I – Introduction

1Les psychotropes sont des substances fréquemment consommées dans les pays occidentaux. Des niveaux de consommation élevés de stupéfiants ou de substances psychotropes peuvent indiquer qu’il y a exagération dans les prescriptions et/ou qu’il y a des détournements vers des circuits illicites. Ce document s’attardera à comparer la consommation des psychotropes en France et au Canada. Cette comparaison débutera dans la première section par une description de la consommation nationale de stupéfiants et de substances psychotropes dans chacun de ces pays pour les années 1987 à 1991. Nous tenterons aussi de décrire les différentes tendances notées. La deuxième section comparera les résultats de trois enquêtes nationales menées auprès de la population française et canadienne, afin de mesurer entre autres, la consommation d’hypnotiques et de tranquillisants.

II – Consommation nationale de stupéfiants

2À partir des données transmises par la France et le Canada à l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants des Nations Unies au sujet de la consommation de stupéfiants durant les années 1987 à 1991, nous notons plusieurs éléments intéressants. L’ensemble de la consommation moyenne de stupéfiants1 par jour et par million d’habitants sous forme de « doses quotidiennes déterminées »2 pour ces années, indique que le Canada occupe le 3^e rang après l’Irlande et le Danemark. Il est suivi du Royaume-Uni, de la Norvège et de la France au 6^e rang (1).

3Parmi les stupéfiants rapportés par les pays, nous examinons pour la France et le Canada quelques uns de ces produits, en fonction de la consommation absolue ainsi que, lorsque disponible, en fonction de la consommation moyenne par jour et par million d’habitants. Dans ce texte, la consommation moyenne par jour et par million d’habitants sera toujours pour des doses quotidiennes déterminées telles que calculées dans le rapport des Nations Unies.

1. Cocaïne

4La consommation absolue de cocaïne au Canada a augmenté significativement de 1987 à 1988 passant de 21 à 31 kg. Elle a, par contre, très peu changé de 1989 à 1991 avec des quantités respectives de 29, 30 et 28 kg pour chaque année. La consommation en France a diminué de 1989 à 1991 passant de 22 à 8 kg. Ce produit est beaucoup plus consommé au Canada qu’en France. Il est utilisé au Canada chez les patients en phase terminale de cancer dans un mélange appelé cocktail de Brompton. Il est aussi prescrit par les oto-rhino-laryngologistes pour ses propriétés anesthésiques (2,3).

2. Codéine

5Ce produit est le plus largement distribué dans le monde (1). Une hausse de la quantité absolue de codéine consommée a été notée au Canada de 1987 à 1991 passant de 11 821 à 14 283 kg. La France a, elle aussi, connu une augmentation durant les mêmes années passant de 7996 kg en 1987 à 15 462 kg en 1991. La consommation absolue de codéine n’est pas très différente entre les deux pays. Cependant, en examinant les données concernant la consommation moyenne par jour et par million d’habitants, il ressort que le Canada se démarque grandement avec une consommation de 13,5 kg par rapport à 5,7 kg en France. Parmi les autres pays, le Canada occupe le 2^e rang après l’Irlande, et la France le 9^e rang.

3. Dextropropoxyphène

6Le dextropropoxyphène est un stupéfiant synthétique pour lequel nous notons une différence très marquée dans la consommation absolue en France et au Canada. La consommation française a passé de 13 559 à 19 846 kg de 1987 à 1991. Par contre, la consommation canadienne qui était plus faible, a diminué de 1987 à 1991 passant de 819 kg en 1987 à 617 kg en 1991. Les données concernant la consommation moyenne par jour et par million d’habitants indiquent aussi une différence importante entre les deux pays. Durant les années 1987 à 1991, cette consommation se chiffrait à 3,2 kg en France et à 0,4 kg au Canada. La France occupe le 4^e rang parmi les autres pays et le Canada le 20^e rang.

4. Diphénoxylate

7La consommation absolue de ce produit, utilisé comme anti-diarrhéique, a été peu importante dans les deux pays entre 1987 à 1991. Par exemple, elle était en 1991 de

823 kg en France et de 18 kg au Canada. La consommation moyenne par jour et par million d’habitants de ce produit était de 0,091 kg en France et de 0,118 kg au Canada. Les deux pays se situent respectivement au 28^e et 24^e rang parmi les autres pays.

5. Éthylmorphine

9Ce produit a été utilisé au Canada pour ses propriétés antitussives et expectorantes chez des patients ne répondant pas à des produits moins puissants (2,3). Sa consommation absolue, qui était déjà faible auparavant, a continué de diminuer de 1987 à 1991 passant de 1 kg à néant. L’élément majeur de ce changement est le fait que le fabricant a cessé de le produire. La consommation d’éthylmorphine en France est, sans aucun doute, plus élevée qu’au Canada mais elle a aussi diminué de 1987 à 1991 passant de 2173 à 1171 kg. En 1991, la France a fabriqué, à elle seule, 42 % du total (4 tonnes) de ce produit et ceci visait essentiellement à satisfaire les besoins intérieurs (1). La France avec une consommation moyenne par jour et par million d’habitants durant les années 1987 à 1991 de 0,829 kg, occupe le 2^e rang parmi les autres pays après la Hongrie.

6. Méthadone

10La consommation absolue de méthadone en France n’est pas représentée dans le rapport des Nations Unies. Ceci s’explique par le fait que les tableaux de ce rapport ne tiennent pas compte du mouvement d’une substance inférieure à un kilogramme. En examinant la situation au Canada, on s’aperçoit que la consommation a augmenté de 1987 à 1991 passant de 23 à 41 kg. Étant donné que ce produit est peu utilisé comme analgésique, l’augmentation notée s’explique principalement par l’usage plus fréquent de ce produit dans le traitement de la pharmacodépendance aux opioïdes (programmes de maintenance et de sevrage). A cet égard, il y avait 1108 patients inscrits dans les programmes de maintenance en 1987 et 1701 patients en 1991 (5,6).

7. Morphine

11La consommation absolue de morphine est plus élevée au Canada qu’en France. En 1991, elle était de 652 kg au Canada et 245 kg en France. Les données de chacun des pays indiquent une augmentation de la consommation de ce produit durant les années 1987 à 1991. Ceci suit la tendance mondiale de l’augmentation de la consommation de ce produit à des fins médicales. En effet, cette consommation était de 2 tonnes en 1972 et elle est passée à 11,4 tonnes en 1991. Dans le rapport annuel de l’Organe international du contrôle des stupéfiants (statistiques pour 1991), on mentionne que cette progression est probablement attribuable au fait que les méthodes d’administration par voie orale nécessitent des quantités plus importantes que les méthodes intraveineuses. Cette explication est sujette à questions étant donné que ce facteur a toujours été présent. La consommation moyenne par jour et par million d’habitants de ce produit durant les mêmes années se chiffre à 1,9 kg au Canada et à 0,263 kg en France. Le Canada occupe le 4ème rang parmi les autres pays et la France le 25^e rang.

8. Péthidine

12La péthidine, qui était naguère le principal stupéfiant synthétique par les quantités fabriquées, vient maintenant au second rang derrière le dextropropoxyphène (1). Nous notons une consommation absolue plus grande de ce produit au Canada qu’en France. En 1991, elle se situait respectivement à 850 kg et à 150 kg. De 1987 à 1991, la consommation a très peu varié au Canada passant de 897 à 850 kg comparativement à celle de la France, qui a fluctué d’une année à l’autre.

13La consommation moyenne par jour et par million d’habitants est aussi plus grande au Canada qu’en France. Le Canada occupe le 3^e rang parmi les autres pays avec une consommation de 0,229 kg et la France le 51^e rang avec 0,015 kg.

9. Pholcodine

14La consommation absolue de pholcodine a légèrement diminué en France de 1987 à 1991 passant de 4093 à 3644 kg. Le Canada n’indique pas de consommation de ce produit, qui n’est d’ailleurs pas disponible au Canada.

15La France occupe le 1^er rang parmi les autres pays avec une consommation moyenne par jour et par million d’habitants de 3,715 kg durant les années 1987 à 1991.

16Les données de consommation moyenne par jour et par million d’habitants de chaque produit, comparées avec celles des autres pays, indiquent que les produits occupant des rangs élevés sont pour le Canada la codéine suivie de la péthidine et de la morphine. Pour la France, ce sont la pholcodine suivie de l’éthylmorphine et du dextropropoxyphène. Lorsqu’on regarde chacun de ces produits isolément, nous serions portés à conclure à un mésusage possible. Cependant, ces conclusions hâtives pourraient s’avérer fausses après l’examen approfondi de l’ensemhle de la consommation de ces produits.

III – Consommation nationale de substances psychotropes

17Bien que nous ayons pu noter des éléments de comparaison pour les stupéfiants, il s’avère quasi impossible, en se basant sur les données fournies à l’Organe International de Contrôle des Stupéfiants, de comparer l’usage des autres psychotropes. Ceci s’explique par le fait que plusieurs gouvernements n’ont pas encore étendu le contrôle national à toutes les substances inscrites aux tableaux des conventions internationales (7). Les benzodiazépines sont des substances pour lesquelles le Canada n’a pas fourni de données étant donné que les changements législatifs nécessaires ne sont pas encore en place.

18Les niveaux disponibles de consommation des autres psychotropes par groupes en doses quotidiennes déterminées par millier d’habitants par jour3 pour les années de 1989 à 1991, indiquent, pour les groupes des hypnotiques sédatifs en France, une consommation de 17,75 kg de benzodiazépines et de 2,98 kg de barbituriques. Nous ne disposons pour le Canada que de la consommation de barbituriques, qui se situe à

194,08 kg pour les mêmes années. La France occupe parmi 45 pays, le 9^e rang pour sa consommation d’hypnotiques sédatifs.

20En ce qui concerne les tranquillisants, les données de la France sont de 45,38 kg pour les benzodiazépines et de 0,66 kg pour le méprobamate. Pour cette catégorie, la France occupe parmi 45 pays le 7^e rang pour sa consommation.

21Ces données ne nous permettent pas de clarifier la situation de ces deux pays en ce qui concerne la consommation d’hypnotiques et de tranquillisants. Par conséquent, nous utiliserons une autre source de comparaison.

IV – Enquêtes sur la Consommation de produits psychotropes dans la population française et canadienne

22Cette deuxième section examinera le résultat de trois enquêtes menées auprès de la population de ces pays pour cette catégorie de substances. Bien que ces trois enquêtes aient utilisé des méthodologies différentes, il est possible d’en extraire certains éléments comparatifs.

23En France, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) a mené des enquêtes au printemps 1987 et à l’automne 1988, auprès de 2000 personnes représentatives de la population française de 18 ans et plus. Les questions posées au cours d’entretiens individuels, portaient entre autres sur l’usage d’hypnotiques ou de tranquillisants dans les 12 derniers mois . Il a été noté lors de ces deux enquêtes que 14 % et 11,2 % de la population avait consommé régulièrement c’est-à-dire pendant au moins un mois d’affilée des tranquillisants ou hypnotiques (10). Nous discuterons un peu plus loin du profil des consommateurs. Au Canada, l’enquête nationale sur l’alcool et les autres drogues a été menée par entretien téléphonique en mars 1989 auprès d’un échantillonnage de la population de 11 634 personnes âgées de 15 ans et plus. Le taux de réponse de cette enquête a été de 79 % et il en ressort que 6,7 % de la population a déclaré avoir utilisé au moins une fois un hypnotique ou un tranquillisant dans le mois précédant l’enquête (8,9).

24Au sujet du profil des consommateurs, nous notons dans l’enquête canadienne une consommation plus élevée chez les femmes que chez les hommes et beaucoup plus courante chez les Canadiens âgés de 45 ans et plus. La consommation est aussi plus fréquente chez les francophones et est inversement proportionnelle au revenu du ménage et au niveau d’instruction. En France, la consommation est plus élevée chez les femmes âgées de 50 ans et plus. Ces femmes sont décrites comme le plus souvent peu diplômées, manifestant des signes d’anxiété et de souffrance psychologique ou somatique. Il semble aussi que l’usage chez ce groupe particulier soit plutôt associé à une situation d’isolement.

25Ces trois enquêtes concluent que l’âge et le sexe sont les principaux facteurs reliés à la consommation de tranquillisants ou d’hypnotiques. Elles indiquent aussi que la consommation de tranquillisants ou d’hypnotiques est plus grande chez la population française. Il est à noter que le pourcentage obtenu en France est représentatif d’un usage régulier c’est-à-dire pendant au moins un mois d’affilée durant les 12 mois précédant l’enquête. Le pourcentage obtenu au Canada est fonction d’un usage au moins une fois durant les 30 jours précédant l’enquête. La formulation de la question de l’enquête canadienne augmentait la probabilité d’obtenir des réponses positives . Malgré cela, les pourcentages obtenus en France sont plus élevés.

26Il est intéressant de noter que l’usage de ces substances au Canada est plus grande chez les francophones que chez les anglophones. Effectivement, l’enquête canadienne révèle, à partir d’un échantillonnage de 1808 résidents du Québec, un taux de 8,8 %.

V – Conclusion

27Bien que la popularité des stupéfiants diffère d’un pays à l’autre et que nous pourrions avoir tendance à conclure prématurément à du mésusage, il est essentiel d’examiner aussi ces produits en fonction de l’ensemble de la consommation. Il faut donc éviter de tirer des conclusions générales en se basant sur le profil d’utilisation d’un seul produit ou d’un produit considéré isolément. En ce qui concerne les hypnotiques et les tranquillisants, les enquêtes menées auprès de la population des deux pays indiquent que la consommation est plus élevée chez la population française mais que, par contre, le profil des consommateurs des deux pays présente des similarités. Des analyses plus détaillées sont sans doute nécessaires avant de conclure à du mésusage.