La dimension économique du patrimoine culturel
p. 45-47
Texte intégral
1Patrimoine, culture, économie, apparaissaient pour l’essentiel antinomiques jusqu’à une date récente. Mais on reconnaît aujourd’hui au patrimoine, à côté de sa valeur culturelle, une dimension économique non négligeable. Comment développer l’une ou l’autre ?
Le patrimoine, ressource culturelle
2En France nous possédons 38 000 monuments classés ou inscrits, plus tout ce qui n’est pas protégé. Et l’on assiste aujourd’hui à l’extension du champ patrimonial qui, outre les monuments, musées, bâtiments religieux, s’étend aux sites archéologiques ou industriels et aux savoir faire. Le patrimoine est concret, matériel, proche... au contraire d’autres formes de culture plus élitistes. Pourtant, les études de fréquentation montrent que, pour les grands Monuments, l’accès n’est pas démocratique. Le patrimoine est le témoin de l’histoire des moeurs, la preuve de sa permanence à travers les épreuves. Sa qualité essentielle réside dans son adaptation grâce à une réponse individuelle et collective appropriée. Témoin aussi de l’homme dans son environnement, dans son milieu. Patrimoine également représentatif de l’évolution du goût, de la variété du beau... Il est également capital dans l’expression du réflexe identitaire qui caractérise nos sociétés post-industrielles en crise morale.
Le patrimoine, ressource économique
3Le patrimoine est bien réparti sur le territoire national ; il représente une nouvelle chance pour les régions et les communes les moins favorisées.
4A l’époque de la diversification des ressources économiques et de l’accroissement de la mobilité des gens (tourisme local, régional, national, international), de l’accroissement du temps des loisirs comme de l’ouverture de l’école au monde extérieur, les flux touristiques deviennent un atout non négligeable. Le vieil axiome "Le tourisme appauvrit" n’est plus vrai.
5Le patrimoine procure un certain nombre de ressources directes, en augmentation régulière depuis 10 ans : billetterie (en moyenne 15 F/visiteur) et produits commerciaux (1 à 12 F/visiteur, moyenne de 5 F). Mais il procure aussi de multiples ressources indirectes : hébergement, nourriture, services, transport. Le ratio est difficile à établir. On l’estime à 60 F en moyenne par visiteur. Globalement, on estime que le patrimoine représente 10 % des ressources touristiques françaises, qui se montent au total à environ 40 milliards de F/an.
6Par ailleurs, le patrimoine contribue à l’attractivité d’une région ; il attire des activités et des cadres. Il participe à la réhabilitation du cadre général de vie, environnement naturel et bâti, activités culturelles. Il offre une symbolique forte, marquant une région, facteur d’identité et même d’intégration des population allogènes. Si l’animation est bien faite, il est facteur de dynamisation sociale et moteur d’investissement, mais aussi facteur de curiosité, d’ouverture d’esprit, d’atténuation de complexes...
L’innovation nécessaire
7Il ne faut pas s’intéresser uniquement au grand patrimoine, qui a souvent atteint son seuil de saturation et peut même se dégrader très vite, où d’autre part les seuils de rentabilité économique sont franchis et où les recettes nettes ne peuvent plus croître.
8En France, 12 monuments reçoivent plus de 100 000 visiteurs par an. Les monuments de la région parisienne ont 37 millions de visiteurs, ceux de la seconde région française, le Val de Loire, 4 millions seulement : il reste donc beaucoup à faire pour développer le patrimoine français hors Paris.
9Il ne faut pas s’intéresser uniquement au tourisme à grande distance : la fréquentation de la population régionale (moins de 50 km), toutes les études le montrent, est très importante, notamment pour éviter les temps morts et les inactivités des inter-saisons. N’oublions pas que le patrimoine n’est quasiment jamais la seule motivation du tourisme : il se conjugue avec gastronomie, activités sportives, nature...
10Le patrimoine – et plus largement les activités culturelles – nécessitent, pour devenir un atout de développement, de retrouver une qualité de l’environnement, de l’urbanisme, ainsi que toutes sortes d’équipements complémentaires et de services : il faut donc mettre au point des plans concertés d’investissement et aider aux initiatives privées (commerce, hôtellerie...).
11Le patrimoine ne doit pas être seulement conservé et présenté, il doit être animé. Une étude récente sur le Pont du Gard montre que, devant ce chef-d’oeuvre impressionnant de l’architecture, les visiteurs s’intéressent à la manière dont l’aqueduc a été construit, comment il amenait l’eau entre Uzès et Nîmes, ce qu’était l’eau dans la civilisation romaine... Il existe de multiples réponses possibles à de telles curiosités :
- salles d’interprétation, musées de sites, introductions audio visuelles,
- guides-animateurs de qualité (Caisse Nationale des Monuments Historiques).
12Le patrimoine est, par nature, statique. Il contraste avec les caractéristiques d’une société médiatique, fébrile. Il faut donc créer des événements thématiques, liés aux lieux que l’on présente (ex. : expositions temporaires à Charavines) ou au contraire, créations plastiques contemporaines, musique (Monuments en musique), théâtre. Ces événements Axent le public local et régional, qui est le meilleur atout de communication. Ils doivent être d’une haute qualité culturelle, mais aussi en fonction des objectifs économiques : exemple du Festival Viking d’York.
13Le renforcement des activités pédagogiques doit être effectué en liaison avec le monde enseignant, pour sensibiliser les futurs adultes : leur faire aimer, apprécier, davantage que leur enseigner les styles et les techniques. Ce seront les ateliers de patrimoine, les classes de patrimoine...
14On doit éviter la mauvaise qualité, la vulgarité, la facilité : le goût du public s’améliore. Je suis contre les musées de cire, les fast-foods culturels, qui tueraient la poule aux oeufs d’or... Eviter le gigantisme de certains projets.
15Last but not least, il reste à rénover les systèmes de gestion du patrimoine : faire entrer l’initiative, l’autonomie, la compétitivité, l’intéressement... Bref, pousser à l’esprit d’entreprise ! Trouver aussi des systèmes de gestion moins onéreux.
16Chaque site, chaque quartier, chaque monument doit mettre au point sa propre stratégie de communication.
Conclusion
17– Culture, patrimoine, économie : vaste champ nouveau à explorer, sans verser d’un extrême dans l’autre.
18– Nécessité de nouveaux professionnels pour concevoir, créer et gérer.
19– Nécessité d’une intervention publique pour coordonner les efforts, créer l’infrastructure : la conservation, la gestion, l’animation du patrimoine coûtent cher (entre 2 et 3 milliards de F/an), sa rentabilité directe est négative, c’est sa rentabilité indirecte (4 milliards de francs environ) qui est positive. Nécessité toutefois d’un assouplissement des procédures et des rigidités administratives.
20La France, avec son Etat central fort et l’atout nouveau de sa décentralisation, est en bonne place...
Auteur
Directeur de cabinet du Ministre de la Jeunesse et des Sports. Ancien Directeur de la CNMHS (Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites) à Paris.
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