1La sécurité dans les transports bénéficie depuis longtemps d’efforts soutenus pour l’amélioration des infrastructures et des véhicules. Mais récemment en France et de par le monde, les responsables de la sécurité routière ont décidé de consacrer plus d’attention et de moyens aux facteurs humains ; parmi de nombreuses recherches qui se sont développées la vigilance tient une place importante, compte tenu de son intérêt scientifique et de son utilité sociale.

2Compte tenu du grand nombre de laboratoires d’exploration fonctionnelle du système nerveux, l’utilisation des recherches fondamentales en neurophysiologie dans le repérage des baisses de vigilance chez les conducteurs ou pilotes semble pouvoir se faire selon une boucle courte, qu’il s’agisse d’expérimentations en laboratoire ou d’essais en conduite réelle.

3Cet ouvrage présente quarante trois articles consacrés aux divers aspects de la vigilance, des facteurs de dégradation et des moyens de prévention.

4Les bases neurophysiologiques des états de vigilance et ses variations en fonction des rythmes biologiques circadiens ou rapides sont présentées par le Professeur Jouvet. En suivant l’ordre historique on perçoit la construction progressive de la connaissance et des théories, souvent remises en cause. L’auteur est très prudent en délivrant une vérité transitoire, mais on distingue, dans la complexité de l’organisation fonctionnelle du cerveau, des systèmes redondants qui peuvent être suppléés par d’autres structures en cas de défaillance. Ce constat renforce l’intérêt du volet comportemental de l’activation : le niveau d’attention et la disponibilité des ressources du conducteur sont précisés. S’il existe une liaison souvent forte entre vigilance basale et attention, elle n’est pas complètement déterministe et il existe des situations où la vigilance peut être correcte et l’attention insuffisante et vice-versa (Grau, Amalberti). Vernet-Maury suggère d’utiliser non seulement l’EEG mais aussi les paramètres caractérisant l’activité du système nerveux autonome.

5Sauvignon montre une bonne convergence entre la baisse de vigilance, les variations du comportement moteur et celles de l’activité mentale.

6 La finesse des méthodes de traitement est importante : ainsi Stampi, qui évalue l’impact du confort de la cabine d’un poids lourd, plus précisément des vibrations, sur la somnolence du conducteur, recommande de considérer les bouffées d’ondes οι de préférence à un moyennage sur 15 minutes : le résultat est que la situation avec peu de vibrations génère plus de périodes de somnolence.

7La majorité des travaux expérimentaux où il faut évaluer l’état neurophysiologique et les effets comportementaux moyennant l’analyse de la tâche de conduite utilisent un simulateur de conduite : on verrait mal en effet évaluer la capacité des conducteurs hypersomniaques ou porteurs d’autres troubles du sommeil (narcolepsie, apnée) en situation réelle (Monplaisir). Dans cette catégorie de conducteurs potentiellement à risque, Léger met en œuvre une méthode d’interrogatoires approfondis dont il résulte que les apnéiques ont un peu plus d’accidents (7,3 %) que le groupe témoin (2 % N.S.). Toutefois les « presqu’ accidents » sont beaucoup plus nombreux (34 % contre 4 %).

8Smiley souligne que les conducteurs présentant des apnées du sommeil ont des performances à une épreuve de poursuite de trajectoires et d’exploration visuelle plus médiocres que des sujets qui ont 0,08 g d’alcool dans le sang. Par bonheur, des traitements médicaux de ces troubles connaissent un très bon succès.

I – L’alcool

9Les articles sur les différents aspects de la prise d’alcool chez les conducteurs montrent l’importance de ce facteur pour la vigilance et la sécurité. Simpson a évoqué l’évolution actuelle de la législation sur les taux d’alcoolémie avec une tendance à la baisse des seuils légaux dans différents pays ou pour certaines catégories de conducteurs. Cette tendance repose sur plusieurs constatations :

• il apparaît que, si la recherche expérimentale permet de détecter des effets de l’alcool à de bas niveaux (0,02-0,05 %), les recherches épidémiologiques sont encore incomplètes dans ce domaine ;
• une notion se dégage toutefois clairement tant dans le « Grand Rapids Study » de R. Borkenstein et Coll, que dans une étude plus récente menée aux Etats-Unis d’Amérique et au Canada. Cette notion est qu’à niveau d’alcoolémie égal, le risque d’accident apparaît plus important chez les jeunes conducteurs. Cette constatation amène à proposer la mise en place d’une alcoolémie limitée plus basse chez les jeunes conducteurs.

10Mallaret a évoqué la situation en France, pays fort consommateur d’alcool et pour lequel le seuil légal d’alcoolémie est actuellement fixé à 0,07 % devrait progressivement être abaissé à 0,05 %.

11On peut constater que, si les pays anglo-saxons ont basé leur législation sur un seuil d’alcoolémie susceptible d’induire une augmentation de la prise de risque par des inhibitions, plus que par altération des temps de réaction, la France et plusieurs autres pays, principalement latins, ont une réglementation basée sur des seuils d’alcoolémie plus élevés induisant un effet sédatif en plus de l’effet comportemental. L’existence d’un effet seuil de l’alcool est encore discutée mais la notion de population sensible à des bas taux d’alcoolémie se fait jour progressivement.

12Ducluzeau a présenté les résultats d’une étude du comportement chez des conducteurs accidentés avec alcoolémies très élevées (2/7 g/l). Il apparaît qu’un effet de tolérance important apparaît chez les conducteurs lourdement imprégnés. Cette tolérance apparente peut amener les forces de l’ordre et les médecins à sous-estimer l’état d’imprégnation au seul vu de l’état clinique. Une concordance état clinique-alcoolémie était présente dans 70 % des cas, mais 23 % des sujets avaient un état clinique qui incitait à sous-estimer l’état alcoolique.

13Vingilis a confirmé les données présentées par Simpson sur le risque d’accident anormalement élevé chez les jeunes conducteurs par rapport aux plus âgés, à alcoolémie égale. Cette donnée apparaît commune à la France et au Canada dans la comparaison des habitudes sociologiques qu’elle a menée sur ces deux pays. Un « noyau dur » de population à risque apparaît commun au deux « cultures ». Il est constitué par une population jeune (moins de 25 ans), avec un niveau constaté d’alcoolémie moyenne moins élevé que chez les conducteurs plus âgés mais entraînant un nombre d’accidents plus important, notamment de nuit (0.00 à 4.00).

14L’ensemble des interventions de cette session incite donc à axer la prévention du risque alcool non seulement sur les conducteurs très imprégnés mais aussi sur les jeunes conducteurs à alcoolémie moyenne basse dont l’auto-contrôle psychologique semble plus fragile sous l’effet de l’alcool.

II – Drogues, médicaments et vigilance

15De Gier a rappelé l’importance des règles méthodologiques pour la recherche expérimentale portant sur les effets des médicaments sur la conduite automobile, domaine dans lequel l’absence d’harmonisation rend difficile la comparaison des différents produits psychotropes en termes de risque. Un rapport international d’experts est présenté avec les éléments de consensus les plus pertinents en matière de méthodologie. Il a également présenté un projet européen de catégorisation des drogues et médicaments vis-à-vis de la conduite. Ce projet actuellement basé sur des études antérieures, donc peu comparables, devrait laisser la place dans l’avenir à une catégorisation basée sur des études plus homogènes.

16Lemoine a rappelé la complexité de l’évaluation exacte du rôle des médicaments dans les accidents de la route tant du fait de la difficulté de recueil d’échantillons biologiques que de l’impossibilité fréquente d’établir une relation de cause à effet entre prise de médicament et accident, la pathologie sous-jacente pouvant elle-même être source d’accident. Il a souligné également que les médicaments ne sont pas uniquement susceptibles d’agir sur la vigilance, mais également sur la vision et l’impulsivité. Les associations de différents produits peuvent induire des effets paradoxaux ou inattendus. Une meilleure formation des praticiens dans ce domaine apparaît nécessaire, ainsi qu’une sensibilisation accrue du public.

17Bouchard a exposé les différences et les similitudes de consommation de psychotropes entre la France et le Canada. Le profil des usagers de benzodiazépines est assez similaire dans les deux pays. La France est un plus gros consommateur de cette classe : 14 % pour les hypnotiques, 11,2 % pour les anxiolytiques contre 6,7 % au Canada pour l’ensemble des deux catégories de psychotropes. Les Canadiens sont de plus gros consommateurs de codéine et de morphine, les Français utilisant davantage de dextropropoxyphène. La recherche d’un mésusage de ces produits est difficile à mener, les études prennent rarement en compte le bien-fondé de l’utilisation des produits.

18Roussel évoque la place des substances éveillantes en médecine et comme contre-mesures à la somnolence. Si la caféine à doses assez élevées possède des propriétés intéressantes, les effets cardio-vasculaires, digestifs et centraux en limitent l’emploi. Les amphétamines, produits éveillants de référence entraînent une dépendance de tolérance et troubles psychiques. Les eugrégoriques, dont le Modafinil est le produit le plus intéressant, possèdent des propriétés éveillantes sans effet toxicomanogène et sans retentissement apparent sur le comportement. Son usage est encore strictement limité aux troubles graves de l’éveil (narcolepsie). Un risque d’usage détourné en limite encore l’emploi hors de certains centres spécialisés.

19Lagier a passé en revue les différents aspects du risque psychotrope-conduite automobile. Il a insisté sur les effets classiques des sédatifs, les autres effets moins connus des psychotropes. Si les médicaments psychotropes sont fréquemment mis en cause, d’autres familles de médicaments sont à considérer comme potentiellement dangereux. Le contrôle réglementaire, très réduit en France par rapport au Danemark ou aux Etats-Unis d’Amérique apparaît cependant suffisant, à ses yeux, pour permettre de demander des comptes aux conducteurs utilisant des psychotropes, ou, a fortiori, des drogues.

20Berghaus a comparé les effets résiduels de différents hypnotiques. Les résultats montrent que tous les produits ne sont pas équivalents, que certains entraînent des somnolences diurnes notables et qu’il conviendrait de réserver la prescription de certains produits aux non-conducteurs. Il relève également le caractère plus discriminant des tests complexes (tests de conduite), par rapport aux tests simples de laboratoire .

21Ces données sont confirmées par l’étude présentée par Etard avec un travail mené sur le Zolpiden, produit à demi-vie plasmatique courte, dont les effets résiduels semblent faibles au vu des études antérieures menées en laboratoire, mais dont les effets, étudiés ici sur simulateur de conduite, semblent plus marqués.

22Cette conclusion rejoint les propos de De Gier quant à la nécessité d’évaluer les effets secondaires des produits psychotropes, non seulement avec des tests classiques de laboratoire, mais également avec des tâches plus complexes (simulateur, test de conduite réelle).

III – les rythmes biologiques

23Il est clair, même si ce n’est pas nouveau, que la consommation d’alcool, de médicaments, voire de drogues constitue un important facteur de risque d’accident, devant lequel le rôle des médecins traitants des troubles du sommeil ou prescripteurs de médicaments est primordial, d’autant qu’on constate des associations de consommation particulièrement néfastes. Les médecins du travail sont très conscients du problème pour les conducteurs professionnels. Ainsi la SNCF (Société nationale des chemins de fer – France) exerce un contrôle continu des capacités attentionnelles des conducteurs de trains au cours de leur carrière, ce qui constitue une démarche préventive (Fayada). En 1992, 133 conducteurs, sur un total de 18000, ont été examinés et 35 % sont retirés, de manière temporaire ou définitive, de la conduite.

24A côté des troubles pathologiques et de la consommation de substances ayant une influence sur la vigilance, la gestion du temps de repos chez les conducteurs professionnels (voitures, camions, autobus, autocars, trains et avions) est un aspect important du maintien de la vigilance. L’incidence des horaires décalés de travail ajoutée à un déficit de sommeil fait que les conducteurs de trains se retrouvent souvent « aux portes du sommeil » selon l’expression de Gabon. Dans les avions où une baisse de vigilance risque d’affecter en même temps le pilote et le copilote, Mollard a sélectionné des tâches propices à tenir les navigants en bon état vigile. Les siestes brèves avant le vol, et même pendant le vol pour les très longs trajets, sont recommandées au personnel (Sestier). Åkerstedt a mis au point un modèle préliminaire de détermination du niveau de vigilance des conducteurs de poids lourds (en conduite de nuit).

25Il s’agit d’un modèle utilisant les 3 composantes suivantes :

• Une composante qui représente la somnolence due aux influences circadiennes ;
• une composante représentée par une fonction dépendant du temps écoulé depuis le réveil ;
• une composante de l’éveil en inertie post-hypnique après un réveil provoqué.

26Ainsi, les rythmes biologiques naturels, la fatigue et la dette de sommeil peuvent expliquer qu’il existe des risques de baisse de vigilance dès la prise de poste de travail ou dès le début du trajet.

IV – La détection automatique des baisses de vigilance

27Ce domaine est l’objet de nombreux articles, témoignant de la confiance des chercheurs dans les aides électroniques à la conduite.

28Les différents principes pour détecter et remédier aux baisses de vigilance lors du pilotage est bien rappelé par Brookhuis. La technologie, les appareils et les divers systèmes peuvent être intégrés selon un premier principe aux sites (autoroutiers, ferroviaires, aériens) ou bien disposés dans le moyen de locomotion en fonction d’un deuxième principe. L’acceptation de ces aides à la conduite est bonne pour la vigilance, en France, plus mitigée dans d’autres pays d’Europe.

29De nombreuses équipes travaillent sur la mise au point d’un système intégré au véhicule. Le cahier des charges à respecter par ces concepts est le même en Europe et aux États-Unis d’Amérique (Knipling) ; il doit :

• contrôler en continu la performance du conducteur,
• être non invasif : l’observation du mouvement des yeux, des angles du volant et de la position dans la voie,
• ne pas provoquer des fausses alarmes,
• ne pas interférer avec la tâche de conduite, ou avec d’autres aides à la conduite.

30Presque toutes les équipes de recherche ont adopté cette charte, dans une logique qui vise :

• à repérer une baisse de vigilance sur des paramètres de fonctionnement du véhicule (angle des mouvements du volant, variations de la vitesse, usage des clignotants, pression sur l’accélérateur) validés pour leur bonne liaison avec les caractéristiques psychophysiologiques de la vigilance (Planque, Khardi) ;
• à délivrer ensuite une alarme, dont la forme et le contenu sont encore peu définis malgré les efforts de Labiale.

31Le nombre, la combinaison et le traitement des paramètres varient selon les équipes. Cointot utilise 17 paramètres, qui sont traités ensuite par la technique des réseaux neuronaux (Chan, Peltier). Wylie expérimente sur les camions et construit une base de données complète (neurophysiologie et comportement du conducteur, fonctionnement du camion). Cette précieuse source de renseignement sera libre d’accès. A ce jour, compte tenu de l’enjeu commercial pour les constructeurs, toutes les informations sur ces systèmes ne sont pas disponibles.

32Les neurophysiologistes purs proposent des systèmes nécessitant la pose d’électrodes pour surveiller l’EEG, ce qui n’est pas réaliste. Une option originale de Berrichi consiste à suivre le mouvement des yeux, ce qui pourrait se réaliser concrètement par une micro- caméra implantée dans une paire de lunettes.

33Certains chercheurs tentent de substituer aux paramètres physiologiques et comportementaux caractérisant le conducteur un (et un seul) paramètre du véhicule. Il semble assez probable que cet espoir sera déçu et que l’identification de l’état vigile du conducteur nécessite une analyse multiparamétrique dans laquelle il convient d’intégrer une analyse non invasive du mouvement des yeux et de l’activité posturale globale du conducteur.

34La méthode la plus achevée à ce jour parait être celle exposée par Knipling qui considère 6 paramètres en plus de la densité des ondes thêta, qui sert de référence.

• le temps passé avec les yeux fermés entre 80 % et 100 %,
• l’écart-type de la position du véhicule dans sa voie,
• le temps passé par le véhicule sur la limite de sa voie,
• le nombre de fois où le volant fait des écarts de plus de 15°,
• le nombre de mouvements du volant de plus de 5° (mais moins de 15°),
• les variantes de la vitesse du volant.

35La fermeture des yeux, les mouvements du volant de 15° et à un degré moindre, le temps de position hors de la voie sont des paramètres discriminants de la conduite en état de fraîcheur ou en état d’inattention relative. Au total, l’ensemble des paramètres véhicules permet la prédiction de l’état du conducteur, considéré à travers la fermeture des yeux. Cette méthode est encore en cours de validation sur simulateur.

36A côté et en complément des travaux de développement d’un système automatique de détection des baisses de la vigilance, certaines recherches (Philips, Vaugeois) s’intéressent à l’éducation des conducteurs, en envisageant d’une part une reconnaissance de leurs signes personnels de baisse de vigilance et d’autre part la mise en œuvre d’exercices appropriés qui sont autant de tâches secondaires à la conduite, destinées à relever par une activation mentale le niveau d’attention faible que tous les conducteurs connaissent plus ou moins à chaque cycle court de leur vigilance.