; toutefois elle est moindre pour les groupes d’âge 16-19 et 65+, soit entre 1,0 et 1,4. Les hommes de 20-64 ans font en moyenne 3,1 déplacements, tandis que les femmes de 20-64 ans en font 1,9.

9Parmi les résultats les plus intéressants provenant des comparaisons internationales, on note que la distribution moyenne de la conduite quotidienne pour les principales catégories d’activités – celles liées au travail versus les commissions personnelles versus les activités socio-récréatives – est très stable entre les pays et les périodes, quelle que soit la quantité moyenne de conduite mesurée en distance ou en temps. Comme l’a remarqué Orfeuil (7), l’automobile entraîne un style de vie particulier.

10Ce contexte soulève déjà une question importante : compte tenu que la journée de conduite moyenne est inférieure à 60 minutes d’activité, faut-il supposer que la faible vigilance concerne une petite minorité de conducteurs ?

IV – Une sélection de variables-clefs incluant des attributs des déplacements automobiles

11Pour examiner de plus près les conducteurs susceptibles de faible vigilance, nous nous penchons sur la durée et, de moindre façon, sur la vitesse moyenne des déplacements automobiles et des journées de conduite. Nous comparons les conducteurs par sexe et par tranches d’âge : 16-19, 20 64 et 65+ ans.

12Parmi les attributs des déplacements automobiles, nous examinons :

• la présence ou l’absence de passagers accompagnant le conducteur ;
• la période de nuit (trajets entièrement réalisés entre 22h et 05h) ;
• les arrêts pendant et entre les déplacements.

V – Un survol des durées et vitesses moyennes des déplacements

13Dans l’enquête de 1985/86 au Québec, il faut noter que la définition d’un déplacement dans les carnets a permis aux conducteurs de combiner de courts trajets entre destinations semblables (tels que plusieurs magasins) dans un seul enregistrement. La durée moyenne de tels déplacements est environ 20 minutes pour les conducteurs de moins de 65 ans et environ 28 minutes pour les 65+ ans. La vitesse moyenne des déplacements décline avec l’âge : 16-19 ans = 40 km/h, 20-64 ans = 37 km/h et 65+ = 34 km/h.

14La distribution des durées montre que la majorité des déplacements est en dessous de deux fois la moyenne – i.e, 40 minutes ou moins. Les très longs déplacements sont peu nombreux. Par exemple, pour les hommes de 65 ans et plus, le 90e percentile est de 55 minutes (femmes de 65+ = 50) et le 97,5e percentile est de 135 minutes (femmes de 65+ = 120).

15En ce qui concerne la distribution de la vitesse, environ 5 % des déplacements ont une moyenne supérieure à 80 km/h. Ce pourcentage est un peu plus élevé pour les jeunes et les hommes ; pour les hommes de 16-19 ans, il est environ de 10 %.

16Dans le contexte de la vigilance, il est intéressant d’examiner les conducteurs faisants un seul déplacement dans la journée, ce qui est le cas d’environ 40 % de ceux qui conduisent plus que 5 heures dans la journée. Nous limitons cette analyse aux personnes de 20-64 ans : pour les hommes, 22 % des ces déplacements uniques excèdent 90 minutes, alors que pour les femmes, cette proportion est de 12 %.

17Il est possible de compléter un survol du temps total de conduite pendant la journée en examinant aussi ceux qui font de 3 à 5 déplacements (il y a très peu de conducteurs qui font plus de 5 déplacements tels que définis dans le carnet). Pour les conducteurs comptant 3 à 5 déplacements, il n’y a pas beaucoup de différences entre les hommes et les femmes. Environ 19 % des hommes et des femmes accumulent plus de 90 minutes de déplacement dans une journée ; seulement 3 % des hommes et 1,5 % des femmes font plus de 5 heures de conduite.

VI – Une exploration des longs déplacements

18Il est déjà évident que notre échantillon se réduit dramatiquement quand on se limite aux conducteurs de longs déplacements et il faut considérer les résultats dans cette section seulement à titre très indicatif. Entre 4 % et 10 % des trajets dans l’enquête québécoise sont d’une durée de plus de 60 minutes, selon l’âge et le sexe. Le pourcentage augmente avec 1 âge et pour les hommes. Les trajets longs suivent la tendance générale ; les personnes âgées les font à une vitesse moyenne légèrement inférieure.

19Considérant la présence de passagers comme un facteur pertinent à la vigilance, nous remarquons que 44 % des trajets supérieurs à 60 minutes effectués par des hommes sont effectués seuls, alors que cette proportion est de 24 % pour les femmes.

20En ce qui concerne la période de nuit (trajets entièrement réalisés entre 22h et 05h), seulement 2 % à 8 % des trajets de plus de 60 minutes se déroulent pendant cette période ; les hommes de 16 à 19 ans (7,3 %) et les femmes de 20 à 64 ans (7,9 %) sont les groupes qui en font le plus.

21Le carnet enregistre le temps passé hors du véhicule pour les déplacements comprenant un ou plusieurs arrêts sans changement du motif principal du déplacement (voir la définition d’un déplacement ci-dessus). La proportion des trajets supérieurs à 2 heures qui se déroulent sans arrêt intermédiaire varie d’environ un tiers à deux tiers. Elle est la plus élevée pour les conducteurs âgés, mais ceci est vraisemblablement un biais de « rapportage » étant donné que les pré-tests pour cette enquête avaient identifié une tendance chez les conducteurs de 65 ans et plus à compléter les carnets rétrospectivement. On note que la taille des sous-échantillons féminins par âge varient de 19 à 58 individus seulement ; toutefois, il semble que les femmes ne s’arrêtent pas plus souvent que les hommes.

VII – Quelques constats additionnels sur les déplacements pendant la nuit et quand le conducteur est seul

22Dans cette section, nous retournons aux grands sous-échantillons des conducteurs québécois de 20 à 64 ans, soit 1393 femmes et 2968 hommes. Quatre à cinq pour cent des trajets se déroulent entre 22h et 5h, comparé à environ 10 % des trajets pour les 16-19 ans. Ce pourcentage est légèrement plus élevé pour les hommes. Cependant, parmi les conducteurs de 20 à 64 ans, la proportion des voyages de nuit qui sont de relativement longue durée (60 minutes et plus) est légèrement plus élevée pour les femmes que pour les hommes.

23Environ la moitié des déplacements ont un conducteur seul. Nous découvrons ici un cas intéressant : les conducteurs de 65 ans et plus. Pour ces conducteurs, les déplacements d’une heure ou plus sont deux fois plus souvent accompagnés que solitaires, pour les hommes et pour les femmes. Rappelons que pour les personnes de 65 ans et plus, une plus forte proportion de leurs trajets sont longs. Ce résultat sur l’accompagnement des personnes âgées n’était pas confirmé pour les courts trajets dans une autre étude (8).

VIII – La question du repos entre les longs déplacements

24L’espacement des déplacements pendant la journée a été étudiée pour un sous-groupe seulement – ceux qui, parmi les 20 à 64 ans, font exactement deux déplacements de plus de 30 minutes chacun dans une journée. Parmi les 4 361 répondants de 20 à 64 ans, 811 se trouvent dans cette catégorie. On peut imaginer qu’une proportion importante des situations de faible vigilance est enregistrée comme deux longs déplacements dans une journée. Les déplacements étaient tous les deux supérieurs à 30 minutes pour environ 25 % (211) des conducteurs de 20 à 64 ans qui ont enregistré 2 déplacements dans la journée.

25L’importance des paires de déplacements domicile-travail est évidente dans cette analyse, puisqu’environ 55 % des repos durent de 6 à 11 heures. Notons que seulement 18 % des repos étaient inférieurs à 100 minutes et 13 % étaient entre 101 et 200 minutes. Cependant, il faut rappeler que les repos analysés ici ne comptent pas ce que le conducteur considère comme un arrêt à l’intérieur des déplacements sans changement du motif principal (voir section 6).

Figure 1. Distribution des trajets sans arrêts par durée en minutes (Conducteurs 20-64 ans avec un seul trajet dans la journée)

26Pour résumer la question du repos, les analyses faites pour la section 7 et la figure 1 montrent aussi que pendant une journée donnée, possiblement 1 % à 2 % des conducteurs font un seul trajet de 60 minutes et plus sans arrêt intermédiaire. (NB : la figure 1 montre exclusivement les pourcentages des conducteurs qui ont fait un seul déplacement dans la journée et celui-ci sans aucun arrêt). Nous constatons qu’il est possible qu’un autre 1 à 2 % des conducteurs font deux trajets de 60 minutes chacun séparés par un repos de moins de 100 minutes. Nous nous permettons dans cette analyse exploratoire d’exclure les conducteurs qui font plus de trois trajets et donc deux repos et plus pendant la journée enregistrée.

IX – Un premier essai d’identification des caractéristiques des conducteurs les plus exposés aux conditions propices à uni- faible vigilance

27La dernière étape de notre exploration concerne les caractéristiques des conducteurs identifiés a priori comme les plus à risque selon la durée totale des déplacements dans une seule journée. Moins de 2 % (n=138) de l’échantillon a conduit plus de 5 heures pour l’ensemble des déplacements d’une journée et nous avons examiné ces cas extrêmes.

28Le profil des conducteurs ayant conduit plus de 5 heures est (les pourcentages entre parenthèses sont pour l’échantillon total) :

• mariés : 75 % (66 %) ;
• employés à plein temps : 36 % (32 %) ;
• retraités : 37 % (31 %) ;
• deux conducteurs dans le ménage : 50 % (42 %) ;
• trois conducteurs et plus dans le ménage : 20 % (31 %) ;
• revenu du ménage inférieur à 20,000 $Cdn : 55 % (42 %) ;
• hommes : 89 % (71 %).

29De plus, ceux de plus de 65 ans sont sur-représentés 1,5 fois dans le groupe ayant conduit 5 heures et plus. Il n’y avait pas de différence dans l’âge des véhicules utilisés.

X – Conclusion : vers les recherches éventuelles des groupes cibles qui connaissent une faible vigilance

30Notre exploration essentiellement bivariée des données sur les déplacements n’a pas révélé toute l’information nécessaire pour identifier les groupes cibles d’automobilistes pour les programmes d’intervention.

31Il est primordial d’exploiter le travail expérimental pour identifier des combinaisons d’attributs de déplacements associés à une faible vigilance. Ensuite, les banques de données désagrégées sur les déplacements doivent être configurées pour permettre la construction d’indices multivariés. On y trouve la richesse des carnets. Il s’agit d’un processus de regroupement de conducteurs par combinaisons d’indicateurs. Cette approche a déjà fait l’objet d’un pilote dans une autre étude (2) où nous avons développé des classes d’automobilistes selon leur position sur trois échelles construites : indicateurs du « tracas », de la variabilité et de la complexité, dans les profils de 7 jours de conduite (enregistré dans le National Travel Survey de Grande-Bretagne). Notons que nous sommes grandement aidés dans ce processus par les plus récents développements dans les logiciels statistiques permettant la recherche de structure dans les banques de données.

32Des données pertinentes sont disponibles dans d’autres sondages sur les déplacements – de tous types ou seulement en automobile. Nous commençons à voir aussi des données pertinentes provenant de projets sur des flottes de véhicules avec un matériel d’acquisition embarqué, surtout maintenant que l’instrumentation à faible coût rend possible l’exploitation des échantillons plus grands et représentatifs.

33Les caractéristiques des déplacements disponibles dans les données désagrégées sont trop rarement exploitées d’une façon multivariée pour les enquêtes sur l’exposition au risque d’accident automobile, ou pour dériver les caractéristiques des groupes de conducteurs associés aux différents profils de journée de conduite.

34Même si les groupes cibles s’avèrent hétérogènes, un processus multivarié nous aiderait à évaluer la quantité d’exposition aux risques selon les différentes combinaisons de facteurs liés à une faible vigilance. Il serait donc possible de mieux comparer les retombées imaginables des différents dispositifs et traitements proposés.

35La recherche présentée dans cet article était subventionnée en partie par le Ministère des transports du Québec et la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) via l’Action concertée en sécurité routière des Fonds FCAR, ainsi que par les contributions du Ministère des transports de l’Ontario, de Transports Canada et de Shell Canada Limitée au Compendium de données sur la mobilité automobile à l’Université Laval. Nous remercions la SAAQ pour sa généreuse collaboration en fournissant les données pour nos études de mobilité et risque, ainsi que Manuel Rodriguez, du GRIMES pour sa précieuse contribution aux analyses. L’auteur seul est responsable des interprétations des donnée et des opinions exprimées.

36The research presented in this article was partly sponsored by the Quebec Ministry of Transport and the Quebec automobile insurance company by the concerted road safety action of FCAR Funds and contributions front the Ontario Ministry of Transport, Transports Canada and Shell Canada Limited to the Laval University Compendium of car travel data. The opinions expressed are the author’s.