La réhabilisation du réseau urbain historique de Toronto
p. 85-88
Texte intégral
1Dans le domaine de l’architecture et de la conception de l’environnement urbain, les idées semblent réapparaître périodiquement, comme poussées par le mouvement d’un pendule. Au début de ce siècle, le mouvement Moderne a rejeté non seulement l’organisation des villes en rues et en pâtés de maisons, mais aussi les types d’immeubles que l’on trouvait habituellement le long des rues (ces immeubles abritaient fréquemment des cours intérieures). La recherche de clarté, de beaux panoramas et d’intimité à offrir aux riverains a conduit à l’apparition victorieuse des blocs d’immeubles, des tours et des villas indépendantes, tels des objets se dressant dans les espaces libres.
2Mais cette typologie a fini par susciter une contre-réaction excessive. Une autre génération d’architectes, d’urbanistes et d’habitants a découvert qu’avec ces éléments il était difficile de créer des espaces publics viables, animés et pratiques. Les concepts de la rue et de l’immeuble donnant directement sur celle-ci ont tous deux été réhabilités et ont retrouvé leur place d’éléments-clés dans la composition des villes.
L’avenir des "Rues Principales"
3En 1987, le Conseil Municipal de Toronto a pris l’initiative de mener une étude sur l’avenir des rues principales de la ville et sur leur potentiel d’intensification, et a demandé qu’une étude soit faite sur la possibilité de leur réaménagement. Depuis lors, la ville de Toronto a pris plusieurs autres décisions : elle a, par exemple, demandé une étude sur la façon dont les riverains des rues principales utilisent leur véhicule, ainsi qu’une étude économique. Une association communautaire a également été formée pour défendre les intérêts des riverains.
4En 1990, la ville a parrainé le "Concours sur la conception des logements dans les rues principales", un concours international dont le thème précis était la recherche de solutions pour la conception des rues principales, et pour leur intensification. Les objectifs de ce concours étaient de définir une vision de l’avenir des rues principales de Toronto, de faciliter la création de logements (dont la ville a grand besoin), et d’améliorer la qualité des espaces urbains. Ce concours a débouché sur une plus large initiative du Conseil Municipal, consistant à mettre sur pied des projets de démonstration. Ces projets visent à concrétiser des idees nées du concours, du programme communautaire et des analyses conceptuelles.
5La principale conclusion de ces études et du concours est la suivante : la conception des rues principales en tant que modèle typologique et morphologique, prenant de profondes racines historiques à Toronto, continue d’être valable pour servir de base à un réaménagement et à une nouvelle intensification de la forme de la ville. Cependant, puisqu’il existe une large variété de contextes urbains différents dans la ville, chacun d’eux méritant des solutions de conception particulières, il ne fait aucun doute qu’une palette de stratégies est nécessaire pour les rues principales.
6Les terrains disponibles sur les rues principales de la ville sont si étendus que le potentiel de réaménagement résidentiel et commercial est très important. En général, ces marchés se complètent mutuellement et ne sont pas en concurrence. Il n’y a donc aucune raison de penser que les utilisations de l’espace à des fins fonctionnelles altéreront les qualités et les agréments de l’environnement résidentiel. On peut avancer l’argument selon lequel avec le temps, une disponibilité étendue d’un espace aussi flexible, en particulier quand il est relativement peu cher, est extrêmement importante pour une ville pour permettre l’installation de nouvelles entreprises et l’implantation de nouveaux groupes, dans une double perspective, à la fois économique et culturelle.
7A Toronto, les rues principales existantes sont caractérisées par une série bien proportionnée d’immeubles bas ou moyens rassemblés en étroits lots. En règle générale, dans ces immeubles à façade étroite, qui donnent directement sur la rue, un nombre relativement faible d’habitants partage la même allée et le même palier. Cela peut améliorer les relations de voisinage, ce qui n’est pas chose facile sur les longs paliers anonymes des grandes barres d’immeubles que l’on trouve traditionnellement dans les villes. Les façades étroites représentent la structure sous-jacente d’un rythme répétitif de façades et d’entrées au niveau de la rue, avec des utilisations résidentielles et fonctionnelles.
Respecter la structure urbaine
8Dans les rues principales, les dimensions moyennes d’un lot d’immeubles sont de 10m x 30m et 83 % des façades ont moins de 12m de large. Cette succession bien proportionnée est en très net contraste avec les types d’immeubles à plusieurs étages qui sont apparus en d’autres lieux, au moment où l’industrie a tenté d’optimiser l’aspect fonctionnel des ascenseurs et des corridors.
9Si cette tendance est encouragée, on craint que l’assemblage des sites donnant sur les rues principales ne conduise à des démolitions et au remplacement des immeubles existants par des blocs d’immeubles habituels aux longues façades monolithiques ne présentant que des entrées uniques. Même si la hauteur de ces bâtiments est réglementée, ce type d’immeubles ne correspond absolument pas à la disposition habituelle observée sur les rues principales, et il menace le concept de ces rues, à savoir une succession variée et continue d’immeubles et de locaux individuels. C’est la raison pour laquelle il convient d’exercer un contrôle sévère sur la forme des façades des nouveaux immeubles érigés dans les rues principales.
10Ces rues principales présentent des caractéristiques aussi bien culturelles et historiques qu’architecturales. La réglementation concernant les façades n’est donc pas uniquement une question de design ou d’esthétique. Comme on peut déjà le constater sur plusieurs nouveaux immeubles, un traitement correct de la façade d’un grand bâtiment peut facilement donner l’impression qu’il s’agit en réalité de plusieurs petits immeubles distincts. Cependant, un grand immeuble ne peut pas simuler la contribution unique qu’apporte chaque immeuble individuel à la composition sociale et culturelle de la rue.
11Dans les villes qui ont établi des modèles traditionnels de formes de construction, l’objectif commun est de concevoir un réaménagement tout en respectant les caractéristiques essentielles de la structure urbaine existante. A San Francisco et Philadelphie, ces préoccupations ont conduit les conseils municipaux à prendre des mesures réglementaires visant à assurer la continuité de l’échelle architecturale, à la fois horizontale et verticale.
Soigner l’environnement de la rue
12Dans environ 70 % des blocs d’immeubles qui longent les rues principales, on trouve des voies parallèles à la rue. Historiquement, à Toronto, ces voies ne servaient pas de rues secondaires. Le manque de sécurité est un sujet d’inquiétude fréquent à propos de l’utilisation de ces voies. Du fait qu’elles ne sont pas très utilisées, elles ne bénéficient généralement pas d’un éclairage satisfaisant, ni d’une surveillance correcte. Cependant, dans plusieurs projets intéressants présentés lors de différents concours, il est suggéré de développer simultanément de longues façades. Ainsi, les voies secondaires pourraient jouer un rôle plus important, servant d’accès de service et de petites rues pour les piétons et les véhicules. A Toronto, ainsi que dans d’autres villes, on trouve des exemples de voies intégrées dans la hiérarchie des rues, formant ainsi un réseau plus fin de rues résidentielles.
13L’un des principaux desseins des rues principales est d’intégrer d’importantes masses de population au modèle citadin traditionnel d’espaces sociaux linéaires, c’est-à-dire les trottoirs, qui associent solidement sociabilité et orientation des piétons. C’est ainsi qu’il faut s’efforcer d’encourager l’intensification des rues pour rendre ces espaces animés, intéressants et agréables. Cela devrait consister en une importante série d’améliorations des endroits à usage piétonnier, comme par exemple créer des trottoirs assez larges, assurer un éclairage correct des rues piétonnières, et les agrémenter d’arbres et de divers materiels. Les espaces piétonniers peuvent être encore améliorés grâce à des systèmes spéciaux de pavement, de signalisation et d’information.
14On doit également encourager l’installation de différentes structures de protection, comme des abris-bus, des baldaquins et des auvents servant d’abris pour des activités extérieures, et destinés à chaque immeuble. Zone par zone, les réglementations concernant les terrasses des cafés doivent être révisées et simplifiées. Comme les rues principales ont une capacité résidentielle grandissante, il faut veiller à améliorer la qualité de l’environnement des rues.
15Généralement, du fait de leur localisation à proximité de zones résidentielles, des aménagements communautaires existent déjà dans les rues principales ou dans leur voisinage. Cependant, il peut être nécessaire d’intensifier et d’améliorer les équipements communautaires comme les parcs, les espaces libres, les garderies, les bibliothèques etc..., destinés aux nouvelles populations dans certaines zones. Il faut exercer un contrôle zone par zone pour déceler d’éventuels défauts. La ville doit prendre l’initiative de créer des équipements communautaires ou d’améliorer ceux qui existent déjà, en particulier si l’aménagement s’intensifie dans des zones peu étendues, et il n’est donc pas possible de satisfaire ces besoins par des installations à grande échelle.
16Les rues principales de Toronto sont une composante essentielle de la forme et de l’image de la ville. Aujourd’hui, elles sont insuffisamment développées et sous-exploitées en tant que ressource mais elles possèdent les principales infrastructures nécessaires à une intensification résidentielle ou servant à d’autres utilisations. Il est aujourd’hui reconnu que, si elles bénéficient de conditions d’aménagement plus favorables, les rues principales pourraient absorber une importante partie des nouvelles populations de résidents et elles peuvent offrir toute une série d’autres utilisations en transformant des espaces libres et/ou en construisant de nouveaux immeubles. On peut dire qu’une telle intensification renforcera les liens entre les quartiers de Toronto, aidera à loger des populations trop éloignées et à utiliser les infrastructures communautaires qui sont déjà en place.
Auteur
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Ken Greenberg
Architecte. Berridge, Greenberg and Associates, Toronto
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