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L’Observé statistique

 | 
Lahsen Abdelmalki
, 
Jean-Louis Besson

Deuxième partie. Categories et institutions statistiques

Le T.E.S. au service de la mesure de l’économie non enregistrée*

Propositions méthodologiques pour les pays en voie de développement

Michel Seruzier

Texte intégral

  • * Cet article est publié avec l’autorisation de l’INSEE et du Ministère de la Coopération. Il a été p (...)

1L’insuffisance des données statistiques, leur fiabilité limitée, rendent plus particulièrement difficile l’élaboration des comptes nationaux des pays en voie de développement (PVD). Cette insuffisance n’est cependant pas un apanage, car tous les pays se heurtent à la même difficulté : une partie non négligeable de l’activité économique échappe à la collecte statistique, quel que soit l’effort réalisé pour réduire les zones d’ombre.

2La prise de conscience de l’existence de cette économie non enregistrée est maintenant générale, même si l’attention se porte, selon les cas, sur la partie dite informelle, ou sur la fraude fiscale, ou encore sur l’économie domestique, sans oublier tout ce qui concerne les activités illégales. Au delà des sensibilités différentes des auteurs qui traitent de la question, chacun s’accorde à reconnaître l’importance du phénomène : et la tendance est même à penser qu’il s’agit d’un phénomène en développement. Mais l’absence de mesure fiable empêche de savoir si ce développement est réel, ou si celui-ci ne résulte que d’un élargissement de cette prise de conscience.

3 Quoi qu’il en soit de cette interrogation, il est certain que l’absence d’enregistrement statistique de ces activités économiques ne dispense pas de les prendre en compte dans la mesure que la comptabilité nationale (CN) prétend faire de l’économie d’un pays.

4Dans le cas des PVD, cette exigence est d’autant plus forte que la partie formelle de l’économie est assez réduite, et que le suivi administratif et statistique est souvent moins performant. Mais il faut simultanément signaler la différence de nature qui existe dans le contenu des activités non enregistrées de ces pays, en comparaison avec ce que peuvent connaître les pays développés : on y trouve en particulier une forte économie de subsistance en milieu rural, et un niveau élevé de sous emploi (actif) en milieu urbain : en revanche, la notion de travail au noir n’y est pas pertinente.

5Pour répondre à ce défi, il est nécessaire de repenser la démarche statistique, afin d’apporter le complément d’information que les outils traditionnels sont dans l’incapacité de fournir. Mais il faut aussi, et sans attendre l’amélioration statistique, disposer de méthodes d’élaboration de la CN qui permettent d’appréhender le mieux possible tout cet espace de l’économie non enregistrée. C’est ce que peut permettre une utilisation rigoureuse du modèle proposé dans le cadre du tableau entrées-sorties (TES).

6Dès les origines, les comptables nationaux français ont eu l’intuition de la nécessité de saisir de manière indirecte ce qu’on ne trouvait pas dans les statistiques sur l’activité économique nationale. Dans la base 62, par exemple, des redressements pour fraude, différenciés par activité, avaient été introduits pour évaluer le PIB. D’autres pays ont depuis développé cette approche ; on cite actuellement le cas de l’Italie, pour qui les redressements introduits au titre de l’économie non enregistrée représentent de l’ordre de 15 % du PIB.

  • 1 « Construire les comptes de la nation » Michel SERUZ1ER, Ministère de la coopération – Paris, 1988.

7Pour ma part, j’ai développé depuis 15 ans une approche similaire dans plusieurs pays (surtout des PVD), à l’occasion de la mise en place de TES intégrés à la modernisation de leur comptabilité nationale. Cette communication est l’occasion de rendre compte d’une méthode qui s’est affinée au fur et à mesure de l’expérience acquise. De nombreux développements complémentaires sont proposés en1.

1. Quelques éléments méthodologiques

8La notion même d’économie non enregistrée est souvent associée à des concepts par ailleurs mal définis, et il est fréquent de la voir assimilée à la seule économie dite souterraine ou encore à l’économie informelle. Un effort de définition est donc nécessaire, qui porte à la fois sur la notion de production, et sur les différentes formes que peut prendre cette production quand elle n’est pas connue statistiquement. On notera d’ailleurs que le débat se poursuit encore actuellement autour de telles définitions.

1.1. Quelle extension donner à la production ?

9Constatons d’abord que la CN introduit une frontière au sein des activités économiques, par la définition qu’elle propose de la production. Car seules les activités productives donnent naissance à un revenu et sont prises en compte comme telles dans le TES. Les traces laissées par les autres se limitent :

  • aux transferts qu’elles occasionnent entre secteurs institutionnels ;
  • aux consommation finales que les ménages peuvent avoir pour en assurer la réalisation.

10Dans la suite de ce document, nous ne nous intéressons qu’aux seules activités non enregistrées relevant de la production, et aux facteurs que ces activités mettent en œuvre. Encore faut-il préciser comment articuler les deux notions.

a) Les principes

11Pour le SCN, une activité est considérée comme productrice dès lors que l’un des éléments suivants intervient dans son exercice :

  • faire appel à une force de travail rémunérée,
  • utiliser des biens considérés comme support du patrimoine de la nation (capital fixe),
  • créer des biens ou des services destinés à être échangés sur le marché. Du point de vue de la logique économique, la production :
  • offre des produits ;
  • utilise des facteurs de production : CI, force de travail, capital fixe,
  • génère un revenu.

12Certains des produits créés sont offerts sur le marché ; la production correspondante est alors mesurée par le prix de la transaction à laquelle ils donnent lieu. On retient sinon comme mesure le coût des facteurs mis en œuvre pour leur production.

13En pratique, une telle définition se concrétise dans une nomenclature de biens et services ; on y trouve en particulier tous les biens (y compris ceux produits pour compte propre), les services commercialisés, la location de logements (même quand ils sont occupés par leur propriétaire) et enfin les services non marchands assurés par les administrations publiques ou privées.

14Sont en revanche exclus les services que les ménages réalisent pour compte propre (le travail domestique non rémunéré, par exemple) ou à titre gratuit entre eux.

15Mais rien n’est dit par exemple concernant les activités illégales (drogue, prostitution, ...), ou l’exercice illégal d’activités légales (travail au noir, fraude fiscale, ...). En principe, devraient être incluses dans la production toutes les activités dont le produit donne lieu à transaction conclue entre parties consentantes, et donnant lieu à établissement d’un prix, quelle que soit la légalité de l’opération. Reste à savoir cependant dans quelle mesure un pays peut faire apparaître dans sa CN des activités réprouvées (telle la drogue), ou dont le montant dépasse le plafond qu’il s’est engagé à faire respecter (quota de production ou d’exportation par exemple).

b) La mise en œuvre

16Dans le cadre même de ces définitions, la mise en œuvre laisse de nombreux degrés de liberté, mais se révèle dans certains cas particulièrement délicate.

17La première des difficultés concerne justement le point qui fait l’objet de notre propos : comment mesurer des activités pour lesquelles l’information fait défaut ? Un choix est toujours possible : ne pas les mesurer. Mais il faut alors bien faire connaître le contour plus restreint retenu pour la production ; sinon, c’est donner implicitement la valeur O au phénomène ignoré.

18Mais le risque n’est pas moins grand quand on fait le choix de les mesurer. Car toute mesure ne peut être qu’une approximation du réel dont on veut rendre compte. Et cette approximation est d’autant plus grande que la qualité de l’information disponible est plus réduite. La marge d’erreur est déjà élevée lors de l’établissement des comptes d’une année de base (on s’intéresse alors davantage à la structure de l’économie nationale). Elle est encore renforcée quand on travaille en années courantes (l’objectif principal étant alors l’évolution) : un changement dans la couverture que l’information donne du phénomène modifie d’autant l’évolution recherchée.

19Prendre en compte la difficulté de la mesure est nécessaire. Mais il faut également se situer par rapport à d’autres critères, et donc éventuellement retenir dans le contour de la production des activités dont la mesure se révèle très difficile. De tels critères se réfèrent à ce qu’on veut mesurer au moyen de la comptabilité nationale, et donc à l’utilisation que le pays désire en faire (le comptable national n’est pas le seul maître de sa décision).

20Parmi ces critères, on peut évoquer les suivants :

  • Mesurer tout ce sur quoi prétend s’exercer l’autorité des Pouvoirs Publics : c’est ce critère qui semble inspirer la définition retenue par le SCN. L’illégal en fait nécessairement partie. En revanche, en est exclue la création de valeur en dehors des sphères socialement organisées.
  • Limiter la mesure aux activités sur lesquelles les Pouvoirs Publics ont les moyens d’agir pour leur politique économique. Ceci exclut les pratiques illégales, mais aussi tout ou partie de l’économie informelle.
  • S’intéresser principalement à l’économie de marché : la tendance est alors à ne pas s’intéresser à l’économie d’auto-subsistance.
  • Mettre l’accent sur la production comme créatrice d’emploi : c’est la définition retenue pour l’emploi qui sert alors pour établir le contour de la production.
  • Etre attentif à la valeur créée : la tendance est alors d’élargir le plus possible le contour de la production, y compris à l’économie domestique.

1.2. L’économie non enregistrée

21Parmi tous les évènements économiques que la CN prétend mesurer, un bon nombre d’entre eux échappe à l’enregistrement statistique direct. Or il s’agit d’un phénomène plus ou moins diffus, aux multiples composantes, face auquel le statisticien se trouve impuissant : c’est une situation de « non-être » statistique.

22C’est à cette situation d’absence statistique que le terme d’« économie non enregistrée » se réfère donc, et non à l’absence d’enregistrement d’unités dans des registres administratifs ou autres. Certes, certains agents échappent à l’enregistrement statistique ; mais ce phénomène concerne aussi des flux (ceux du commence extérieur, par exemple) ou des stocks que la statistique prétend saisir directement ; et on sait enfin que les agents économiques recensés ne déclarent pas tous les flux qui les concernent.

23On aimerait faire une typologie de cette économie non enregistrée. Une telle démarche se heurte cependant à l’impossibilité de trouver une grille homogène de lecture du phénomène. Et ceci se manifeste d’ailleurs à travers la multiplicité des approches que proposent les textes traitant de la question.

a) Une situation de « non-être » statistique

24Pouvoir recenser la totalité des populations qu’il prétend mesurer est la préoccupation permanente du statisticien. Mais il sait également que cet objectif est inaccessible ; et que le vide résiduel ne peut être évalué avec certitude.

25Pourtant, ce vide existe, et il est révélé tout à la fois par des traces statistiques indirectes (par exemple certains écarts inexpliqués entre sources), par la connaissance qualitative de certains phénomènes socio-économiques (comme la fraude fiscale), ou encore par l’existence de comportements connus à l’échelle microéconomique (tel le travail au noir).

26La collecte statistique comporte principalement trois approches :

  • profiter d’évènements administratifs,
  • enquêter (par sondage),
  • recenser. Et elle saisit à cette occasion des informations relatives à des flux, à des stocks ou à des agents économiques. La défaillance peut alors provenir :
  • de données mal déclarées (erreur de collecte ou fausse déclaration) ;
  • de données sous-déclarées (principalement pour cause de fraude),
  • de l’absence de réponse de ceux qui auraient dû faire une déclaration (non connu, non rencontré, ou refus de répondre),
  • ou encore parce que la nature de l’enquête ne permet pas une couverture exhaustive.

On notera en particulier que tout comportement économique en marge de la légalité a de grandes chances d’échapper à la connaissance du statisticien.

b) Des approches indirectes

27Face aux limites de la mesure que connaît le statisticien pour informer sur les phénomènes économiques, l’économiste (et en particulier le comptable national) doit trouver d’autres chemins pour rendre compte de ces phénomènes. Mais ceux-ci sont nécessairement indirects, et du même coup partiels. Il se révèle en particulier impossible de proposer une grille de lecture homogène, du point de vue économique, de cette situation de non-enregistrement. On peut au mieux l’étudier selon diverses perspectives, ce qui permet d’éclairer les causes d’un tel vide statistique.

Au regard de la légalité

28En général, les activités illégales échappent à l’enregistrement statistique. Mais elles ne sont pas les seules.’Par ailleurs, le critère de la légalité recouvre des approches différentes ayant toutes leurs répercussions statistiques spécifiques :

  • le droit commercial : en particulier pour la constitution des personnes morales ; mais aussi à propos de la véracité des comptabilités ;
  • selon le droit administratif : obligation d’enregistrement des personnes (physiques ou morales), des biens (terrains et immeubles, véhicules...), de certaines transactions, ... ;
  • selon le droit du travail ;
  • selon le droit fiscal (et autres déclarations prévues pour des prélèvements obligatoires) ;
  • selon le droit pénal : exercice illégal de certaines activités (le braconnage, par exemple) ; mais aussi exercice d’activités illégales (telles la production et la commercialisation de certaines drogues).

Au regard de l’emploi de la main-d’œuvre

29En principe, le personnel des grandes entreprises et des administrations est salarié dans le respect du droit du travail, du moins s il est déclaré comme tel : on trouve cependant des cas où la rémunération de l’emploi se fait par le biais de consommations intermédiaires.

30Pour les autres unités de production, la mise en œuvre du facteur travail donne lieu aux situations les plus diverses :

  • emplois précaires sous diverses formes (durée déterminée, intérimaires, à la tâche, à l’heure, à la journée...),
  • travailleurs indépendants (dont les professions libérales), avec ou sans salariés,
  • aides familiaux,
  • apprentis, ...

31Les emplois correspondants, quand ils sont salariés, ne sont pas toujours déclarés ; les personnes peuvent avoir plusieurs emplois simultanés ; les durées sont très variables ; certains travailleurs sont clandestins ;...

32On comprend que certaines de ces situations rendent difficile l’enregistrement statistique, même quand il n’y correspond pas une situation illégale.

Au regard du capital avancé

33Le critère proposé ici est plus spécifiquement économique. Certains le mettent en avant pour caractériser l’économie informelle. Seraient formelles en effet les unités de production pour lesquelles l’avance de capital se fait dans une perspective de rentabilité de celui-ci. A l’inverse, pour l’économie informelle, l’avance éventuelle de capital est réalisée en vue de permettre un revenu à ceux qui engagent leur force de travail (voir [2]). Il s’agit alors d’unités généralement plus petites, moins organisées socialement, et donc plus sujettes à passer entre les mailles des statisticiens. Mais il va de soi qu’une partie de l’économie informelle est enregistée.

Au regard de la technologie

34La technologie développée par chaque activité a des conséquences importantes sur son organisation sociale, et donc sur le risque de voir les unités qui l’exercent échapper à l’enregistrement statistique. On constate également, à l’intérieur d’une même activité, la mise en œuvre de technologies différentes faisant appel à des proportions différentes entre le capital fixe et le travail. Or, on constate une probabilité d’autant plus grande de non-enregistrement que la part du capital fixe est plus faible, et le travail spécialisé moins important.

Au regard des lieux de production

35La nature du lieu de production a une incidence directe sur la capacité des statisticiens à en faire le recensement. Un lieu distinct et possédant une adresse spécifique en milieu urbain constitue la situation la plus favorable. C’est également le cas des activités exercées dans le cadre d’un magasin fixe. Dans les deux cas, ils échappent difficilement au recensement des établissements.

36Les autres situations sont plus difficiles à recenser :

  • travail à la maison,
  • ambulants,
  • chez des tiers (dont les métiers du bâtiment),
  • établissements ruraux.

c) Quelques exemples

37Pour aider à la réflexion sur les principes énoncés ci-dessus, il peut être utile de proposer un certain nombre d’exemples de phénomènes économiques non enregistrés. On propose éventuellement le traitement qui semble le plus approprié en CN.

  • L’activité des Institutions Privées sans But Lucratif (IPSBL) : il est rare que ces organismes donnent lieu à collecte statistique. Or leur poids économique peut être très important dans certains pays ; et certains déploient une activité marchande.
  • La contrepartie de l’aide internationale, tant publique que privée : Cette aide n’est généralement pas recensée dans les comptabilités des organismes résidents chargés d’en suivre ou d’en assurer la mise en œuvre. Elle se traduit le plus souvent par une production non marchande.
  • Le travail non rémunéré (bénévolat, mais aussi travail obligatoire).
  • La contrebande : l’exportation est la contrepartie d’une production locale, l’importation donne généralement lieu à une activité commerciale associée.
  • L’autoproduction familiale : on limite généralement la mesure en se donnant une liste restreinte de biens susceptibles d’être produits.
  • Activités illégales (ou légales pratiquées illégalement) : loteries, prostitution, drogue, prêts, ...
  • Fraude fiscale : ce sont normalement les ménages qui en sont finalement les bénéficiaires. Quand elle est pratiquée par les sociétés, le flux correspondant est à traiter comme un dividende.
  • Pots-de-vin : en complément à une transaction, ils devraient majorer celle-ci (et donc accroître la production du vendeur) ; versés à des détenteurs d’un pouvoir (fonctionnaires par exemple), peut-il seulement s’agir de transferts entre les ménages ?
  • Détournements de fonds : ceci s’apparente au vol, et donc à un flux non transactionnel, à traiter en compte de réconciliation ; mais ils sont le plus souvent comptabilisés sous le couvert d’autres flux, CI en particulier, ce qui réduit d’autant le PIB.

2. Le modèle proposé dans le cadre du TES

38On connaît l’intérêt que présente la matrice des échanges intermédiaires (dite matrice de Léontiev) pour analyser la structure de l’appareil de production d’un pays et en projeter l’évolution par inversion de la matrice des coefficients techniques. Plus généralement, le TES est devenu un instrument privilégié de la prévision économique.

39Mais les relations mises en jeu par le TES sont en fait beaucoup plus nombreuses ; et elles sont utilisables non seulement pour la prévision, mais aussi pour mener à bien l’élaboration d’un tel tableau.

40En utilisant toutes les informations qui peuvent être rassemblées, et en s’assurant de la cohérence de toutes les équations implicitement présentes dans le système, on s’oblige à la mise en concordance des diverses sources utilisées ; et par le fait même, ou obtient des évaluations pour une partie importante de l’économie non enregistrée.

41Nous proposons donc un inventaire des différentes relations plus ou moins implicites qui sont présentes dans le TES.

2.1. Le couple branche-produit

42Le principe du TES repose sur la biunivocité proposée entre une famille de produits et les unités qui en assurent la production ; et on appelle branche le regroupement de ces unités (unités de production homogènes ou établissements). La production de la branche est identiquement une ressource pour le marché des produits correspondants (aux productions secondaires près, à reclasser selon leur nature). Et cette production intervient, tant du côté de la branche que du côté du produit, dans différents équilibres comptables.

a) Du côté du produit

43C’est l’équilibre ressources – emplois (ERE) qui est en jeu ici ; la production y est associée au commerce extérieur, aux emplois intermédiaires et aux emplois finals ; en quantités physiques quand cela a un sens ; et de toutes façons en valeur (en tenant compte des taxes nettes affectées aux produits, des marges de transport et des marges commerciales). Cette relation existe également à prix constants, pour les comptes en année courante.

44Cet équilibre est utilisé pour chaque produit élémentaire de la nomenclature ; et il est le lieu de convergence de sources statistiques hétérogènes, dont la cohérence est généralement transversale par rapport aux produits (c’est le cas par exemple de la statistique douanière). Enfin les emplois intermédiaires du produit interviennent dans d’autres couples branche-produit.

b) Du côté de la branche

45La production intervient comme ressource principale des comptes de production et d’exploitation, dont le solde est l’excédent net d’exploitation (ENE). Et contrairement aux apparences, il s’agit également d’un équilibre comptable fermé, dans la mesure où cet ENE est simultanément évalué à partir des comptes de revenu des secteurs institutionnels.

46Dans le cas des comptes de production et d’exploitation, on dispose en général d’une source homogène : il s’agit des données en provenance des établissements (éventuellement des entreprises). En revanche, chacun des postes concernés interfère avec des données complémentaires :

  • la production : avec l’emploi et avec le capital fixe mis en oeuvre (cette relation mesure la productivité des facteurs) ;
  • les consommations intermédiaires : ce sont les coefficients techniques, qui mettent par ailleurs en relation avec les autres couples branche-produit ;
  • la rémunération du personnel : avec le personnel salarié d’une part, avec les cotisations sociales collectées d’autre part ;
  • les impôts et subventions : la base légale de ces opérations permet leur mise en relation avec les éléments qui en fondent l’évaluation par les services fiscaux (production en valeur ou en quantité, force de travail utilisée....) ;
  • la consommation de capital fixe : avec les immobilisations de la branche, et avec la FBCF des années antérieures ;
  • l’ENE, avec les comptes des secteurs institutionnels, mais aussi avec l’emploi non salarié et avec le capital avancé.

2.2. Les filières

47Chaque couple branche-produit est relié aux autres, en amont et en aval, par le biais des consommations intermédiaires. En amont, elles correspondent à une colonne du TES ; en aval, à une ligne. En général, de tels liens sont multiples : une branche consomme plusieurs produits, un produit est utilisé par plusieurs branches.

48Il existe cependant des enchaînements privilégiés : quand un produit est transformé par une seule branche ou quand une branche fait un usage prioritaire d’un produit donné. On parle alors de filière de production et de tels enchaînements appellent une attention particulière. Il suffit par exemple de bien connaître une seule des étapes de transformation d’une filière pour être en mesure de reconstituer l’ensemble.

2.3. Les relations transversales

49Pour chacune des opérations qui interviennent au niveau élémentaire des équations étudiées ci-dessus, il existe en même temps une approche d’ensemble pour laquelle une réflexion spécifique peut être menée :

  • Le montant total des marges de commerce et de transport calculées au niveau de chaque produit doit redonner la production de la branche correspondante (commerce ou transport de marchandises).
  • Le commerce extérieur total prend sa place dans le compte du reste du monde (sans oublier ce qu’en dit la balance des paiements).
  • La FBCF et les variations de stocks sont également connues à partir des données comptables des unités institutionnelles (éventuellement aussi, des établissements) ; elles font partie du compte de capital des secteurs ; certaines relations économiques peuvent également être utilisées pour contrôler les évaluations retenues (nature du capital Fixe utilisé par les branches, équilibre entre l’offre et la demande pour la variation des stocks...).
  • La consommation finale est éventuellement connue à partir des enquêtes de consommation. Et on doit s’interroger de toutes façons sur la structure de la consommation qui résulte des équilibres par produit ; en année courante, on s’intéressera également aux élasticités qui ressortent des évolutions.
  • Sans être directement présent dans les équilibres, le montant de la population active occupée par branche constitue un élément très important de contrôle de la cohérence des résultats obtenus. Le total de cette population doit correspondre aux données démographiques étudiées par ailleurs.

2.4. La cohérence d’ensemble du TES

50Entre la demande des branches et l’offre des produits, et compte tenu des différentes contraintes imposées par le niveau et la structure des grands agrégats, l’équilibre peut être parfois difficile à trouver. Un certain nombre de cases privilégiées de la matrice (en particulier celles qui correspondent aux filières) permettent un premier balayage des contradictions possibles. Il reste ensuite à trouver des solutions satisfaisantes à toutes les contradictions qui demeurent, sans pour autant perdre de vue les différentes cohérences intermédiaires décrites ci-dessus.

51Au terme de ce paragraphe, il est important d’être au clair sur les conséquences des choix méthodologiques que suppose l’utilisation, au maximum de leurs possibilités, des multiples relations sous-jacentes à un TES. En effet, il existe une idée reçue selon laquelle le comptable national ne fait usage que des seules relations comptables ; le corollaire en est le calcul par solde de tout ce qui n’est pas connu directement.

52La démarche que cette communication propose est différente. Car elle prétend utiliser également les autres relations que donne l’interprétation économique du TES : relations techniques, institutionnelles et de comportement que l’information existante permet de mettre en place. A priori, tous les postes font l’objet d’une recherche d’information directe ou indirecte ; aucun solde n’est accepté sans subir un examen critique ; et font partie des grandeurs à mesurer tous les paramètres qui entrent dans les relations non comptables mises en place par les économistes, même si ces paramètres n’apparaissent pas comme tels dans les comptes nationaux.

3. Les sources disponibles et leurs limites

53La qualité du travail du comptable national dépend étroitement des sources dont il peut disposer : de leur variété et de leur qualité. Encore faut-il savoir comment rechercher et traiter les sources dont on a besoin. Car, au regard de la démarche proposée, toutes n’ont pas la même importance, et le risque existe de ne pas en tirer tout ce qu’elles peuvent apporter.

3.1. Un regard adapté sur les sources

a) Savoir les rechercher

54Un comportement « frileux » n’est pas de mise. A la manière d’un détective, le comptable national se doit de rechercher tous les indices possibles et de les passer au crible d’une critique sans concession. Proposons quelques repères à la mise en œuvre de cette méthode :

55On ne peut se satisfaire d’une seule source pour évaluer un poste dès lors que plusieurs peuvent être disponibles ;

  • toute information rencontrée est bonne à prendre en considération ;
  • le doute méthodique est de rigueur à l’égard de toutes les sources disponibles, même si elles ont la réputation d’être de bonne qualité (l’expérience m’a apporté bien des surprises !) ;
  • l’information est disponible dans les lieux les plus divers ; au sein de l’office des statistiques, d’abord ; dans les diverses administrations, ensuite ; et enfin chez de nombreux acteurs économiques et sociaux ;
  • l’information n’est pas seulement économique ; elle est également légale et administrative, démographique, sociale, technique...

b) Savoir les utiliser

56La quantité d’information qu’une source peut contenir est très disparate. Auprès de l’ordre des avocats, on obtient seulement le nombre des professionnels inscrits ; en revanche, un fichier fiscal peut contenir des millions de données. La démarche proposée ici vaut surtout pour les sources les plus abondantes ; mais c’est dans le même esprit qu’il faut aborder les plus restreintes.

Des informations à recueillir

  • Connaître la chaîne de production des données.
  • A quel univers se réfèrent-elles ? S’agit-il d’un univers global au regard d’une opération de la CN (ainsi, les données douanières du commerce extérieur) ou local (les immatriculations de véhicules, par exemple) ?
  • La source a-t-elle la prétention théorique de couvrir la totalité de l’univers visé (ainsi, l’enquête emploi en France ne concerne que les seuls ménages ordinaires) ?
  • Que sait-on de la couverture effective obtenue ?

Des tâches à accomplir

  • Procéder à une analyse critique des données : couverture effective, cohérence temporelle éventuelle, cohérence interne des données.
  • Mettre en place des bases de données propres à chaque source : on gardera le plus grand détail possible, et on introduira tous les redressements de qualité suggérés par l’étape de critique.
  • Transposer le contenu des bases de données selon les critères de la CN : définition des flux d’une part, conformité aux nomenclatures d’autre part. C’est seulement à partir de cette phase qu’une distance peut être prise par rapport à la source.
  • Procéder à de premières confrontations entre sources portant sur le même univers, quand la chose est possible, et ceci avant même d’entrer dans les travaux proprement dits de la CN.

3.2. Inventaire

57Nous proposons maintenant un inventaire des principales sources habituellement disponibles, dans le but de montrer ce qu’on peut attendre d’elles à propos de l’économie non enregistrée, et en signalant à chaque fois leurs défaillances les plus caractéristiques. Bien sûr, la qualité du résultat obtenu dépend de celle des sources utilisées.

a) Les sources globales à couverture théorique totale

58Ces sources sont peu nombreuses mais présentent une importance stratégique fondamentale pour explorer les domaines de l’économie non enregistrée. On trouve, par ordre d’intérêt décroissant :

  • Le recensement de la population : Il s’agit de la source la plus importante car elle permet de connaître l’ensemble de la population active occupée par métier et activité, ainsi que le revenu dégagé. Cette dernière information est certainement sous-estimée, mais elle permet de situer les personnes par rapport à une échelle des revenus. Une telle source informe mal sur les personnes travaillant au noir ou exerçant plusieurs emplois ; mais ces phénomènes sont peu courants dans les PVD. Cette source présente cependant deux inconvénients : elle est peu fréquente, et les démographes ignorent trop souvent l’usage économique qui peut en être fait.
  • L’enquête emploi : Quand elle existe, cette enquête permet l’actualisation du recensement.
  • Le recensement des établissements : Il s’agit d’un recensement simple, sans informations économiques sur l’activité exercée. Echappent le plus souvent les établissements ruraux, mais aussi les activités des ambulants, des artisans travaillant chez des tiers et enfin le travail fait à domicile. Un tel recensement est un complément précieux au recensement de la population pour situer la population active occupée par activité.
  • L’enquête de consommation des ménages : En général, le monde rural est mal enquêté ; certaines consommations sont sous-estimées (biens durables, tabac, alcool, bijoux et parfums, ...) ; l’inflation nuit également à la qualité des résultats. Mais cette enquête est de première importance pour mesurer le vecteur de la consommation finale.
  • Le commerce extérieur : Les défaillances de cette statistique sont malheureusement trop nombreuses : contrebande d’une part, dérogations à l’enregistrement d’autre part (en particulier à l’importation : militaires et autres administrations, chantiers d’entreprises étrangères, aide internationale, ...).
  • Les comptes des administrations, des banques et des assurances : Bien que théoriquement complète, la statistique relative aux administrations est bien souvent défaillante : absence d’une partie des administrations locales et de certains organismes décentralisés, non prise en compte de fonds spéciaux, domaines réservés, ...

b) Les autres sources globales

59– Les enquêtes et recensements économiques : Avec des techniques variées, ces sources s’intéressent aux différents domaines de la production marchande : agriculture, extraction, industrie, services, commerce, ... Elles interrogent les entreprises et/ou les établissements. Mais, de manière plus ou moins importante selon les techniques d’enquête et la nature des activités, ces sources ignorent une partie des unités de production, en particulier parmi les plus petites, l’informel, les marginales territorialement... Les sous-déclarations représentent également un phénomène important (il y a souvent identité entre ce qu’on déclare à la statistique et au fisc). C’est plus particulièrement au regard de ces sources qu’on parle d’économie non enregistrée.

60– Les déclarations fiscales : Il s’agit aussi bien des déclarations sur les revenus que celles relatives aux impôts sur les ventes (TVA ou autres). La sous-déclaration y est à la mesure de la fraude. Par ailleurs, un certain nombre d’acteurs économiques en sont dispensés (purement et simplement, y compris parmi les plus gros), ou tenus seulement à une déclaration forfaitaire qui ne dit rien sur le niveau réel de leur activité.

c) Les sources partielles à couverture théorique totale

61A leur niveau, ces sources constituent également un élément très important du repérage de l’économie informelle, dans la mesure où elles permettent un cadrage exhaustif sur un point précis des cohérences proposées par le TES. Parmi les plus intéressantes, on peut mentionner :

  • le recensement des logements,
  • les immatriculations de véhicules,
  • la mise en circulation des combustibles,
  • certaines productions uniquement réalisées par de grosses entreprises : électricité, ciment, produits chimiques de base, ...

4. Mise en œuvre

62Nous nous proposons maintenant de décrire comment on parvient à une mesure de l’économie non enregistrée dans le cadre de l’élaboration du TES. Une telle description est nécessairement sommaire, dans la mesure où cette élaboration suppose de multiples travaux. La méthode complète est présentée end, chapitres 7 à 11.

4.1. Rappel de méthode

63On décrit brièvement ici les différentes étapes par lesquelles se conduit l’élaboration du TES.

a) Mise en place de toutes les bases de données utilisées dans le processus

64Chaque base est relative à une source statistique, pour laquelle un travail de redressement a été effectué, portant à la fois sur la cohérence interne des données disponibles et sur la réintroduction des déclarations dont l’absence est constatée (complément de couverture).

b) Transposition à la CN des données par branches

65Ces données proviennent principalement des établissements ; pour celles qui proviennent des unités institutionnelles, un passage secteur x branche est nécessaire. Elles concernent :

  • les éléments des comptes de production et d’exploitation, à commencer par la production elle-même ;
  • les effectifs ;
  • les immobilisations et les stocks ;
  • la FBCF.

66Ces informations donnent lieu à élaboration de deux matrices :

  • une matrice de la production, qui fait passer de la production effective des branches à la production offerte des produits ;
  • une matrice des consommations intermédiaires des branches par produit.

c) Transposition à la CN des données transversales

67Il s’agit des données pour lesquelles la source propose une approche par opération. Le travail à réaliser consiste alors à répartir cette information par produit ou par branche selon les cas. Cela concerne :

  • le commerce extérieur et les droits et taxes sur importation ;
  • les taxes nettes affectées aux produits,
  • les impôts et subventions liés à l’activité,
  • les prix,
  • les stocks et leur variation,
  • les marges de distribution ; transport et commerce,
  • la FBCF,
  • la consommation finale des ménages,
  • l’emploi,
  • la rémunération des salariés.

68Pour cette étape, comme pour la précédente, il n’y a encore aucun redressement à effectuer concernant le non enregistré. On en reste strictement aux données statistiques disponibles, éventuellement redressées de leurs défauts intrinsèques. On se place en revanche dans le cadre des nomenclatures et des modes de valorisation prévus par le système. Une projection sur l’année travaillée est parfois nécessaire, quand la source se réfère à une autre année (le recensement de population, par exemple).

d) Arbitrages sur les branches

69Il s’agit de la mise en conformité des sources avec le modèle du TES selon une lecture par branche. Un des points clé de cette étape concerne l’adéquation entre la population active occupée telle que donnée par le recensement et l’emploi réparti par branche. L’excédent constaté sur-l’emploi donne lieu à une expansion de la production, selon des hypothèses appropriées de productivité.

70Ce travail permet également la prise en compte des filières, et des enchaînements que cela suppose sur les consommations intermédiaires. Là encore, par l’application de coefficients appropriés, on procède à la mise en conformité de l’ensemble de la fonction de production de la branche.

71Au terme de ce travail, on devrait disposer de nouvelles hypothèses de production des branches, à répercuter sur la production des produits.

e) Arbitrages sur les produits

72Ce sont les ERE qui sont les lieux de ces arbitrages. Ils permettent une confrontation entre offre et demande de produits. Une analyse par nature des produits offerts donne une indication sur leurs utilisations possibles. Une première estimation de la demande en consommations intermédiaires provient de la totalisation en ligne de la matrice des CI par branche. L’équilibre proposé est complété si possible par une décomposition par branche de l’emploi en CL

f) Arbitrages sur les opérations

73Pour chacune des opérations présentes dans les ERE ou les comptes de branche, les arbitrages rendus à ces niveaux peuvent modifier les valeurs initialement proposées lors de l’étape c) (éléments transversaux). Un nouvel arbitrage doit donc être rendu entre les données statistiques initiales et les valeurs résultant des arbitrages précédents. Pour certains d’entre eux, cela se traduit par la mise en place de matrices annexes :

  • FBCF par secteur, branche et produit,
  • Variation des stocks par secteur et produit,
  • Rémunération des salariés par secteur et produit,
  • Personnel occupé par secteur, branche et statut.

g) Synthèse finale

74A chacune des étapes des arbitrages décrits ci-dessus, certaines des corrections introduites induisent des retours sur les étapes antérieures ; d’autres ne font que confirmer des hypothèses déjà avancées. Le processus est donc itératif et suppose une mise en cohérence à tous les niveaux.

75Quand on estime être parvenu à une cohérence locale suffisante, les différents tableaux obtenus sont alors introduits dans le cadre du TES. Cette phase finale est l’occasion de rendre les derniers arbitrages nécessaires à l’équilibre d’ensemble du système productif.

76Les résultats ainsi obtenus sont alors introduits dans le TEE ; c’est le moment d’un arbitrage particulièrement délicat sur la valeur ajoutée (et l’EBE), entre les évaluations résultant du TES et celles tirées des comptes des secteurs institutionnels.

77Et pour finir, le TEE est également le lieu de l’interprétation des soldes entre opérations réelles et financières. Jusqu’au dernier moment, des retours sur les différentes étapes de l’élaboration du TES peuvent être envisagées.

4.2. L’organisation du travail

78On devine, à la lecture de ce texte, combien la démarche peut être complexe. Elle n’est possible qu’au prix d’une grande rigueur dans l’organisation du travail. L’informatique peut y tenir une place essentielle ; encore faut-il l’utiliser à bon escient.

a) Une superposition de fichiers

79La mise en place des bases de données représente un travail sur lequel on ne revient pas par la suite, à l’exception des cas où les contradictions rencontrées révèlent des erreurs dans les travaux statistiques ; c’est seulement dans ces cas qu’il faudrait introduire dans les bases elles-mêmes les modifications qui s’imposent.

80C’est en revanche au stade de la mise en forme des données selon les cadres de la CN que s’introduisent en permanence de nouvelles modifications. Le danger existe alors de perdre le contrôle des arbitrages rendus, et d’introduire ainsi des contradictions implicites. Pour pallier un tel risque, il est nécessaire de maintenir apparentes les différentes strates des arbitrages successifs. On y parvient en se dotant de fichiers de travail « en pile d’assiettes » adoptant tous la même configuration (fournie par les nomenclatures adoptées pour conduire le travail : branches, produits et opérations). Le fichier de base est constitué par la transposition initiale des bases de données. Les fichiers supplémentaires correspondent à chacun des compléments introduits. Et quand un arbitrage est rendu par la suite, on doit alors définir le fichier sur lequel le faire porter, ce qui permet de respecter en permanence les cohérences introduites successivement.

81A chaque nouvelle étape du travail, on dispose ainsi des données déjà élaborées en faisant la somme des différents fichiers relatifs à un poste donné. Ces mêmes fichiers représentent de plus une référence fondamentale pour travailler en année courante : chacun d’entre eux peut en effet être projeté selon des hypothèses qui lui sont spécifiques.

82On notera enfin que certains fichiers représentent une simple harmonisation de sources contradictoires entre elles : il s’agit alors de compléter des grandeurs que l’arbitrage rend nécessaires (par exemple l’introduction d’une contrebande ou d’une sous-déclaration). D’autres représentent en revanche la prise en compte de nouvelles unités de production ; c’est alors l’ensemble des données de la branche et du produit qui est modifié de manière homogène.

b) Rôle de l’informatique

83L’informatique intervient de différentes manières, et selon des modes à préciser pour chaque étape.

– La mise en place des bases de données :

84Elle est dans la continuité du traitement des données statistiques elîes-mêmes. Si l’informatique est déjà présente à ce stade (ce qui est le cas le plus fréquent actuellement), il est très important de ne pas rompre la chaîne, afin d’éviter une nouvelle saisie des données. Mais il faut pour cela pouvoir disposer de l’information statistique la plus élémentaire ; en revanche, un accord avec les statisticiens devrait permettre que ce travail soit de leur responsabilité. L’informatique à utiliser est de type « gestion de fichier ».

– La transposition des données à la CN :

85Cette étape se situe dans la continuité informatique de la précédente. Il s’agit principalement d’une transposition de nomenclatures, et accessoirement de l’application de clés de partage. Il n’existe encore à ce stade aucun arbitrage.

– Les arbitrages :

86La nature du travail est ici complètement différente. Les raisonnements qui prévalent sont de type économique. Si les données à utiliser sont bien issues des fichiers élaborés à l’étape antérieure, en revanche les tâches ne sont plus répétitives : chaque domaine nécessite une approche spécifique. L’informatique dont on a besoin ici doit être une aide à la décision et un appui technique à la mise en œuvre des relations économiques présentes dans le TES. En aucun cas il ne peut être question d’envisager à ce stade du travail des procédures automatiques d’arbitrage.

– La synthèse :

87C’est à nouveau une informatique de fichier dont on a besoin pour gérer les résultats des différents arbitrages, dans le cadre des fichiers « en pile d’assiette » décrits précédemment. Ceux-ci sont définis de telle sorte que leur agrégation permette une élaboration directe du TES ; des lignes et colonnes supplémentaires sont créées pour laisser apparaître les ultimes contradictions, en particulier dans le cadre de matrice des consommations intermédiaires.

88Parmi les derniers arbitrages à rendre à ce stade de l’élaboration, certains sont de nature économique, et doivent être décidés de manière spécifique, en dehors de toute procédure informatique. D’autres sont e i revanche résiduels et peuvent être traités au moyen d’un modèle RAS.

– Le stockage des comptes nationaux :

89Il va de soi que l’informatique est de la plus grande utilité pour stocker les comptes nationaux, tant à l’usage des utilisateurs que pour permettre l’élaboration des comptes de l’année suivante.

– Un système expert :

90La procédure décrite dans ce document laisse entrevoir la complexité de la tâche qui incombe aux comptables nationaux. Leur formation nécessite de gros moyens, en temps comme en assistance technique. C’est pourquoi il est actuellement étudié la possibilité de mettre en place un système expert, sur micro-informatique, qui permettrait aux comptables nationaux des PVD de disposer en permanence d’une assistance qui leur fait encore trop souvent défaut. Ce travail se réalise sous les auspices de l’OSCE et du ministère français de la coopération.

4.3. Les résultats obtenus

91Une chose est de proposer une méthode, autre chose est d’apprécier son efficacité. Nous proposons ici quelques réflexions tirées de l’expérience obtenue dans les pays où elle a été mise en œuvre.

a) Les redressements effectués

92Ces redressements sont nombreux, et parfois très importants. De plus, il est fréquent que des redressements soient confirmés par la convergence de plusieurs des méthodes mises en œuvre. Voici quelques-uns des instruments qui ont permis, à l’expérience, les redressements les plus significatifs :

93La toile de fond constituée par la double démographie de la population active occupée et des établissements représente un instrument clé de la méthode. Elle permet par elle-même des redressements importants ; elle donne la confirmation à des redressements que suggèrent les autres mises en cohérence ; elle permet de faire le partage entre sous-estimation du nombre des unités productrices et sous-déclaration des unités déclarantes.

94La sous-déclaration est comme telle plus difficile à saisir. Il existe trois méthodes principales pour en cerner les contours :

  • disposer de coefficients de fraude (fournis en particulier par la direction des impôts) :
  • reconstituer la production dans le cadre des filières (et en s’appuyant sur les coefficients techniques déclarés) ;
  • faire la preuve de sur estimation des coefficients techniques déclarés.

95Une étude rigoureuse de la consommation des ménages par produit permet la mise à jour d’offres insuffisantes pour certains produits ; il faut alors redresser soit la production, soit l’importation.

96La mise en place des filières peut localement conduire à des redressements très importants. On peut signaler en particulier :

  • les industries alimentaires, sur la base des produits agricoles, (produits laitiers, produits des céréales, aliments pour animaux, viande) ;
  • la production de vêtements (en référence à la production de fils, puis de tissus) ;
  • les industries du bois, du cuir, de l’édition, des matières plastiques...
  • l’industrie du bâtiment et des travaux publics (en référence au ciment).

97L’étude des marges de commerce par produit amène généralement à un redressement significatif de la production correspondante.

98Certaines analyses sur les produits liés peuvent également conduire à des résultats très intéressants ; c’est le cas en particulier du transport, en lien avec les combustibles, les pièces de rechange, les pneumatiques et le service de réparation.

b) Que penser des résultats

99Il faut d’abord constater que les travaux évoqués ici n’ont donné lieu, dans aucun pays, à une récapitulation des redressements introduits. Cela peut surprendre, mais les moyens étaient limités, et quand se termine une année de base, il y a bien d’autres priorités à satisfaire. Un tel travail reste donc à entreprendre.

100Nous nous limiterons ici aux quelques commentaires suivants :

101L’ampleur des corrections introduites dépend du contour finalement retenu pour la production ; ainsi, aucun des pays où j’ai travaillé n’a considéré dans ce contour la production ou la commercialisation de stupéfiants.

102Les redressements introduits dépendent des prix utilisés pour valoriser la production retenue. Bien souvent, l’économie informelle commercialise à des prix inférieurs à ceux pratiqués sur les marchés formels ; il s’agit donc d’une production qui pèse moins que l’autre, à quantité égale (et en conséquence, à rendement égal, la productivité marginale du travail en valeur est plus faible). Mais il faut respecter les principes d’évaluation retenus par la CN.

103– La précision de l’évolution calculée en année courante est plus sujette à caution que la valeur absolue obtenue pour l’année de base. Ceci résulte de la méthode proposée, qui s’appuie en partie sur des sources ponctuelles dans le temps (tels les recensements de population ou d’établissements) ; or on ne dispose généralement pas de bons indicateurs pour suivre leur évolution annuelle.

104On ne peut espérer grand-chose de l’analyse du solde non financier du compte des ménages. En effet, la part la plus importante de l’économie non enregistrée se traduit dans leurs comptes par un accroissement simultané de leur revenu et de leur consommation finale.

105Par quels moyens est-il alors possible de savoir instantanément sil’économie non enregistée a été bien mesurée ? D’une certaine manière, aucun. La méthode proposée consiste en effet à traduire en chiffre tout indice mesurable de l’existence d’une part non enregistrée de l’économie. Le seul espace qui demeure est relatif aux désaccords pouvant exister entre experts sur l’importance à donner à tel ou tel indice ou sur l’introduction de variantes à la méthode.

106– C’est seulement a posteriori, grâce à la découverte de nouvelles sources ou au développement de nouveaux instruments statistiques, qu’on peut être conduit à remettre en cause les résultats proposés. Ceci renvoie à la nécessaire amélioration de la collecte d’informations.

5. Quelques conclusions

107Deux grandes orientations se dégagent en conclusion de cette communication, l’une concernant l’importance que les PVD doivent donner à l’élaboration du TES dans le cadre de leurs comptes nationaux, l’autre relative aux nouveaux besoins statistiques que cette élaboration nécessite.

a) A propos de la comptabilité nationale

108On sait que la CN est un instrument de mesure mis au point par et pour les pays développés. Son adaptation aux PVD pose de nombreux problèmes :

  • conceptuels, en particulier en raison de l’importance de leur économie non marchande et de leurs marchés éclatés, éventuellement aussi de leur hyperinflation ;
  • d’élaboration, faiblesse de l’outil statistique et insuffisance de moyens techniques à mettre en œuvre.

109Pour ces différentes raisons, il est fréquent que la CN soit le parent pauvre des instruments d’information sur l’économie de pays. Il est alors facile de montrer la mauvaise qualité des quelques agrégats éventuellement publiés, souvent avec beaucoup de retard.

110Mais jusqu’à présent, aucun autre instrument sérieux n’a été proposé pour remplacer cet instrument de mesure. Et il semble bien que la seule voie qui s’offre à ces pays soit, sur la base de la démarche proposée par la CN, de développer une mesure plus détaillée, qui permette la différenciation des situations éclatées qui les caractérisent.

111C’est dans une telle perspective que prend tout son sens l’élaboration d’un TES selon la démarche proposée ci-dessus. Car elle permet tout à la fois :

  • la mise en cohérence des sources disponibles ;
  • une évaluation directe de tous les agrégats (la consommation des ménages n’est plus un solde cumulant toutes les erreurs) ;
  • une estimation de l’économie non enregistrée ;
  • la mise à disposition d’une information détaillée sur l’outil de production du pays.

112On peut penser en particulier qu’une estimation de l’économie non enregistrée, analysée par produits, par branches et par nature (fraude, informel, non marchand, ...), constitue une information particulièrement utile à la connaissance de l’économie nationale.

113Il reste que les moyens à mettre en œuvre sont importants. La mise en place d’un système expert peut certes faciliter la tâche des comptables nationaux. On ne pourrait cependant se dispenser d’une volonté politique pour mettre en place un tel instrument. Et cette volonté doit également se manifester dans une amélioration de l’information statistique.

b) A propos de la statistique

114Il y a parfois de bonnes raisons de s’inquiéter de la qualité de l’appareil statistique d’un pays, surtout dans le cas des PVD. Et les statisticiens eux-mêmes sont prêts à reconnaître le mauvais état de leurs travaux, compte tenu des difficultés nombreuses qu’ils ont à surmonter et de la faiblesse des moyens qui sont mis à leur disposition.

115Mais il faut bien être également conscient que l’effort d’amélioration de la statistique classique a des limites. Certes, il est des cas où un progrès sensible pourrait assez facilement être apporté. Cependant, la part non enregistrée de l’économie restera toujours importante ; et le coût marginal pour la réduire de plus en plus prohibitif.

116Une connaissance partielle des zones restées dans l’ombre est sans doute possible en complétant la démarche statistique classique. On peut par exemple :

117– améliorer la mesure des grandeurs utilisées comme indicateurs de l’économie non enregistrée ;

118– développer des tests de qualité pour estimer la part qui échappe à l’enregistrement.

119Mais un tel complément reste insuffisant. Et par rapport à ce phénomène du non enregistré, il faut bien parler d’impasse de la statistique traditionnelle. Un autre angle d’attaque doit donc être recherché, qui permette une évaluation plus systématique de l’espace en question.

120Mes propositions s’articulent autour de deux axes :

121– Développer une connaissance du tissu socio-économique de nature descriptive et qualitative au départ. Il s’agirait de procéder à un inventaire le plus complet possible :

122des métiers,
des conditions d’emploi,
des modes et des techniques de production,
des marchés,
des comportements en matière de consommation,
des circuits empruntés par les produits,

123... et ceci dans tous les domaines où se développe une activité économique. Or pourrait ainsi mettre en place une typologie des activités non enregistrées, de telle sorte que des comportements homogènes puissent être dégagés.

  • 2 « Economia no registrada »-Colloque Buenos Aires – 1986.

124– Mettre en place des enquêtes légères (du type de celles que propose Jacques CHARMES, voir2), permettant la mesure de quelques indicateurs caractéristiques pour chacune des classes définies précédemment : coefficients techniques pour telle activité, productivité, taux de marge, niveau d’activité, revenu espéré, prix pratiqué... ainsi que leur évolution dans le temps.

125On comprendra l’intérêt de disposer de telles informations pour améliorer la méthode proposée dans cet article. A côté des grands outils statistiques qui donnent son cadre d’ensemble à la construction du TES, ces informations complémentaires permettraient de décrire le contenu et de proposer des valeurs aux espaces laissés en creux par ces outils.

126Mais il faudrait sans doute pour cela faire appel à des compétences qui ne sont pas celles habituellement attendues des statisticiens actuels. Un nouveau métier pourrait ainsi voir le jour, dont le travail serait d’un grand secours pour le comptable national.

Notes

1 « Construire les comptes de la nation » Michel SERUZ1ER, Ministère de la coopération – Paris, 1988.

2 « Economia no registrada »-Colloque Buenos Aires – 1986.

Notes de fin

* Cet article est publié avec l’autorisation de l’INSEE et du Ministère de la Coopération. Il a été préalablement présenté au 3cm’ colloque de comptabilité nationale. Paris, 12-13- 14 décembre 1988.

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